Prix À l’Ombre Du Grand Arbre 2025 : les lauréats !

C’est aujourd’hui le grand jour de l’annonce des lauréats de notre Prix ALODGA. Vos arbronautes préférées ont individuellement sélectionné des livres parus en 2024 et les ont proposés à leurs collègues, qui, selon leurs possibilités, leurs envies ou leurs thèmes de prédilection, les ont lus à leur tour. À l’issue d’un système de notation rigoureux, un classement a été effectué afin de déterminer les 3 finalistes de chaque catégorie, regroupant des genres balayant de la toute petite enfance aux ados. Nous vous avons proposé de voter ces dernières semaines et tenons à vous remercier pour votre participation exceptionnelle, puisque nous avons décompté pas moins de 661 votes ! Un record !… Sous vos applaudissements

Catégorie Petites feuilles (albums pour les grand.e.s)

Cet adorable album de la maison d’édition indépendante Cot Cot Cot a surnagé ! Vous l’avez largement élu album de l’année, pour sa plongée… en beauté au cœur d’une histoire tendre, touchante mais aussi pleine d’humour !

A l’eau ! Heejin Park, trad. Charlotte Grison, éditions Cot Cot Cot, 2024

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Catégorie Brindilles (albums pour les petits.e.s)

Comme nous, vous appréciez de sortir des sentiers battus et vous l’avez prouvé ! Les urnes (virtuelles ;-)) ont parlé et c’est cet album original, qui invite en douceur à une réflexion sur ce qu’on ne dit pas, faisant la part belle aux images, qui a emporté vos voix.

Quand je garde le silence de Zornitsa Hristova & illustré par Kiril Zlatkov, traduit par Marie Vrinat-Nikolov – Six citrons acides, collection : Around the langue, 2024 – publié pour la première fois en 2014 en Bulgarie, 2024

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Catégorie Racines (documentaires)

Un ex-aequo inédit pour la catégorie documentaires ! Et deux merveilles, effectivement ! Nous avions sélectionné trois titres qui invitent au dialogue et à la découverte de l’Autre, pour montrer que les barrières et les conflits perdent tout leur sens dès que l’on admet cette simple vérité : nous sommes tous.te.s des humains, notre pays, c’est la Terre.

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Catégorie Branches dessinées (BD et romans graphiques)

Chez les BD et les romans graphiques, résultat sans mystère, c’est finalement un album un peu inclassable, d’une extraordinaire inventivité visuelle, à la fois enchanteur et ludique (il faut des lunettes 3D pour en profiter), ne ressemblant à aucun autre, qui a remporté les suffrages.

Jeanjambe et le mystère des profondeurs, de Matthias Picard. Ed. 4048, octobre 2024.

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Catégorie Belles branches (romans ados)

Krok a dévoré ses concurrents ! 232/416 : le record du nombre de votes a été battu, félicitations !… Qui a dit que les adolescent.e.s ne lisaient plus ? Ce roman traitant de problématiques sociétales, jonglant entre humour et mordant, mais qui sait aussi rentrer les griffes pour se faire poésie, douceur et pattes de velours, est la preuve que la littérature ado a encore de beaux jours devant elle.

Krok, d’Hervé Giraud, Thierry Magnier, 2024

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Catégorie Grandes feuilles (romans jeunesse)

On peut parler de tout aux enfants, à condition que ce soit bien fait. Comme vos abronautes, vous avez plébiscité cette belle histoire, dans laquelle le sujet sensible de la dépression d’un parent est traité avec grand talent. Ou quand l’amitié, l’amour des siens, toutes les couleurs de la vie, l’emportent sur la noirceur. Mention spéciale pour l’objet-livre magnifique, qui a tout d’un grand.

A la poursuite des animaux arc-en-ciel, de Sarah-Ann Juckes, illustré par Sharon King-Chai, Little Urban, 2024

Encore un beau succès du Prix ALODGA, pour lequel nous avons mobilisé en équipe, toute notre conviction, toute notre passion. Félicitations aux lauréats, à leurs auteur.e.s et à leurs maisons d’édition (à noter que l’édition indépendante s’est particulièrement illustrée cette année.) Mais plus qu’une compétition, ce Prix a surtout pour objectif de mettre en valeur la richesse quasi sans limites d’un pan de la littérature à part entière. Que nous soyons enfants, adolescent.e.s, parents, enseignant.e.s, la belle littérature jeunesse a quelque chose à nous dire, entre capacité à s’émerveiller et consciences à éveiller. Écoutons-la. Mieux : lisons-la.

Prix ALODGA 2025 – catégories Belles branches et Grandes feuilles

Nous vous en parlons depuis des semaines, voici enfin la nouvelle édition du Prix ALOGDA ! Comme les années précédentes, nous avons sélectionné trois titres dans six catégories différentes :

  • Belles branches (romans ado)
  • Grandes Feuilles (romans jeunesse jusqu’à 11 ans)
  • Petites feuilles (albums pour « grands »)
  • Brindilles (albums premier âge)
  • Branches dessinées (BD)
  • Racines (documentaires)

Durant trois semaines, nous vous présenterons deux de ces catégories, ainsi que les titres concernés, et nous vous inviterons à élire votre préféré. Les votes se termineront le 6 juin 2025 à 20h30, et nous annoncerons les lauréats le 9 juin à 8h !

Ouvrons dès à présent le bal avec les romans ados et jeunesse !

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Catégorie Belles branches

Dans cette catégorie, 16 titres étaient en lice. Nous avons lu frénétiquement, avec délectation et naturellement certains romans se sont démarqués. Voici notre trio de tête avec comme vous pouvez le constater : des titres tous très différents des uns des autres et heureusement d’ailleurs !

Angélino est un jeune adolescent en décalage avec les autres doté d’une candeur qui le rend si attachant. Le jeune garçon ne veut pas se séparer de son ami Krok. Malheureusement, ce jeune gars se retrouve bousculé dans son bonheur par les décisions des adultes, par la sauvagerie du monde. Mais bien vite, il va changer, se rendre compte que ce n’est pas une vie pour lui. Une prise de conscience qui se fait tout en douceur…

Il y a beaucoup d’humour dans ce texte malgré les propos qui nous donnent à réfléchir sur la captivité des animaux. C’est un roman qui est donc à la fois drôle, parce parfois bien farfelu, mais aussi émouvant, et pédagogique. Une lecture fun et sérieuse.

Krok d’Hervé Giraud, Thierry Magnier, 2024

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Arsinoé Ouvrard est coupable d’avoir aimé « l’ennemi », d’avoir découvert l’Amour avec Hannes. « Jugée » coupable d’aimer, cette femme est humiliée, abandonnée à la violence masculine de ses compatriotes. Des hommes cherchant la gloire dans la détresse de ces femmes. Le destin de ces « poules à boches » rappelle que les dérives existent dans tout mouvements de foules.

Ce roman, également sélectionné pour le Prix Vendredi cette année, nous a bouleversées. Un roman court et puissant qui nous rappelle des faits historiques peu exploités en littérature et notamment dans celle destinée aux adolescents.

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Dans la tête et dans le corps de ce jeune garçon, rien ne va plus depuis des mois. Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une circonstance trop forte pour que tout bascule. Pas un signe avant-coureur, pas un cri, juste une respiration qu’il faut apprendre à régler pour se donner du courage. S’enfermer n’est pas un choix mais une survie qui s’organise. Dans ce roman, aussi sélectionné pour le Prix Vendredi de cette année, on s’interroge avec lui : que s’est-il passé ? Crise d’adolescence ou prise de conscience ?

