A l’Ombre du Grand Arbre, nous aimons créer de nouvelles rubriques. Avec les « passeurs d’histoires », les arbronautes vous proposent de découvrir les différents métiers du livre. Ce lundi nous commençons avec Liraloin qui le jour est une bibliothécaire-infiltrée dans un réseau.
Votre bibliothécaire croquée par une jeune lectrice lors d’une séance de lecture pour une classe et autre dessin réalisé par un ex-collègue !
Comment es-tu devenue bibliothécaire ? Est-ce une vocation précoce ou le résultat d’un cheminement, et lequel ?
Je n’étais pas très douée pour les études. J’adorais lire et rêver, beaucoup trop même. Je me dirigeais plus vers le métier de professeur car j’aimais l’histoire et surtout le français. Parallèlement je répétais souvent « j’aimerais travailler dans les livres… » mais en ne sachant pas quoi faire exactement. C’est ma p’tite maman qui s’est dit que d’aller rencontrer la bibliothécaire de la médiathèque de notre ville serait une bonne idée (cette médiathèque venait d’être créée). Et là, révélation : le cursus et le contenu m’ont parlé de suite. Je peux dire qu’à l’âge de 18 ans je savais que je voudrais être bibliothécaire.
Quelles sont les principales qualités à avoir pour envisager ce métier selon toi ?
Il y a différents niveaux de compétences pour exercer ce métier. Si l’on veut occuper un poste comme le mien (responsable d’une section jeunesse), il est impératif d’avoir plusieurs cordes à son arc. Après, la charge de travail correspond à l’équipe que l’on encadre (autonomie, prise d’initiative, suivi des collections et des actions culturelles….). La principale qualité c’est d’avoir un grand sens du service public, nous sommes là pour les usagers. Tout va découler naturellement de cette notion.
On imagine le métier de bibliothécaire en se disant qu’il permet de lire énormément et en voyant surtout ce que l’on expérimente en tant qu’usager : quelqu’un qui nous aide à trouver LE livre qui correspond à ce que l’on est venu chercher…
En fait, c’est une idée complétement biaisée du métier. En médiathèque on ne lit pas, on lit chez soi comme les usagers. Je lis les albums pour vraiment être certaine de ne pas me tromper dans les âges, « les 0-4 ans » et les « 5-8 ans ». Après, tout dépend de l’investissement de la personne. C’est un métier en perpétuelle mutation donc j’essaye, par le biais des formations ou de ma curiosité naturelle, d’en savoir toujours plus. Je me rends compte que je n’arrête jamais, il est tellement important de savoir mesurer l’impact du numérique tout comme comprendre le succès de tel ou tel courant littéraire…
Comment choisis-tu les livres que tu commandes ? Peux-tu nous raconter le parcours d’un livre entre le moment où il arrive et celui de sa mise en rayon ?
Dans ma carrière, j’ai occupé plusieurs postes dans différentes villes. On ne fait pas les mêmes acquisitions, il faut mesurer les attentes du public et aussi savoir « bouleverser » les attendus. Exemple : une fois par mois je propose aux jeunes parents une matinée sur la sensibilisation à la littérature de jeunesse. Les parents qui y viennent n’ont pas les mêmes attentes. Pour un couple qui lit régulièrement à son bébé, je vais sortir des sentiers battus en leur montrant des livres atypiques vers lesquels ils ne seraient peut-être pas allés. A contrario de parents qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’on peut lire à un bébé, là je vais aller vers des livres plus faciles d’accès en leur montrant comment lire… sans évidemment donner de leçons. La seule chose que je dis (pour tous) : « prenez plaisir à lire l’album ou chanter, l’enfant le sentira tout de suite ». (bon j’ai divagué sur l’action culturelle mais tout est très imbriqué !)
Pour les acquisitions, nous avons des statistiques : taux de rotation d’un livre durant un an (le nombre d’emprunts d’un livre), c’est en partie cela qui va déterminer l’orientation des collections. Est-ce que je développe plus d’albums pour les 0-3 ans ? Comment achalander une collection de documentaires ? Est-ce que je ne vais pas extraire les albums jeux des albums pour attirer des enfants qui lisent moins car j’ai une section jeux vidéo et que cela peut être cohérent ?
Comme j’ai une certaine expertise en éditions jeunesse, je fais la différence dans le travail de certaines maisons d’éditions. Attention également à bien équilibrer les collections et ne pas acheter que des livres élitistes… sachant que certains ouvrages sont peu empruntés (comme la poésie et le théâtre), c’est à nous de mettre les collections en avant et d’en faire la médiation (c’est un autre pan du métier).
Le livre est commandé chez un libraire (les médiathèques travaillent avec des prestataires qui répondent aux critères d’un marché établi par des collègues travaillant en politique documentaire – j’y ai travaillé également). Le livre peut arriver équipé ou nu selon les degrés de prestation. Pour un livre nu, il faut l’équiper : code-barre, estampillage (tampon de la médiathèque), pose de charnière et de filmolux (couverture avec un film plastique spécial), de la puce RFID (antivol) et de la cote du livre (son adresse : pour le retrouver en rayon). Ensuite il est catalogué (référencé dans le SIGB – le logiciel de la médiathèque). Chaque médiathèque a son SIGB et donc le développe selon les demandes hiérarchiques (tranches d’âges, genre des romans ou des films, section jeunesse ou ado, fonds spécifiques : parentalité ou FAL (Facile à Lire). Puis mise en rayon, en facing pour les mettre en valeur ou sur les tables de nouveautés ….
