La cuisine qui nous anime !

Pour être tout à fait honnête, ici écrivent neufs blogueuses gourmandes de mets sucrés et salés ! Dans nos gigantesques bibliothèques certains titres nous apportent réconfort mais pas autant qu’un gâteau à la crème ou une bonne crêpe bretonne ! Voici quelques titres qui vous donneront sûrement envie de vous ruer dans vos cuisines et de satisfaire votre palais exigeant…

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Il suffit d’une nuit un peu agitée pour se retrouver bien malgré soi dans le pétrin d’une cuisine tenue par trois compères bien en chair. Ce grand classique de la littérature de jeunesse, réédité moultes fois, nous plonge au milieu de tours new-yorkaise aux publicités vantant des ingrédients de tout genre. Et pour sortir de ce pétrin, Mickey n’a pas d’autre choix que de sculpter un engin volant à la pâte briochée. Quelle aventure n’est-ce pas ? Et gare à la chute… elle est croustillante !

Cuisine de nuit de Maurice Sendak, Ecole des loisirs, 1972

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A partir d’un an, 10 chansons au répertoire original ou traditionnel vont se succéder pour une durée d’environ 14 minutes. A la fois rythmée et bien orchestrée, chaque comptine donne envie de battre le fouet énergiquement dans une bonne confection de pâte à gâteau. Les petites oreilles vont adorer !

Comptines pour petits marmitons, illustré par Cécile Hudrisier, Didier jeunesse, collection : éveil musical, 2017

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Dans cette famille, tout le monde aime cuisiner ou contribuer à la confection de délicieuses recettes. Lorsque la nostalgie envahit Loïc Clément et Anne Montel, c’est pour mieux nous partager leurs souvenirs de gourmandises. Ah nostalgie quand tu nous tiens, merci de ne plus nous lâcher. Comme il serait plaisant de déguster tous ces jolis plats dans ces restaurants imaginaires au moins une toute petite fois…

Les restaurants imaginaires, 25 recettes à réaliser en famille de Loïc Clément et Anne Montel, illustrations – Little Urban, 2022

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Candy adore sa grand-mère, et les pâtisseries que celle-ci lui concocte. Miam ! Mais sa grand-mère n’est pas une cuisinière ordinaire… Un jour, celle-ci lui dévoile son secret : ses gâteaux possèdent des propriétés magiques ! Et si Candy avait hérité de se dons de pâtissienne ?

Gourmandise et gags à gogo pour cette série de courts romans jeunesse qui met en scène une grand-mère un peu magicienne et sa petite-fille. Une histoire dynamique, de illustrations colorées et gourmandes, une belle complicité grand-mère/petite-fille, on en redemande !

Aux douceurs enchantées, tome 1 : Les sablés de métamorphose, d’Aurélie Gerlach, illustré par Maud Begon. Gallimard Jeunesse. Septembre 2022

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Quel ingrédient magique et secret rend si merveilleuse la soupe de Monsieur Lepron ? Le monde entier en raffole ! Bientôt, grisé par le succès, le cuisinier amateur ouvre une gigantesque usine, d’où il contrôle et dirige la production destinée à être exportée aux 4 coins du globe. Mais l’angoisse et les cauchemars sont récurrents ! Alors un jour, il rend son tablier, ferme l’usine et retrouve sa vie paisible. La langue est drôle et poétique. Clins d’œil et apartés ajoutent une touche complice au récit, pour notre plus grand plaisir. L’histoire vient nous rappeler en douceur ce qui compte vraiment : adieu gloire, richesse… pression ! Vive les bonheurs en famille, la douceur de vivre, la simplicité, le partage ! Les illustrations toute douces, un peu vintage, chaleureuses et tendres, accompagnent magnifiquement le propos, impossible de résister à La soupe Lepron !

La soupe Lepron, de Giovanna Zoboli, illustré par Mariachiara DiGiorgio, Les fourmis rouges, 2022

L’avis de Séverine ICI.

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Dannbi est coréenne et elle vit en France avec sa famille. Elle adore l’école, mais depuis que Lucas, un de ses camarades de classe s’est moqué d’elle et de ses traditions culinaires, elle est triste. Sa maman a alors une idée qui pourrait tout arranger. Et si la cuisine devenait l’instrument de la réconciliation ? Avec Dannbi- La recette magique- the Magic recipe, Yeong-hee Lim, Claudine Morel et les Éditions Bluedot proposent une recette trois étoiles pour un album jeunesse : un beau message de tolérance et d’ouverture aux différentes cultures, des illustrations malicieuses et expressives, des émotions d’enfant, à hauteur d’enfant. Le caractère bilingue et la version audio de l’album, disponible sur le site internet de l’éditeur, ajoutent la touche finale à ce cocktail pimenté savoureux.

Dannbi La recette magique-the Magic recipe, de Yeong-hee Lim, illustré par Claudine Morel, Éditions Bluedot, 2021

L’avis de Séverine LA.

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Dans Le tour du monde en 24 marchés, Maria Bakhareva vous propose de découvrir deux marchés par pays, tous très différents. C’est l’occasion de découvrir les aliments les plus courants, mais aussi un petit lexique, une recette typique et d’avoir une idée du niveau de vie dans le pays grâce à l’encadré qui explique ce que l’on peut acheter avec le plus petit billet. Les dabo kolos éthiopiens, les pâtisseries du marché Levinsky de Tel Aviv, les variétés de cookies du marché d’Oxford, les crêpes de riz farcies à la noix de coco qui se dégustent au marché flottant d’Amphawa en Thaïlande ou les poissons fumés d’Astrkhan, en Russie donnent l’eau à la bouche. De quoi provoquer l’envie de bourlinguer, de cuisiner et surtout d’aller au marché !

Récompensé par Prix Sorcières Non-fiction en 2023, cet album russe mêle mivre de recettes, guide de voyage, documentaire et cherche-et trouve.

Le tour du monde en 24 marchés, Maria Bakhareva, illustrations Anna Desnitskaya, traduction Margaux Rochefort, La Partie, 2022

L’avis de Lucie ICI et celui d’Isabelle LA.

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Un an à Fleurville, voilà un drôle d’album, mêlant brèves de quartier, recettes et astuces de jardinage, le tout rehaussé d’illustration colorées. Chaque page est consacrée à un mois de l’année (en commençant par avril, premier mois complet du printemps) et à un légume phare de la saison. Asperge, petit pois, poivron, betterave, haricot… Chacun a droit à sa recette, et toutes donnent envie de se mettre aux fourneaux. Les plantations sont aussi l’occasion d’échanges et de partage en famille ou entre voisins. Et l’album se termine sur des conseils et trois imagiers : les semences, les outils et les fruits et légumes au fil des saisons. Un shoot de nature qui fera rêver les citadins en mal de jardin, et leur donnera envie de se lancer ?

Un an à Fleurville, recettes de nos balcons, toits et jardins, Felicita Sala, traduction de Géraldine Chognard, Cambourakis, 2021.

