Entretien avec Thomas Scotto

Devoir choisir un ouvrage de Thomas Scotto pour les besoins d’un article sur cet « essentiel », relire quelques titres, en découvrir de nouveaux, être émues – encore – par la plume délicate de l’auteur… nous ne manquions pas de raisons de souhaiter lui poser nos questions. Et c’est avec beaucoup de gentillesse qu’il a accepté de nous répondre !

Crédit photo : Séverine, Salon du livre Mange-livres à Grateloup, 2023.

Comment choisissez-vous les sujets de vos romans/albums ?

Je ne suis pas certain que « le sujet » soit la motivation première de mon écriture. Un mot, une phrase, une voix, un langage bien plus sûrement. J’espère tellement que chaque texte sera une nouvelle aventure que j’aime l’idée de me surprendre. Comment ne pas se répéter au bout de 26 ans de publications ? Comment tourner autour des grandes questions avec un regard neuf ? C’est aussi l’un de mes moteurs… les questions que je me pose. Il faut que cela me ressemble et tant pis si ce n’est pas grand public. Alors, sans sujet de départ, à l’arrivée, je sais que chaque roman, chaque album, chaque ovni sera moi.

Nous serions très curieuses d’en savoir plus sur la manière dont vous travaillez concrètement. Avez-vous des rituels d’écriture ? Des horaires définis ?

Au risque de répondre dans le vague… aucune journée ne se ressemble. Parce qu’écrire n’a jamais été pour moi être en ermitage. Aujourd’hui, à moins d’un succès littéraire, il est très difficile de ne vivre que de la vente des livres. Je suis donc beaucoup plus souvent sur les routes que derrière une table d’écriture. Je n’ai, d’ailleurs, aucun endroit précis pour écrire. Chez moi, dans le train, dans la rue… tout dépend où je me trouve. Avant, j’avais toujours des carnets sur moi pour noter des idées, des phrases, aujourd’hui mon téléphone est mon dictaphone. Mais si je sens que le texte sera long, je préfère me lancer tout de suite à l’ordinateur…pour gagner du temps ! 

J’ai adapté également mon rythme d’écriture au rythme de ces nombreux déplacements. Écoles, médiathèques, salon du livres, ateliers d’écriture, lectures à voix haute. Mon activité se cale donc beaucoup sur les rythmes scolaires. L’écriture elle, se cale sur ma seule décision. Mes mots sont mon seul métier. C’est une passion avant tout. Une liberté quasi totale. Même si cette liberté se paye ! Pas d’écriture : pas de texte. Pas de texte : pas de livre. Pas de livre : sans doute moins d’invitations ici ou là.

Pour beaucoup, écrire s’apprend en écrivant. Mais je crois encore apprendre à écrire en « rencontrant ». Depuis le premier livre publié, c’était une évidence : rencontrer. Parce que j’ai décidé que ce métier serait multiple. Lectures dessinées, lectures dansées, lectures scénographiées, lectures musicales, vidéo… Mes journées sont décidément de transmission ! Tenter de faire passer en mots, en voix, ce en quoi je crois.

Travaillez-vous généralement sur un seul projet ou vous arrive-t-il d’en développer plusieurs en même temps ?

C’est exactement ça ! j’ai toujours une foule d’histoires en cours. Certaines qui patientent avant que je les reprenne, d’autres que je m’impose de terminer, parce que c’est une demande d’illustratrice, d’illustrateur ou d’édition, d’autres encore qui n’auront jamais de fin. Mais, en commencer plusieurs, c’est aussi mon joli moyen d’être toujours en histoire. De ne pas avoir peur de la fameuse page blanche… du fameux écran blanc, en ce qui me concerne ! Et comme tout et à n’importe quel moment peut faire entrer en création… Je veux être réactif à l’idée, je veux ne pas bouder ma curiosité. Un seul projet récent m’a contraint à ne m’occuper que de lui !

Une comédie musicale commandée par le CREA d’Aulnay sous-bois pour 30 jeunes adolescent.e.s, une cheffe de chœur, un metteur en scène, une chorégraphe. Avec Hervé Suhubiette à la création musicale, nous avons été en « work in progress » pendant presque un an. Et comme c’était une grande première pour moi : des dialogues de théâtre et une dizaine de chansons, je m’y suis plongé entièrement. C’est San Francisco 78. Elles étaient tellement belles et beaux sur scène ! J’ai tellement pleuré à les voir si engagé.e.s…

Il n’y aura sans doute jamais de livre de ce texte de scène, mais celui-ci m’a offert la possibilité de croire que j’étais capable de me poser dans une histoire du début jusqu’à la fin.

Comment est né ce projet inédit ? Quel est votre rapport à la musique ? à la danse ?

C’est Hervé Suhubiette, auteur, compositeur, interprète qui m’a embarqué dans cette aventure folle. C’est lui que le CREA, lieu de création, de formation et de ressources dédié à la pratique vocale et scénique, accessible à tous.tes depuis plus de 30 ans… est venu chercher pour sa nouvelle création.
C’est lui qui a proposé mon nom d’auteur pour imaginer le livret… de cette comédie musicale.
Et, connaissant son univers, son chemin de musique, son goût du partage et nos chanteuses aimées communes… j’ai dit : « oui ». Ce « oui », c’était être invité à un grand repas où l’on ne connaît personne, ne pas être certain dans un premier temps d’avoir le costume approprié, mais ne pas douter, au final, de pouvoir assurer la conversation jusqu’au bout de la nuit… Et nous sommes partis de zéro.
J’ai eu envie de voir les 30 jeunes (12 / 17 ans) en plein cœur de San Francisco, 1978. Nous sommes l’année de l’assassinat d’Harvey Milk, dans une ville emblématique de la cause homosexuelle, une ville à la pointe dans le domaine de la mutation écologique et des revendications des libertés. Deux groupes de jeunes se retrouvent aux abords d’une grande palissade qui renferme les ruines d’une maison détruite.
Les un.e.s ont besoin de planches pour une manifestation proche, les autres viennent aider deux ami.e.s à y retrouver des souvenirs sous les gravats. Leurs souvenirs…
Et si de cette rencontre naissait un même combat ?
Et si sur cette terre, ils et elles reconstruisaient une terre utopique ?
Que construit-on, justement, quand le monde explose autour ?
Et si la jeunesse pouvait se faire entendre ? Toute la suite a été de grands questionnements, d’enthousiasmes et de pas à pas tremblants. Une nouvelle fois, dire beaucoup en peu de temps. Faire vivre plusieurs voix d’âges différents, plusieurs personnages aux personnalités propres. Savoir que ce serait un spectacle complet. Avec la musique qui me porte déjà au moment de l’écriture. Surtout la musique de films. Avec de la danse, art dont l’une de mes filles a fait sa raison d’expression… Tout cela fait que San Francisco 78 était un projet dingue !

Crédit Photo : CREA

Qui vous inspire ?

Toutes celles, tous ceux qui me nourrissent culturellement, humainement. Par leur cinéma, leur musique, leurs illustrations, par leurs textes bien sûr. Ceux qui m’ont tracé une voix d’écriture : Jo Hoestlandt, Thierry Lenain, Christophe Honoré, Anne Sylvestre, Richard Brautigan… et celles.eux que je côtoie aujourd’hui dans les salons du livre, les amis, ceux qui comptent dans la littérature.

Anne Sylvestre, par Albin de la Simone, 2020.

Avez-vous un livre de chevet, et si oui lequel ?

Je suis un lecteur de plus en plus lent. Parce que je sais souvent que le livre choisi va me plaire et que j’aime rester longtemps au cœur d’une histoire. Parce que je suis tout aussi happé par les séries et les films. Mais, là où je suis en ce moment, j’ai emporté : De délicieux enfants de Flore Vesco et Au nom de Chris de Claudine Desmarteau, dont j’aime tellement la langue.

