Lecture commune : La Perle

Au seuil de l’automne qui s’annonce, on vous invite à partir en quête d’un trésor : un trésor dont seule la nature a le secret, un trésor à partager ! Laissez-vous embarquer à bord de l’album intitulée La Perle d’Anne-Margot Ramstein et Matthias Aregui, un duo toujours surprenant !

La Perle, Anne-Margot Ramstein, Matthias Arégui, La Partie, 2021.

Lucie. – Colette, souhaite-tu ouvrir cette lecture commune en dévoilant les raisons qui t’ont poussée à proposer cet album ? Je serai curieuse de les découvrir !

Colette. – Nous avons découvert cet album par le plus beau des hasards à l’occasion de L’Escale du livre, festival littéraire bordelais. J’avais inscrit mon plus jeune fils à un atelier avec l’autrice, Anne-Margot Ramstein, parce que c’était un des rares accessibles aux enfants de son âge sur le dimanche après-midi. Avant l’atelier, l’autrice était en séance de dédicace. Nous n’avions pas de livres de cette artiste dont nous connaissions les livres grâce à nos médiathèques. J’ai proposé à mon fils d’en choisir un qu’il pourrait se faire dédicacer : il a choisi La Perle. Quel bonheur ! C’est bien évidemment la couverture de ce livre à la douce reliure grisée qui l’a attiré : cette couverture c’est une invitation au voyage digne de Baudelaire. Peau bronzée, doigts effilés, paysage insulaire, entre végétation verdoyante et ciel d’une lumière aveuglante, tout y est. Et puis ce geste, si élégant, qui nous invite à devenir le corps auquel est rattaché cette main tendue, ce geste là m’a appelée ! Cette étrange couverture a-t-elle eu le même effet sur vous ?

Lucie. – C’est vrai que cette couverture attire l’œil ! Entre les couleurs vives, très tranchées et cette illustration en vue subjective est étonnante, intrigante !

Blandine. – Il y a beaucoup de douceur et de délicatesse dans cette couverture. J’en suis émue. Comme si je recevais moi-même cette bague.
On ressent aussi toute la beauté et le soin apporté à l’objet-livre. Et j’aime beaucoup ces couleurs franches.

Frédérique. – J’ai découvert le travail de ce duo avec l’imagier Avant-Après. En me rendant au SLPJ93, je suis tombée sur les éditions de la PARTIE. Un duo d’éditrices, aguerries, qui ont exercés chez d’autres éditeurs…. Bref, cette couverture m’a bien attiré et je l’ai mis tout de suite en commande. Je te rejoins Colette, sur le fait que cette couverture sort « du lot », cette reliure grisée me rappelle les vieux carnets de voyage. Une vie va se passer à en juger cette lumière de la 1ère de couverture et la nuit tombée de la 4ème de couverture.

Colette. – Et quel a été votre horizon d’attente à l’ombre de cette jolie couverture ? Qu’est-ce que vous vous êtes imaginé ? Qu’avez-vous pensé découvrir de l’autre coté de cette longue main brune ?

Lucie. – Je m’attendais à de l’exotisme, avec cette peau halée et ces couleurs chatoyantes ; à voyager, mais pas de cette manière ! J’ai aimé cette bague à la fois précieuse et enfantine. Cette couverture annonçait un album inhabituel, j’étais pressée de le découvrir.

Blandine. – Je savais uniquement que cet album était sans texte. Et rien que pour ça, j’étais attirée, quasi conquise. Je n’ai eu aucune attente avant « lecture », je n’ai pas cherché à imaginer l’histoire que ses pages pouvaient raconter. Je me suis totalement laissée porter. Et j’en ai été soufflée.

Frédérique. – Je me suis dit que si c’était comme Avant-Après, il allait y avoir beaucoup beaucoup de détails dans cette histoire…

Colette. – Et alors qu’avez-vous découvert entre l’aube et l’aurore de cet album hors du commun ?

Blandine. – Je n’avais pas du tout imaginé ce contenu, cette fin, j’ai été soufflée par chaque double page et détail, par le double effet visuel entre la page de gauche qui se centre sur la perle et ce qui lui arrive ; et la page de droite qui la remet dans un contexte qui la dépasse, la sublime, l’utilise aussi. Pourtant, j’y ai trouvé de la beauté, de l’apaisement, un sentiment de « tout arrive à point à qui sait attendre » alors même que, au moment de ma première lecture, j’ai eu le sentiment que tout passait vite, pas du tout sur des décennies et en même temps, cela est si logique. Il y a comme une double temporalité. J’ai été émerveillée par ce voyage « d’une vie », à la fois de la perle en elle-même, ses « rencontres » fabuleuses, des plus beaux endroits aux plus populaires, ordinaires, et ce retour aux sources. Et de l’autre, ces deux vies humaines qui n’ont pas cessé de s’aimer, qui nous sont proches sans que nous les connaissions, puisque c’est la perle et non eux que nous avons suivie. Une vie que l’on devine simple et non conditionnée à des « apparats », alors même que la perle en est « victime ». J’aime cette ouverture d’interprétation que nous offre cet album sans texte.
Et que dire des couleurs ?! Splendides, immergeantes. Elles apportent à l’album un fort côté artistique, à la façon pop art.

Lucie. – J’ai découvert un voyage auquel je ne m’attendais pas. Pourtant le titre est parfaitement choisi : « La perle », et on suit effectivement le voyage, l’histoire, d’une perle. C’est fou comme on est formatés en tant que lecteurs. Pour moi, il était évident que la main de la couverture appartiendrait au personnage principal, la perle ayant un rôle essentiel mais pas central !
Ici l’objet est le personnage principal, d’où l’absence de texte. La conséquence : la temporalité est très différente de celle d’un humain, d’où la surprise finale. J’ai adoré cette boucle d’ailleurs, très poétique, romantique… Un peu de douceur dans ce monde de brutes ! Cela amène aussi de l’émotion, car l’identification ne fonctionne pas forcément avec une perle !
Elle passe aussi par la beauté des paysages, des illustrations, des couleurs, mais d’une manière très différente que dans une histoire traditionnelle.

