Billet d’été : Résister, c’est du sport !

Après Lucie et son billet Courir pour résister, Séverine était aussi dans les starting-blocks pour présenter quelques ouvrages sur la résistance grâce au sport. Résistance au racisme, résistance politique, résistance aux stéréotypes de genre, ou simplement, résistance à la difficulté de vivre heureux.se en étant soi-même, la littérature jeunesse propose, sous toutes ses formes, un large panel d’histoires vraies ou de fictions, pour affirmer toujours plus haut, toujours plus fort que, l’important, ce n’est pas de participer, c’est de lutter ! Et, comme le disait Pierre de Coubertin : “Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre.

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Black liv(r)es matters

La photo du poing levé Black Power , lors de la remise des médailles du 200 mètres aux Jeux olympiques 1968, trône dans le salon de Séverine. Tout un symbole. Pour elle, la BD Plus fort que la haine y fait particulièrement écho. Sauf que le racisme, c’est le poing ganté que le héros inoubliable de ce one-shot particulièrement fort, le combat. Louisiane, années 30. La ségrégation et la violence contre les Noirs fait rage. Alors qu’il aurait pu se laisser submerger et assouvir son désir de vengeance contre les Blancs, Doug Winston, doté d’une force herculéenne, découvre la boxe et sa puissance à la fois canalisatrice et émancipatrice. Sur le ring, plus de Blancs, plus de Noirs, juste des hommes. Egaux. De combat en combat, jusqu’au titre de Champion du monde, il comprendra que, quoi qu’il arrive, la haine n’est jamais la réponse. Ce message, optimiste s’il en est (voire un peu naïf ?), dont on aimerait qu’il soit enfin compris par le monde entier, définitivement, est ici sublimé par des illustrations de toute beauté…en noir et blanc. Un uppercut.

Plus fort que la haine de Pascal Bresson et René Follet- Glénat, 2014

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Un « truque » en moins

Séverine est également séduite par deux albums jeunesse dans lesquels le sport, détourné par le Pouvoir en outil de propagande, devient à l’inverse, pour de courageux sportifs, l’arme du refus de la soumission, un acte de résistance, jusqu’à en mourir.

Le premier traite d’une part méconnue de l’Histoire, celle de la Résistance autrichienne à l’union forcée avec l’Allemagne nazie, en imaginant une fiction autour d’un personnage réel. « Le Mozart du ballon rond« , tel était le surnom de Matthias Sindelar, Capitaine de l’équipe nationale d’une Autriche tout juste annexée par Hitler, en ce printemps 1938. Il est le héros absolu du jeune Marcus, dont le père est chargé de dissuader le footballeur de participer à l’ultime rencontre Autriche-Allemagne, car le match est truqué. Les Autrichiens doivent laisser gagner la grande Allemagne. Mais contre toute attente, le Capitaine est bien là et malgré le danger, il fait ce qu’il sait le mieux faire : il joue au football, et il gagne ! Par ailleurs, il ne lève pas le bras au ciel en signe d’allégeance au Führer. Le même Matthias Sindelar refusera de jouer sous le maillot nazi et l’Allemagne sera éliminée au premier tour de la Coupe du monde suivante. Neuf mois plus tard, Sindelar et son épouse juive seront retrouvés morts…Un étrange accident dû au gaz…Avec ce texte vibrant, servi par des illustrations magnifiques, tous deux venus d’Italie, la littérature jeunesse prouve une fois de plus qu’elle sait se saisir des sujets graves, tout en les enveloppant de beauté.

Carton rouge, de Fabrizio Silei et Maurizio A.C.Quarello, Ane bâté, 2014.

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Le second est une dystopie qui n’en a pas vraiment l’air… Un pays, une dictature, le sport comme enjeu de pouvoir. Là aussi, il est question de grand match. L’équipe d’un Gouvernement totalitaire qui nous rappelle évidemment quelque chose, grâce aux superbes illustrations sépia et aux références assumées, doit absolument prouver sa supériorité sur l’ex-équipe nationale, déjà « purgée » des minorités de toutes sortes. Ici, le ballon est ovale, on se lance dans la mêlée de toute sa virilité ! Mais comme dans l’album précédent, le match est truqué. Le Régime exige de sortir vainqueur et grandi aux yeux du peuple, pour asseoir toujours plus sa domination. C’est sans compter ceux pour qui le sport doit rester libre. Au cours d’un premier match, ils refusent de se soumettre et l’emportent. A leur grande surprise, ils sont épargnés, mais prévenus : le match retour sera perdant ou ils mourront…On devine la suite… Un récit intense et lyrique, porté par des images fortes pour dénoncer le totalitarisme et mettre en valeur le courage de ceux qui luttent. Petit plus : à la fin de l’album, quelques exemples de sportifs qui, de tous temps, ont résisté contre l’obscurantisme, dont un certain…Matthias Sindelar.