Quel aspect de ton métier préfères-tu ?
J’aime beaucoup ce que je fais au quotidien. Ce que je préfère c’est de monter des projets et des actions culturelles en direction des usagers et choisir les documents qui correspondent au public en attente. Pour moi, le seul fait qu’une maman me dise « je trouve vraiment tout ce que je veux dans cette médiathèque » me prouve que j’ai réussi à faire des acquisitions pertinentes. La communication est très importante, il ne faut rien laisser au hasard, elle passe autant par la médiation des collections (tables thématiques, mise en avant d’un auteur…), que par la médiation des actions (savoir reconnaître un usager qui serait intéressé par tel ou tel atelier…). C’est pour tout ce qui se passe dans les murs de la médiathèque car le travail hors les murs est aussi important, notamment les projets que l’on monte avec nos partenaires associatifs ou éducatifs.
Et, a contrario, y a-t-il des tâches un peu moins sympas dont les usagers n’ont pas conscience ?
Je dirais que c’est la difficulté de se faire entendre par la collectivité parfois. Il n’y a pas de tâches moins sympas, enfin pas à mon niveau. Par contre, je n’occuperai jamais un poste en direction : faire des plannings, gérer le bâtiment… ce n’est pas ce que je préfère.
Dans les inconvénients (mais c’est peut-être une vision biaisée du métier), une sous-question sur le poids de l’administratif ou des budgets à gérer peut-être ?
Cela dépend vraiment de la collectivité. J’ai connu des budgets très serrés comme le contraire. J’ai quitté un poste en politique documentaire principalement pour cet aspect. Gérer des commandes, passer des commandes…. Ce n’est pas très stimulant. Heureusement il y a d’autres tâches très bien en politique documentaire mais on est moins dans l’action auprès du public.
Comment conseilles-tu tes lecteurs et lectrices ? As-tu des valeurs sûres, ou essaies-tu de cerner leurs envies de manière très personnalisée ?
C’est très aléatoire je dirais. Le fait de créer une table thématique peut mener la lectrice-le lecteur à prêter attention à des livres vers lesquels il/elle ne serait pas allé/e. Ce que je préfère c’est surprendre l’usager !
Après il y a aussi le conseil individuel. C’est toujours agréable lorsqu’on range les étagères, souvent les lecteurs nous interpellent. Il m’arrive aussi de m’immiscer en toute discrétion pour un conseil comme ça : surtout quand une maman explique à son fils qu’elle en a marre car il ne lit que des mangas et qu’elle aimerait qu’il lise un roman, c’est classique et là bim… je m’adresse à l’enfant directement, le parent n’existe plus et je lui demande ce qu’il préfère : l’aventure, le suspens, avoir peur…. Généralement il ou elle repart avec LE roman. Comme toute bibliothécaire, j’ai des valeurs sûres.
Les bibliothèques peuvent jouer un rôle super important pour devenir ‘lecteur’, découvrir la littérature. As-tu une anecdote que tu voudrais nous raconter ?
Récemment une éducatrice d’un centre social (celui du quartier de la médiathèque) m’a demandé d’accueillir à la médiathèque des familles qui ne fréquentent pas le lieu. C’était un chouette moment, j’avais préparé des lectures pour les 5-11 ans, des valeurs sûres ! Lors du temps fort sur la restitution des actions menées par ce centre social, l’éducatrice m’a expliqué que les enfants et les parents avaient tellement adoré les histoires qu’elle avait envie de faire venir un conteur plutôt qu’un magicien. Elle m’a expliqué aussi que pour elle c’était le moment qu’elle avait préféré car le groupe était agité et que j’avais su capter leur attention. Il ne m’en faut pas plus pour être heureuse.
Et peut-être ta plus belle rencontre / ton plus beau souvenir ?
Je ne sais pas si j’ai un plus beau souvenir. Ce que je cherche dans ce métier c’est la décharge de bonheur que le conseil ou une situation peut provoquer. Le fait de voir qu’un enfant revienne à la bibliothèque avec ses parents car il n’arrête pas de parler « de la dame qui a raconté des histoires » durant un accueil de classe. D’être émue lorsque je vois les collégiennes et collégiens sauter de joie lorsque je leur annonce qu’une autrice va venir les rencontrer. De voir qu’un bébé de 2 ans lit le petit album que je viens de lui lire, à sa manière, et qu’il le refait 1.2.3 fois de suite laissant son parent complètement bluffé.
Après un de mes plus beaux souvenirs c’est d’avoir modéré un auteur lors d’une rencontre avec le public. C’est beaucoup de travail mais si satisfaisant !
Les projets dont tu es le plus fière et/ou que tu adores mener ?