L’avis de Lucie ICI.

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Si les titres précédents donnaient envie de tester quelques recettes, nous déconseillons de tenter celle du gâteau de Monsieur Anatole. Il est plein de bonne volonté, prêt à tout pour éblouir Mademoiselle Blanche. Mais ses commis ont des goûts… spéciaux. L’humour et la créativité de Christian Voltz tourne à plein et les petits lecteurs en redemandent. Parce que même quand le résultat est raté, l’essentiel est d’avoir essayé et passé un bon moment en cuisine !

Un gâteau au goûter, Christian Voltz, L’école des loisirs, 2019.

L’avis de Lucie ICI.

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Un petit album délicieux pour apprendre à faire des gyôza en compagnie d’un petit garçon malicieux et de sa grande soeur : les voilà dans la cuisine, armé.e.s de leur tablier à carreaux bleus pour pétrir, malaxer, modeler la pâte à raviolis du mercredi midi ! A la fin de l’album, on retrouve la recette précise des gyôzas qu’on ne manquera pas d’essayer pour offrir à toute la famille un repas japonais.

Mercredi, c’est raviolis ! Setsuko Hasegawa, Makito Tachibana, Ecole des loisirs, 2008.

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Récit d’apprentissage dans lequel Ulysse, dix-sept ans, cherche à tracer son propre chemin malgré la pression paternelle pour reprendre l’entreprise familiale. Alors qu’il découvre la cuisine et le monde des concours, sa famille affronte la justice pour suspicion de collaboration avec les allemands.
De magnifiques illustrations qui mettent en valeur la Bourgogne et sa cuisine de terroir dont les amateurs prendront plaisir à trouver quelques idées recettes en fin d’ouvrage !

Avertissements aux végétariens, végans et autres amoureux des animaux vivants : ici on chasse, on prépare la viande qui est servie à toutes les sauces…

Ulysse & Cyrano de Stéphane Servain, Antoine Cristau & Xavier Dorison, Casterman, 2024.

L’avis de Linda est ICI.

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Avec Jean, petit marmiton, c’est tout une chouette série de courts romans qui cultive notre gourmandise ! Chaque tome nous présente une aventure du quotidien d’un jeune marmiton, au dix-septième siècle. Facile à lire, cette nous plonge dans l’ambiance de l’époque, avec toute la passion que Jean ressent pour la préparation des repas. Les illustrations rondes et colorées d’Ariane Delrieu en font une lecture gourmande, et la recette présente en fin d’ouvrage est à la fois simple et délicieuse. Miam !

Jean, petit marmiton : le concours de la reine, d’Annie Jay, illustré par Ariane Delrieu. Albin Michel jeunesse. 2017.

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Un album gourmand et kawaii qui vous plonge dans un univers chinois craquant, cela vous tente ? Lisez Petit Bonheur, cet album ravissant de Yue Zhang, qui nous narre les aventures d’un petit bonheur bien triste : il a manqué la fée de la Lune… Mais les effluves d’un bon restaurant et la rencontre avec un adorable petit renard vont tout changer !

Petit Bonheur, de Yue Zhang, l’école des loisirs, Janvier 2024.

L’avis d’Helolitla ICI et celui de Lucie .

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Un bon chocolat chaud, rien de tel pour se réconforter, non ? C’est en tout cas l’addiction d’un ours très gourmand, qui ne peut s’en passer. Que faire quand la boute de chocolat est vide ?

Tendresse et partage autour d’une bonne boisson chaude, qui fait du bien au moral et réchauffe les cœurs. Voilà le programme de ce superbe album qui magnifie l’amitié et le plaisir d’être ensemble.

L’ours très très câlin, de Jee-Hyon Park, L’élan vert. Janvier 2020

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Si le cœur vous en dit, une sélection thématique autour de soupes hautes en couleur vous attend dans les anciens articles du blog ! C’est par !

Et vous, quelles lectures vous donnent envie de vous mettre aux fourneaux en famille ?!

Notre autrice essentielle : Clémentine Beauvais

On ne présente plus Clémentine Beauvais ? Ben si faisons-le à la sauce A l’Ombre du Grand Arbre ! Grande prêtresse de la littérature de jeunesse, sa cible favorite est bien évidement les plus jeunes mais aussi les adolescents. En plus de sa casquette d’autrice, Clémentine s’amuse à écrire et donne des conférences sur l’écriture, plutôt chouette comme job non ? Attendez ce n’est pas tout, elle défend superbement bien le fait de livrer ses émotions de lectrices et lecteurs. D’ailleurs, retrouvez notre lecture commune de Comment jouir de la lecture pour prolonger le plaisir que vous aurez à la lecture de ce billet. Elle est belle la lecture, n’est-ce pas ?

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Le choix de Liraloin

La Plume de Marie de Clémentine Beauvais – couverture illustrée par Anaïs Bernabé, Talents Hauts, 2011

Lettre à Marie, 1653

« Chère Marie, j’ose espérer que cette missive vous parviendra… je suis admirative de vos écrits depuis que j’ai découvert vos pièces de théâtre par le plus grand des hasards, ma mère m’a souvent parlé de votre voix et de votre plume. Laissez-moi vous conter comment votre âme résonne dans les murs de ce château que vous avez jadis connu.  Mademoiselle Margot et Mademoiselle Sophie n’ont jamais cessé de chanter vos louanges et vos mérites depuis votre départ. Malheureusement, elles ont toutes deux épousés des hommes dénués d’esprits. Très liées, elles n’ont jamais cessé de se voir pour évoquer vos admirables écrits, incitant leurs propres enfants à écrire et jouer à leur tour la comédie. Vous avez ouvert une page d’un livre qu’il ne faudrait jamais fermer, une page écrite en alexandrins invoquant l’espoir de réussir lorsque l’on naît femme et fille du peuple. »

Eleanor Fergusson

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Le choix de Lucie

Va jouer avec le petit garçon !, Clémentine Beauvais, illustrations de Maisie Paradise Shearring, Sarbacane, 2016.

(air connu)
Ah te dirai-je maman
Ce qui cause mon tourment ?
Dès que nous allons au square
Recommence le même cauchemar
Tu t’installes sur un banc
Et cherches des yeux un enfant.

« Va jouer avec celui-ci »
Et si je n’ai pas envie ?
Je connais bien les dangers,
Le risque de me faire croquer.
Va lire à l’ombre du tilleul
Laisse-moi jouer tout seul !

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Le choix de Colette

Pour le droit de vote dès la naissance de Clémentine Beauvais, Gallimard – Tracts, 2024.

