Lecture commune : Nous traverserons des orages, de Anne-Laure Bondoux

Anne-Laure Bondoux est presque déjà une autrice classique en littérature jeunesse et ado. Lorsque son tout nouveau roman, Nous traverserons des orages, a reçu la pépite d’or du salon de Montreuil, nous avons eu envie non seulement de le lire mais de partager nos impressions ! Nous voilà donc dans la ferme des Chaumes, logis de la famille Balaguère qui porte mal son nom. Avec ses générations successives, nous allons traverser plus d’un siècle d’histoire, de 1914 à nos jours. Les pages se tournent, les temps changent avec les générations, mais la ferme des Chaumes est comme immuable et les Balaguère restent hantés par les mêmes démons : les chimères et l’abandon, les non-dits et la violence. Lecture commune !

Anne-Laure Bondoux lors d’une rencontre-dédicace à l’occasion de la sortie de son roman

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Isabelle : Avant d’entrer dans le vif du sujet : aviez-vous déjà lu Anne-Laure Bondoux ? Sur quel registre la connaissiez-vous ? Le nom de l’autrice a-t-il joué un rôle dans votre envie de lire ce roman ?

Liraloin : Je connais cette autrice depuis un moment, mes collègues m’en parlaient souvent et il y a quelques années (environ 12 ans maintenant) j’ai lu ses romans. J’ai eu un véritable coup de cœur pour Tant que nous sommes vivants. En plus, l’autrice a été invitée dans une librairie de Toulon ! Quelle opportunité de pouvoir l’écouter parler de son livre et d’échanger (un peu) avec elle.

Lucie : Moi aussi, j’ai déjà lu plusieurs des romans d’Anne-Laure Bondoux (Tant que nous sommes vivants m’avait particulièrement plu aussi) et c’est une auteure que je suis avec plaisir.

Héloïse : Oui, j’avais déjà lu plusieurs romans d’Anne-Laure Bondoux, et j’avais particulièrement aimé L’aube sera grandiose, qui m’avait marqué à l’époque.

Linda : Je pensais ne pas l’avoir lu avant de retrouver dans mes archives un petit retour sur L’aube sera grandiose dont je ne garde absolument aucun souvenirs. Au vu de mes notes, cela ne m’avait pas vraiment plu et je ne comprenais pas l’engouement autour de ce roman à côté duquel j’étais passée. C’est la couverture qui m’a en premier lieu attirée ici, elle dégage une certaine sérénité avec son paysage campagnard et l’immensité de ce ciel si bleu.

Isabelle : Moi aussi, c’est l’un de ses textes que j’avais vraiment aimés ! On pourrait faire des parallèles avec celui dont il est question ce soir, on y reviendra peut-être ! Après, pour moi, ce n’est pas que le nom de l’autrice qui a piqué la curiosité mais aussi la pépite décernée à ce roman à Montreuil.

Héloïse: J’avoue que cela m’a donné envie de le lire encore plus rapidement aussi.

Lucie : Oui, ce prix est tout de même gage de qualité !

« Entre ces deux époques, tu verras vivre ici quatre générations d’une famille tourmentée par des secrets et hantée par des morts sans sépulture.
Entre ces deux époques, nous traverserons des « orages. Tu verras se répéter des conflits, des accidents, des abandons et des coups de couteau. Tu verras changer les saisons, les habitudes, les lois et les gouvernements. Tu assisteras plusieurs fois à la fin du monde et au début d’un autre. »

Isabelle : Ce livre s’ouvre sur un prologue qui offre en quelque sorte un écrin au récit qui va suivre. Qu’en avez-vous tiré ? En avez-vous immédiatement saisi toutes les dimensions ou êtes-vous retournées le lire plus tard, voire à la fin du roman ?

Héloïse : Le prologue m’a particulièrement intriguée, mais oui, je n’en ai saisi toute la richesse qu’à la fin…

Lucie : Le tutoiement en début de roman m’a interpellée. Je me suis tout d’abord demandé qui était Saule pour complètement l’oublier jusqu’à la fin du roman. Donc, non, je n’avais pas du tout anticipé toutes les dimensions du roman et oui, je suis retournée lire ce prologue une fois ma lecture achevée.

Isabelle : Moi pareil ! Je l’ai lu sans tout comprendre, puis j’y suis revenue plus tard et j’ai réalisé tout ce qu’il livre sur ce qui va suivre. C’est un roman qui va parler d’histoire avec un petit « h » quand il s’agit de la famille Balaguère et d’un grand « H » puisque l’on va remonter tout le vingtième siècle. Le cadre du récit est posé, la ferme des Chaumes. Mais c’est aussi un récit adressé à quelqu’un qui s’appelle Saule, dans un but bien précis : déjouer ce qui pourrait être perçu comme une malédiction qui se répète depuis déjà trop de générations. Et ce, par le pouvoir des mots.

Liraloin : C’est assez étrange comme sentiment car ce prologue peut être interprété comme un testament et en même temps il y a cette lueur d’espoir qui réside dans la transmission. Le retrouver à la fin, quand la boucle est bouclée, est un soulagement.

Linda : Comme Lucie c’est le tutoiement qui m’a interpellée au début. Je n’ai pas forcément saisie tout ce que ce prologue voulait nous dire, forcément, mais quand on arrive au bout du récit, on comprend combien l’auteure nous avait déjà préparé, tout comme Saule, à ce qui allait suivre, à ce qui nous serait raconté.

« Seul dans la chaleur de juillet, Marty traverse la cour de la ferme. L’après-midi tire à sa fin, et pas un souffle d’air sur les Chaumes. On entend bourdonner les mouches, tinter les cloches des vaches dans le champ d’à côté, le grincement d’une poulie quelque part, et le cœur de Marty qui tape dans sa poitrine. »

Isabelle : Ensuite, énorme bond dans le temps, n’est-ce pas ? Quelqu’un a-t-elle envie de raconter un peu comme elle s’est immergée dans l’histoire des Balaguère ?

Héloïse : J’avoue que je ne savais pas trop à quoi m’attendre en commençant ce roman. Il y a un côté tragédie grecque dans cette fatalité, cette famille maudite et cette violence qui règne… et en même temps, sans réellement s’attacher aux personnages, on a envie de savoir où tout cela va mener ! Le mélange histoire familiale et “grande” Histoire est savamment dosé. C’est un récit puissant, qui met du temps à se construire, et qui est tellement riche !

Lucie : Je me suis laissée emporter dans la famille Balaguère, sans me poser de questions. J’ai d’ailleurs été surprise de lire ce roman aussi vite. Vu le nombre de pages et sa forte teneur en intensité et en tragédies, je pensais que cette lecture me prendrait plus de temps. Mais il faut dire que comme Héloïse j’ai beaucoup apprécié le mélange entre la « petite » et la grande histoire.

Linda : En effet, le roman se lit d’une traite, assez facilement malgré sa densité qui tient certes dans le nombre de pages mais aussi dans son contenu car on y balaie l’Histoire de 1914 à aujourd’hui ce qui représente tellement… Et comme vous le dites, ce mélange entre la petite et la grande histoire font la richesse du récit. C’est en tout cas un aspect que j’ai vraiment apprécié en ce qui me concerne.

Liraloin : Et oui 1914 ! on se dit que l’Histoire va être très présente dans ce roman. Je ne sais pas mais j’ai beaucoup pensé à ma mère car elle adore Pierre Lemaître et je me suis dit « en voilà un roman qui traite de la saga familiale à travers le temps. » C’est venu de suite et ne m’a pas quitté toute le long de ma lecture, spectatrice de drames vécus par une famille un jour en France.

Isabelle : C’est drôle que tu parles de Pierre Lemaître, j’ai aussi pensé à cet auteur. À Ken Follett, aussi, qui tisse comme ça des sagas historiques à partir de la perspectives de plusieurs membres d’une famille.

Liraloin : Pour ma part et on en avait un peu parlé avec Linda, j’ai trouvé que le ton était distant comme si A-L Bondoux relatait des faits et bien évidemment avec cette immersion qu’on lui connaît. Une saga familiale c’est tout de même un autre genre très différent de ses autres romans même si avec l’Aube sera grandiose nous avons été accompagnées par une mère et sa fille.

Isabelle : C’est intéressant que tu parles de L’aube sera grandiose parce que pour ma part, j’ai fait pas mal de parallèles. Dans les deux cas, on a une histoire familiale avec un enjeu d’arriver à dire à la génération suivante ce qui s’est passé pour sortir d’un schéma. Ici, c’est une transmission père-fils (sur plusieurs générations), dans L’aube sera grandiose, c’est une transmission mère-fille. Quoi qu’il en soit, et j’ai l’impression que ça a été pareil pour toi, je ne me suis pas tout de suite sentie à l’aise. J’étais un peu perturbée qu’on soit en 1914 mais que le récit soit rédigé au présent. J’avais du mal à trouver mes repères, les lampions et les musettes, la chanson Viens poupoule chantée par Anzême à Clairette, tout ça ne me parlait pas du tout. Et j’ai eu du mal à m’identifier aux personnages, au départ la perspective de Marty est très importante et ce personnage simple d’esprit est vraiment difficile à cerner.

Lucie : C’est vrai, Marty est un personnage très particulier. Et dans le même temps, ce côté « au bord de l’abîme » met une tension immédiate, on sent un drame arriver sans savoir vraiment ce qui va survenir.

Liraloin : Complétement d’accord avec vous, ce personnage met le/la lectrice/lecteur mal à l’aise (mon fils me disait mais il est vraiment bizarre lui…)

Linda : C’est clairement le personnage qui m’a le plus dérangé dans le récit. Dès le départ il met mal à l’aise et semble n’exister que pour nous préparer aux drames qui vont suivre.

Isabelle : Justement, à propos de Marty, il faut bien qu’on en parle, je pense, il y a cette scène qui pourrait être un viol mais qui ne dit pas son nom. Comment l’avez-vous perçue ?