Le grand match, de Fred Bernard et Jean-François Martin, Albin Michel jeunesse, 2015.

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Championnes poids plume, championnes de la vie !

Enfin, parce que les filles ne sont pas en reste quand il s’agit de faire du sport un allié pour résister…Seule ou en équipe, celles-ci ont décidé d’exprimer par le sport, leur révolte face aux diktats de genre et à la société patriarcale. Et d’être heureuses.

Pavlina est menue, mais pas fragile. C’est la combativité faite fille. Son père veuf est un immigré russe qui se tue à la tâche. Cadette d’une famille de garçons, moquée par ses frères, chargée des corvées domestiques, seule face aux questionnements sur sa féminité naissante, la vie de la petite surnommée Brindille n’est pas rose, loin de là. La tendresse n’est pas vraiment de mise à la maison. Elle trouve le réconfort en jouant du piano, mais un jour, c’en est trop, en lieu et place de la pratique instrumentale, elle décide d’apprendre la boxe, afin d’établir un nouveau rapport de force et de se battre avec les seuls arguments compris par ses frères. Elle s’entraîne dur, progresse rapidement, jusqu’au fameux combat qui révèlera finalement que, sous leur rudesse et leur maladresse, les hommes qui l’entourent cachent en réalité, foi en elle et beaucoup d’amour. Cet album jeunesse fracassant, graphiquement très inventif, est plein d’humour, de force, de sensibilité. Il dénonce sans se faire moralisateur, il invite à la discussion et à la réflexion, comme souvent avec cet illustrateur/auteur de grand talent.

Brindille, de Rémi Courgeon, Milan, 2012.

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Dans le roman ado Championnes, son héroïne résiste, elle prouve qu’elle existe… grâce au football, qui devient un personnage à part entière. Il est sas de décompression quand l’adolescence et ses tourments amènent au bord de l’explosion, il devient messager d’espoir et de rage de vaincre quand, ballon au pied, plus rien ne compte que la victoire. Pour Pénélope et ses coéquipières, oubliés le harcèlement scolaire, la maladie d’un proche, l’abandon d’un parent, les questions de genre et d’identité, de sexualité, de précarité, qui les empêchent parfois de respirer. Il est, enfin, un coach fiable pour gagner en confiance, se dépasser, apprendre à perdre, parfois, mais avec les honneurs. Rien de différent, somme toutes, avec ce qu’apporte ce sport populaire et fédérateur, aux garçons qui le pratiquent. Dans un style dynamique, très proche du langage des adolescents, avec la juste dose d’émotion et de réalisme, ce roman file droit au but, sans temps mort, et confirme une vérité qu’il faut répéter, encore et encore, et encore, aux jeunes générations : le sexisme, dans le sport, ou ailleurs, c’est hors-jeu ! Vive le football féminin !

Championnes, de Mathilde Tournier, Gallimard Jeunesse-Scripto, 2024.

Billet de l’été : À l’assaut de la montagne !

Après Lucie et son billet consacré aux sportifs engagés, Liraloin, fan de randonnées et de paysages montagneux vous a concocté une petite sélection rocailleuse car n’oublions pas qu’en 2021, l’escalade sportive a fait son apparition aux J.O de Tokyo.

La montagne, cette roche immense qui se dresse droit devant, lorsque nous sommes en son creux nous ne pouvons que nous sentir minuscule, si fragile face à cette paroi faite de cailloux, accueillant végétaux et microcosmes vivants. Que nous soyons alpiniste chevronné ou randonneur occasionnel, l’ascension d’une montagne demande des efforts et un grand respect pour la Nature. Alors entre rencontres inoubliables, levés de soleil dans la brume matinale, la montagne ne se dévoilera que petit à petit à celles et ceux qui le méritent vraiment.

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Se préparer 

Pour être un as de l’escalade il faut en connaitre toutes les subtilités. Dans ce documentaire accessible et surtout très complet, la montagne n’aura plus aucun secret, du moins son ascension va vous paraître plus facile ! La lectrice-le lecteur va suivre les aventures de « la Tribu » : une fille et quatre garçons, tous passionnés d’escalade. Ce groupe va être le fil conducteur pour en savoir plus sur le corps et sa préparation ou bien sur la visualisation : « c’est tout simplement savoir observer, anticiper, comprendre… gagner du temps de réaction et de la précision dans tes gestes pour aller d’une prise à l’autre ». 

Les interviews et reportages sur les différents grimpeurs qui ont marqué l’histoire de l’escalade rythment également le contenu. Entrainement, efforts et courage détermineront si la montagne sera clémente ou le contraire !

