Lecture commune : Le tour du monde des contes, Gilles Bizouerne & Fabienne Morel

Linda et Lucie sont passionnées par les contes traditionnels, leurs réécritures et leurs adaptations. Ce recueil des éditions Syros ne pouvait qu’attirer leur attention ! Comme son titre l’annonce en partie, il présente quatre contes célèbres et en propose des versions d’autres pays. De quoi ouvrir leurs horizons et alimenter une discussion…

Le tour du monde des contes de Gilles Bizouerne & Fabienne Morel, Syros, 2024.

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Lucie : Nous avons toutes deux été attirées par ce titre dans le catalogue des éditions Syros, pourquoi il t’a intéressée ?

Linda : J’aime beaucoup redécouvrir les contes au travers des réécritures, c’est d’ailleurs un thème plutôt en vogue (je pense par exemple à Flore Vesco et ses divers réécritures), et l’idée de découvrir des contes traditionnels dans des versions étrangères me plaisait bien. Je me suis d’ailleurs amusée en cherchant les similitudes entre les différentes versions d’un même conte.

Lucie : Connaissais-tu les quatre « grands contes » dont les auteurs présentent différentes versions ?

Linda : Je ne connaissais pas très bien les musiciens de Brême et finalement, pas trop non plus le Tom Pouce alors que j’étais persuadée l’avoir déjà lu. Et je me suis aussi rendue compte en lisant Les trois petits cochons que je me souvenais plutôt mal de la fin. Je crois que j’en avais une idée erronée à cause du court métrage de Walt Disney (1933) que j’ai beaucoup vu avec les enfants et qui propose un final moins sombre, forcément, avec notamment le méchant qui est puni et les cochons qui survivent.

Lucie : Il est vrai que Walt Disney s’est beaucoup inspiré des contes traditionnels européens et en a modifié notre perception. Mais j’avoue adorer cette version…

Linda : Je suis aussi une grande fan.

Lucie : Revenons à ce recueil, quel corpus t’a le plus intéressée ?

Linda : Le lièvre et la tortue ! Mais c’est aussi parce que j’ai un faible pour cette histoire que je trouve moins violente. Ici c’est la ruse qui est mise en avant. J’ai d’ailleurs particulièrement aimé la version bretonne Le renard et l’escargot dans lequel c’est l’escargot qui se montre rusé alors qu’on a plutôt l’habitude que ce soit le goupil.

Lucie : J’ai beaucoup aimé ce corpus aussi. D’autant que pour moi Le lièvre et la tortue était une Fable et pas un conte, cette lecture est très enrichissante tant sur le fond que sur la forme.

Linda : C’est pour ça que l’histoire est moins violente… 

Lucie : Ma version préférée est celle avec les taupes. Je l’ai trouvée franchement géniale !

Linda : C’est probablement la plus drôle aussi.

Lucie : En revanche, j’ai parfois peiné à voir les liens entre les différents contes proposés, surtout dans ceux qui sont associés aux Musiciens de Brême.

Linda : C’est vrai qu’il m’a parfois fallu une deuxième lecture pour faire des liens. La version chinoise de ce conte est assez particulière. Et j’ai de fait apprécié les explications qu’on trouve dans le dossier de fin d’ouvrage. Je me suis d’ailleurs demandée s’il n’était pas plus difficile pour nous de faire du lien avec certains textes justement parce qu’ils s’éloignent davantage de notre culture et nos représentations. Je ne sais pas si c’est pareil pour toi mais j’ai surtout eu du mal à faire le lien avec les versions venues d’Asie, voire parfois même d’Europe de l’est.

Lucie : Tu as raison, les cultures sont si différentes que les écarts de thèmes sautent plus facilement aux yeux. Mais pour ma part j’avais eu l’occasion de lire la version roumaine de Tom Pouce, Neghiniţă présente dans le recueil Hadji Tudose de Barbu Delarancea traduit par Gabrielle Danoux. Et comme cette lecture était plus récente que celle du conte original je n’ai pas été trop perdue !

Lucie : Comme tu le disais précédemment, j’ai moi aussi beaucoup apprécié les explications en annexe du recueil, et notamment l’utilisation des codes de classification des contes qui explicitent les liens qui ne sautent pas forcément aux yeux à la première lecture. Connaissais-tu cette classification ?

Linda : Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris cette histoire de code (les T quelque chose) mais les informations sont, elles, bien claires et aident bien à la compréhension et à faire du lien entre chaque texte.

Lucie : Il s’agit de la classification des contes Aarne-Thompson-Uther dont parle aussi Lou Lubie dans son excellent Et à la fin ils meurent. Elle aborde y aussi les adaptations de Disney de manière assez amusante.

Linda : Entre le conte de Bardu Delarencea et ce livre de Lou Lubie, j’ai des références à ajouter à mon catalogue de livres à lire !

Et à la fin ils meurent de Lou Lubie, Delcourt, 2021.

Lucie : Qu’as-tu pensé des illustrations ?

Linda : J’ai aimé que chaque histoire ait un.e illustrateur.ice attitré.e car je trouve que cela crée une forme de cohésion entre chaque texte du corpus et renforce l’unité.

Lucie : Je suis d’accord avec toi, j’ai bien aimé cette unité visuelle malgré les variations des histoires.

Lucie : Tout en discutant avec toi je feuillette le livre et je suis tombée sur la dernière page qui liste les autres titres de la collection. Je suis curieuse : est-ce que l’un d’entre eux t’attire particulièrement ?

Linda : Les Belles très certainement… Je suis une fan inconditionnelle de La Belle et la Bête donc en lire d’autres versions me plairait bien, d’autant qu’elles sont annoncées “incroyables”. Et toi ?

Lucie : Moi aussi je suis très très fan de La Belle et la Bête (je me suis d’ailleurs offert la magnifique version illustrée par MinaLima) et le recueil des Belles me tente bien. Je me dis que les princesses ont peut-être plus d’espace et de caractère à exprimer que dans les adaptations qui en ont été faites. Même si on remarque une tendance aux personnages féminin plus affirmés depuis les années 2000.

Le tour du monde d’un conte, Les Belles, Fabienne Morel et Gilles Bizouerne, Syros, 2021.

Lucie : Concluons avec la question rituelle : à qui recommanderais-tu cette lecture ?

Linda : Aux amateurs de contes d’abord. Ensuite, peut-être aux enseignants (je crois me souvenir qu’il y a une séquence sur le conte en 6ème) : pour mettre en avant des textes du monde de la même manière qu’on le fait avec les textes fondateurs. Après je pense que si les histoires en elles-même peuvent plaire aux enfants (pas trop jeunes quand même), cela reste un livre qui parlera aussi aux adultes, justement parce qu’il met en avant des explications assez complexes.

Lucie : Je me dis que les enfants peuvent certainement apprécier ces contes sans en chercher les liens (peut-être les feront-ils seuls d’ailleurs, ils sont souvent étonnants à ce niveau-là). Mais en tant que recueil, effectivement les fans de contes et les enseignants semblent les plus à même d’exploiter la richesse des liens entre ces histoires.

Linda : Je trouve les contes trop souvent violents et effrayants pour être lus aux enfants. Certains donnent aussi un regard assez négatif sur certains personnages tel le loup pour n’en citer qu’un et c’est aussi pour ça que j’ai du mal à le recommander aux jeunes lecteurs.

Lucie : Dans ce recueil je n’ai pas été gênée par la violence, peut-être parce qu’il me semble qu’un certain nombre de versions originales abordent de toute manière des sujets très difficiles tels que l’abandon d’enfants, les meurtres, la manipulation… Il faut peut-être simplement mettre en garde les lecteurs et les inviter à choisir les contes les plus appropriés à l’âge de leurs auditeurs ?

Linda : Oui sans doute. Et puis, dans le cadre familial, je pense que chaque parent est capable de savoir ce qu’il peut lire à son enfant. Chacun a un seuil de tolérance propre, certains enfants ne voient pas forcément l’horreur comme une peur, ils la surmontent dès la page tournée… 

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Avez-vous envie de découvrir ce Tour du monde des contes ? Connaissez-vous des versions étonnantes ou peu connues de contes ? Lequel préférez-vous ?

La Grande Guerre – Devoir de mémoire

Signé le 11 novembre 1918 au matin, l’Armistice met fin aux combats de la Première Guerre Mondiale et reconnaît la victoire des Alliés et la défaite de l’Allemagne.
En ce lundi 11 novembre 2024, nous vous proposons une sélection de livres qui racontent la Grande Guerre et rendent son histoire compréhensible par tous.

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Un très bel album pour raconter la guerre à travers les yeux d’une enfant qui voit son frère partir dès août 1944. Envoyé à Verdun, il lui fait parvenir des lettres qui permettent de découvrir la (sur)vie sur place. Pendant ce temps au village, les familles endeuillées se multiplient et la petite Lulu assiste désemparée au chagrin de ces ami.es et voisins, gardant l’espoir de voir revenir son frère vivant. Touchant dans son propos, l’histoire aborde des thèmes centraux de cette Grande Guerre : la couleur de l’uniforme, les tranchées et le manque d’hygiène, les Poilus, les traumatismes et autres séquelles physiques…

Lulu et la grande guerre de Fabian Grégoire, l’école des loisirs collection Archimède, 2005.