J’ai 14 ans, et aujourd’hui je vais participer à un référendum sur l’adhésion de mon pays à une organisation internationale en charge d’organiser la solidarité entre les générations pour lutter contre les effets du changement climatique. J’ai 14 ans, et depuis que je suis née mes parents me lisent les histoires des hommes et des femmes qui ont permis aux sociétés d’élaborer des textes collectifs pour protéger les droits des êtres vivants. J’ai 14 ans et je suis une citoyenne à part entière, je participe à la vie collective de mon pays et je connais son histoire. J’ai 14 ans et je suis fière de pouvoir défendre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité de mon pays de naissance à chaque consultation citoyenne. J’ai 14 ans, et j’ai voté toute mon enfance aux élections présidentielles, aux législatives, aux européennes, aux municipales. J’ai 14 ans et ma voix compte. C’est comme ça que j’ai grandi. J’ai grandi avec une voix qui compte dans un pays où chaque femme et chaque homme politique se soucie de rendre accessible chaque proposition de loi aux enfants. On se retrouve en assemblée générale parents-enfants un soir par mois dans les jardins et les médiathèques de nos écoles, les élu.e.s viennent à notre rencontre et on discute ensemble leurs propositions politiques. J’ai 14 ans et j’existe de mille manières mais celle que je préfère c’est celle qui m’unit à des millions d’autres à chaque fois que je me rends aux urnes. J’ai 14 ans et j’ai le droit de vote depuis la naissance.

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Le choix de Séverine

Les Petites reines de Clémentine Beauvais, Gallimard jeunesse – Pôle Fiction, 2019

Le périple de ces 3 filles
Ensemble dans l’adversité ?
Super roman, les yeux qui brillent !

Physique ingrat, puberté au taquet,
Elles subissent l’intolérance, le mépris.
Trio improbable, cible de quolibets
Il n’en fallait pas plus pour les challenger,
Toutes trois désignées boudins de l’année.
Elles décident de partir pour Paris
S’inviter à l’Elysée, le 14 juillet.

Rien ne les arrêtera, pas d’obstacle fatal
Elles en ont sous la pédale !
Incroyable, à l’arrivée, elles auront gagné
Ni gloire, ni beauté, futilités de pacotille !
En revanche, un trésor précieux pour les filles, capital :
SORORITÉ.

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Le choix d’Heloïse – ileautresor

Écrire comme une abeille, Clémentine Beauvais, Gallimard jeunesse, 2023.

Ecrit avec un esprit vif, léger et pertinent,
Ce guide de lecture et d’écriture
Rend accessible la littérature jeunesse :
Intéressant, il tient des propos intelligents et amusants ;
Répond à de multiples questions (comme : est-ce un genre littéraire ?)
Enlevé, plein d’humour, il explique l’intérêt des procédés littéraires.

C’est un livre pertinent : il éclaire toute belle
Oeuvre… qui sera désormais lue autrement.
Mais l’analyse d’albums, de romans, de nouvelles
Magiquement devient un jeu plaisant… sous la plume de l’auteure…
Ecrit avec répartie, ce guide est vraiment passionnant !

Un livre agréable à lire, comme un roman…
Notamment grâce à ses explications sur la façon de construire un récit
Elle fait naître le plaisir de lire en se glissant dans sa peau d’écrivaine …

Avec ses anecdotes sur ses débuts dans l’écriture… de fait Clémentine
Beauvais est une auteure virtuose en la matière de techniques littéraires.
Elle use de procédés pour rendre les personnages vivants, rythmer un récit.
Ironiquement, elle nous fait rire, et nous instruit avec plaisir
Là, elle nous convie à la découvrir avec légèreté, originalité et créativité
Le livre est désormais vu dans toute sa complexité.
Ecrire comme une abeille… Ce guide est une petite merveille !

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Et vous, quel est votre ouvrage préféré de cette auteure essentielle ?

Nos classiques préférés : Thierry Dedieu

Faut-il encore présenter Thierry Dedieu, un auteur-illustrateur lu dans toutes les écoles, les bibliothèques ? Très prolifique, Dedieu explore des univers tous très différents étant aussi à l’aise à l’écrit qu’au dessin. Découvrez nos raisons de vous ruer sur ses albums !

Thierry Dedieu, source : Wikipedia.

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Pour Linda, la Grande Guerre est un thème majeur qui mérite sa place dans la littérature de tout âge. 14-18 – Une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux est un petit chef d’œuvre pour au moins ces 10 raisons…

14-18 – Une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux de Thierry Dedieu, Seuil jeunesse, 2014.
  1. Pour l’hommage poignant aux Poilus, victimes, héros, tombés au combat, survivants de la Grande Guerre,
  2. Pour la brièveté du texte en introduction qui exprime l’indicible : « Chère Adèle, il n’y a plus de mots pour décrire ce que je vis. Gustave« ,
  3. Pour le réalisme saisissant des illustrations, tons sépia, qui suffisent à dire, à montrer,
  4. Pour le message entièrement dessiné qui dénonce la guerre et ses atrocités,
  5. Pour la solitude et la peur que l’on ressent en feuilletant ces pages,
  6. Pour ce que sous-entend de douleurs sourdes et d’horreur chaque illustration,
  7. Pour l’originalité et la qualité de cet album presque sans texte,
  8. Pour la lettre d’Adèle, placée dans son enveloppe en fin d’ouvrage, à déplier et à lire,
  9. Pour ce qu’elle laisse entendre des craintes de ceux et celles qui sont resté.es derrière,
  10. Pour le Devoir de Mémoire, et que jamais plus…

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Pour Liraloin, il n’a pas été si évident que ça de choisir un album de cet immense auteur-illustrateur tant son graphisme et ses sujets sont variés. Toujours avide de découverte, son choix s’est porté sur un album où la contemplation est au cœur de l’histoire au moins pour 10 raisons.

Le maître des estampes de Thierry Dedieu, Seuil jeunesse, 2010
  1. Pour le titre qui engage la/le lectrice/lecteur dans une aventure où la création de l’image sera au cœur de l’album.
  2. Pour ce tampon, signe de l’estampillage appartenant à un grand nom du dessin.
  3. Pour les accessoires qui caractérisent le maître des estampes : l’encre, les pinceaux et le papier que l’on découvrira plus tard, formidable terrain d’esquisses !
  4. Pour le décor épuré qui sert l’esprit du peintre, cette contemplation du vide et de la nature nourrissant sa créativité.
  5. … justement pour cet agacement et cette colère qui caractérisent si bien le riche mandarin, impatient et hautain.
  6. Pour les couleurs choisies par Dedieu qui invitent la lectrice/le lecteur à se concentrer sur la gestuelle du personnage du maître des estampes.
  7. … pour ce geste contrôlé qui à l’inverse met hors de contrôle le mandarin.
  8. Pour cette première de couverture qui invite la future lectrice/le futur lecteur à un moment de respiration.
  9. Pour ce carnet d’études, délicieux moment d’intimité dans les recherches d’une œuvre.
  10. Pour cette phrase : « Des deux vies du papillon, ce n’est pas celle de la chenille que l’on retient, mais celle du papillon. »

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Lucie s’est aperçue qu’elle ne connaissait pas si bien l’œuvre de Thierry Dedieu en dehors de ses grands classiques et a découvert de nombreux titres géniaux en préparant cet article. Son préféré jusque-là : Va-t’en guerre. Voici pourquoi.