La réponse ouvre la réflexion sur le rapport compliqué au monde d’une jeunesse qui a de plus en plus de mal à respirer… Pourtant, on continue à croire que l’espoir jamais ne s’essouffle et cela fait aussi la force du roman : rester optimiste. Un roman qui nous fait entrer en totale empathie avec le personnage principal et son entourage.

La cabane de Ludovic Lecomte, Ecole des Loisirs, collection : M+, 2024

À vous de voter pour départager ces titres !

Quel titre de la sélection "Belles branches" préférez-vous ?

  • KroK (56%, 232 Votes)
  • Vindicte (41%, 170 Votes)
  • La cabane (3%, 14 Votes)

Total Voters: 416

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Catégorie Grandes feuilles

Nous avons dévoré les 11 titres présélectionnés avec nos yeux d’enfants, c’est-à-dire curieuses de découvrir des univers éclectiques et extra-ordinaires, qui ont à nous dire quelque chose du monde. Histoires fortes ancrées dans l’imaginaire, fictions réalistes ou récits autobiographiques, d’hier, d’aujourd’hui, ou dans un passé dont il s’agit de tirer les leçons, nous avons plongé avec plaisir dans ces romans qui aident à grandir et à comprendre, sans perdre de vue le plaisir de lire.

Pour le trio de tête, la famille, même dysfonctionnelle, est presque le premier rôle de l’histoire. Les ambiances et les styles sont bien différents, sur des thématiques (très) fortes.

Coup de cœur presque unanime pour ce roman qui coche de nombreuses cases : originalité, humour, découverte, réflexion. C’est un ouvrage étonnant, qui change de ce que l’on peut lire aujourd’hui. Le génie sous la table, c’est lui, l’illustrateur Eugène Yelchin, Yevgeny, de son vrai prénom, un enfant qui grandit en URSS et qui a du mal à trouver sa place, coincé entre le talent de son frère aîné, la gouaille de sa mère, ou les rêveries de son père. Espionnage, antisémitisme et conditions de vie précaires…tel est le quotidien de cet enfant, dont nous avons adoré suivre les réflexions et sa vision des rouages et des dérives du communisme. Des sujets graves, mais son regard à la fois naïf et interrogatif sur ce qui l’entoure apporte beaucoup de fraîcheur.

Le génie sous la table, d’Eugène Yelchin, L’Ecole des loisirs, collection Neuf, 2024

A la poursuite des animaux arc-en-ciel est une lecture exigeante, parfois difficile, qui traite d’un sujet peu exploité en littérature « juniors » : la dépression. Il raconte quelques semaines de la vie de Nora, 10 ans, dont la maman solo souffre de cette maladie, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Seule, très mûre pour son âge, la petite fille vit en fait dans une sorte de déni, s’auto-persuadant que tout va bien, qu’il n’y a aucun problème, que sa vie est normale. Jusqu’au jour où commencent à lui apparaître des animaux qu’elle seule peut voir…Sur le fond, très belle trouvaille que ces animaux arc-en-ciel, qui vont se succéder pour aider Nora à aller vers les autres et accepter de se faire aider, jolie fin ouverte mais sans angélisme. Sur la forme, les arbronautes ont particulièrement apprécié l’objet-livre : couverture cartonnée, titre scintillant, dos graphique, illustrations soignées, police aérée, et plusieurs bonus en fin d’ouvrage.

A la poursuite des animaux arc-en-ciel, de Sarah-Ann Juckes, illustré par Sharon King-Chai, Little Urban, 2024

Harlem, le court roman d’Anne Cortey, illustré par Chales Berberian, est largement inspiré d’une histoire vraie, celle d’une amie de l’autrice ayant grandi dans ce quartier emblématique de New York, dans les années 60. A l’époque, la ségrégation raciale bat son plein, mais la lutte pour les droits civiques émerge et l’on découvre au fil des pages les espoirs nés des actions de Martin Luther King ou Rosa Parks. Nous avons admiré ses deux petites héroïnes au caractère bien trempé, qui refusent que leur couleur de peau les sépare. Un belle histoire pleine de sensibilité, joliment illustrée, dont le message général est porteur d’espoir, invitant à réfléchir, avec bienveillance, à la justice et à l’égalité.

Harlem, d’Anne Cortey, illlustré par Charles Berberian, L’Ecole des loisirs, collection Neuf, 2024

À vous de voter pour départager ces titres !

Quel titre de la sélection "Grandes feuilles" préférez-vous ?

  • A la poursuite des animaux arc-en-ciel (57%, 58 Votes)
  • Harlem (30%, 31 Votes)
  • Le génie sous la table (13%, 13 Votes)

Total Voters: 102

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Lecture commune : Le Clash

Une couverture a tout particulièrement attiré notre attention dans le catalogue des éditions Syros. En noir et blanc, avec ce titre rouge qui s’étale… nous avons été intriguées. Et comme souvent dans ces cas-là, nous nous sommes plongées dans sa lecture et nous avons eu envie d’en discuter. Et cette confidence d’un père à son fils prenant place dans l’Angleterre des années 1970 nous a tenues en haleine et rendues bavardes !

Le Clash, Benoît Séverac, éditions Syros, 2025.

Lucie : Une chose est sûre, cette couverture attire l’œil. Quelles attentes a-t-elle créées chez vous ?

Liraloin : Elle est très attirante. Syros a fait un sacré travail car elle est à la fois très graphique et classe. La typo du titre est belle et bien évidemment m’a tout de suite fait penser au groupe The Clash. Lorsque je reprenais ma lecture, je chantonnais souvent London Calling. De plus, il y a un léger relief sur cette couverture très appréciable, que j’ai tendance à ne plus connaître car tous les romans sont couverts dans la médiathèque où je travaille.

Héloïse : Elle met tout de suite dans l’ambiance punk / Angleterre avec ses briques derrière (d’ailleurs, je suis fan du relief !). Et tout comme toi, j’avais la chanson dans la tête !

Linda : Elle attire l’œil c’est certain avec son mur de briques (j’adore l’effet relief au touché), son tag punk et son titre rouge vif. Chapeau bas pour l’éditeur et cette présentation qui en jette !

Lucie : C’est une réussite car nos attentes et émotions se rejoignent (le relief et London Calling, c’est tout à fait ça !) et surtout elles correspondent bien à l’histoire. Je suis d’accord avec toi Héloïse, je m’attendais à un texte sombre, violent, rugueux, alors que le sujet l’est mais qu’il est traité plutôt sobrement. En tout cas, cette couverture a immédiatement attiré mon fils de 13 ans qui s’est emparé de ce roman et l’a terminé dans la journée !

Liraloin : Comme toi Lucie, avec cette couverture, je m’attendais à un texte plus sombre et bien plus violent même si bien évidemment la violence est au cœur de l’histoire.

Lucie : Justement, j’avoue que si les références musicales citées dans le roman me parlent, je n’avais aucune idée des tensions entre skins et punks, qui étaient même deux mouvements similaires pour moi (la honte !). Et vous, avez-vous appris des choses que vous ignoriez sur ces mouvements ?

Liraloin : J’avais déjà entendu cette histoire de différence car mon prof d’anglais à l’IUT était un ancien hooligan et nous a expliqué tout cela autour d’une bonne pinte.

Linda : Oui et non. J’y ai retrouvé ce que je suivais de loin avec mon regard d’enfant au niveau des tensions et de la violence. Mais j’étais restée sur le fait que les punks avaient peut-être plus une âme d’artiste qui s’exprimait surtout dans l’apparence, alors que les skinhead étaient plutôt des trouble-fêtes, fauteurs de troubles à la sortie des matchs de foot. Je ne me souvenais pas d’une violence entre eux mais plutôt de celle qu’ils exerçaient sur les forces de l’ordre.