Liraloin : C’est terrible car on sait et cela dès le début qu’un malheur va arriver. Le départ d’Anzême n’est qu’un prétexte pour que ce personnage se laisse complètement aller. Clairette n’est plus « protégée » donc elle n’est plus « respectable ». 

Isabelle : Ça t’a paru clair, le fait que c’est un viol qui se produit ? Moi ça m’a mise très mal à l’aise que les choses soient décrites mais de manière ambiguë, sans dire les choses (ça a fait partie de ma perplexité, voire de mon malaise au début de ce roman). 

Liraloin : je pense que l’autrice a voulu justement créer ce malaise car à cette époque on ne dit pas les choses.

Isabelle : Pour aller dans ton sens, je me suis dit ensuite qu’il s’agissait bien d’un viol mais que dans cette narration très ancrée dans le présent de l’époque et la perspective des personnages, Anne-Laure Bondoux avait restitué un viol comme on l’aurait fait à l’époque. Sans le nommer.

Linda : Même s’il n’est pas nommé, l’acte est clairement un viol et il est décrit comme tel puisque Marty dit bien que son frère lui a dit que ce qui est à l’un est à l’autre. Il s’approprie donc sa femme sans se poser de question, laissant juste son désir prendre le dessus, s’imposant à Clairette qui finit par accepter l’inacceptable, impuissante devant ce monstre qui croit avoir trouvé le paradis entre ses bras…

Lucie : Cette scène m’a mise mal à l’aise, parce que Clairette ne semble pas consentante au début. Mais il n’y a pas de violence à proprement parler et j’ai eu l’impression qu’elle se laissait faire, un peu comme si elle était consciente de l’effet qu’elle faisait à Marty et qu’elle lui permettait d’assouvir une pulsion longtemps réfrénée. La promiscuité décrite (Marty entend son frère et sa femme faire l’amour dans la chambre à côté de la sienne) est assez malsaine elle aussi. Toute cette partie m’a semblé être une cocotte-minute prête à exploser, et finalement cette action va modifier un équilibre qui était extrêmement précaire.

Isabelle : Pour moi il y a violence, mais elle est restituée du point de vue de Marty, donc d’une manière biaisée: il est écrit : « Il ne reste que le désir de Marty, cette flamme dévorante qui l’aveugle et qui pousse Clairette, une main sur la bouche, vers le foin de la grange. » Et plus loin « ce corps qui a cessé de résister et qui s’offre désormais à ses caresses, sans un mot, sans un bruit. »

Héloïse : Moi aussi, cette scène m’a mise mal à l’aise. Et justement, cette phrase, « ce corps qui a cessé de résister » … On comprend bien que c’est un viol. On sent le drame arriver, et c’est horrible d’y assister, on ressent de l’impuissance, comme une résignation de la part de Clairette, on voit à quel point les femmes étaient impuissantes à l’époque.

Lucie : C’est effectivement le point de vue d’un homme porté sur l’action d’un homme, ce qui modifie certainement le ressenti du personnage. Mais ensuite, ces rapports deviennent récurrents et je n’ai pas eu l’impression qu’ils pesaient à Clairette. (Peut-être est-ce dû au fait que ma lecture commence à remonter un peu ?) Le côté « nature » de l’affaire : “j’ai des besoins, toi aussi, assouvissions les ensemble” a pris le dessus pour moi. 

« Car il n’y a pas de super-héros dans notre histoire. Seulement des hommes blessés par la violence du monde et qui, incapables d’exprimer ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes, se taisent et exercent la violence à leur tour, comme enfermés dans une malédiction. »

Isabelle : Ça ne va pas être facile de rendre compte d’un roman aussi riche en quelques mots et sans trop en dire, peut-être pourrions nous aborder cette matière en parlant de la manière dont il est écrit ? Au début, on est plongé dans le vif du sujet, puis on se rend compte que le récit suit une certaine trame. Laquelle ?

Liraloin : La trame est un parti pris pour que l’Histoire, qui a toujours son mot à dire, vienne se mêler aux personnages fictifs. En réalité pas si fictifs que ça car les malheurs vécus par les Balaguère existent. C’est tout cette finesse d’écriture qui est appréciable !

Lucie : La trame est clairement chronologique, et d’ailleurs Anne-Laure Bondoux fait des intermèdes pour résumer ce qui a pu se passer entre certains événements touchant la famille Balaguère. C’est précisément ce qui m’a intéressée : elle ne prend pas clairement le parti de la transmission de la violence, celle-ci peut aussi venir de la société et des drames vécus par les hommes de ces générations.

Héloïse : Oui, chaque personnage est « ancré » dans une époque, vit des événements de la grande Histoire, y participe, contraint et forcé. Et ces évènements vont les marquer, et marquer indirectement les générations suivantes. On perçoit bien l’horreur de la guerre et les séquelles indélébiles qu’elle laisse. 

Linda : Oui, comme le dit Lucie, Anne-Laure Bondoux ne prend pas parti de la transmission de la violence. J’y ai plutôt perçu un questionnement sur son origine entre inné ou acquis. Et si on perçoit parfois que la violence est présente en nous, elle interroge son expression au regard de nos actions mais surtout de notre vécu. Les guerres et autres combats sociétaux impactent fortement chacun d’entre eux, d’entre nous.

Isabelle : Je me retrouve dans ce que vous dites : aucun des Balaguère (ce nom !) n’est une personne foncièrement mauvaise ou violente à la base mais chaque génération va se retrouver prise en étau dans un climat de violence structurelle.

Liraloin : Exactement ! Et les dégâts subis à cause des guerres mondiales sont considérables.

Lucie : Je me suis d’ailleurs demandé si vous aviez un personnage préféré parmi tous ceux que nous croisons dans cette fresque ?

Héloïse : Je n’ai pas vraiment de personnage préféré, mais Aloès m’a touchée. Olivier aussi d’ailleurs. C’est étrange, mais plus j’entrais dans ma lecture, et plus les personnages me touchaient.

Liraloin : J’ai été moi aussi beaucoup marquée par le personnage d’Aloès. Cette sensibilité juste après les ravages des deux guerres ! Et pourtant rien n’est facile pour lui car il est impacté également par un autre conflit…

Isabelle : Comme vous, je pense spontanément à Aloès. Mais je pense que c’est son fils Olivier qui m’a finalement le plus touchée. Comme pour Héloïse, les émotions sont allées croissantes au fil des pages, comme si je parvenais mieux à m’identifier à des personnages avec qui je partage des souvenirs – et peut-être aussi dont je pouvais palper l’histoire familiale.

Linda : Aloès bien sûr, mais surtout Olivier. Comme vous, plus on se rapproche de notre époque, plus il m’a été facile de m’identifier et de me sentir proche des personnages. Ce qui me fait penser que j’aurais probablement aimé Saule…

Liraloin : Oui je crois que c’est aussi parce que leurs maux sont plus proches de notre société actuelle, je sais pas …

Héloïse : C’est probable ! 

Lucie : J’avais oublié le nom de Clairette, les personnages qui vous ont le plus touchées sont des hommes, et ça me semble assez symptomatique : les femmes sont très en retrait de l’histoire. Cela vous a-t-il gênées ?

Liraloin : Oui et non. Je ne suis pas complètement d’accord avec toi. Par la force des choses elles se taisent mais prennent une place importante comme Gaby qui finalement s’écoute et ne peut que se résigner à une vie à la campagne.

Héloïse : Je me suis fait la même réflexion que toi Lucie, et puis j’ai réalisé qu’indirectement, elles jouaient un rôle aussi… Je pense à Christiane notamment.

Isabelle : Elles sont même souvent au centre des pensées des protagonistes masculins ! En fait, le récit est centré sur une lignée masculine mais ça n’empêche pas qu’il y ait de beaux personnages de femmes, celui de la petite sœur d’Ariane et celui de la mère d’Olivier qui cherche à toutes forces à s’émanciper à une époque qui n’est pas encore prête.

Linda : Je rejoins les autres. Les femmes ont clairement un rôle à jouer et sont au cœur de l’histoire. Elles portent en elle la force qui parfois fait défaut aux hommes, supportant leurs violence, portant leurs erreurs, leurs secrets… mais pas comme un fardeau, plutôt comme l’espoir d’un avenir meilleur pour elles toutes.

Lucie : La famille Balaguère a pour tradition de donner à ses garçon des prénoms d’arbres. Que vous a inspiré cette idée ?

Liraloin : Intéressante question ! le choix des noms d’arbres. Chaque homme est racine en cette terre des Chaumes, comme si il devait y revenir ! 

Isabelle : ça m’a intriguée les noms d’arbre comme prénoms mais je n’ai pas trop su quoi en faire. C’était l’un des nombreux fils conducteurs de cette histoire familiale, l’une des choses qui se répètent.

Héloïse : les noms d’arbres comme symboles de vie ? Ou plutôt un symbole de l’enracinement, nos racines qui nous construisent ?

Lucie : Je pensais à l’enracinement moi aussi. Que ce soit positif dans le sens savoir d’où l’on vient, à la pérennité, mais aussi l’aspect négatif qui donne l’impression de ne pas pouvoir se défaire de ce que l’on nous a transmis.

Linda : Oui c’est clairement signe de l’enracinement !

Isabelle : Mais oui, vous avez raison !

Isabelle : Je ne sais pas comment ça a été pour vous, mais pour ma part, une fois passée ma perplexité initiale, j’ai dévoré ce livre en quelques heures. Avez-vous aussi trouvé que c’était un livre qui se lisait d’un trait ? Qu’est-ce qui met sous tension cette histoire ?

Liraloin : On ne peut pas lâcher ce roman, j’ai été complètement absorbée par cette histoire, quelle drôle d’impression ! Cette tension vient des personnages masculins essentiellement, on se demande : « Mince !! Il y en a au moins un qui va s’en sortir ? » Attention je ne cherchais pas le happy end mais un apaisement.