Va-t’en guerre, Thierry Dedieu, Seuil jeunesse, 2012.
  1. Pour ce titre accrocheur et sa définition dès la première page, « Va-t’en-guerre : personne qui pousse à la guerre, qui recherche le combat, l’affrontement« .
  2. Pour ce noir et blanc aussi franc et tranchant que le personnage principal.
  3. Pour ces illustrations de vie quotidienne dans lesquelles le roi s’imagine dans des situations très différentes de celles qu’il vit.
  4. Pour l’inventivité dont celui-ci fait preuve dans sa recherche d’adversaire et sa création d’armes.
  5. Pour l’épitaphe pleine de bon sens : « il l’a voulue, il l’a eue« .
  6. Parce que cette envie de guerre fait immanquablement penser à un enfant qui tire par la manche en demandant « tu joues avec moi ?« 
  7. Et que les jeunes lecteurs rient de l’acharnement du roi.
  8. Parce qu’avec le talent qu’on lui connaît, Thierry Dedieu parvient à amuser petits et grands avec un personnage aussi bête que cruel.
  9. En dépit du fait que l’attitude de ce roi glace les parents par sa résonance avec l’actualité.
  10. Et pour la chute, dont l’absurde est dans la parfaite lignée de l’album.

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Quoi de mieux pour une collectionneuse de papillons que les conseils d’un expert des sciences naturelles pour regarder la nature autrement ? Quand Thierry Dedieu se fait le porte parole de Tatsu Nagata, on chausse loupe et jumelles pour se lancer à l’assaut du monde des petites bêtes et des grosses bêtes. Et n’importe quel scientifique en herbe se laisse prendre au jeu. Voici pourquoi.

  1. Parce que ce sont des documentaires particulièrement accessibles aux tout-petits sans les sous-estimer, et ici on aime tellement les livres qui ont de l’ambition pour les enfants.
  2. Parce qu’à chaque page, l’enfant accède à une connaissance précise, souvent étonnante.
  3. Parce que : « Le ver de terre se déplace en rampant. Il possède des poils en soie qui lui permettent de s’agripper pour avancer. »
  4. Parce que les illustrations qui accompagnent chaque donnée scientifique ont quelque chose de très direct, de coloré, de vivant… et d’infiniment marrant !
  5. Parce que la première page de l’album est toujours un petit condensé d’humour à hauteur d’enfant.
  6. Parce qu’on y a vraiment cru, pendant plusieurs années, à l’existence de Tatsu Nagata, chercheur, expert mondial des mutations des batraciens, vivant au Japon sur la petite île de Yaku. Et c’est en cherchant un jour sur Internet de plus amples informations sur notre gentil professeur à la blouse bleue que nous avons appris que c’était Thierry Dedieu qui se cachait derrière ce visage jovial et tout rond.
  7. Parce que ces livres font partie de ceux que nous avons empruntés mille fois à la médiathèque avant de se les offrir pour pouvoir les lire, les relire à notre guise. Et peut-être un jour les transmettre aux enfants de nos enfants.
  8. Parce que « Le ver de terre est aussi appelé lombric. Il n’a ni bras, ni pattes, ni yeux, ni os, ni poumons. »
  9. Parce que ces albums, sans en avoir l’air, sont une ode au vivant, aux écosystèmes, à ce monde incroyable auquel nous appartenons et qu’il est tellement important d’apprendre à mieux connaître.
  10. Et je finirai cette humble liste avec une citation de Tatsu Nagata lui-même : « Il suffit de retourner la terre pour observer le ver de terre. »

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Pour Séverine non plus, il n’a pas été évident de choisir parmi tous les albums ou romans signés Dedieu, au texte et/ou aux illustrations. Après avoir hésité entre Le baron bleu et Un royaume sans oiseaux, elle a finalement choisi…Le cheval qui galopait sous la terre. Pourquoi ?

Le cheval qui galopait sous la terre, de Thierry Dedieu, Eiditons Thierry Magnier, collection Petite poche, 2017
  1. Parce que les albums précités ont un auteur (et quel auteur, Gilles Baum !) dont il n’est pas (encore ?) question sous le grand arbre et qu’elle aurait peut-être eu plus à dire sur le texte que sur les illustrations de Dedieu, fort réussies au demeurant.
  2. Parce que le thème de la guerre (et surtout de la paix à souhaiter plus fort que tout) est déjà traité par les albums choisis par Linda et Lucie
  3. Parce que l’amitié entre un cheval et un humain lui a (déjà) permis de vivre des moments de lectures inoubliables, ce roman lui a donné envie de relire Crin-blanc, Cheval de guerre, Mon cheval s’appelle orage/mon frère est un cheval, Pony, Mon petit cheval Mahabat, etc. et qu’il fait désormais partie des incontournables, devenus des…classiques !
  4. Parce qu’il traite de la mine, celle des «gueules noires», des «toucheurs», des «galibots», des «hercheurs», et qu’en stéphanoise pure souche (ou presque !), petite-fille de mineur, elle ne pouvait qu’être touchée par ce récit, qu’elle a évidemment proposé à sa fille de 9 ans, curieuse de ce patrimoine qu’elle commence à peine à découvrir.
  5. Parce qu’il aborde des thématiques pour, en lecture accompagnée, ouvrir le dialogue entre passé et présent, histoire et sociologie, philosophie et pragmatisme : droits acquis, travail des enfants, congés payés, déterminisme social, bien-être animal…autant de sujets dont les enfants, dès 8-9 ans, peuvent s’emparer pour dire et réfléchir.
  6. Parce qu’il s’agit d’un roman sans images court, dense, intelligent, sensible, comme la plupart de la collection Petite poche des éditions Thierry Magnier, dont elle raffole.
  7. Parce qu’elle voudrait mettre en valeur le grand talent de Dedieu auteur, dont elle avait déjà eu la preuve avec un précédent ouvrage, de la même collection (L’homme qui perd le feu et le retrouve), et quelques-uns de ses albums.
  8. Parce que le contraste entre la sensation d’oppression du fond de la mine, qui saisit le/la lecteur.ice, et la poésie vibrante des journées de liberté dans le parfum et les couleurs de la nature sont remarquablement bien écrits.
  9. Parce que le titre à lui seul convoque cette dualité : « Grand-Gris, c’est le cheval qui galope sous la terre ! Et le noir n’y peut rien. »
  10. Parce que la fin est lumineuse et pleine d’espoir, elle met en marche l’imagination, elle est tout simplement belle.

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Et vous, connaissiez-vous ces titres ? Quelle est votre œuvre préférée de ce grand auteur-illustrateur ?

Lecture commune : Charbon bleu d’Anne Loyer

Chaque année vos arbonautes préférées s’engagent avec beaucoup de joie et d’empressement à lire les romans en lice pour le Prix Vendredi. Lucie et Liraloin ont profité de cette sélection 2024 pour lire Charbon bleu et en faire une lecture commune pour votre plus grand plaisir. Un roman justement récompensé par un jury de sept jeunes adultes âgés de 15 à 19 ans pour le Prix Vendredi.