Héloïse : Je savais qu’ils ne s’entendaient pas, oui. Mais c’est toujours intéressant de se « plonger » dans un contexte historique et de « vivre » les événements de l’intérieur je trouve.

Lucie : Précisément, en tant que lecteurs nous vivons les événements à la fois de l’intérieur et de l’extérieur avec le récit enchâssé. J’avoue m’être interrogée un moment sur l’utilité de ce procédé. Mais finalement, j’ai été convaincue. Qu’en avez-vous pensé de votre côté ?

Héloïse : Comme toi Lucie, au début j’étais sceptique. Et puis, cela permet de développer la complicité qui unit père et fils. Nicolas (le père), se livre à son fils, revient sur son passé, sur ses erreurs, montre ainsi qu’il n’est pas parfait.

Liraloin : Au départ, je suis restée un peu dubitative en me demandant si cet échange père-fils était bien utile mais au fur et à mesure de ma lecture, j’y ai vu une confidence inversée. C’est rare, enfin je crois, qu’un parent se confie sur un tel passif. Soit c’est pour le mettre en garde contre d’éventuelles « mauvaises fréquentations » et cela j’y crois moyen soit c’est pour échanger un peu intimement avant une longue séparation.

Linda : Sceptique est le mot. Mais cela fait vite sens finalement et j’ai même trouvé intéressants les échanges père-fils réguliers qui ramènent dans la réalité du moment et montrent combien la nouvelle génération peut-être critique sur la nôtre (comme chaque génération sur celle qui précède ou suit non ?). Aussi, cela révèle une grande confiance du père en son fils, oser lui raconter ces erreurs de jeunesse, sans filtre, lui révéler qu’il n’est pas parfait et qu’une erreur est vite arrivée…

Lucie : Comme vous j’ai aimé que le père se dévoile, qu’il se montre imparfait sans craindre le jugement de son fils mais en espérant que son expérience lui servira. Cela rejoint d’ailleurs ce que dit l’auteur dans le communiqué de presse : “Révéler ses erreurs passées à ses enfants, ses faiblesses leur apporte beaucoup plus de force qu’on ne croit, et de confiance en l’adulte.” Cette relation père-fils fait partie des vraies réussites de ce roman à mon sens. J’aime beaucoup les petites réflexions sur l’éducation glissées ça et là. Comme quand il écrit page 8 :

Il n’a aucun scrupule à se présenter dans un rôle aussi peu glorieux auprès de son fils. En matière d’éducation, il connaît la valeur de l’exemple, et il fait partie de ces papas qui estiment que faire part de ses faiblesses bénéficie à celui qui les exprime autant qu’à celui ou celle qui les entend.

Héloïse : Oui, j’ai beaucoup aimé cette phrase aussi. Tout comme les petites piques que lance Aurélien à son père sont amusantes, un bel exemple de tendresse. C’est un chouette duo, plein de bienveillance.

Liraloin : D’ailleurs c’est très significatif de notre époque. Nous échangeons beaucoup plus avec nos enfants que nos parents avec nous et bien avant encore.

Lucie : Et comme il raconte aussi ses relations avec son propre père, on mesure le chemin parcouru en une seule génération ! Il le juge d’ailleurs un peu durement, mais il ne se donne pas le beau rôle pour autant. Avez-vous envie de raconter l’élément déclencheur des problèmes survenus lors de ce séjour en Angleterre en 1978 ?

Liraloin : Ce passage est le point de basculement, une sorte de rite initiatique. L’innocence de Nicolas prend un sacré coup derrière la caboche. A partir de là, les choses sérieuses peuvent commencer.

Héloïse : Il y a plusieurs étapes pour moi… Le passage dans le centre commercial et l’affrontement entre punks et skinheads, la découverte de Tom, la première nuit à parler musique qui marque le début de la fascination (et le mot est faible) de Nicolas envers le jeune punk, et enfin l’épisode du racket…

Linda : Je rejoins Héloïse. La bascule se fait finalement par étapes, on voit venir les problèmes dès le moment où Nicolas entre dans la chambre de Tom et montre une fascination pour ce qu’il représente et la musique qu’il écoute.

Lucie : Vous avez raison, c’est vraiment progressif et en même temps il y a quelque chose d’inéluctable. La situation dérape doucement mais sûrement jusqu’à parvenir à un point de non retour avec une fugue épique !

Liraloin : Oui, c’est la dégringolade, l’escalade de la violence, la descente aux enfers en quelque sorte. J’ai d’ailleurs repéré le même schéma narratif dans Les Soeurs Lakotas du même auteur que j’ai lu il n’y a pas longtemps.

Les Soeurs Lakotas, Benoît Séverac, éditions Syros, 2023.

Lucie : On peut dire que le sentiment de révolte est très présent (plus que la violence finalement), qu’avez-vous pensé de la manière dont il est amené et traité ?

Liraloin : Sans trop en dire pour ne pas divulgâcher, je dirais que ce sont les parents de Tom qui ont perdu tout espoir concernant leur fils. Ils le laissent faire, comme si cette révolte était naturelle, passagère. D’ailleurs cela contribue à la fascination de Nicolas pour Tom. Le gars a le même âge que lui et il est libre !

Héloïse : J’ai été surprise par ce “laisser faire” des parents de Tom. Et par cette violence qui surgit d’un coup chez le jeune homme. Tom est cultivé, curieux, révolté contre l’injustice, fait de beaux discours qui fascinent Aurélien, et puis bam ! se montre d’une violence inouïe.

Linda : Mais en même temps n’est-ce pas le reflet de cette génération de parents prise entre les valeurs dans lesquelles ils ont été éduqués et celles de la jeunesse qui réclame plus de liberté, de justice et d’égalité ? Ça ne m’a pas choqué outre mesure, je crois avoir grandi dans un milieu assez proche de celui-ci, des parents laxistes sur bien des aspects, pas toujours conscient que leur permissivité est le coeur des problèmes à venir.

Lucie : Oui, c’est un peu étonnant. Pour lui aussi on a l’impression d’une certaine escalade. Comme si la rixe du supermarché (à laquelle il n’a pas assisté contrairement à son “correspondant”) et le raquet étaient des déclencheurs. J’ai eu l’impression que sa rébellion est essentiellement musicale et vestimentaire avant cela (ce qui expliquerait que ses parents laissent couler). Est-ce qu’il ne bascule pas lui aussi pour impressionner Nicolas ?

Liraloin : Tout à fait Lucie, je pense la même chose.Tom est en rébellion totale et quoi de mieux que d’adhérer au mouvement Punk qui était plus que présent en Angleterre à cette période. Le point de bascule c’est l’effet de groupe. Seul Tom n’est rien du tout, en groupe il peut exister.

Linda : Je ne suis pas tout à fait d’accord. J’y vois plutôt un lâché prise voulu pour, peut-être se faire un nom dans la communauté punk, mais aussi pour montrer la colère contenue contre la société, le système qu’il rejette, sa famille… Pour moi la violence est là, sous-jacente (le fait qu’il se perce les oreilles lui-même m’a d’ailleurs fait penser à de la scarification) et il ne manque qu’une étincelle pour allumer le feu qui brûle en lui. A ce stade, le moindre prétexte aurait été bon pour qu’il laisse exploser sa violence.

