Lecture commune : La Perle

Au seuil de l’automne qui s’annonce, on vous invite à partir en quête d’un trésor : un trésor dont seule la nature a le secret, un trésor à partager ! Laissez-vous embarquer à bord de l’album intitulée La Perle d’Anne-Margot Ramstein et Matthias Aregui, un duo toujours surprenant !

La Perle, Anne-Margot Ramstein, Matthias Arégui, La Partie, 2021.

Lucie. – Colette, souhaite-tu ouvrir cette lecture commune en dévoilant les raisons qui t’ont poussée à proposer cet album ? Je serai curieuse de les découvrir !

Colette. – Nous avons découvert cet album par le plus beau des hasards à l’occasion de L’Escale du livre, festival littéraire bordelais. J’avais inscrit mon plus jeune fils à un atelier avec l’autrice, Anne-Margot Ramstein, parce que c’était un des rares accessibles aux enfants de son âge sur le dimanche après-midi. Avant l’atelier, l’autrice était en séance de dédicace. Nous n’avions pas de livres de cette artiste dont nous connaissions les livres grâce à nos médiathèques. J’ai proposé à mon fils d’en choisir un qu’il pourrait se faire dédicacer : il a choisi La Perle. Quel bonheur ! C’est bien évidemment la couverture de ce livre à la douce reliure grisée qui l’a attiré : cette couverture c’est une invitation au voyage digne de Baudelaire. Peau bronzée, doigts effilés, paysage insulaire, entre végétation verdoyante et ciel d’une lumière aveuglante, tout y est. Et puis ce geste, si élégant, qui nous invite à devenir le corps auquel est rattaché cette main tendue, ce geste là m’a appelée ! Cette étrange couverture a-t-elle eu le même effet sur vous ?

Lucie. – C’est vrai que cette couverture attire l’œil ! Entre les couleurs vives, très tranchées et cette illustration en vue subjective est étonnante, intrigante !

Blandine. – Il y a beaucoup de douceur et de délicatesse dans cette couverture. J’en suis émue. Comme si je recevais moi-même cette bague.
On ressent aussi toute la beauté et le soin apporté à l’objet-livre. Et j’aime beaucoup ces couleurs franches.

Frédérique. – J’ai découvert le travail de ce duo avec l’imagier Avant-Après. En me rendant au SLPJ93, je suis tombée sur les éditions de la PARTIE. Un duo d’éditrices, aguerries, qui ont exercés chez d’autres éditeurs…. Bref, cette couverture m’a bien attiré et je l’ai mis tout de suite en commande. Je te rejoins Colette, sur le fait que cette couverture sort « du lot », cette reliure grisée me rappelle les vieux carnets de voyage. Une vie va se passer à en juger cette lumière de la 1ère de couverture et la nuit tombée de la 4ème de couverture.

Colette. – Et quel a été votre horizon d’attente à l’ombre de cette jolie couverture ? Qu’est-ce que vous vous êtes imaginé ? Qu’avez-vous pensé découvrir de l’autre coté de cette longue main brune ?

Lucie. – Je m’attendais à de l’exotisme, avec cette peau halée et ces couleurs chatoyantes ; à voyager, mais pas de cette manière ! J’ai aimé cette bague à la fois précieuse et enfantine. Cette couverture annonçait un album inhabituel, j’étais pressée de le découvrir.

Blandine. – Je savais uniquement que cet album était sans texte. Et rien que pour ça, j’étais attirée, quasi conquise. Je n’ai eu aucune attente avant « lecture », je n’ai pas cherché à imaginer l’histoire que ses pages pouvaient raconter. Je me suis totalement laissée porter. Et j’en ai été soufflée.

Frédérique. – Je me suis dit que si c’était comme Avant-Après, il allait y avoir beaucoup beaucoup de détails dans cette histoire…

Colette. – Et alors qu’avez-vous découvert entre l’aube et l’aurore de cet album hors du commun ?