Charbon bleu, Anne Loyer, illustrations de Gérard DuBois, éditions D’Eux, 2023.

Liraloin : Est-ce que tu connaissais Anne Loyer avant de te lancer dans cette lecture ? 

Lucie : En regardant sa bibliographie je me rends compte qu’elle a écrit 105 livres ! J’ai lu Bamba, et certaines des aventures de Kimamila parce que c’est la méthode de lecture que j’utilise avec mes CP. Donc j’ai beaucoup aimé Charbon bleu mais on ne peut pas dire que ce soit une auteure dont je suis le travail. Je vais être nettement plus attentive dorénavant !

Liraloin : De mon côté, je connais bien cette autrice notamment à travers des albums publiés chez A pas de loup : Christine de Pizan, Calamity Jane. J’ai également lu son roman adulte La petite coriace que j’ai bien apprécié. Anne Loyer est très prolifique et autant à l’aise dans l’écriture des romans que des albums.

Liraloin : Même question pour l’illustrateur Gérard DuBois ? Nous reviendrons plus tard sur la pertinence de ses dessins.

Lucie : J’ai un peu honte de l’avouer : non, je ne connaissais pas du tout de Gérard DuBois mais j’aime beaucoup. Je me suis un peu renseignée sur ce qu’il a fait depuis, et je trouve notamment son travail sur Moby Dick magnifique ! 

Liraloin : C’est au SLPJ que j’ai découvert cet illustrateur, il y avait une exposition de ses illustrations et je trouve son procédé très intéressant. Je l’ai découvert tardivement et c’est seulement l’année dernière que j’ai réalisé que je le connaissais à travers une illustration tirée de son livre Enfantillages. Et puis, j’ai lu la chronique de Linda sur l’album On aurait dit qui m’a donné envie de le découvrir.

Liraloin : Parlons de la couverture : qu’en as-tu pensé ? Est-ce que cette illustration te touche ? 

Lucie : Oui, je dois avouer que c’est ce qui m’a attirée vers ce roman. Ce noir et blanc un peu brut, et le regard de cette jeune fille qui se détache d’une foule. C’est très puissant je dois dire, et tout à fait en accord avec le texte. Uniquement sur la base de la couverture, c’est vers ce titre de la sélection du Prix Vendredi que je serais allée le plus spontanément.

Liraloin : Contrairement à toi je n’ai pas été attirée de suite par cette couverture surtout que nous sommes plutôt – et depuis un moment – sur des couvertures de romans pour ados un peu “clinquantes”. Le sujet m’a intéressé sans doute car j’ai vécu à Lille… et comme j’aime Anne Loyer, hop je l’ai emprunté. L’illustration est très forte et il y a quelque chose de magnétique dans ce visage féminin. On est obligé de s’attarder sur ce regard je trouve.

Liraloin : Entrons dans le vif du sujet. Le livre commence avec ce texte en préambule, écrit en italique : « Elle ferme les yeux, c’est l’appel du néant. Son corps, pris en tenaille par des milliers de mains – celles de ceux qui l’ont précédée, celles de ceux qui lui succéderont – s’enfonce sans fin, aspiré par les entrailles avides de la terre. Il est englouti par une force supérieure qui ne lui laisse aucune chance. Une chute invincible qui l’entraîne, poids mort avant l’heure, direction l’abîme. »
Que t’évoque ce texte ? 

Lucie : Ce préambule donne immédiatement le ton. Il est question de déterminisme, de tradition pesante, de quelque chose de très organique aussi il me semble et de dramatique. On sent tout de suite que le texte ne va pas enjoliver la réalité du destin de ces mineurs, et c’est précisément ce pourquoi j’ai eu envie de le lire. Mais je me dis en le relisant que c’est “gonflé” de la part de l’auteure car cela peut aussi rebuter certains jeunes lecteurs.
Qu’en as-tu pensé, toi ?

Liraloin : En relisant ce préambule je trouve qu’il est complètement raccord avec l’illustration de première de couverture. On sent ce moment compliqué de se rendre dans cet ascenseur qui “aspire vers les entrailles avides de la terre”. Comme toi, et ton terme est bien trouvé, il y a quelque chose d’organique, cette terre broie les mineurs, les rend malades et les tue. Après j’ai été très étonnée que ce roman remporte le Prix Vendredi des jeunes lecteurs, je m’y attendais pas du tout car tout comme toi je ne pensais pas que ce sujet plairait autant aux jeunes. Comme quoi….

Lucie : C’est une très bonne surprise cependant, et c’est très positif que des jeunes lecteurs acceptent de découvrir un milieu et une époque qui est éloignée d’eux. Qu’ils adhèrent à un texte qui fait la part belle à la poésie et à un certain lyrisme.

Liraloin : Oui effectivement il y a une poésie que l’on retrouve dans cette écriture. D’ailleurs on en parlait avec une collègue, et finalement on en a conclu que ce sont les auteurs-autrices qui écrivent sur des sujets sociétaux très actuels qui emportent pas mal de prix et des mises en avant… D’ailleurs, petite parenthèse, La Chasse a reçu le Prix Cendres en plus du Prix Vendredi.

La Chasse, Maureen Desmailles, Thierry Magnier, 2023.

Liraloin : L’histoire débute avec la perte du père de cette famille. Outre le chagrin de Gervaise, sa femme enceinte, cette mort impose à Ermine une analyse de la situation très lucide. Est-ce que tu te rappelles de la dureté de cette ouverture ?

Lucie : Je me souviens en effet avoir été saisie par le désespoir d’Ermine. Elle a cru pouvoir échapper à son destin de mineur car son instituteur, convaincu par ses capacités, avait insisté auprès de ses parents pour qu’elle poursuive ses études. Mais voilà qu’un double drame la cueille : le décès de son père signifie aussi qu’elle va devoir travailler pour aider sa mère car il n’y a plus que le salaire de son frère pour nourrir la famille. Au passage : que la maman s’appelle Gervaise est un joli clin d’œil à Zola !

Germinal, Emile Zola, Pocket, 2018 pour cette édition.

Liraloin : Oui, merci Anne Loyer pour ce joli clin d’œil à Germinal. Ce passage est vraiment terrible et très noir. Le chagrin accable toute cette famille et on sait que peu d’espoir est envisageable. Je trouve que ce n’est pas évident en tant que lectrice de se dire qu’à un moment la “lumière” viendra !
Il y a ce paragraphe qui m’a marqué. Ermine doit aller travailler pour la survie du foyer et voici le regard de Gervaise sur sa fille :

« Gervaise lève péniblement les yeux vers sa fille. Elle voudrait lui dire un mot gentil, un encouragement quelconque. Mais rien ne sort. Elle a honte. Honte de lui avoir promis la lune, honte de lui avoir fait entrevoir l’impossible, honte de lui avoir fait miroiter un autre destin. Ernest et elle l’ont trompée. L’ont même trahie. Ils ne cherchaient qu’à la protéger et ils n’ont rien fait que retarder l’échéance. Juste au moment où elle allait décrocher le certificat d’étude, ce sésame pour un autre futur, tout se brise… »

Comment analyses-tu ce paragraphe ? 