Frédérique. – J’y ai découvert une formidable histoire de vie. A travers cette perle pêchée dans l’océan et ses péripéties, la route sera lente et longue et puis cette question qui reste en suspens : reviendra-t-elle à son propriétaire originel ou va-t-elle connaître encore d’autres aventures ?
Car il est vraiment question d’aventures et on se demande quand est-ce que cette perle va arrêter de s’échapper continuellement. Vous avez raison, mesdames, son destin n’est pas d’appartenir à une couronne ni de finir dans l’estomac d’un saumon ! Parlons un peu des enchainements, une spécialité de ce duo, avez-vous repéré les objets ou les personnages qui invitent à mener cette perle à sa destination finale?

Lucie. – Là encore, le rôle des humains est présent mais le hasard et les animaux jouent un rôle aussi important que les hommes dans ces enchaînements. Cela nous invite à réaliser que, bien que nous ayons un sentiment de contrôle des événements la plupart du temps, nous ne maîtrisons pas tout, et encore moins sur le long terme !
J’ai trouvé cet aspect vraiment intéressant.

Colette. – Très bien dit Lucie. Je rajouterai que j’ai été particulièrement séduite par le jeu des cadrages qui est une des spécialités de notre duo d’artistes, avec cette alternance macro/micro, panoramique / gros plan à chaque double page, bouleversant nos habitudes de lectrices à la fois dans notre manière de regarder mais aussi de raconter. Ce qui compte finalement ce n’est pas tant le récit que la poésie qui se dégage de ces paysages ou de ces détails vers lesquels les artistes guident notre regard.

Blandine. – Tout au long de ma « lecture », je me suis demandée comment l’album pouvait finir et la perle, terminer sa course. Je n’avais pas du tout imaginé ce voyage d’une vie et aux vies multiples entre ordinaire, simplicité, préciosité (sentimentale, pécuniaire, d’apparat).
Les enchainements des auteur.e.s sont brillants, entre le micro et le macro, il y a aussi une sorte de jeu. Je me suis mise à rechercher les éléments communs au fil des pages et à imaginer la suite de ce « voyage ». Le nid de la pie et la couronne de la Reine sont des trouvailles fabuleuses!

Colette. – Et dans ces enchaînements parfois improbables entre des environnements souvent très opposés avez-vous lu un message, une réflexion ? Si oui laquelle ?

Frédérique. – Ce qui m’a interpellée c’est ce sentiment de destruction tout de même. Elle commence doucement, une perle arrachée à son milieu naturel. Tout cet enchaînement se fait soit par un animal voleur ou destructeur comme vous l’avez dit précédemment, soit par la main de l’homme (vol, vente de la perle…). Dans cet album il y a tout de même quatre pages sur la fuite de la perle dans un environnement pollué et détruit par des machines. On y voit aussi la consommation … Finalement j’ai plutôt vu la chute comme un apaisement. Cette perle offert par amour revient à l’amoureux.

Blandine. – Mon sentiment premier à la fin de ma lecture a été que toute chose se trouve là où elle doit être. Qu’il n’y a pas de hasard. Et pourtant, que de concours de circonstances, de coïncidences dans cet album qui permettent à la Perle d’effectuer ce voyage.
J’ai aimé ce retour aux sources, ce lien évident que nous avons avec la Nature, et que nous malmenons pourtant pour vivre, améliorer nos quotidiens, pour l’apparat aussi.
Cet album universel peut parler à tous. Car il est sans texte, mais aussi parce que les frontières y sont abolies. Et c’est à double tranchant. Le beau s’exporte, s’expose, se transmet, s’apprend, se vend, se vole, et il y a aussi ce pointage subtil de la mondialisation, et à laquelle nous participons tous, qui que nous soyons, où que nous soyons. Car c’est bien grâce à elle que le jeune garçon des Îles devenu vieux retrouve la perle dans une bouteille de sirop d’érable.
Nous sommes tous liés.

Lucie. – Tout à fait d’accord avec Frédérique. Autant quelques passages sont assez « doux » (l’océan du début, la rivière au Canada) mais les auteurs mettent délibérément en images l’empreinte dévastatrice de l’homme sur la nature. Sans être lourd, le message saute aux yeux.

Colette. – En effet, il y a comme un arrière-plan politique à cette odyssée. Non seulement sur la question écologique mais aussi économique avec la scène de l’usine du sirop d’érable, produit qui fait le tour du monde par avion pour se retrouver dans la cuisine de tout un chacun. Vos remarques posent donc la question du lectorat de cet album : l’avez-vous partagé avec un jeune public ? Avez-vous recueilli leurs réactions ?

Lucie. – Je ne l’ai pas partagé avec un jeune public, mais je serai effectivement curieuse de savoir ce que des enfants en comprendraient.

Blandine. – Selon son âge, l’enfant verra plus ou moins de choses qu’il pourra verbaliser ou pas encore. Ce peut être des impressions avant d’être des réflexions.
Mon fils de 10 ans l’a lu. Il aime les albums sans texte et est très sensible, mais ne partage pas beaucoup. Il a aimé le style graphique, les couleurs, l’absence de mots, le voyage de cette perle mais nous n’avons pas approfondi. Parce que le moment ne s’y prêtait pas, aussi parce que c’est beau aussi, parfois, de prendre les choses comme elles viennent sans vouloir raisonner, commenter derrière. Juste apprécier la beauté sans analyser.