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En débloquant un tiroir secret d’un bureau qu’il restaure, le narrateur découvre une boîte contenant une lettre adressée à une certaine Mrs Jim Macpherson. Curieux il se met à lire cette correspondance dans laquelle un mari raconte à son épouse les événements incroyables de cette nuit hors du temps, de cette matinée glaciale au cours de laquelle des soldats des deux camps levèrent le drapeau blanc pour partager leur repas de Noël, jouer au foot, rire et oublier, le temps d’une nuit, la folie des combats, l’éloignement des familles, la mort d’un frère, d’un ami, la fatigue harassante de combats qu’on leur avait promis brefs.

Michael Morpurgo déploie son talent de conteur pour mettre en scène cette histoire de fraternité universelle et en fait un souvenir intemporel auquel Michael Foreman donne vie dans des illustrations de toute beauté. Ces cieux nocturnes aux couleurs froides sont teintés par la chaleur du levant, seul témoin de la fraternité de ces soldats, qui le temps d’une nuit sont redevenus simplement des hommes. Au-delà de la lettre, l’auteur pare son récit des valeurs de Noël en faisant de son narrateur le porteur d’une surprise à une vieille femme qui croyait avoir perdu pour toujours cet homme chéri, lui apportant par-là même, le repos de l’âme avant son dernier voyage. Tout simplement magnifique !

La trêve de Noël de Michael Morgurgo & Michael Foreman, Gallimard jeunesse, 2018.

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Un album pour dire l’absurdité de la guerre, c’est ainsi que Petit Soldat se définit.
Glorifié pour avoir fait prisonniers plusieurs soldats ennemis, Pierre va ensuite être puni, condamné pour l’exemple, alors qu’il rejoint son campement déserté deux jours plus tôt. Le texte de peu de mots suffit à montrer l’horreur de sa situation et à toucher. L’album séduit par son originalité graphique, les auteurs ont reconstruit et photographié chaque scène avec des soldats de plomb rendant l’expérience encore plus poignante de réalisme.

Petit soldat de Pierre-Jacques Ober & Jules Ober, Seuil, 2018.

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La Première Guerre Mondiale s’est déroulée il y a plus d’un siècle, et pourtant elle est toujours là, parmi nous, avec nous. Tous les jours, Elle se rappelle à nous : par ses monuments aux Morts, par un jour Férié, par une photo familiale, par des Archives, par un film, par des objets, et bien sûr, par les livres. Ceux écrits alors. Ceux écrits aujourd’hui. Car la Grande Guerre n’a de cesse de résonner.

A partir d’objets d’époque, d’avant la guerre et pendant le conflit, les auteurs ont imaginé une histoire. Une histoire certes fictive, mais qui en regroupe tant d’autres, des vraies. Ces objets sont des poupées, des jeux d’enfants, des cartes, des affiches, un coupe-papier, des petits soldats, une lanterne, une gamelle, des photos. Des objets ordinaires, du quotidien, devenus extraordinaires, lourds d’histoires, et désormais porteurs du devoir de mémoire.

Un album fort en émotions qui nous fait traverser tout le conflit par une approche belle, originale, intime et émouvante.

La guerre en mille morceaux ou le musée du soldat Machin. Texte d’Alain SERRES et illustrations de Zaü. Editions Rue du Monde, novembre 2018

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Joey, un jeune cheval élevé dans une ferme en Angleterre, a été vendu à l’armée. Passer du travail de cheval de ferme à celui de cheval de guerre n’aurait sans doute pas été si facile si son nouveau maître n’avait pas été aussi bon qu’Albert, le fils du fermier, qui prenait soin de lui tel un ami. C’est au travers de ces yeux que l’histoire nous est présentée, proposant un point de vue très intéressant et original qui permet de ne se positionner dans aucun camp

Ces mêmes visages gris regardant de dessous la casque, je les avais déjà vus quelque part. La seule différence, c’était les uniformes: aujourd’hui, ils étaient gris avec un liserés rouge et les casques n’étaient plus ronds et à larges bords.

Les horreurs de la guerre sont aussi dures et bouleversantes dans les yeux d’un cheval que dans ceux de l’Homme et ce n’est que grâce à l’amitié de Topthorn, un magnifique pur-sang noir, que Joey traverse les épreuves de la guerre avec force et courage, survivant à bien de cruelles situations. Leur quotidien est fait de durs labeurs, de peur, de faim, de saleté, de blessures et de maladie, seul le soutien qu’ils s’apportent l’un l’autre le maintient en vie. Mais comme les Hommes, les chevaux garderont des blessures de l’âme et se trouveront à jamais changés par les horreurs de ces sombres années.

Cheval de guerre, Michael Morpurgo, Folio junior, 2018.

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30 Juillet 1914, Adèle va sur ses quatorze ans. Elle est la troisième d’une famille de quatre enfants, et la seule fille. La Première guerre mondiale est imminente et Adèle ressent le besoin de se confier à quelqu’un. C’est comme ça qu’elle décide de commencer à écrire un journal. Roman épistolaire sur fond de première guerre mondiale, on suit Adèle et sa famille, ses amis, et les habitants de son village, Crécy en Bourgogne, pendant les quatre longues années que durera la guerre. Au travers de cette jeune fille, Paule du Bouchet relate la vie de ceux qui n’étaient pas sur le front, les femmes en premier lieu, mais également les enfants et les vieillards, leur quotidien et l’attente douloureuse des nouvelles…

 Comme elles sont douloureuses, ces séparations! Douloureuses au point de maudire ces permissions tant désirées… 

Le journal d’Adèle de Paule Du Bouchet, folio junior, 2017.

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Saviez-vous que c’est dans le contexte de la Première guerre mondiale que démarre l’histoire de l’ourse ayant inspiré le célèbre Winnie l’ourson ?

Achetée par le lieutenant Harry Colebourn alors que son régiment était en route pour l’Europe, la petite Winnipeg a été mascotte de son régiment de cavalerie canadienne avant d’être confiée au zoo de Londres lors de la dernière escale des soldats avant de rejoindre la France. C’est au zoo elle fera la rencontre de Christopher, fils d’A.A.Milne qui décidera d’écrire leurs aventures. Mais il y a fort à parier que sans l’attachement qui liait l’oursonne à son maître, jamais des enfants n’auraient pu entrer dans sa cage. Et Winnie l’ourson : Histoire d’un ours-comme-ça (certes moins connu que l’adaptation qu’en ont fait les studios Disney) n’aurait pas été écrit.

Winnie et la grande guerre, Lindsay Mattick et Josh Greenhut, L’école des loisirs, 2020.

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Une nuit. Une nuit pour évoquer l’enfance. Une nuit pour raconter les horreurs de la première Guerre Mondiale. Une nuit pour passer définitivement à l’âge adulte. À travers le récit de Tommo, Michael Morpurgo déploie tout son talent de conteur pour partager ses valeurs humanistes. La famille Peaceful, malgré un nom de bonne augure, aura son lot de tragédies et de difficultés. Mais elle saura rester unie, protégée par une mère aimante et attentive.

C’est par le récit de cette enfance dans la campagne anglaise que Morpurgo ferre son lecteur. Et il ne le lâchera plus. Contraint et forcé, conscient du drame inévitable, il suivra les frères Peaceful sur le front, dans les tranchées. En quelques pages, le froid, la peur, la fatigue, les rats, la vermine, tout est dit. La bêtise humaine aussi, le danger le plus mortel de tous. Un grand roman sur la guerre, motif récurent dans l’œuvre de Morpurgo, à poursuivre avec le film Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick.

Soldat Peaceful, Michael Morpurgo, Gallimard jeunesse, 2018.

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La Grande guerre comme source d’une violence qui va emporter toute une famille sur plusieurs générations. C’est la vision que propose Anne-Laure Bondoux dans Nous traverserons des orages. Les hommes y subissent la violence des combats, le traumatisme de la mort et la rapportent dans leur foyer.

Il y a quelque chose de désespérant à lire ces destins fracassés par l’Histoire. Le sentiment que le cercle vicieux ne pourra pas s’arrêter. Pourtant, chacun est témoin des erreurs de son père, se jure que l’on ne l’y prendra pas. Et le lecteur d’y croire avec eux, jusqu’au geste fatal. Avec une grande maîtrise, l’auteure oblige ses lecteurs à s’interroger sur la source de cette violence. Se transmet-elle dans les gènes ? Vient-elle du vécu de ces hommes envoyés au front puis confrontés à un quotidien frustrant ? Quelle place pour les femmes dans ce cercle vicieux ? L’autre force de ce récit, c’est que chacun pourra associer l’expérience et les doutes d’un personnage à un père, un grand-père ou un arrière-grand-père.

Nous traverserons des orages, Anne-Laure Bondoux, Gallimard jeunesse, 2023.

