Notre auteur essentiel : Jean-François Chabas

Le travail de Jean-François Chabas, écrivain-voyageur nous enthousiasme pour plusieurs raisons. Il a l’art de faire voyager ses lecteurs, de les ouvrir à d’autres cultures et peuples. Mais c’est surtout son intérêt pour la nuance et pour ce qu’il se cache derrière les apparences qui nous séduit sous le Grand Arbre. L’entretien que cet auteur a eu la gentillesse de nous accorder en avril a été l’occasion de poursuivre la découverte de son œuvre. Voici donc nos titres préférés !

Photo issue du site officiel de Jean-François Chabas : www.jean-francois-chabas.com

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Lucie a choisi de présenter Le Coffre Enchanté, illustré par David Sala avec une interview du Coffre.

Le Coffre Enchanté, Jean-François Chabas, illustrations de David Sala, Les albums Casterman, 2011.

Enchantée de vous rencontrer monsieur le Coffre, je dois dire que je suis très honorée (et un peu intimidée) d’interviewer un objet de votre valeur !

Si vous l’êtes, c’est que vous êtes passée à côté de la morale de mon conte. En effet, Jean-François Chabas – mon créateur – avait à cœur de dénoncer les apparences trompeuses et la pléonexie. Vous voilà en plein dedans !

Ce que je voulais dire c’est qu’il n’est pas commun de discuter avec un objet inanimé, et encore moins lorsqu’il est le personnage central d’un album.

N’exagèrons rien. Comme vous le dites je suis un objet, c’est l’Empereur qui nourrit l’histoire. Sa curiosité le pousse à faire appel à toutes sortes de personnages pour m’ouvrir, et c’est cette succession d’apparitions qui plaît aux lecteurs.

Je suis persuadée que les lecteurs sont tout de même très intrigués de savoir ce que vous contenez. D’autant que David Sala vous a peint d’une manière somptueuse !

Merci, c’est gentil à vous. Les autres personnages ne sont pas mal non plus. Il est vrai que David a su créer une atmosphère à la fois faste et inquiétante qui me plaît beaucoup.

Nous n’allons évidemment pas révéler votre contenu à nos lecteurs, mais je suis persuadée que Jean-François Chabas à sciemment confié le rôle du révélateur à un animal. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord avec vous. La vérité et la sagesse viennent d’un animal et ce choix n’est pas du tout anodin, surtout au regard de l’œuvre de Jean-François. Les hommes deviennent fous dès qu’un trésor est en jeu, les animaux ne sont pas atteints par cette fièvre. J’aime beaucoup la fin de mon conte, je pense qu’elle invite les lecteurs à réfléchir et à discuter.

Merci de nous avoir accordé cet entretien. Nous espérons avoir donné envie de vous découvrir aux lecteurs qui ne connaissent pas encore votre histoire !

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Séverine a choisi L’arbre et le fruit, qui l’a plongée au cœur de l’histoire tragique d’une famille sous l’emprise du père violent et manipulateur. Cette lecture inoubliable, voyage intime au bout de l’enfer, et son épigraphe (« Ma sœur, ne garde pas pour toi le secret qui te ronge. Désigne aux yeux du monde celui qui lentement t’assassine. Et retrouve ta liberté. ») lui ont inspiré cet acrostiche, avec les lettres du titre, qu’elle adresse à son héroïne, Jewel Fairhope, aux initiales troublantes…

L’arbre et le fruit, Jean-François Chabas, Gallimard Jeunesse (Scripto), 2016

L‘innocence brisée de ton enfance

Anéantie et muselée par la violence :

Rage de ton père, tyran sans cœur,

Battements de peur, tremblements de taire,

Rien n’est jamais assez bien pour le satisfaire.

Emprise empire, enfer-mement pour ta Maman,

En réalité c’est lui le fou, personne n’y croit, car il sait y faire !

Taire la souffrance, les questions sans réponse, les humiliations, 

Le laisser faire, subir sans rien dire, à quoi bon ?

Et surtout protéger de toutes tes forces ta si petite sœur…

Fuir ? Aller où ? Qui te soutiendra ? Non…ne perds pas espoir…

Résister, mettre un terme au calvaire, écrire une autre histoire,

Un jour, instinct de survie, tu y parviendras, ton arbre refleurira.

Il n’aura pas gagné, le printemps reviendra, tu ne tomberas pas,

Tu retrouveras ton souffle, ta liberté, et tu raconteras.