Colette.Pour terminer cette LC – sauf si vous avez d’autres questions- pourriez-vous nous dire quelle est votre (double) page préférée et pourquoi ?

Frédérique. – Ma double page préférée est celle du nid et du bateau. L’aventure y est totale : le bateau toutes voiles hissées donne l’impression d’un bateau de pirate. Le contenu du nid de pie laisse entrevoir ce qui va se dérouler ensuite. En effet, il y a une pièce de monnaie anglaise (on y voit le profil d’Elisabeth II) et sur la page suivante, la perle finira sur la couronne de cette même reine.

Lucie. – C’est drôle, j’aurais choisi la même pour des raisons similaires. Autant dans la vie le côté « tout est écrit et pensé » ne me plaît pas du tout, autant j’aime bien ces clins d’œil que les auteurs font au lecteur attentif.

Blandine. – J’ai particulièrement aimé la double page où la perle se trouve fichée dans la couronne de la Reine que porte maladroitement son fils aîné. (ce qui pose question de la valeur des objets selon le rang social comme de leur symbolique). C’est avec cette double-page que j’ai saisi le passage du temps de l’album, car on voit sur la page de droite trois portraits de la Reine avec sa couronne. Elle est d’abord seule, puis avec un bébé, puis avec un enfant sur le côté du fauteuil où elle se trouve et un autre bébé dans les bras. La couleur de ses cheveux diffère aussi, allant en s’éclaircissant. Et enfin, la scène générale avec les deux enfants ayant grandi et elle ayant les cheveux couleur argent.
J’aime cette vision subtile du temps qui passe, et les questions que soulèvent les détails.

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Et si vous aussi, vous aimez les albums sans texte, nous vous en avions proposé une sélection par ici suite à un débat que nous avions mené par .

Lecture commune : les trois « romans-fleuve » de Davide Morosinotto

Impossible de résister à l’appel de l’aventure des romans de Davide Morosinotto : par la vivacité de sa plume et de ses dialogues, la qualité de ses intrigues menées tambour battant, le charme fou de ses personnages et des décors historiques époustouflants, l’auteur italien apporte quelque chose de frais et de réjouissant à la littérature jeunesse. Il réinvente l’idée de série avec trois romans qui ne se suivent pas à proprement parler, mais qui sont apparentés à plusieurs égards, comme nous le verrons. De quoi susciter des échanges à l’ombre de notre grand arbre, comme vous pouvez l’imaginer ! Alors, êtes vous du voyage ? Embarquez dans votre bateau à aube, votre paquebot ou votre pirogue, c’est parti !

Le célèbre catalogue Walker & Dawn (L’école des loisirs, 2018). L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges (L’école des loisirs, 2019). La fleur perdue du chaman de K (L’école des loisirs, 2021).

Isabelle : Le célèbre catalogue Walker & Dawn, L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges et La fleur perdue du chaman de K peuvent se lire indépendamment. Lesquels avez-vous lus et comment les avez-vous découverts ?

Lucie : Je commence juste ma découverte et encore une fois c’est grâce à vous. J’ai lu ta critique sur La fleur perdue qui m’a interpellée. Mais à la bibliothèque il n’y avait que Le célèbre catalogue Walker & Dawn donc je commence par là !

Colette : Et bien je n’ai lu que L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges que j’ai découvert parce que tu m’as promis, Isabelle, une belle lecture ! C’est donc également sur tes conseils que j’ai foncé l’emprunter à la médiathèque !

Pépita : J’ai aussi lu les trois mais pas dans l’ordre de leur parution. J’ai commencé par Le célèbre catalogue, mais je ne me souviens plus du tout comment il a atterri dans mes mains. Depuis, je suis cet auteur car il a une façon bien à lui de raconter ses histoires. Toujours un duo d’enfants, qui vivent des aventures incroyables ! Et d’autres enfants qui font l’aventure avec eux. C’est assez simple dit comme ça mais en fait, ces histoires ont vraiment quelque chose en plus. Dans la forme. Ou l’élément déclencheur. Ou les enjeux historiques. De vrais page-turners ! Et combien j’aurais voulu les lire enfant, on ne doit pas du tout en avoir la même perception qu’adulte. En plus, ils pèsent lourds, alors on sent qu’on en a pour son content de lecteur !

Isabelle : Moi aussi, j’ai lu les trois. C’est grâce au grand arbre que j’ai découvert Le célèbre catalogue et comme Linda, ça a été un tel coup de cœur, peut-être le plus grand des dernières années, que je me suis précipitée sur chacun des deux tomes qui ont suivi. Nous avons même relu (à voix haute !) le premier, après avoir terminé La fleur perdue !

Quand on lit le résumé de ces livres, ils n’ont a priori rien à voir : le premier se passe aux États-Unis en 1904, le deuxième en Russie pendant la deuxième guerre mondiale, le troisième au Pérou dans les années 1980. Et pourtant, les fils conducteurs sont multiples, non ?

Pépita : À première vue effectivement, ce n’est pas une trilogie ! Mais il y a toujours un fond historique, la grande Histoire, dans laquelle des enfants vivent des aventures incroyables. Toujours un couple d’enfants et d’autres qui gravitent autour, les aident, les soutiennent. Des enfants de la rue, en précarité aussi pour la plupart, et très débrouillards. Toujours un objectif aussi qu’il se donnent et toujours un voyage loin de chez eux, des cartes à lire, du repérage d’espace, de la jugeote et un sacré coup de chance, que je devrais mettre au pluriel !

Linda : Ce n’est clairement pas une trilogie au sens où on l’entend habituellement. Mais cela reste une série dans laquelle l’auteur s’amuse à placer des personnages déjà rencontrés dans un autre livre. Il explique d’ailleurs très bien cela à la fin de la fleur perdue du chaman de K , cette envie qu’il avait d’une série de romans qui placerait l’action autour d’un grand fleuve.