Lucie : En tant que lecteur, on se met très facilement à la place de Gervaise. Ou peut-être est-ce parce qu’on est mamans aussi ? Cette honte, même si elle n’y est pour rien, est parfaitement compréhensible. C’est un peu comme si elle avait trahi sa fille en lui laissant apercevoir un avenir différent de la mine. Avenir dont elle va finalement être privée à cause de la disparition de son père. Est-ce que la situation aurait été “moins pire” si Ermine était allée à la mine dès le début ? C’est vraiment une ouverture de roman très dure et très noire, tu le disais. Et c’est d’autant plus courageux de la part d’Anne Loyer d’oser y aller franchement et de proposer un texte sans concession à ses jeunes lecteurs.

Liraloin : Oui et d’ailleurs ta question rejoint celle-ci. J’ai trouvé que le destin d’Ermine était fragile dès le départ, pas franchement net concernant ses projets d’études comme si l’autrice voulait nous préparer à cette chute. Ta vision est juste car nous sommes bouleversées par la honte qui saisit Gervaise, cette culpabilité envahissante. C’est d’autant plus difficile à “digérer” car pour une fois, un membre de cette famille aurait connu autre chose que la mine. Pour moi il y a cette prise de conscience de cette mère complètement atterrée par la perte de son mari et ce destin qu’elle brise malgré elle. Le champ lexical de la lumière est pourtant présent et sera le fil conducteur tout le long du récit. Pour le moment la lumière est juste atténuée et forcément pas franche (lune, miroir…).

Lucie : Je me demandais justement : trouves-tu que le supplément d’instruction qu’a reçu Ermine apporte quelque chose au roman ? 

Liraloin : Oui énormément, cette instruction lui permet de supporter sa nouvelle vie à la mine en s’échappant dans ses rêveries. Elle est complètement à part et les autres lui font bien sentir sauf un personnage…
C’est justement là qu’apparaît Firmin. Est-ce que ce personnage t’as plu ? 

Lucie : Je ne vois pas comment on peut ne pas aimer Firmin. Il apporte tellement de lumière (on y revient, je n’avais pas conscience du champ lexical de la lumière mais maintenant que tu le dis ça me saute aux yeux) et de douceur dans ce monde noir, étouffant, sans espoir… Un phare dans la nuit ! J’adore son surnom de Firmament d’ailleurs, quelle trouvaille ! Je suis curieuse de savoir ce que tu as ressenti lors de la première rencontre entre le jeune homme et Ermine ?

Liraloin : Il est le rayon d’une lumière qui n’existe plus, son intelligence se caractérise par sa poésie, cela touche également Ermine qui est transporté ailleurs d’où l’illustration (p.53). J’aime beaucoup ce personnage, d’une grande sensibilité. Ermine le surnomme Firmament rien que pour elle et comme toi j’ai trouvé que ce surnom était une belle trouvaille. Il y a une alchimie qui se fait très vite et naturellement. 

Lucie : Je me disais que c’était peut être grâce à son « instruction » qu’Ermine était si rapidement touchée par cette rencontre. Car Firmin n’est pas vraiment le mineur typique. Leur lien se crée au niveau intellectuel : ils aiment les mots, les sonorités, cela les anime et les aide à supporter leur quotidien. Qu’en penses-tu ?

Liraloin : Tout à fait ! je suis d’accord avec toi en ajoutant que le lien que le jeune homme établit avec les animaux ajoute à son empathie. 
Mais le rêve n’est pas la vie. Même si Ermine parle de Firmin et de son caractère à sa mère, cela fait rêver également sa petite sœur de 4 ans, Martine. Que penses-tu de l’autre membre de cette fratrie, le frère aîné d’Ermine ? 

Lucie : Guy… Lui pour le coup c’est la caricature du mineur. Brutal, rugueux, il n’est pas très aimable. Heureusement qu’Anne Loyer prend le temps de nous expliquer le ressentiment qu’il a pour Ermine, et ainsi de le rendre plus humain. Parce qu’il aurait le profil idéal pour être le “méchant” de l’histoire. On comprend tout de même qu’il a été forcé de grandir très vite, d’assumer des responsabilités très jeune et qu’il s’est forgé une “carapace” pour s’en sortir. Mais il reste extrêmement désagréable.

Liraloin : Tout à fait, et ce n’est pas un exercice facile pour une autrice d’échapper à la caricature car Guy en a tous les aspects. Cette profonde tristesse qu’il a en lui se transforme en brutalité, il ne sait réagir autrement. Oui, tu as raison, il est imbuvable. 

Lucie : A propos de la famille d’Ermine,que penses-tu de son rôle dans l’évolution de ce personnage ? 

Liraloin : Dans cette famille, Martine la petite sœur apporte du bonheur et permet à Gervaise de garder le sourire, l’innocence de la petite est palpable. Cette joie enfantine permet à Ermine de sortir un peu la tête de son quotidien harassant. Elle aime le rire grelot de sa petite sœur. Pourtant c’est tout de même Guy qui est pour moi comme une ombre qui s’étend de plus en plus sur ces femmes, le patriarcat est présent et il n’est pas atténué. Le foyer et donc la famille n’est plus un refuge pour Ermine, les obligations ont noyé le reste. 

Lucie : Tu as raison, ce patriarcat est très net et correspond évidemment à l’époque puisque ce roman se passe au 19ème siècle. Quand le père meurt, Guy prend le pouvoir sur la famille. Pouvoir dont il se passerait bien à mon avis mais qu’il assume avec la dureté qui le caractérise.

Liraloin : Oui merci de le préciser. L’époque est importante. Il en veut à cette famille, la mort de son père retarde aussi sa vie et son avenir.

Lucie : Nous avons une fois de plus utilisé le champ lexical de la lumière avec cette ombre que Guy étend sur la famille. C’est le moment de parler des illustrations qui répondent parfaitement au contraste entre ombres et lumières qui irrigue le texte, non ?

Liraloin : Ce contraste est très puissant et les 12 illustrations sont bien choisies. Elles alternent entre le rêve et la réalité. Il y a des planches qui apportent cette note d’espoir et en même temps quelques pages après on redescend du terre avec un dessin qui accentue la dureté de la vie. C’est une belle idée que d’avoir choisi d’illustrer ce roman. 

Lucie : La technique utilisée est particulièrement pertinente je trouve. Ces aplats noir qui laissent filtrer le blanc… cela correspond tellement bien à l’histoire d’Ermine et Firmin !

Liraloin : Puis tout s’accélère lorsqu’on approche de la fin. D’après toi, pourquoi Anne Loyer a choisi de précipiter (dans le bon sens du terme), son histoire ? D’ailleurs qu’en as-tu pensé de cette chute ? 