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Ce livre est issu du projet de six musées des Vosges qui, en 2014, se sont associés à l’École Supérieure d’Art d’Epinal et aux Éditons du pourquoi pas ? pour créer un parcours d’expositions à l’occasion du centenaire la Grande Guerre. Illustré par Zoé Thouron, ancienne élève de l’École, « La vie encore« , est le texte écrit à cette occasion par Thomas Scotto. Dans chaque musée, un personnage avait été choisi : le musicien, l’enfant, la femme, le peintre et le passant, que l’on retrouve au fil des pages, dans lesquelles c’est la guerre elle-même qui tient le rôle principal. Rien n’est épargné : ni l’horreur des combats, bruits et cris mêlés, ni le sang, les mutilations, ni la peur dans les tranchées, ni les morts, ni la désolation après son passage… Pourtant, et c’est là la grande force de ce texte, la poésie et la délicatesse pour dire l’indicible se faufilent au détour d’une phrase, d’une situation, si bien qu’il ne tombe jamais dans le glauque ou le pathos. Et quand, avec toute la puissance et la magie de ses mots, Thomas Scotto raconte aussi les femmes restées au pays qui endossent des rôles nouveaux, la solidarité entre soldats car la guerre « fabrique des frères« , l’instant de grâce d’une mélodie sur un violoncelle improvisé, la vie qui « résiste au creux des plus petits endroits« , ce n’est pas le désespoir qui nous saisit, mais bien l’espérance de matins nouveaux, où l’on f(s)era décidément, et définitivement, la paix.

La vie encore, Thomas Scotto, Zoé Thouron, Editions du Pourquoi Pas ?, 2014

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Avec ce roman, Hervé Giraud sort ici de ses thématiques habituelles… par la grande porte ! Dans une dualité de temporalité, de ton, d’enjeu, très complémentaires et qui font l’originalité du roman, c’est à la fois la Grande Guerre qu’il raconte, son horreur, son traumatisme, par la voix du soldat Botillon, et un récit initiatique, par la voix de son arrière-petit-fils, passant de l’innocence de l’enfant qui joue à la guéguerre, à la conviction qu’il peut être un messager de paix…Et la petite histoire rejoint la grande. Grandiose !
Comme toujours avec cette auteur, on passe du rire aux larmes le temps de le lire et c’est ce qui fait de ses romans des OLNI (Objets Littéraires Non Identifiés) uniques.
On est tour à tour horrifié.e par les descriptions, du champ de bataille comme des mutilations subies, on est indigné.e par le mépris des états-majors pour la chair à canon, les yeux se mouillent quand on lit l’amour entre le soldat Bottillon et sa dulcinée, quand on observe, comme lui, le cœur battant, dans l’ombre, sa fille qui grandit et devient une star adulée, on est bouleversé.e par la solitude de l’après, pour celui qui, gueule-cassée, ne trouve la sérénité qu’à la nuit tombée. Quant à la révélation finale, elle est complètement renversante. Avec ce roman pacifiste et engagé, Hervé Giraud offre aux jeunes générations un très beau récit, d’une humanité sincère et émouvante, pour un devoir de mémoire plus nécessaire que jamais.
 

Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon, d’Hervé Giraud, Thierry Magnier jeunesse, 2013.

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Et vous, quels titres vous permettent d’aborder cette période dramatique et de toucher du doigt le quotidien des civils comme des soldats en temps de guerre ?

Le Prix Vendredi 2024, c’est parti !

Comme c’est le cas depuis quelques années, nous avons lu les titres de la sélection du Prix Vendredi – 8ème édition. Le Lauréat sera annoncé mardi 5 novembre dans la journée, et pour patienter nous vous proposons de découvrir nos avis sur ces romans destinés aux adolescents.

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Avec Chabon bleu, Anne Loyer fait découvrir à ses lecteurs la vie des mineurs du Nord de la France au XIXème siècle. Ermine, son héroïne, à échappé à la mine et pu poursuivre ses études. Jusqu’à ce qu’un drame vienne bouleverser son quotidien. Anne Loyer, ancienne journaliste, brosse un contexte étouffant tant dans le village que la famille ou dans la mine. La figure d’Ermine, dont l’esprit et la curiosité ont interpellé son professeur, détonne et attire les jugements. Elle illumine aussi ce récit par son courage et son intelligence. Qui lui permettent de faire une magnifique rencontre.

Les gravures de Gérard Dubois illustrent à merveille ce récit tout en contrastes. Les contours sont rugueux, les aplats de noir prennent beaucoup de place, et pourtant le blanc – éclatant – attire l’œil. Ce choix est en parfaite adéquation avec le texte très poétique de l’auteure.

Charbon bleu d’Anne Loyer, illustré par Gérard Dubois, D’eux, 2023.

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Un court roman ado bouleversant, d’une tristesse infinie par son sujet, si lumineux pourtant. Gros coup de cœur pour Séverine. Des jours comme des nuits raconte, par sa voix, l’histoire de Manon. Elle est collégienne. Petit frère turbulent. Mère qui cuisine fréquemment des pâtes. Elle se souvient. Elle n’est pas d’accord. Elle rêve. Elle pleure. Elle écrit. Elle est triste, souvent, heureuse, parfois. Elle grandit sans père. Elle a trouvé son corps, pendu au poirier de son enfance, le jour où il s’est suicidé. Il y a ses jours qui sont comme des nuits et ses nuits qui seront douces à nouveau, un jour. Il y aura ce jour où la vie gagne à la fin. Pour écrire ce deuil impossible, le manque, l’absence, le vide et le trop-plein de douleur, la présence partout, l’oubli jamais, et le sentiment de ne pas avoir assez profité du bonheur, la reconstruction d’une famille après la pire des tempêtes, Sébastien Joanniez déploie toute sa sensibilité et son empathie, tout en nuances et en subtilité, à l’image de la superbe couverture signée Anne Brouillard. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce roman, sous son apparente douceur, et ses murmures de désespoir, est un immense cri d’amour. Après sa récente Mention spéciale du jury pour On a supermarché sur la lune (sélection 2022), cette année pourrait bien être pour Sébastien Joanniez, l’année de la consécration. J’y crois.

Séverine

Des jours comme des nuits de Sébastien Joanniez, Rouergue, 2024

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Au fil d’une playlist de 51 titres, de Bowie à Gala, en passant par les Pink Floyd, Aurélien nous conte son histoire. L’histoire de ses deux mois chez Andréa. Andréa, c’est le frère de sa mère, de sa mère alcoolique qui dérive, dérive, loin de lui. Alors pendant qu’elle dérive, lui, Aurélien, s’amarre comme il peut. A son oncle, secret, silencieux et pourtant si attentif. A cette ville de bord de mer, Saint-Malo, où le parfum des embruns se mêle à celui des glaces sur la plage. A ses émotions qui l’habitent, le hantent, le bousculent. Et surtout à William. A sa présence. A ses silences. Nombreux. Précieux.

Je n’en dirai pas plus car le reste il faut aller le goûter entre les lignes de Julien Dufresne-Lamy. Dans son écriture, dans ses ritournelles, dans ce rythme si particulier qui nous plonge dans la tête d’un jeune adolescent des années 1990. Pas si différent des adolescents des années 2020 sans doute. Et j’aime à croire que si cette histoire d’amour et de filiation peut exister aujourd’hui et être porté par le prix Vendredi c’est que tout n’est pas aussi sombre qu’on veut parfois nous le faire croire. C’est que nos esprits se sont ouverts. Comme celui d’Andréa, un homme tellement loin des stéréotypes masculinistes qui peuvent parfois resurgir d’ici de là, qu’on en souhaite sur les chemins de tous nos jeunes qui vacillent. Pour s’amarrer puis reprendre le large quand le vent se lèvera.

Deux mois chez Andréa de Julien Dufresne-Lamy, Nathan, 2024

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« Infiltré » raconte, dans une langue drue, efficace, sous tension, le passage à l’Ouest, puis l’émigration aux Etats-Unis, du jeune Dietrich, étudiant brillant formé à la Caserne des Mathématiques et des Sciences de Berlin-Est, qui vise officiellement à former les ingénieurs de la RDA naissante. A moins que… Nous sommes dans les années 60, en pleine Guerre Froide. Dietrich intègre la prestigieuse université de Stanford, il y découvre la douceur de l’American way of life, il se lie d’amitié, tombe amoureux et en oublierait presque sa mission d’infiltration. Les retrouvailles avec sa mère, qui avait elle aussi fui le régime autoritaire est-allemand, marquent le début du déchirement et des choix à opérer. Une chose est sûre : la trahison sera forcément de la partie. L’amour maternel, l’amour tout court, ne le sauveront pas de son destin. Le roman oscille entre roman d’espionnage et roman d’apprentissage, le suspense et l’émotion sont, alternativement au rendez-vous.

Si, sortir de sa zone de confort, découvrir des univers inconnus, plonger au cœur d’histoires décalées, c’est ce qu’autorise la littérature, ce premier roman pour adolescents de Laurent Petitmangin, auteur multiprimé de littérature générale, a bien rempli sa mission. Pour ce qui me concerne. En revanche, je ne suis pas persuadée que ce roman ait bien sa place en jeunesse. Son héros manque, me semble-t-il, de proximité avec les émotions des ados d’aujourd’hui. A contrario, l’intrigue, le contexte géopolitique ne ne me paraissent pas assez développés pour un lectorat plus âgé, intéressé par l’Histoire du vingtième siècle. Peut mieux faire.

Infiltré de Laurent Petitmangin, Actes Sud Jeunesse, 2024.

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Au moment où Ludovic Lecomte invite le lecteur dans sa tête, voilà six mois que le narrateur de La cabane n’est pas sorti de chez lui. Pourquoi ? Quelles conséquences sur sa vie et son entourage ? Va-t-il parvenir à sortir ? Dans le décompte parfaitement maîtrisé des deux heures qui le séparent de son rendez-vous avec l’extérieur, l’auteur propose à son lecteur de tenter de comprendre ce que traversent les personnes touchées par le « syndrome de la cabane », ou hikikomori pour les japonais.