Héloïse : Oui, c’est très un roman très addictif ! Une fois passé le malaise initial, difficile de le lâcher. Pour ma part, j’avais hâte de savoir comment cette histoire allait se terminer, et oui, j’espérais une fin pas trop malheureuse !

Linda : C’est un roman très facile à lire, très addictif, une fois passée la situation initiale avec Marty… C’est ce qu’on disait plus haut, la narration est intéressante et bien construite. J’y trouve même une certaine harmonie dans le rythme répétitif des événements que vivent les personnages, à grande échelle ou à un niveau plus personnel.

Lucie : En effet, moi aussi j’ai été vraiment surprise de le lire si vite. Une fois le malaise de la situation triangulaire Anzême-Clairette-Marty passé, je pense que comme on rencontre les personnages enfants et que l’on sait des choses qu’ils ne savent pas mais qui peuvent avoir des conséquences sur leur avenir, on a envie de les accompagner et de découvrir de quelle manière ils vont se dépêtrer (ou pas) de la situation. Comme Liraloin j’avais vraiment envie de tomber sur celui qui parviendrait à mettre un terme à cette violence.

Isabelle : C’est vrai que l’on entre dans l’existence de chacun, ses soucis, ses inquiétudes, sa quête de bonheur, les difficultés qui se posent, c’est très prenant. Mais il y a aussi, au fur et à mesure, que l’on approche du moment où le récit sera bouclé, les questions sur qui raconte cette histoire, à qui et pourquoi.

« En ce milieu des années soixante, alors que le président John F. Kennedy s’est fait assassiner, que les États-Unis commencent à bombarder le Vietnam, que des scientifiques évaluent les effets bénéfiques du LSD sur les troubles mentaux et que la contre-culture hippie se diffuse largement depuis San Francisco en proposant de faire l’amour plutôt que la guerre, les Français sont partagés entre l’envie de tout changer et celle, inverse, de ne rien changer du tout. »

Isabelle : Anne-Laure Bondoux brasse une densité assez incroyable de faits historiques dans son roman : guerres mondiales, guerre d’Algérie, épidémie de SIDA, drame de Tchernobyl – et on pourrait citer encore mille et un faits si on pense aux passages en italique qui ponctuent le récit et parlent de la montée des autoritarismes et de la grande dépression, du front populaire, de la drôle de guerre ou, après-guerre, du mouvement des droits civiques aux États-Unis ou de mai 1968. Est-ce que de votre point de vue cette fresque historique enrichit l’intrigue ? Faut-il à votre avis avoir étudié tout ça en classe pour pouvoir apprécier le roman ?

Héloïse : En grande passionnée d’histoire, cette succession de faits historiques m’a beaucoup parlé. Mais je ne sais pas s’il est nécessaire de tout connaître pour vraiment apprécier l’intrigue, justement parce que nous découvrons tous ces événements par le prisme de personnes, d’individus.

Liraloin : Cette chronologie met du rythme dans l’intrigue car elle est un repère pour le lectorat. Après une collègue m’a fait un retour intéressant sur son écriture qu’elle a jugé trop impactée par les événements historiques. La magie n’opère pas comme dans la relation mère-fille (Aube sera grandiose) et c’est bien normal car le thème ici est vraiment la violence. Je ne pense pas qu’il faille avoir des connaissances historiques, nous sommes sur un roman sociétal.

Isabelle : Moi non plus, je ne pense pas que c’est gênant de ne pas avoir toutes les références, le roman se lit vraiment très facilement. Après je ne suis pas sûre que les passages en italiques qui passent en revue vraiment à toute vitesse des suites d’événements soient très utiles à la narration.

Lucie : Pour moi la raison d’être de ces passages est justement de pouvoir suivre l’histoire de la famille sans être gêné par les informations qui nous manqueraient. Je suis d’accord avec vous, il n’est pas nécessaire de les connaître pour saisir les enjeux qui touchent nos héros. Après, si les jeunes lecteurs ont envie de se renseigner sur certaines d’entre eux, c’est super ! Ils signifient aussi (peut-être) qu’elle a choisi d’intégrer ces faits historiques mais qu’il y en a eu tellement d’autres, qui ont touché de nombreuses autres familles.

Linda : Oui comme Lucie je trouve que ces événements cités en italique permettent de suivre l’histoire, ils montrent aussi que la vie continue pour tout le monde, même quand on est pris par ses problèmes personnels. Mais je vous rejoins complètement, inutile de connaître tous ces événements pour en apprécier la lecture. J’ai même trouvé intéressant certains faits dont je connaissais peu de choses, comme la Guerre d’Algérie dont on ne nous parle pas dans les programmes scolaires alors qu’il y a tant à en dire. Cela est venu aussi attiser ma curiosité et m’a donné envie de lire d’avantage sur le sujet.

Isabelle : Avez-vous envie de faire lire ce roman autour de vous ? À qui ?

Liraloin : Mais oui ! Je l’ai déjà conseillé … Après c’est un roman qui va rencontrer son public, c’est certain, mais pas forcément chez les ados.

Héloïse : Moi aussi, j’ai déjà prévu de le prêter ou de le conseiller à plusieurs personnes ! Effectivement, Liraloin, c’est un roman qui conviendra tout autant à des adultes ! Comme beaucoup de titres d’Anne-Laure Bondoux en fait. 

Liraloin : Tout à fait, d’ailleurs ses romans sont empruntés par le public adulte. Comme Timothée de Fombelle ou Clémentine Beauvais, ces autrices-auteurs possèdent une écriture tout public.

Lucie : Comme vous je pense plus spontanément à des adultes, ou en tout cas à des lecteurs très confirmés. Parce que la violence et les drames sont très présents. Ce n’est pas une lecture facile ou agréable. Même si elle est très intéressante et qu’elle m’a poursuivie un bon moment après avoir refermé le livre.

Liraloin : Je suis d’accord avec toi Lucie, on est un peu hantée par les personnages et cette violence, cette peur de pleurer pour un homme ! C’est terrible !

Lucie : Oui, et (j’y reviens) la place des femmes ! Tout n’est pas réglé mais on mesure tout de même les avancées de la société. En à peine un siècle, quels progrès sur ces questions !

Linda : Oui, je l’ai recommandé à une amie qui devrait apprécié ainsi qu’à l’une de mes filles qui aime l’Histoire et les romans qui abordent la place des femmes. Je pense que celui-ci devrait lui permettre de constater l’évolution de nos droits. Elle s’indigne facilement des classiques qui mettent les femmes aux fourneaux, aussi je crois que lire le combat mené jusqu’à aujourd’hui avec les victoires qui l’accompagnent devrait lui plaire. Et je la laisse libre de se faire une opinion mais je sais qu’il plaira à sa meilleure amie.

Isabelle : Pour finir, si on parlait du futur dans le titre ? C’est un autre point commun avec L’aube sera grandiose dont on parlait toute à l’heure. Cela m’a laissé un drôle de sentiment. Est-ce quelque chose à laquelle vous avez réfléchi aussi ?

Liraloin : Non je n’ai pas réfléchi à cette question mais merci ! Est-ce qu’on peut dire que rien n’est figé dans le passé et qu’il fait continuer décennie après décennie ?  

Héloïse : Pour L’aube sera grandiose, j’y voyais un certain optimisme, la célébration d’un après, d’un mieux à venir. Là, je ne sais pas du tout… Comme une célébration de la vie peut-être, faite d’orages, mais aussi d’accalmies…

Lucie : Je ne sais pas si on peut vraiment en parler sans divulgâcher, mais la comme ça je me dis que le futur de ce titre a peut-être un rapport avec ce prologue dont nous parlions au début de cette discussion. La promesse du narrateur à son destinataire ? (je n’en dis pas trop ?) Mais je suis aussi tout à fait d’accord avec vos interprétations qui me semblent hyper pertinentes.

Isabelle : C’est intéressant ce que tu dis Héloïse sur l’usage réconfortant du futur dans L’aube sera grandiose. Ce serait presque l’inverse ici. Je me suis aussi demandé si Anne-Laure Bondoux ne nous invite pas à réfléchir à la manière dont nous absorberons les orages à venir ? En même temps, la phrase le dit, nous les traverserons, ces orages, comme d’autres avant nous en ont traversé aussi ?

Héloïse : Oui, dit comme ça, c’est aussi une marque d’optimisme ! 

Et vous, avez-vous lu Nous traverserons des orages ? Ce texte a-t-il résonné différemment chez vous ? Si vous ne le connaissez pas encore, nous espérons que nos échanges vous auront donné envie de le découvrir !

Lecture commune : A(ni)mal de Cécile Alix

Cela faisait un moment que Liraloin et Lucie avaient envie de lire A(ni)mal sans trouver l’occasion de sauter le pas. Elles ont donc décidé d’en faire une lecture commune. Cette lecture les a bouleversées, en voici la discussion pleine d’émotions.

A(ni)mal, Cécile Alix, Slalom, 2022.

Liraloin : Lucie, c’est toi qui m’a conseillé ce titre (qui est plus que d’actualité, vu les évènements !). Je t’en remercie. Pourquoi ce roman plutôt qu’un autre titre de cette autrice? 

Lucie : Cela faisait un moment que je tournais autour, sans vraiment savoir quel était le sujet. Il revient souvent sur Babelio, la couverture est colorée, bref, je te l’ai proposé sans vraiment savoir dans quoi on allait s’embarquer. Merci de m’avoir suivie d’ailleurs !
Je me demandais si de ton côté tu savais à quoi t’attendre ?

Liraloin : Ce livre faisait partie de mes envies depuis un petit moment et comme d’habitude j’étais happée vers d’autres lectures ; lorsque tu m’as expliqué que Cécile Alix était d’accord pour une interview j’ai accéléré le rythme ! 
Il me semble que tout comme Annelise Heurtier, Cécile Alix s’inspire des maux de notre société. Est-ce que finalement après coup, le sujet t’as donné envie de le lire? 

