Nos grands-parents…

La semaine prochaine, du 06 au 12 octobre, nos séniors sont à l’honneur. A l’occasion de la semaine bleue, nous avons décidé de poursuivre le billet d’été de Séverine et de vous faire part de nos nombreuses lectures dont le super héros est une mamie ou un papy, bref, une personne âgée.

Albums

Le petit Monsieur d’Orianne Lellemand, texte et Anne-Isabelle Le Touzé – Glénat jeunesse, 2021

Dans cette grande et jolie demeure de bord de mer, vit le petit monsieur. Dans sa vie pleine de ronrons il s’ennuie très fortement. Mais un jour lors de sa rituelle promenade au marché il croise un groupe de réfugiés. « Ces personnes ont fui la guerre dans leur pays. Nous avons pu loger la plupart d’entre elles, mais il reste une famille sans abri. Alors mes amis, qui peut les accueillir ? ». Est-ce que le petit monsieur va se proposer ?

Dans cet album il est question de tolérance, de solidarité mais surtout de famille. Nous appartenons tous à une famille mais le plus marquant c’est qu‘au fil du temps, la famille s’étend même au-delà. C’est le cas de cette maman, ce papa et de ces enfants qui vont sans doute trouver chez le petit monsieur un vieil homme qui pourrait être un père, un grand-père pour eux et cela n’a pas de prix.

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Quand Hadda reviendra-t-elle ? d’Anne Herbauts – Casterman, 2021

« Mais je suis là mon étoile. Regarde, tu as toute ma volonté ». Hadda est absente, physiquement elle n’est plus dans cet appartement d’une vie qui s’écoule ou qui s’est écoulée. Hadda rassure, murmure sa présence à travers les pièces traversée par cette même question : « Quand Hadda reviendra-t-elle ? ». Une ritournelle qui s’égrène page après page et qui attend une réponse bienveillante, encourageante.

Il y a plusieurs manières d’aborder le deuil et ce n’est jamais un exercice facile en littérature de jeunesse. La poésie d’Anne Herbauts souligne le chemin qui appartient à la disparue et l’enfant. Cette complicité ne fait que se renforcer à travers chaque page et invite la le lectrice lecteur à les détails. Des jeux d’enfants qui se mêlent au quotidien d’une personne âgée éclairés par des illustrations pleine page.

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Ma mamie en vrai, Yves Grevet, illustrations de Yann Lebras, Mango, 2018.

Louise adore sa mamie, quel dommage que celle-ci habite au Québec, de l’autre coté de l’Océan ! Heureusement, elles peuvent s’appeler en visio. Un jour mamie se met à faire de drôles de blagues, à appeler Louise par le prénom de sa maman… Alors la famille décide de prendre l’avion pour aller lui rendre visite pour de vrai.

Ce roman fait partie de l’excellente collection « roman dessiné » de Mango Jeunesse à destination des tout jeunes lecteurs. Nul doute que l’histoire leur parlera car la relation que tissent la petite fille et sa grand-mère par delà les écrans est particulièrement touchante. A l’heure où de plus en plus de familles vivent éloignées des générations précédentes, Yves Grevet montre qu’avec un peu d’inventivité des liens peuvent être entretenus malgré la distance. Mais aussi que ces relations seront fatalement interrompues, que ce soit par la maladie ou le décès, et qu’il est essentiel d’en profiter pleinement.

L’avis de Lucie.

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Un nouveau printemps pour Pépé Ours, Elodie Balandras, Didier Jeunesse, 2020.

Dans Un nouveau printemps pour pépé ours, Elodie Balandras propose à ses lecteurs d’accompagner Pépé Ours et sa petite fille pour décrocher la traditionnelle ruche pleine de miel. Une balade intergénérationnelle au cours de laquelle les deux protagonistes vont se rendre compte des changements survenus dans l’année. Alors que sa petite fille a grandi et gagné en autonomie, Pépé Ours n’est plus si rapide et fringuant.

Un album plein de tendresse qui figurait dans la sélection du Prix UNICEF 2023 consacré à la famille.

L’avis de Lucie.

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Mon grand-père s’efface, Gilles Baum, illustrations de Barroux, Albin Michel Jeunesse, 2019.

La mémoire joue aussi des tours aux grands-pères. Surtout lorsqu’il approchent des 100 ans ! Ils ont vécu tant d’événements qu’ils se mélangent un peu. Quand un petit fils rend visite à son papy et que celui-ci le prend pour son frère, l’enfant est face à un dilemme : prévenir ses parents ou jouer le jeu ? Il va choisir la seconde option et profiter d’un vrai moment d’enfance aux cotés de son aïeul.

Comme on pouvait l’espérer de ce duo talentueux d’auteur-illustrateur, les choix graphiques de cet album apportent beaucoup de poésie à cette situation douce-amère.

L’avis de Lucie.

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Josette, Clarisse Lochmann, Versant Sud, 2024.

Le lien entre enfants et personnes âgées se passe parfois de lien du sang. C’est le cas avec Josette qui garde Angèle et Clément le temps d’un été. Le temps s’étire, les enfants s’ennuient et décident d’organiser un Noël. Mais comment va réagir Josette ?

Ode à la spontanéité, au partage et à la joie des petits moments, Josette est illuminé par les illustrations floues de Clarisse Lochmann qui laissent au lecteur le soin d’imaginer les détails.

L’avis de Lucie.

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La robe rouge de Nonna, Michel Piquemal, illustrations de Justine Brax, Albin Michel Jeunesse, 2013.

Un jour, la petite fille de Nonna l’interroge : pourquoi chante-t-elle toujours en italien ? C’est l’occasion pour cette grand-mère de raconter l’histoire familiale et l’immigration en France pour échapper aux chemises noires de Mussolini. Magnifique album grand format qui met à l’honneur la transmission intergénérationnelle et la résistance à travers les sonorités et les chants. C’est l’histoire de nombreuses familles françaises qui reconnaîtront sûrement des éléments communs.

L’avis de Lucie.

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Hanabishi, de Didier Lévy, illustré par clémence Monnet. Sarbacane, mai 2022

Les grands-parents sont parfois les gardiens et les passeurs de savoirs, comme nous le montre Didier Lévy dans Hanabishi, un magnifique album aux couleurs chatoyantes. L’héroïne, une petite fille, est fascinée par les feux d’artifices, les hanabi au Japon. Et pour cause : elle nous narre le destin de sa grand-mère, seule femme hanabishi dans un métier dévolu aux hommes. A travers ses mots se dresse un portrait vibrant, hommage incontesté envers cette femme forte et pionnière. On y lit aussi une très belle complicité grand-mère – petite-fille, tendre et délicate.

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L’enfant et grand-mère, de Benji Davies. Ed. par Milan, 2019

Benji Davies aime lui aussi rendre hommage aux grands-parents. Dans sa très célèbre série L’enfante et la baleine, un tome est ainsi dévolu à la grand-mère : L’enfant et rand-mère. Le petit héros, Noé, passe ses vacances chez sa grand-mère, sur un minuscule rocher, et s’ennuie. Il part alors en exploration… Dans cette courte histoire très touchante, BEnji Davies met à l’honneur la famille et les liens intergénérationnels, à travers la relation qui se noue entre un petit garçon et sa grand-mère, les instants de flottement au début, puis de tendresse et de complicité qui apparaissent petit à petit. Une grand-mère haute en couleurs, indépendante, active, qui n’hésite pas à sortir son bateau en mer en pleine tempête… Une femme de caractère, comme on les aime !

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Capitaine Papy, de Benji Davies. Ed. par Milan, 2015

Dans un texte plus ancien, c’était un grand-père que Benji Davies mettait à l’honneur. Dans capitaine Papy, un voyage extraordinaire réunit petit-fils et grand-père. En quelques pages et avec beaucoup de tendresse, l’auteur aborde de manière imagée la question de la séparation, du deuil et de la disparition des proches. C’est doux, tendre, touchant.

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J’aime pas ma mamie. Isabelle DAMOTTE et Charles DUTERTRE. Magnard jeunesse, 2021

Non, la fillette de notre album, petite blondinette à couettes, n’aime pas sa grand-mère !
Elle a beau être la mère de son père, son nom lui échappe toujours, il n’y a rien à y faire.
C’est ainsi, elle ne l’aime pas.
Mais ne croyez pas que cela soit sans raisons. Au fil des pages, elle nous détaille ses arguments avec comique de répétitions et illustrations de famille qui en disent long. Suspicions, dévalorisations, remarques sur son éducation, visage sans cesse renfrogné, la Mamie n’aime pas non plus sa petite-fille et ne s’en cache pas.
Voilà qui explique peut-être/certainement la profonde aversion de la petite envers son aïeule…

Isabelle Damotte nous rappelle que toutes les mamies ne sont pas « gâteaux », gentilles et pleines d’attentions affectueuses envers leurs petits-enfants, tous ou quelques-uns. Avec son texte en rimes très dynamique, ses quelques délicieux mots désuets, complétés par les foisonnants, pétillants et colorés dessins de Charles Dutertre, cet album est vraiment drôle.
Pourtant, derrière le rire et les expressions blasées, se cachent une souffrance, un désir de reconnaissance, d’être et d’exister. Notre fillette se construira avec cela et autrement !

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Romans

Ma collec de mamies de Leïla Brient & Claire Gaudriot – Les Monédières, 2021

Les mamies, Louise les aime à la folie : « Ouais, mais les mamies, c’est plus précieux que les cartes Pakémou, il faut en prendre soin, les aimer très fort. C’est du boulot une collec de mamies, je sais pas trop si vous vous rendez compte ! »

Samedi prochain à 14h, Louise va donner rendez-vous à chacune de ses mamies préférées : Mamie Ella, la rouge si en colère et espiègle à la fois : « Ne t’habitue jamais à ce qui te fait mal, à ce qui t’indigne. Ne baisse jamais les bras, mords, bats-toi, hurle ! C’est pas normal, tu sais, de devoir partager ce monde avec ces trous du cul. » Mamie Violette et ses chiffres sur le bras, sa beauté de jeune fille à jamais dans ses sourires. Aimée la mémé de Louise confectionne des biscuits à la cannelle et aime démesurément ! Il y a Joséphine, très classe, qui pose avec les célébrités, pas besoin d’être jeune et belle pour ça (si si c’est vrai !). Quant à Bertille, elle collectionne les amoureux ébréchés et nourrit les oiseaux. Mamie Linette aime Papi Moktar : « Papi Moktar la berce dans ses grandes mains. Grandes comme un livre d’histoires. Les mains de Papi Moktar remontent doucement Linette dans leurs filets tissés de souvenirs. ». Ce même Papi qui tricote, fait cuire des confitures et qui a vécu mille et une vie. Toutes les invitations sont écrites, soigneusement personnalisées pour que la fête soit belle !

Bien sûr il fallait compter sur Claire Gaudriot qui aime les « trucs de vieilles » pour nous livrer cette magnifique galerie de portraits de mamies, si belles ! Le texte de Leïla Brient nous fait voyager à travers le vécu de ces femmes ordinaires tant elles sont extraordinaires. Des vies à aimer, à s’indigner, à être heureuse tout simplement.