Une centaine de pages et 17 chapitres à rebours mêlent habilement émotions, flash-backs et stratégies pour reprendre le contrôle. Sans chercher à tout expliquer, Ludovic Lecomte parvient à ce que l’on soit en complète empathie, tant avec son personnage qu’avec son entourage. Ce qui est un exploit en soi ! Un roman poignant, malheureusement d’une grande actualité.

La cabane de Ludovic Lecomte, l’école des loisirs, 2024.

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La Chasse propose un postulat intéressant : Maureen Desmailles annonce dès le début que le genre du narrateur ne sera pas dévoilé et pousse ses lecteurs à s’interroger sur les stéréotypes. Et en effet, le narrateur ou la narratrice chasse, drague, pleure, couche, etc. sans jamais dévoiler si c’est une fille ou un garçon. J’ai trouvé ce parti pris assez stimulant d’autant que, collection L’Ardeur « oblige », l’ado va découvrir sa sexualité. Et force est de reconnaître que l’auteure tient son pari jusqu’au bout et se montre aussi créative dans les ébats de ses personnages que dans les actes et le vocabulaire employé. Cependant, si le sexe du personnage principal n’est jamais un motif pour s’y attacher, il faut reconnaître que ne pas savoir est intriguant au début, mais que cela peut – étrangement – freiner l’identification. D’autant que certaines des motivations des personnages sont difficiles à saisir. Un roman très pensé qui questionne, mais dont la réussite n’est pas aussi éclatante qu’on aurait pu l’espérer.

La chasse de Maureen Desmailles, Thierry Magnier, 2023.

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L’histoire prend place dans les Cévennes au dix-septième siècle et adopte le point de vue de ceux qui ne comptaient pas et n’étaient guère plus considérés que comme des vagabonds et des inutiles. En s’appuyant sur des documents historiques (notes d’un médecin, lettres et correspondances, ordonnances de Louis XIV…) cités à chaque début de chapitre, l’auteur nous renseigne sur cette époque à laquelle les gouvernants « établissent des codes forestiers pour chasser ceux qui s’y sont réfugiés et y trouvent de quoi survivre, accaparent les biens communs et affermissent leur contrôle sur ces territoires qui leur échappent.« 

Le récit est emprunt d’un message écologique qui résonne étrangement avec notre époque, tout en portant un regard féministe non moins actuel, au travers de cette jeune héroïne qui se bat pour préserver la forêt sauvage. L’écriture, entrainante, oscille entre la narration à la troisième personne et le vers libre, expression des pensées de La Louve ayant renoncé à la parole, des pensées bien plus expressives que les longs discours. L’ensemble forme un hymne puissant à la nature et à la liberté !

La louve d’Antonin Sabot, Talents Hauts, 2024.

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Les coquillages ne s’ouvrent qu’en été aborde des thématiques fortes. Maladie mentale (dépression) et quête d’identité sexuelle… Il fallait que Clara Héraut maîtrise suffisamment son récit pour éviter les écueils, béants, de tels sujets. Et c’est fort heureusement le cas ! En donnant la parole à deux sœurs successivement, elle parvient à alterner les points de vue d’une manière très maline. Chacune est enfermée dans ses problèmes, incapable de voir ceux de sa sœur ou même de communiquer avec elle, et très remontée qu’on ne lui accorde pas plus d’attention. Les tensions sont très bien amenées et sonnent parfaitement juste. L’auteure accorde une place à chacun de ses personnages, même les secondaires. Les émotions sont fortes, les sujets traités avec nuance. Et pour ne rien gacher l’atmosphère du pays Basque est charmante.

Les coquillages ne s’ouvrent qu’en été de Clara Héraut, Hachette, 2024.

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Reine de l’Ouest est un titre sur lequel nos avis sont partagés. Nous vous proposons donc les deux versants, et vous invitons à vous faire votre propre opinion si le cœur vous en dit !

Un avis peu enthousiaste : Avec sa Reine de l’Ouest, H. Lenoir propose de renouer avec le roman dont vous êtes le héros d’une manière modernisée. Modernisée de par le caractère de son héroïne aventurière, les personnages aux origines et aux orientations sexuelles variées, mais aussi en raison de la forte tendance de Miss Jones à coucher avec la plupart les personnages qu’elle rencontre. Autant être prévenu, cette lecture est réservée à un public très averti.

Si le concept est – par essence – ludique, on peut regretter qu’il ait empêché l’auteure de proposer des personnages à la psychologie plus fouillée. De même, la multitude de rapports sexuels peine à se renouveler et ce qui est amusant au début peut devenir un peu systématique, voire gênant. Le tout en utilisant des clichés éculés. On a connu l’auteure de Félicratie plus inspirée et on espère qu’elle retrouver sa verve et son humour très bientôt !

Un avis plus enjoué : « faites vos jeux… rien de va plus… » Entre une arrivée à Cottonwood ou Silver Falls, il va falloir faire un choix et de cette décision découlera votre aventure. La lectrice joueuse va incarner Miss Jones, jeune femme au caractère bien trempé et il en faut pour déjouer les pièges dans une vie de femme en 1892. Selon son envie et les possibilités laissées par l’autrice, l’aventure peut prendre une teinte rocambolesque saupoudrée d’érotisme ou bien de sagesse…

Ce roman peut étonner mais chacune peut y trouver son compte. Les deux aventures qui se sont offertes m’ont permis d’incarner Miss Jones très différemment et cela m’a amusé car le personnage est intelligent, piquant et surtout rien ne l’arrête. J’avais hâte de lire ce qui m’attendrais au prochain chapitre. Les scènes explicites ne sont pas choquantes et comme le dit Sonia Petit sur la 4ème de couverture : « Drôle, original et juste ce qu’il faut de « spicy » !

Reine de l’Ouest d’Hélène Lenoir, Sarbacane, 2024.

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Gildas Guyot parvient à insuffler de la nuance dans le récit historique communément admis, et c’est d’autant plus appréciable qu’elle s’attelle à l’épisode de la Libération. Oui, les occupants allemands ont fui, oui les alliés et les résistants ont pris le contrôle. Mais qu’en est-il du reste de la population, qui avait fait son possible pour traverser les années de collaboration ? L’auteure prend ici pour narratrice une femme tombée amoureuse d’un allemand. On sait quel sort a été réservé aux « poules à boches », mais à quoi ont-elles pu penser durant cette humiliation publique ? Autant de réponses à cette question que de femmes, de situations, de sentiments. Certaines ont fait ce qu’elles ont pensé judicieux pour survivre, d’autres ont simplement aimé. Toutes ont été « jugées » de la même manière, catalyseur de la compromission d’une grande majorité de la population.

Cette injustice est portée par la parole intérieure d’Arsinoé Ouvrard, qui malgré l’affront qu’elle subit en public reste une femme fière, amoureuse et endeuillée. En un mot, touchante. Cette « Vindicte » rappelle que la foule s’excite vite et fort, que ses dérives sont fréquentes. Trop de rancœurs à exprimer.

La France est libérée, mais la paix n’est pas pour tout le monde.

Vindicte de Gildas Guyot, Faction, 2024.

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Avez-vous lu certains de ces titres ? Lequel a votre préférence ? En attendant l’annonce du lauréat le 5 novembre, à vos pronostics !

La mort : entre deuil et célébration

La Toussaint en Europe, Día de los Muertos au Mexique sont autant de moments qui permettent aux vivants de célébrer les morts. Entre recueillement et souvenirs, ces fêtes prennent place en Novembre, mois des morts. Cette année nous avions envie de proposer une sélection d’ouvrages qui permettent d’accompagner la mort et d’entretenir la mémoire des disparus.

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La fin est-elle vraiment une fin ? C’est pour guider les enfants dans ce questionnement abyssal que Séverine Vidal et Louis Thomas ont écrit cet album. Les auteurs ont fait le choix de placer l’enfant au centre de la réflexion, et des réactions, qu’il peut avoir face à la mort. C’est assez rare pour être souligné.
Nous ne sommes pas dans une démarche explicative du pourquoi de la mort, des étapes du deuil… qui peut être pertinente mais incomplète.

Ici, il s’agit réellement d’inviter l’enfant à partager son émotion et ses pensées face à l’idée de la mort. Qu’il y ait été confronté par la perte d’un proche ou qu’il n’en ait qu’une représentation floue, ce concept interroge et inquiète les enfants. Il est important de les laisser s’exprimer à ce sujet et ce livre semble idéal pour cela.

Le livre qui commence par la fin, Séverine Vidal et Louis Thomas, Éditions Sens Dessus Dessous, 2024.

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Pour le cinquième tome des aventures à forte consonance philosophique de son petit écureuil, Olivier Tallec le confronte à la mort. Heureusement qu’il lui a trouvé un meilleur ami, Poc, pour faire face à cette expérience…

Le petit écureuil aime écouter chanter le merle, mais voilà qu’il a disparu. Jusqu’à ce qu’il le retrouve par terre dans la forêt. « Est-ce qu’il dort ? » se demande-t-il spontanément. Comme un enfant, il va faire de plus en plus de bruit, le toucher pour vérifier et finalement lui rendre hommage. Les étapes sont très juste et le ton toujours parfait. L’ironie de la série en moins, mais il faut dire que le sujet ne s’y prête pas. Encore une belle réussite qui saura accompagner les enfants dans cette difficile épreuve.