Qui est votre premier.e lecteur.ice ?

Toujours un.e adulte. Souvent un.e ami.e. Jamais le.la même en fonction du texte écrit et de l’écho dont j’ai besoin pour rebondir, ou retravailler, ou me conforter. Enfin, l’éditrice ou l’éditeur, évidemment.

Quels sont les auteur.e .s et illustrateur.ice.s, qui vous émeuvent le plus ?

C’est une question si compliquée ! Une question de moments… Il y a, bien sûr, mes compères de l’Atelier du Trio Cathy Ytak et Gilles Abier qui, de manière très différente m’emportent par leurs écritures, leurs engagements, leur drôlerie, leur manière de raconter les émotions où l’aventure. Il y a forcément Anne Sylvestre dont je parle si souvent… pour les fondations solides d’une certaine idée de la liberté, du féminisme, de l’humanité. Jo Hoestlandt assurément qui est devenue ma marraine d’écriture un soir de 1999, alors que je n’étais pas encore beaucoup de mots. Et tant d’autres….

En illustrations, je suis épaté d’une Carole Chaix, qui trace un chemin d’images d’une force incroyable, Joanna Concejo et Régis Lejonc, Alfred et Natali fortier, Elodie Nouhen et Olivier Tallec, Marc Majewski et Cédric Abt, Arno Célérier et Lucie Albon, Thomas Baas et Julia Wauters… je pourrais ne m’arrêter que dans six forêts de pages… Oui, cette question est décidément bien compliquée !

Avec quel(les) auteur.e.s aimeriez vous travailler?

Si Pierre Lapointe me proposait de mettre en musique mes paroles, alors qu’il écrit les siennes… là, maintenant, tout de suite… je dirais oui. Si Rachel Corenblit a besoin d’un point d’exclamation venu d’ailleurs… Si Samuel Ribeyron a l’envie d’un scénario de film d’animation… Si Taï-Marc Le Thanh… Si  Beatrice Alemagna… Si Alfred…

Vous avez choisi d’écrire mais vous lisez à voix haute sur scène, vous venez de créer une compagnie, pourquoi cette envie ?

Lire à voix haute est depuis longtemps le prolongement de mon écriture de papier. En solitaire ou accompagné, que ce soient mes textes ou ceux des autres. J’ai été élevé à ça : les histoires enregistrées, les intonations, les silences, les « quand vous entendrez la clochette, tournez la page ».

L’écriture, même si elle m’est viscérale – je le sais aujourd’hui – n’est pas ce qui m’accapare le plus. « Dire » l’est tout autant. Alors, ce qui me guide, c’est avant tout le plaisir et la possibilité de me surprendre, l’idée que mes livres n’existent que parce qu’ils sont lus ou écoutés et que j’aime les partager. Je ne suis alors qu’une voix parmi tant d’autres possibles mais tout vient des textes. On ne lit pas de la même manière un polar et un album, un conte et un dialogue de cours d’école. Lire ne va pas de soi, c’est un vrai apprentissage, et je vois bien la difficulté qu’ont beaucoup d’enfants et d’ados à lire. Je veux dire, pas simplement déchiffrer, lire entre les lignes les silences de l’auteur.ice. C’est justement ce qu’offre la littérature : la subtilité. Et c’est une évidence que lire à haute voix ouvre des portes insoupçonnées à des oreilles qui n’auraient jamais lu ces textes-là. 

Et je tiens au livre entre les mains. Pour que l’objet soit au centre. Parce que c’est lui qui renferme les mots qui font les émotions.  C’est lui dont il ne faut plus avoir peur. Il s’agit là de donner l’envie. Cela passe donc par le choix de textes exigeants mais adaptés.

Logo créé par Carole Chaix

« Les Voix de poche », ma compagnie,  est née en 2022 de ce désir d’aller plus loin, de structurer l’aventure. Pouvoir, pragmatiquement, trouver des subventions. Être sur le terrain et les réseaux du spectacle vivant. J’en rêvais depuis longtemps sans vraiment le formuler. Je remercie pour cela mon compagnon (qui est dans la partie !) qui m’a poussé et fait confiance. Pour le premier projet de la compagnie, il fallait un texte nouveau et ambitieux. L’envie s’est aussitôt portée sur la création d’une histoire originale écrite avec Gilles Abier. Après des semaines de résidence d’écriture, elle s’appelle :  Rien de grave.

Rien de grave alterne entre deux voix, entre dialogues du temps présent et narration du souvenir, deux périodes de vies et des années de silence. Un texte que nous avons voulu âpre pour questionner les nœuds de l’adolescence et ce qui se joue de (dé)constructions dans le fil ténu des relations humaines, jusqu’à laisser souvent son empreinte dans les vies adultes. L’occasion d’être emportés plus loin par Laetitia Botella à la mise en scène. Salles de théâtres, auditoriums de médiathèques, de lycées… nous sommes prêts à venir partout !

Certain.es d’entre vous, auteur.e.s jeunesse, se lancent dans l’aventure d’écrire pour les adultes; seriez-vous tenté ? Pourquoi ? Pourquoi pas ?

Non, ça ne m’a jamais tenté, jamais effleuré l’esprit. Je le dis très sincèrement, je ne pense pas y avoir ma place. En tout cas pour le roman. J’imagine que la seule littérature qui me ferait mettre un pied en adulte, ce serait les paroles de chanson. Une nouvelle fois la forme courte pour dire beaucoup.

Vous avez illustré Libres d’être, écrit avec Cathy Ytak, chez les Edition du Pourquoi pas ?, avec vos collages poétiques. Vous avez une boutique en ligne de créations graphiques, photographiques, artistiques… Avez-vous envie d’illustrer vos propres albums plus souvent ?

Même réponse ! Non, ça ne m’a jamais tenté. J’aime l’image ponctuelle. J’aime en proposer comme un prolongement sincère de moi. En revanche, je côtoie trop d’illustrateur.ices talentueux.ses pour imaginer tenir un album entier. Mon petit compte de boutique en ligne est bien suffisant !

Si j’ai fait les collages du Libres d’être partagé avec Cathy, c’est vraiment à la demande des Éditions du Pourquoi Pas qui ont réussi à me présenter les choses si habilement que je n’ai pas pu refuser : faire des images comme je fais mes dédicaces dans les livres.

Libres d’être, de Thomas Scotto et Cathy Ytak, Editions du pourquoi pas ?, 2016.

Vous avez récemment été sacré Chevalier des Arts et des Lettres, vous avez été nommé pour, ou lauréat de plusieurs prix littéraires, quel est votre rapport à la reconnaissance du monde des lettres, de vos pairs ?

Ces distinctions n’arrivent pas tant que ça. Ma grande chance reste la fidélité et la reconnaissance de celles et ceux qui me lisent, m’invitent, m’interviewent (!) et m’offrent à chaque instant la légitimité d’une place au monde. Celle des Chevalier des Arts et des Lettres, je la dois à mon amoureux qui en a fait la demande. J’avais avoué, par jeu, une petite tristesse qu’aucun éditeur (surtout le premier) ne pense à fêter, à l’époque, mes vingt ans d’écritures. En voyant passer le dossier de candidature, il s’est dit « pourquoi pas ! ». Et voilà. Au début, je n’ai pas voulu croire que c’était important. J’ai balayé l’affaire, un peu gêné. Il a fallu que j’élargisse le propos pour l’accepter.