Lucie : Cette fin. On la voit venir, elle est annoncée et pourtant qu’il est difficile de s’y résoudre ! Une nouvelle fois, je trouve Anne Loyer courageuse d’avoir assumé jusqu’au bout sa résolution de véracité. Au risque de décevoir les lecteurs fleur bleue, la réalité de la mine était difficile, exigeante, et nous l’avons bien dit l’auteure ne cache rien des douleurs physiques, ni de la fatigue ou de la peur de ses personnages lorsqu’ils sont sous terre. La fin est donc triste, mais logique. 

Liraloin : Je suis complétement raccord avec toi et je trouve également qu’Anne Loyer y ajoute de la poésie malgré tout. C’est cela que je trouve très fort chez elle, la dernière illustration y est pour beaucoup. Est-ce que la liberté n’est pas justement dans cette fin et cette tragédie? 

Lucie : Oui, tu as raison. Ce roman ne fait pas dans l’optimisme forcené mais Anne Loyer parvient malgré tout à insuffler de l’espoir quelque soit la situation – aidée par Gérard DuBois et notamment comme tu le disais de sa magnifique dernière illustration. C’est très fort. Et c’est peut-être aussi ce qui a plu aux jeunes lecteurs ? Cet espoir dans une situation qui semble désespérée cela peut faire écho à ce qu’ils ressentent face à l’actualité ?

Liraloin : Oui car après tout cette histoire parle de cette liberté d’aimer.
Pour terminer, à qui conseillerais-tu ce roman ?

Lucie : Et bien sans surprise, parce que c’est toujours le cas des bons romans, à plein de lecteurs très différents. Je suis persuadée qu’il plairait à mon fils de 13 ans, mais aussi à des copines et je suis presque certaine que ma mère va me demander de le lui prêter. Le panel de lecteurs est donc étendu : ceux qui aiment l’histoire, qui veulent en apprendre plus sur l’univers minier, qui ont envie de découvrir un texte poétique et nuancé, avec une jolie histoire d’amour entre deux âmes blessées… J’ai oublié quelqu’un ? 

Liraloin : Ahahaha non, tu n’as oublié personne. Tout comme toi je pense que ce roman peut attirer un large lectorat. Je le conseillerais autant aux adultes qu’aux ados !

Lucie : Pour les plus curieux de nos lecteurs, je trouve que Charbon Bleu fait fortement écho à un autre titre de la sélection du Prix Vendredi : Vindicte met aussi en scène une femme dans une situation désespérée (c’est l’une des “tondues” de la Libération) confrontée au regard et au jugement des autres et particulièrement des hommes. Je les ai lus à la suite et j’ai trouvé ce parallèle stimulant.

Vindicte, Gildas Guyot, In8, 2024.

Liraloin : Je n’ai pas encore lu ce roman. Justement je trouve que c’est essentiel que des autrices et auteurs s’emparent de faits historiques pour ce devoir de mémoire que nous devons transmettre de génération en génération… Et le fait qu’ils plaisent comme nous avons pu le voir avec l’attribution du prix Vendredi des jeunes est très chouette !

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Pour conclure, la réaction à notre discussion de deux copinautes originaires de régions minières.

Linda : En bonne nordiste que je suis, j’avais envie de dire que la mine fait partie intégrante de notre patrimoine et les enfants grandissent avec des histoires de la mine. Les mineurs n’existent plus et il n’en reste guère de survivants aujourd’hui mais la mémoire collective est entretenue par les associations et les récits des enfants et petits-enfants de mineurs. Tous les enfants d’ici visitent au moins une fois dans leur vie le musée de la mine de Lewarde qui marque les esprits et donne vraiment à réfléchir sur cette vie, cette époque. Je ne connais pas un enfant ou ado qui soit ressorti déçu de cette visite et cela ne m’a donc pas étonné que les jeunes aient choisi ce titre…

Séverine : Je pourrais très exactement reprendre le propos de Linda en remplaçant Lewarde par « Puits Couriot » à Saint -Etienne ! Ici, c’est exactement cela aussi. En ce qui me concerne, j’essaie de transmettre à ma fille un bout de l’histoire locale, grâce notamment aux livres, mais c’est vrai qu’il me semble que la littérature jeunesse pèche un peu en la matière, en particulier pour les plus jeunes. Dernièrement, un album pour petit.e.s s’est démarqué : Mille mineurs, écrit et illustré magnifiquement par Evelyne Mary.

Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir l’histoire d’Ermine, d’autres romans d’Anne Loyer et, pourquoi pas, de visiter ces lieux d’histoire !

Billet de l’été : À l’assaut de la montagne !

Après Lucie et son billet consacré aux sportifs engagés, Liraloin, fan de randonnées et de paysages montagneux vous a concocté une petite sélection rocailleuse car n’oublions pas qu’en 2021, l’escalade sportive a fait son apparition aux J.O de Tokyo.

La montagne, cette roche immense qui se dresse droit devant, lorsque nous sommes en son creux nous ne pouvons que nous sentir minuscule, si fragile face à cette paroi faite de cailloux, accueillant végétaux et microcosmes vivants. Que nous soyons alpiniste chevronné ou randonneur occasionnel, l’ascension d’une montagne demande des efforts et un grand respect pour la Nature. Alors entre rencontres inoubliables, levés de soleil dans la brume matinale, la montagne ne se dévoilera que petit à petit à celles et ceux qui le méritent vraiment.

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Se préparer 

Pour être un as de l’escalade il faut en connaitre toutes les subtilités. Dans ce documentaire accessible et surtout très complet, la montagne n’aura plus aucun secret, du moins son ascension va vous paraître plus facile ! La lectrice-le lecteur va suivre les aventures de « la Tribu » : une fille et quatre garçons, tous passionnés d’escalade. Ce groupe va être le fil conducteur pour en savoir plus sur le corps et sa préparation ou bien sur la visualisation : « c’est tout simplement savoir observer, anticiper, comprendre… gagner du temps de réaction et de la précision dans tes gestes pour aller d’une prise à l’autre ». 

Les interviews et reportages sur les différents grimpeurs qui ont marqué l’histoire de l’escalade rythment également le contenu. Entrainement, efforts et courage détermineront si la montagne sera clémente ou le contraire !

So cool la grimpe de Romain Desgranges, illustré par Flore Beaudelin, Paulsen jeunesse, 2023

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A la recherche de sensations fortes !

L’Everest, mythique ascension. Dangereux sommet et le rêve de plus d’un alpiniste chevronné. Mallory a 15 ans et quelques sommets à son actif. Formant un duo inséparable avec son père Mathieu, la jeune fille est bien décidée à affronter ce glacier inébranlable.

Accepter la préparation, avoir le mental et l’énergie pour y faire face. Chercher du réconfort, un sens à ce qui va être entrepris. Se mettre dans sa bulle sans oublier l’autre. Ce roman va au-delà de l’aventure sensationnelle d’une ascension, c’est avant tout une formidable aventure humaine. Une étape importante et bouleversante dans la vie d’une adolescence déterminée et timide.