Le projet que j’adore c’est la création du comité de lecture avec le collège de mon secteur et cette relation de confiance qui s’installe avec la professeure-documentaliste. Cette année, les élèves sont très motivées et surprenantes. Le fait d’avoir associé également les élèves du conservatoire de théâtre est une belle initiative (les comédiens et comédiennes interprètent les extraits des romans choisis pour donner envie aux jeunes de lire). J’adore aussi « Nos doudous aiment les histoires » : sensibilisation à la littérature de jeunesse. Un titre que j’ai choisi car ce qu’aime le tout-petit c’est raconter à son doudou. A chaque fois, je me sens utile, passeuse d’histoires…
J’ai adoré lorsque ces mêmes élèves du conservatoire sont venus à la médiathèque répéter des textes que j’avais choisis sur la thématique de la liberté dans le cadre de « Partir en livre 2023 », c’était émouvant, si heureuse que les textes leur aient plu !
Après j’ai adoré monter un Apéro-comics pour faire découvrir les comics aux usagers emprunteurs de BD et mangas (c’était en 2016). Un autre projet dont je suis fière aussi c’était que des jeunes d’un centre aéré puissent lire des textes mis en musique par un percussionniste et une comédienne.
Il y a eu aussi ces jeunes d’un lycée pro qui avaient monté un club mangas (on s’y rendait une fois par mois, on avait même fait un speed-booking) et qui sont venus à la médiathèque sur un temps fort autour de la SF (alors que ce n’est pas du tout mon rayon). Après, sans prétention, je n’ai peur de rien, je suis si passionnée que tout est un plaisir !
Le public que tu préfères ?
Je n’ai pas de préférence mais je dirais tout de même le public jeunesse (c’est mon secteur). Tous les âges sont sympas. Je suis aussi à l’aise avec le public handicapé que les personnes âgées ou les tout-petits.
Tu as travaillé dans différentes structures, dans des bibliothèques de village peut-être avant de travailler dans de plus grosses structures (ou inversement ) : qu’as-tu préféré ? Pourquoi ?
C’est vrai, j’ai eu la chance de travailler pour différentes collectivités. J’ai débuté dans une médiathèque qui appartenait à un réseau de trois médiathèques en plus de faire partie d’une agglomération de 13 communes qui avaient aussi leur propre réseau interne, ou une seule médiathèque pour les petites communes. Nous avions le catalogue en commun et une méthodologie de catalogage commune ainsi qu’une navette (circulation des documents réservés-retours). Nous ne travaillions quasiment jamais ensemble. Par contre, les trois médiathèques travaillaient ensemble et les agents étaient mobiles selon leurs missions. Après, j’ai travaillé dans une médiathèque dans une commune de taille moyenne et le travail était différent. On est certes assigné à un poste mais on est plus multitâches. J’ai aimé travailler dans ces deux collectivités même si j’ai eu une petite préférence pour la médiathèque n’appartenant pas à un réseau, j’étais plus libre de créer des projets… bon cela tient aussi aux orientations de la direction. Actuellement je travaille sur un réseau de six médiathèques mais il y a beaucoup de retard par rapport à ce que j’ai connu et c’est parfois difficile.
Comment envisages-tu ta mission auprès des classes ? (que dirais-tu du partenariat entre bibliothèque et Education Nationale ?)
Je fais des accueils de classes depuis mes débuts (2005) et j’ai connu de belles actions. J’ai connu le travail sur un projet durant une année entière ou bien sur une création avec une temporalité plus courte. Cette année, c’est la première fois que je ne fais pas d’accueil de classe (maternelle-élémentaire), je me consacre aux autres accueils (petite enfance – collège – autres partenariats…). Peu d’agents ont de l’expérience dans ces accueils donc … ça m’embête mais je ne peux pas être partout. C’est la deuxième année que je reçois les 10 classes de 6ème du collège de mon secteur et cela commence à porter ses fruits. Les collégiens viennent s’inscrire ou fréquentent la médiathèque plus assidument. La fidélisation prend du temps.
Le partenariat entre les médiathèques et l’Education Nationale dépend vraiment de plusieurs facteurs. C’est un peu complexe à expliquer ici. Pour conclure je dirais qu’il n’y a pas la même implication selon les collectivités. C’est terrible car j’ai l’impression que l’on est en perpétuel recommencement. Rien n’est jamais acquis. Dans ce métier il est aussi important de se faire entendre et, là aussi, c’est compliqué…
Et pour finir : du vocabulaire surprenant… « mais quel est ce terme ? »
Désherbage : au Canada les professionnelles utilisent le terme « élagage », cela consiste à enlever des livres des collections.
Refouler : c’est redresser une étagère de livres
Bulletinage : opération de pointage des périodiques (revues)
Exemplariser : le fait de rattacher un exemplaire à sa notice
Estampillage : apposer le tampon de la médiathèque sur la page de titre.
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Quel beau métier que celui de bibliothécaire !
Merci Liraloin d’avoir répondu à nos questions pour ce premier article de notre nouvelle rubrique sur les acteurs du livre !
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