Lucie : Vraiment, je n’ai pas su de quoi parlait ce roman jusqu’aux premières pages, où le sujet devient rapidement évident. Je ne savais pas trop quoi penser de cette couverture, je n’avais pas lu le résumé… Je ne savais pas trop où je mettais les pieds. Enfin, je venais de lire Guerrière de Cécile Alix, et j’ai vite compris que je me trouvais dans une thématique au long cours (les violences de la société qui se répercutent sur les enfants). Il me semble que ces deux romans se répondent sur de nombreux points !

Guerrière, Cécile Alix, Slalom, 2023.

Lucie : Quand j’ai finalement réalisé quel était le sujet, je t’avoue que j’ai un peu craint d’être bouleversée par le désespoir du personnage. Mais il me semble que les rencontres lumineuses et la fin pleine d’espoir sont un peu des « attendus » en littérature jeunesse. On peut faire subir le pire à son personnage, mais par convention le lecteur s’attend à ce qu’il survive et que son horizon s’ouvre au moins un peu à la fin.
Est-ce que cela te gêne ou tu apprécies cette lumière ?

Liraloin : Je comprends parfaitement ce que tu dis. En effet, j’avais lu il y a des années de cela Refuges et les souvenirs de cette lecture me hantent encore, un peu traumatisée aussi par la bande dessinée Droit du Sol ! Je n’avais franchement pas hâte de lire ce roman. En ce qui concerne le dénouement, je m’attendais pas du tout à cette chute. Après je remercie l’autrice d’avoir insufflé une fin positive et pleine d’espoir.

Refuges de AnneLise Heurtier, Casterman, 2015 – Droit du sol de Charles Masson, Casterman, 2009 pour la première édition.


Liraloin : J’avais une question sur la couverture justement, que tu évoques au début. As-tu fais attention aux détails? 

Lucie : Je t’avoue que non, pas au premier abord. Ces yeux m’avaient intriguée, mais j’étais trop pressée de le découvrir. Cela dit, en effet, quand on connait le sujet la couverture fait vraiment sens, non ?

Liraloin : Exactement, on y voit tout le parcours que doit mener un migrant, affronter les éléments de la nature et la cruauté des autres …
D’ailleurs pour en terminer avec la couverture, comment as-tu interprété le titre ? 

Lucie : Lui aussi m’a intriguée (décidément !). Rapidement, j’ai pensé à ce côté animal qui ressort dans les situations de danger, où l’on est prêt à tout pour survivre, mais aussi à la violence animale des passeurs, et puis ce ni entre parenthèse, je l’ai pris comme justement le refus de céder à la peur et à la douleur, pour tenir jusqu’à l’arrivée. Mais je n’ai compris la vraie signification qu’à la fin lors de la révélation (on ne va pas trop en dire mais quand même 🙂 j’avais des doutes depuis quelques chapitres, mais je n’avais pas fait le lien avec le titre. Et toi, as-tu été plus fine et trouvé le sens de ce titre ?

Liraloin : Tout comme toi, j’ai trouvé en ce titre une signification plus sur le fait de résister aux appels incessants de cette lente transformation vers le côté animal. Cette lutte perpétuelle pour rester humain et ne pas sombrer. Mais pas du tout, alors je n’ai rien vu venir, j’ai été surprise ! 
Qu’as-tu pensé des 2 citations qui ouvrent le roman?

L’instinct, c’est l’âme à quatre pattes ; la pensée, c’est l’esprit debout.

– Victor Hugo, Tas de pierres

La foule est la bête élémentaire, dont l’instinct est partout, la pensée nulle part.

– André Suarès, Voici l’Homme

Lucie : Elles sont hyper bien choisies, évidemment ! J’aime beaucoup celle de Victor Hugo, qui rejoint justement ce que l’on disait sur l’animalité. Je vois moins le rapport avec la foule de la seconde citation, mais c’est vrai que le groupe formé par les migrants perd toute humanité pendant le trajet à force de privation, de peur et de violence et on a l’impression qu’on leur a enlevé totalement leur faculté à penser, se rebeller.
Et toi, qu’en penses-tu ?

Liraloin : Tu es trop forte ! Je n’ai pas mieux et c’est vraiment ce que je pense ! Elles sont très importantes et elles cognent bien comme ça en prologue !
Si on en vient à l’histoire, je dirais que dès le départ, tout va très vite, il y a une certaine urgence. Le corps d’un enfant tient la scène principale. Qu’en as-tu pensé? 

Lucie : Aïe, je me suis dit que l’auteure n’allait pas nous épargner. Et elle a raison, cela ne sert à rien d’aborder un tel sujet si c’est pour édulcorer. Mais la dureté de cette mère envers son enfant… On comprend bien sûr qu’elle veut l’endurcir, l’armer pour réussir cette traversée infernale. Mais la séparation est rude, c’est la première épreuve imposée à Miran et pas la dernière ! Tu as parfaitement raison sur la place du corps, et ce mantra tu es un homme qui s’oppose à la volonté de l’enfant de profiter une dernière fois de la tendresse de sa mère. C’est fort en émotion, immédiatement, non ?!

Liraloin : Oui en effet, j’ai été un peu bouleversée par cette scène où la mère est distante, pour protéger son enfant, le détourner de tout bonheur, de le forcer à oublier, de le forcer à grandir trop vite, cette accélération de tout détruit tout amour et c’est puissant !
Puis tout va très vite dans ce long et dangereux périple que vont effectuer ces personnes. Qu’as-tu pensé de cette relation qui s’installe entre le vieux et Miran malgré les recommandations de la mère du jeune homme de ne faire confiance à personne? 

Lucie : Oh, j’ai adoré ce vieux. Quelle humanité dans l’enfer ! On aimerait être capable de réagir comme lui face à l’adversité. Heureusement qu’il est là, tant pour Miran que pour le lecteur qui souffle un petit peu lors de leurs courts échanges.
Je sens que ce vieux t’a plu à toi aussi, je me trompe ? Y’a-t-il d’autres personnages qui t’ont particulièrement touchée et dont tu souhaites parler ? 

Liraloin : Oui tout comme toi, j’ai apprécié l’oxygène que le vieux apporte dans ce monde où le mal est la note principale ! Ce qui m’a aidé à trouver du positif c’est les autres rencontres que Miran peut faire et celle du fermier perdu dans sa campagne m’a vraiment émue. Sans trop en dire… les autres personnages de la fin du récit sont d’une intelligence et d’une générosité sans précédent. Malheureusement la violence des passeurs prend le dessus continuellement. Comment as-tu réagi lors des interactions entre eux et les migrants ? 

Lucie : Je suis consciente de vivre dans un monde de bisounours, et nous avons la chance d’être très protégés. On a beau voir/lire les infos, on ne ressent pas ces violences, on reste à l’extérieur. C’est là où je trouve que ce roman est très fort pour nous faire ressentir cette brutalité gratuite, et surtout la nécessité de ces gens de partir. S’ils sont prêts à vivre ces horreurs, de quel droit nous leur en imposons d’autres à leur arrivée ? 
Cela m’a fait penser à ces débats autour de l’appropriation culturelle. Bien qu’elle ne soit pas elle-même migrante, Cécile Alix parvient à nous faire ressentir au plus profond de notre être la déchéance à laquelle sont poussés les migrants. Ils ne se sentent même plus humains et ont l’impression de ne plus rien valoir. Ces passeurs… Il n’y a pas de mots pour qualifier ces gens qui profitent de la détresse des autres pour s’enrichir et passer leurs pulsions. C’est extrêmement choquant.

Liraloin : D’ailleurs il y a ce paragraphe qui m’a beaucoup touché :

“Eux, ils ont un nom, un pays, un business. Une arme et le pouvoir de donner la mort. Ils sont quelqu’un. Nous ? Nous nous renions. Plus de nom, plus de papiers, plus de patrie. Sans identité, nous ne sommes personne. Nous nous oublions.”

Aujourd’hui j’écoutais un podcast et l’invitée était Marguerite Abouet, la scénariste de Aya de Yopougon et elle racontait qu’à l’époque elle a pu venir de Côte d’Ivoire sans soucis puis avec la loi Pasqua tout c’est durcit, elle est devenue une étrangère et que ça été compliqué psychologiquement. Je te rejoins sur le fait qu’une fois en terre “ sécurisée” ces personnes doivent encore subir moultes directives qui déshumanisent toujours et encore. Les interactions que ces migrants subissent avec les passeurs sont affreuses et le passage cité veut tout dire.
Est-ce que comme moi tu as ressenti cette lutte incessante de Miran pour rester humain, comme tu le dis plus haut “Tu es un homme” ce que lui dicte sa mère avant de le préparer à partir ? 

Lucie : Oui, bien sûr. C’est un tiraillement permanent que l’on sent très bien entre la nécessité de se protéger en faisant mine de ne pas remarquer les événements traumatisants qui surgissent (comme la disparition de la fille au sac bleu) et le combat pour rester digne. Mais rester digne quand on assiste à des exécutions sommaires ou que l’on est forcé de laper de l’eau dans une chaussure pour survivre, c’est compliqué.

Liraloin : Il y a une citation qui montre cette souffrance et résume bien ce que tu as dit :

“Je me brise en deux, en trois, en quatre, en cent, en mille. Je ne veux plus rien ressentir et ne plus être en vie.”


Lucie : On a bien compris que Cécile Alix ne cache rien de l’inhumanité des passeurs, si ça te vas, laissons les lecteurs découvrir la suite l’ampleur de leur perversité. Une fois arrivé en Europe, Miran fait quelques belles rencontres.
As-tu un/une préféré(e) ?

Liraloin : Heureusement qu’il existe des personnes “humaines” pour apporter cette lumière. J’ai aimé le jeune homme que Miran rencontre à Lyon, qui lui donne des conseils, l’accueille si gentiment dans son humble habitat. Une belle preuve de solidarité !
Et toi tu as préféré quel personnage? 

Lucie : L’italienne m’a beaucoup touchée parce que c’est la première qui tend vraiment la main à Miran. Elle donne, sans rien attendre en retour, c’est très beau. Encore une fois, on aimerait être sûr de réagir comme elle dans la même situation ! Et évidemment la famille de la fin, dont tu parlais plus tôt, est géniale.

