L’arrêt du cœur est un roman de la collection Polynie des éditions MéMo d’Agnès Debacker illustré par Anaïs Brunet. Il parle de Simon, un jeune garçon de 10 ans qui se retrouve confronté à la mort de sa voisine, dont il était proche. En cherchant à rapporter un souvenir d’elle, il découvre l’amour, celui de Simone, à l’époque de la guerre d’Algérie. Nous sommes plusieurs à l’avoir apprécié et nous partageons avec vous notre lecture commune.
Aurélie : A quoi vous attendiez-vous en découvrant la couverture ?
Pépita : Difficile à dire pour la couverture ! Pas de lien si évident entre ce jeune garçon assis, tenant une théière rouge entre ses mains et écoutant ce qu’elle a à lui dire, et le titre ! Une histoire d’amour mais pas vraiment celle à laquelle je m’attendais.
Aurélie : Je m’attendais à un roman à l’eau de rose, un jeune garçon amoureux qui colle la théière contre sa joue, peut-être car sa bien-aimée l’a touchée.
Isabelle : Comme vous, je me suis attendue à une romance ! Le titre, associé à la couverture aux tons pastels qui représente un garçon rêveur… C’est en tout cas ce qu’ont pensé mes garçons, même si comme tu le dis Pépita, c’est trompeur – et c’est un peu dommage, car ils sont un peu comme le protagoniste, Simon qui dit à un moment : « selon toute vraisemblance, j’ai affaire à une histoire d’amour et moi, les histoires d’amour, ça m’ennuie au plus haut point ». De mon côté, je considère les romans de la collection Polynie comme une valeur sûre garantissant des voyages hors des sentiers battus. Je n’ai pas hésité et je me suis plongée dans la lecture avec beaucoup de curiosité !
Hashtag Céline : Honnêtement, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Plutôt une histoire d’amour mettant en scène des adultes. Comme je le fais de plus en plus, je ne le lis plus le résumé afin de me garder le plaisir de la découverte, surtout chez MeMo. Sur la couverture, c’est Simon. Mais sans lire ce roman, même si on le comprend vite, je trouve qu’on n’identifie pas immédiatement ce personnage comme un enfant. De fait, en découvrant l’histoire et l’âge de Simon, j’ai été plutôt étonnée !
Bouma : En ce qui me concerne, et ayant lu le résumé, la couverture m’a rappelé les éléments clés de l’histoire à savoir un jeune garçon cherchant à connaître les secrets contenus dans cette vieille théière rouge.
Aurélie : Le roman mélange le drame et l’enquête. Pour sa forme, le récit n’est pas découpé en chapitres mais est entrecoupé des belles illustrations d’Anaïs Brunet, qu’avez vous pensé de cette proposition et quel impact a-t-elle eu sur votre lecture ?
Pépita : Je ne me suis aperçue de l’absence de chapitres qu’après un petit moment, à vrai dire, mais j’ai eu aussi besoin de m’arrêter par moments, pour mieux savourer cette histoire. J’ai aussi beaucoup aimé que le fil soit déroulé d’un seul jet avec ces illustrations, qui le ponctuent. Cela donne une fluidité et une profondeur.
Aurélie : Comme toi Pépita, je n’ai pas vu sur le moment qu’il n’y avait pas de chapitres. Le roman m’a fait le cœur lourd, mais je n’arrivais pas à lâcher le livre. Ses illustrations m’ont permis de prendre mon souffle dans ma lecture.
Isabelle : De mon côté, j’ai remarqué assez vite l’absence de chapitres et le système de respiration autour de grandes illustrations : pourquoi pas ? Pour moi, ça a été une incitation à dévorer le roman d’un trait. La construction de l’intrigue autour de l’enquête de Simon est très réussie à mon sens : une manière de tenir le lecteur en haleine de bout en bout et d’éviter un registre trop dramatique autour du deuil de Simon.
Hashtag Céline : J’ai trouvé aussi que l’ensemble était très fluide et que tout justement s’imbriquait parfaitement. Texte et illustrations se répondent et se complètent. De fait, je ne me suis posée aucune question pendant ma lecture sur la présence ou non de chapitres. Je me suis trouvée complètement happée par ce roman. Grâce à cette ambiance qui s’installe aussi bien par la musique des mots que les couleurs des illustrations, j’ai suivi avec beaucoup d’émotion Simon dans son travail de deuil puis cette enquête étonnante, qui apporte un souffle nouveau à l’histoire.
Bouma : L’absence de chapitres ne m’a pas du tout gênée dans ma lecture puisque, comme vous l’avez toutes dit, il y a ces grandes illustrations en forme de pause. Et en plus, le texte comporte quand même des sauts de paragraphes, entre deux scènes, deux moments temporels, qui permettent à ceux qui le veulent de stopper leur lecture plus aisément.
Aurélie : Le roman met en avant différents thèmes : le deuil, le lien affectif,le secret et l’Histoire. Il regorge d’émotions, pensez-vous que c’est un roman intergénérationnel?