Est-ce qu’il dort ?, Olivier Tallec, L’école des loisirs, 2024.

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Si le deuil est un thème récurrent de la littérature young adulte, force est de constater que Hayley Long exprime particulièrement bien les ressentis des survivants dans Nos vies en mille morceaux. Entre désespoir et petits riens qui permettent au temps d’avancer, rencontres et mains tendues… l’atmosphère ouatée et les personnages, loin des caricatures habituelles, sont le plus de ce roman. Ainsi que la traditionnelle playlist. Elles se multiplient dans les romans, et leur intérêt n’est pas toujours évident, mais celle-ci est parfaitement adaptée à l’histoire. Il faut dire que le titre original est celui d’une chanson des Beach Boys (The Nearest Faraway Place)…

Nos vies en mille morceaux, Hayley Long, Gallimard jeunesse, 2018.

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« Mais je suis là mon étoile. Regarde, tu as toute ma volonté « . Hadda est absente, physiquement elle n’est plus dans cet appartement d’une vie qui s’écoule ou qui s’est écoulée. Hadda rassure, murmure sa présence à travers les pièces traversée par cette même question : « Quand Hadda reviendra-t-elle ? ». Une ritournelle qui s’égrène page après page et qui attend une réponse bienveillante, encourageante.

Il y a plusieurs manières d’aborder le deuil et ce n’est jamais un exercice facile en littérature de jeunesse. La poésie d’Anne Herbauts souligne le chemin qui appartient à la disparue et l’enfant. Cette complicité ne fait que se renforcer à travers chaque page et invite la le lectrice lecteur à observer les détails. Des jeux d’enfants qui se mêlent au quotidien d’une personne âgée éclairés par des illustrations pleine page.

Quand Hadda reviendra-t-elle? d’Anne Herbauts,
Casterman, 2021

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« En vérité, ce n’était pas une question, c’était LA question, LA question qui était partout autour de moi depuis que maman n’était plus. » Elise sait quelque chose et ce sentiment la blesse au plus profond. Elise sait qu’elle est triste, seule et pourtant elle n’a pas le droit de pleurer car dans sa maison il y a des règles à ne pas enfreindre. De sa mère, Elise ne conserve qu’un puzzle qu’elle fait et défait frénétiquement, un refuge en cas d’intempérie. Elise grandit sans trop de connexions avec le monde extérieur et passe son temps libre à faire des puzzles que son père lui offre : « Quand il entre dans ma chambre pour me dire bonne nuit le soir, papa me félicite sans émotion s’il y a un nouveau puzzle exposé.

-C’est bien, il est beau. Papa me félicite toujours sans émotion. En fait, papa vit toutes ses journées sans émotion. »

Elise sait aussi que son père s’est crée une carapace digne du plus noir des personnages de Naruto : Orochimaru. Elle l’a enfin compris en passant ses lundis après-midi à regarder l’animé en compagnie de son amie Stella, une jeune demoiselle de sa classe légèrement « zinzin ». Peu à peu Elise s’ouvre et lorsqu’elle apprend que sa grand-mère du Japon débarque chez elle pour 15 jours, elle entre dans une immense joie mais redoute la réaction de son père…
Pourquoi ne dit-on pas sayonara ? car la signification de cet au revoir n’est pas vraiment compatible avec ce que va ressentir la lectrice/le lecteur. Elise et son étoile Stella : celle qui va l’accompagner, la faire réfléchir sans brusquer, tout en étant respectueuse. Elise et sa grand-mère Sonoka celle qui va enfin prononcer le prénom d’une maman disparue, celle qui va honorer sa mémoire. Des rencontres qui font changer, évoluer et enfin peut-être accepter l’inacceptable. Tout ce petit monde va graviter, se connecter autour d’Elise et c’est un bonheur dans faille qui en restera.

On ne dit pas sayonara d’Antonio Carmona, Gallimard jeunesse, 2023

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Le papa de Suzy, 9 ans, a une paillette dans l’iris. Comme Julien, son frère, de 2 ans son aîné. Son grand frère qui restera pour toujours un enfant car il est [mot tabou].
« Ce n’est pas dans l’ordre des choses« ‘ répète la nounou de son voisin qui s’occupe d’elle pour les trajets de l’école, puisque sa maman n’en est plus capable, terrassée par le chagrin, et que son papa travaille, parce que oui, la vie continue. De désordre, il est aussi question dans la tête de la fillette, bouleversée au point d’avoir une mèche de cheveux blancs depuis que son frère est [chut !].
Au choc et au chagrin de la disparition de son complice de toujours, succède le temps des pourquois. Suzy est envahie de questions, auxquelles les adultes de son entourage, les amis de son âge, ne savent, ne peuvent, ou ne veulent pas répondre. Bien que soutenue par un père compréhensif et courageux, une enseignante dévouée, une psy à l’écoute et une bande d’ami.es fidèles, Suzy souffre, elle ne parvient pas à trouver le réconfort qui pourrait lui permettre de reprendre une vie d’enfant sereine. Pour autant, elle vit aussi des moments joyeux, elle a de nouveau envie de jouer, de s’amuser, elle souhaite être jolie pour plaire au garçon dont elle est amoureuse… C’est d’ailleurs pour cela qu’un sentiment de culpabilité la ronge. A-t-elle droit au bonheur malgré le drame ? Le ton, les mots sonnent juste. L’écueil, avec ce thème, est de verser dans le pathos, ou de s’adresser davantage aux adultes qu’au jeune lectorat. Il est ici parfaitement évité. Avec une candeur délicieuse, un humour délicat, une profonde empathie, des trouvailles topographiques et textuelles, avec, surtout, une sensibilité et une tendresse exceptionnelles, ce roman nous emporte, malgré un sujet douloureux, aux confins d’une émotion baignée de lumière.

Une paillette dans l’iris, Charlotte Pons, Inbar Heller Algazi, Seuil jeunesse, 2024

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Le grand et vilain bonhomme, écrivain en panne d’inspiration, est un être déprimé vivant seul dans une vieille maison délabrée, entouré des personnages de papier qui peuplent ses histoires : un vampire, un zombi, un yéti et un loup-garou. Des créatures fantastiques issues d’un folklore sombre et morbide qui renvoient à la tristesse du vieux et vilain bonhomme et appuient le sentiment de perte et de deuil qui l’entoure. Il faut attendre l’apparition du fantôme d’une petite fille pour faire remonter des souvenirs, des émotions et faire revenir l’inspiration.

Jérémy Semet signe un récit qui aborde le sujet grave de la perte avec justesse et pudeur. Son écriture joue sur un effet de répétitions rythmant l’histoire d’une sorte de mélodie agréable à l’oreille. On apprécie la musicalité des mots qui, d’une certaine manière, apporte un sentiment de réconfort tout en maintenant une note d’optimisme au fil des pages.

A l’image de la couverture du livre, deux couleurs viennent teinter les illustrations de Clémentine Pochon, prenant de plus en plus de place au fur et à mesure que le vieux et vilain bonhomme reprend goût à la vie. Cela ajoute encore à la musicalité de l’histoire, la couleur se posant telle des notes de musique sur la partition.

Le vieux et vilain bonhomme dans sa si grande et sinistre bicoque de Jérémy Semet & Clémentine Pochon, Voce Verso, 2022.

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Alors qu’il se retrouve orphelin, Gabriel, quinze ans, ne se sent plus à sa place nulle part : une nuit chez sa tante, une autre dans son ancienne maison, une autre encore chez une amie de sa mère… Gabriel tente désespérément de maintenir la tête hors de l’eau et de faire face aux émotions qui le submergent. Lorsqu’il apprend que sa mère souhaite être mise en terre au côté de son père, il ne peut l’accepter. Impossible de venir rendre visite à la personne qu’il aime le plus au monde s’il doit aussi affronter ce père qu’il déteste. Il décide de partir avec le cercueil de sa mère, seul sur les routes, à la recherche d’un lieu où il pourra la laisser reposer.

Le cercueil à roulettes aborde le délicat sujet de la mort d’un parent et de la sensible période de deuil qui en découle. Pour Gabriel, cette étape devient un véritable chemin de rédemption et de pardon. Brutal, le récit est généreux dans l’attention que les personnages secondaires donnent à l’adolescent sur qui ils veillent affectueusement et les rencontres fortuites d’humains bienveillants qui conduisent ses pas vers la résilience. Tous ces personnages apportent une véritable palette de couleurs vibrante d’émotions qui rendent la lecture intense et mémorable.

Le cercueil à roulettes d’Alexandre Chardin, Casterman, 2020.

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Après le suicide de son père, Lucas a bien du mal à reprendre le cour de son existence. Laisser ce qu’il reste de sa mère derrière lui, retourner à l’internat, reprendre les cours et retrouver ses potes prend vite une place trop grande dans sa tête qui ne sait plus comment continuer. Quand la pression devient insupportable il ne lui reste d’autre choix que de partir, s’arracher pour tenter de reprendre pied et décider si le bout du chemin sera la vie ou la mort.
A travers prés et forêts, une biche fuit une meute de chiens enragés, accompagnés d’hommes armés de fusil. A peine sortie de l’enfance, elle n’a d’autre choix que de courir pour sa survie, alors que la saison de la chasse bat son plein et qu’humains et canidés ne lui laissent aucun répit. Alors que chacun fuit à travers la campagne, leur rencontre semble inéluctable…
Dans ce court récit, Marc Daniau aborde la fuite à travers deux regards, deux êtres de nature différentes. Chacun s’arrache à ce qu’il connaît, à sa famille, pour tenter de survivre à la perte d’un parent pour Lucas, à une attaque de chasseur pour la biche. Le texte, incisif, touche droit au cœur et bouleverse par l’urgence de leurs deux situations. La construction du récit joue sur l’alternance de point de vue pour rapprocher ces deux personnages vers une rencontre que l’on voit arriver avant même qu’elle ne se produise.