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Des vacances d’Apache, Alexandre Chardin, Le livre de pochette jeunesse, 2023.

Alexandre Chardin affectionne particulièrement les relations inter-génerationnelles et on en trouve dans nombre de ses romans. Dans Les vacances d’Apache, il invite Oscar et ses lecteurs à rencontrer Marcel Miluche, un grand-père farfelu, champion de jeux vidéo, de dressage de chat domestique et de batailles rangées avec les gamins du quartier. Un adulte-enfant, bien décidé à rendre son petit-fils un peu moins raisonnable. Sa devise ? « Il faut être un Apache ! Toujours avec panache ! »

L’avis de Lucie.

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Premier rôle, Mickaël Ollivier, éditions Thierry Magnier, 2023.

Premier rôle figurait lui aussi dans la sélection du Prix Vendredi 2023. Il faut dire que Mickaël Ollivier a donné une place de choix au personnage de la grand-mère dans son roman. Son décès est le point du départ du récit de Laura, sa petite fille, qui va raconter leur vie et leur passion partagée pour le cinéma.

Un roman fort, avec de beaux portraits de femmes de trois générations marquées par l’amour, qu’il soit fou, manqué ou filial.

L’avis de Lucie.

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Illettrée littéraire / Perpète de Pierre Soletti, illustrations d’Emma Morison, Editions du Pourquoi pas ?, 2023.

Illettrée littéraire a été publié dans la collection Faire Humanité des éditions du Pourquoi pas ?, tête bêche avec Perpète. Ces deux textes sont des hommages poétiques très émouvants de l’auteur à sa Mamé.

D’un côté il partage ses souvenirs de devoirs effectués sous sa surveillance fantasque ; de l’autre le vide qu’elle a laissé en disparaissant. La tristesse est teintée de tendresse et d’humour qui apportent beaucoup de douceur.

L’avis de Séverine ICI, celui de Lucie et d’Héloïse.

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Venise, Bises, Cerises. Nancy GUILBERT. Oskar Editeur, février 2020

Bien que le sujet de ce roman jeunesse ne soit pas précisément les grands-parents, ceux-ci occupent une place importante dans la construction de Venise. Celle-ci est orpheline de mère et, au-delà de ses propres souvenirs matériels ou émotionnels, ses grands-parents pourraient lui apporter de quoi construire sa mémoire et son identité. Mais ces derniers ne sont en aucun cas chaleureux. C’est même tout l’inverse ! Et aller chez eux est à chaque fois une épreuve pour Venise et son père tant les critiques sont constantes. Concernant le métier de leur gendre, l’éducation qu’il prodigue à Venise (ou pas justement), comme sur la jeune génération dont elle fait partie et qui irait à vau-l’eau. Ce point de vue, réel, fait du bien à lire et se remarque tant il est rarement abordé en littérature jeunesse. Il l’est un peu plus aujourd’hui cinq ans après la parution de ce roman, mais est encore une exception.

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Documentaires

Les rides, JR, Phaidon, 2019.

Est-ce vraiment en documentaire ? Oui, d’une certaine manière car on lit dans les rides des modèles de JR le temps qui passe et les expériences de vie. Les modèles racontent aussi leur histoire et celle de leur quartier à la fin de cet album aux magnifiques photos en noir et blanc. Photos qui ont ensuite été collées sur des façades d’immeubles de leur ville. Comme une invitation à nous tourner vers ces habitants, mémoires de nos cités.

L’avis de Lucie.

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BD-Mangas

Ma mamie adorée de Junko Honma – Rue de Sèvres, collection : le renard doré, 2024

Koume adore sa mamie Ume, étant proche de part l’étymologie de leur prénom, elles ne sont encore plus dans leur complicité. Laissons Junko Monma présenter ses personnages à travers leurs objets préférés et il y a vraiment des choses surprenantes. Vous les retrouverez tout le long de ces petites saynètes de la vie. Si parfois Koume se fait du souci pour la santé de sa mamie il en va de même pour Ume qui transmet de belles valeurs à sa petite fille. Toutes les deux sont attentives au fait et geste de l’autre. Quoi que de plus adorable que d’être le témoin d’autant d’amour à travers les saisons qui se déploient au Nord de l’île de Honshû.

Ce manga se déguste comme une part d’un bon gâteau moelleux réconfortant. Koume est si fusionnelle avec sa mamie qu’on ne peut s’empêcher d’envisager une immense tristesse si elle venait à la perdre un jour. Les illustrations et le découpage des chapitres apportent une atmosphère de bien-être et de nostalgie à la lectrice et au lecteur. La petite cerise c’est les explications données en fin de volume sur les coutumes ou autre de la vie japonaise.

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Le poids des héros, David Sala, Casterman, 2022.

Le poids des héros, c’est la transmission de l’histoire familiale. Les deux grands-pères de David Sala ont fuit l’Espagne de Franco pour se retrouver face au nazisme en France. Des héros qui ont vécu selon leurs convictions, sans éclat ni tambour. Et qui ont survécu à l’horreur. Un héritage plus ou moins lourd à porter selon la sensibilité des descendants et leur envie de le transmettre.

Le travail de recherche et de mémoire de David Sala est admirable. Son traitement, distillé dans une autobiographie est particulièrement délicat.

L’avis de Séverine ICI et celui de Lucie.

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Ce joli est album d’Emilie Chazerand paru en 2019 aux éditions de l’Elan Vert met en scène une correspondance entre Jonathan, un petit garçon coquin et quelque peu insolent et sa mamie.

Au départ Jonathan, obligé par sa Maman à écrire à sa grand-mère ne le fait pas de très bon coeur mais leurs échanges épistolaires nous font presque avoir des fous-rires tellement la grand-mère a du répondant. Entre jeux de mots (Chère Mamimolette, Cher Chenapan), et confidences s’installe un dialogue plus profond qu’il n’en a l’air sur les âges de la vie (eh non, les mamies ne sont pas que des vieilles dames qui tricotent), le rôle de parents (les mamans sont des embêteuses professionnelles mais c’est pour la bonne cause, un jour il y aura du résultat espérons !). Le recul que peut apporter le regard des grands-parents au service d’un livre à la fois drôle et profond, avec des illustrations signées Charles Dutertre qui servent parfaitement le propos.

Un livre intergénérationnel à partager en famille pour renforcer la complicité et alléger les soucis du moment qui de toutes façons finiront par passer. Tout est plus léger à dos d’éléphant de toutes façons !

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La forêt des souvenirs est un joli album paru aux éditions Kimane en 2021 et qui traite de la maladie d’Alzheimer.

Emma et sa mamie se promènent ensemble dans la forêt des souvenirs, un lieu magique, probablement une métaphore de la mémoire de la grand-mère, dans lequel elles se promènent toutes les deux et revivent ensemble ses souvenirs les plus précieux.

Elles se rendront compte à la fin que même si l’on oublie tout, le plus important reste l’amour que l’on a donné et reçu.

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Pour terminer ce billet, nous avions envie de zoomer, après les albums Le petit Monsieur d’Oriane Lallemand et Josette de Clarisse Lochmann, sur une petite sélection dans laquelle les personnes âgées ne sont pas les grands-parents des héros/héroïnes, mais avec lesquelles ils/entretiennent une relation qui les aide à grandir, les nourrit, les transforme.

Le magicien du square, de Thierry Lenain, illustré par Laurent Corvaisier, Grasset Jeunesse, 2003

Le magicien du square, c’est ce vieil homme seul que rencontre la narratrice de ce bel album de 2003, aux illustrations sensibles, au texte émouvant. Du récit d’une amitié improbable entre une fillette de cité solitaire, passionnée de dessin, et un marginal, ancien marin, peintre à ses heures perdues, que beaucoup évitent, Thierry Lenain et Laurent Corvaisier font une ode à l’imaginaire, au pouvoir des histoires et de l’art comme langage universel capable de rapprocher des êtres que tout oppose. La véritable magie, c’est celle de la passion, du rêve, de l’amitié, au-delà des préjugés et des différences. En parallèle, c’est aussi une belle histoire sur la vieillesse, la maladie, la fin de vie, qui peut amener une réflexion, un échange avec les enfants, sur la solidarité avec les personnes âgées isolées.

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Sur le chemin de Reinette, d’Emmanuel Bourdier, illustré par François Ravard, Flammarion jeunesse, 2024

Dans cet album, on savoure avec Zélie l’océan, ses parfums, ses embruns, le sentiment de liberté et de sérénité qu’il lui apporte. Le seul problème, c’est que pour se rendre en bord de plage, il lui faut prendre le chemin qui passe devant la maison de Reinette, une vieille dame méchante et acariâtre, qui grogne, jure, postillonne. Mais quand l’on découvre avec Zélie un secret de siècle dernier, inscrit sur un « trésor sous verre » venu s’échouer aux pieds de la fillette et qu’elle comprend de qui provient le message, le crapaud reprend visage humain et notre regard change… Et si la méchanceté de Reinette était plutôt la manifestation de l’aigreur d’un bonheur qu’elle n’a pas connu, d’une blessure jamais cicatrisée ? C’est alors, entre l’enfant et la vieille dame, le début d’une complicité aussi pudique que surprenante…Ce bel album, au texte et aux illustrations généreux et lumineux, apporte évasion, émotion, réflexion. Il est d’autant plus touchant qu’il est également, empreint d’humanité, un beau récit sur la solitude, la vieillesse et les rendez-vous manqués.

L’avis de Séverine LA.

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Presque perdu, d’Hervé Giraud, illustré par Aurélie Castex, Seuil Jeunesse, 2023

Dans Presque perdu, Hervé Giraud met en scène la relation entre Émile, un enfant de 9 ans, et un grand-père (qui n’est pas le sien) surnommé Tintin, récemment veuf, masquant sa tristesse et sa peine derrière une extravagance faussement joyeuse. Leurs aventures familiales d’un été (vivre en tribu, se disputer, s’amuser, faire des concessions, trouver un enfant, perdre un enfant) leur permettront de se rapprocher et de s’apporter mutuellement réconfort et confiance. Entre humour et tendresse, ce roman junior nous dit à la fois l’amour entre générations, la transmission, et la manière dont un enfant sait mieux affronter la réalité du monde adulte quand il est bien entouré. Grâce à Tintin, Emile apprend que la perte définitive existe, mais que l’amour, les liens, et le souvenir permettent de continuer à vivre et même à être heureux. Les illustrations pleines de peps et très expressives sont absolument délicieuses, tandis que, comme souvent avec cet auteur, sensibilité et rires se taillent la part du lion pour de beaux moments d’émotions.

L’avis de Lucie.

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La vie devant soi, d’Emile Ajar/Romain Gary, Mercure de France, 1975

La dernière œuvre présentée n’est pas à proprement parler destinée à la jeunesse. Néanmoins, elle peut être lu dès l’adolescence et certaines arbronautes considèrent même que c’est un tel chef-d’œuvre qu’il n’est jamais trop tôt pour le lire et apprécier ce roman de 1975, Prix Goncourt pour le moins surprenant d’un auteur inconnu : Emile Ajar.