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Blandine a choisi La loi du Phajaan, un roman dur et fort qui signe l’engagement profond de l’auteur pour la protection des animaux.

La loi du Phajaan. Jean-François CHABAS. Didier Jeunesse, 2017

Lire pour découvrir et apprendre
« On n’a pas deux cœurs, l’un pour l’homme, l’autre pour l’animal. On a du cœur ou on n’en a pas. » Alphone de Lamartine
Ignorance à combattre

Défendre les éléphants
Utopie ?

Pauvreté et traditions, coutumes et transmissions
Hurlements de peur et de souffrances
Annihiler toute velléité, toute volonté, toute étincelle de « sauvagerie »
Asservissement des Hommes et anéantissement des Animaux
Justice ?
Au cœur d’une économie du tourisme et du travail
Nécessaire évolution de pratiques passéistes

Son avis complet ICI

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Liraloin a choisi un de ses albums préférés La colère de Banshee illustré par David Sala.

La colère de Banshee, Jean-François Chabas, illustrations de David Sala, les albums Casterman, 2010.

Dans cet album, Banshee, personnage légendaire tiré du folklore irlandais, prend l’allure d’une petite fille à la chevelure de feu et aux yeux dorés. L’illustration de la première de couverture ne nous laisse en aucun cas présager l’histoire dont nous allons être témoin. Grande admiratrice du travail de l’illustrateur David Sala, ici le texte de Jean-François Chabas et l’illustration se répondent parfaitement.

Voici LE passage préféré de tous les temps et vous allez en connaître les raisons :

« Le cri de fureur de Banshee remonte de son ventre, glisse le long de ses petites côtes, s’engouffre dans sa gorge, et jaillit enfin de ses lèvres. C’est un hurlement si incroyable qu’il se rit du vent et des vagues, qu’il file au-dessus des flots, comme une flèche stridente. »

Jean-François Chabas fait exploser cette colère si profonde à travers les mots. Une colère qui ne peut être contrôlée et rugit si fortement dans le corps de cette petite fille. Cet extrait évoque une montée en puissance, violente, démesurée mais émouvante comme si le personnage principal ne pouvait pas faire autrement. Les mots employés par l’auteur invite le lecteur lui-même à ressentir cette douleur du cri, celui qui fait mal.

J’ai eu l’occasion de le lire maintes fois en lecture à voix haute et lorsque ce passage arrive enfin il y a une force qui se matérialise sans doute grâce aux déchaînement des éléments marins.

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Héloïse est tombée sous le charme de Red Man, paru aux éditions Au Diable Vauvert. Un texte court et percutant qui nous dévoile les conséquences désastreuses de la colonisation de l’Australie sur les Aborigènes.

Red man, Jean-François Chabas, Au diable Vauvert, 2021

« Ils croient que leur technique – comme l’air conditionné dans lequel ils vivent du matin au soir (de leurs voitures à leurs supermarchés en passant par leurs bureaux et leurs maisons) – les rend supérieurs, mais ils n’ont pas compris que cela les isole de la nature. Ça les enferme dans une bulle, comme s’ils étaient dans un scaphandre sur une planète hostile. »

A travers le personnage de Marvellous, elle a découvert les horreurs que les colons ont fait subir aux indigènes : assassinats, enlèvements, vols, spoliation, essais nucléaires… Pour récupérer leurs terres, on a même été jusqu’à leur faire découvrir l’alcool et la drogue.

« […] il est des monstres réels qui habitent les peaux humaines, et valent les plus abominables des tyrans imaginaires. »

Red man est un roman engagé, intense, qui oscille entre dénonciation, légendes, et récit initiatique. Un texte qui est aussi très poétique, à découvrir.

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Linda a choisi Ma petite bonne qui dénonce la Kafala, forme d’adoption sans filiation qui s’apparente souvent à une forme d’esclavage moderne.

Ma petite bonne, Jean-François Chabas, Talents Hauts, 2022.

« N’est-ce pas elle, la peur, qui raidit, qui fait que l’on se cramponne à ce que l’on connaît, même si c’est mauvais ? Qui empêche de regarder l’autre avec plus de liberté ? Corsetée dans ses idées racistes, sa vision du monde qui lui assurait une fausse tranquillité d’esprit, Albertine n’apprendrait rien.
Mais ma mère, elle s’est libérée. Je lui ai vu pousser des ailes en même temps que poussaient les miennes. »

Cette citation lui a semblé importante car elle marque un tournant dans la relation de Nada, la narratrice, et Ife, sa petite bonne, en montrant l’évolution des mentalités au fil des générations.