Photo personnelle de Thomas Scotto

Cette distinction était bien plus que la mienne. Elle est celle de notre littérature jeunesse, adolescente… notre littérature, tout court. Chacune et chacun, sur les routes depuis longtemps, nous savons l’importance de la transmission. Celle des questions posées entre nos lignes, au cœur de nos images. Celle qui fait rêver et puis qui bouscule, qui engage, pour ouvrir à toute humanité. Alors oui, je suis chanceux que le garçon que j’aime se soit dit que cela valait mes pages de poésies, mes années de mots, de sourires, de larmes, d’engagements…

Si vous n’aviez qu’une seule personne à remercier pour l’ensemble de votre carrière, qui serait-elle ?

Depuis plusieurs jours je cherche. Une personne n’est pas assez, évidemment. Qu’elle soit de famille, d’ami.e., d’enfance, d’inspiration, de tremplin ..J’ai fini par me dire… moi ?! Ce n’est pas grand-chose et c’est tout à la fois. Tout simplement parce que je veux pouvoir regarder ce « chemin de mots » et d’écritures, à la fin de ma vie, et être certain que j’étais entièrement entre chacune de mes pages d’histoires, que je me suis donné toutes les émotions pour cela… Heureusement, tellement d’humain.e.s me le prouvent déjà. Merci.

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Un immense merci à Thomas Scotto pour sa disponibilité, malgré un agenda surchargé, et son enthousiasme ! Pour poursuivre la découverte de cet auteur nous vous invitons à consulter son site internet : https://thomas-scotto.net/.

Les métiers du livre : dialogue entre Héloïse et Aurélien, professeurs-documentalistes

Après l’interview de Liraloin, bibliothécaire, nous avons eu envie de nous intéresser aux professeurs régnant sur les CDI (Centres de Documentation et d’Informations) pour les interroger sur leur métier. Héloïse, qui enseigne en collège, et Aurélien, professeur-documentaliste en lycée, ont accepté de nous répondre et de confronter leur vision de leur travail.

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Comment êtes-vous devenus professeurs-documentalistes, est-ce un rêve d’enfant ?

Héloïse : Non pas du tout ! Enfant, je voulais être archéologue ! C’est un peu un concours de circonstances qui m’a amenée à faire ce métier, alors que j’étais en deuxième année de master. Je travaillais en bibliothèque universitaire pour financer mes études, et je me disais que ce serait sympa de faire un métier en rapport avec les livres, vu qu’ils ont toujours été une passion. J’hésitais à passer le concours de bibliothécaire quand on m’a parlé du métier de professeur-documentaliste. L’année de préparation au CAPES a été une révélation !

Aurélien : Moi non plus, ce n’était pas un rêve, même si enfant, j’aimais beaucoup aller à la bibliothèque. Ce sont plutôt les circonstances qui m’ont amené à l’être : j’étais enseignant dans une autre discipline, et j’ai appris qu’il y avait des stages en reconversion pour être documentaliste. J’avoue que les corrections de copies et la répétition inhérente au métier de prof (« enseigner, c’est répéter », entend-on souvent à raison) me pesaient quelque peu, et j’ai profité de cette opportunité pour changer de voie. 

Quel est le parcours type pour exercer ce métier ?

Aurélien : Je ne sais pas s’il y a un parcours type. La brochure ONISEP me dira peut-être le contraire… Je pense surtout qu’il faut être prêt à intégrer un « système » tout en étant conscient que nous évoluerons un peu comme des électrons libres. Ce qui nous accorde une forme de liberté…

Héloïse : Je ne sais pas non plus mais j’ajouterai qu’il vaut mieux avoir des connaissances en sciences de l’information et en documentation, mais je ne suis pas un bon exemple, je me suis formée sur le tas !

Comment choisissez-vous les ouvrages (revues, romans, documentaires…) que vous proposez aux élèves ?

Héloïse : J’ai un budget ridicule, donc c’est quelque chose qui me demande du temps, il ne faut pas que je me trompe ! Je me base sur les programmes, les demandes des élèves, les sorties que je repère… Le plus difficile, c’est de faire des choix, puisque je ne peux pas acheter tout ce que je souhaiterais proposer à mes élèves !

Aurélien : En ce qui concerne les revues, il y a des incontournables notamment dans le domaine des sciences ou de l’actualité. Ensuite, il faut procéder à une sorte d’évaluation, en fin d’année, par exemple, en fonction des prêts, des consultations et du prix aussi ! Pour les livres, j’effectue un gros travail de veille documentaire. Comme Héloïse je me base sur pas mal de « sources » : les programmes, les demandes d’enseignants ou des élèves, une revue professionnelle (Inter CDI) ou plus généraliste (Lire magazine), mes lectures personnelles. Je consulte régulièrement la rubrique culture des hebdomadaires. Et il m’arrive aussi d’aller sur le site d’À l’ombre du grand arbre 

Quels sont vos rapports avec les autres professeurs ?

Héloïse : Ils sont très cordiaux dans mon établissement. Il faut dire que j’y travaille depuis un petit moment maintenant ! Globalement, ils sont partants quand je leur propose un projet, ce qui fait plaisir, mais je sais que ce n’est pas le cas partout. Après, je travaille tout de même souvent avec les mêmes enseignant.es… de lettres notamment !

Aurélien : À partir du moment où ils connaissent un peu mon métier, les rapports sont satisfaisants. Bien sûr, certains professeurs ne mettront jamais le pied au CDI avec leur classe ! Il faut faire avec, ne pas trop provoquer les choses au risque de mettre en place des séances superficielles. J’aimerais travailler davantage en amont avec les « réguliers », ce qui n’est pas toujours le cas… Mais quand cela se fait, en général avec des profs de lettres ou d’histoire, le résultat est toujours positif, pour nous, comme pour les élèves.

Parmi les projets ou les interventions que vous avez menés, duquel êtes-vous les plus fiers ? Pourquoi ?

Aurélien : C’est un métier où il faut apprendre, à mon avis, à être modeste et humble. Ce qui n’exclue pas la rigueur et la visée d’objectifs raisonnables. Je ne sais pas si j’ai à être fier de quoi que ce soit, mais je suis très heureux d’avoir pu créer des rencontres entres élèves et écrivains. Celles avec le regretté Charles Juliet, par exemple, ont été particulièrement riches…

Héloïse : Question difficile… Chaque projet est unique, je ne sais pas s’il y en a un que je préfère. Je suis toujours contente quand je vois les yeux des élèves qui s’éclairent, ou si cela leur permet de se révéler d’une manière ou d’une autre.

Vous avez un rôle différent des professeurs de matière, de quelle manière gérez-vous cette différence vis à vis de vos collègues et des élèves ?

Héloïse : C’est l’un des écueils du métier : les élèves ne nous considèrent pas forcément comme des enseignants, du fait de notre particularité. Ils n’ont pas « CDI » dans leur emploi du temps. J’en ai pris mon parti… Quant à mes collègues, ils ont compris que je pouvais apporter autre chose aux élèves, d’une autre manière, que c’était un autre moyen de travailler…

Aurélien : Je trouve que le métier de documentaliste (je ne me suis jamais senti obligé d’ajouter le mot « professeur ») permet un rapport différent avec les élèves et les enseignants. Il faut aussi apprendre à privilégier certaines misions par rapport à d’autres. Selon sa sensibilité ou personnalité, chacun fait sa propre hiérarchie. Faire un bilan devant les professeurs (en début ou en fin d’année) permet aussi d’apporter un éclairage sur notre travail, de leur faire comprendre que nous ne sommes pas là uniquement pour « ranger des livres », que nous devons participer à l’acquisition d’une culture de l’information pour les élèves, à favoriser l’ouverture culturelle de l’établissement, et que le CDI n’est pas une salle d’étude bis ! Bref, on fait de la pédagogie avec les profs aussi !