Dans un Paris populaire marqué par la pauvreté, la marginalité et le racisme, son héros inoubliable, Momo, fils de prostituée placé chez Madame Rosa, une vieille dame juive, malade, obèse, ancienne prostituée elle-même, à qui l’on confie les enfants dont les mères ne peuvent pas s’occuper. Narrateur du roman, il décrit avec la gouaille de ses mots d’enfant et la fraîcheur de son innocence, une réalité dure où les allié.e.s sont rares, les drames latents, les souffrances omniprésentes, les solitudes tragiques. Mais ce que Momo raconte, – comment des êtres fragiles peuvent se sauver les uns les autres, la solidarité entre marginaux et autres rejetés de la société-, est d’une humanité réconfortante, d’une drôlerie mêlée de sensibilité sans pareille, d’une lumière infinie. Sa relation avec Madame Rosa, figure maternelle de substitution, c’est une magnifique leçon d’amour au-delà des liens du sang. Mais, plus que ça et par-dessus tout, la prouesse de ce magnifique roman, c’est, en évoquant la vieillesse, la maladie et la mort, de sublimer, puissante et résiliente, l’enfance, ce moment où l’on a La vie devant soi. Bravo Monsieur Gary !

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Et vous, quels livres vous rappellent vos grand-parents, les moments passés avec eux, ce qu’ils vous ont transmis… ?

La mort : entre deuil et célébration

La Toussaint en Europe, Día de los Muertos au Mexique sont autant de moments qui permettent aux vivants de célébrer les morts. Entre recueillement et souvenirs, ces fêtes prennent place en Novembre, mois des morts. Cette année nous avions envie de proposer une sélection d’ouvrages qui permettent d’accompagner la mort et d’entretenir la mémoire des disparus.

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La fin est-elle vraiment une fin ? C’est pour guider les enfants dans ce questionnement abyssal que Séverine Vidal et Louis Thomas ont écrit cet album. Les auteurs ont fait le choix de placer l’enfant au centre de la réflexion, et des réactions, qu’il peut avoir face à la mort. C’est assez rare pour être souligné.
Nous ne sommes pas dans une démarche explicative du pourquoi de la mort, des étapes du deuil… qui peut être pertinente mais incomplète.

Ici, il s’agit réellement d’inviter l’enfant à partager son émotion et ses pensées face à l’idée de la mort. Qu’il y ait été confronté par la perte d’un proche ou qu’il n’en ait qu’une représentation floue, ce concept interroge et inquiète les enfants. Il est important de les laisser s’exprimer à ce sujet et ce livre semble idéal pour cela.

Le livre qui commence par la fin, Séverine Vidal et Louis Thomas, Éditions Sens Dessus Dessous, 2024.

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Pour le cinquième tome des aventures à forte consonance philosophique de son petit écureuil, Olivier Tallec le confronte à la mort. Heureusement qu’il lui a trouvé un meilleur ami, Poc, pour faire face à cette expérience…

Le petit écureuil aime écouter chanter le merle, mais voilà qu’il a disparu. Jusqu’à ce qu’il le retrouve par terre dans la forêt. « Est-ce qu’il dort ? » se demande-t-il spontanément. Comme un enfant, il va faire de plus en plus de bruit, le toucher pour vérifier et finalement lui rendre hommage. Les étapes sont très juste et le ton toujours parfait. L’ironie de la série en moins, mais il faut dire que le sujet ne s’y prête pas. Encore une belle réussite qui saura accompagner les enfants dans cette difficile épreuve.

Est-ce qu’il dort ?, Olivier Tallec, L’école des loisirs, 2024.

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Si le deuil est un thème récurrent de la littérature young adulte, force est de constater que Hayley Long exprime particulièrement bien les ressentis des survivants dans Nos vies en mille morceaux. Entre désespoir et petits riens qui permettent au temps d’avancer, rencontres et mains tendues… l’atmosphère ouatée et les personnages, loin des caricatures habituelles, sont le plus de ce roman. Ainsi que la traditionnelle playlist. Elles se multiplient dans les romans, et leur intérêt n’est pas toujours évident, mais celle-ci est parfaitement adaptée à l’histoire. Il faut dire que le titre original est celui d’une chanson des Beach Boys (The Nearest Faraway Place)…

Nos vies en mille morceaux, Hayley Long, Gallimard jeunesse, 2018.

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« Mais je suis là mon étoile. Regarde, tu as toute ma volonté « . Hadda est absente, physiquement elle n’est plus dans cet appartement d’une vie qui s’écoule ou qui s’est écoulée. Hadda rassure, murmure sa présence à travers les pièces traversée par cette même question : « Quand Hadda reviendra-t-elle ? ». Une ritournelle qui s’égrène page après page et qui attend une réponse bienveillante, encourageante.

Il y a plusieurs manières d’aborder le deuil et ce n’est jamais un exercice facile en littérature de jeunesse. La poésie d’Anne Herbauts souligne le chemin qui appartient à la disparue et l’enfant. Cette complicité ne fait que se renforcer à travers chaque page et invite la le lectrice lecteur à observer les détails. Des jeux d’enfants qui se mêlent au quotidien d’une personne âgée éclairés par des illustrations pleine page.

Quand Hadda reviendra-t-elle? d’Anne Herbauts,
Casterman, 2021

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« En vérité, ce n’était pas une question, c’était LA question, LA question qui était partout autour de moi depuis que maman n’était plus. » Elise sait quelque chose et ce sentiment la blesse au plus profond. Elise sait qu’elle est triste, seule et pourtant elle n’a pas le droit de pleurer car dans sa maison il y a des règles à ne pas enfreindre. De sa mère, Elise ne conserve qu’un puzzle qu’elle fait et défait frénétiquement, un refuge en cas d’intempérie. Elise grandit sans trop de connexions avec le monde extérieur et passe son temps libre à faire des puzzles que son père lui offre : « Quand il entre dans ma chambre pour me dire bonne nuit le soir, papa me félicite sans émotion s’il y a un nouveau puzzle exposé.

-C’est bien, il est beau. Papa me félicite toujours sans émotion. En fait, papa vit toutes ses journées sans émotion. »

Elise sait aussi que son père s’est crée une carapace digne du plus noir des personnages de Naruto : Orochimaru. Elle l’a enfin compris en passant ses lundis après-midi à regarder l’animé en compagnie de son amie Stella, une jeune demoiselle de sa classe légèrement « zinzin ». Peu à peu Elise s’ouvre et lorsqu’elle apprend que sa grand-mère du Japon débarque chez elle pour 15 jours, elle entre dans une immense joie mais redoute la réaction de son père…
Pourquoi ne dit-on pas sayonara ? car la signification de cet au revoir n’est pas vraiment compatible avec ce que va ressentir la lectrice/le lecteur. Elise et son étoile Stella : celle qui va l’accompagner, la faire réfléchir sans brusquer, tout en étant respectueuse. Elise et sa grand-mère Sonoka celle qui va enfin prononcer le prénom d’une maman disparue, celle qui va honorer sa mémoire. Des rencontres qui font changer, évoluer et enfin peut-être accepter l’inacceptable. Tout ce petit monde va graviter, se connecter autour d’Elise et c’est un bonheur dans faille qui en restera.

On ne dit pas sayonara d’Antonio Carmona, Gallimard jeunesse, 2023

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Le papa de Suzy, 9 ans, a une paillette dans l’iris. Comme Julien, son frère, de 2 ans son aîné. Son grand frère qui restera pour toujours un enfant car il est [mot tabou].
« Ce n’est pas dans l’ordre des choses« ‘ répète la nounou de son voisin qui s’occupe d’elle pour les trajets de l’école, puisque sa maman n’en est plus capable, terrassée par le chagrin, et que son papa travaille, parce que oui, la vie continue. De désordre, il est aussi question dans la tête de la fillette, bouleversée au point d’avoir une mèche de cheveux blancs depuis que son frère est [chut !].
Au choc et au chagrin de la disparition de son complice de toujours, succède le temps des pourquois. Suzy est envahie de questions, auxquelles les adultes de son entourage, les amis de son âge, ne savent, ne peuvent, ou ne veulent pas répondre. Bien que soutenue par un père compréhensif et courageux, une enseignante dévouée, une psy à l’écoute et une bande d’ami.es fidèles, Suzy souffre, elle ne parvient pas à trouver le réconfort qui pourrait lui permettre de reprendre une vie d’enfant sereine. Pour autant, elle vit aussi des moments joyeux, elle a de nouveau envie de jouer, de s’amuser, elle souhaite être jolie pour plaire au garçon dont elle est amoureuse… C’est d’ailleurs pour cela qu’un sentiment de culpabilité la ronge. A-t-elle droit au bonheur malgré le drame ? Le ton, les mots sonnent juste. L’écueil, avec ce thème, est de verser dans le pathos, ou de s’adresser davantage aux adultes qu’au jeune lectorat. Il est ici parfaitement évité. Avec une candeur délicieuse, un humour délicat, une profonde empathie, des trouvailles topographiques et textuelles, avec, surtout, une sensibilité et une tendresse exceptionnelles, ce roman nous emporte, malgré un sujet douloureux, aux confins d’une émotion baignée de lumière.

Une paillette dans l’iris, Charlotte Pons, Inbar Heller Algazi, Seuil jeunesse, 2024

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Le grand et vilain bonhomme, écrivain en panne d’inspiration, est un être déprimé vivant seul dans une vieille maison délabrée, entouré des personnages de papier qui peuplent ses histoires : un vampire, un zombi, un yéti et un loup-garou. Des créatures fantastiques issues d’un folklore sombre et morbide qui renvoient à la tristesse du vieux et vilain bonhomme et appuient le sentiment de perte et de deuil qui l’entoure. Il faut attendre l’apparition du fantôme d’une petite fille pour faire remonter des souvenirs, des émotions et faire revenir l’inspiration.

Jérémy Semet signe un récit qui aborde le sujet grave de la perte avec justesse et pudeur. Son écriture joue sur un effet de répétitions rythmant l’histoire d’une sorte de mélodie agréable à l’oreille. On apprécie la musicalité des mots qui, d’une certaine manière, apporte un sentiment de réconfort tout en maintenant une note d’optimisme au fil des pages.

A l’image de la couverture du livre, deux couleurs viennent teinter les illustrations de Clémentine Pochon, prenant de plus en plus de place au fur et à mesure que le vieux et vilain bonhomme reprend goût à la vie. Cela ajoute encore à la musicalité de l’histoire, la couleur se posant telle des notes de musique sur la partition.

Le vieux et vilain bonhomme dans sa si grande et sinistre bicoque de Jérémy Semet & Clémentine Pochon, Voce Verso, 2022.

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Alors qu’il se retrouve orphelin, Gabriel, quinze ans, ne se sent plus à sa place nulle part : une nuit chez sa tante, une autre dans son ancienne maison, une autre encore chez une amie de sa mère… Gabriel tente désespérément de maintenir la tête hors de l’eau et de faire face aux émotions qui le submergent. Lorsqu’il apprend que sa mère souhaite être mise en terre au côté de son père, il ne peut l’accepter. Impossible de venir rendre visite à la personne qu’il aime le plus au monde s’il doit aussi affronter ce père qu’il déteste. Il décide de partir avec le cercueil de sa mère, seul sur les routes, à la recherche d’un lieu où il pourra la laisser reposer.