Là où la grand-mère de Nada ne se remet pas en question, tant sa vision du monde est limitée à ce qu’on lui a enseigné depuis l’enfance, sa mère et elle vont se libérer en-même temps, en rapprochant la situation d’Ife à la leur, soumises aux hommes de la famille et limitées en droits.

Cela met en lumière la confrontation des traditions ancestrales à un fort désir de modernité qui tend à redéfinir la place des femmes en général et le rôle qu’elles ont à jouer dans leur émancipation, en commençant par regarder les autres femmes comme leurs égales.

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Féroce, Jean-François Chabas, illustré par David Sala, Les albums Casterman, 2012.

En se promenant dans la forêt, Colette a eu l’immense chance d’assister à un étrange spectacle, celui d’une jeune fille à la longue chevelure brune et d’un loup aux yeux injectés de sang. En s’approchant tout doucement du loup endormi, voici ce qu’elle entendit :

« J’ai parcouru mille chemins de traverse à ses côtés,

des sentes et des sentiers,

parfois même dans de minuscules ruelles nous nous sommes aventurés,

et toujours sa main sur mon dos elle a laissé.

Que j’aime sentir ses longs doigts s’agripper à ma fourrure,

que j’aime sa confiance,

ces mots qu’elle murmure quand un grognement monte instinctivement en moi.

Que j’aime sa voix qui chante, qui blague, qui rit.

Que j’aime cheminer avec elle,

Et redevenir ce loup que je suis vraiment,

celui qu’aucune sentence ne détermine,

un loup libre et aventureux. »

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Et vous, quels sont vos titres préférés de cet auteur-voyageur ?

Entretien avec Jean-François Chabas

Ecrivain-voyageur par excellence, Jean-François Chabas a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions entre deux séjours à l’étranger. Et elles étaient nombreuses tant son œuvre est riche et variée !
Albums, romans jeunesse ou « pour les grands », ce baroudeur aux multiples talents aime partager les cultures autochtones qu’il découvre et son espoir que leurs conditions de vie s’améliorent. Sous le Grand Arbre, nous sommes particulièrement touchées par l’humanité qui irrigue ses textes.

Photo issue du site officiel de Jean-François Chabas : www.jean-francois-chabas.com

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Pensez-vous qu’il y a des impératifs particuliers ou des écueils à éviter lorsque l’on écrit pour la jeunesse ?

Écrire pour la jeunesse impose une contrainte de style, singulièrement de vocabulaire, mais je prends garde depuis toujours à respecter les enfants en leur offrant un travail littéraire, par goût de la beauté et pour leur ouvrir l’esprit…
Parce qu’ils sont lecteurs à part entière.

Justement, vous écrivez aussi bien des albums que des romans jeunesse, ou pour les adultes. À quel moment définissez-vous l’âge auquel s’adresse votre histoire ? Des contraintes s’imposent-elles selon le type de lecteur visé ?

Certains de mes textes sont interchangeables, entre littérature jeunesse et littérature générale. Sauf bien entendu pour les petits. Encore à mon avis est-ce le gage d’une littérature jeunesse de qualité que de pouvoir être lue par les adultes sans déplaisir ni ennui. La qualité littéraire doit être présente partout, puisque c’est le respect du lecteur.

Y a-t-il des auteurs ou des artistes qui vous inspirent ou dont vous appréciez particulièrement le travail ?

L’inspiration puisée chez les artistes, oui, elle est immense. Je suis très influencé par les Anglo-saxons, de Melville à Dickens en passant par Stevenson, Steinbeck, Jim Harrison avec qui j’ai eu la chance d’échanger du courrier. Russell Banks, prodigieux. Mais il y a aussi les germaniques, Hesse, Zweig, Mann, les hispaniques, García Márquez, Vargas Llosa, les français, Tournier, Le Clézio, et puis les peintres, Vermeer, les musiciens… il faudrait cent pages.
André Migot, l’écrivain voyageur, que je respecte et j’adore, ou encore Nicolas Bouvier, autre voyageur…

La liste des illustrateurs ayant travaillé sur vos textes est très impressionnante. Comment se passent vos collaborations ?

La collaboration avec les illustrateurs est souvent lointaine. Il est rare que je les rencontre, mais je suis très solitaire de nature, et je préfère le monde sauvage. Je communique avec certains, sans les voir le plus souvent. J’en profite pour saluer José Muñoz, qui m’avait illustré Les Frontières, un homme très élégant et généreux.