Quelle est la tâche que vous préfèrez ? Celle à laquelle vous ne vous attendiez pas en entrant dans ce métier ? Celle que vous aimez le moins ?

Aurélien : Faire les commandes de livres (romans, documentaires) m’intéresse, parce qu’elles ouvrent un champ de possibles. J’aime aussi partager des avis de lecture avec les élèves. Ou sur les films aussi, car le CDI doit être ouvert à la culture audiovisuelle. J’apprécie aussi d’aider les élèves à trouver des documents pertinents pour leur travail de recherche. En revanche, les tâches administratives (type réabonnements, etc.) sont assez lourdes. Et les relations téléphoniques avec les revues se sont dégradées depuis la fin du Covid… Nous devons collaborer avec des centres d’appel qui transforment les gens en robots ! Le pire selon moi, ce sont les éditeurs de manuels scolaires qui, au mois de mai, lors de la réception des spécimens pour les enseignants, nous prennent pour des valets à leur service ! Enfin, il est toujours délicat d’expliquer à des profs qui « s’invitent » au dernier moment au CDI que j’ai, moi aussi, un ordre du jour…

Héloïse : De mon côté, je ne m’attendais pas à devoir recouvrir des livres ! Et d’ailleurs, je n’ai jamais été très douée pour ça. Mais je te rejoins : ce que j’aime le moins, c’est tout ce qui est administratif. Les demandes à remplir pour espérer avoir un budget, les bilans et montages de projets qui demandent toujours énormément de temps. Par contre, j’aime conseiller des livres, j’aime expliquer des concepts aux élèves. J’aime partager mes connaissances, leur montrer qu’ils savent des choses. J’aime le contact et le partage en fait.

Justement, est-ce que vous estimez avoir un rôle particulier dans la transmission du « plaisir de lire » aux enfants ? Quelles actions avez-vous menées qui ont permis à des élèves de goûter aux joies de la lecture ?

Héloïse : Je pense qu’on a tous un rôle à jouer dans ce domaine… parents, famille, éducateurs, bibliothécaires, enseignants. Il est vrai que je peux plus facilement échanger avec eux, étant en première ligne !

Aurélien : Il est vrai que notre rôle est important. Mais nous devons faire face à un facteur qui nous complique le travail : face à la prolifération des écrans, de l’importance du téléphone portable, la lecture n’est plus la priorité des jeunes… De plus, dans mon lycée, il n’y a pas de quart d’heure lecteur (les enseignants n’y étaient pas favorables…)  L’idéal serait qu’il n’y ait plus de frontière entre « lecture plaisir » et « lecture obligatoire » en classe ! Est-ce que nos programmes scolaires permettent cela ? Je me pose la question… Par ailleurs, en ce qui concerne le CDI, il faut autant penser aux « petits » lecteurs (même si je n’aime pas cette expression) qu’à ceux qui dévorent les livres. Mais il faut préciser que le nombre de ces derniers se réduit comme une peau de chagrin à mesure que le bac approche ! C’est pourquoi je suis heureux quand nous pouvons mettre en place des rallyes lectures avec des classes. Mais, comme tu le disais dans ta réponse à la question précédente, je crois plus que jamais que le documentaliste peut devenir « passeur » en dialoguant le plus possible avec les élèves… 

Héloïse : Je mène des actions variées : des sélections thématiques, des présentations à des classes, des lectures offertes, des « emprunts mystère » (des livres emballés avec juste quelques mots-clés pour les présenter), des rencontres avec des autrices… Je présente toutes les semaines un « livre de la semaine », en essayant de varier les natures et les genres. Ce qui fonctionne bien aussi, c’est le « si tu as aimé tel livre, je te conseille celui-ci »…

Proposez-vous des sélections thématiques à certains moments de l’année ? Quelle est votre préférée ?

Aurélien : Oui, les « journées internationales » le permettent. Elles sont variées, souvent nécessaires. En plus, elles font vivre le fonds documentaire ! L’une des plus importantes, à mon avis, concerne la semaine contre le harcèlement scolaire…

Héloïse : Je le fais aussi, c’est un moyen très « classique » de mettre en avant des ouvrages. Je propose des sélection de rentrée, puis d’Halloween (qui fonctionnent toujours très bien), sur la première guerre mondiale, les droits des femmes, la science, l’écologie… J’aime bien aussi faire des sélections par « couleur », elles attirent le regard des élèves, les interpellent. Et puis je mets régulièrement en avant des lectures « faciles », pour les élèves qui n’osent pas trop lire.

Est-ce qu’il y a des échanges de lectures entre collègues là où tu travailles ?

Héloïse : Oui, mais c’est plutôt informel, sur nos pauses. Nous n’avons pas de club lecture – mais ce serait chouette !

 Aurélien : J’ai mis en place une « boîte à livres » en salle des professeurs, permettant à quelques titres retirés du fonds d’avoir une seconde vie. Des collègues me prêtent aussi des ouvrages qui pourraient avoir leur place au CDI. Comme avec Héloïse, les échanges se font surtout sur leurs temps de pause…

Avez-vous un rayon « pédagogies » ? Quel est votre titre préféré dans ce rayon ? Pourquoi ?

Héloïse : Non…

Aurélien : Nous n’en avons pas non plus, mais nous avons un rayon incluant des ouvrages aidant les élèves à mieux s’organiser par exemple. Mais pas de rayons « pédagogie » pour les profs. Je pense que, la plupart du temps, les enseignants sont contraints d’écrire leur livre eux-mêmes, en s’ajustant continuellement aux élèves, à leurs codes, sans toutefois tomber dans la complaisance ! Il faut rappeler combien ce métier formidable devient de plus en plus complexe, dans une société plus complexe elle-aussi…

Pour finir, avez-vous des partenaires avec qui tu travailles régulièrement ? Librairies ? Partenaires culturels (théâtre, centre de loisirs, cinéma…) ?

Aurélien : Non, pas vraiment. Beaucoup d’enseignants le font de leur côté, pour des projets ponctuels. Et peuvent le cas échéant, demander aux documentalistes de venir les accompagner… Je pense toutefois qu’il peut être « glissant » de solliciter systématiquement le documentaliste pour des partenariats extérieurs. Le risque est grand, je l’ai constaté, que le CDI devienne une agence de voyages. Pour moi, le plus intéressant dans ce métier, c’est l’échange avec les élèves…

Héloïse : Oui, on fonctionne beaucoup en réseau, avec les structures locales, et on travaille aussi avec quelques compagnies de théâtre. Comme nous avons peu de budget, cela permet tout de même d’ouvrir nos élèves aux offres culturelles locales, même si le pass culture nous permet aussi désormais de faire intervenir des structures qui viennent de plus loin. Nous profitons aussi du CLEA (Contrat local d’éducation Artistique) de l’agglomération, qui nous permet de monter des projets avec des artistes, auteurs et journalistes en résidence pour quelques mois.

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Merci à Héloïse et Aurélien d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et de nous éclairer sur leur métier finalement peu connu !

Entretien avec Cécile Alix

Après avoir partagé une lecture commune de A(ni)mal et avoir été bouleversées par Guerrière (lauréat de la sélection Belles branches du prix ALODGA 2024), nous avons eu envie de demander à Cécile Alix comment elle se saisissait de sujets aussi intenses. Et c’est avec beaucoup de gentillesse qu’elle a accepté de répondre à nos questions.

Nous vous proposons donc de découvrir le résultat de cet échange et de vous laisser porter par l’enthousiasme de cette auteure aux mille projets !

Pensez-vous qu’il y a des impératifs particuliers ou des écueils à éviter lorsque l’on écrit pour la jeunesse ?