En fond, l’album Histoires de fleuves, de Tim Knapman, paru chez Sarbacane.

Lucie : J’ai beaucoup aimé les illustrations qui jouent sur le côté documents d’archives du « Catalogue » et je me demandais : les autres romans de Morosinotto ont-ils tous ce côté graphique ou pas du tout ?

Pépita : Le travail graphique sur ces trois tomes est aussi un fil conducteur et cela donne une unité narrative à cette collection. Je préfère dire collection que série car ce n’en est pas une, au sens de trilogie. Je trouve que cela modernise drôlement le concept !

Isabelle : D’après moi, l’un des aspects qui font de ces romans des lectures inoubliables ! Chaque tome donne lieu à un travail graphique que j’ai trouvé merveilleux : comme on le disait, Le Catalogue intègre des documents d’époque dans le texte – extraits de catalogue, coupures de presse, photographies, cartes…

Le célèbre catalogue Walker & Dawn. Extrait

On retrouve cette résonance entre texte et graphismes dans les tomes suivants, mais à chaque fois sur un mode différent. Morosinotto déborde de créativité en la matière : L’éblouissante lumière se lit comme des cahiers d’enfants dûment annotés à la matin par un commissaire soviétique ! Et le troisième volet est peut-être le plus inventif : il fait littéralement s’entrechoquer texte et illustrations…

Colette : Dans L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, le côté graphique est très important. Il est même au fondement de la narration. Ce roman raconte l’histoire de jumeaux Nadia et Viktor, qui vivent à Leningrad quand la seconde guerre mondiale éclate. Obligés de quitter leur famille, leur père va leur offrir une série de carnets rouges à spirales dans lesquels les enfants s’engagent de noter tout ce qui va leur arriver pendant leur exil forcé. Le roman est donc rythmé par la rédaction des carnets. Il n’y a donc pas de chapitres dans ce roman mais des carnets qui s’enchaînent au fil des mésaventures de nos deux personnages principaux. Dans ces carnets, les enfants collent des photos, des documents divers, et surtout des cartes qui certes orientent leurs itinéraires mais aident précieusement les lecteurs/lectrices à se repérer ! Entre chaque carnet, on trouve les rapports du commissariat du peuple aux affaires intérieures, qui forment une sorte de récit cadre à la narration que l’on peut lire dans les carnets. La structure narrative est donc complètement nourrie par le structure graphique du livre.

L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges. Extrait

Pépita : Quand même, c’est assez inégal. Je m’explique : j’ai trouvé le principe des carnets dans Les étoiles rouges hyper-classique (l’écriture rouge pour Viktor m’a vraiment gênée pour lire !), dans La fleur perdue c’est déjà plus élaboré, puisque le jeu se déplace sur plusieurs formes (typographies, pages noires,) et dans Le catalogue, c’est là que j’ai trouvé ce graphisme le plus dynamique.

La fleur perdue du chaman de K. Extrait

Linda : Je suis complètement d’accord avec Pépita pour dire que cela donne une unité narrative à la série malheureusement inégale. Certains choix faits dans La fleur perdue m’ont vraiment posé problème entre le fait qu’il fallait parfois tourner le livre dans tous les sens, la taille très petite de certaines lignes ou l’aspect flouté du texte. Clairement c’est un concept intelligent et les idées sont bien pensées mais ce n’est pas toujours très pratique. J’ai par contre adoré les carnets de L’éblouissante lumière plus traditionnels, certes, mais tellement bien faits. A la lecture, on en arrive à se demander si ce ne sont pas de vraies pages retrouvées des années plus tard.

Lucie : C’est un peu pareil avec Le catalogue, ce jeu sur le document authentique est très intriguant, je trouve. Mais il dévoile ce qu’il en est dans ses remerciements, en tout cas pour Le catalogue !

Linda : Oui absolument, c’est présent dans chaque livre.

Isabelle : Pour ma part, je ne saurais pas dire laquelle de ces trois propositions j’ai préférées. Le jeu consistant à utiliser les lettres comme des images dans le troisième tome est original, ça m’a fait penser à certains textes dadaïstes ! Dans Le catalogue, il y a eu un immense bonus lié à la surprise de découvrir ces documents magnifiques alors que je ne m’y attendais pas. Exactement comme le disait Colette pour L’éblouissante lumière, il y a une imbrication entre texte et iconographie qui fait forte impression. On entre presque dans un rôle face à ces documents qui semblent d’époque : dans le premier cas, on vibre d’excitation en tournant les pages de ce catalogue d’un autre temps et on peut ressentir la fascination qu’il devait susciter un siècle avant Amazon ! Dans le deuxième, on se retrouve presque dans la peau du commissaire soviétique qui découvre les carnets de Victor et Nadia et qui doit se faire une idée des tenants et aboutissants de leur « affaire ». J’ai trouvé vraiment drôle de lire ses annotations et de voir les différents points de vue qu’on peut avoir sur les péripéties vécues par les deux enfants. Je te rejoins, Colette, pour trouver que dans les trois cas, ces documents, cartes, etc. sont aussi utiles pour planter le décor et aident à se repérer dans des époques très différentes de la nôtre.

Un autre point commun à ces trois romans concerne la narration à plusieurs voix. Avez-vous une idée des motivations de l’auteur pour opter pour cette formation de narration ? Est-ce quelque chose que vous avez apprécié ?