So cool la grimpe de Romain Desgranges, illustré par Flore Beaudelin, Paulsen jeunesse, 2023

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A la recherche de sensations fortes !

L’Everest, mythique ascension. Dangereux sommet et le rêve de plus d’un alpiniste chevronné. Mallory a 15 ans et quelques sommets à son actif. Formant un duo inséparable avec son père Mathieu, la jeune fille est bien décidée à affronter ce glacier inébranlable.

Accepter la préparation, avoir le mental et l’énergie pour y faire face. Chercher du réconfort, un sens à ce qui va être entrepris. Se mettre dans sa bulle sans oublier l’autre. Ce roman va au-delà de l’aventure sensationnelle d’une ascension, c’est avant tout une formidable aventure humaine. Une étape importante et bouleversante dans la vie d’une adolescence déterminée et timide.

8848 mètres de Silène Edgar – Casterman, collection : Ici maintenant des romans qui regardent le monde en face, 2020

L’avis de Lucie est ici.

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Dans ce roman suivre le rythme de Pic peut s’avérer dangereux. Après avoir escaladé de façon illégale un gratte-ciel New-Yorkais et pour échapper à une justice un peu trop sévère Pic s’envole au Tibet. Avant de retrouver son père qui l’emmène à l’aéroport avec un but très précis : « Je vais escalader l’Everest ? ai-je demandé, sonné comme je ne l’avais jamais été de ma vie. Je ne sais pas si tu atteindras le sommet, mais si on t’y emmène avant ton quinzième anniversaire, tu seras la plus jeune personne du monde à poser le pied à plus de 8 800 mètres. » A travers l’ascension de Pic, la lectrice/le lecteur va assister à toute la préparation physique/psychologique et matériel qui incombe à un tel exploit humain. La dureté de l’ascension, les abandons et parfois la mort…

Solidaire et entêté, Pic, du haut de ses 14 ans, devra faire preuve d’une grande force mentale pour peut-être atteindre le toit du monde.

Pic de Roland Smith  – Seuil, 2007

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Se réparer grâce à la passion de la montagne…

Tessa est plongée dans le coma, un coma artificiel depuis son accident de montagne. Peu à peu la vie se réorganise pour permettre à sa famille, ses amis les plus proches ainsi que son petit ami Edgar d’être constamment à son chevet : « Qui sont ces gens ? Mais où je suis ? Oui, je vous entends. Je serre fort, là, vous sentez pas ? » A son réveil, l’équipe médicale décide d’y aller doucement car Tessa ne comprend pas qu’autour d’elle tout le monde semble avoir vécu une année de plus que son dernier souvenir.

Il y a beaucoup de pudeur dans l’écriture de Jessie Magana comme par crainte d’être trop intrusive dans ce qui est construit entre Tessa et Edgar. Une douce sensibilité émane de l’écriture d’Edgar, ses confidences sur papier sont magnifiques, lui qui a perdu l’amour de Tessa depuis cet accident : « Je t’écrirais des lettres, manuscrites. Des lettres d’amour. Des poèmes. Comme dans les romans. Et tant pis si tu trouvais ça ridicule. A demain. Edgar. »

A contrario Tessa ne comprend pas ses pertes de souvenirs et une rage mêlée à de la colère sont consignées dans son journal. Tessa veut vivre, peu importe les répercutions qu’il y aura sur son cœur et son corps. Compétiteurs dans l’âme, les deux jeunes gens mettront tout en œuvre pour que chacun, de son côté, puisse se « réparer ».

Free ride de Jessie Magana – Thierry Magnier, 2023

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Randonner 

Lorsque le montage s’offre à vous, il n’y a aucun moyen de s’y refuser mais plutôt de s’y refugier. Une belle aventure attend nos deux jeunes sœurs qui n’ont qu’une envie : « faire le tour de la montagne en une semaine » comme leur Tante Jeannette. Alors carte IGN en main et équipement sur le dos, les deux apprenties marcheuses vont suivre des chemins de randonnées sous un temps parfois menaçant car la montagne surprend par son changement soudain : « un son feutré de vent froid et de pluie continue nous enveloppe. »

Lorsque les éléments se déchaînent, le moral et le matériel peuvent sacrément en prendre un coup. Géraldine Alibeu nous offre une belle traversée dans l’immensité des Alpes. Son regard nous livre des peintures immersives aux couleurs changeantes. 