Pour les 3-10 ans, j’évite d’utiliser un langage et des tournures trop sophistiquées, ainsi que des termes grossiers. Ce qui ne signifie pas que je simplifie au maximum, sans aucun « gros mot ». Je m’adapte à leur niveau de lecture, en glissant, de ci, de là, un mot qu’ils ne connaîtront peut-être pas, une formule un peu plus « alambiquée ». J’essaie de ne pas les ennuyer, plutôt de les amuser, de les faire rêver, de les embarquer. Quant aux jurons, je les tente drôles et imagés !

Pour les pré-ados, ados et jeunes adultes, je m’autorise davantage de liberté. Mais je suis attentive, avec l’aide de mes éditrices, à prendre soin de mes lecteurs et lectrices, à respecter leurs fragilités, leur émotivité, même si mes sujets sont parfois difficiles. Un écueil important aussi, c’est de « s’écouter écrire » et donc de lasser mes lecteurs et lectrices de tous âges : je « nettoie » beaucoup mes textes !

Y-a-t-il des auteurs qui vous inspirent ou dont vous appréciez particulièrement le travail ?

Il faudrait des kilomètres de papier pour en dresser la liste… Je lis, en ce moment, l’œuvre complète de Sorj Chalandon qui n’est pas un écrivain dit « de jeunesse », mais dont je conseille le dernier roman L’Enragé à tous les ados que je rencontre. J’aime son écriture « sans gras », tellement puissante et intense. Il est perméable au monde, il écrit vrai.

L’enragé, Sorj Chalandon, Grasset, 2023.

Dans ma bibliothèque de littérature jeunesse, il y a, entre des centaines d’autres, les albums de Rémi Courgeon, François Place, Claude Ponti, Muriel Bloch, Frédéric Clément ; les romans de Roald Dahl, Marie-Aude Murail, Jean-François Chabas, Jean-Claude Mourlevat, Timothée de Fombelle, Taï-Marc Le Thanh, Vincent Villeminot… tous et toutes sont fascinants et inspirants.

Vous écrivez aussi bien pour les jeunes enfants que pour les ados et même des scénarios de bandes dessinées. À quel moment définissez-vous l’âge auquel s’adresse votre histoire ? Des contraintes s’imposent-elles selon le type de lecteur visé ?

Avant d’écrire un texte, quel qu’il soit, je le tourne en tête et devine instinctivement à quels lecteurs je vais le destiner. À mon sens, quasiment tous les sujets peuvent être abordés en littérature jeunesse, que l’on s’adresse aux très jeunes lecteurs comme aux plus âgés. Ensuite, bien sûr, je tente « d’écrire vrai » en adaptant mon langage, la longueur du texte, pour respecter le mieux possible les enfants auxquels je m’adresse.

Parlons un peu de vos romans ados et jeunes adultes, qui nous ont tout particulièrement touchées. Un certain nombre de vos personnages principaux traversent des expériences dramatiques (migrant, enfant-soldat, harcèlement, deuil…) parfois inspirés de faits réels. De quelle manière vous choisissiez vos sujets ?

Ils viennent à moi, me happent. Lorsque je suis touchée par des sujets tels que ceux que vous évoquez, ils m’imprègnent puissamment, je me plonge en eux, et un jour, ils deviennent texte.

Nous avons d’ailleurs été impressionnées par la manière dont vous immergez vos lecteurs dans ces situations, comment vous documentez-vous ?

Je m’enrichis d’événements vécus personnellement, de rencontres importantes, de longs échanges, d’une chaîne humaine qui m’offre sa réalité que je transforme en fiction. Je me documente beaucoup aussi avant d’écrire. Je lis énormément, consulte des archives, regarde une importante filmographie, parfois des années durant. Je m’efforce d’être digne de mon sujet.

Dans Guerrière, par exemple, la force de restitution de vos mots nous a glacées. Le mélange de tons entre des mots directs, presque crus, sans confusion possible ; des descriptions poétiques (de la nature notamment) et d’une certaine candeur car la narratrice n’est encore qu’une jeune ado est impressionnante. Ces sujets délicats vous obligent-ils à faire des choix stylistiques ?

Chacun de mes romans possède son langage. Car chaque personnage vit une situation singulière. J’ai beaucoup réfléchi à la langue en écrivant Guerrière. Comment s’exprime-t-on lorsque l’on est confronté à la guerre, au danger, à la terreur, à la mort ? Que deviennent alors la parole, le souffle, la pensée ? Quel est le langage d’un enfant face à de telles atrocités ? La langue de ma narratrice, qui est enfant-soldat, ne pouvait être trop « littéraire », il fallait créer des rythmes syncopés, briser la phrase, la déstructurer, traduire le chaos, asphyxier le vocabulaire, puis peu à peu lui rendre ses mots-rivières, lui permettre la douceur, la respiration, l’harmonie.

Guerrière, Cécile Alix, Slalom, 2023.

Vos romans sur les migrants ou les enfants soldats adoptent la perspective de minorités auxquelles vous n’appartenez pas, ce qui ne vous empêche pas de traduire extrêmement bien leurs émotions. Que pensez-vous des débats autour de l’idée d’appropriation culturelle ?

Pour répondre brièvement à l’introduction de votre question : le destin d’enfants migrants puis celui d’anciens enfants-soldats ont croisé le mien. Depuis nous cheminons ensemble. Je pense qu’il est essentiel, nécessaire, de regarder en face, sans la minimiser, la réalité de ceux qui font partie de minorités dans nos sociétés « occidentales ». Ils ont la sensation désespérée de ne jamais être entendus lorsqu’ils parlent de leur propre histoire. Le discours qui les concerne est majoritairement véhiculé par d’autres, et ils se sentent eux-mêmes censurés. Mais faut-il pour autant interdire aux écrivains de se saisir de personnages qui appartiennent à une autre catégorie sociale ou culturelle que la leur ? Les empêcher de s’emparer de pans de l’histoire qui, déconnectés de leurs propres racines, semblent devoir « appartenir » à d’autres ? Je n’ai pas de « bonnes réponses »… Il me semble que les écrivains, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, peuvent être des atouts précieux dans la lutte contre les préjugés et les discriminations. Je ne peux pas mieux dire que l’auteur franco-ivoirien Armand Gauz : « Mon rôle d’écrivain c’est de fabriquer l’abîme intellectuel dans lequel les gens vont se sentir à l’aise et penser le monde de l’autre. »

Vous savez aussi vous glisser avec talent dans la tête d’une adolescente. Comment avez-vous trouvé le ton juste pour vos biographies d’artistes Vus par une ado ?

Lorsque nous avons commencé la collection 100% Bio avec l’éditrice, Manon Sautreau, elle m’a demandé de penser une série de biographies « vivantes, accessibles aux ados, et pas barbantes », de faire « drôle » ! J’ai cherché, cherché, produits sept essais : ce n’était jamais assez marrant au goût de Manon. Je me suis alors mise devant un miroir et me suis raillée moi-même : « ma pauvre Cécile, tu es trop naze, même sur YouTube, on ne voudrait pas de toi plus de trente secondes. » L’idée était née : le narrateur est l’ado, raconte la bio d’un personnage célèbre à la 1ère personne (comme s’il tournait dans une vidéo YouTube), donne son avis, répond aux questions que pose le lecteur au moyen de bulles, nous confie des détails de sa propre existence…

Et justement, sur quels critères choisissez-vous les figures auxquelles vous consacrez ces documentaires ?