Héloïse : Il y a cette citation qui m’a marquée sur son intérêt pour le mouvement punk : “Nous, les jeunes d’aujourd’hui, on a besoin d’un truc à nous, de notre génération, une musique qui nous ressemble. C’est ça le punk, en fait : un style de musique et de vie que nous avons créé nous-même, et qu’on ne doit à personne.” Je trouve qu’elle montre bien que Tom est punk d’abord pour montrer sa rébellion et sa différence avec la génération de ses parents. Je suis d’accord avec toi sur l’effet de groupe ! C’est souvent ce qui fait passer des mots aux actes.

Lucie : Tom a clairement besoin d’un public. C’est d’ailleurs en partie ce qui ouvre les yeux à Nicolas : quand il se vante devant les squatteurs et qu’il se rend compte que c’est essentiellement du vent.

Linda : Oui du vent mais aussi un manque de lucidité sur les conséquences de ses actes. Ça l’amuse presque… Nicolas beaucoup moins, parce qu’il n’est pas chez lui déjà, mais aussi parce qu’il sait que chaque décision prise depuis le début du racket n’a été qu’une suite d’erreurs.

Héloïse : Oui, Nicolas met du temps avant d’ouvrir les yeux. Sans doute aussi à cause de sa culpabilité. Il oscille entre fascination, envie de transgression, et son éducation très stricte.

Liraloin : Personnellement, je me suis interrogé sur l’incipit “in memoriam George Solly” qui est donc le même nom que le père de Tom et je n’ai rien trouvé.

Lucie : C’est mon fils qui me l’a fait remarquer et ça rejoint ce que dit l’auteur dans le communiqué : ce roman est clairement inspiré de sa propre expérience, même si romancée. D’ailleurs il a été prof d’anglais comme Nicolas…

Héloïse : Je n’ai pas trouvé non plus…

Lucie : Nous sommes toutes les 4 mamans, or c’est le récit d’un père à son fils et il fait aussi pas mal référence à ses propres parents. De quelle génération vous êtes-vous sentie le plus proche ?

Linda : Celle de Nicolas dans sa relation à son fils.

Héloïse : Clairement pas des grands-parents !

Liraloin : Complètement d’accord avec toi Héloïse. En 1978 on ne faisait pas dans la dentelle et il fallait marcher droit ! Comme quoi nous instaurons plus de dialogues avec nos enfants même si personnellement je viens d’une famille où on ne se confie pas beaucoup. Je ne veux pas instaurer cela avec mes fils donc on se parle ! et maintenant qu’ils sont jeunes adultes il y a une autre relation qui s’instaure avec une confiance mutuelle. Un peu comme Aurélien et Nicolas finalement.

Héloïse : Oui, c’est ce que tu disais tout à l’heure, se parler est devenu important ! Comme toi, j’ai reçu une éducation plus stricte, mais j’essaie d’instaurer le dialogue avec mes enfants. Et toi Lucie ?

Lucie : Honnêtement j’ai navigué plusieurs fois. Bien sûr que l’éducation très stricte que reçoit Nicolas n’est pas celle que je donne à mon fils. Mais l’inquiétude des parents qui envoient leur fils à l’étranger, qui n’ont plus de nouvelles de lui plusieurs jours… J’avoue, ils m’ont tout de même touchée ! Surtout la maman. En lisant les péripéties de Nicolas, je me suis souvent mise à la place du parent (en tout cas de son responsable imaginaire) en me demandant comment j’aurais réagi à sa place. C’était le sens de ma question : en lisant, vous étiez dans les baskets de Nicolas en tant qu’ado ou il vous est arrivé d’être décentrées, à vous demander “comment je réagirais si c’était mon fils qui vivait ça… !” ? En revanche, je me suis bien reconnue dans la volonté de dialogue de Nicolas, et cette relation père-fils est ce qui m’a le plus plu dans ce roman.

Héloïse : C’est vrai qu’elle est belle.

Liraloin : Je comprends ta réflexion Lucie, et moi j’ai fait ma vieille je me suis dit “il faut bien que jeunesse se passe” lorsque Nicolas allait toujours plus loin. L’éducation qu’il a reçu vit en lui et je n’ai pas cru une seconde qu’il allait complètement basculer vers le “côté obscur de la force”.

Héloïse : Le “côté obscur de la force”, j’adore ! Comme il y avait deux niveaux de narration, je ne suis pas rentrée dans les baskets de Nicolas. J’étais plutôt extérieure, me demandant jusqu’où tout cela allait mener !

Linda : Décentrée vis à vis de l’adolescent qu’il a été mais pas de l’adulte qu’il est devenu en ce qui me concerne.

Lucie : Pour conclure cette lecture commune, à qui conseilleriez-vous ce roman ?

Liraloin : A partir de 14 ans sans doute et aux nostalgiques des années punk !

Héloïse : Oui, cela me paraît pas mal, j’aurais dit fin de collège –, et plus si affinités !

Linda : Oui pareil ! Même si je crois que bien des adultes devraient apprécier la nostalgie amenée par le mouvement punk et son époque bouillonnante.

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Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir ce roman et que vous prendrez autant de plaisir que nous à découvrir cette histoire. Merci aux éditions Syros de nous avoir envoyé ce titre !

Lecture commune : Charbon bleu d’Anne Loyer

Chaque année vos arbonautes préférées s’engagent avec beaucoup de joie et d’empressement à lire les romans en lice pour le Prix Vendredi. Lucie et Liraloin ont profité de cette sélection 2024 pour lire Charbon bleu et en faire une lecture commune pour votre plus grand plaisir. Un roman justement récompensé par un jury de sept jeunes adultes âgés de 15 à 19 ans pour le Prix Vendredi.

Charbon bleu, Anne Loyer, illustrations de Gérard DuBois, éditions D’Eux, 2023.

Liraloin : Est-ce que tu connaissais Anne Loyer avant de te lancer dans cette lecture ? 

Lucie : En regardant sa bibliographie je me rends compte qu’elle a écrit 105 livres ! J’ai lu Bamba, et certaines des aventures de Kimamila parce que c’est la méthode de lecture que j’utilise avec mes CP. Donc j’ai beaucoup aimé Charbon bleu mais on ne peut pas dire que ce soit une auteure dont je suis le travail. Je vais être nettement plus attentive dorénavant !

Liraloin : De mon côté, je connais bien cette autrice notamment à travers des albums publiés chez A pas de loup : Christine de Pizan, Calamity Jane. J’ai également lu son roman adulte La petite coriace que j’ai bien apprécié. Anne Loyer est très prolifique et autant à l’aise dans l’écriture des romans que des albums.

Liraloin : Même question pour l’illustrateur Gérard DuBois ? Nous reviendrons plus tard sur la pertinence de ses dessins.

Lucie : J’ai un peu honte de l’avouer : non, je ne connaissais pas du tout de Gérard DuBois mais j’aime beaucoup. Je me suis un peu renseignée sur ce qu’il a fait depuis, et je trouve notamment son travail sur Moby Dick magnifique ! 

Liraloin : C’est au SLPJ que j’ai découvert cet illustrateur, il y avait une exposition de ses illustrations et je trouve son procédé très intéressant. Je l’ai découvert tardivement et c’est seulement l’année dernière que j’ai réalisé que je le connaissais à travers une illustration tirée de son livre Enfantillages. Et puis, j’ai lu la chronique de Linda sur l’album On aurait dit qui m’a donné envie de le découvrir.

Liraloin : Parlons de la couverture : qu’en as-tu pensé ? Est-ce que cette illustration te touche ? 

