Lecture commune : La Perle

Au seuil de l’automne qui s’annonce, on vous invite à partir en quête d’un trésor : un trésor dont seule la nature a le secret, un trésor à partager ! Laissez-vous embarquer à bord de l’album intitulée La Perle d’Anne-Margot Ramstein et Matthias Aregui, un duo toujours surprenant !

La Perle, Anne-Margot Ramstein, Matthias Arégui, La Partie, 2021.

Lucie. – Colette, souhaite-tu ouvrir cette lecture commune en dévoilant les raisons qui t’ont poussée à proposer cet album ? Je serai curieuse de les découvrir !

Colette. – Nous avons découvert cet album par le plus beau des hasards à l’occasion de L’Escale du livre, festival littéraire bordelais. J’avais inscrit mon plus jeune fils à un atelier avec l’autrice, Anne-Margot Ramstein, parce que c’était un des rares accessibles aux enfants de son âge sur le dimanche après-midi. Avant l’atelier, l’autrice était en séance de dédicace. Nous n’avions pas de livres de cette artiste dont nous connaissions les livres grâce à nos médiathèques. J’ai proposé à mon fils d’en choisir un qu’il pourrait se faire dédicacer : il a choisi La Perle. Quel bonheur ! C’est bien évidemment la couverture de ce livre à la douce reliure grisée qui l’a attiré : cette couverture c’est une invitation au voyage digne de Baudelaire. Peau bronzée, doigts effilés, paysage insulaire, entre végétation verdoyante et ciel d’une lumière aveuglante, tout y est. Et puis ce geste, si élégant, qui nous invite à devenir le corps auquel est rattaché cette main tendue, ce geste là m’a appelée ! Cette étrange couverture a-t-elle eu le même effet sur vous ?

Lucie. – C’est vrai que cette couverture attire l’œil ! Entre les couleurs vives, très tranchées et cette illustration en vue subjective est étonnante, intrigante !

Blandine. – Il y a beaucoup de douceur et de délicatesse dans cette couverture. J’en suis émue. Comme si je recevais moi-même cette bague.
On ressent aussi toute la beauté et le soin apporté à l’objet-livre. Et j’aime beaucoup ces couleurs franches.

Frédérique. – J’ai découvert le travail de ce duo avec l’imagier Avant-Après. En me rendant au SLPJ93, je suis tombée sur les éditions de la PARTIE. Un duo d’éditrices, aguerries, qui ont exercés chez d’autres éditeurs…. Bref, cette couverture m’a bien attiré et je l’ai mis tout de suite en commande. Je te rejoins Colette, sur le fait que cette couverture sort « du lot », cette reliure grisée me rappelle les vieux carnets de voyage. Une vie va se passer à en juger cette lumière de la 1ère de couverture et la nuit tombée de la 4ème de couverture.

Colette. – Et quel a été votre horizon d’attente à l’ombre de cette jolie couverture ? Qu’est-ce que vous vous êtes imaginé ? Qu’avez-vous pensé découvrir de l’autre coté de cette longue main brune ?

Lucie. – Je m’attendais à de l’exotisme, avec cette peau halée et ces couleurs chatoyantes ; à voyager, mais pas de cette manière ! J’ai aimé cette bague à la fois précieuse et enfantine. Cette couverture annonçait un album inhabituel, j’étais pressée de le découvrir.

Blandine. – Je savais uniquement que cet album était sans texte. Et rien que pour ça, j’étais attirée, quasi conquise. Je n’ai eu aucune attente avant « lecture », je n’ai pas cherché à imaginer l’histoire que ses pages pouvaient raconter. Je me suis totalement laissée porter. Et j’en ai été soufflée.

Frédérique. – Je me suis dit que si c’était comme Avant-Après, il allait y avoir beaucoup beaucoup de détails dans cette histoire…

Colette. – Et alors qu’avez-vous découvert entre l’aube et l’aurore de cet album hors du commun ?