Pépita : J’imagine que pour l’auteur ce principe de narration lui permet plusieurs points de vue dans les aventures. Et comme son fil rouge est de donner la voix à plusieurs enfants à chaque fois, c’est un bon moyen. Pour le lecteur, c’est agréable de monter l’histoire dans sa tête à travers ce principe. En plus, pour ne pas le lasser, il a à chaque fois modifié la forme de ce principe de narration. Oui, j’ai réellement apprécié cette façon de faire, de manière inégale dans chaque roman, mais globalement, c’est fort réussi, ça donne une belle dynamique, ça surprend, ça attise la curiosité. De plus, il a su aussi le valoriser dans les illustrations, et ça, ça donne vraiment une autre perspective ! Je trouve qu’il a carrément modernisé ce principe.

Linda : L’intérêt réside dans la multiplicité des points de vue. Chaque enfant raconte l’histoire selon ce qu’il en perçoit ce qui est intéressant dans la dynamique du récit mais aussi et surtout quand les enfants vivent des aventures différentes. C’est un choix qui me plait toujours car il permet aussi d’éviter les longueurs et les temps morts au maximum. Comme Pépita, j’ai beaucoup aimé l’utilisation de l’illustration pour notifier le lecteur du changement de personnage. Le côté visuel permet toujours de situer les évènements et de plus, cela enrichi l’objet-livre.

Le célèbre catalogue Walker & Dawn. Extrait

Lucie : Honnêtement, je trouve que la narration à plusieurs voix est souvent une astuce de l’auteur pour faire dire à un personnage quelque chose qu’un autre narrateur ne pourrait pas dire de lui-même. Ce n’est pas toujours très bien fait et c’est d’autant plus gênant que ce « stratagème » est très fréquent en littérature jeunesse. MAIS, Morosinotto justifie et utilise parfaitement ce ressort, en tout cas dans Le célèbre catalogue. Le fait que le roman soit en fait le récit de leurs aventures par les enfants à une journaliste justifie cette succession de voix, et chaque personnage a vraiment un ton et une dynamique que l’on retrouve dans l’écriture. C’est très bien fait !

Isabelle : Je vous rejoins totalement sur la façon dont Morosinotto joue des changements de narrateurs pour construire son récit, entretenir le suspense et révéler à petites touches ce que les différents narrateurs perçoivent. Avec à chaque fois un ton propre au personnage ! J’y ai aussi vu le moyen de livrer une lecture subtile d’époques historiques particulièrement complexes en multipliant les points de vue. Par exemple, dans L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, on sent bien que les choses ne sont pas perçues de la même manière quand c’est Victor qui raconte, lui qui aspire à être un « bon camarade » (sans hésiter à enfreindre les lois lorsqu’il s’agit de retrouver sa soeur), quand c’est Nadia, plus distanciée vis-à-vis du régime – et évidemment quand on lit les annotations du colonel Smyrnov qui incarnent tout ce qu’il peut y avoir d’arbitraire dans l’exercice de la justice dans un régime non-démocratique et en période de guerre. L’ensemble brosse un tableau différencié et très intéressant !

Colette : Dans L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, les deux narrations se justifient complètement puisqu’en fait chaque enfant vit une histoire différente avec cependant un objectif final similaire pour les deux personnages principaux : se retrouver (même si ce n’est pas la même dynamique qui anime les deux enfants : l’un, Victor, fait tout pour retrouver sa sœur, l’autre, Nadia, attend d’être retrouvée par son frère). Comme l’a souligné Isabelle, cette double narration permet d’accéder à différentes manières de vivre le régime politique en place. Elle permet aussi de suivre les étapes de l’invasion de l’URSS par l’armée allemande de plusieurs postes stratégiques, ce que j’ai trouvé particulièrement ingénieux et enrichissant car on apprend vraiment beaucoup de choses sur cette terrible page de l’Histoire à travers la myriade d’endroits traversés par les deux enfants. Quant aux pages dédiées au colonel Smyrnov, elles sont tellement en décalage avec la foule de précisions, d’anecdotes des pages écrites par les enfants, elles respirent tellement le « confort » quand les deux enfants sont accablés par tous les dangers, qu’elles nous font surtout sentir ce qu’il y a d’arbitraire dans le pouvoir politique, de complètement ubuesque même à vouloir à ce point s’aveugler. Une critique subtile mais efficace du régime communiste.

Isabelle : Ces remarques sur le régime communiste dans L’éblouissante lumière l’illustrent, chacun des « romans-fleuves » nous plonge dans un contexte historique bien particulier. Qu’est-ce qui vous a le plus marquées, interpellées, amusées à cet égard ?

Lucie : Ta question me fait immédiatement penser à la mise en garde sur laquelle s’ouvre Le catalogue. Elle souligne avec humour l’évolution des mœurs et l’écart entre ce que l’on peut attendre d’un roman de littérature jeunesse et le vécu des enfants de cette époque.

Le célèbre catalogue Walker & Dawn. Prologue

Pépita : J’ai trouvé la construction de L’éblouissante lumière « plus classique » à travers les deux cahiers des enfants dans un contexte historique vérifiable. Le célèbre catalogue est une aventure collective époustouflante qui part de pas grand’chose, comme si l’aventure pouvait surgir n’importe quand, avec alternance des quatre voix des quatre enfants qui racontent. Les cartes et illustrations sont sublimes ! Et plonge le lecteur dans une époque des États-Unis et la course au progrès. Et La fleur perdue nous fait vraiment entrer dans un univers chamanique mystérieux et ésotérique, mais là l’histoire est plus imbriquée. Le contexte historique est celui du sentier lumineux, l’époque du terrorisme au Pérou et là, c’est contemporain. A chaque fois, l’auteur a su insuffler un univers graphique qui colle à l’ambiance mais aussi des éléments historiques véridiques.

Colette : J’ai appris plein de choses sur le siège de Leningrad et l’incroyable initiative de la « route de la vie » passant par le Lac Dagoda. Finalement l’Histoire enseignée aux élèves de l’hexagone est très franco-française (l’était en tout cas) et par conséquent je ne connaissais pas toutes ces opérations militaires notamment la stratégie qui a consisté à affamer la population de Leningrad.