Lucie : Oui, je dois avouer que c’est ce qui m’a attirée vers ce roman. Ce noir et blanc un peu brut, et le regard de cette jeune fille qui se détache d’une foule. C’est très puissant je dois dire, et tout à fait en accord avec le texte. Uniquement sur la base de la couverture, c’est vers ce titre de la sélection du Prix Vendredi que je serais allée le plus spontanément.

Liraloin : Contrairement à toi je n’ai pas été attirée de suite par cette couverture surtout que nous sommes plutôt – et depuis un moment – sur des couvertures de romans pour ados un peu “clinquantes”. Le sujet m’a intéressé sans doute car j’ai vécu à Lille… et comme j’aime Anne Loyer, hop je l’ai emprunté. L’illustration est très forte et il y a quelque chose de magnétique dans ce visage féminin. On est obligé de s’attarder sur ce regard je trouve.

Liraloin : Entrons dans le vif du sujet. Le livre commence avec ce texte en préambule, écrit en italique : « Elle ferme les yeux, c’est l’appel du néant. Son corps, pris en tenaille par des milliers de mains – celles de ceux qui l’ont précédée, celles de ceux qui lui succéderont – s’enfonce sans fin, aspiré par les entrailles avides de la terre. Il est englouti par une force supérieure qui ne lui laisse aucune chance. Une chute invincible qui l’entraîne, poids mort avant l’heure, direction l’abîme. »
Que t’évoque ce texte ? 

Lucie : Ce préambule donne immédiatement le ton. Il est question de déterminisme, de tradition pesante, de quelque chose de très organique aussi il me semble et de dramatique. On sent tout de suite que le texte ne va pas enjoliver la réalité du destin de ces mineurs, et c’est précisément ce pourquoi j’ai eu envie de le lire. Mais je me dis en le relisant que c’est “gonflé” de la part de l’auteure car cela peut aussi rebuter certains jeunes lecteurs.
Qu’en as-tu pensé, toi ?

Liraloin : En relisant ce préambule je trouve qu’il est complètement raccord avec l’illustration de première de couverture. On sent ce moment compliqué de se rendre dans cet ascenseur qui “aspire vers les entrailles avides de la terre”. Comme toi, et ton terme est bien trouvé, il y a quelque chose d’organique, cette terre broie les mineurs, les rend malades et les tue. Après j’ai été très étonnée que ce roman remporte le Prix Vendredi des jeunes lecteurs, je m’y attendais pas du tout car tout comme toi je ne pensais pas que ce sujet plairait autant aux jeunes. Comme quoi….

Lucie : C’est une très bonne surprise cependant, et c’est très positif que des jeunes lecteurs acceptent de découvrir un milieu et une époque qui est éloignée d’eux. Qu’ils adhèrent à un texte qui fait la part belle à la poésie et à un certain lyrisme.

Liraloin : Oui effectivement il y a une poésie que l’on retrouve dans cette écriture. D’ailleurs on en parlait avec une collègue, et finalement on en a conclu que ce sont les auteurs-autrices qui écrivent sur des sujets sociétaux très actuels qui emportent pas mal de prix et des mises en avant… D’ailleurs, petite parenthèse, La Chasse a reçu le Prix Cendres en plus du Prix Vendredi.

La Chasse, Maureen Desmailles, Thierry Magnier, 2023.

Liraloin : L’histoire débute avec la perte du père de cette famille. Outre le chagrin de Gervaise, sa femme enceinte, cette mort impose à Ermine une analyse de la situation très lucide. Est-ce que tu te rappelles de la dureté de cette ouverture ?

Lucie : Je me souviens en effet avoir été saisie par le désespoir d’Ermine. Elle a cru pouvoir échapper à son destin de mineur car son instituteur, convaincu par ses capacités, avait insisté auprès de ses parents pour qu’elle poursuive ses études. Mais voilà qu’un double drame la cueille : le décès de son père signifie aussi qu’elle va devoir travailler pour aider sa mère car il n’y a plus que le salaire de son frère pour nourrir la famille. Au passage : que la maman s’appelle Gervaise est un joli clin d’œil à Zola !

Germinal, Emile Zola, Pocket, 2018 pour cette édition.

Liraloin : Oui, merci Anne Loyer pour ce joli clin d’œil à Germinal. Ce passage est vraiment terrible et très noir. Le chagrin accable toute cette famille et on sait que peu d’espoir est envisageable. Je trouve que ce n’est pas évident en tant que lectrice de se dire qu’à un moment la “lumière” viendra !
Il y a ce paragraphe qui m’a marqué. Ermine doit aller travailler pour la survie du foyer et voici le regard de Gervaise sur sa fille :

« Gervaise lève péniblement les yeux vers sa fille. Elle voudrait lui dire un mot gentil, un encouragement quelconque. Mais rien ne sort. Elle a honte. Honte de lui avoir promis la lune, honte de lui avoir fait entrevoir l’impossible, honte de lui avoir fait miroiter un autre destin. Ernest et elle l’ont trompée. L’ont même trahie. Ils ne cherchaient qu’à la protéger et ils n’ont rien fait que retarder l’échéance. Juste au moment où elle allait décrocher le certificat d’étude, ce sésame pour un autre futur, tout se brise… »

Comment analyses-tu ce paragraphe ? 

Lucie : En tant que lecteur, on se met très facilement à la place de Gervaise. Ou peut-être est-ce parce qu’on est mamans aussi ? Cette honte, même si elle n’y est pour rien, est parfaitement compréhensible. C’est un peu comme si elle avait trahi sa fille en lui laissant apercevoir un avenir différent de la mine. Avenir dont elle va finalement être privée à cause de la disparition de son père. Est-ce que la situation aurait été “moins pire” si Ermine était allée à la mine dès le début ? C’est vraiment une ouverture de roman très dure et très noire, tu le disais. Et c’est d’autant plus courageux de la part d’Anne Loyer d’oser y aller franchement et de proposer un texte sans concession à ses jeunes lecteurs.

Liraloin : Oui et d’ailleurs ta question rejoint celle-ci. J’ai trouvé que le destin d’Ermine était fragile dès le départ, pas franchement net concernant ses projets d’études comme si l’autrice voulait nous préparer à cette chute. Ta vision est juste car nous sommes bouleversées par la honte qui saisit Gervaise, cette culpabilité envahissante. C’est d’autant plus difficile à “digérer” car pour une fois, un membre de cette famille aurait connu autre chose que la mine. Pour moi il y a cette prise de conscience de cette mère complètement atterrée par la perte de son mari et ce destin qu’elle brise malgré elle. Le champ lexical de la lumière est pourtant présent et sera le fil conducteur tout le long du récit. Pour le moment la lumière est juste atténuée et forcément pas franche (lune, miroir…).

Lucie : Je me demandais justement : trouves-tu que le supplément d’instruction qu’a reçu Ermine apporte quelque chose au roman ? 

Liraloin : Oui énormément, cette instruction lui permet de supporter sa nouvelle vie à la mine en s’échappant dans ses rêveries. Elle est complètement à part et les autres lui font bien sentir sauf un personnage…
C’est justement là qu’apparaît Firmin. Est-ce que ce personnage t’as plu ? 

Lucie : Je ne vois pas comment on peut ne pas aimer Firmin. Il apporte tellement de lumière (on y revient, je n’avais pas conscience du champ lexical de la lumière mais maintenant que tu le dis ça me saute aux yeux) et de douceur dans ce monde noir, étouffant, sans espoir… Un phare dans la nuit ! J’adore son surnom de Firmament d’ailleurs, quelle trouvaille ! Je suis curieuse de savoir ce que tu as ressenti lors de la première rencontre entre le jeune homme et Ermine ?