Blandine. – Je n’avais pas du tout imaginé ce contenu, cette fin, j’ai été soufflée par chaque double page et détail, par le double effet visuel entre la page de gauche qui se centre sur la perle et ce qui lui arrive ; et la page de droite qui la remet dans un contexte qui la dépasse, la sublime, l’utilise aussi. Pourtant, j’y ai trouvé de la beauté, de l’apaisement, un sentiment de « tout arrive à point à qui sait attendre » alors même que, au moment de ma première lecture, j’ai eu le sentiment que tout passait vite, pas du tout sur des décennies et en même temps, cela est si logique. Il y a comme une double temporalité. J’ai été émerveillée par ce voyage « d’une vie », à la fois de la perle en elle-même, ses « rencontres » fabuleuses, des plus beaux endroits aux plus populaires, ordinaires, et ce retour aux sources. Et de l’autre, ces deux vies humaines qui n’ont pas cessé de s’aimer, qui nous sont proches sans que nous les connaissions, puisque c’est la perle et non eux que nous avons suivie. Une vie que l’on devine simple et non conditionnée à des « apparats », alors même que la perle en est « victime ». J’aime cette ouverture d’interprétation que nous offre cet album sans texte.
Et que dire des couleurs ?! Splendides, immergeantes. Elles apportent à l’album un fort côté artistique, à la façon pop art.

Lucie. – J’ai découvert un voyage auquel je ne m’attendais pas. Pourtant le titre est parfaitement choisi : « La perle », et on suit effectivement le voyage, l’histoire, d’une perle. C’est fou comme on est formatés en tant que lecteurs. Pour moi, il était évident que la main de la couverture appartiendrait au personnage principal, la perle ayant un rôle essentiel mais pas central !
Ici l’objet est le personnage principal, d’où l’absence de texte. La conséquence : la temporalité est très différente de celle d’un humain, d’où la surprise finale. J’ai adoré cette boucle d’ailleurs, très poétique, romantique… Un peu de douceur dans ce monde de brutes ! Cela amène aussi de l’émotion, car l’identification ne fonctionne pas forcément avec une perle !
Elle passe aussi par la beauté des paysages, des illustrations, des couleurs, mais d’une manière très différente que dans une histoire traditionnelle.

Frédérique. – J’y ai découvert une formidable histoire de vie. A travers cette perle pêchée dans l’océan et ses péripéties, la route sera lente et longue et puis cette question qui reste en suspens : reviendra-t-elle à son propriétaire originel ou va-t-elle connaître encore d’autres aventures ?
Car il est vraiment question d’aventures et on se demande quand est-ce que cette perle va arrêter de s’échapper continuellement. Vous avez raison, mesdames, son destin n’est pas d’appartenir à une couronne ni de finir dans l’estomac d’un saumon ! Parlons un peu des enchainements, une spécialité de ce duo, avez-vous repéré les objets ou les personnages qui invitent à mener cette perle à sa destination finale?

Lucie. – Là encore, le rôle des humains est présent mais le hasard et les animaux jouent un rôle aussi important que les hommes dans ces enchaînements. Cela nous invite à réaliser que, bien que nous ayons un sentiment de contrôle des événements la plupart du temps, nous ne maîtrisons pas tout, et encore moins sur le long terme !
J’ai trouvé cet aspect vraiment intéressant.

Colette. – Très bien dit Lucie. Je rajouterai que j’ai été particulièrement séduite par le jeu des cadrages qui est une des spécialités de notre duo d’artistes, avec cette alternance macro/micro, panoramique / gros plan à chaque double page, bouleversant nos habitudes de lectrices à la fois dans notre manière de regarder mais aussi de raconter. Ce qui compte finalement ce n’est pas tant le récit que la poésie qui se dégage de ces paysages ou de ces détails vers lesquels les artistes guident notre regard.