Liraloin : Mais oui, quelle générosité de la part de cette italienne !

Lucie : Malgré ces beaux personnages, cette lecture reste très dure. Je me demandais si elle ne t’avait pas trop miné le moral. Comment en es-tu ressortie ?

Liraloin : C’était un peu particulier. J’ai commencé ma lecture durant mon trajet pour le salon du livre et puis j’ai stoppé car je n’étais pas capable d’absorber la suite (le passage de la mère préparant son fils m’a trop fait cogité). Par contre j’ai terminé le roman sur le trajet du retour, d’une traite sans m’arrêter comme ci il fallait que je puisse délivrer ce personnage en lisant sa détresse. Ensuite, j’ai repensé à toutes ces autres lectures comme la lecture commune que nous avions fait sur cet album sans texte si terrible, Migrants. Je me suis dit que j’étais totalement privilégiée et qu’il fallait, à mon niveau, continuer à promouvoir ces romans, travailler avec les personnes primo-arrivantes… 

Lucie : La plume de l’auteure a quelque chose de très particulier. Je n’ai pas vraiment réussi à mettre le doigt dessus, mais comme toi, elle a su me transmettre ce sentiment d’urgence et j’ai lu ce roman très très vite. Pratiquement dans la journée.
As-tu réussi à comprendre comme elle faisait cela ?

Liraloin : Dans ma chronique j’ai écris cela : A la fois empathique et factuelle, l’autrice nous livre une histoire où la cruauté est une sombre réalité mais au fur et à mesure des lueurs viennent atténuer la noirceur des propos.
Je trouve que son écriture se rapproche de celle d’Annelise Heurtier, peut-être parce que ces deux autrices traitent de sujets sociétaux.

Lucie : Pour finir, à qui conseillerais-tu ce roman ?

Liraloin : Je le conseillerais à des ados à partir de 13 ans, j’aimerais en lire des passages pour les inciter à regarder un peu moins leur nombril (je suis titilleuse) mais aussi je pense le conseiller à des adultes car c’est un sujet trop d’actualité et ce récit nous livre énormément de détails sur la vie des migrants.
Et toi ? 

Lucie : Oui, je dirais à partir de 13 ans aussi. Pas trop tôt et surtout de bons lecteurs, qu’ils soient un peu habitués à des lectures exigeantes. Je suis d’accord avec toi, cette lecture décentre et cela fait beaucoup de bien. Cela ne me gêne pas du tout de conseiller ce type de livres à des adultes. On en parlait tout à l’heure, je trouve que parfois un bon roman fait plus d’effet qu’un reportage. Il y a un effet d’empathie avec les personnages qui est très fort quand c’est réussi. Et je crois qu’on est d’accord pour dire que c’est le cas ici !?

Liraloin : Tu as tout dit Lucie, oui un bon roman transmet plus de sentiments et on garde ce souvenir de lecture bien ancrée quelque part dans sa tête, une lecture qui ressurgira à un moment donné ! 

Lucie : C’est vrai, je suis tout à fait d’accord avec toi, c’est un roman qui infuse longtemps, qui laisse une trace de manière durable. Ce n’est pas si fréquent.

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Avons-nous réussi à vous donner envie de découvrir A(ni)mal ? Et si vous l’avez déjà lu, qu’en avez-vous pensé ?

Si vous avez envie de découvrir d’autres titres sur le thème des migrants, vous pouvez retrouver notre sélection ICI.

Retrouvez les avis complets sur ce roman de Lucie et Liraloin.

Le Prix Vendredi, édition 2023 !

Comme les années précédentes, nous avons lu les titres de la sélection du Prix Vendredi – 7ème édition. Alors que le Lauréat sera annoncé dans la journée, nous vous proposons de découvrir nos avis sur ces romans destinés aux adolescents.

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Au nom de Chris de Claudine Desmarteau, Gallimard Jeunesse (Scripto), 2023.

La vie n’est pas tendre avec Adrien. Alors quand le soir tombe, il se débat avec des idées noires, cherche en vain le sommeil et finit par sortir marcher seul dans l’obscurité. Une nuit surgit une voix des ténèbres. Cette voix qui fait irruption sans guillemets ni description pour nous donner un peu à voir à qui elle appartient glace d’emblée. Un peu comme dans ces films d’horreur qui ne nous laissent qu’imaginer ce qui se tapit derrière la porte. C’est intrigant et magnétique : impossible de reposer ce thriller. On parcourt ces pages le souffle coupé, redoutant le drame à chaque instant. Les chapitres donnent, à petites touches, une consistance au mal-être d’Adrien, évoquent les affres du harcèlement, l’installation d’une emprise dont sa mère, aimante mais maladroitement anxieuse, peine à le protéger. Il s’agit aussi de la quête de soi qui caractérise l’adolescence et qui ressemble parfois à un exercice de funambulisme.
Les saisons passent au rythme de la voix de Chris, tour à tour galvanisante et berçante, charmante et autoritaire. Les contours de l’homme, eux, ne se précisent guère : qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Quel âge a-t-il ? Est-il dangereux ? La narration à la première personne nous place au plus près des expériences d’Adrien, un peu comme si on lisait ses pensées ou des vers libres jetées dans son journal : des phrases sans ponctuation surgissent parfois à un rythme rapide dans la narration, rendant la détresse du garçon presque palpable. Un livre sombre, mais hypnotique et initiatique.

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Dix-huit ans, pas trop con de Quentin Leseigneur, Sarbacane (Beau&Court), 2023.

Le narrateur garde sa cagoule mais sa voix s’impose d’emblée, franche et directe : celle d’un jeune homme au seuil de l’âge adulte embarqué (provisoirement) dans un commerce lucratif mais risqué. Dès que le charbon et les clients qui défilent lui en laissent le temps, il nous explique sans façon la marchandise et les stratégies commerciales, le recrutement des petits pour fouiller les étages et organiser le ravitaillement et les grands qui embauchent « sans discrimination » mais avec lesquels on ne plaisante pas. Sans jugement, ce roman met en lumière la brutalité du monde des tours et de la drogue, les dilemmes des jeunes qui y vivent et les illusions dans lesquelles il est si risqué pour eux de se bercer. Les mots de ce court roman percutent et bousculent. Quentin Leseigneur compose une voix lucide et sincère, tour à tour gagnée par l’espoir, les doutes et la peur. Mais cette langue scandée qui rend hommage à l’argot, au verlan et aux langues des cités sonne juste comme les dialogues des séries The Wire et Validé. Sa puissance, combinée à la densité de l’intrigue, concentrée en un midi-minuit, laissent le lecteur estomaqué. Un roman coup de poing !

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Premier rôle de Mikaël Ollivier, Thierry Magnier, 2023.

Ce roman, truffé de citations, clins d’œil et autres références au cinéma, est un bonheur de cinéphile. Il donne envie de voir ou de revoir quantité de films. La culture transmise par Nino à sa petite fille est un véritable plaisir à lire. Tout comme sa vision d’un art dont la raison d’être et l’économie sont fortement remises en question en ce moment.
Mais Mickaël Ollivier propose aussi de beaux portraits de femmes. Portrait d’une adolescente qui s’essaye à l’écriture (puisque ce texte est présenté comme sa première tentative d’écriture), de sa grand-mère qui l’a élevée malgré son besoin d’indépendance, et de sa mère qui a préféré vivre loin de toute entrave familiale. Trois femmes aux visions de la vie très différentes, qui en viennent à cohabiter pendant le premier confinement. Car la covid tient une place prépondérante dans la dramaturgie de l’histoire dont la résolution pousse le lecteur dans ses retranchements et l’oblige à bousculer ses convictions.

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Le Souffle du Puma de Laurine Roux, l’école des loisirs (Médium +), 2023.

Laurine Roux s’inspire d’une histoire vraie pour construire le récit des Enfants du Llullaillaco, deux enfants découverts morts en 1999 au sommet d’un volcan argentin, momifiés et parfaitement conservés par le froid. L’histoire s’inscrit dans deux époques, la notre auprès de scientifiques qui tentent de faire parler les corps, et cinq cents ans plus tôt, dans les pas des enfants. Les deux époques tressent une histoire emprunte de magie et de spiritisme cherchant une interprétation dans l’étude scientifique et avançant vers le destin inéluctable et tragique de ces deux enfants morts pour des croyances fortes. Le souffle du Puma est un récit fort et hyper intéressant parce qu’il prend corps dans notre réalité et met en avant un rite spirituel dont les victimes étaient des enfants. Porté par une héroïne au caractère fort, il livre un magnifique message sur le besoin, le désir de liberté.

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De larmes et d’écume de Stéphane Michaka, Pocket Jeunesse, 2023.