Le premier personnage, Léonard de Vinci, je l’ai choisi parce qu’il est le plus universel de tous et que je l’admire. Molière, parce que je l’adore (et l’admire également). Cléopâtre pour raconter la réalité d’une femme dont le pouvoir politique et l’intelligence ont souvent été dénigrés, méprisés… Picasso, l’éditrice me l’a « commandé »… Mais c’est moi qui ai proposé le sujet de mon prochain 100% Bio ! Il traitera d’une multitude de personnages qui ont donné leur voix à un formidable mouvement culturel et musical : le rap !

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Mille mercis à Cécile pour sa gentillesse et ses sourires ! Vous pouvez retrouver son actualité sur son blog.

Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir de nouveaux titres de Cécile Alix, il y en a pour tous les âges et tous les goûts. D’ailleurs, quel titre de cette auteure préférez-vous ?

Entretien avec Jean-François Chabas

Ecrivain-voyageur par excellence, Jean-François Chabas a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions entre deux séjours à l’étranger. Et elles étaient nombreuses tant son œuvre est riche et variée !
Albums, romans jeunesse ou « pour les grands », ce baroudeur aux multiples talents aime partager les cultures autochtones qu’il découvre et son espoir que leurs conditions de vie s’améliorent. Sous le Grand Arbre, nous sommes particulièrement touchées par l’humanité qui irrigue ses textes.

Photo issue du site officiel de Jean-François Chabas : www.jean-francois-chabas.com

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Pensez-vous qu’il y a des impératifs particuliers ou des écueils à éviter lorsque l’on écrit pour la jeunesse ?

Écrire pour la jeunesse impose une contrainte de style, singulièrement de vocabulaire, mais je prends garde depuis toujours à respecter les enfants en leur offrant un travail littéraire, par goût de la beauté et pour leur ouvrir l’esprit…
Parce qu’ils sont lecteurs à part entière.

Justement, vous écrivez aussi bien des albums que des romans jeunesse, ou pour les adultes. À quel moment définissez-vous l’âge auquel s’adresse votre histoire ? Des contraintes s’imposent-elles selon le type de lecteur visé ?

Certains de mes textes sont interchangeables, entre littérature jeunesse et littérature générale. Sauf bien entendu pour les petits. Encore à mon avis est-ce le gage d’une littérature jeunesse de qualité que de pouvoir être lue par les adultes sans déplaisir ni ennui. La qualité littéraire doit être présente partout, puisque c’est le respect du lecteur.

Y a-t-il des auteurs ou des artistes qui vous inspirent ou dont vous appréciez particulièrement le travail ?

L’inspiration puisée chez les artistes, oui, elle est immense. Je suis très influencé par les Anglo-saxons, de Melville à Dickens en passant par Stevenson, Steinbeck, Jim Harrison avec qui j’ai eu la chance d’échanger du courrier. Russell Banks, prodigieux. Mais il y a aussi les germaniques, Hesse, Zweig, Mann, les hispaniques, García Márquez, Vargas Llosa, les français, Tournier, Le Clézio, et puis les peintres, Vermeer, les musiciens… il faudrait cent pages.
André Migot, l’écrivain voyageur, que je respecte et j’adore, ou encore Nicolas Bouvier, autre voyageur…

La liste des illustrateurs ayant travaillé sur vos textes est très impressionnante. Comment se passent vos collaborations ?

La collaboration avec les illustrateurs est souvent lointaine. Il est rare que je les rencontre, mais je suis très solitaire de nature, et je préfère le monde sauvage. Je communique avec certains, sans les voir le plus souvent. J’en profite pour saluer José Muñoz, qui m’avait illustré Les Frontières, un homme très élégant et généreux.

Les frontières, Jean-François Chabas, illustrations de José Munoz, Casterman, 2001.

Il y a récemment eu un débat sur la rémunération des auteurs. Sans entrer dans une quelconque polémique, souhaitez-vous vous exprimer à ce sujet ?

C’est un sujet grave, qui touche véritablement au scandale. L’acceptation de droits et d’avances ridicules de la part de certains artistes crée une situation où des contrats léonins sont proposés. Il faut se battre. Sur le terrain du respect humain aussi.

Nous vous savons grand voyageur, et nous avons évidemment fait le lien avec le choix de situer nombre de vos romans sur des terres lointaines (Amérique, Australie…). D’où vient ce goût pour l’exotisme ? Ces mondes-là seraient-ils plus propices aux aventures ?

Eh bien… Je reviens du Northern Territory australien où j’ai passé des mois avec les tribus. Je vous confirme qu’entre les crocodiles géants ultra-agressifs, les méduses-boîtes, les requins tigres, les araignées mortelles, un cyclone de catégorie 5 qui nous a frôlés, un feu de forêt géant qui nous a fait courir et une émeute aborigène sérieuse à Tennant Creek, oui, c’est plus sportif là-bas.
Plus sérieusement, j’en profite pour attirer votre attention sur le drame que vivent les tribus partout sur l’île. Vous pouvez lire Red Man, Ils ont volé nos ombres, ou La sorcière et les manananggals, des romans que j’ai publiés sur le sujet. Ces gens vivent un calvaire.

A ce sujet, nous avons été impressionnées par la manière dont vous immergez vos lecteurs dans ces lieux qui leur sont parfois inconnus. Comment vous documentez-vous ?

Je me documente, autant que possible, en allant sur place, ou bien j’y passe beaucoup de temps. La documentation rigoureuse est indispensable lorsque l’on aborde n’importe quel sujet, mais peut-être surtout quand c’est ethnologique. Dans le cas des Aborigènes, ou celui de certaines tribus américaines, j’ai passé du temps avec eux. Les Aborigènes australiens plus que tous les autres, peut-être, sont très mal servis en littérature occidentale. Je m’attache à décrire avant tout leurs conditions de vie épouvantables, particulièrement dans les communautés, mais partout en vérité. Il me semble obscène de vouloir piller leur culture, de vouloir faire du folklorique, avant de dire qu’ils meurent. Ils m’ont directement demandé de parler de leur tragédie, et cela du sud au nord, de l’est à l’ouest. J’ai parcouru des dizaines de milliers de kilomètres en trois très longs séjours pour leur parler, mais surtout pour que eux me parlent. Je suis à leur service. Je garde dans le cœur le souvenir des taudis que j’ai traversés à pied, la peur au ventre, au milieu d’une population traumatisée, clochardisée, assassinée par l’alcool, les drogues, la misère morale et matérielle. Ces gens meurent dans l’indifférence générale.

Comme vous le disiez vos romans sont le plus souvent ancrés dans le réalisme et liés à vos rencontres, mais vous avez fait quelques incursions dans la fantasy. Que vous apporte ce genre en particulier ?

La fantasy m’apporte de la fantaisie !

Votre travail a reçu de nombreuses marques de reconnaissance entre les prix, les traductions et les titres figurant sur la liste des recommandations de l’Education Nationale. Est-ce que l’une d’entre-elles vous touche plus particulièrement et pourquoi ?

Les prix, c’est terriblement subjectif. Je me permets de l’affirmer parce que j’en ai eu beaucoup. Il y aurait tant de choses à dire, à commencer par le fait qu’ils sont souvent remis à ceux qui se déplacent pour aller les chercher… Mes deux prix Versele [en 2000 pour Les secrets de Faith Green, puis en 2017 pour L’eau verte ndlr] me font très plaisir parce que j’aime les Belges. La recommandation de l’éducation nationale pour La terre de l’impiété me touche parce que c’est un sujet – la guerre d’Algérie – extrêmement casse-gueule, où l’on se fait des ennemis de tous les côtés, et que mon sérieux mon impartialité ont été reconnus.
La traduction de mes romans et albums en 15 langues, c’est merveilleux, parce que l’on sera lu par des petits Chinois, des Coréens, des Italiens, des Russes, des Turcs…

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Merci à Jean-François Chabas de nous avoir accordé du temps malgré son emploi du temps chargé !
Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir certains de ses romans.
Et si vous souhaitez en apprendre plus sur son univers, n’hésitez pas à visiter son site internet.