Liraloin : Il est le rayon d’une lumière qui n’existe plus, son intelligence se caractérise par sa poésie, cela touche également Ermine qui est transporté ailleurs d’où l’illustration (p.53). J’aime beaucoup ce personnage, d’une grande sensibilité. Ermine le surnomme Firmament rien que pour elle et comme toi j’ai trouvé que ce surnom était une belle trouvaille. Il y a une alchimie qui se fait très vite et naturellement. 

Lucie : Je me disais que c’était peut être grâce à son « instruction » qu’Ermine était si rapidement touchée par cette rencontre. Car Firmin n’est pas vraiment le mineur typique. Leur lien se crée au niveau intellectuel : ils aiment les mots, les sonorités, cela les anime et les aide à supporter leur quotidien. Qu’en penses-tu ?

Liraloin : Tout à fait ! je suis d’accord avec toi en ajoutant que le lien que le jeune homme établit avec les animaux ajoute à son empathie. 
Mais le rêve n’est pas la vie. Même si Ermine parle de Firmin et de son caractère à sa mère, cela fait rêver également sa petite sœur de 4 ans, Martine. Que penses-tu de l’autre membre de cette fratrie, le frère aîné d’Ermine ? 

Lucie : Guy… Lui pour le coup c’est la caricature du mineur. Brutal, rugueux, il n’est pas très aimable. Heureusement qu’Anne Loyer prend le temps de nous expliquer le ressentiment qu’il a pour Ermine, et ainsi de le rendre plus humain. Parce qu’il aurait le profil idéal pour être le “méchant” de l’histoire. On comprend tout de même qu’il a été forcé de grandir très vite, d’assumer des responsabilités très jeune et qu’il s’est forgé une “carapace” pour s’en sortir. Mais il reste extrêmement désagréable.

Liraloin : Tout à fait, et ce n’est pas un exercice facile pour une autrice d’échapper à la caricature car Guy en a tous les aspects. Cette profonde tristesse qu’il a en lui se transforme en brutalité, il ne sait réagir autrement. Oui, tu as raison, il est imbuvable. 

Lucie : A propos de la famille d’Ermine,que penses-tu de son rôle dans l’évolution de ce personnage ? 

Liraloin : Dans cette famille, Martine la petite sœur apporte du bonheur et permet à Gervaise de garder le sourire, l’innocence de la petite est palpable. Cette joie enfantine permet à Ermine de sortir un peu la tête de son quotidien harassant. Elle aime le rire grelot de sa petite sœur. Pourtant c’est tout de même Guy qui est pour moi comme une ombre qui s’étend de plus en plus sur ces femmes, le patriarcat est présent et il n’est pas atténué. Le foyer et donc la famille n’est plus un refuge pour Ermine, les obligations ont noyé le reste. 

Lucie : Tu as raison, ce patriarcat est très net et correspond évidemment à l’époque puisque ce roman se passe au 19ème siècle. Quand le père meurt, Guy prend le pouvoir sur la famille. Pouvoir dont il se passerait bien à mon avis mais qu’il assume avec la dureté qui le caractérise.

Liraloin : Oui merci de le préciser. L’époque est importante. Il en veut à cette famille, la mort de son père retarde aussi sa vie et son avenir.

Lucie : Nous avons une fois de plus utilisé le champ lexical de la lumière avec cette ombre que Guy étend sur la famille. C’est le moment de parler des illustrations qui répondent parfaitement au contraste entre ombres et lumières qui irrigue le texte, non ?

Liraloin : Ce contraste est très puissant et les 12 illustrations sont bien choisies. Elles alternent entre le rêve et la réalité. Il y a des planches qui apportent cette note d’espoir et en même temps quelques pages après on redescend du terre avec un dessin qui accentue la dureté de la vie. C’est une belle idée que d’avoir choisi d’illustrer ce roman. 

Lucie : La technique utilisée est particulièrement pertinente je trouve. Ces aplats noir qui laissent filtrer le blanc… cela correspond tellement bien à l’histoire d’Ermine et Firmin !

Liraloin : Puis tout s’accélère lorsqu’on approche de la fin. D’après toi, pourquoi Anne Loyer a choisi de précipiter (dans le bon sens du terme), son histoire ? D’ailleurs qu’en as-tu pensé de cette chute ? 

Lucie : Cette fin. On la voit venir, elle est annoncée et pourtant qu’il est difficile de s’y résoudre ! Une nouvelle fois, je trouve Anne Loyer courageuse d’avoir assumé jusqu’au bout sa résolution de véracité. Au risque de décevoir les lecteurs fleur bleue, la réalité de la mine était difficile, exigeante, et nous l’avons bien dit l’auteure ne cache rien des douleurs physiques, ni de la fatigue ou de la peur de ses personnages lorsqu’ils sont sous terre. La fin est donc triste, mais logique. 

Liraloin : Je suis complétement raccord avec toi et je trouve également qu’Anne Loyer y ajoute de la poésie malgré tout. C’est cela que je trouve très fort chez elle, la dernière illustration y est pour beaucoup. Est-ce que la liberté n’est pas justement dans cette fin et cette tragédie? 

Lucie : Oui, tu as raison. Ce roman ne fait pas dans l’optimisme forcené mais Anne Loyer parvient malgré tout à insuffler de l’espoir quelque soit la situation – aidée par Gérard DuBois et notamment comme tu le disais de sa magnifique dernière illustration. C’est très fort. Et c’est peut-être aussi ce qui a plu aux jeunes lecteurs ? Cet espoir dans une situation qui semble désespérée cela peut faire écho à ce qu’ils ressentent face à l’actualité ?

Liraloin : Oui car après tout cette histoire parle de cette liberté d’aimer.
Pour terminer, à qui conseillerais-tu ce roman ?

Lucie : Et bien sans surprise, parce que c’est toujours le cas des bons romans, à plein de lecteurs très différents. Je suis persuadée qu’il plairait à mon fils de 13 ans, mais aussi à des copines et je suis presque certaine que ma mère va me demander de le lui prêter. Le panel de lecteurs est donc étendu : ceux qui aiment l’histoire, qui veulent en apprendre plus sur l’univers minier, qui ont envie de découvrir un texte poétique et nuancé, avec une jolie histoire d’amour entre deux âmes blessées… J’ai oublié quelqu’un ? 

Liraloin : Ahahaha non, tu n’as oublié personne. Tout comme toi je pense que ce roman peut attirer un large lectorat. Je le conseillerais autant aux adultes qu’aux ados !

Lucie : Pour les plus curieux de nos lecteurs, je trouve que Charbon Bleu fait fortement écho à un autre titre de la sélection du Prix Vendredi : Vindicte met aussi en scène une femme dans une situation désespérée (c’est l’une des “tondues” de la Libération) confrontée au regard et au jugement des autres et particulièrement des hommes. Je les ai lus à la suite et j’ai trouvé ce parallèle stimulant.

Vindicte, Gildas Guyot, In8, 2024.

Liraloin : Je n’ai pas encore lu ce roman. Justement je trouve que c’est essentiel que des autrices et auteurs s’emparent de faits historiques pour ce devoir de mémoire que nous devons transmettre de génération en génération… Et le fait qu’ils plaisent comme nous avons pu le voir avec l’attribution du prix Vendredi des jeunes est très chouette !

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Pour conclure, la réaction à notre discussion de deux copinautes originaires de régions minières.