L’autre côté de la montagne de Géraldine Alibeu, Cambourakis, 2022

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Dans son livre Jana peut y voir des montagnes. Accompagnée de sa fidèle Billie, la petite fille rêve de bientôt les voir en vraies ! Mais quelle terrible déception envahit Jana lorsque le brouillard a décidé de cacher le géant rocher. C’est un véritable petit film d’animation qui se joue sous nos yeux. Nous sommes à 100% avec Jana : son attente si fortement exprimée et enfin cette rencontre tant espérée ! Les illustrations pleine page y sont pour beaucoup, elles nous immergent encore plus dans ce rêve de montagne gage de belles promenades et randonnées en famille.

Montre-toi, Montagne ! de Davide Wautier, Diplodocus, 2022

L’avis de Linda est ici.

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Le p’tit plus

Bon d’accord, pas de sport à proprement parlé dans ce roman mais des rencontres avec des p’tits animaux de la montagne pas si inoffensifs que ça : les marmottes au poil clairsemé !

« Une histoire de famille, de musique, d’amour et de zombie (pas n’importe lesquels). »

Ah quel bonheur que d’être là, à cet instant précis, profitant d’une randonnée… pourtant Jean-Pierre et Marie-Pierre étaient loin de se douter que la douce marmotte observée au loin deviendrait si agressive…

Pendant ce temps, Maximus est en route pour des vacances de « rêves », direction Habère-Poche en compagnie de (Notre) Dame « sa » mère, ses jumeaux de frères qui ne s’arrêtent jamais et le petit dernier le Nain, le chouchou, le « Chouch’ » à sa môman ! Oh joie ultime que de se rendre compte que le Hellfestnoz lui passe sous le nez au profit du Broch’n’poche, un semblant de festival pour les métalleux et punk à chiens du coin.

A peine arrivés aux portes du village que Maximus aperçoit une marmotte un chouilla mal en point : « Elle lève une griffe bien haut, celle du milieu. Le temps que je comprenne qu’une marmotte pourrie vient de me faire un doigt, elle a disparu. »

Quelques temps plus tard, après que toute la petite famille se soit installée chez Maminette et l’oncle Jean-Sassois, Maximus repère d’autres rongeurs mal en point. Que se passe-t-il à Habère-Poche ? Les marmottes ont-elles chopé la rage ou un virus bizarroïde ?

Sur fond de musique métal et ambiance festive, cher(e) lectrice et lecteur attends-toi à pogoter sévère au rythme de cette histoire sanglante ! Loin de l’image douillette que peut dégager la vue d’une marmotte, ici on est bien loin du compte et ce n’est surement pas dans ce roman que tu rencontreras les personnages de la « Petite maison dans la prairie ». Le récit est empreint d’un humour digne des comédies déjantées anglaises. L’alternance des témoignages (parfois un poil exagéré) des différents personnages permet d’apporter un enchaînement des évènements qui n’en finit pas !

Bref, la lecture s’achève avec l’impression d’avoir un peu mal partout d’avoir tant explosé ces satanés rongeurs à coups de pelle bien tranchante.

Des zombies dans la prairie : la comédie horrifique qui vous fera voir les marmottes d’un autre œil !  de Chrysostome Gourio – Casterman, 2023 

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Et vous ? Quelles lectures autour de la montagne aimeriez-vous nous faire partager ?

Billet d’été : Courir pour résister

Pour accompagner les Jeux Olympiques puis Paralympiques, nos billets d’été seront consacrés au sport ! Les listes de livres mettant en scène des sportifs étant nombreuses, nous avons choisi de présenter les nôtres sous un angle un peu différent.

Cette semaine, pour donner le coup d’envoi de cette thématique, Lucie vous propose de découvrir une sélection de romans consacrés à des coureurs ayant utilisé leur sport pour résister.

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Biographies romancées

Jessie Owens est une figure mythique des J.O. et de la course. Athlète à la peau noire dans un pays qui pratique encore la ségrégation, il traverse l’atlantique pour aller s’imposer dans un stade allemand sous les yeux d’Adolf Hitler. Son histoire est une ode à l’abnégation et à l’humanité puisqu’il profitera de son séjour pour sympathiser avec Luz Long, coureur allemand farouchement opposé aux idées nazis. De retour aux USA auréolé de ses quatre médailles d’or, il devra emprunter l’entrée de service pour rejoindre la soirée organisée en l’honneur des athlètes américains, et le président Franklin D. Roosevelt (alors en pleine campagne électorale) refusera de le féliciter de vive voix.

Jesse Owens Le coureur qui défia les nazis, Élise Fontenaille, Rouergue, 2020.

Son avis avis complet.

Il court ! Jesse Owens, un dieu du stade chez les nazis, Cécile Alix, Élan Vert, 2022.

Son avis complet.