Le cercueil à roulettes aborde le délicat sujet de la mort d’un parent et de la sensible période de deuil qui en découle. Pour Gabriel, cette étape devient un véritable chemin de rédemption et de pardon. Brutal, le récit est généreux dans l’attention que les personnages secondaires donnent à l’adolescent sur qui ils veillent affectueusement et les rencontres fortuites d’humains bienveillants qui conduisent ses pas vers la résilience. Tous ces personnages apportent une véritable palette de couleurs vibrante d’émotions qui rendent la lecture intense et mémorable.

Le cercueil à roulettes d’Alexandre Chardin, Casterman, 2020.

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Après le suicide de son père, Lucas a bien du mal à reprendre le cour de son existence. Laisser ce qu’il reste de sa mère derrière lui, retourner à l’internat, reprendre les cours et retrouver ses potes prend vite une place trop grande dans sa tête qui ne sait plus comment continuer. Quand la pression devient insupportable il ne lui reste d’autre choix que de partir, s’arracher pour tenter de reprendre pied et décider si le bout du chemin sera la vie ou la mort.
A travers prés et forêts, une biche fuit une meute de chiens enragés, accompagnés d’hommes armés de fusil. A peine sortie de l’enfance, elle n’a d’autre choix que de courir pour sa survie, alors que la saison de la chasse bat son plein et qu’humains et canidés ne lui laissent aucun répit. Alors que chacun fuit à travers la campagne, leur rencontre semble inéluctable…
Dans ce court récit, Marc Daniau aborde la fuite à travers deux regards, deux êtres de nature différentes. Chacun s’arrache à ce qu’il connaît, à sa famille, pour tenter de survivre à la perte d’un parent pour Lucas, à une attaque de chasseur pour la biche. Le texte, incisif, touche droit au cœur et bouleverse par l’urgence de leurs deux situations. La construction du récit joue sur l’alternance de point de vue pour rapprocher ces deux personnages vers une rencontre que l’on voit arriver avant même qu’elle ne se produise.

S’arracher de Marc Daniau, Rouergue, 2024.

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Angèle, treize ans, a perdu sa sœur Élise, décédée brutalement. Elle ne sait pas comment surmonter ce drame alors elle prend un agenda, et chaque jour ou presque, elle écrit au prénom en haut de la feuille, confiant ses sentiments, sa colère, sa douleur.

Un printemps. Une saison pour surmonter un drame. Une saison pour renaître, telle la nature après l’hiver. Un printemps est untexte à la fois simple et émouvant. Les mots, teintés parfois de colère, mais aussi parfois d’humour, d’une jeune fille qui a perdu quelqu’un de cher. Qui a perdu tout sens à sa vie. Et la résilience, la lente reconstruction après un drame. Bien que la jeune héroïne affronte un deuil, ce roman n’est pas larmoyant. Il est lumineux, comme le soleil qui revient après une averse. Il nous raconte l’avant, ces souvenirs que l’on garde précieusement, le maintenant, difficile, mais aussi les doux moments qui surnagent, qui pointent le bout de leur nez, parfois, et nous invitent à continuer.

Un printemps, de Marie Le Cuziat, Milan. 2022

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Népomucène et Eudoxie. Le premier a perdu ses parents dans un accident de voiture, et vit depuis chez un oncle qu’il ne connaissait pas. Il n’est pas malheureux, mais très solitaire. Il vit sans vraiment vivre, allant en cours, mangeant toujours les mêmes repas, ne parlant à personne. Sa seule passion : le dessin.Sa vie change petit à petit et se pare de couleurs. Avec Gaston déjà, un jeune chiot qu’il adopte et dont la fougue va le réveiller. Avec Tristan ensuite, le beau gosse musicien qui s’entête à devenir son ami. Et surtout, avec Eudoxie, la nouvelle au nom aussi improbable que lui, vers qui il est irrésistiblement attiré…

C’est avec une grande sensibilité et une touche de poésie que l’autrice, Lucile Caron-Boyer, aborde des thématiques difficiles, tout en développant en parallèle la naissance d’un amour profond. Deux personnages attachants, et un entourage sympathique et haut en couleurs, bien développés. Des difficultés, des moments compliqués attendent nos héros, mais, si tout est loin d’être rose, il leur reste tout de même un peu de bonheur à trouver.Parce qu’après un grand malheur, on peut avoir droit au bonheur. La vie continue, malgré tout.Népomucène et Eudoxie est un roman marquant, qui nous parle avec brio et tendresse d’amour et de résilience.

Népomucène et Eudoxie, de Lucile Caron-Boyer. Scrineo. 2024

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Coyote, une jeune fille de 12 ans, vit depuis plusieurs années dans un bus avec Rodéo, son père. Dans ce bus scolaire, transformé en maison, ils sillonnent les États-Unis au gré de leurs envies.Mais un jour, la grand-mère de Coyote lui apprend que le parc de son enfance va être détruit. La jeune fille n’a que quelques jours pour convaincre son père de l’y conduire. Plus facile à dire qu’à faire, puisque celui-ci a juré de ne jamais remettre les pieds dans leur ancienne ville…

L’incroyable voyage de Coyote Sunrise est un roman bouleversant, avec des personnages touchants, un road-trip émouvant, et des émotions qui affleurent au gré des aventures.Ce roman, ce sont des rencontres. Avec un chaton d’abord, puis des personnes : Lester, qui veut rejoindre son amoureuse, Salvador et sa mère, qui fuient, puis Val, rejetée par ses parents qui n’acceptent pas son homosexualité. Au fil de la route, des discussions, des mésaventures, ces personnes souffrent, abîmées par la vie, vont échanger, dévoiler leurs secrets, et évoluer. Au programme de ce roman donc, traumatisme, deuil, violences, mais aussi et surtout entraide, amitié, humour, espoir.Une lecture dont on ne ressort pas indemne. C’est triste, mais aussi doux et lumineux, malgré la difficulté des thèmes abordés.

L’incroyable voyage de Coyote sunrise, de Dan Gemeinhart. Pocket jeunesse. 2020

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Igor, Rhéa. Deux adolescents dont la vie s’est brisée en deux secondes. Igor, victime d’un accident à cause de l’inattention de son père, a perdu son visage. Défiguré, il ne sort plus de chez lui. Rhéa, elle a perdu son petit ami, Alex, qui s’est jeté sous un train. Depuis, elle n’a plus goût à rien.Deux adolescents ravagés par la vie, qui ne se connaissent pas, mais partagent une passion commune pour le piano. C’est Fred, un prof de piano, qui va les réunir pour un projet fou…

Deux secondes en moins, c’est un magnifique roman ado, la dure reconstruction de deux êtres abîmés par la vie. Colère, deuil, repli sur soi, rejet des autres, tout cela, Rhéa et Igor le connaissent très bien. Eux qui jusqu’à présent avaient apprécié la vie, ne savent désormais plus en profiter. Ils sont emmurés dans leur douleur, à vif. Heureusement, il y a Fred, le prof de piano un peu sage, un peu magicien, passionné de thé et de fortune cookies, le réparateur d’âmes au grand cœur, qui va créer l’alchimie. Heureusement, il y a le piano, la musique, Schubert, Satie, qui laissent les sentiments affleurer, exploser. On alterne les voix, on plonge dans leurs carnets, leurs poèmes, les listes de pour et de contre, avec une grande pudeur. En peu de mots, on ressent l’arc-en-ciel d’émotions que vont traverser nos deux jeunes protagonistes. Et si les thèmes abordés sont difficiles, ce n’est pas une lecture « éprouvante ». C’est beau, léger parfois, avec des touches d’humour (merci Obama, le perroquet), et une belle dose d’optimisme. Une invitation à croire en la vie et ses possibles, malgré les épreuves, à accepter les mains tendues. Une pépite, tout simplement.

Deux secondes en moins, de Marie Colot et Nancy Guilbert. Magnard jeunesse. 2018

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Léa est une jeune basketteuse prometteuse, entraînée par son père, qui a un « plan », un but ultime dans la vie : devenir la quatorzième femme française draftée en WNBA. Tout est clair dans sa tête, et elle se donne les moyens d’y parvenir, s’entraînant quatre fois par semaine avec l’équipe masculine de sa ville pour progresser. Mais un grain de sable va venir perturber ce rêve américain sur le point de se réaliser, et non des moindres, puisque son père va décéder d’une crise cardiaque. Et ce drame ne survient pas seul : Léa apprend qu’elle souffre du syndrome de Marfan, elle a une déformation cardiaque qui lui interdit la compétition à haut niveau. Mais la jeune femme a déjà perdu son père, elle se résout pas à renoncer au basket… Elle se trouve des compagnons de jeu en banlieue, dont le bel Anthony qui ne la laisse pas indifférente…

En cinq parties – quatre quarts-temps plus la mi-temps -, Marie Vareille nous présente à travers Léa les cinq étapes « traditionnelles » du deuil. Léa vit le déni, la colère, avant de finir par avancer. Un chemin ardu, difficile, pour elle et ses proches. Mais Léa n’est pas seule. Si elle a perdu son complice de toujours, elle peut encore compter sur sa mère, sur sa petite sœur Anaïs, et sur ses deux amis de toujours, Amel et Nico. Ce faisant, l’autrice nous montre à quel point il est important d’être bien entouré.e après un drame. Les personnages sont pleinement humains avec toutes leurs failles, terriblement réalistes. On ressent les émotions de Léa, on la voit se noyer dans ce chagrin immense, tenter de surnager, reprendre pied peu à peu. C’est un long chemin vers la reconstruction qui nous est dépeint ici, et sur la force nécessaire pour rebondir quand les rêves s’écroulent. Émotions, sentiments, passion dévorante pour le basket, Le syndrome du spaghetti est un roman intense, émouvant. Triste, mais aussi plein d’espoir.

Le syndrome du spaghetti, de Marie Vareille. Pocket jeunesse. 2020.

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Poésie, rythme, et dessins. Les vrais champions dansent dans le blizzard est paru après Frères, pourtant il nous narre l’histoire du père, l’histoire de l’été 1988, où lui-même a perdu son père, et pendant lequel sont nés sa passion pour le basket, et son amour pour sa femme. C’est donc un été de changement qui nous est narré ici, celui des grands bouleversements. Kwame Alexaner nous parle avec justesse de deuil, de famille, du passage à l’age adulte, file avec talent la métaphore du basket qui invite à rebondir après un drame.

Son héros, Charlie Bell, est un personnage à vif, empli de colère face à l’injustice de la vie. Un ado un peu rebelle, qui va prendre conscience, grâce à sa famille, et à sa cousine Roxie, de la valeur et de la beauté de la vie. C’est un personnage attachant, et l’importance des dialogues dans l’histoire nous le rend encore plus vivant. Un très beau roman en vers libres, un récit initiatique touchant.