Blandine. – Tout au long de ma « lecture », je me suis demandée comment l’album pouvait finir et la perle, terminer sa course. Je n’avais pas du tout imaginé ce voyage d’une vie et aux vies multiples entre ordinaire, simplicité, préciosité (sentimentale, pécuniaire, d’apparat).
Les enchainements des auteur.e.s sont brillants, entre le micro et le macro, il y a aussi une sorte de jeu. Je me suis mise à rechercher les éléments communs au fil des pages et à imaginer la suite de ce « voyage ». Le nid de la pie et la couronne de la Reine sont des trouvailles fabuleuses!

Colette. – Et dans ces enchaînements parfois improbables entre des environnements souvent très opposés avez-vous lu un message, une réflexion ? Si oui laquelle ?

Frédérique. – Ce qui m’a interpellée c’est ce sentiment de destruction tout de même. Elle commence doucement, une perle arrachée à son milieu naturel. Tout cet enchaînement se fait soit par un animal voleur ou destructeur comme vous l’avez dit précédemment, soit par la main de l’homme (vol, vente de la perle…). Dans cet album il y a tout de même quatre pages sur la fuite de la perle dans un environnement pollué et détruit par des machines. On y voit aussi la consommation … Finalement j’ai plutôt vu la chute comme un apaisement. Cette perle offert par amour revient à l’amoureux.

Blandine. – Mon sentiment premier à la fin de ma lecture a été que toute chose se trouve là où elle doit être. Qu’il n’y a pas de hasard. Et pourtant, que de concours de circonstances, de coïncidences dans cet album qui permettent à la Perle d’effectuer ce voyage.
J’ai aimé ce retour aux sources, ce lien évident que nous avons avec la Nature, et que nous malmenons pourtant pour vivre, améliorer nos quotidiens, pour l’apparat aussi.
Cet album universel peut parler à tous. Car il est sans texte, mais aussi parce que les frontières y sont abolies. Et c’est à double tranchant. Le beau s’exporte, s’expose, se transmet, s’apprend, se vend, se vole, et il y a aussi ce pointage subtil de la mondialisation, et à laquelle nous participons tous, qui que nous soyons, où que nous soyons. Car c’est bien grâce à elle que le jeune garçon des Îles devenu vieux retrouve la perle dans une bouteille de sirop d’érable.
Nous sommes tous liés.

Lucie. – Tout à fait d’accord avec Frédérique. Autant quelques passages sont assez « doux » (l’océan du début, la rivière au Canada) mais les auteurs mettent délibérément en images l’empreinte dévastatrice de l’homme sur la nature. Sans être lourd, le message saute aux yeux.

Colette. – En effet, il y a comme un arrière-plan politique à cette odyssée. Non seulement sur la question écologique mais aussi économique avec la scène de l’usine du sirop d’érable, produit qui fait le tour du monde par avion pour se retrouver dans la cuisine de tout un chacun. Vos remarques posent donc la question du lectorat de cet album : l’avez-vous partagé avec un jeune public ? Avez-vous recueilli leurs réactions ?

Lucie. – Je ne l’ai pas partagé avec un jeune public, mais je serai effectivement curieuse de savoir ce que des enfants en comprendraient.

Blandine. – Selon son âge, l’enfant verra plus ou moins de choses qu’il pourra verbaliser ou pas encore. Ce peut être des impressions avant d’être des réflexions.
Mon fils de 10 ans l’a lu. Il aime les albums sans texte et est très sensible, mais ne partage pas beaucoup. Il a aimé le style graphique, les couleurs, l’absence de mots, le voyage de cette perle mais nous n’avons pas approfondi. Parce que le moment ne s’y prêtait pas, aussi parce que c’est beau aussi, parfois, de prendre les choses comme elles viennent sans vouloir raisonner, commenter derrière. Juste apprécier la beauté sans analyser.