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Sohn Kee-chung a remporté la médaille d’or du marathon aux J.O. de 1936. Ceux-là même où Jesse Owens a brillé. Et leur parcours a une autre similitude : si la médaille du marathonien figure au palmarès du Japon, il est en réalité coréen. Mais voilà, à l’époque son pays est envahi par les japonais et n’a plus d’existence légale. Courir alors que l’on est considéré comme un sous-homme par certains de ses compatriotes, voilà une idée qui doit être familière à l’athlète américain. Jusqu’à sa mort Sohn Kee-chung se battra pour que sa médaille soit attribuée à la Corée, sous son vrai nom (les japonais l’avaient renommé Son Kitei). Ce sera chose faite en 2011, 9 ans après son décès.

Le garçon qui courait, François Guillaume Lorrain, Sarbacane, 2017.

Son avis complet.

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Les athlètes qui ne gagnent pas méritent tout autant que l’on raconte leur histoire. L’important c’est de participer, et en l’occurrence, de résister. Saamiya Yusuf Omar en est un exemple frappant. Spécialiste du sprint, la coureuse d’origine somalienne avait foulé le stade Olympique de Pékin en 2008. Elle était arrivée dernière du 200 m, mais son exploit était ailleurs : être l’une des deux seuls représentants son pays lors de cette manifestation, alors qu’il était dominé par les fondamentalistes islamistes. Elle est décédée en 2012 en tentant de traverser la Méditerranée pour trouver un entraîneur en vue des Jeux Olympiques de Londres, victime parmi tant d’autres des « charrettes de la mer ».

Je m’étais énormément entraînée et je voulais à tout prix gagner.

Gagner pour moi, gagner pour montrer à tout le monde que la guerre ne pouvait pas tout arrêter, gagner pour faire plaisir à aabe et à hooyo.

p.55
Ne me dis pas que tu as peur, Giuseppe Catozzella, Seuil, 2014.

Son avis complet.

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Fiction

Dans La fille d’avril, Annelise Heurtier donne la parole à Catherine qui raconte à sa petite fille son quotidien dans les années 1960. À l’époque, les filles ne font pas de sport et il est admis que courir fait pousser les poils partout (y compris sur le visage) et rend stérile. Mais voilà, Catherine a pris goût à la course et refuse de se soumettre aux préjugés de son temps. Une détermination qui va la pousser à remettre en cause la place de la femme dans la société.

La fille d’avril, Annelise Heurtier, Casterman, 2018.

Son avis complet.

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Une histoire de transmission entre grand-parent et petit-enfant tend aussi l’intrigue du Garçon qui courait plus vite que ses rêves. La vie de Solomon prend une direction tout à fait inattendue le jour où son grand-père décide de partir avec lui pour Addis-Abeba. Cela représente tout de même une marche de plus de 30 km, mais il est ravi de l’opportunité car ce séjour correspond au retour des athlètes éthiopiens médaillés aux Jeux Olympiques. Or, Solomon adore courir, et il va avoir l’occasion de montrer ses capacités tout en découvrant un pan de son histoire familiale. Elizabeth Laird montre avec ce roman que, loin d’être seulement une fuite en avant, la course peut permettre de montrer son courage et de réaliser son destin.

Ce jour-là, j’appris la plus importante de toutes : courir ne dépend pas que de vos jambes et de vos bras. Certes, ce sont eux qui font le travail (vos jambes surtout), mais ce qui compte réellement, c’est ce qui se passe dans votre tête.

p.115
Le garçon qui courait plus vite que ses rêves, Elizabeth Laird, Flammarion, 2016.

Son avis complet.

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Dans Une fille de…, Jo Witek nous présente Hanna qui court pour fuir les commentaires injurieux sur sa mère, mais surtout pour se forger un corps fort. Un corps qui lui obéit parfaitement et dont personne ne pourra abuser contre son gré. La ténacité de cette jeune fille vient de l’histoire de sa mère qui a subit mensonges, violences et abus de toutes sortes de la part d’hommes malintentionnés. Elle court aussi vers un avenir qu’elle se trace elle-même par son travail et sa résistance.

Une fille de…, Jo Witek, Actes Sud, 2017.

Son avis complet.

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C’est aussi la fuite de son passé qui pousse Castle (alias Ghost) à courir dans Go ! Ghost de Jason Reynolds. Son père, alcoolique et violent, est en prison. Sa mère peine à joindre les deux bout avec son emploi de cantinière. Et Ghost a cette colère en lui qu’il ne parvient pas à contrôler et qui le pousse à multiplier les « incidents » au collège. Jusqu’à ce qu’il pose le pied sur une piste d’athlétisme. L’entrainement va lui permettre de reprendre confiance en lui et de trouver des personnes sur lesquelles il peut compter. Mais cela suffira-t-il à l’empêcher de replonger ?