Les vrais champions dansent dans le blizzard, de Kwame Alexander. Albin Michel. 2019

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Un livre ô combien touchant qui nous conte le point de vue d’un jeune garçon qui a perdu son papa.Un jeune orphelin, à qui son père manque énormément. Un enfant triste. En colère. Qui ne comprend pas. Qui rêve de son papa toutes les nuits, et se réveille en pleurant tous les matins, quand l’horrible vérité ressurgit. Et puis petit à petit, il revoit son père, dans certains objets, certains souvenirs, certains gestes…

Ce très bel album nous raconte avec pudeur – et un texte savamment dosé, comme sait si bien les écrire Émilie Chazerand – le deuil, l’après. L’indicible. L’incompréhensible.Les émotions par lesquels on passe après le décès d’un proche, la douleur ressentie, toutes ces étapes par lesquelles on passe avant de recommencer à « vivre ».C’est triste, c’est émouvant, c’est aussi au final très optimiste avec tous ces souvenirs qui nous rappellent nos chers disparus. Sébastien Pelon dessine avec finesse les personnages, les sentiments transparaissent, les décors sont très jolis.Un très bel ouvrage, sensible, pour aborder le deuil et la perte d’un être cher.

Papa partout, Émilie Chazerand, Sébastien Pelon. Élan vert. 2022

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Renard a bien vécu, il est temps pour lui de partir. Il s’allonge, dans l’un de ses lieux préférés, et s’endort pour toujours. Ses amis, tristes, viennent lui rendre hommage et se remémorer les doux souvenirs du passé. À ôté de lui, un arbre commence à pousser…

Un album, fin et délicat, sobre et pertinent, pour aborder les thèmes de la mort et du deuil.Un bel hommage à la vie, qui continue, envers et malgré tout. Tu vivras dans nos cœurs pour toujours est un ouvrage plein de douceur et de tendresse, qui nous délivre un beau message : la mort n’est pas une fin. La personne qui nous quitte continue à vivre en nous, si l’on prend le temps de se rappeler son souvenir, son caractère, ce qu’elle aimait. L’arbre qui pousse sur la « tombe » de renard nous montre la vie qui triomphe toujours, le bonheur qui revient, après le chagrin. C’est doux, poétique, triste mais aussi plein d’espoir. Les illustrations sont très belles, simples et colorées, elles accompagnent avec finesse et une grande quiétude le texte.

Tu vivras dans nos cœurs pour toujours, de Britta Teckentrup. Larousse 2013.

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Célébrer – Entretenir le souvenirs

Morts vivants est un roman de la série Les grandes années de Gaël Aymon et Élodie Durant (destinée aux jeunes lecteurs à partir de 7 ans) qui met en scène les héros récurrents en pleine préparation de la fête d’Halloween. C’est l’excuse idéale pour les enfants d’organiser une fête et de sortir dans la rue sans adulte (ou du moins d’essayer !). Mais c’est aussi l’occasion de parler de la mort. Sujet tabou pour les uns, essentiel pour les autres, il est abordé de manière douce et respectueuse.

Les grandes années, Morts vivants !, Gaël Aymon et Élodie Durant, Nathan, 2020.

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Dans Je voudrais te dire, Jean-François Sénéchal présente la disparition d’une grand-mère renard. En effet, son petit-fils, un renardeau, s’interroge intérieurement : où est donc passée sa grand-mère ? Il se souvient de sa grand-mère alitée et si fatiguée… Il n’avait su que dire devant tant de fragilité. Puis la maman renard lui avait annoncé que tout était fini, mais il ne l’avait pas cru… Le renardeau a alors cherché partout sa grand-mère. Dans « les endroits que nous étions seuls à connaître ». Mais elle avait bien disparu.
Le renardeau se remémore alors les moments de bonheur auprès sa grand-mère :
ensemble, ils ont vécu tant de moments uniques, inoubliables.
Une tempête éclate alors le renardeau se met à crier sa peine… et la foudre tombe sur un grand chêne.
Le petit renard reste longtemps auprès de la rivière, à regarder l’eau passer… longtemps… sans retenir l’eau couler.

Le renardeau décide d’écrire une lettre à sa grand-mère. Dans les quelques mots  de son courrier, le renardeau n’exprime pas tant sa peine… il s’agit juste, surtout, pour le petit renard de dire à sa grand-mère « je t’aime ».
La blessure du chêne cicatrise peu à peu. Le soleil est de retour. Le sujet est abordé avec pudeur et une grande poésie, celle des êtres disparus qui restent dans notre coeur avec nos plus beaux souvenirs d’eux.
Cet amour est comme un trésor, et dans notre coeur, il brille encore.

Je voudrais te dire, Jean-François Sénéchal, illustrations de Chiaki Okada, Saltimbanque, 2024.

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Cinq minutes et des sablés, ou comment l’imminence de la mort peut redonner goût à la vie. La Petite Vieille se sent bien seule, elle n’attend plus que madame la Mort, et avec impatience quu plus est : elle se sent prête à l’accompagner. Mais voilà que madame la Mort a le temps pour un thé et des sablés. Une chose en entraînant une autre, une visite en incitant une autre, la vie et la joie renaissent chez la Petite Vieille. Quel plaisir de découvrir la plume de Stéphane Servant illustrée par le trait vif d’Irène Bonacina dans ce bien joli album qui invite à profiter de la vie jusqu’au dernier moment. Et de ses proches tant qu’ils sont vivants.

Cinq minutes et des sablés, Stéphane Servant, illustrations d’Irène Bonacina, Didier Jeunesse, 2015.

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Après avoir dégusté ses mets préférés dans un endroit qu’il ne reconnaît pas, Alejandro rentre chez lui, impatient de retrouver sa femme et ses enfants. Il ne trouve qu’une femme en rouge qui l’attrape dans ses filets… Catrina…

Au Mexique, le Jour des Morts est Jour de Fête. Les vivants honorent leurs défunts en leur préparant leur repas préféré, en se rendant au cimetière en où ils chantent, boivent et festoient. Pour que la Mort qui fait partie de la Vie ne soit pas redoutée !

Mikael Soutif propose ici un album empli de couleurs pour découvrir Dia de Los Muertos. Le graphisme est en pâte à modeler sur fond violet, ce qui lui confère autant de curiosité que d’attirance !

Catrina. Mickael SOUTIF. L’Atelier du poisson Soluble, octobre 2018

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Premier novembre, Jour des Morts. Jour de fête au Mexique. La jeune Frida est avec sa famille au cimetière, quand elle aperçoit son amoureux, Diego, qui embrasse une autre fille.
Impulsive et furieuse, Frida bondit et retrouve Diego qui a chuté dans un trou où se trouve une vieille femme, alors que des rires résonnent…

Sont-ce eux, Frida et Diego, les protagonistes principaux de cet album ou bien le Jour de la Fête des Morts ? Dans cet album, nous découvrons un peu du Mexique avec les festivités de la Fête des Morts et les traditions qui lui sont liées, et notamment culinaires.

Frida Kahlo et Diego Rivera sont représentés en enfants et déjà amoureux.
Au détour des mots comme des illustrations, on retrouve tout ce qui fera leurs caractères (impétueux ou taiseux, infidèles et jaloux, excessifs en tout) ainsi que leur relation, passionnée, tumultueuse, fusionnelle, mais aussi destructrice.
Mais aussi leurs goûts pour les animaux, la nature, les couleurs lumineuses, et bien sûr, leur Art à chacun.

Frida et Diego au Pays des Squelettes. Fabian NEGRIN. Seuil Jeunesse, septembre 2011

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Que font nos voisins d’en-dessous, c’est-à-dire nos Morts ? Dorment-ils, jouent-ils, continuent-ils leurs activités du dessus ? Et qu’y a-t-il autour d’eux désormais ?

Avec ses dix-huit phrases minimalistes, mais non dénuées d’humour, et des illustrations qui regorgent de détails, de clins d’œil et de références, cet album nous amène à nous questionner sur notre rapport à la Mort. Comment nous, les vivants, nous occupons-nous de nos Morts ? Comment percevons-nous la Mort et quelles relations entretenons-nous avec Elle, ici ou ailleurs sur Terre, selon les croyances, coutumes, lieux, ou encore époques ? Un album qui favorise curiosité et discussions.

Les voisins d’en dessous. Isabelle SIMON et Isabelle CHARLY. Editions Frimousse, octobre 2016

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Ce petit album cartonné au format à l’italienne, au graphisme épuré aux tons ocres, nous présente des décès insolites, de personnes connues ou anonymes, de l’Antiquité à nos jours.

Il nous offre une réflexion sur la Mort et ses circonstances, sur la Vie et nos choix, la façon dont nous la menons… et des mystères de l’existence.

Insolite, curieux, atypique, divertissant et grinçant, cet album vaut assurément sa lecture!

Le Livre des MORTS Extraordinaires. Cecilia RUIZ. Editions Cambourakis, octobre 2019

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Et vous, quels sont les livres qui ont su vous accompagner dans la perte d’un être cher ? Quels titres ont permis à vos enfants de mieux appréhender ce qu’est la mort ?

Billet d’été : Sport et Résilience

Après Lucie, Liraloin et Séverine, il est temps pour Héloïse – Helolitla de relever le défi de ces billets d’été sur le sport !

Le sport, un moyen de résister à l’oppression, un moyen de s’évader, à la montagne ou ailleurs… et aussi, parfois, un moyen de surmonter un traumatisme, de dépasser un drame. Le sport, un moyen de rebondir, de se reconstruire.

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C’est le cas par exemple de Glenn, qui a perdu son père, décédé dans un accident d’avion. Finies les courses à pied le long de la plage de Sydney, moments de partage et de communion avec son père et la nature, puisque Glenn doit aller vivre chez ses grands-parents, en France. Finies ? Non, Glenn ressent au fond de de lui ce besoin irrépressible de courir. Et pourrait bien trouver un allié pour reprendre ce sport…

« Plus je courais, plus je sentais la vie monter en moi.« 

Un court roman intense qui célèbre l’endurance et le running.

Courir avec des ailes de géant, Hélène Montardre, Rageot, 2017.

Sa chronique ICI.

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Jade, elle, a subi une agression sexiste et raciste : elle a été passée à tabac par des inconnus, en sortant de la piscine. Une agression violente dont elle peine à se remettre, jusqu’au jour où elle découvre le free fight. C’est ce sport qui va lui permettre de retrouver confiance en elle, de faire la paix avec son corps, de transcender cette colère qui l’anime en quelque chose de beau. Grâce au free fight, Jade trouve sa place. C’est comme une évidence pour elle.

« Quand je suis sur le tapis, j’ai l’impression d’être moi. Je suis bien dans mon corps, dans ma tête. Le reste du temps, mon cœur bat au ralenti. »

Enfin, le free fight est pour Jade un moyen de lutter contre les stéréotypes en montrant à tous que, oui, une fille peut se battre, et être douée.

Un roman coup de poing.

Frapper comme une fille, Yves-Marie Clément, Auzou, 2024.

Sa chronique complète ICI.

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Les difficultés, Astrid, Hakima et Mireille connaissent aussi. Toutes trois subissent régulièrement des moqueries sur leur physique, et cette année, elles ont été élues « Boudins » du collège. C’en est trop pour elles, elles décident de ne pas se laisser faire. Elles se lancent donc un défi : rejoindre Paris, en partant de Bourg-en-Bresse, à vélo, en vendant des boudins.