Colette.Pour terminer cette LC – sauf si vous avez d’autres questions- pourriez-vous nous dire quelle est votre (double) page préférée et pourquoi ?

Frédérique. – Ma double page préférée est celle du nid et du bateau. L’aventure y est totale : le bateau toutes voiles hissées donne l’impression d’un bateau de pirate. Le contenu du nid de pie laisse entrevoir ce qui va se dérouler ensuite. En effet, il y a une pièce de monnaie anglaise (on y voit le profil d’Elisabeth II) et sur la page suivante, la perle finira sur la couronne de cette même reine.

Lucie. – C’est drôle, j’aurais choisi la même pour des raisons similaires. Autant dans la vie le côté « tout est écrit et pensé » ne me plaît pas du tout, autant j’aime bien ces clins d’œil que les auteurs font au lecteur attentif.

Blandine. – J’ai particulièrement aimé la double page où la perle se trouve fichée dans la couronne de la Reine que porte maladroitement son fils aîné. (ce qui pose question de la valeur des objets selon le rang social comme de leur symbolique). C’est avec cette double-page que j’ai saisi le passage du temps de l’album, car on voit sur la page de droite trois portraits de la Reine avec sa couronne. Elle est d’abord seule, puis avec un bébé, puis avec un enfant sur le côté du fauteuil où elle se trouve et un autre bébé dans les bras. La couleur de ses cheveux diffère aussi, allant en s’éclaircissant. Et enfin, la scène générale avec les deux enfants ayant grandi et elle ayant les cheveux couleur argent.
J’aime cette vision subtile du temps qui passe, et les questions que soulèvent les détails.

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Et si vous aussi, vous aimez les albums sans texte, nous vous en avions proposé une sélection par ici suite à un débat que nous avions mené par .

Lecture Commune : Les Amoureux

Aujourd’hui, nous parlons d’une bd/album parue cette année aux éditions La Joie de Lire : Les Amoureux de Victor Hussenot avec sa belle couverture rouge et ses deux petits personnages.

Véritable COUP DE CŒUR pour Bouma, grande lectrice de BD, qui a décidé d’inviter Isabelle à échanger ses impressions sur ce titre.

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Bouma : Connaissais-tu le travail de Victor Hussenot avant que je t’en parle ? Si non, quel aspect t’a donné envie de le découvrir ?

Isabelle : Non, je ne le connaissais pas du tout. Nous aimons beaucoup les BD à la maison, mais ce n’est pas un support que je lis depuis toujours et il me reste énormément d’auteurs et d’albums à découvrir ! Quand tu m’as parlé de Victor Hussenot, j’ai regardé rapidement ce qu’il avait fait et j’ai été très intriguée par son graphisme très singulier.

Et il faut dire que la belle couverture rouge a attisé ma gourmandise ! Sa texture donne envie de la saisir, le ciel étoilé que l’on devine en arrière-plan invite à la rêverie et la danse des deux amoureux dégage une gaieté et une énergie communicatives

Et toi ? Qu’avais-tu lu de lui et qu’est-ce qui t’a donné envie de lire Les amoureux ?

Bouma : Moi, je suis tombée sous le charme de sa première BD jeunesse : Au pays des lignes qui a créé les petits personnages rouge et bleu des Amoureux ; et puis après j’ai lu Les étoiles du temps qui entraine le lecteur dans un questionnement presque métaphysique.
En fait, j’aime le fait que son travail graphique ne ressemble en rien à ce que j’ai l’habitude de voir et de lire. Alors quand j’ai vu que ce titre avait cette même particularité… j’ai sauté sur l’occasion.

 


Si tu devais résumer l’histoire ? Difficile travail pour un album qui n’a pas de texte, mais que dirais tu ?