1872, une goélette, baptisée la Mary Celeste a été retrouvée chavirant sans plus personne à son bord mais avec son chargement intact. Tout avait été laissé tel quel comme si ses navigants étaient partis sur l’instant, mais avec l’idée de revenir… La Mary Celeste a été retrouvée mais jamais aucun de ses naufragés. Un mystère.
Douze ans plus tard, ce célèbre et énigmatique naufrage refait parler de lui lorsqu’un vieux loup de mer arrive à Londres dans la compagnie d’assurances de la Mary Celeste avec une vieille bouteille contenant un manuscrit qui permettrait de connaître la vérité. « Spotty  » Finch, 17 ans, qui seconde Basil Huntley, un passionné des naufrages, va comprendre peu à peu pourquoi son supérieur est particulièrement intéressé par cette histoire à laquelle il semble lié, et pourquoi en dépit de sa sécurité, il va tout faire pour découvrri ce qu’il s’est passé.
C’est ainsi qu’en se lançant dans les bas-fonds de l’East End, dont est originaire Spotty, Basil va remonter le fil de ses souvenirs jusqu’à son adolescence à Liverpool et sa rencontre avec une jeune fille d’un autre rang social, dont la fortune du beau-père est issue du commerce du « bois d’ébène ».
Ce roman entremêle trois fils narratifs avec une grande fluidité nous faisant ressentir les beautés et dangers de chacune des situations, faits de decisions délicates et malheureux coups du sort. A bord de la Mary Céleste sur laquelle la jeune Elsie consigne ses journées et observations dans son journal, tant sur la navigation que sur les attitudes des membres de l’équipage, entre eux, vis-à-vis d’elle, ou encore du Capitaine.
Ces passages sont immersifs et nous donnent à ressentir la houle, les embruns, les manoeuvres, les différentes tensions.
Dans Londres avec la terrible condition des enfants des rues et ce qu’il leur faut faire pour survivre, et contre qui Basil et Spotty se retrouvent.
A Liverpool où le jeune Basil vit un amour réciproque mais clandestin avec une jeune fille indépendante et vive, mais sur qui le beau-père tente d exercer une emprise terrible, l’isolant de sa famille.
Bien que l’insertion d’un personnage ne soit pas utile et que Spotty soit d’une grande maturité et culture au vu de ses origines et âge, ce roman d’aventures inspiré d’une histoire vraie est happant. Par son écriture immersive et visuelle, Stéphane Michalak nous emporte par des thématiques fortes, (émancipation féminine, emprise psychologique, amour, amitié et respect) et des personnages bien campés, confrontés à des situations intenses et périlleuses

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This is (not) a love letter d’Anouk Filippini, Auzou, 2023.

Un été – peut-être plus – sur la côte basque. Loue, son frère, sa mère, sa grand-mère. Et dans le jardin de la maison familiale une tiny house occupée par une romancière, Graziella, et son fils, Inigo. Loue est passionnée de surf, et elle est vraiment douée. Mais cette année, elle surfe en solitaire, à l’heure où le soleil se lève. Cette année pas question de retrouver la bande de copains, Ben, Cannelle, Moussa, Bixente. Cette année, Loue traîne dans son sillon un parfum d’amertume, de nostalgie, de chagrin. Et tout le roman sera l’occasion de démêler ce qui a creusé ce profond sillon derrière elle, avec l’aide d’Inigo, lumineux personnage, qui au fil des cours de surf qu’il prendra auprès de Loue, lui permettra d’accepter sa vérité et de renouer avec la vie qui palpite malgré tout, là, sous la combi !

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Romance, tome 3. Octave d’Arnaud Cathrine, Robert Laffont, 2022.

Après Romance et les Nouvelles Vagues, c’est avec grande fébrilité que nous retrouvons les mêmes personnages reflet d’une époque, d’une société parisienne très actuelle. Octave et Vicente (Vince) ont été amants et ce dernier supporte mal la brutale séparation orchestrée par Octave qui a préféré sans doute fuir un amour trop fort. Alors Vince qui souhaite (réellement ?) tourner la page se réfugie dans un fantasme : celui d’aimer un de ses profs. Tandis que son amie Marylin se « répare » elle aussi de sa rupture avec Octave en continuant de dessiner et espérer un jour rencontrer son héroïne-peintre Elizabeth Peyton, Titus et Lilian survivent à leur manière, l’un en aimant secrètement… l’autre en avalant des pilules pour oublier sa condition.

Tous vont se croiser, s’évoquer, se confier l’un à l’autre portant d’une seule voix cette génération d’étudiants durant le confinement. Une vie qui continue même si la situation n’invite pas à rencontrer de nouvelles personnes. Est-ce que finalement cet enfermement n’est pas le moment de prêter encore plus attention à l’autre et à son état psychique ? Dans ce roman choral qui s’organise en différentes phases allant du confinement au déconfinement les lectrices et lecteurs vont être les témoins des sentiments les plus profonds se jouant dans un groupe de jeunes adultes. Sans exagérer sur la place proéminente des réseaux sociaux, Arnaud Cathrine utilise les codes d’une jeunesse afin d’illustrer le rythme de l’histoire d’une douceur magnétique.

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La Dernière Saison de Selim de Pascale Quiviger, Rouergue (épik), 2023.

Dans une oasis imaginaire, Pascale Quiviger dresse une société où les femmes sont investies d’un grand pouvoir religieux. Et pour cause : le panthérisme, leur religion monothéiste, a pour objet une déesse. Ce « matriarcat » (en réalité simple contre-pouvoir face au Sultan) ne rend pas la société plus égalitaire, loin s’en faut : il est dirigé par une Infinie qui parle en prenant exemple sur Maître Yoda, la sagesse en moins.
L’ambiance « Mille et une nuit », les coutumes et croyances millénaires créées par l’auteure sont très prenantes. Et, pour les lecteurs du Royaume de Pierre d’Angle, quel plaisir de retrouver Esmée et Mercenaire ! C’est d’ailleurs l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire de ce personnage mystérieux. Le lecteur s’attache vite et durablement aux personnages, qui ont tous une histoire singulière. C’est l’un des grands talents de cette auteure : créer des figures romanesques et nuancées dont on a plaisir à suivre les aventures.

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Tous nos rêves ordinaires d’Elodie Chan, Sarbacane, 2023.

Nous voici à l’aune de l’an 2000 dans une banlieue pavillonnaire ordinaire, à Val-de-Seine, en Normandie. C’est l’été, il fait chaud, et le temps s’écoule lentement. Romane, flamboyante rousse, est du genre réservée mais extravertie lorsque sa meilleure amie Lola, jolie blonde « parfaite » est à ses côtés. Ensemble, en rollers, petit short et rires, elles font tourner les têtes et les cœurs. Cyrus d’ailleurs, aimerait bien que Romane lui accorde davantage d’attentions, pour le plus grand dam de Chloé, son amie de toujours, dont il découvre un jour de fête, et donc trop tard, qu’elle est « une fille ». Lola, elle, rêve de paillettes et célébrité, enfin, elle veut surtout échapper à l’aura de sa mère, ancienne « Miss Normandie » qui lui serine sa perfection. Alors elle participe à un casting pour devenir chanteuse, mais derrière ses airs bravaches de fille qui se la joue femme (et qui fait comme si elle savait), innocence et naïveté sont toujours là. Gabriel lui ne veut surtout pas s’attacher pour ne pas reproduire le schéma parental, alors il passe de fille en fille, fume autant qu’il peut car ça évite de se souvenir, donc de souffrir. C’est tellement plus facile d’être le bourreau des cœurs, il n’avait juste pas prévu, pas voulu, pas imaginé, succomber. Et puis il y a Serge, un père de famille qui voit sa fille grandir, devenir femme, et ça il ne supporte pas, ça le renvoie à son âge, à sa condition, ça le met minable, alors il cogne. Violence ordinaire qui se devine derrière les fenêtres mais qu’on ne veut surtout pas entendre, savoir…
Cet été-là va changer beaucoup de choses pour eux tous, leur permettre de grandir, prendre conscience, s’émanciper, reproduire des schémas ou justement s’en échapper. Et si les époques changent avec notamment les modes de communication, certaines choses demeurent… entre adolescence, premières fois, apparences et émotions. Chaque génération voudrait s’inventer, s’affranchir de la précédente tout en poursuivant des modèles et une certaine forme de normalité. Les sentiments demeurent, seuls les moyens changent (et les références musicales aussi!!). Un roman dans la prolongement de Tom Sawyer/Huckleberry Finn et qui fait référence au « Normal People » de Sally Rooney.

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Griffes de Malika Ferdjoukh, l’école des loisirs (Medium +), 2023.

C’est une enquête fort alambiquée à laquelle Malika Ferdjoukh convie ses lecteurs ! Alors qu’un hiver glacial s’abat sur Morgan’s Moor, de violents tourments bouillonnent sous la chape de gel : un drame ancien, une vision funestement prémonitoire, une griffe qui se lève pour frapper…
Quel bonheur de s’immerger dans ce 19ème siècle plus vrai que nature où l’on voyage en diligence et porte le tweed ou la dentelle sous l’oeil d’animaux empaillés ! Cette enquête rend magnifiquement hommage à Conan Doyle, mais aussi à Charles Dickens, Jane Austen et Bram Stoker. On pense aussi évidemment au mystère de la chambre jaune face à ce meurtre commis dans une chambre hermétiquement close.
Évidemment, chacun semble avoir quelque chose à cacher et le duo dépêché par Scotland Yard va avoir fort à faire. Ils seront secondés un peu malgré eux par la fille de l’aubergiste – ouïe fine, langue bien pendue et un aplomb déconcertant – qui se rêve de seconder en Sherlock Holmes.
Les personnages sont hauts en couleur, entre ce détective fan de Dickens, de shortbreads et de whisky gallois qui ne jure que par les siestes (dont il dit qu’elles « déploient le meilleur de ses intuitions »), cet auxiliaire timide mais fougueux, et cette ribambelle de témoins déroutants. Leurs dialogues pleins de verve sont réjouissants (« J’ai longtemps dormi avec un grand frère qui gagnait des tournois de cricket pendant ses crises de somnambulisme. »).

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Avez-vous lu certains de ces titres ? Lequel a votre préférence ?

Le prix ALODGA est de retour !

Pour fêter le onzième anniversaire du Grand Arbre, nous sommes heureuses de vous annoncer le retour du prix ALODGA !

Comme tous les ans, nous vous avons préparé une sélection de trois titres enthousiasmants dans chacune des six catégories : Belles Branches (roman ado) et Grandes Feuilles (roman jeunesse) ; Brindilles (album premier âge) et Petites feuilles (album pour « grands ») ; Branches dessinées (BD) et Racines (documentaires). Chaque semaine à partir d’aujourd’hui, nous vous présenterons les titres retenus dans deux catégories et nous vous invitons à voter pour votre favori. Nous commençons aujourd’hui avec les romans, pour vous laisser la possibilité de découvrir les titres qui vous intéresseraient d’ici la clôture des votes le vendredi 9 juin. À suivre la semaine prochaine avec nos sélections d’albums. D’ici là, bonnes lectures et à vos votes !