L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges. Extrait

Isabelle : Tout à fait ! Même en tant qu’adulte, on découvre des pages d’histoire qu’on ne connaissait pas forcément, avec la multiplicité de points de vue que permet la littérature. Je n’aime pas trop qu’on sente l’intention didactique dans une fiction, mais c’est génial d’avoir l’impression, dans le cadre d’une lecture-plaisir, de voir son horizon élargi. Et là, ça fonctionne très bien, je trouve. On est pris par l’intrigue et l’aventure, mais on profite au passage à fond d’un décor historique peaufiné dans les moindres détails : avec mes garçons, nous avons adoré par exemple remonter le Mississippi dans un bateau à aube fourmillant d’ouvriers, de musiciens et de joueurs de poker ! J’ai trouvé drôle de voir, en lisant La fleur perdue, que les années 1980 pendant lesquelles j’ai grandi pouvaient sembler une époque historique un peu exotique du point de vue de mes enfants (« c’est quoi, un walkman ? »). Même si bon, nous sommes au Pérou et j’ai découvert des choses aussi sur l’histoire de ce pays que je connaissais mal.

Je voulais vous poser une question dont il ne sera peut-être pas aisé de parler sans divulgâcher. Qu’avez-vous pensé de la façon dont Morosinotto « dénoue » ses intrigues ? J’ai trouvé que c’était assez peu classique, j’ai eu le sentiment à chaque fois qu’au moment du dénouement, on a l’impression que l’essentiel n’était finalement pas là où on le pensait pendant toute la lecture, un peu comme si le voyage comptait finalement plus que la destination, vous voyez ce que je veux dire ? Qu’en avez-vous pensé ?

Lucie : Tu as lu mon avis : concernant Le célèbre catalogue pour moi on ne peut pas divulgâcher la fin puisque l’éditeur s’en charge directement sur la couverture ! Je suis d’accord sur le fond : évidemment, comme souvent, le chemin compte plus que la destination. C’est ce qui lie les personnages, les fait évoluer et grandir. Mais tout de même, j’aime aussi découvrir la résolution et j’ai un peu eu l’impression d’avoir été spoliée par le spoil si vous m’autorisez un jeu de mot facile. Clairement, j’ai aimé lire les aventures rocambolesques des personnages, mais du fait de cet énorme indice, je m’attendais au moins à une fin en deux temps. J’ai été déçue que le suspense retombe. Sans ôter à la qualité d’ensemble du roman, connaître la fin a quand même un peu gâché le dernier tiers de ma lecture.

Linda : Comme le dit Lucie, on connait le dénouement avant la lecture donc oui le chemin compte plus que la destination. C’est tellement formateur pour les enfants ce voyage avec ses rencontres et ses aventures. On est vraiment sur du récit initiatique avec comme principal objectif une évolution du/des personnage(s) vers une compréhension de soi et/ou du monde qui les entoure.

Pépita : Je n’ai pas du tout vu ce message comme ça ! Je l’ai vu plus comme un appel à le vérifier à travers cette grosseur du pavé et on se dit qu’on va en avoir pour son « argent » (si vous permettez…). C’est bien raccord avec le style du livre je trouve un peu « western ». Quant à l’exergue, je la trouve formidable ! Un enfant qui lit ça doit se dire : chouette ! Du transgressif ! Des trois, j’ai trouvé que c’était le plus novateur, le plus avec du suspense jusqu’au bout. Ces romans sont clairement dans la veine aventure initiatique et comme vous le dites, c’est la façon d’y arriver qui compte mais pas la fin en soi. Je les trouve extrêmement positifs malgré les embûches avec de belles valeurs.

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Nous espérons que cet échange le laisse pressentir : les centaines de pages de ces romans-fleuve se dévorent (beaucoup trop) vite et c’est le cœur serré que l’on voit irrémédiablement approcher le moment de débarquer. Si ce cycle est présenté comme achevé, les arbronautes seraient ravies de repartir un jour en voyage avec Davide Morosinotto. Autour du Nil, pourquoi pas ?

En attendant, n’hésitez pas à poursuivre l’exploration de l’univers de Morosinotto avec nos avis :

Le célèbre catalogue Walker & Dawn. Extrait

Billet d’été : On the road

Cet été, vous avez envie de voyager, mais dans le contexte particulier que nous vivons, vous hésitez ? À l’ombre du grand arbre, nous avons la solution : voyager par les livres ! La preuve : cette semaine, inspirée par l’adorable Swap envoyé par Sophie, je vous fais traverser l’océan Atlantique et je vous emmène visiter les États-Unis – voyage garanti sans CO2, fouilles à l’aéroport ni besoin de porter un masque. Vous n’avez même pas besoin de quitter votre fauteuil préféré ! Quelques pages et la magie des mots déploie l’immensité sauvage des paysages nord-américains, les possibles des routes interminables, les villes imposantes, mais aussi et surtout la diversité de cette société qui promet de belles rencontres… Et pour le même prix, je vous offre même un voyage dans le temps ! Vous êtes prêts ? On y va !