Les frontières, Jean-François Chabas, illustrations de José Munoz, Casterman, 2001.

Il y a récemment eu un débat sur la rémunération des auteurs. Sans entrer dans une quelconque polémique, souhaitez-vous vous exprimer à ce sujet ?

C’est un sujet grave, qui touche véritablement au scandale. L’acceptation de droits et d’avances ridicules de la part de certains artistes crée une situation où des contrats léonins sont proposés. Il faut se battre. Sur le terrain du respect humain aussi.

Nous vous savons grand voyageur, et nous avons évidemment fait le lien avec le choix de situer nombre de vos romans sur des terres lointaines (Amérique, Australie…). D’où vient ce goût pour l’exotisme ? Ces mondes-là seraient-ils plus propices aux aventures ?

Eh bien… Je reviens du Northern Territory australien où j’ai passé des mois avec les tribus. Je vous confirme qu’entre les crocodiles géants ultra-agressifs, les méduses-boîtes, les requins tigres, les araignées mortelles, un cyclone de catégorie 5 qui nous a frôlés, un feu de forêt géant qui nous a fait courir et une émeute aborigène sérieuse à Tennant Creek, oui, c’est plus sportif là-bas.
Plus sérieusement, j’en profite pour attirer votre attention sur le drame que vivent les tribus partout sur l’île. Vous pouvez lire Red Man, Ils ont volé nos ombres, ou La sorcière et les manananggals, des romans que j’ai publiés sur le sujet. Ces gens vivent un calvaire.

A ce sujet, nous avons été impressionnées par la manière dont vous immergez vos lecteurs dans ces lieux qui leur sont parfois inconnus. Comment vous documentez-vous ?

Je me documente, autant que possible, en allant sur place, ou bien j’y passe beaucoup de temps. La documentation rigoureuse est indispensable lorsque l’on aborde n’importe quel sujet, mais peut-être surtout quand c’est ethnologique. Dans le cas des Aborigènes, ou celui de certaines tribus américaines, j’ai passé du temps avec eux. Les Aborigènes australiens plus que tous les autres, peut-être, sont très mal servis en littérature occidentale. Je m’attache à décrire avant tout leurs conditions de vie épouvantables, particulièrement dans les communautés, mais partout en vérité. Il me semble obscène de vouloir piller leur culture, de vouloir faire du folklorique, avant de dire qu’ils meurent. Ils m’ont directement demandé de parler de leur tragédie, et cela du sud au nord, de l’est à l’ouest. J’ai parcouru des dizaines de milliers de kilomètres en trois très longs séjours pour leur parler, mais surtout pour que eux me parlent. Je suis à leur service. Je garde dans le cœur le souvenir des taudis que j’ai traversés à pied, la peur au ventre, au milieu d’une population traumatisée, clochardisée, assassinée par l’alcool, les drogues, la misère morale et matérielle. Ces gens meurent dans l’indifférence générale.

Comme vous le disiez vos romans sont le plus souvent ancrés dans le réalisme et liés à vos rencontres, mais vous avez fait quelques incursions dans la fantasy. Que vous apporte ce genre en particulier ?

La fantasy m’apporte de la fantaisie !

Votre travail a reçu de nombreuses marques de reconnaissance entre les prix, les traductions et les titres figurant sur la liste des recommandations de l’Education Nationale. Est-ce que l’une d’entre-elles vous touche plus particulièrement et pourquoi ?

Les prix, c’est terriblement subjectif. Je me permets de l’affirmer parce que j’en ai eu beaucoup. Il y aurait tant de choses à dire, à commencer par le fait qu’ils sont souvent remis à ceux qui se déplacent pour aller les chercher… Mes deux prix Versele [en 2000 pour Les secrets de Faith Green, puis en 2017 pour L’eau verte ndlr] me font très plaisir parce que j’aime les Belges. La recommandation de l’éducation nationale pour La terre de l’impiété me touche parce que c’est un sujet – la guerre d’Algérie – extrêmement casse-gueule, où l’on se fait des ennemis de tous les côtés, et que mon sérieux mon impartialité ont été reconnus.
La traduction de mes romans et albums en 15 langues, c’est merveilleux, parce que l’on sera lu par des petits Chinois, des Coréens, des Italiens, des Russes, des Turcs…

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Merci à Jean-François Chabas de nous avoir accordé du temps malgré son emploi du temps chargé !
Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir certains de ses romans.
Et si vous souhaitez en apprendre plus sur son univers, n’hésitez pas à visiter son site internet.