Blandine. – Je n’avais pas du tout imaginé ce contenu, cette fin, j’ai été soufflée par chaque double page et détail, par le double effet visuel entre la page de gauche qui se centre sur la perle et ce qui lui arrive ; et la page de droite qui la remet dans un contexte qui la dépasse, la sublime, l’utilise aussi. Pourtant, j’y ai trouvé de la beauté, de l’apaisement, un sentiment de « tout arrive à point à qui sait attendre » alors même que, au moment de ma première lecture, j’ai eu le sentiment que tout passait vite, pas du tout sur des décennies et en même temps, cela est si logique. Il y a comme une double temporalité. J’ai été émerveillée par ce voyage « d’une vie », à la fois de la perle en elle-même, ses « rencontres » fabuleuses, des plus beaux endroits aux plus populaires, ordinaires, et ce retour aux sources. Et de l’autre, ces deux vies humaines qui n’ont pas cessé de s’aimer, qui nous sont proches sans que nous les connaissions, puisque c’est la perle et non eux que nous avons suivie. Une vie que l’on devine simple et non conditionnée à des « apparats », alors même que la perle en est « victime ». J’aime cette ouverture d’interprétation que nous offre cet album sans texte.
Et que dire des couleurs ?! Splendides, immergeantes. Elles apportent à l’album un fort côté artistique, à la façon pop art.

Lucie. – J’ai découvert un voyage auquel je ne m’attendais pas. Pourtant le titre est parfaitement choisi : « La perle », et on suit effectivement le voyage, l’histoire, d’une perle. C’est fou comme on est formatés en tant que lecteurs. Pour moi, il était évident que la main de la couverture appartiendrait au personnage principal, la perle ayant un rôle essentiel mais pas central !
Ici l’objet est le personnage principal, d’où l’absence de texte. La conséquence : la temporalité est très différente de celle d’un humain, d’où la surprise finale. J’ai adoré cette boucle d’ailleurs, très poétique, romantique… Un peu de douceur dans ce monde de brutes ! Cela amène aussi de l’émotion, car l’identification ne fonctionne pas forcément avec une perle !
Elle passe aussi par la beauté des paysages, des illustrations, des couleurs, mais d’une manière très différente que dans une histoire traditionnelle.

Frédérique. – J’y ai découvert une formidable histoire de vie. A travers cette perle pêchée dans l’océan et ses péripéties, la route sera lente et longue et puis cette question qui reste en suspens : reviendra-t-elle à son propriétaire originel ou va-t-elle connaître encore d’autres aventures ?
Car il est vraiment question d’aventures et on se demande quand est-ce que cette perle va arrêter de s’échapper continuellement. Vous avez raison, mesdames, son destin n’est pas d’appartenir à une couronne ni de finir dans l’estomac d’un saumon ! Parlons un peu des enchainements, une spécialité de ce duo, avez-vous repéré les objets ou les personnages qui invitent à mener cette perle à sa destination finale?

Lucie. – Là encore, le rôle des humains est présent mais le hasard et les animaux jouent un rôle aussi important que les hommes dans ces enchaînements. Cela nous invite à réaliser que, bien que nous ayons un sentiment de contrôle des événements la plupart du temps, nous ne maîtrisons pas tout, et encore moins sur le long terme !
J’ai trouvé cet aspect vraiment intéressant.

Colette. – Très bien dit Lucie. Je rajouterai que j’ai été particulièrement séduite par le jeu des cadrages qui est une des spécialités de notre duo d’artistes, avec cette alternance macro/micro, panoramique / gros plan à chaque double page, bouleversant nos habitudes de lectrices à la fois dans notre manière de regarder mais aussi de raconter. Ce qui compte finalement ce n’est pas tant le récit que la poésie qui se dégage de ces paysages ou de ces détails vers lesquels les artistes guident notre regard.

Blandine. – Tout au long de ma « lecture », je me suis demandée comment l’album pouvait finir et la perle, terminer sa course. Je n’avais pas du tout imaginé ce voyage d’une vie et aux vies multiples entre ordinaire, simplicité, préciosité (sentimentale, pécuniaire, d’apparat).
Les enchainements des auteur.e.s sont brillants, entre le micro et le macro, il y a aussi une sorte de jeu. Je me suis mise à rechercher les éléments communs au fil des pages et à imaginer la suite de ce « voyage ». Le nid de la pie et la couronne de la Reine sont des trouvailles fabuleuses!

Colette. – Et dans ces enchaînements parfois improbables entre des environnements souvent très opposés avez-vous lu un message, une réflexion ? Si oui laquelle ?

Frédérique. – Ce qui m’a interpellée c’est ce sentiment de destruction tout de même. Elle commence doucement, une perle arrachée à son milieu naturel. Tout cet enchaînement se fait soit par un animal voleur ou destructeur comme vous l’avez dit précédemment, soit par la main de l’homme (vol, vente de la perle…). Dans cet album il y a tout de même quatre pages sur la fuite de la perle dans un environnement pollué et détruit par des machines. On y voit aussi la consommation … Finalement j’ai plutôt vu la chute comme un apaisement. Cette perle offert par amour revient à l’amoureux.