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1860 : Missouri-Denver : 1000 kilomètres avec 1000 dindes

Difficile d’imaginer que dans un passé pas si lointain, le transport des marchandises ne pouvait se faire ni par des camions, ni par des trains. Prenez par exemple les grandes plaines américaines vers 1860. Si vous vouliez livrer votre bétail sur pied à l’autre bout du pays, il n’y avait pas trente-six solutions : il fallait l’y emmener à pied, quitte à braver les périls du Far West ! Tel est le génial sujet de ce roman, qui nous fait découvrir l’Amérique de Tom Sawyer et de Huckleberry Finn : celle des chercheurs d’or et des Indiens, mais aussi celle de l’esclavagisme, de la famine et des chasseurs de bisons. Pour en savoir plus

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… 1904 : Du Sud au Nord, avec une bande d’irrésistibles aventuriers

Nous voici à l’aube de la révolution industrielle. À la place du révolver commandé par correspondance (!), P’tit Trois, Eddy, Joju et Min ont reçu une montre détraquée. Qu’à cela ne tienne, ils iront réclamer leur dû, quitte à traverser les Etats-Unis pour cela ! Leurs aventures palpitantes nous entraînent du bayou natal aux abattoirs de Chicago, en passant par la Nouvelle Orléans et les rives du Mississippi.

Un voyage qui montre une société en mutation rapide, mais qui reste minée par la ségrégation raciale. Pour en savoir plus

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… 1957 : Lutte pour l’égalité à Little Rock

Plus de 50 ans plus tard, cette page ségrégationniste n’est toujours pas tournée. Ce roman inspiré de faits réels raconte une page importante du mouvement des droits civiques : les violences racistes et la timide évolution des esprits déclenchées par l’inscription de neuf élèves noirs dans un lycée jusque-là réservé aux Blancs.

Un livre qui entretient une mémoire essentielle et évoque le courage immense de celles et ceux qui agissent en pionniers de la conquête de nouveaux droits, qui s’exposent en première ligne pour permettre à d’autres d’être acceptés, respectés et éduqués. Pour en savoir plus

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… Aujourd’hui : de la Floride à Seattle dans un ancien bus scolaire

De l’eau a coulé sous les ponts, retour à la période actuelle pour un road-trip décoiffant qui nous fait traverser le pays de bout en bout. Un voyage intense et urgent, guidé par la quête de Coyote, inoubliable fille de douze ans assortie de son hippie de père. On brûle de savoir s’ils arriveront à temps, mais se rend vite compte que cet immense chemin parcouru, ponctué de magnifiques rencontres, compte en lui-même. Pour en savoir plus

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Autant de fenêtres sur le lointain et l’Histoire que ces quatre romans. Mais aussi des textes qui invitent à rêver et à construire un monde de partage, de tolérance et de générosité. Et, particulièrement cette année, cela fait un bien fou.

Lecture Commune : Star Trip

Il y a des lectures qui donnent forcément envie de discuter, surtout quand nous ne sommes pas toutes du même avis.

A trois, Alice, Pépita et Bouma, nous nous sommes donc penchées autour du roman Star Trip d’Eric Senabre paru en 2017 chez Didier Jeunesse.

Alice : Elle est belle cette couverture vous ne trouvez pas ? Moi elle m’a flashé dans l’œil et à y regarder de plus près je la trouve appropriée au contenu. Si on commençait par un petit résumé ? A vous l’honneur !

Pépita : Oui très belle, d’ailleurs les romans Didier jeunesse sont toujours très soignés. Ouh là ! Un résumé, tu y vas fort…tellement cette histoire est au départ a priori normale et ensuite elle devient complétement surréaliste. May a 15 ans et elle vit dans un trou perdu de l’Idaho. Nous sommes en 1968. Elle garde son petit frère handicapé à la suite d’un accident. Ils sont seuls car leurs parents scientifiques ont dû partir pour une mission top secret. Son petit frère est fasciné par la série TV Star trip et pour l’occuper, elle décide de lui construire avec l’aide de son petit ami une navette spatiale dans la grange, en cachette. Lors d’une virée en ville pour faire quelques courses et se changer les idées, elle apprend que celui qui incarne le capitaine Burke dans la série est en dédicace à la librairie. Ni une, ni deux, elle s’y rend avec son ami. L’échange n’est pas des plus cordial. Sauf que le lendemain, le capitaine Burke débarque chez elle…et là, tout commence vraiment…

Bouma : Je rajouterai que la famille de May est déjà à part dans ce petite village, de part leur conception très scientifique de la vie. Avec le départ des adultes, May prend malgré elle la responsabilité de sa maison et de ses occupants. Et puis, en grande sœur attentive, elle essaie de rendre à son frère la gaité qui était sienne avant l’accident. Et pour la couverture, je lui trouve un petit côté vintage dans sa composition très centrée. Ce qui finalement va de paire avec le texte d’Eric Senabre.

Qu’avez-vous pensé de l’arrivée du Capitaine Burke ?

Alice : Le hasard fait bien les choses ! Un petit tour en ville et hop ! pile poil quand l’acteur préféré du petit frère est en dédicace … bon, ok … Un odieux personnage en plus, imbu de sa personne et qui n’a pas grand respect pour son public !
Bref, cette première rencontre n’est pas glorieuse et de suite ce personnage ne m’a pas paru très net. Sa venue dans la ferme de May et son frère est suspecte aussi, on sent bien qu’il y a quelque chose de louche là dessous., mais l’intrigue ne nous tient pas non plus en haleine ! Finalement quel est l’intérêt de ce bonhomme qu’on sent pas très honnête ?

Pépita : Ah ben moi, j’ai adoré, je me suis laissée emporter par cet improbable sans me poser de questions, ça m’a bien divertie du coup. Oui il est odieux, égoïste, insupportable, calculateur mais en même temps un côté nounours fragile. Et puis, on se demande jusqu’où il peut aller…et il va loin au sens propre comme au figuré. J’ai beaucoup aimé ce mélange désuet des années 1968 à ce côté science-fiction. Y a de l’action en plus, enfin, dés qu’ils partent, c’est complètement déjanté par moments mais c’est drôle à lire, très divertissant. Je l’ai proposé à des ados qui ont vraiment beaucoup aimé.