Passeuse d’histoire : Liraloin, bibliothécaire à ses nombreuses heures perdues

A l’Ombre du Grand Arbre, nous aimons créer de nouvelles rubriques. Avec les « passeurs d’histoires », les arbronautes vous proposent de découvrir les différents métiers du livre. Ce lundi nous commençons avec Liraloin qui le jour est une bibliothécaire-infiltrée dans un réseau.

Votre bibliothécaire croquée par une jeune lectrice lors d’une séance de lecture pour une classe et autre dessin réalisé par un ex-collègue !

Comment es-tu devenue bibliothécaire ? Est-ce une vocation précoce ou le résultat d’un cheminement, et lequel ?

Je n’étais pas très douée pour les études. J’adorais lire et rêver, beaucoup trop même. Je me dirigeais plus vers le métier de professeur car j’aimais l’histoire et surtout le français. Parallèlement je répétais souvent « j’aimerais travailler dans les livres… » mais en ne sachant pas quoi faire exactement. C’est ma p’tite maman qui s’est dit que d’aller rencontrer la bibliothécaire de la médiathèque de notre ville serait une bonne idée (cette médiathèque venait d’être créée). Et là, révélation : le cursus et le contenu m’ont parlé de suite. Je peux dire qu’à l’âge de 18 ans je savais que je voudrais être bibliothécaire.

Quelles sont les principales qualités à avoir pour envisager ce métier selon toi ?

Il y a différents niveaux de compétences pour exercer ce métier. Si l’on veut occuper un poste comme le mien (responsable d’une section jeunesse), il est impératif d’avoir plusieurs cordes à son arc. Après, la charge de travail correspond à l’équipe que l’on encadre (autonomie, prise d’initiative, suivi des collections et des actions culturelles….). La principale qualité c’est d’avoir un grand sens du service public, nous sommes là pour les usagers. Tout va découler naturellement de cette notion.

On imagine le métier de bibliothécaire en se disant qu’il permet de lire énormément et en voyant surtout ce que l’on expérimente en tant qu’usager : quelqu’un qui nous aide à trouver LE livre qui correspond à ce que l’on est venu chercher…

En fait, c’est une idée complétement biaisée du métier. En médiathèque on ne lit pas, on lit chez soi comme les usagers. Je lis les albums pour vraiment être certaine de ne pas me tromper dans les âges, « les 0-4 ans » et les « 5-8 ans ». Après, tout dépend de l’investissement de la personne. C’est un métier en perpétuelle mutation donc j’essaye, par le biais des formations ou de ma curiosité naturelle, d’en savoir toujours plus. Je me rends compte que je n’arrête jamais, il est tellement important de savoir mesurer l’impact du numérique tout comme comprendre le succès de tel ou tel courant littéraire…

Comment choisis-tu les livres que tu commandes ? Peux-tu nous raconter le parcours d’un livre entre le moment où il arrive et celui de sa mise en rayon ?
Dans ma carrière, j’ai occupé plusieurs postes dans différentes villes. On ne fait pas les mêmes acquisitions, il faut mesurer les attentes du public et aussi savoir « bouleverser » les attendus. Exemple : une fois par mois je propose aux jeunes parents une matinée sur la sensibilisation à la littérature de jeunesse. Les parents qui y viennent n’ont pas les mêmes attentes. Pour un couple qui lit régulièrement à son bébé, je vais sortir des sentiers battus en leur montrant des livres atypiques vers lesquels ils ne seraient peut-être pas allés. A contrario de parents qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’on peut lire à un bébé, là je vais aller vers des livres plus faciles d’accès en leur montrant comment lire… sans évidemment donner de leçons. La seule chose que je dis (pour tous) : « prenez plaisir à lire l’album ou chanter, l’enfant le sentira tout de suite ». (bon j’ai divagué sur l’action culturelle mais tout est très imbriqué !)
Pour les acquisitions, nous avons des statistiques : taux de rotation d’un livre durant un an (le nombre d’emprunts d’un livre), c’est en partie cela qui va déterminer l’orientation des collections. Est-ce que je développe plus d’albums pour les 0-3 ans ? Comment achalander une collection de documentaires ? Est-ce que je ne vais pas extraire les albums jeux des albums pour attirer des enfants qui lisent moins car j’ai une section jeux vidéo et que cela peut être cohérent ?
Comme j’ai une certaine expertise en éditions jeunesse, je fais la différence dans le travail de certaines maisons d’éditions. Attention également à bien équilibrer les collections et ne pas acheter que des livres élitistes… sachant que certains ouvrages sont peu empruntés (comme la poésie et le théâtre), c’est à nous de mettre les collections en avant et d’en faire la médiation (c’est un autre pan du métier).
Le livre est commandé chez un libraire (les médiathèques travaillent avec des prestataires qui répondent aux critères d’un marché établi par des collègues travaillant en politique documentaire – j’y ai travaillé également). Le livre peut arriver équipé ou nu selon les degrés de prestation. Pour un livre nu, il faut l’équiper : code-barre, estampillage (tampon de la médiathèque), pose de charnière et de filmolux (couverture avec un film plastique spécial), de la puce RFID (antivol) et de la cote du livre (son adresse : pour le retrouver en rayon). Ensuite il est catalogué (référencé dans le SIGB – le logiciel de la médiathèque). Chaque médiathèque a son SIGB et donc le développe selon les demandes hiérarchiques (tranches d’âges, genre des romans ou des films, section jeunesse ou ado, fonds spécifiques : parentalité ou FAL (Facile à Lire). Puis mise en rayon, en facing pour les mettre en valeur ou sur les tables de nouveautés ….

Quel aspect de ton métier préfères-tu ?

J’aime beaucoup ce que je fais au quotidien. Ce que je préfère c’est de monter des projets et des actions culturelles en direction des usagers et choisir les documents qui correspondent au public en attente. Pour moi, le seul fait qu’une maman me dise « je trouve vraiment tout ce que je veux dans cette médiathèque » me prouve que j’ai réussi à faire des acquisitions pertinentes. La communication est très importante, il ne faut rien laisser au hasard, elle passe autant par la médiation des collections (tables thématiques, mise en avant d’un auteur…), que par la médiation des actions (savoir reconnaître un usager qui serait intéressé par tel ou tel atelier…). C’est pour tout ce qui se passe dans les murs de la médiathèque car le travail hors les murs est aussi important, notamment les projets que l’on monte avec nos partenaires associatifs ou éducatifs.

Et, a contrario, y a-t-il des tâches un peu moins sympas dont les usagers n’ont pas conscience ?

Je dirais que c’est la difficulté de se faire entendre par la collectivité parfois. Il n’y a pas de tâches moins sympas, enfin pas à mon niveau. Par contre, je n’occuperai jamais un poste en direction : faire des plannings, gérer le bâtiment… ce n’est pas ce que je préfère.

Dans les inconvénients (mais c’est peut-être une vision biaisée du métier), une sous-question sur le poids de l’administratif ou des budgets à gérer peut-être ?

Cela dépend vraiment de la collectivité. J’ai connu des budgets très serrés comme le contraire. J’ai quitté un poste en politique documentaire principalement pour cet aspect. Gérer des commandes, passer des commandes…. Ce n’est pas très stimulant. Heureusement il y a d’autres tâches très bien en politique documentaire mais on est moins dans l’action auprès du public.

Comment conseilles-tu tes lecteurs et lectrices ? As-tu des valeurs sûres, ou essaies-tu de cerner leurs envies de manière très personnalisée ?