Pépita : Oui, totalement intergénérationnel. Il s’inscrit dans une filiation forte, celle du sang mais aussi celle de l’amour, de l’amitié, comme un kaléidoscope. Simon fait le lien avec tout le monde sans vraiment le savoir.
Aurélie : Pour moi l’histoire parle à tout le monde, l’intensité dégagée par le texte et les illustrations touche les enfants comme les adultes. J’ai aimé la diversité des thèmes même si le deuil est pour moi prédominant. Quant au lien effectif, en effet Pépita, il relie tous les personnages de l’histoire : de l’amitié de Simon et Simone, l’amour de Simone et Farid, de Safia et Farid et l’amour maternel des parents de Simon qui s’inquiètent pour lui. Le côté intergénérationnel est aussi pour moi dans le sens de transmission. En effet ,avec l’évocation de la guerre d’Algérie, les enfants peuvent découvrir l’impact de l’histoire avec un grand H sur leur entourage, qu’une chose réduite à un fait appris en cours ait été un jour le quotidien de quelqu’un. Je sais pas si ça vous a fait ça à vous aussi mais avec ce secret je me dis « mais combien de choses nos grands parents vont-ils emporter dans la tombe? », on le voit bien avec Simone.
Isabelle : Je suis d’accord avec vous, ce roman est très riche ! La relation de Simon et de Simone est très belle, faite de multiples petits moments de partage et de complicité… Et pourtant, l’enquête de Simon va l’amener à découvrir des pans inconnus de la vie de Simone et, à travers son histoire, des pages de l’Histoire avec un grand H que sa génération et celle de ses parents n’ont pas vécues. Cette profondeur m’a surprise, surtout au dénouement du roman, et apporte vraiment quelque chose en plus. Je pense comme toi, Aurélie, qu’il s’agit d’un roman intergénérationnel et j’ai vraiment envie de le découvrir et de parler de ces événements historiques avec mes enfants quand ils seront prêts. La génération de nos parents ou de nos grands-parents ont vécu des choses importantes, même si souvent traumatisantes, dont nous gardons une mémoire vivante grâce à nos interactions avec eux. C’est essentiel de la transmettre aux générations suivantes, et la littérature jeunesse a sans aucun doute un rôle à jouer !
Hashtag Céline : Clairement oui. Le roman fait le lien entre deux époques, deux vies différentes. Il permet à Simon d’entrevoir son amie, son histoire et l’Histoire autrement. Mais c’est aussi le récit d’une belle amitié entre un jeune garçon et une vieille femme, d’une relation dans laquelle l’âge n’avait pas d’importance.
Bouma : Je serais curieuse de la réaction d’une personne âgée face à ce texte. Le ressent-elle comme nous, comme le jeune héros de l’histoire ? En tout cas, je reste très émue par cette amitié, si forte qu’elle dépasse le préjugé des âges. Et je vous rejoins sur les histoires familiales liées à un contexte historique : je pense que la pudeur nous retient souvent de poser les questions mais que chaque personne cache en elle une partie de son histoire.
Aurélie : La théière est un objet transitionnel, quelle symbolique a-t-elle eu pour vous?
Pépita : J’ai adoré sa présence, d’ailleurs j’en ai une bleue du même style et je me demande si je ne vais pas la détourner aussi ! Elle symbolise les petits secrets et aussi le souvenir de ces petits moments partagés autour d’elle. Elle fait le lien entre l’avant et l’après, elle permet à Simon d’accepter peu à peu la mort de sa Simone en restant vivante à travers elle. Elle lui permet de grandir. Quelle belle idée !
Aurélie : La théière me fascine, je n’arrive pas à savoir si c’est ce qu’elle représente : l’objet qui permet à Simon de faire son deuil, ou sa représentation avec la présence des illustrations d’Anaïs Brunet. En tout cas, elle représente aussi pour moi une métaphore du lien : celui qui lie Simone à Simon, Simone à Juliette et Simone à Farid mais aussi entre Simon et Juliette !
Isabelle : Sur la couverture, Simon colle son oreille contre cette théière comme on le fait avec un coquillage pour entendre la mer… Avant de lire le roman, j’ai interprété ce geste en l’attribuant à une rêverie. À la lecture, on comprend que cet objet est associé à d’innombrables moments privilégiés avec Simone, que leur écho résonne probablement encore à l’intérieur… Je trouve pertinent de parler d’objet transitionnel comme vous le faites, car elle aide Simon à vivre sans Simone, comme il avait pu aider Simone à vivre sans Farid.
Hashtag Céline : Cette théière, j’y ai beaucoup pensé. Je me suis mise à la place de Simon et je me suis posée cette question : tu aurais fait quoi toi, étant enfant? Tu aurais lu ou non les petits papiers? Cette théière est « magique ». Lire les secrets et les vœux qu’elle contient, c’est transgresser un interdit et peut-être même s’attirer des ennuis ! Mais comme Simon, j’aurais sans doute fait pareil, au risque d’y découvrir des choses que j’aurais préféré ne pas savoir. J’ai trouvé que la théière était un joli symbole rassemblant à elle-seule tous les éléments importants du roman : le souvenir de Simone, tous ses secrets mais aussi l’enfance et l’innocence de Simon.