S’arracher de Marc Daniau, Rouergue, 2024.

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Angèle, treize ans, a perdu sa sœur Élise, décédée brutalement. Elle ne sait pas comment surmonter ce drame alors elle prend un agenda, et chaque jour ou presque, elle écrit au prénom en haut de la feuille, confiant ses sentiments, sa colère, sa douleur.

Un printemps. Une saison pour surmonter un drame. Une saison pour renaître, telle la nature après l’hiver. Un printemps est untexte à la fois simple et émouvant. Les mots, teintés parfois de colère, mais aussi parfois d’humour, d’une jeune fille qui a perdu quelqu’un de cher. Qui a perdu tout sens à sa vie. Et la résilience, la lente reconstruction après un drame. Bien que la jeune héroïne affronte un deuil, ce roman n’est pas larmoyant. Il est lumineux, comme le soleil qui revient après une averse. Il nous raconte l’avant, ces souvenirs que l’on garde précieusement, le maintenant, difficile, mais aussi les doux moments qui surnagent, qui pointent le bout de leur nez, parfois, et nous invitent à continuer.

Un printemps, de Marie Le Cuziat, Milan. 2022

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Népomucène et Eudoxie. Le premier a perdu ses parents dans un accident de voiture, et vit depuis chez un oncle qu’il ne connaissait pas. Il n’est pas malheureux, mais très solitaire. Il vit sans vraiment vivre, allant en cours, mangeant toujours les mêmes repas, ne parlant à personne. Sa seule passion : le dessin.Sa vie change petit à petit et se pare de couleurs. Avec Gaston déjà, un jeune chiot qu’il adopte et dont la fougue va le réveiller. Avec Tristan ensuite, le beau gosse musicien qui s’entête à devenir son ami. Et surtout, avec Eudoxie, la nouvelle au nom aussi improbable que lui, vers qui il est irrésistiblement attiré…

C’est avec une grande sensibilité et une touche de poésie que l’autrice, Lucile Caron-Boyer, aborde des thématiques difficiles, tout en développant en parallèle la naissance d’un amour profond. Deux personnages attachants, et un entourage sympathique et haut en couleurs, bien développés. Des difficultés, des moments compliqués attendent nos héros, mais, si tout est loin d’être rose, il leur reste tout de même un peu de bonheur à trouver.Parce qu’après un grand malheur, on peut avoir droit au bonheur. La vie continue, malgré tout.Népomucène et Eudoxie est un roman marquant, qui nous parle avec brio et tendresse d’amour et de résilience.

Népomucène et Eudoxie, de Lucile Caron-Boyer. Scrineo. 2024

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Coyote, une jeune fille de 12 ans, vit depuis plusieurs années dans un bus avec Rodéo, son père. Dans ce bus scolaire, transformé en maison, ils sillonnent les États-Unis au gré de leurs envies.Mais un jour, la grand-mère de Coyote lui apprend que le parc de son enfance va être détruit. La jeune fille n’a que quelques jours pour convaincre son père de l’y conduire. Plus facile à dire qu’à faire, puisque celui-ci a juré de ne jamais remettre les pieds dans leur ancienne ville…

L’incroyable voyage de Coyote Sunrise est un roman bouleversant, avec des personnages touchants, un road-trip émouvant, et des émotions qui affleurent au gré des aventures.Ce roman, ce sont des rencontres. Avec un chaton d’abord, puis des personnes : Lester, qui veut rejoindre son amoureuse, Salvador et sa mère, qui fuient, puis Val, rejetée par ses parents qui n’acceptent pas son homosexualité. Au fil de la route, des discussions, des mésaventures, ces personnes souffrent, abîmées par la vie, vont échanger, dévoiler leurs secrets, et évoluer. Au programme de ce roman donc, traumatisme, deuil, violences, mais aussi et surtout entraide, amitié, humour, espoir.Une lecture dont on ne ressort pas indemne. C’est triste, mais aussi doux et lumineux, malgré la difficulté des thèmes abordés.

L’incroyable voyage de Coyote sunrise, de Dan Gemeinhart. Pocket jeunesse. 2020

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Igor, Rhéa. Deux adolescents dont la vie s’est brisée en deux secondes. Igor, victime d’un accident à cause de l’inattention de son père, a perdu son visage. Défiguré, il ne sort plus de chez lui. Rhéa, elle a perdu son petit ami, Alex, qui s’est jeté sous un train. Depuis, elle n’a plus goût à rien.Deux adolescents ravagés par la vie, qui ne se connaissent pas, mais partagent une passion commune pour le piano. C’est Fred, un prof de piano, qui va les réunir pour un projet fou…

Deux secondes en moins, c’est un magnifique roman ado, la dure reconstruction de deux êtres abîmés par la vie. Colère, deuil, repli sur soi, rejet des autres, tout cela, Rhéa et Igor le connaissent très bien. Eux qui jusqu’à présent avaient apprécié la vie, ne savent désormais plus en profiter. Ils sont emmurés dans leur douleur, à vif. Heureusement, il y a Fred, le prof de piano un peu sage, un peu magicien, passionné de thé et de fortune cookies, le réparateur d’âmes au grand cœur, qui va créer l’alchimie. Heureusement, il y a le piano, la musique, Schubert, Satie, qui laissent les sentiments affleurer, exploser. On alterne les voix, on plonge dans leurs carnets, leurs poèmes, les listes de pour et de contre, avec une grande pudeur. En peu de mots, on ressent l’arc-en-ciel d’émotions que vont traverser nos deux jeunes protagonistes. Et si les thèmes abordés sont difficiles, ce n’est pas une lecture « éprouvante ». C’est beau, léger parfois, avec des touches d’humour (merci Obama, le perroquet), et une belle dose d’optimisme. Une invitation à croire en la vie et ses possibles, malgré les épreuves, à accepter les mains tendues. Une pépite, tout simplement.

Deux secondes en moins, de Marie Colot et Nancy Guilbert. Magnard jeunesse. 2018

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Léa est une jeune basketteuse prometteuse, entraînée par son père, qui a un « plan », un but ultime dans la vie : devenir la quatorzième femme française draftée en WNBA. Tout est clair dans sa tête, et elle se donne les moyens d’y parvenir, s’entraînant quatre fois par semaine avec l’équipe masculine de sa ville pour progresser. Mais un grain de sable va venir perturber ce rêve américain sur le point de se réaliser, et non des moindres, puisque son père va décéder d’une crise cardiaque. Et ce drame ne survient pas seul : Léa apprend qu’elle souffre du syndrome de Marfan, elle a une déformation cardiaque qui lui interdit la compétition à haut niveau. Mais la jeune femme a déjà perdu son père, elle se résout pas à renoncer au basket… Elle se trouve des compagnons de jeu en banlieue, dont le bel Anthony qui ne la laisse pas indifférente…

En cinq parties – quatre quarts-temps plus la mi-temps -, Marie Vareille nous présente à travers Léa les cinq étapes « traditionnelles » du deuil. Léa vit le déni, la colère, avant de finir par avancer. Un chemin ardu, difficile, pour elle et ses proches. Mais Léa n’est pas seule. Si elle a perdu son complice de toujours, elle peut encore compter sur sa mère, sur sa petite sœur Anaïs, et sur ses deux amis de toujours, Amel et Nico. Ce faisant, l’autrice nous montre à quel point il est important d’être bien entouré.e après un drame. Les personnages sont pleinement humains avec toutes leurs failles, terriblement réalistes. On ressent les émotions de Léa, on la voit se noyer dans ce chagrin immense, tenter de surnager, reprendre pied peu à peu. C’est un long chemin vers la reconstruction qui nous est dépeint ici, et sur la force nécessaire pour rebondir quand les rêves s’écroulent. Émotions, sentiments, passion dévorante pour le basket, Le syndrome du spaghetti est un roman intense, émouvant. Triste, mais aussi plein d’espoir.

Le syndrome du spaghetti, de Marie Vareille. Pocket jeunesse. 2020.

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Poésie, rythme, et dessins. Les vrais champions dansent dans le blizzard est paru après Frères, pourtant il nous narre l’histoire du père, l’histoire de l’été 1988, où lui-même a perdu son père, et pendant lequel sont nés sa passion pour le basket, et son amour pour sa femme. C’est donc un été de changement qui nous est narré ici, celui des grands bouleversements. Kwame Alexaner nous parle avec justesse de deuil, de famille, du passage à l’age adulte, file avec talent la métaphore du basket qui invite à rebondir après un drame.

Son héros, Charlie Bell, est un personnage à vif, empli de colère face à l’injustice de la vie. Un ado un peu rebelle, qui va prendre conscience, grâce à sa famille, et à sa cousine Roxie, de la valeur et de la beauté de la vie. C’est un personnage attachant, et l’importance des dialogues dans l’histoire nous le rend encore plus vivant. Un très beau roman en vers libres, un récit initiatique touchant.