Linda : En bonne nordiste que je suis, j’avais envie de dire que la mine fait partie intégrante de notre patrimoine et les enfants grandissent avec des histoires de la mine. Les mineurs n’existent plus et il n’en reste guère de survivants aujourd’hui mais la mémoire collective est entretenue par les associations et les récits des enfants et petits-enfants de mineurs. Tous les enfants d’ici visitent au moins une fois dans leur vie le musée de la mine de Lewarde qui marque les esprits et donne vraiment à réfléchir sur cette vie, cette époque. Je ne connais pas un enfant ou ado qui soit ressorti déçu de cette visite et cela ne m’a donc pas étonné que les jeunes aient choisi ce titre…

Séverine : Je pourrais très exactement reprendre le propos de Linda en remplaçant Lewarde par « Puits Couriot » à Saint -Etienne ! Ici, c’est exactement cela aussi. En ce qui me concerne, j’essaie de transmettre à ma fille un bout de l’histoire locale, grâce notamment aux livres, mais c’est vrai qu’il me semble que la littérature jeunesse pèche un peu en la matière, en particulier pour les plus jeunes. Dernièrement, un album pour petit.e.s s’est démarqué : Mille mineurs, écrit et illustré magnifiquement par Evelyne Mary.

Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir l’histoire d’Ermine, d’autres romans d’Anne Loyer et, pourquoi pas, de visiter ces lieux d’histoire !

Le Prix Vendredi 2024, c’est parti !

Comme c’est le cas depuis quelques années, nous avons lu les titres de la sélection du Prix Vendredi – 8ème édition. Le Lauréat sera annoncé mardi 5 novembre dans la journée, et pour patienter nous vous proposons de découvrir nos avis sur ces romans destinés aux adolescents.

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Avec Chabon bleu, Anne Loyer fait découvrir à ses lecteurs la vie des mineurs du Nord de la France au XIXème siècle. Ermine, son héroïne, à échappé à la mine et pu poursuivre ses études. Jusqu’à ce qu’un drame vienne bouleverser son quotidien. Anne Loyer, ancienne journaliste, brosse un contexte étouffant tant dans le village que la famille ou dans la mine. La figure d’Ermine, dont l’esprit et la curiosité ont interpellé son professeur, détonne et attire les jugements. Elle illumine aussi ce récit par son courage et son intelligence. Qui lui permettent de faire une magnifique rencontre.

Les gravures de Gérard Dubois illustrent à merveille ce récit tout en contrastes. Les contours sont rugueux, les aplats de noir prennent beaucoup de place, et pourtant le blanc – éclatant – attire l’œil. Ce choix est en parfaite adéquation avec le texte très poétique de l’auteure.

Charbon bleu d’Anne Loyer, illustré par Gérard Dubois, D’eux, 2023.

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Un court roman ado bouleversant, d’une tristesse infinie par son sujet, si lumineux pourtant. Gros coup de cœur pour Séverine. Des jours comme des nuits raconte, par sa voix, l’histoire de Manon. Elle est collégienne. Petit frère turbulent. Mère qui cuisine fréquemment des pâtes. Elle se souvient. Elle n’est pas d’accord. Elle rêve. Elle pleure. Elle écrit. Elle est triste, souvent, heureuse, parfois. Elle grandit sans père. Elle a trouvé son corps, pendu au poirier de son enfance, le jour où il s’est suicidé. Il y a ses jours qui sont comme des nuits et ses nuits qui seront douces à nouveau, un jour. Il y aura ce jour où la vie gagne à la fin. Pour écrire ce deuil impossible, le manque, l’absence, le vide et le trop-plein de douleur, la présence partout, l’oubli jamais, et le sentiment de ne pas avoir assez profité du bonheur, la reconstruction d’une famille après la pire des tempêtes, Sébastien Joanniez déploie toute sa sensibilité et son empathie, tout en nuances et en subtilité, à l’image de la superbe couverture signée Anne Brouillard. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce roman, sous son apparente douceur, et ses murmures de désespoir, est un immense cri d’amour. Après sa récente Mention spéciale du jury pour On a supermarché sur la lune (sélection 2022), cette année pourrait bien être pour Sébastien Joanniez, l’année de la consécration. J’y crois.

Séverine

Des jours comme des nuits de Sébastien Joanniez, Rouergue, 2024

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Au fil d’une playlist de 51 titres, de Bowie à Gala, en passant par les Pink Floyd, Aurélien nous conte son histoire. L’histoire de ses deux mois chez Andréa. Andréa, c’est le frère de sa mère, de sa mère alcoolique qui dérive, dérive, loin de lui. Alors pendant qu’elle dérive, lui, Aurélien, s’amarre comme il peut. A son oncle, secret, silencieux et pourtant si attentif. A cette ville de bord de mer, Saint-Malo, où le parfum des embruns se mêle à celui des glaces sur la plage. A ses émotions qui l’habitent, le hantent, le bousculent. Et surtout à William. A sa présence. A ses silences. Nombreux. Précieux.

Je n’en dirai pas plus car le reste il faut aller le goûter entre les lignes de Julien Dufresne-Lamy. Dans son écriture, dans ses ritournelles, dans ce rythme si particulier qui nous plonge dans la tête d’un jeune adolescent des années 1990. Pas si différent des adolescents des années 2020 sans doute. Et j’aime à croire que si cette histoire d’amour et de filiation peut exister aujourd’hui et être porté par le prix Vendredi c’est que tout n’est pas aussi sombre qu’on veut parfois nous le faire croire. C’est que nos esprits se sont ouverts. Comme celui d’Andréa, un homme tellement loin des stéréotypes masculinistes qui peuvent parfois resurgir d’ici de là, qu’on en souhaite sur les chemins de tous nos jeunes qui vacillent. Pour s’amarrer puis reprendre le large quand le vent se lèvera.

Deux mois chez Andréa de Julien Dufresne-Lamy, Nathan, 2024

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« Infiltré » raconte, dans une langue drue, efficace, sous tension, le passage à l’Ouest, puis l’émigration aux Etats-Unis, du jeune Dietrich, étudiant brillant formé à la Caserne des Mathématiques et des Sciences de Berlin-Est, qui vise officiellement à former les ingénieurs de la RDA naissante. A moins que… Nous sommes dans les années 60, en pleine Guerre Froide. Dietrich intègre la prestigieuse université de Stanford, il y découvre la douceur de l’American way of life, il se lie d’amitié, tombe amoureux et en oublierait presque sa mission d’infiltration. Les retrouvailles avec sa mère, qui avait elle aussi fui le régime autoritaire est-allemand, marquent le début du déchirement et des choix à opérer. Une chose est sûre : la trahison sera forcément de la partie. L’amour maternel, l’amour tout court, ne le sauveront pas de son destin. Le roman oscille entre roman d’espionnage et roman d’apprentissage, le suspense et l’émotion sont, alternativement au rendez-vous.

Si, sortir de sa zone de confort, découvrir des univers inconnus, plonger au cœur d’histoires décalées, c’est ce qu’autorise la littérature, ce premier roman pour adolescents de Laurent Petitmangin, auteur multiprimé de littérature générale, a bien rempli sa mission. Pour ce qui me concerne. En revanche, je ne suis pas persuadée que ce roman ait bien sa place en jeunesse. Son héros manque, me semble-t-il, de proximité avec les émotions des ados d’aujourd’hui. A contrario, l’intrigue, le contexte géopolitique ne ne me paraissent pas assez développés pour un lectorat plus âgé, intéressé par l’Histoire du vingtième siècle. Peut mieux faire.

Infiltré de Laurent Petitmangin, Actes Sud Jeunesse, 2024.