Go ! Ghost, Jason Reynolds, Milan, 2019.

Son avis complet et celui d’Isabelle.

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Le héros de Cours ! de Davide Cali est confronté à une situation similaire. En colère contre son père parce qu’il a quitté sa famille, contre sa mère et ses frères, frustré par sa pauvreté et la racisme qu’il subit dans son « école des Blancs », Ray passe son temps à se battre. Mais voilà qu’après avoir été confronté à des adultes le punissant sans chercher à comprendre il rencontre un proviseur qui va lui proposer de courir pour apprendre à canaliser son énergie. Éloge du sport comme pédagogie : il permet non seulement d’évacuer la colère mais aussi d’apprendre le goût de l’effort et de reprendre confiance en soi. Et Ray d’échapper à un destin tout tracé pour devenir un champion. Les magnifiques illustrations de Maurizio A.C. Quarello portent un récit plein d’espoir.

Cours !, Davide Cali, illustrations de Maurizio A.C. Quarello, Sarbacane, 2016.

Son avis complet et celui de Linda.

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Et vous, quels sportifs résistants forcent votre admiration ?

Billet d’été : partir en bateau

Grâce à nos billets d’été, tout au long des mois de juillet et d’août, vous avez pu voyager vers des horizons livresques variés. Cette semaine, pour clore cette série, je vous propose de prendre le bateau. Mes moussaillons et moi adorons les histoires de navigation. Leurs expéditions à forts enjeux placent toujours le récit sous haute tension tandis que les intrigues d’équipage viennent le pimenter. À l’abordage !

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Jouer au bateau : La Belle équipée de Sophie Vissière (Hélium, 2020)

Quel plaisir de fabriquer, bricoler, bidouiller ce dont on a besoin ! Les enfants n’hésitent jamais à laisser libre-cours à leurs idées. Et leurs créations sont sublimées par la magie de l’imagination : une voile sculptée dans le sable les emmène à l’autre bout du monde, quelques galets sur la plage en font des chasseurs de pierres précieuses, une canne à pêche faite d’une branche et d’un peu de ficelle assure leur subsistance. C’est cet art du jeu que célèbre cet album sur 128 pages. Trois copains punis restent au centre de vacances pendant que les autres partent faire du canoë. Heureusement, nos compères vont allier leurs forces pour organiser une belle équipée. Rassembler le matériel et les outils pour construire leur embarcation, un nécessaire de survie, une boussole et des provisions – et c’est parti !

L’avis complet d’Isabelle

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Expéditions à 2000 mètres sous les mers : Lilly sous la mer de Thomas Lavachery (Pastel, 2021)

Dorures à l’ancienne, format à la verticale, on croit tenir un carnet d’observations datant de l’époque de Jules Verne. Dans le mille : nous voilà embarqués avec la capitaine Bullitt et sa petite famille à bord d’une prodigieuse boule d’acier pour une mission d’exploration des fonds marins les plus abyssaux. Le voyage sera évidemment placé sous le signe de la science, avec force données chiffrées, microscopes, termes en latin et autres schémas délicieusement alambiqués à l’appui. Quel plaisir de déplier (littéralement) la carte et de partir en expédition, de trembler au moment de repousser les frontières de la connaissance ! Avec beaucoup de malice, Thomas Lavachery parodie le genre de la science-fiction et taquine les savants, leurs idées fixes, leurs médailles et les enjeux parfois déconcertants de leurs recherches. Un album original où science, aventure et fantaisie ne semblent faire qu’un.

L’avis complet d’Isabelle

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Rejoindre les Indes par l’Ouest en caravelle : Ana et l’Entremonde, de Marc Dubuisson et Cy (Glénat 2022)

Vous l’aurez compris, cette BD nous ramène en 1492 ! Christophe Colomb s’apprête à larguer les amarres pour une expédition hautement incertaine et peut-être même un peu folle. Restés dans les cales par inadvertance, Ana et Domingo seront du voyage, pour le meilleur… et pour le reste. Entre corvées et farces, intrigues d’équipage et dingueries du Señor Colomb, on ne s’ennuie pas une seule seconde. Mais attendez de voir la cascade qui se profile à l’horizon ! Ce qui s’annonçait comme un réjouissant récit d’aventure dans la plus pure tradition stevensionienne bascule dans une fantaisie colorée, surréaliste et TRÈS intrigante. Vertigineux !