Les vrais champions dansent dans le blizzard, de Kwame Alexander. Albin Michel. 2019

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Un livre ô combien touchant qui nous conte le point de vue d’un jeune garçon qui a perdu son papa.Un jeune orphelin, à qui son père manque énormément. Un enfant triste. En colère. Qui ne comprend pas. Qui rêve de son papa toutes les nuits, et se réveille en pleurant tous les matins, quand l’horrible vérité ressurgit. Et puis petit à petit, il revoit son père, dans certains objets, certains souvenirs, certains gestes…

Ce très bel album nous raconte avec pudeur – et un texte savamment dosé, comme sait si bien les écrire Émilie Chazerand – le deuil, l’après. L’indicible. L’incompréhensible.Les émotions par lesquels on passe après le décès d’un proche, la douleur ressentie, toutes ces étapes par lesquelles on passe avant de recommencer à « vivre ».C’est triste, c’est émouvant, c’est aussi au final très optimiste avec tous ces souvenirs qui nous rappellent nos chers disparus. Sébastien Pelon dessine avec finesse les personnages, les sentiments transparaissent, les décors sont très jolis.Un très bel ouvrage, sensible, pour aborder le deuil et la perte d’un être cher.

Papa partout, Émilie Chazerand, Sébastien Pelon. Élan vert. 2022

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Renard a bien vécu, il est temps pour lui de partir. Il s’allonge, dans l’un de ses lieux préférés, et s’endort pour toujours. Ses amis, tristes, viennent lui rendre hommage et se remémorer les doux souvenirs du passé. À ôté de lui, un arbre commence à pousser…

Un album, fin et délicat, sobre et pertinent, pour aborder les thèmes de la mort et du deuil.Un bel hommage à la vie, qui continue, envers et malgré tout. Tu vivras dans nos cœurs pour toujours est un ouvrage plein de douceur et de tendresse, qui nous délivre un beau message : la mort n’est pas une fin. La personne qui nous quitte continue à vivre en nous, si l’on prend le temps de se rappeler son souvenir, son caractère, ce qu’elle aimait. L’arbre qui pousse sur la « tombe » de renard nous montre la vie qui triomphe toujours, le bonheur qui revient, après le chagrin. C’est doux, poétique, triste mais aussi plein d’espoir. Les illustrations sont très belles, simples et colorées, elles accompagnent avec finesse et une grande quiétude le texte.

Tu vivras dans nos cœurs pour toujours, de Britta Teckentrup. Larousse 2013.

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Célébrer – Entretenir le souvenirs

Morts vivants est un roman de la série Les grandes années de Gaël Aymon et Élodie Durant (destinée aux jeunes lecteurs à partir de 7 ans) qui met en scène les héros récurrents en pleine préparation de la fête d’Halloween. C’est l’excuse idéale pour les enfants d’organiser une fête et de sortir dans la rue sans adulte (ou du moins d’essayer !). Mais c’est aussi l’occasion de parler de la mort. Sujet tabou pour les uns, essentiel pour les autres, il est abordé de manière douce et respectueuse.

Les grandes années, Morts vivants !, Gaël Aymon et Élodie Durant, Nathan, 2020.

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Dans Je voudrais te dire, Jean-François Sénéchal présente la disparition d’une grand-mère renard. En effet, son petit-fils, un renardeau, s’interroge intérieurement : où est donc passée sa grand-mère ? Il se souvient de sa grand-mère alitée et si fatiguée… Il n’avait su que dire devant tant de fragilité. Puis la maman renard lui avait annoncé que tout était fini, mais il ne l’avait pas cru… Le renardeau a alors cherché partout sa grand-mère. Dans « les endroits que nous étions seuls à connaître ». Mais elle avait bien disparu.
Le renardeau se remémore alors les moments de bonheur auprès sa grand-mère :
ensemble, ils ont vécu tant de moments uniques, inoubliables.
Une tempête éclate alors le renardeau se met à crier sa peine… et la foudre tombe sur un grand chêne.
Le petit renard reste longtemps auprès de la rivière, à regarder l’eau passer… longtemps… sans retenir l’eau couler.

Le renardeau décide d’écrire une lettre à sa grand-mère. Dans les quelques mots  de son courrier, le renardeau n’exprime pas tant sa peine… il s’agit juste, surtout, pour le petit renard de dire à sa grand-mère « je t’aime ».
La blessure du chêne cicatrise peu à peu. Le soleil est de retour. Le sujet est abordé avec pudeur et une grande poésie, celle des êtres disparus qui restent dans notre coeur avec nos plus beaux souvenirs d’eux.
Cet amour est comme un trésor, et dans notre coeur, il brille encore.

Je voudrais te dire, Jean-François Sénéchal, illustrations de Chiaki Okada, Saltimbanque, 2024.

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Cinq minutes et des sablés, ou comment l’imminence de la mort peut redonner goût à la vie. La Petite Vieille se sent bien seule, elle n’attend plus que madame la Mort, et avec impatience quu plus est : elle se sent prête à l’accompagner. Mais voilà que madame la Mort a le temps pour un thé et des sablés. Une chose en entraînant une autre, une visite en incitant une autre, la vie et la joie renaissent chez la Petite Vieille. Quel plaisir de découvrir la plume de Stéphane Servant illustrée par le trait vif d’Irène Bonacina dans ce bien joli album qui invite à profiter de la vie jusqu’au dernier moment. Et de ses proches tant qu’ils sont vivants.

Cinq minutes et des sablés, Stéphane Servant, illustrations d’Irène Bonacina, Didier Jeunesse, 2015.

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Après avoir dégusté ses mets préférés dans un endroit qu’il ne reconnaît pas, Alejandro rentre chez lui, impatient de retrouver sa femme et ses enfants. Il ne trouve qu’une femme en rouge qui l’attrape dans ses filets… Catrina…

Au Mexique, le Jour des Morts est Jour de Fête. Les vivants honorent leurs défunts en leur préparant leur repas préféré, en se rendant au cimetière en où ils chantent, boivent et festoient. Pour que la Mort qui fait partie de la Vie ne soit pas redoutée !

Mikael Soutif propose ici un album empli de couleurs pour découvrir Dia de Los Muertos. Le graphisme est en pâte à modeler sur fond violet, ce qui lui confère autant de curiosité que d’attirance !

Catrina. Mickael SOUTIF. L’Atelier du poisson Soluble, octobre 2018

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Premier novembre, Jour des Morts. Jour de fête au Mexique. La jeune Frida est avec sa famille au cimetière, quand elle aperçoit son amoureux, Diego, qui embrasse une autre fille.
Impulsive et furieuse, Frida bondit et retrouve Diego qui a chuté dans un trou où se trouve une vieille femme, alors que des rires résonnent…

Sont-ce eux, Frida et Diego, les protagonistes principaux de cet album ou bien le Jour de la Fête des Morts ? Dans cet album, nous découvrons un peu du Mexique avec les festivités de la Fête des Morts et les traditions qui lui sont liées, et notamment culinaires.

Frida Kahlo et Diego Rivera sont représentés en enfants et déjà amoureux.
Au détour des mots comme des illustrations, on retrouve tout ce qui fera leurs caractères (impétueux ou taiseux, infidèles et jaloux, excessifs en tout) ainsi que leur relation, passionnée, tumultueuse, fusionnelle, mais aussi destructrice.
Mais aussi leurs goûts pour les animaux, la nature, les couleurs lumineuses, et bien sûr, leur Art à chacun.

Frida et Diego au Pays des Squelettes. Fabian NEGRIN. Seuil Jeunesse, septembre 2011

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Que font nos voisins d’en-dessous, c’est-à-dire nos Morts ? Dorment-ils, jouent-ils, continuent-ils leurs activités du dessus ? Et qu’y a-t-il autour d’eux désormais ?

Avec ses dix-huit phrases minimalistes, mais non dénuées d’humour, et des illustrations qui regorgent de détails, de clins d’œil et de références, cet album nous amène à nous questionner sur notre rapport à la Mort. Comment nous, les vivants, nous occupons-nous de nos Morts ? Comment percevons-nous la Mort et quelles relations entretenons-nous avec Elle, ici ou ailleurs sur Terre, selon les croyances, coutumes, lieux, ou encore époques ? Un album qui favorise curiosité et discussions.

Les voisins d’en dessous. Isabelle SIMON et Isabelle CHARLY. Editions Frimousse, octobre 2016

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Ce petit album cartonné au format à l’italienne, au graphisme épuré aux tons ocres, nous présente des décès insolites, de personnes connues ou anonymes, de l’Antiquité à nos jours.

Il nous offre une réflexion sur la Mort et ses circonstances, sur la Vie et nos choix, la façon dont nous la menons… et des mystères de l’existence.

Insolite, curieux, atypique, divertissant et grinçant, cet album vaut assurément sa lecture!

Le Livre des MORTS Extraordinaires. Cecilia RUIZ. Editions Cambourakis, octobre 2019

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Et vous, quels sont les livres qui ont su vous accompagner dans la perte d’un être cher ? Quels titres ont permis à vos enfants de mieux appréhender ce qu’est la mort ?

Nos coups de cœur de Septembre

Si septembre annonce toujours la rentrée, il ne vient jamais interrompre notre frénésie de lectures. Et si aucun jour ne se ressemble, la diversité se retrouve dans nos lectures dont voici nos derniers coups de cœur !