8848 mètres de Silène Edgar – Casterman, collection : Ici maintenant des romans qui regardent le monde en face, 2020

L’avis de Lucie est ici.

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Dans ce roman suivre le rythme de Pic peut s’avérer dangereux. Après avoir escaladé de façon illégale un gratte-ciel New-Yorkais et pour échapper à une justice un peu trop sévère Pic s’envole au Tibet. Avant de retrouver son père qui l’emmène à l’aéroport avec un but très précis : « Je vais escalader l’Everest ? ai-je demandé, sonné comme je ne l’avais jamais été de ma vie. Je ne sais pas si tu atteindras le sommet, mais si on t’y emmène avant ton quinzième anniversaire, tu seras la plus jeune personne du monde à poser le pied à plus de 8 800 mètres. » A travers l’ascension de Pic, la lectrice/le lecteur va assister à toute la préparation physique/psychologique et matériel qui incombe à un tel exploit humain. La dureté de l’ascension, les abandons et parfois la mort…

Solidaire et entêté, Pic, du haut de ses 14 ans, devra faire preuve d’une grande force mentale pour peut-être atteindre le toit du monde.

Pic de Roland Smith  – Seuil, 2007

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Se réparer grâce à la passion de la montagne…

Tessa est plongée dans le coma, un coma artificiel depuis son accident de montagne. Peu à peu la vie se réorganise pour permettre à sa famille, ses amis les plus proches ainsi que son petit ami Edgar d’être constamment à son chevet : « Qui sont ces gens ? Mais où je suis ? Oui, je vous entends. Je serre fort, là, vous sentez pas ? » A son réveil, l’équipe médicale décide d’y aller doucement car Tessa ne comprend pas qu’autour d’elle tout le monde semble avoir vécu une année de plus que son dernier souvenir.

Il y a beaucoup de pudeur dans l’écriture de Jessie Magana comme par crainte d’être trop intrusive dans ce qui est construit entre Tessa et Edgar. Une douce sensibilité émane de l’écriture d’Edgar, ses confidences sur papier sont magnifiques, lui qui a perdu l’amour de Tessa depuis cet accident : « Je t’écrirais des lettres, manuscrites. Des lettres d’amour. Des poèmes. Comme dans les romans. Et tant pis si tu trouvais ça ridicule. A demain. Edgar. »

A contrario Tessa ne comprend pas ses pertes de souvenirs et une rage mêlée à de la colère sont consignées dans son journal. Tessa veut vivre, peu importe les répercutions qu’il y aura sur son cœur et son corps. Compétiteurs dans l’âme, les deux jeunes gens mettront tout en œuvre pour que chacun, de son côté, puisse se « réparer ».

Free ride de Jessie Magana – Thierry Magnier, 2023

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Randonner 

Lorsque le montage s’offre à vous, il n’y a aucun moyen de s’y refuser mais plutôt de s’y refugier. Une belle aventure attend nos deux jeunes sœurs qui n’ont qu’une envie : « faire le tour de la montagne en une semaine » comme leur Tante Jeannette. Alors carte IGN en main et équipement sur le dos, les deux apprenties marcheuses vont suivre des chemins de randonnées sous un temps parfois menaçant car la montagne surprend par son changement soudain : « un son feutré de vent froid et de pluie continue nous enveloppe. »

Lorsque les éléments se déchaînent, le moral et le matériel peuvent sacrément en prendre un coup. Géraldine Alibeu nous offre une belle traversée dans l’immensité des Alpes. Son regard nous livre des peintures immersives aux couleurs changeantes. 

L’autre côté de la montagne de Géraldine Alibeu, Cambourakis, 2022

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Dans son livre Jana peut y voir des montagnes. Accompagnée de sa fidèle Billie, la petite fille rêve de bientôt les voir en vraies ! Mais quelle terrible déception envahit Jana lorsque le brouillard a décidé de cacher le géant rocher. C’est un véritable petit film d’animation qui se joue sous nos yeux. Nous sommes à 100% avec Jana : son attente si fortement exprimée et enfin cette rencontre tant espérée ! Les illustrations pleine page y sont pour beaucoup, elles nous immergent encore plus dans ce rêve de montagne gage de belles promenades et randonnées en famille.

Montre-toi, Montagne ! de Davide Wautier, Diplodocus, 2022

L’avis de Linda est ici.

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Le p’tit plus

Bon d’accord, pas de sport à proprement parlé dans ce roman mais des rencontres avec des p’tits animaux de la montagne pas si inoffensifs que ça : les marmottes au poil clairsemé !

« Une histoire de famille, de musique, d’amour et de zombie (pas n’importe lesquels). »

Ah quel bonheur que d’être là, à cet instant précis, profitant d’une randonnée… pourtant Jean-Pierre et Marie-Pierre étaient loin de se douter que la douce marmotte observée au loin deviendrait si agressive…

Pendant ce temps, Maximus est en route pour des vacances de « rêves », direction Habère-Poche en compagnie de (Notre) Dame « sa » mère, ses jumeaux de frères qui ne s’arrêtent jamais et le petit dernier le Nain, le chouchou, le « Chouch’ » à sa môman ! Oh joie ultime que de se rendre compte que le Hellfestnoz lui passe sous le nez au profit du Broch’n’poche, un semblant de festival pour les métalleux et punk à chiens du coin.

A peine arrivés aux portes du village que Maximus aperçoit une marmotte un chouilla mal en point : « Elle lève une griffe bien haut, celle du milieu. Le temps que je comprenne qu’une marmotte pourrie vient de me faire un doigt, elle a disparu. »

Quelques temps plus tard, après que toute la petite famille se soit installée chez Maminette et l’oncle Jean-Sassois, Maximus repère d’autres rongeurs mal en point. Que se passe-t-il à Habère-Poche ? Les marmottes ont-elles chopé la rage ou un virus bizarroïde ?

Sur fond de musique métal et ambiance festive, cher(e) lectrice et lecteur attends-toi à pogoter sévère au rythme de cette histoire sanglante ! Loin de l’image douillette que peut dégager la vue d’une marmotte, ici on est bien loin du compte et ce n’est surement pas dans ce roman que tu rencontreras les personnages de la « Petite maison dans la prairie ». Le récit est empreint d’un humour digne des comédies déjantées anglaises. L’alternance des témoignages (parfois un poil exagéré) des différents personnages permet d’apporter un enchaînement des évènements qui n’en finit pas !

Bref, la lecture s’achève avec l’impression d’avoir un peu mal partout d’avoir tant explosé ces satanés rongeurs à coups de pelle bien tranchante.

Des zombies dans la prairie : la comédie horrifique qui vous fera voir les marmottes d’un autre œil !  de Chrysostome Gourio – Casterman, 2023 

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Et vous ? Quelles lectures autour de la montagne aimeriez-vous nous faire partager ?