L’avis complet d’Isabelle

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Voyage au bout du monde avec une gorille : Sally Jones de Jakob Wegelius (Thierry Magnier, 2016)

Entre enquête policière, roman historique et récit animalier, ce roman transcende les genres et captive ses lecteurs jeunes et moins jeunes ! L’intrigue se noue autour du chef des machines Henry Koskela, injustement accusé de meurtre et emprisonné. Pour l’innocenter, son amie la gorille Sally Jones ne voit d’autre issue que de mener une contre-enquête, quitte à devoir pour cela se rendre à l’autre bout du monde. L’atmosphère des lieux, du port de Lisbonne au palais du maharadjah de Bhapur en passant par le Caire et la salle des machines de plusieurs cargos est fortement dépaysante. Sally Jones porte un regard intelligent et troublant sur les humains. Un roman qui fait forte impression !

L’avis complet d’Isabelle

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Un périple placé sous le signe de l’imaginaire et de l’aventure : Steam Sailors (Gulf Stream, 2020)

Résisterez-vous au ronronnement des machines et au cliquetis des mécanismes d’horlogerie ? L’univers steampunk de cette trilogie est follement romanesque, à l’intersection entre le monde de la Passe-miroir, les romans de Jules Verne et L’île au trésor de Stevenson. Enlevée par les pirates de L’Héliotrope, Prudence découvre les territoires suspendus du Haut-monde. L’intrigue huilée comme les rouages de la salle des machines est captivante, les rebondissements géniaux mais on découvre aussi un navire-refuge pour les âmes cabossées, un lieu d’entraide où autour d’une pinte de bière ou d’hydromel, les choses peuvent toujours s’arranger.

L’avis complet d’Isabelle

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S’évader en canot : La (presque) grand évasion ou le déconfinement sauavage (et parfaitement illégal) d’une fille, de deux crétins et d’un chien de Marine Carteron (Le Rouergue, 2021)

Bonnie, Jason, Malo et Melting-Pot en ont assez de vivre confinés. C’est décidé, ils vont mettre les voiles au nez et à la barbe de leurs gendarmes de parents ! Leur escapade est placée sous haute tension. D’abord parce que c’est une enquête. Ensuite parce que dès les premières pages, on sait qu’on court droit au désastre. Enfin et surtout parce que malgré tout ce suspense, pas moyen de précipiter les choses, le mode de transport étant… un canot. Un roman déjanté et divertissant à lire pour la gouaille de Bonnie, la drôlerie des situations et la saveur de l’amitié et de l’apprentissage de la débrouille !

L’avis complet d’Isabelle

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Avis de tempête : Plein Gris de Marion Brunet (PKJ, 2020)

Plein gris est de ces romans qui vous happent, vous secouent et vous laissent rincé, mais galvainsé et plus vivant que jamais. Le suspense est à son comble dès les premières pages. En pleine mer, un groupe de copains découvre le corps de l’un des leurs flottant près de leur bateau. Aussitôt remontent les souvenirs d’un garçon charismatique, prince régnant sans partage sur la bande : comment en partant de là, en arrive-t-on au drame ? Nous n’avons pas le temps de nous remettre de nos surprises que la panique gagne le voilier : à l’horizon, une barre monumentale annonce une tempête cauchemardesque. Marion Brunet mène sa barque avec brio entre huis clos et nature incommensurable, roman catastrophe et thriller psychologique. Addictif !

L’avis complet d’Isabelle

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Nous espérons vous avoir donné envie de voyages littéraires avec cette série de billets d’été. Hissez ho et à très bientôt pour la rentrée du blog !

Billet d’été : du transport des livres aux livres qui transportent !

J’avoue, j’ai toujours été fascinée par les bibliothèques itinérantes, les espaces de lectures délocalisés, improbables, ouverts. J’aime, lorsque je suis en voyage, me retrouver face à une cabane à livres dans le recoin d’un village perché, participer à des lectures à haute voix sur les rives d’un ruisseau, lire un kamishibaï au pied d’un phare, m’installer sur un tapis dans un jardin et raconter des albums aux enfants de mes amies. Je chéris toutes les initiatives qui sortent le livre de ses étagères et qui le rendent accessible au plus grand nombre : que ce soit la « bibli des deux ânes » de Luis Soriano Bohorquez, bibliothécaire bénévole qui, depuis plus de vingt ans, arpente les montagnes de Colombie pour partager ses livres avec les enfants, ou encore l’Ideas Box des Bibliothèques sans frontières qui rend accessible la lecture dans les endroits où la guerre et la misère font rage. Ces projets de livres qui voyagent, quoiqu’il arrive, me réjouissent. Car oui, tous ces projets sont des signes que de nouveaux récits sont possibles, à portée de mains, et que des femmes, des hommes ont à cœur de les faire vibrer très fort dans n’importe quel endroit du monde. C’est pourquoi, pour mon billet d’été, j’ai choisi de vous présenter des livres qui rendent hommage aux bibliothèques itinérantes, réelles ou imaginaires !