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Au moment où Ludovic Lecomte invite le lecteur dans sa tête, voilà six mois que le narrateur de La cabane n’est pas sorti de chez lui. Pourquoi ? Quelles conséquences sur sa vie et son entourage ? Va-t-il parvenir à sortir ? Dans le décompte parfaitement maîtrisé des deux heures qui le séparent de son rendez-vous avec l’extérieur, l’auteur propose à son lecteur de tenter de comprendre ce que traversent les personnes touchées par le « syndrome de la cabane », ou hikikomori pour les japonais.

Une centaine de pages et 17 chapitres à rebours mêlent habilement émotions, flash-backs et stratégies pour reprendre le contrôle. Sans chercher à tout expliquer, Ludovic Lecomte parvient à ce que l’on soit en complète empathie, tant avec son personnage qu’avec son entourage. Ce qui est un exploit en soi ! Un roman poignant, malheureusement d’une grande actualité.

La cabane de Ludovic Lecomte, l’école des loisirs, 2024.

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La Chasse propose un postulat intéressant : Maureen Desmailles annonce dès le début que le genre du narrateur ne sera pas dévoilé et pousse ses lecteurs à s’interroger sur les stéréotypes. Et en effet, le narrateur ou la narratrice chasse, drague, pleure, couche, etc. sans jamais dévoiler si c’est une fille ou un garçon. J’ai trouvé ce parti pris assez stimulant d’autant que, collection L’Ardeur « oblige », l’ado va découvrir sa sexualité. Et force est de reconnaître que l’auteure tient son pari jusqu’au bout et se montre aussi créative dans les ébats de ses personnages que dans les actes et le vocabulaire employé. Cependant, si le sexe du personnage principal n’est jamais un motif pour s’y attacher, il faut reconnaître que ne pas savoir est intriguant au début, mais que cela peut – étrangement – freiner l’identification. D’autant que certaines des motivations des personnages sont difficiles à saisir. Un roman très pensé qui questionne, mais dont la réussite n’est pas aussi éclatante qu’on aurait pu l’espérer.

La chasse de Maureen Desmailles, Thierry Magnier, 2023.

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L’histoire prend place dans les Cévennes au dix-septième siècle et adopte le point de vue de ceux qui ne comptaient pas et n’étaient guère plus considérés que comme des vagabonds et des inutiles. En s’appuyant sur des documents historiques (notes d’un médecin, lettres et correspondances, ordonnances de Louis XIV…) cités à chaque début de chapitre, l’auteur nous renseigne sur cette époque à laquelle les gouvernants « établissent des codes forestiers pour chasser ceux qui s’y sont réfugiés et y trouvent de quoi survivre, accaparent les biens communs et affermissent leur contrôle sur ces territoires qui leur échappent.« 

Le récit est emprunt d’un message écologique qui résonne étrangement avec notre époque, tout en portant un regard féministe non moins actuel, au travers de cette jeune héroïne qui se bat pour préserver la forêt sauvage. L’écriture, entrainante, oscille entre la narration à la troisième personne et le vers libre, expression des pensées de La Louve ayant renoncé à la parole, des pensées bien plus expressives que les longs discours. L’ensemble forme un hymne puissant à la nature et à la liberté !

La louve d’Antonin Sabot, Talents Hauts, 2024.

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Les coquillages ne s’ouvrent qu’en été aborde des thématiques fortes. Maladie mentale (dépression) et quête d’identité sexuelle… Il fallait que Clara Héraut maîtrise suffisamment son récit pour éviter les écueils, béants, de tels sujets. Et c’est fort heureusement le cas ! En donnant la parole à deux sœurs successivement, elle parvient à alterner les points de vue d’une manière très maline. Chacune est enfermée dans ses problèmes, incapable de voir ceux de sa sœur ou même de communiquer avec elle, et très remontée qu’on ne lui accorde pas plus d’attention. Les tensions sont très bien amenées et sonnent parfaitement juste. L’auteure accorde une place à chacun de ses personnages, même les secondaires. Les émotions sont fortes, les sujets traités avec nuance. Et pour ne rien gacher l’atmosphère du pays Basque est charmante.

Les coquillages ne s’ouvrent qu’en été de Clara Héraut, Hachette, 2024.

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Reine de l’Ouest est un titre sur lequel nos avis sont partagés. Nous vous proposons donc les deux versants, et vous invitons à vous faire votre propre opinion si le cœur vous en dit !

Un avis peu enthousiaste : Avec sa Reine de l’Ouest, H. Lenoir propose de renouer avec le roman dont vous êtes le héros d’une manière modernisée. Modernisée de par le caractère de son héroïne aventurière, les personnages aux origines et aux orientations sexuelles variées, mais aussi en raison de la forte tendance de Miss Jones à coucher avec la plupart les personnages qu’elle rencontre. Autant être prévenu, cette lecture est réservée à un public très averti.

Si le concept est – par essence – ludique, on peut regretter qu’il ait empêché l’auteure de proposer des personnages à la psychologie plus fouillée. De même, la multitude de rapports sexuels peine à se renouveler et ce qui est amusant au début peut devenir un peu systématique, voire gênant. Le tout en utilisant des clichés éculés. On a connu l’auteure de Félicratie plus inspirée et on espère qu’elle retrouver sa verve et son humour très bientôt !

Un avis plus enjoué : « faites vos jeux… rien de va plus… » Entre une arrivée à Cottonwood ou Silver Falls, il va falloir faire un choix et de cette décision découlera votre aventure. La lectrice joueuse va incarner Miss Jones, jeune femme au caractère bien trempé et il en faut pour déjouer les pièges dans une vie de femme en 1892. Selon son envie et les possibilités laissées par l’autrice, l’aventure peut prendre une teinte rocambolesque saupoudrée d’érotisme ou bien de sagesse…

Ce roman peut étonner mais chacune peut y trouver son compte. Les deux aventures qui se sont offertes m’ont permis d’incarner Miss Jones très différemment et cela m’a amusé car le personnage est intelligent, piquant et surtout rien ne l’arrête. J’avais hâte de lire ce qui m’attendrais au prochain chapitre. Les scènes explicites ne sont pas choquantes et comme le dit Sonia Petit sur la 4ème de couverture : « Drôle, original et juste ce qu’il faut de « spicy » !

Reine de l’Ouest d’Hélène Lenoir, Sarbacane, 2024.

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Gildas Guyot parvient à insuffler de la nuance dans le récit historique communément admis, et c’est d’autant plus appréciable qu’elle s’attelle à l’épisode de la Libération. Oui, les occupants allemands ont fui, oui les alliés et les résistants ont pris le contrôle. Mais qu’en est-il du reste de la population, qui avait fait son possible pour traverser les années de collaboration ? L’auteure prend ici pour narratrice une femme tombée amoureuse d’un allemand. On sait quel sort a été réservé aux « poules à boches », mais à quoi ont-elles pu penser durant cette humiliation publique ? Autant de réponses à cette question que de femmes, de situations, de sentiments. Certaines ont fait ce qu’elles ont pensé judicieux pour survivre, d’autres ont simplement aimé. Toutes ont été « jugées » de la même manière, catalyseur de la compromission d’une grande majorité de la population.

Cette injustice est portée par la parole intérieure d’Arsinoé Ouvrard, qui malgré l’affront qu’elle subit en public reste une femme fière, amoureuse et endeuillée. En un mot, touchante. Cette « Vindicte » rappelle que la foule s’excite vite et fort, que ses dérives sont fréquentes. Trop de rancœurs à exprimer.

La France est libérée, mais la paix n’est pas pour tout le monde.

Vindicte de Gildas Guyot, Faction, 2024.

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Avez-vous lu certains de ces titres ? Lequel a votre préférence ? En attendant l’annonce du lauréat le 5 novembre, à vos pronostics !