Blandine. – Mon sentiment premier à la fin de ma lecture a été que toute chose se trouve là où elle doit être. Qu’il n’y a pas de hasard. Et pourtant, que de concours de circonstances, de coïncidences dans cet album qui permettent à la Perle d’effectuer ce voyage.
J’ai aimé ce retour aux sources, ce lien évident que nous avons avec la Nature, et que nous malmenons pourtant pour vivre, améliorer nos quotidiens, pour l’apparat aussi.
Cet album universel peut parler à tous. Car il est sans texte, mais aussi parce que les frontières y sont abolies. Et c’est à double tranchant. Le beau s’exporte, s’expose, se transmet, s’apprend, se vend, se vole, et il y a aussi ce pointage subtil de la mondialisation, et à laquelle nous participons tous, qui que nous soyons, où que nous soyons. Car c’est bien grâce à elle que le jeune garçon des Îles devenu vieux retrouve la perle dans une bouteille de sirop d’érable.
Nous sommes tous liés.

Lucie. – Tout à fait d’accord avec Frédérique. Autant quelques passages sont assez « doux » (l’océan du début, la rivière au Canada) mais les auteurs mettent délibérément en images l’empreinte dévastatrice de l’homme sur la nature. Sans être lourd, le message saute aux yeux.

Colette. – En effet, il y a comme un arrière-plan politique à cette odyssée. Non seulement sur la question écologique mais aussi économique avec la scène de l’usine du sirop d’érable, produit qui fait le tour du monde par avion pour se retrouver dans la cuisine de tout un chacun. Vos remarques posent donc la question du lectorat de cet album : l’avez-vous partagé avec un jeune public ? Avez-vous recueilli leurs réactions ?

Lucie. – Je ne l’ai pas partagé avec un jeune public, mais je serai effectivement curieuse de savoir ce que des enfants en comprendraient.

Blandine. – Selon son âge, l’enfant verra plus ou moins de choses qu’il pourra verbaliser ou pas encore. Ce peut être des impressions avant d’être des réflexions.
Mon fils de 10 ans l’a lu. Il aime les albums sans texte et est très sensible, mais ne partage pas beaucoup. Il a aimé le style graphique, les couleurs, l’absence de mots, le voyage de cette perle mais nous n’avons pas approfondi. Parce que le moment ne s’y prêtait pas, aussi parce que c’est beau aussi, parfois, de prendre les choses comme elles viennent sans vouloir raisonner, commenter derrière. Juste apprécier la beauté sans analyser.

Colette.Pour terminer cette LC – sauf si vous avez d’autres questions- pourriez-vous nous dire quelle est votre (double) page préférée et pourquoi ?

Frédérique. – Ma double page préférée est celle du nid et du bateau. L’aventure y est totale : le bateau toutes voiles hissées donne l’impression d’un bateau de pirate. Le contenu du nid de pie laisse entrevoir ce qui va se dérouler ensuite. En effet, il y a une pièce de monnaie anglaise (on y voit le profil d’Elisabeth II) et sur la page suivante, la perle finira sur la couronne de cette même reine.

Lucie. – C’est drôle, j’aurais choisi la même pour des raisons similaires. Autant dans la vie le côté « tout est écrit et pensé » ne me plaît pas du tout, autant j’aime bien ces clins d’œil que les auteurs font au lecteur attentif.

Blandine. – J’ai particulièrement aimé la double page où la perle se trouve fichée dans la couronne de la Reine que porte maladroitement son fils aîné. (ce qui pose question de la valeur des objets selon le rang social comme de leur symbolique). C’est avec cette double-page que j’ai saisi le passage du temps de l’album, car on voit sur la page de droite trois portraits de la Reine avec sa couronne. Elle est d’abord seule, puis avec un bébé, puis avec un enfant sur le côté du fauteuil où elle se trouve et un autre bébé dans les bras. La couleur de ses cheveux diffère aussi, allant en s’éclaircissant. Et enfin, la scène générale avec les deux enfants ayant grandi et elle ayant les cheveux couleur argent.
J’aime cette vision subtile du temps qui passe, et les questions que soulèvent les détails.

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Et si vous aussi, vous aimez les albums sans texte, nous vous en avions proposé une sélection par ici suite à un débat que nous avions mené par .

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