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Parlons tout d’abord de cette mystérieuse « dame des livres » dans le très bel album éponyme d’Heather Henson et David Small. Cal, un jeune garçon pauvre qui vit avec sa famille dans une région particulièrement reculée des Etats-Unis dans les années 30, nous raconte comment un jour, une cavalière s’est présentée à la porte de leur modeste maison pour leur prêter des livres ! Au début, Cal était plutôt sceptique : quel intérêt pouvait-on ressentir à rester figé des heures durant le nez plongé dans un bouquin, comme sa petite soeur Lark ? La dame des livres revient pourtant régulièrement, avec de nouveaux livres et pour sa sœur c’est une fête sans cesse renouvelée. Et quand, par un matin d’hiver glacial, Cal voit la dame des livres honorer son rendez-vous alors que vraiment même les plus courageux ne mettent pas le nez dehors, il se dit qu’il doit bien y avoir quelque chose de merveilleux caché dans cet étrange objet de papier pour qu’une femme prenne de tels risques. Alors, doucement, il s’approche de sa soeur et lui demande si elle accepterait de lui apprendre à lire…

Cet album est inspiré des Pack Horse Librarians, ces bibliothécaires itinérantes qui parcouraient à cheval les monts Appalaches du Kentucky, pour faire venir les livres dans les endroits les plus reculés du pays, où les écoles étaient rares et les bibliothèques inexistantes et ainsi lutter contre les effets de la Grande Dépression.

La voix de Cal, sa manière si particulière de parler, permet à la fois de rendre hommage à ces femmes dévouées et au pouvoir de la lecture qu’elles ont choisi de transmettre coûte que coûte. Un hymne à la lecture qui donne envie de partager chaque jour de l’année et quel que soit l’endroit les livres qui nous ont fait vibrer !

La Dame des livres, Heather Henson, David Small, Syros, 2009.

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Sur un tout autre ton, suivons maintenant Elan, étrange animal anthropomorphe, qui aime tellement, le soir venu, après le repas, raconter des histoires. Ah ! Il en connaît des histoires, Elan, des histoires qui ravissent petits et grands ! Pourtant, un soir, oups, Elan n’a plus d’idées ! Il se précipite alors chez ses voisins pour emprunter un livre mais personne n’en en a ! Elan ne se démobilise pas et dès le lendemain il se rend en ville, à la bibliothèque. Il emprunte plusieurs contes qu’il lit le soir même à sa famille. Ses talents de lecteur à haute voix se font vite connaître et bientôt tous les animaux de la forêt cognent à sa porte pour venir l’écouter ! Mais le voilà débordé ! Alors Elan a une idée : il invente le bibliobus de la forêt ! Il fait le plein de livres à la bibliothèque et commence sa tournée ! Mais voilà, il y a un problème de taille : les animaux de la forêt ne savent pas lire ! Rien n’arrête Elan : il apprend à lire à Ourse qui apprend à Blairelle qui apprend à Renard et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les animaux sachent lire à leur tour. Et puissent désormais venir emprunter des livres au bibliobus.

Que j’aime cet album, tout d’abord pour ces illustrations incroyables qui sont un hommage vivant à la nature, aussi bien au végétal qu’à l’animal ! Et puis pour Elan, cet être que rien n’arrête, d’une générosité précieuse, prêt à tout pour faire vivre à toutes et à tous l’incroyable invitation au voyage qu’est une belle histoire !

Le Bibliobus, Inga Moore, Pastel, 2021.

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Pour les plus jeunes, cette fois, j’aimerais vous parler d’un autre très bel album La bibliothèque de la forêt de Seoha Lim. Un album très délicat, tout en douceur, qui nous invite à visiter une bibliothèque pas comme les autres, une bibliothèque située au milieu des arbres. Pas de murs, de portes ou de fenêtres cette fois, mais simplement la nature. Là les animaux peuvent venir lire, se reposer, écouter des histoires, assister à des spectacles, dessiner, construire des cabanes.

Un album très poétique qui rend hommage à ce qui fait le coeur battant de ces endroits que je chéris tant : un endroit où se retrouver, où se poser, les uns à côté des autres, et où même sans se parler, on est ensemble.

La Bibliothèque de la forêt, Seoha Lim, maison Eliza, 2020.

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Vous l’aurez compris, pour moi le livre est à la fois un moyen de voyager inédit et une destination sans pareil ! Que de promesses de voyages m’attendent donc encore sur les rayonnages des boîtes à livres d’ici et d’ailleurs et dans les bacs colorés des bibliothèques du monde entier ! Des promesses que je vous invite à venir écouter en poussant la porte de ces lieux publics, ouverts ou fermés, qui vous feront voyager en humanité.