Les petites reines vont transcender ce harcèlement avec le vélo, et indirectement, alerter la population sur les dangers du harcèlement. Entre humour et émotions, un road-trip cycliste qui ne les laissera pas indemnes, et va leur permettre de se trouver elles-mêmes.

Les petites reines, Clémentine Beauvais, Sarbacane, 2015.

La chronique d’Isabelle, celle de Blandine, celle d’Héloïse (Ileautrésor), et celle d’Hélolitlà.

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Kasienka, 12 ans, émigre avec sa mère en Angleterre. Nouveau pays, nouvelle langue, et difficile acclimatation pour la jeune fille. Son seul refuge : la piscine, et la natation. Kasienka est une très bonne nageuse, et ce sport lui permet de mettre de côté son quotidien difficile. C’est une jeune fille touchante, en pleins émois adolescents. Une jeune fille en décalage avec les autres, moquée, harcelée, qui peine à se faire une place, hors de l’eau.

Un roman en vers libres, rythmé, puissant, sur les difficultés liées à l’intégration.

« Quand je suis dans l’eau
Mon corps tangue comme une vague :
Violent, un peu.
Beau, surtout.

Poitrine dressée,
Bras étendus,
Jambes en arrière,
Je m’apprête à frapper l’eau.

Et je tire,
Je pousse,
Je glisse.
Ainsi avance le Papillon. »

Swimming pool, Sarah Crossan, Rageot, 2018.

La chronique de Linda, celle d‘Hélolitlà.

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C’est la peur qui pousse Tony et Antoine un matin à s’enfuir. Les deux amis ne se concertent pas, ils se regardent, et partent en courant… Ils ne vont pas au collège.

Ce qui commence comme un jeu continue en course effrénée. Ils fuient tous deux quelque chose : l’un un père violent, l’autre le risque d’être expulsé de France. Une course pendant plusieurs jours, au-delà des limites, pour fuir, et dépasser ces traumatismes. Une course pleine d’espoir, au goût de liberté.

« On est invincibles, on file et nos pieds claquent de joie sur le bitume. On court comme on éclate de rire, comme on envoie balader une mauvaise pensée, comme on s’approche du bord de la piscine l’été pour se jeter en avant les bras grands ouverts vers la fraîcheur. On court dans le bonheur de l’instant. »

Aussi loin que possible, Eric Pessan, L’école des Loisirs. 2019.

Sa chronique complète à retrouver ICI.

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Et puisque qu’Héloïse trouve que le basket se prête bien à cette idée de rebondir après un drame, et que c’est le sport « familial », voici quelque titres qui l’ont marquée !

Après Frères, Kwame Alexander a imaginé l’adolescence de Charlie « Chuck » Bell, le père de Joshua et Jordan, dans un autre roman en vers libres. Nous sommes en 1988, c’est l’été, le premier été pour Charlie depuis que son père est mort. L’été où le basket, et un séjour chez ses grands-parents, lui ont redonné le goût de vivre. Durant cet été de grands changements, Chuck, aidé par sa cousine Roxie, découvre une passion qui ne le quittera plus.

« C’était l’été 1988,
l’été où le basket m’a donné des ailes,

où j’ai dû apprendre à
rebondir

sur le terrain
et dans la vie. »

Les vrais champions dansent dans le blizzard est un roman qui file à merveille la métaphore du basket pour rebondir après un drame. Un texte en vers libres poétique et résilient, qu’Héloïse ne se lasse pas de relire !

Les vrais champions dansent dans le blizzard, Kwame Alexander, Albin Michel Jeunesse, 2019.

Sa chronique complète ICI.

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Marie Vareille s’est attachée au sujet aussi, avec Le syndrome du spaghetti. Léa, basketteuse de haut niveau, qui vise une place en WNBA, voit sa vie s’écrouler du jour au lendemain. Mais il y a Anthony, rencontré par hasard. Anthony dont le basket est le seul échappatoire. À deux, ils vont tenter de surmonter les épreuves de la vie…

Deuil. Maladie. Le sport, une passion pour se reconstruire. Entraide. Amour. Marie Vareille découpe son roman avec les cinq étapes du deuil, nous montre avec justesse les émotions qui emportent Léa. C’est émouvant, vibrant, poignant.

Une ode à la vie, au sport, à l’amour.

Le syndrome du spaghetti, Marie Vareille, Pocket Jeunesse, 2020.

La chronique de Lucie, celle d’Hélolitlà.

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Pour conclure ce billet, Hélolitlà s’éloigne un peu du sujet, mais elle souhaitait vous parler de ce roman qui l’a beaucoup touchée : ABC…, d’Antonio Da Silva.

Jomo grandit au Mali mais est repéré par un chasseur de têtes. Envoyé en France, dans un centre d’entraînement créé par Tony Parker, il se perfectionne en basket... et se heurte aux pattes de mouche, partout. Car Jomo ne sait pas lire… Il suit donc des cours du soir, en plus de ses entraînements.

Entre récit initiatique, poésie, sport, histoire d’amour tragique, l’auteur a su toucher Héloïse. Nous découvrons des personnages cosmopolites, profondément humains. Entraide et solidarité sont les maîtres-mots de cet ouvrage d’une grande délicatesse, qui met la vie au centre.

ABC…, Antonio Da Silva, Rouergue jeunesse, 2020.

Sa chronique ICI et celle d‘Isabelle.

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Et vous, quels sont les romans sur la résilience par le sport qui vous ont fait vibrer ?

Lecture commune : A quoi rêvent les étoiles

Après la lecture commune sur l’album Nuit étoilée, voici un roman A quoi rêvent les étoiles de Manon Fargetton publié par Gallimard jeunesse, qui nous permet d’étoffer notre périple étoilé.

Sélectionné dans le Prix UNICEF 2021 de littérature jeunesse, catégorie 13-15 ans, notre rencontre avec ce roman s’est faite par ce biais.

Ce roman choral a illuminé notre début d’année et donc une lecture commune s’imposait, que voici !

⭐⭐⭐⭐⭐

Colette : A quoi rêvent les étoiles ? Quelle belle question ! Que s’est-il passé dans votre tête en découvrant ce titre ?

Liraloin : je n’ai pensé à rien en découvrant le titre, l’étoile représente tellement la rêverie chez moi que je me suis dit : « voici une lecture qui devrait me plaire ». Cette proposition de lecture m’a tout de suite bottée car je n’ai rien lu de Manon Fargetton.

Pépita : Justement, il n’y a pas de point d’interrogation dans ce titre ! C’est ce qui en fait tout le mystère je trouve. ça part du principe qu’il n’ y a pas de réponse à donner mais je l’ai pris comme une invitation à mener ses rêves jusqu’au firmament. Et ces étoiles, qui sont-elles ? Un petit tour de ciel ?


Liraloin : Elles sont multiples, différentes et puis elles peuvent s’assembler pour dessiner une voie lactée.


Colette : Ces étoiles ce sont Alix, comédienne en herbe qui rêve de fouler les planches après ses études, Titouan, jeune lycéen en rupture avec les autres, avec le monde extérieur (mon chouchou ;), Luce, une femme au destin incroyable qui vit très douloureusement son récent veuvage. Et puis il y a Armand, le père d’Alix, un père incroyable d’amour, de dévouement, et son amie Gabrielle, professeure de théâtre passionnée. Et rien qu’en faisant cette liste, je sens que je suis prête à dévoiler ce qui les unit, car les liens qui se tissent entre tous ces personnages sont multiples, divers, parfois tendus, parfois rompus, sans cesse renouvelés. Et c’est de ça dont il s’agit dans ce livre : des constellations invisibles qui relient les humain.e.s les un.e.s aux autres. C’est tellement beau comme projet d’écriture ! Et surtout c’est réussi !.


Pépita : Et justement, elle rêvent à quoi ces étoiles ? Leur projet, leur angoisse, leur révolte, ….qu’est-ce qui les motivent ….ou pas du tout ?


Colette : Je dirai qu’Alix rêve d’endosser de multiples rôles, de relever des défis, et surtout d’être indépendante. Elle rêve aussi de sa mère retrouvée et d’amour avec un grand A. Titouan rêve de quelque chose de très simple et de très doux : il rêve d’être accepté comme il est. Il rêve d’amitié sincère. Luce rêve de mourir. Non, en fait Luce rêve de retrouver l’homme qu’elle aime. C’est aussi un rêve très simple. Mais inaccessible pour les êtres incarnés. Armand rêve de rendre heureuse sa fille. Et Gabrielle… Gabrielle, je ne sais pas trop. Elle est tellement sur la défensive. Je pense qu’elle rêve d’amour aussi mais…


Liraloin : Ces étoiles, elles sont différentes chez les adultes et les ados. Tandis que les adultes veulent simplement être heureux. Les ados, eux, veulent accomplir quelque chose. Ils sont le reflet de notre société : le rêve où tout est possible sans limite et puis la voie sur laquelle on s’engage peu importe du moment que l’on est heureux.


Pépita : Je dirais juste qu’ils veulent simplement être heureux, être en accord avec leurs envies même si elles sont encore floues. Pour Alix et Titouan, c’est plus clair. Pour Armand aussi , même s’il se cache. Pour Luce, j’ai trouvé ça terrible. Gabrielle, elle, elle est écartelée mais elle le veut bien. Dans ce roman pour ados, ce sont les adultes les plus perdus ! Alors que les ados, eux, savent ce qu’ils veulent, en toute intransigeance. J’ai trouvé cet aspect du roman drôlement bien. Ce qui prouve que la vie est une quête permanente.
Sans trop en dévoiler, par quel heureux hasard vont-ils se rencontrer ? Car ça aussi, c’est fort !


Colette : C’est le hasard justement qui les réunit, un hasard permis par les nouvelles technologies, par les réseaux de communication si envahissants du XXIe siècle. Un hasard qui m’a amené à les voir autrement ces réseaux d’ailleurs. A les voir comme une chance.


Liraloin : Finalement ils vont se connecter grâce aux « nouvelles technologies » (comme ça nous restons dans le flou). C’est le démarrage de beaucoup de rencontres qu’elles soient « provoquées « ou non après tout !


Pépita : Cet heureux hasard va donc faire en sorte qu’il s’entraident mais avant d’en arriver là, l’autrice prend vraiment le temps de revenir à plusieurs reprises sur chacun pour faire avancer leur propre trajectoire. Avec aussi des temps de recul. Du coup, le lecteur les voit évoluer, s’empêtrer, se figer, avancer à nouveau. Cette construction vous a-t-elle séduite ? Qu’est-ce qu’elle révèle de chacun d’eux ?


Colette : J’ai trouvé ce rythme très juste, il nous permet d’aller de surprise en surprise, c’est une petite machinerie narrative très ingénieuse. Titouan, par exemple, mon chouchou, on le découvre complètement addict aux jeux vidéos au départ, et puis au fur et à mesure on comprend ce qui se joue pour lui dans ses longues parties avec Lix, on comprend que quelque chose cloche, mais sans vraiment savoir pourquoi, on a l’impression que c’est une passade, et puis la crise qu’il va vivre quand son père l’oblige à aller au lycée est vraiment effroyable, on comprend alors qu’il vaut mieux prendre au sérieux l’angoisse qu’il ressent et qui le maintient dans sa chambre. Et puis il va y avoir ce message un soir sur son téléphone. Et sa réaction est tellement belle, d’autant plus belle quand on mesure à quel point les autres le font souffrir. La narration de ce roman prend toujours des portes dérobées, des chemins de traverse et c’est très agréables de se laisser guider.