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Catégorie Grandes feuilles

Cette catégorie met en avant nos romans jeunesse préférés, triées sur le volet parmi nos lectures de 2022 !

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Vous avez aimé découvrir Jefferson ? Vous allez adorer la suite de ses aventures ! Suite sans l’être d’ailleurs, car les deux romans peuvent se lire indépendamment. Mais quel plaisir nous avons eu à retrouver ce charmant hérisson et ses compagnons Ballardeaux ! Pour cette nouvelle enquête, nous voici entraînés à la recherche de Simone, la lapine esseulée. Nous avons adoré raisonner par déduction avec les protagonistes, rire de leurs frasques, sillonner le pays des animaux, croiser des rappeuses sanglières féministes, une flopée de joueurs de rugby et de sacrés tartuffes. Aventure et humour sont au rendez-vous, mais aussi une réflexion pertinente sur la vulnérabilité des personnes seules. Le tout délicieusement enrobé dans la langue précise de Jean-Claude Mourlevat. Un formidable souffle d’air frais !

Jefferson fait de son mieux, Jean-Claude Mourlevat, Gallimard Jeunesse, 2022.

Retrouvez les avis de Frédérique, Isabelle, Linda et Lucie.

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Si nous l’avons beaucoup aimé, nous avons eu du mal à classer Rosalie. Entre roman et album, il entre dans la catégorie des premiers romans et comporte de ce fait très peu de texte. Cela n’enlève évidemment rien à l’émotion qu’il nous a procurée : nous avons toutes eu un coup de cœur pour cette Méhari vert pomme, membre à part entière d’une famille en pleine reconstruction. L’énergie folle qui se dégage de la figure de la maman, portée par les illustrations vert et fuchsia nous ont séduites. Et nous avons toutes vérifié si l’on trouvait encore des Méharis. Saurez-vous résister à l’attrait de la route ?

Rosalie, Ninon Dufrénois, illustrations de Julien Martinière, Voce Verso, 2022.

Retrouvez les avis d’Isabelle, Linda et Lucie.

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Skandar est un peu le titre surprise de cette sélection. Ni la couverture ni les licornes ne nous attirait vraiment, et pourtant ! Le premier tome de cette série nous a convaincus. Les licornes sont bien loin des paillettes et des arc-en-ciel attendus : brutales, violentes elles sont particulièrement dangereuses. Mais Skandar rêve depuis toujours d’être sélectionné pour devenir Cavalier et monter sa propre licorne. Pour cela, il devra surmonter des épreuves, suivre des enseignements et se confronter aux autres. Un roman qui n’est pas sans rappeler l’univers d’Harry Potter. L’autrice a su, à sa manière, transposer dans son univers imaginaire des choses que les enfants et les ados reconnaîtront facilement : la quête de soi, les attentes des professeurs et des parents, la difficulté de prendre confiance en soi, la stigmatisation des minorités ou encore les dérives de la désinformation. Un roman addictif, truffé de rebondissements, drôle – de ceux que l’on dévore et que l’on fait découvrir aux copains et copines !

Skandar et le vol de la licorne, A. F. Steadman, Hachette, 2022.

Retrouvez les avis d’Isabelle, Linda et Lucie.

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A vous de jouer pour départager ces trois titres !

Quel est votre titre préféré dans la sélection "Grandes feuilles" ?

  • Rosalie, de Ninon Dufrénois, illustrations de Julien Martinière (Voce Verso) (60%, 73 Votes)
  • Jefferson fait de son mieux, de Jean-Claude Mourlevat (Gallimard Jeunesse) (37%, 45 Votes)
  • Skandar et le vol de la licorne, de A. F. Steadman (Hachette) (3%, 4 Votes)

Total Voters: 122

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Catégorie Belles branches

Cette catégorie célèbre nos romans ados préférés (à partir de 12 ans).

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Le jour des vacances de Noël, voilà Oscar envoyé sans plus de cérémonie chez une vieille tante londonienne qu’il n’a jamais vue. Ce ne sont pas tout à fait les vacances qu’il envisageait, d’autant que celle-ci lui a organisé un stage dans un musée ! Mais Oscar ne va pas tarder à découvrir que ce musée cache un secret des plus intriguants. Camille Guénot nous invite à un jeu de piste entre enquête dans le monde de l’art, fantastique et récit initiatique. Elle épingle avec humour les excès des artistes, multiplie les références et croque des personnages très attachants. Et quelle belle idée que de situer son intrigue à la National Gallery !

Oscar Goupil, A London Mystery, Camille Guénot, L’école des loisirs, 2022.

Retrouvez les avis d’Isabelle, Linda et Lucie.

Avec Ma petite bonne, Jean-François Chabas s’empare de la tradition de la kafala, cette forme d’esclavage moderne qui perdure dans certains pays du Moyen-Orient. L’excellente idée de l’auteur est de confier la narration de son histoire à une femme adulte se remémorant de son adolescence libanaise. Cela permet au lecteur à la fois d’être plongé dans le Liban des années 1990 et à la narratrice d’avoir pris suffisamment de recul pour dénoncer les traditions de son pays. Jean-François Chabas signe un titre sensible et percutant, qui interroge sur le pouvoir des hommes dans les sociétés patriarcales, sur la place des femmes et le rôle qu’elles ont à jouer dans leur émancipation, en commençant peut-être par regarder les autres femmes comme leurs égales.

Ma petite bonne, Jean-François Chabas, Talents Hauts, 2022.

Retrouvez les avis de Linda et Lucie.

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Attention, titre inclassable ! Pour bien faire, il aurait fallu créer une catégorie spécialement pour Aux filles du conte. Le texte de Thomas Scotto tient du manifeste et de la poésie en vers libres tandis que les illustrations de Frédérique Bertrand sont à la limite de l’abstraction.
Les auteurs nous poussent à nous interroger : si elles vivent dans de beaux chateaux, « se marient et ont beaucoup d’enfants », est-ce vraiment le souhait de ces jeunes filles ? Les références aux contes traditionnels sont subtiles et les montrent accablées d’injonctions, enfermées, malmenées. Nous avons aimé que les « filles du conte » prennent la plume et donnent (enfin !) leur point de vue, évoquent leurs rêves et leurs désirs.

Aux filles du conte, Thomas Scotto, illustrations de Frédérique Bertrand, Editions du pourquoi pas, 2022.

Retrouvez les avis d’Isabelle, Linda et Lucie.

A vous de jouer pour départager ces trois titres !

Quel est votre titre préféré dans la sélection "Belles Branches" ?

  • Oscar Goupil, A London Mystery, de Camille Guénot (L'école des loisirs) (57%, 117 Votes)
  • Aux filles du conte, de Thomas Scotto et Frédérique Bertrand (Éditions du Pourquoi Pas) (41%, 85 Votes)
  • Ma petite bonne, de Jean-François Chabas (Talents Hauts) (2%, 5 Votes)

Total Voters: 207

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Quel roman a votre préférence ? N’oubliez pas de voter dans chacune des catégories et de guetter l’annonce des lauréats le 12 juin !

6ème édition du Prix Vendredi !

C’est maintenant une tradition, nous avons lu (presque toute) la sélection du Prix Vendredi ! Alors que le lauréat sera annoncé ce lundi 7 novembre, voici nos avis subjectifs sur ces romans destinés aux adolescents.

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Bayuk, Justine Niogret, 404 éditions, 2022.

Présentation de l’éditeur :
On raconte que c’est arrivé un soir sans Lune, au village de Coq-Fondu, dans l’endroit le plus reculé du bayou. Qu’une jeune fille a été maudite pour les crimes de sa mère, la pirate la plus redoutée des mers, qu’elle n’a jamais connue. Où qu’elle aille, les esprits iront aussi, la traquant sans merci.
On raconte encore que pour briser cette malédiction, elle devra dire adieu à tout ce qu’elle a toujours connu pour partir en quête de l’épave du Mermaid’s Plague, le légendaire pavillon de la cruelle capitaine.
Cette histoire, c’est celle de Toma. Mais c’est aussi celle de Boone et celle de Roi-Crocodile, qui l’accompagneront dans sa quête de vérité.

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Et le ciel se voila de fureur, Taï-Marc Le Thanh, L’école des loisirs, 2022.

Et le ciel se voila de fureur est un pur western, genre peu fréquent en littérature jeunesse. Paysages, voyages, poussière, rencontre avec des rustres, dangers… Ce récit est d’autant plus dépaysant qu’il est illustré de magnifiques croquis réalisés par l’auteur. La violence annoncée par le titre est omniprésente : tous les personnages sont animés par la vengeance, à tel point qu’elle étouffe tous les autres enjeux. Taï-Marc Le Thanh en esquisse pourtant certains que l’on aurait aimé voir développés comme la place des femmes, les relations dans une famille recomposée, la résilience… Ils auraient permis d’étoffer l’histoire et d’apporter de la profondeur aux personnages. Car malgré la plume toujours impeccable de l’auteur, leur côté un peu monolithiques peut finir par lasser.

L’avis de Lucie.

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L’honneur de Zakarya, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard Jeunesse, 2022.

Mutisme tête baissée, nom arabe, précédents multiples : Zakarya n’est-il pas le coupable idéal ? Mais qui est-il vraiment ? C’est ce que les jurés appelés à délibérer sur une affaire de meurtre vont devoir déterminer. Cette tragédie entre trois actes – JUGER, PROUVER, CONDAMNER – nous entraîne au cœur d’un procès d’assises. Les faits et la personnalité de Zakarya sont passés au crible pour aboutir à un jugement. Le récit du procès est ponctué de flash-backs de la jeunesse de l’accusé et du soir des faits. Ces fragments entretiennent le doute, dessinent un portrait complexe. Ado impulsif insuffisamment cadré par sa mère ? Petite frappe ? Rebelle à la rage brûlante ? Garçon solaire, déterminé à tenir la dragée haute aux préjugés ? Manipulateur hors-pair ? Ou abîme de fragilité ? Le mystère reste entier puisque Zakarya se tait. On brûle de le percer et le roman se dévore. La construction par flash-backs est impeccable et montre magistralement comment la tentation de plaquer des idées toutes faites peut nous induire en erreur. Les tentatives de comprendre Zakarya ont beau s’adosser à tous les gages d’apparence, de respectabilité et d’expertise, elles semblent irrémédiablement vouées à l’échec. Un roman « coup de poing » tout en subtilité et en sensibilité.