Alice : Attention, si je n’ai pas aimé ce personnage précis, je ne dénis pas qu’il a toute sa place dans cette ribambelle de personnages tous bien campés dans leur rôle. Ils sont tous bien dessinés, bien profilés et d’ailleurs, pour moi, ce sont eux qui portent toute la folie, le divertissement déjanté de cette histoire dont tu parles, et non pas l’intrigue.

Bouma : Mon avis rejoint celui d’Alice. J’ai eu plusieurs fois envie de reposer ce roman, l’intrigue ne m’ayant pas embarqué plus que ça. Mais je suis restée pour May et son petit ami si serviable, histoire de voir s’ils allaient finalement réussir à se débarrasser de ce boulet d’acteur. Et puis je suis restée aussi, forcément, pour voir si ce rêve de gamin allait se réaliser… Après, pour moi, le roman a été un peu longuet…

Alice : Alors par contre je rejoins Pépita et je pense que cette histoire déjantée, ce mélange de fiction et de réalité peut faire rêver les gamins !
Tout de même il y a une sacrée critique de l’Amérique profonde la dessous, vous ne trouvez pas ?

Pépita : ah oui complètement et franchement ça ne fait pas rêver !

Bouma : Il y a en effet une certaine réalité de la campagne américaine, surtout dans les années 70, où tout un chacun pense avoir un droit de regard sur la vie de ses voisins. L’insistance du prêtre et son envie de guider ses ouailles est assez risible, en tout cas du point de vue de May.

Alice : Pour moi, il y a tout ce côté ou May étouffe dans le fin fond de sa campagne. A plusieurs reprises, elle rêve de mettre les voiles, d’aller en ville voir un peu de vie et finalement cette proposition de road trip, même si elle sent l’entourloupe, lui permet de prendre une bonne bouffée d’air. La campagne américaine dans ces années là, c’est un peu le fin fond du trou …
Et puis il y a ces rencontres tout au long de cette aventure, l’indien, le gérant de motel par exemple ou bien le shérif noir irlandais, l’auteur ne les crée pas par hasard. Leur atypisme, leur côté farfelu sont là pour nous parler d’autre chose, non ? De claires caricatures pour moi de l’Amérique profonde…

Tant de personnages d’ailleurs ! Le petit frère, le petit ami, l’acteur, les diverses rencontres… en auriez-vous un que vous aimeriez mettre en avant ?

Pépita : C’est marrant, je ne l’ai pas vu du tout comme ça. Je n’étais pas en Amérique, mais sur une autre planète ! Comme dans un décor de carton pâte avec des acteurs dont les traits sont caricaturés à outrance. Une sorte de film en dehors du film.
Alors les personnages : j’ai beaucoup aimé May, son caractère, sons sens de la répartie, et son petit ami aussi. Il m’a bien fait sourire ce petit couple qui n’en est pas encore un. Des personnages hauts en couleur, c’est certain ! Un roman où à chaque tourne de page, on ne sait pas trop ce qui va jaillir. C’est ce côté-là que j’ai aimé car très divertissant et tu as raison de souligner que les personnages y sont pour beaucoup. A un moment donné, je me suis interrogée sur la raison de l’absence des parents, je ne l’ai plus trouvée si normale que ça.

Bouma : Moi aussi le petit-ami a retenu mon attention. Sa manière de rester toujours présent, de manière indéfectible, comme un phare auquel se raccrocher, est primordial pour May. J’ai rit avec le shérif et les mésaventures qui lui arrivent malgré lui. Il doit faire face aux préjugés liés au mélange des cultures noires américaines et irlandaises.

Et le titre ? On en parle du titre ? Est-ce que, comme moi, vous y avez trouvé plusieurs significations ?

Alice : Star trip, ce voyage vers les étoiles offert à Sam ?
Star trip, ce voyage d’une star de ciné déchue ?
Star trip, cette référence à la série SF Star Treck ?
Star Trip come un road movie un peu déjanté ?

Oui, c’est un peu tout ça Star Trip une histoire de voyage et d’étoile … à chacun de suivre son chemin …

Pépita : Et star Wars non ? oui un titre à multiples entrées : le voyage d’une star sans doute, allusion à ce capitaine Burke déchu et bien sûr à toutes les déclinaisons cinématographiques. Bien trouvé en tous cas.

Autre question (sans trop en dévoiler) : et la fin ? Vous l’avez trouvée comment ?

Alice : Une happy-end joyeuse … mails il ne pouvait pas en être autrement, elle est complétement dans le ton et l’ambiance du livre.

Bouma : J’avoue que je ne m’en souviens pas trop de cette fin. Le proverbe dit « Ce n’est pas la destination mais la route qui compte » et c’est vraiment l’effet que m’a fait ce roman. Il y a un tel foisonnement de personnages, de paysages et de rebondissements que la fin ne m’a pas tant marquée.

Pépita : Cette fin, elle est abracabrantesque ! Beau pied de nez ! C’est complètement déjanté !

Un mot pour de futurs lecteurs/lectrices ?

Bouma : Un avis de lecture mitigé en ce qui me concerne mais j’aime à me dire qu’il y a un livre pour chaque lecteur et un lecteur pour chaque livre.

Alice : Malgré mon avis mitigé, c’est un livre que j’ai conseillé a un collègue qui l’a adoré ! Connaissant ses gouts,  je savais que je ne me tromperai pas trop.Mais surtout, je pense que les ados peuvent complètement accrocher à ce livre et cette aventure un peu dingue.
Soyons professionnelles, ne nous laissons pas envahir par notre propre ressenti et mettons STAR TRIP sur les étagères de nos bibliothèques !

Pépita : Je rejoins totalement ton avis : c’est un roman qui plait beaucoup aux ados et aux adultes ! j’ai été moi-même surprise de me laisser embarquer par cette histoire, un bon moment de détente !

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