Pépita : Oui c’est exactement cela Colette, des chapitres qui alternent sur chaque personnage mais en même temps des liens invisibles se tissent entre eux et c’est fort beau. Le lecteur s’en émerveille et il se demande bien comment cela va s’épanouir mais sans inquiétude car il a confiance en eux.
A propos des personnages-Colette nous l’a déjà avoué !-quel est le personnage qui vous a le plus touché et pourquoi ?


Liraloin : Le personnage qui me touche le plus c’est Gabrielle, cet enfermement assez cynique. Elle fait en sorte que rien ne la touche et c’est assez paradoxal avec son métier : professeure de théâtre. Au théâtre il faut montrer ses sentiments mais on y joue aussi. Je la trouve dure parfois mais tellement encourageante avec Alix.


Colette : Bon, j’avoue que j’ai un faible pour les laissés pour compte, les mal dans leurs peaux, ceux qui doutent et qui questionnent – déformation professionnelle sans doute – alors j’ai vraiment adoré suivre Titouan. Et puis au début je ne comprenais vraiment pas ce qui le retenait dans sa chambre et en fait … il n’y a rien d’autre à comprendre que son désir de ne plus sortir. Peut-être que cela a fait écho en moi à la période de confinement que nous venions de vivre parce que vraiment j’avais envie de le sortir de là. Et puis après la tentative de ses parents, j’ai compris que non, seul un miracle pouvait changer la donne. Et le miracle a lieu. Et nous assistons à la résurrection de Titouan. Et c’est tellement émouvant !


Pépita : je te rejoins pour Titouan ! Tous ces personnages sont touchants mais j’ai eu un faible pour Luce (plus proche de mon âge !) : son désarroi, son manque, sa solitude immense, sa vie d’avant, …. Au début aussi, je me suis dit : mais elle n’a plus les pieds sur terre ! Je ne connaissais pas encore sa passion. Peu à peu, elle change, elle renaît à la vie, à une sorte de vie puisque…Alix, Titouan et Luce ont ceci en commun que ce sont des êtres entiers. Et cela me touche car j’aime ces êtres-là. On les considère souvent comme intransigeants. C’est juste qu’ils sont incompris dans leur élan de vie et que souvent, on leur coupe les ailes. Leur étoile brille fort et ils veulent l’atteindre à tout prix. C’est ce que ces trois personnages nous disent. Luce le dit un peu différemment. Elle n’a pas la même expérience de vie. Elle a déjà fait du chemin. J’ai eu plusieurs fois eu envie de la prendre dans mes bras.


Colette : On pourrait évoquer la construction du livre en actes : 5 actes, c’est la division classique de la tragédie : est-ce que vous avez trouvé cette structure pertinente ? Qu’est-ce que cela apporte au récit ? Peut-on comparer, selon vous, ce roman à une tragédie ?


Liraloin : Je n’ai pas vu cette construction comme toi Colette, je n’y ai vu que l’entrée, le lever de rideau et puis j’ai laissé évoluer les personnages devant moi tout simplement.


Pépita : J’y ai plus vu une allusion au théâtre que pratiquent deux des personnages. Et je l’avais oubliée ! Une tragédie, non, je ne pense pas, je ne l’ai pas perçu comme ça. Plutôt comme un découpage qui accompagne l’évolution des personnages.


Colette : J’aurais bien aimé parlé des relations familiales qui sont au cœur des différentes trajectoires, quel que soit l’âge des enfants – adolescent.e.s ou adultes. Je trouve que ce roman nous offre une sacrée vision de la parentalité entre la mère absente, qui abandonne et revient sans crier gare, le père omniprésent, les parents qui s’éloignent, les parents qui comprennent… Pour vous, sont-ce seulement des personnages secondaires ou ont-ils des rôles plus importants ?


Liraloin : Ils sont très important ces personnages. J’ai été bouleversée par la scène du papa et de Titouan au collège (je n’en dis pas trop). Il y a aussi la fille qui s’éloigne aussi, enfin les filles. Celle qui l’a fait depuis des années Gabrielle et celle qui veut voler de ses propres ailes : Alix. Oui les parents sont présents à leur façon et apportent à nos personnages principaux une belle force pour continuer.


Pépita : Tu as raison de le souligner perspicace Colette comme toujours ! Pour reprendre la métaphore des étoiles du titre, on est dans une constellation d’humains qui gravitent les uns autour des autres et entre lesquelles des liens invisibles se sont tissés. Ils le savent sans le savoir qu’ils ont réellement besoin des uns et des autres, même si le besoin de s’affranchir de ces liens est vital pour certains. Savez-vous que nous avons tous autour de notre corps une sorte de petite bulle invisible qui nous protège et dont nous avons besoin de frotter aux autres de temps en temps ou au contraire de préserver en s’éloignant ? Ce roman le montre très bien. Du coup, tous les personnages sont importants dans cette histoire, il n’y en a pas de secondaires pour moi.
Si vous en êtes d’accord, j’aimerais qu’on arrête là sur l’intrigue au risque de trop en dévoiler et ce serait dommage pour des personnes qui n’ont pas encore lu ce magnifique roman. Cependant, quel effet a-t-il produit sur vous ? Je pense qu’il dépasse largement le public adolescents. Qu’en pensez-vous ?


Colette : Comme souvent en littérature dite jeunesse, A quoi rêvent les étoiles peut toucher n’importe quel public, ado ou adulte. L’éventail des personnages d’âges très divers permet d’aborder chaque âge de la vie (sauf l’enfance peut-être qui n’y est pas explicitement présente) à travers des questionnements qui sont autant d’étapes dans la construction de soi : quel avenir me construire ? Quels liens avec ma famille ? Avec les autres ? Avec la société dans son ensemble ? Comment être encore moi-même quand les êtres que j’aime ont disparu ?


Liraloin : Tout d’abord, j’ai été très heureuse de cette lecture commune car j’avais envie de lire, depuis un grand moment, Manon Fargetton. Pour l’avoir vu et lu des interviews essentiellement les thématiques abordées dans ses livres me correspondent (dystopie – aventure – roman social…). Il dépasse complètement le public ado car le sentiment d’attachement entre les personnages est intergénérationnel !


Pépita : Personnellement, ce roman a illuminé ma fin d’année dernière ! Si vous deviez le définir en un mot, quel serait-il ?


Colette : Solidarité ! Ce que j’ai trouvé beau ce sont ces liens qui se tissent là où on ne les attendait pas.


Pépita : Mon mot serait lumière !


Liraloin : Pour moi ça serait l’amour car ce mot englobe cette relation si spéciale qui se tisse entre les personnages.


Le mot de la fin pour Colette : C’est un roman foisonnant et très organisé à la fois qui laisse comme une empreinte lumineuse en plein cœur même plusieurs mois après sa lecture ! J’espère que c’est ce que nous transmettrons à travers notre lecture commune !

⭐⭐⭐⭐⭐

Nos chroniques du roman :

MéLi-MéLo de livres

-Liraloin

Lecture commune : L’arrêt du coeur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine

L’arrêt du cœur est un roman de la collection Polynie des éditions MéMo d’Agnès Debacker illustré par Anaïs Brunet. Il parle de Simon, un jeune garçon de 10 ans qui se retrouve confronté à la mort de sa voisine, dont il était proche. En cherchant à rapporter un souvenir d’elle, il découvre l’amour, celui de Simone, à l’époque de la guerre d’Algérie. Nous sommes plusieurs à l’avoir apprécié et nous partageons avec vous notre lecture commune.

L’arrêt du coeur d’Agnès Debacker et Anaïs Brunet. Editions MéMo.

Aurélie : A quoi vous attendiez-vous en découvrant la couverture ? 

Pépita : Difficile à dire pour la couverture ! Pas de lien si évident entre ce jeune garçon assis, tenant une théière rouge entre ses mains et écoutant ce qu’elle a à lui dire, et le titre ! Une histoire d’amour mais pas vraiment celle à laquelle je m’attendais.

Aurélie : Je m’attendais à un roman à l’eau de rose, un jeune garçon amoureux qui colle la théière contre sa joue, peut-être car sa bien-aimée l’a touchée.

Isabelle : Comme vous, je me suis attendue à une romance ! Le titre, associé à la couverture aux tons pastels qui représente un garçon rêveur… C’est en tout cas ce qu’ont pensé mes garçons, même si comme tu le dis Pépita, c’est trompeur – et c’est un peu dommage, car ils sont un peu comme le protagoniste, Simon qui dit à un moment : « selon toute vraisemblance, j’ai affaire à une histoire d’amour et moi, les histoires d’amour, ça m’ennuie au plus haut point ». De mon côté, je considère les romans de la collection Polynie comme une valeur sûre garantissant des voyages hors des sentiers battus. Je n’ai pas hésité et je me suis plongée dans la lecture avec beaucoup de curiosité !

Hashtag Céline : Honnêtement, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Plutôt une histoire d’amour mettant en scène des adultes. Comme je le fais de plus en plus, je ne le lis plus le résumé afin de me garder le plaisir de la découverte, surtout chez MeMo. Sur la couverture, c’est Simon. Mais sans lire ce roman, même si on le comprend vite, je trouve qu’on n’identifie pas immédiatement ce personnage comme un enfant. De fait, en découvrant l’histoire et l’âge de Simon, j’ai été plutôt étonnée !

Bouma : En ce qui me concerne, et ayant lu le résumé, la couverture m’a rappelé les éléments clés de l’histoire à savoir un jeune garçon cherchant à connaître les secrets contenus dans cette vieille théière rouge.

Aurélie : Le roman mélange le drame et l’enquête. Pour sa forme, le récit n’est pas découpé en chapitres mais est entrecoupé des belles illustrations d’Anaïs Brunet, qu’avez vous pensé de cette proposition et quel impact a-t-elle eu sur votre lecture ? 

Pépita : Je ne me suis aperçue de l’absence de chapitres qu’après un petit moment, à vrai dire, mais j’ai eu aussi besoin de m’arrêter par moments, pour mieux savourer cette histoire. J’ai aussi beaucoup aimé que le fil soit déroulé d’un seul jet avec ces illustrations, qui le ponctuent. Cela donne une fluidité et une profondeur.

Aurélie : Comme toi Pépita, je n’ai pas vu sur le moment qu’il n’y avait pas de chapitres. Le roman m’a fait le cœur lourd, mais je n’arrivais pas à lâcher le livre. Ses illustrations m’ont permis de prendre mon souffle dans ma lecture.

Isabelle : De mon côté, j’ai remarqué assez vite l’absence de chapitres et le système de respiration autour de grandes illustrations : pourquoi pas ? Pour moi, ça a été une incitation à dévorer le roman d’un trait. La construction de l’intrigue autour de l’enquête de Simon est très réussie à mon sens : une manière de tenir le lecteur en haleine de bout en bout et d’éviter un registre trop dramatique autour du deuil de Simon.