Les avis de Liraloin et d’Isabelle

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La Dragonne et le Drôle, Damien Galisson, Sarbacanne, 2022.

L’univers et les personnages de La Dragonne et le Drôle sont cohérents, ce qui est toujours appréciable dans un roman fantasy. Le Drôle est un héros particulièrement touchant et son rapport aux animaux apporte un peu de douceur dans un univers plutôt brutal. Le moyen de communication entre les deux personnages principaux donne lieu à des passages très poétiques. Car Damien Galisson propose un vrai parti pris formel : entre les vers libres et les jeux de mise en page, son texte n’est pas banal ! Au lecteur de décider s’il accepte ou non de consacrer à ce roman exigeant l’attention constante que sa lecture requiert.

L’avis de Lucie.

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Les Errantes, Jo Witek, Actes Sud Junior, 2022.

Trois jeunes filles, tourmentées par des apparitions surnaturelles, s’allient pour retrouver le cours de leur existence en affrontant leur peur, et pour venir en aide aux âmes tourmentées de femmes venues d’un autre temps. Des femmes ayant réellement existées ou inspirées par d’autres et qui interrogent sur l’héritage reçu de toutes celles qui nous ont précédées, sur la place à leur rendre pour gommer les inégalités et les erreurs qui leur ont portées préjudice pour avoir osé aller à contre-courant de croyances ou de codes sociaux en vigueur à leur époque.

Les errantes est un roman féministe, qui emprunte au fantastique et à l’historique pour rendre hommage à des femmes restées longtemps oubliées, porté par trois jeunes filles fortes et déterminées qui font preuve d’un magnifique esprit de sororité.

L’avis complet de Linda.

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Les histoires des autres, Muriel Zürcher, Thierry Magnier Editions, 2022.

Présentation de l’éditeur : Une petite fille vivant dans un appartement empli jusqu’au plafond de sacs de croquettes pour chien. Un jeune à la dérive, le cœur brisé par le long silence de son ami, qui s’accroche à son rêve d’escalader avec lui les plus beaux ponts de la planète. Un vieux sans-abri découpant inlassablement des magazines pour reconstituer le visage d’une femme au fil des pages de ses cahiers d’écolier. Une lycéenne que son chien entraîne dans une drôle d’histoire qui n’a rien d’une histoire drôle. Et si la fantaisie et l’innocence de l’une transformait la vie des autres ? Lilibelle, Soan, Hector, Aricia et les autres, une petite troupe d’humanité cabossée dans un roman teinté d’humour où la vie déborde de partout.

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Les Longueurs, Claire Castillon, Gallimard Jeunesse, 2022.

« Outre : peau d’animal cousue en forme de sac et servant de récipient. »
Simplement une peau et plus personne, aucune âme, aucune vie, aucun souffle pour l’habiter. Cette peau est celle d’Alice au doux diminutif de Lili 15 ans. Avant Lili a eu 7 ans puis 8 ans et c’est à ce moment-là que son tout s’est changé en noir, dans cette vie sans papa juste maman. Un papa qui vit aux USA mais il y a un homme Georges dit Mondjo toujours présent jouant le rôle du confident, du père absent, de l’amant de sa maman, de l’homme destructeur : « -Mais non, me répond-il, quand on se dit je t’aime avec le corps, on peut s’appeler autrement, tu veux bien t’appeler Anna, dans notre secret ? je réponds oui parce que j’adore la Reine des Neiges. »
Alice se rend compte que Mondjo fait tout pour l’éloigner de ses ami(e)s et de son père : «… J’ai quinze ans et j’ignore donc que les personnes comme Mondjo sont des hors-la-loi ? Je le sais, alors pourquoi je ne le dis pas ? Parce que lui et moi c’est l’amour, ou c’était. Ces jours-ci, je ne l’aime plus, mais si on retire le sexe, peut-être que je l’aimerais encore ? »

Durant la lecture de ce roman il est compliqué de se défaire de cette boule au ventre, de cette gorge serrée. Parfois et même souvent on oublie de respirer, on est juste le témoin du drame qui se joue dans la tête et le corps d’Alice. Lili lutte en permanence entre ses sentiments de soumission, de compréhension et d’acceptation. Claire Castillon réussit à écrire avec grande intelligence sur un sujet trop peu présent en littérature surtout dans celle destinée aux adolescents. A l’image de la couverture du livre, de cet homme prenant le contrôle sur cette jeune fille aux yeux fermés tout comme Mondjo prend le contrôle d’Alice et de sa mère, marionnettes aux fils cassants et fragiles.

L’avis d’Isabelle

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On a supermarché sur la Lune, Sébastien Joanniez, Joie de Lire, 2022.

Au hasard des moments volés au train-train de l’existence, Rosa écrit son journal. La collégienne extériorise en les écrivant les milliers de choses qui bouillonnent en elle : scènes du quotidien, poèmes, réflexions, ressentis bruts, coups de gueule, déclarations d’amour… Tout cela forme une sorte de kaléidoscope assez déstabilisant. Les personnages sont nombreux à graviter autour de la protagoniste, leurs apparitions sont trop fugaces pour nous laisser le temps de nous attacher et leurs dialogues sont minimalistes, à la limite de la caricature. Le fil conducteur ne se révèle qu’à petites touches : il faut s’accrocher, se laisser porter par le texte pour voir où il nous mène. Mais il y a un rythme, un flow dans les mots de Rosa, une poétique de l’adolescence. Une fougue pour dire le mal-être et les révoltes, la famille qui devient trop étroite, les rêves, les fulgurances, l’intensité des émotions avec force points d’exclamation. Sous nos yeux, Rosa se cherche et se trouve. C’est chaotique, parfois douloureux, joli aussi. Et finalement, la forme éclatée de ce roman est à l’image de la manière dont on grandit.

L’avis complet d’Isabelle

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Rien nous appartient, Guillaume Guéraud, Pocket Jeunesse, 2022.

Dans Rien nous appartient, Guillaume Guéraud se met dans la peau de Malik, un jeune en rupture sociale qui s’apprête à commettre l’impassable. Critique sociale, le texte prend la forme d’un témoignage, un testament dans lequel le jeune homme raconte sa famille, ses amis, la cité, […] son parcours atypique pour expliquer son geste et dire sa vérité d’un monde qu’il rêve plus juste, plus égalitaire. Par ailleurs, le texte soulève de nombreuses questions sur notre société et son fonctionnement, mais on retiendra principalement celle de l’accompagnement, de l’écoute et de la prise en charge des personnes (des jeunes) en situation d’échec ou de fracture sociale.

L’avis complet de Linda.

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Ton absence, Guillaume Nail, Rouergue, 2022.

Pour valider son BAFA, Léopold participe à un stage d’approfondissement avec sa nouvelle bande de potes, La Coterie.
Le jour du départ, un garçon solitaire et solaire le trouble et l’attire, Matthieu.
Il n’est pas le seul. Damien, le chef autoproclamé de la bande, a pris le jeune homme en grippe et enchaîne remarques et comportements, aussi humiliants que vulgaires, pour l’ostraciser. Et pire, le groupe le suit.
Léopold est offusqué, blessé même. Pourtant, par peur du rejet, il ne fait rien et se soumet même.
Pourtant, dorénavant, il y a « son absence » et Léopold en est forcément transformé.

Dans un récit multiforme qui joue sur les dualités, Guillaume Nail explore, non pas le désir homosexuel, mais la force du groupe sur ce désir. Cette force qui peut rassurer mais aussi étouffer et enfermer, quitte à se détester soi pour ne pas être détesté, pour ne pas être délaissé par les autres.
Un roman qui ne laisse pas indifférent.

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Hors compétition (puisque Vincent Mondiot a déjà été lauréat du Prix Vendredi)

Emergence 7, Vincent Mondiot et Enora Saby, Actes Sud Junior, 2022.

Vingt ans l’Émergence 7, Léon peut enfin retourner sur les lieux. Il y trouve le cimetière de sa jeunesse et des réminiscences traumatisantes, celles de cette journée qui a vu son enfance voler en éclats… On peut être frustré par rapport à ce qui semble au départ se dessiner comme l’intrigue principale : Que sont les Émergences et que dissimule l’État à leur sujet ? Qui a survécu parmi les protagonistes ? L’essentiel est finalement ailleurs. Les aller-retours entre le temps de la narration, les souvenirs du jour de l’Émergence, des années antérieures et postérieures permettent de varier les rythmes et les perspectives sur la catastrophe, alternant récit de survie et méditation sur la fin de l’enfance, la fragilité des liens humains, les traumatismes des survivants. On navigue ainsi entre teen novel, thriller post-apocalyptique et drame. Surtout : c’est un nouveau format au croisement du roman et de l’album qu’inventent Vincent Mondiot et Enora Saby, leur permettant de jouer sur les deux tableaux. L’ampleur du texte en surimpression sur des illustrations pleine page permet de développer une intrigue nourrie. Mais la narration portent le récit au moins autant que les mots. C’est hyper réussi, haletant et très original, bien que très sombre. Ce titre fondera-t-il un genre à la croisée entre roman et album ? Pour sa part, Isabelle adorerait retrouver ce format.

L’avis complet d’Isabelle

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Pour savoir qui succèdera à Amour Chrome, Les derniers branleurs, L’Estrange aventure de Mirella, Les amours d’un fantôme en temps de guerre et L’aube sera grandiose, rendez-vous sur le site du prix !

Et vous, lequel avez-vous préféré ?