Bouma : On pourrait presque rapprocher cette théière des journaux intimes ou carnets que l’on écrit à tout âge. Ils ne sont fait que pour nous, et en même temps révéleraient bien des choses à quiconque les lirait.
Aurélie : Simon découvre l’histoire de son pays et le racisme avec son ami, on a l’impression qu’avec la mort de Simone, un voile s’est levé. Il est en début d’adolescence et découvre doucement le monde des adultes. La nièce de Simone a-t- elle un rôle de passerelle entre ces deux mondes ?
Pépita : Je ne l’ai pas vue comme ça. Je l’ai vue comme une confidente, qui en a compris bien plus que ce qu’elle veut bien laisser croire. Elle accepte la présence de Simon avec naturel et une certaine bonhomie, sans mort dans l’âme. Elle est comme un tourbillon, qui s’arrête pour l’écouter parler de Simone, entrer dans le jeu de découvrir ce mystère de cet amour de jeunesse. Elle est la seule adulte dont Simon ne se méfie pas. A travers elle, il découvre aussi qu’une personne n’est jamais vraiment disparue. Il baisse sa garde enfin avec elle. Elle lui permet de lui faire confiance. Et c’est énorme pour lui qui se sent si bouleversé !
Aurélie : Pour moi le choix de l’âge de Simon permet d’évoquer implicitement le passage dans un âge de transformation : l’apprentissage du deuil et la disparition de Simone qui a été sa nounou, la découverte de l’amour et du visage différent des gens qui l’entourent et la découverte de la bêtise des adultes avec ses nouvelles interrogations avec son ami Sofiane. J’ai ressenti le personnage de Juliette comme un guide ou plutôt un passeur entre ce monde de naïveté et le monde beaucoup moins rose des adultes.
Isabelle : C’est vrai qu’elle a une manière singulière de lui expliquer les drames personnels de Simone et historiques liés à la guerre d’Algérie, avec des mots simples et forts qui parleront aux jeunes lecteurs. Je vois un peu de ce que vous dites toutes les deux. Les traces de la Juliette enfant, que renferme la théière, la rapprochent de Simon. Par ailleurs, elle est très bienveillante, ouverte et à l’écoute de Simon qui en a bien besoin.
Hastag Céline : Pour moi, la nièce de Simone est plutôt là comme un soutien. Elle permet à Simon d’aller au bout de ses recherches. Elle accepte de parler de la vieille femme, chose que lui refusent tous les autres adultes autour de lui, de peur qu’il souffre. Elle lui permet de faire vivre le souvenir de Simone. Et avec sa bonne humeur et son dynamisme, elle l’aide un peu à passer cette épreuve. C’est un personnage dont l’arrivée dans le récit m’a fait du bien. Comme soulagée… Sentant que Simon serait enfin moins seul face à tout ça.
Bouma : Je ne m’attendais pas du tout à l’évocation de cette période historique souvent méconnue, et je ne doute pas que cela amènera les enfants à vouloir en savoir plus. Concernant le rôle de la nièce de Simone, elle fait, pour moi, écho à l’enfant qu’est Simon. Ils ont partagé sans le savoir les mêmes rituels et les mêmes souvenirs de Simone, ce qui les rapproche intrinsèquement.
Souhaitez-vous évoquer d’autres thématiques du roman ?
Pépita : oui, le souvenir. Dans toutes ses dimensions : celui qu’on a des moments passés avec une personne qu’on aime, celui qu’une personne laisse après sa disparition. Je trouve que c’est un thème fort du roman pour un jeune garçon de 10 ans qui a peu d’années de vie, encore, même s’il a passé les deux chiffres. Et aussi le secret : jusqu’où se permettre de lever le voile sur le secret d’une personne disparue ? Je me suis posée cette question tout du long… En même temps peut-être que Simone voulait-elle qu’on le découvre en le glissant dans cette théière ? Mais peut-être n’y a -t-elle pas pensé… Ce petit mot glissé est pour elle une façon de se souvenir… comme une bouteille à la mer. J’ai aussi été très sensible à l’évocation des odeurs : chez Simone, chez sa vieille amie à qui Simon va rendre visite…
Aurélie : Oui, c’est vrai que ces trois thèmes sont bien présents. Pour le secret, je pense que Simone malgré sa tentative (puisqu’elle a emporté ses lettres dans son cercueil) n’a pas réussi à garder son secret intact. Simon a succombé à son désir de curiosité alors qu’au départ, en prenant la théière, il voulait simplement cacher les siens !
Pour les odeurs, ça m’a beaucoup marqué au début de récit avec aussi le fait qu’il demande à répétition le déroulé de la scène de la découverte de la gardienne.
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Les avis de Pépita, Céline Hashtag, Isabelle et Aurélie
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