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Toujours au cœur des grands questionnements de notre monde, l’écologie inspire nombreux auteurs. Le coup de cœur de Linda va au roman graphique de Patrick Lacan subliment illustré par Marion Besançon.

Fable écologique, Verts dégage une incroyable poésie qui s’exprime dans des illustrations aériennes débordantes de réalisme, dans lesquelles la végétation prend de plus en plus de place. Alors que les saisons d’une année s’écoulent et que l’espèce humain se transforme en sorte de nymphe de bois, les illustrations toutes en noir et blanc s’illuminent de plus en plus avant de laisser venir la couleur.

L’histoire amène un questionnement sur l’avenir de l’Homme et interroge sa place au sein d’une nature qu’il a toujours tenté de dominer. En se végétalisant, l’humain acquière aussi un nouveau sentiment de quiétude et d’harmonie et se met, à l’image des arbres, à vivre en symbiose avec les autres espèces animales et végétales. Se faisant, il abat la barrière qu’il maintenait fermée entre lui et le reste du monde, permettant à tous de ne former qu’un seul ensemble.

Verts de Patrick Lacan & Marion Besançon, Rue de Sèvres, 2024.

Son avis complet et celui de Séverine.

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En ouvrant Coboye, Lucie ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Et cette méconnaissance est peut-être ce qui donne des meilleures surprises. Une enfant passionnée par les westerns fait de sa vie une aventure de tous les instants, aux dépends de sa maman (affublée du rôle de shérif) et de sa petite sœur. Inspirée par ses souvenirs d’enfance, Cécile livre une bande dessinée vive et tendre, aux phrases courtes et aux paysages immenses. C’est beau, drôle, et touchant. Une très belle réussite !

Coboye, Cécile, Éditions Delcourt, 2024.

Son avis complet et ceux d’Héloïse et Linda.

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Curieuse d’embarquer direction « l’île aux fleurs » et sa montagne Pelée, aux côtés de Pascaline, dite Ti Fol, en raison d’étranges pouvoirs, dont celui de communiquer avec la nature et les esprits, Séverine pressentait d’ores et déjà, pour cette héroïne, une ampleur hors-norme. Elle n’est pas déçue du voyage. 300 pages plus tard, elle a refermé ce roman ado avec la certitude qu’il s’agit-là d’un grand roman. Tout y est : décor magnifiquement retranscrit, ambiance tendue et haletante, rebondissements étonnants, sujet(s) puissant(s), et surtout, 2 personnages inoubliables, Ti Fol et Cyparis, pris dans la tourmente des intolérances. Dans cette histoire, la liberté d’être, l’apaisement, ne s’atteignent qu’au bout d’une longue route, parsemée de souffrances, de rencontres qui font basculer le cours d’un destin tracé, de résistance aux vents contraires. Le souffle de l’Histoire donne à l’histoire qui nous est contée une portée romanesque sans égale, l’Humanité est interrogée dans ce qu’elle a de plus laid mais aussi de plus noble. Les émotions ne se cachent pas et les cœurs battent. Notre souveraine à tous.tes, Mère Nature, incarnée par la Pelée, nous rappelle notre condition d’êtres aux gesticulations dérisoires. Quand, sous la plume de Raphaële Frier, la magie des mots surpasse la noirceur des âmes, la poésie terrasse le drame, c’est addictif et d’une intensité rare.

Ti Fol, fille du volcan, Raphaële Frier, Ecole des Loisirs, 2024

Son avis ICI.

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Blandine partage avec sa nièce l’amour du café. Ensemble, elles aiment le préparer, et si la première en boit beaucoup, la deuxième aime à en respirer le parfum. Ce tout petit album cartonné est donc tout indiqué pour elles deux !

Les auteurs jouent ici avec les multiples façons de consommer son café, en l’illustrant dans une tasse et avec un pingouin. Allongé, déca, au lait… le tout en jeux de mots et associations visuelles. C’est simple, c’est drôle et bon !

Café ! Marie KIBADI et Benoît CHARLAT. Editions Sarbacane, mai 2024

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Pour Liraloin, après avoir lu pléthore de titres pour préparer un comité de lecture, une belle découverte s’est enfin offerte. Il s’agit de Le temps des ogres de Michelle Montmoulineix.

Un monde humain qui n’existe plus que par la survie. Des hommes incapables d’éprouver compassion et solidarité car il faut à tout prix exister avant les autres. Voici à quoi ressemble le quotidien de Victoire, jeune enfant vivant avec ses tantes Rosy et Oma, prêtes à tout pour préserver un tant soit peu son innocence. Mais lorsque Victoire tombe malade, elles n’ont pas d’autres choix que de demander de l’aide à la corruption qui rode le jour et la nuit autour de leur foyer.

L’eau, la nourriture, la Terre n’est plus : l’abondance a mis les voiles. Il ne reste plus que le souvenir du chant des oiseaux ou le doux bruissement des feuilles pour motiver la survie du lendemain terne et sans espoir. Pourtant Victoire est porteuse d’espoir et son envie de retrouver ses parents la transporte mais pour combien de temps ? Michelle Montmoulineix nous livre un roman brut qui se lit dans un seul souffle tout en délivrant un message sur fond écologique qui ne nous laisse pas insensible.

Le temps des ogres de Michelle Montmoulineix, Hélium, 2023.

Les avis de Linda et Lucie.

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Vivre en société, faire équipe, faire corps ça veut parfois dire renoncer à dire ce qui compte pour nous. Quitte à y laisser des plumes, voire les lettres de son prénom. C’est ce qui arrive à Francisco qui en cherchant à se rapprocher de Zachary et Jules s’emmêlent les émotions, se perd et se retrouve en faisant résonner le non qu’il a au bout de la langue et qu’il ne veut plus ravaler. Dans ce nouvel album de Baptiste Beaulieu et Qin Leng, enfants et adultes apprennent ensemble à observer ce qui se passe en eux quand ils n’écoutent pas leur petite voix intérieure. Puis à savourer ce qu’il se passe quand cette voix prend sa place. Un très bel album à glisser dans tous les lieux où les enfants se construisent pas à pas.

Je suis moi et personne d’autre, Baptiste Beaulieu, Qin Leng, les arènes, 2024.

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Tout comme Lucie, Helolitlà a craqué pour la bouille attachante de Coboye, une petite fille intrépide qui a charmé toute la famille, enfants compris. Dans ce récit aux accents autobiographiques, l’autrice illustratrice Cécile a rassemblé quelques scènes particulièrement espiègles et touchantes de l’enfance de cette apprentie « cowgirl ». Bêtises amusantes, vie en plein air, orthographe approximatif, toute la famille s’est régalée avec cet ouvrage à mi-chemin entre la bande dessinée et l’album, magnifiquement illustré à l’aquarelle. Un petit bonbon au goût nostalgique de l’enfance !

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Côté romans, c’est le second tome d’Aurora, de Vashti Hardy, qui a rempli les soirées d’Héloïse et de ses enfants. Ils sont particulièrement fans de ces aventures qui mêlent fantasy et steampunk, dans lesquels on découvre deux jumeaux qui voyagent à bord d’un navire volant. Accompagné de la géniale capitaine Harriet Coriander, de la truculente Felicity et du flegmatique Welby, ils découvrent de nouveaux univers, de nouveaux paysages, de nouvelles créatures. Le rythme est enlevé, l’émotion au rendez-vous. Tout comme le précédent, ce second tome aborde aussi bien l’écologie que la famille ou la tolérance, dans un récit haletant et passionnant !

Aurora, tome 2 : La légende de l’oiseau de feu, de Vashti Hardy, Ed. Auzou romans, Septembre 2020

Sa chronique ICI.

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De son côté, Ileautresor souhaitait présenter l’une de ses dernières découvertes en matière d’albums : Les cerises d’Annelise Heurtier, illustré par Emmanuelle Tchoukriel.
Cet album relate une amitié. entre un petit hérisson et un petit mulot.
Le lecteur flâne sur les sentiers forestiers : ravi de la poésie du récit et de la beauté des illustrations du sous-bois foisonnantes de détails. « Ensemble, on peut : s’allonger dans les herbes » et s’interroger « Quelle couleur est le vent ? », « Où va l’été quand l’automne arrive ? », »Qui cache le parfum au creux des fleurs ? ».

Puis, sur le chemin, a lieu une rencontre inattendue : deux fruits rouges, rares, colorés, juteux, délicieux… la tentation incarnée : des cerises ! Mais voilà que le mulot croque dans les deux fruits – sans partager ce petit trésor des bois avec son ami -. Et là, le hérisson ressent une profonde déception.

Coup de théâtre ! après être passé par toutes les émotions, le hérisson comprend son erreur : le mulot a goûté les deux fruits, certes, mais lui offrir ce qu’il y a de meilleur… la cerise la plus goûteuse, celle qui est la plus délicieuse. Le ressort dramatique est à la mesure de l’émotion ressentie… Heureusement, les deux protagonistes restent les meilleurs amis ! L’album fait la part belle à cette valeur essentielle qu’est l’amitié.Ce récit est rehaussé par les superbes illustrations à l’aquarelle. Ici l’illustratrice a créé un merveilleux petit monde de la forêt, celui dans lequel le temps d’une lecture, on retrouve son âme d’enfant. 

Les cerises, Annelise Heurtier, illustrations de Emmanuelle Tchoukriel, Thierry Magnier, 2024.

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Et vous, quelles lectures avez-vous aimées en septembre ?