Hashtag Céline : J’ai trouvé aussi que l’ensemble était très fluide et que tout justement s’imbriquait parfaitement. Texte et illustrations se répondent et se complètent. De fait, je ne me suis posée aucune question pendant ma lecture sur la présence ou non de chapitres. Je me suis trouvée complètement happée par ce roman. Grâce à cette ambiance qui s’installe aussi bien par la musique des mots que les couleurs des illustrations, j’ai suivi avec beaucoup d’émotion Simon dans son travail de deuil puis cette enquête étonnante, qui apporte un souffle nouveau à l’histoire.

Bouma : L’absence de chapitres ne m’a pas du tout gênée dans ma lecture puisque, comme vous l’avez toutes dit, il y a ces grandes illustrations en forme de pause. Et en plus, le texte comporte quand même des sauts de paragraphes, entre deux scènes, deux moments temporels, qui permettent à ceux qui le veulent de stopper leur lecture plus aisément.

Aurélie : Le roman met en avant différents thèmes : le deuil, le lien affectif,le secret et l’Histoire. Il regorge d’émotions, pensez-vous que c’est un roman intergénérationnel? 

Pépita : Oui, totalement intergénérationnel. Il s’inscrit dans une filiation forte, celle du sang mais aussi celle de l’amour, de l’amitié, comme un kaléidoscope. Simon fait le lien avec tout le monde sans vraiment le savoir.

Aurélie : Pour moi l’histoire parle à tout le monde, l’intensité dégagée par le texte et les illustrations touche les enfants comme les adultes. J’ai aimé la diversité des thèmes même si le deuil est pour moi prédominant. Quant au lien effectif, en effet Pépita, il relie tous les personnages de l’histoire : de l’amitié de Simon et Simone, l’amour de Simone et Farid, de Safia et Farid et l’amour maternel des parents de Simon qui s’inquiètent pour lui. Le côté intergénérationnel est aussi pour moi dans le sens de transmission. En effet ,avec l’évocation de la guerre d’Algérie, les enfants peuvent découvrir l’impact de l’histoire avec un grand H sur leur entourage, qu’une chose réduite à un fait appris en cours ait été un jour le quotidien de quelqu’un. Je sais pas si ça vous a fait ça à vous aussi mais avec ce secret je me dis « mais combien de choses nos grands parents vont-ils emporter dans la tombe? », on le voit bien avec Simone.

Isabelle : Je suis d’accord avec vous, ce roman est très riche ! La relation de Simon et de Simone est très belle, faite de multiples petits moments de partage et de complicité… Et pourtant, l’enquête de Simon va l’amener à découvrir des pans inconnus de la vie de Simone et, à travers son histoire, des pages de l’Histoire avec un grand H que sa génération et celle de ses parents n’ont pas vécues. Cette profondeur m’a surprise, surtout au dénouement du roman, et apporte vraiment quelque chose en plus. Je pense comme toi, Aurélie, qu’il s’agit d’un roman intergénérationnel et j’ai vraiment envie de le découvrir et de parler de ces événements historiques avec mes enfants quand ils seront prêts. La génération de nos parents ou de nos grands-parents ont vécu des choses importantes, même si souvent traumatisantes, dont nous gardons une mémoire vivante grâce à nos interactions avec eux. C’est essentiel de la transmettre aux générations suivantes, et la littérature jeunesse a sans aucun doute un rôle à jouer !

Hashtag Céline : Clairement oui. Le roman fait le lien entre deux époques, deux vies différentes. Il permet à Simon d’entrevoir son amie, son histoire et l’Histoire autrement. Mais c’est aussi le récit d’une belle amitié entre un jeune garçon et une vieille femme, d’une relation dans laquelle l’âge n’avait pas d’importance.

Bouma : Je serais curieuse de la réaction d’une personne âgée face à ce texte. Le ressent-elle comme nous, comme le jeune héros de l’histoire ? En tout cas, je reste très émue par cette amitié, si forte qu’elle dépasse le préjugé des âges. Et je vous rejoins sur les histoires familiales liées à un contexte historique : je pense que la pudeur nous retient souvent de poser les questions mais que chaque personne cache en elle une partie de son histoire.

Aurélie : La théière est un objet transitionnel, quelle symbolique a-t-elle eu pour vous? 

Pépita : J’ai adoré sa présence, d’ailleurs j’en ai une bleue du même style et je me demande si je ne vais pas la détourner aussi ! Elle symbolise les petits secrets et aussi le souvenir de ces petits moments partagés autour d’elle. Elle fait le lien entre l’avant et l’après, elle permet à Simon d’accepter peu à peu la mort de sa Simone en restant vivante à travers elle. Elle lui permet de grandir. Quelle belle idée !

Aurélie : La théière me fascine, je n’arrive pas à savoir si c’est ce qu’elle représente : l’objet qui permet à Simon de faire son deuil, ou sa représentation avec la présence des illustrations d’Anaïs Brunet. En tout cas, elle représente aussi pour moi une métaphore du lien : celui qui lie Simone à Simon, Simone à Juliette et Simone à Farid mais aussi entre Simon et Juliette !

Isabelle : Sur la couverture, Simon colle son oreille contre cette théière comme on le fait avec un coquillage pour entendre la mer… Avant de lire le roman, j’ai interprété ce geste en l’attribuant à une rêverie. À la lecture, on comprend que cet objet est associé à d’innombrables moments privilégiés avec Simone, que leur écho résonne probablement encore à l’intérieur… Je trouve pertinent de parler d’objet transitionnel comme vous le faites, car elle aide Simon à vivre sans Simone, comme il avait pu aider Simone à vivre sans Farid.

Hashtag Céline : Cette théière, j’y ai beaucoup pensé. Je me suis mise à la place de Simon et je me suis posée cette question : tu aurais fait quoi toi, étant enfant? Tu aurais lu ou non les petits papiers? Cette théière est « magique ». Lire les secrets et les vœux qu’elle contient, c’est transgresser un interdit et peut-être même s’attirer des ennuis ! Mais comme Simon, j’aurais sans doute fait pareil, au risque d’y découvrir des choses que j’aurais préféré ne pas savoir. J’ai trouvé que la théière était un joli symbole rassemblant à elle-seule tous les éléments importants du roman : le souvenir de Simone, tous ses secrets mais aussi l’enfance et l’innocence de Simon.

Bouma : On pourrait presque rapprocher cette théière des journaux intimes ou carnets que l’on écrit à tout âge. Ils ne sont fait que pour nous, et en même temps révéleraient bien des choses à quiconque les lirait.

Aurélie : Simon découvre l’histoire de son pays et le racisme avec son ami, on a l’impression qu’avec la mort de Simone, un voile s’est levé. Il est en début d’adolescence et découvre doucement le monde des adultes. La nièce de Simone a-t- elle un rôle de passerelle entre ces deux mondes ?

Pépita : Je ne l’ai pas vue comme ça. Je l’ai vue comme une confidente, qui en a compris bien plus que ce qu’elle veut bien laisser croire. Elle accepte la présence de Simon avec naturel et une certaine bonhomie, sans mort dans l’âme. Elle est comme un tourbillon, qui s’arrête pour l’écouter parler de Simone, entrer dans le jeu de découvrir ce mystère de cet amour de jeunesse. Elle est la seule adulte dont Simon ne se méfie pas. A travers elle, il découvre aussi qu’une personne n’est jamais vraiment disparue. Il baisse sa garde enfin avec elle. Elle lui permet de lui faire confiance. Et c’est énorme pour lui qui se sent si bouleversé !

Aurélie : Pour moi le choix de l’âge de Simon permet d’évoquer implicitement le passage dans un âge de transformation : l’apprentissage du deuil et la disparition de Simone qui a été sa nounou, la découverte de l’amour et du visage différent des gens qui l’entourent et la découverte de la bêtise des adultes avec ses nouvelles interrogations avec son ami Sofiane. J’ai ressenti le personnage de Juliette comme un guide ou plutôt un passeur entre ce monde de naïveté et le monde beaucoup moins rose des adultes.

Isabelle :  C’est vrai qu’elle a une manière singulière de lui expliquer les drames personnels de Simone et historiques liés à la guerre d’Algérie, avec des mots simples et forts qui parleront aux jeunes lecteurs. Je vois un peu de ce que vous dites toutes les deux. Les traces de la Juliette enfant, que renferme la théière, la rapprochent de Simon. Par ailleurs, elle est très bienveillante, ouverte et à l’écoute de Simon qui en a bien besoin.

Hastag Céline : Pour moi, la nièce de Simone est plutôt là comme un soutien. Elle permet à Simon d’aller au bout de ses recherches. Elle accepte de parler de la vieille femme, chose que lui refusent tous les autres adultes autour de lui, de peur qu’il souffre. Elle lui permet de faire vivre le souvenir de Simone. Et avec sa bonne humeur et son dynamisme, elle l’aide un peu à passer cette épreuve. C’est un personnage dont l’arrivée dans le récit m’a fait du bien. Comme soulagée… Sentant que Simon serait enfin moins seul face à tout ça.

Bouma : Je ne m’attendais pas du tout à l’évocation de cette période historique souvent méconnue, et je ne doute pas que cela amènera les enfants à vouloir en savoir plus. Concernant le rôle de la nièce de Simone, elle fait, pour moi, écho à l’enfant qu’est Simon. Ils ont partagé sans le savoir les mêmes rituels et les mêmes souvenirs de Simone, ce qui les rapproche intrinsèquement.

Souhaitez-vous évoquer d’autres thématiques du roman ? 

Pépita : oui, le souvenir. Dans toutes ses dimensions : celui qu’on a des moments passés avec une personne qu’on aime, celui qu’une personne laisse après sa disparition. Je trouve que c’est un thème fort du roman pour un jeune garçon de 10 ans qui a peu d’années de vie, encore, même s’il a passé les deux chiffres. Et aussi le secret : jusqu’où se permettre de lever le voile sur le secret d’une personne disparue ? Je me suis posée cette question tout du long… En même temps peut-être que Simone voulait-elle qu’on le découvre en le glissant dans cette théière ? Mais peut-être n’y a -t-elle pas pensé… Ce petit mot glissé est pour elle une façon de se souvenir… comme une bouteille à la mer. J’ai aussi été très sensible à l’évocation des odeurs : chez Simone, chez sa vieille amie à qui Simon va rendre visite…

Aurélie : Oui, c’est vrai que ces trois thèmes sont bien présents. Pour le secret, je pense que Simone malgré sa tentative (puisqu’elle a emporté ses lettres dans son cercueil) n’a pas réussi à garder son secret intact. Simon a succombé à son désir de curiosité alors qu’au départ, en prenant la théière, il voulait simplement cacher les siens !
Pour les odeurs, ça m’a beaucoup marqué au début de récit avec aussi le fait qu’il demande à répétition le déroulé de la scène de la découverte de la gardienne.

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Les avis de Pépita, Céline Hashtag, Isabelle et Aurélie

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A lire les entretiens de l’auteure sur le blog de Nouvelles de polynies