C’est très aléatoire je dirais. Le fait de créer une table thématique peut mener la lectrice-le lecteur à prêter attention à des livres vers lesquels il/elle ne serait pas allé/e. Ce que je préfère c’est surprendre l’usager !

Après il y a aussi le conseil individuel. C’est toujours agréable lorsqu’on range les étagères, souvent les lecteurs nous interpellent. Il m’arrive aussi de m’immiscer en toute discrétion pour un conseil comme ça : surtout quand une maman explique à son fils qu’elle en a marre car il ne lit que des mangas et qu’elle aimerait qu’il lise un roman, c’est classique et là bim… je m’adresse à l’enfant directement, le parent n’existe plus et je lui demande ce qu’il préfère : l’aventure, le suspens, avoir peur…. Généralement il ou elle repart avec LE roman. Comme toute bibliothécaire, j’ai des valeurs sûres.

Les bibliothèques peuvent jouer un rôle super important pour devenir ‘lecteur’, découvrir la littérature. As-tu une anecdote que tu voudrais nous raconter ?

Récemment une éducatrice d’un centre social (celui du quartier de la médiathèque) m’a demandé d’accueillir à la médiathèque des familles qui ne fréquentent pas le lieu. C’était un chouette moment, j’avais préparé des lectures pour les 5-11 ans, des valeurs sûres ! Lors du temps fort sur la restitution des actions menées par ce centre social, l’éducatrice m’a expliqué que les enfants et les parents avaient tellement adoré les histoires qu’elle avait envie de faire venir un conteur plutôt qu’un magicien. Elle m’a expliqué aussi que pour elle c’était le moment qu’elle avait préféré car le groupe était agité et que j’avais su capter leur attention. Il ne m’en faut pas plus pour être heureuse.

Et peut-être ta plus belle rencontre / ton plus beau souvenir ?

Je ne sais pas si j’ai un plus beau souvenir. Ce que je cherche dans ce métier c’est la décharge de bonheur que le conseil ou une situation peut provoquer. Le fait de voir qu’un enfant revienne à la bibliothèque avec ses parents car il n’arrête pas de parler « de la dame qui a raconté des histoires » durant un accueil de classe. D’être émue lorsque je vois les collégiennes et collégiens sauter de joie lorsque je leur annonce qu’une autrice va venir les rencontrer. De voir qu’un bébé de 2 ans lit le petit album que je viens de lui lire, à sa manière, et qu’il le refait 1.2.3 fois de suite laissant son parent complètement bluffé.

Après un de mes plus beaux souvenirs c’est d’avoir modéré un auteur lors d’une rencontre avec le public. C’est beaucoup de travail mais si satisfaisant !

Les projets dont tu es le plus fière et/ou que tu adores mener ?

Le projet que j’adore c’est la création du comité de lecture avec le collège de mon secteur et cette relation de confiance qui s’installe avec la professeure-documentaliste. Cette année, les élèves sont très motivées et surprenantes. Le fait d’avoir associé également les élèves du conservatoire de théâtre est une belle initiative (les comédiens et comédiennes interprètent les extraits des romans choisis pour donner envie aux jeunes de lire). J’adore aussi « Nos doudous aiment les histoires » : sensibilisation à la littérature de jeunesse. Un titre que j’ai choisi car ce qu’aime le tout-petit c’est raconter à son doudou. A chaque fois, je me sens utile, passeuse d’histoires…

J’ai adoré lorsque ces mêmes élèves du conservatoire sont venus à la médiathèque répéter des textes que j’avais choisis sur la thématique de la liberté dans le cadre de « Partir en livre 2023 », c’était émouvant, si heureuse que les textes leur aient plu !

Après j’ai adoré monter un Apéro-comics pour faire découvrir les comics aux usagers emprunteurs de BD et mangas (c’était en 2016). Un autre projet dont je suis fière aussi c’était que des jeunes d’un centre aéré puissent lire des textes mis en musique par un percussionniste et une comédienne.

Il y a eu aussi ces jeunes d’un lycée pro qui avaient monté un club mangas (on s’y rendait une fois par mois, on avait même fait un speed-booking) et qui sont venus à la médiathèque sur un temps fort autour de la SF (alors que ce n’est pas du tout mon rayon). Après, sans prétention, je n’ai peur de rien, je suis si passionnée que tout est un plaisir !

Le public que tu préfères ?

Je n’ai pas de préférence mais je dirais tout de même le public jeunesse (c’est mon secteur). Tous les âges sont sympas. Je suis aussi à l’aise avec le public handicapé que les personnes âgées ou les tout-petits.

Tu as travaillé dans différentes structures, dans des bibliothèques de village peut-être avant de travailler dans de plus grosses structures (ou inversement ) : qu’as-tu préféré ? Pourquoi ?

C’est vrai, j’ai eu la chance de travailler pour différentes collectivités. J’ai débuté dans une médiathèque qui appartenait à un réseau de trois médiathèques en plus de faire partie d’une agglomération de 13 communes qui avaient aussi leur propre réseau interne, ou une seule médiathèque pour les petites communes. Nous avions le catalogue en commun et une méthodologie de catalogage commune ainsi qu’une navette (circulation des documents réservés-retours). Nous ne travaillions quasiment jamais ensemble. Par contre, les trois médiathèques travaillaient ensemble et les agents étaient mobiles selon leurs missions. Après, j’ai travaillé dans une médiathèque dans une commune de taille moyenne et le travail était différent. On est certes assigné à un poste mais on est plus multitâches. J’ai aimé travailler dans ces deux collectivités même si j’ai eu une petite préférence pour la médiathèque n’appartenant pas à un réseau, j’étais plus libre de créer des projets… bon cela tient aussi aux orientations de la direction. Actuellement je travaille sur un réseau de six médiathèques mais il y a beaucoup de retard par rapport à ce que j’ai connu et c’est parfois difficile.

Comment envisages-tu ta mission auprès des classes ? (que dirais-tu du partenariat entre bibliothèque et Education Nationale ?)

Je fais des accueils de classes depuis mes débuts (2005) et j’ai connu de belles actions. J’ai connu le travail sur un projet durant une année entière ou bien sur une création avec une temporalité plus courte. Cette année, c’est la première fois que je ne fais pas d’accueil de classe (maternelle-élémentaire), je me consacre aux autres accueils (petite enfance – collège – autres partenariats…). Peu d’agents ont de l’expérience dans ces accueils donc … ça m’embête mais je ne peux pas être partout. C’est la deuxième année que je reçois les 10 classes de 6ème du collège de mon secteur et cela commence à porter ses fruits. Les collégiens viennent s’inscrire ou fréquentent la médiathèque plus assidument. La fidélisation prend du temps.
Le partenariat entre les médiathèques et l’Education Nationale dépend vraiment de plusieurs facteurs. C’est un peu complexe à expliquer ici. Pour conclure je dirais qu’il n’y a pas la même implication selon les collectivités. C’est terrible car j’ai l’impression que l’on est en perpétuel recommencement. Rien n’est jamais acquis. Dans ce métier il est aussi important de se faire entendre et, là aussi, c’est compliqué…

Et pour finir : du vocabulaire surprenant… « mais quel est ce terme ? »

Désherbage : au Canada les professionnelles utilisent le terme « élagage », cela consiste à enlever des livres des collections.

Refouler : c’est redresser une étagère de livres

Bulletinage : opération de pointage des périodiques (revues)

Exemplariser : le fait de rattacher un exemplaire à sa notice

Estampillage : apposer le tampon de la médiathèque sur la page de titre.

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Quel beau métier que celui de bibliothécaire !

Merci Liraloin d’avoir répondu à nos questions pour ce premier article de notre nouvelle rubrique sur les acteurs du livre !