Isabelle : Il s’agit, comme on l’aura compris, de deux amoureux esquissés, comme nous y reviendrons je pense, chacun d’une couleur – rouge pour elle, bleu pour lui. Nous les découvrons endormis et tendrement enlacés, mais une goutte de pluie tombe, suivie d’une autre… C’est le début d’une série de péripéties qui s’enchaînent sans discontinuer, faites de petits moments partagés, d’embûches, de retrouvailles. Ta question n’est pas facile, car il y a plusieurs niveaux de lecture : on peut voir ces aventures comme une métaphore de ce qui fait le sel et le charme de toute relation amoureuse ! Et toi, que dirais-tu de cette histoire ? Comment as-tu perçu cette narration sans texte ? 

Bouma : Moi je suis une grande fan du « sans texte » de manière générale pour plusieurs raisons. D’abord ce style permet de s’immerger complètement dans une narration uniquement graphique (qui peut parfois être déroutante) ; ensuite il permet à chacun de comprendre l’histoire différemment, ce qui, enfin, permet à tous les lecteurs quelque soit leur âge, leur culture, leur langue… de partager un moment de lecture.

Après, je trouve que Victor Hussenot exploite à merveille ce type narratif. Effectivement, il y a une belle métaphore de la relation amoureuse (avec ses hauts et ses bas). Les deux petits personnages ne racontent pas totalement la même histoire si l’on regarde bien. Chacun avec sa couleur en écrit une vision, un morceau… Et les deux ensemble forment parfois un tout, parfois se cherchent ou se répondent…

Pour moi la grande originalité de cette BD vient de là. Es-tu d’accord ?

Isabelle : Ce que tu dis sur le « sans texte » me parle beaucoup. Je n’ai jamais pensé à ce format comme à un support d’échanges interculturels, mais c’est une idée très belle ! Ici, les illustrations se suffisent effectivement à elles-mêmes : les deux amoureux sont si expressifs que l’on comprend tout. Et l’auteur déborde d’ingéniosité pour nous transmettre leurs idées, leur état d’esprit, leurs rêves et leurs terreurs, notamment en utilisant des bulles de pensée. J’ai peut-être une petite réserve en revanche sur la trame narrative. Comme je le disais, nous assistons à une série de péripéties, mais il m’a peut-être manqué une grande intrigue qui aurait été l’arc narratif principal permettant de lier l’ensemble, de la première à la dernière page. Cela dit, comme toi, j’ai été bluffée par la finesse que Victor Hussenot parvient à insuffler à partir d’un principe de base qui peut paraître simple – des lignes rouges, des lignes bleues qui se rapprochent, s’entremêlent, s’entrechoquent, évoluent de façon parallèle, divergent pour mieux se retrouver.

Il y a encore beaucoup à dire sur la forme de cette BD : qu’est-ce qui t’a frappée de ton côté ?

Bouma : Pour moi c’est l’exploitation de la page ! On ne retrouve pas les cases traditionnelles de la BD mais une diversité de propositions narratives impressionnantes. Parfois le dessin s’étale sur toute la page ; il peut aussi être découpé en 2, 3, 8 petits dessins pour montrer soit une immobilité, soit au contraire une intense activité… La découpe est à l’horizontale ou à la verticale en fonction des besoins des petits personnages… La seule contrainte semble être la lisibilité de l’histoire.

En fait ce que je trouve hallucinant c’est qu’on a cette impression de fluidité dans le trait de stylo. En lisant cet album, on se dit que l’on peut nous aussi faire une histoire comme celle-ci, vite fait, sur le coin d’une table ou d’un cahier. Alors qu’il n’en est rien. Cette impression de facilité cache un très gros travail à mon sens.

Isabelle : Oui, je suis tout à fait d’accord avec toi. Je me suis dit que j’avais envie d’offrir cette BD à plusieurs personnes de mon entourage qui aiment s’évader dans des dessins gribouillés au stylo bille, me disant qu’elles sous-estiment probablement les potentialités de ce type de dessin ! Mais comme tu le dis, il doit y avoir un énorme travail pour parvenir à incarner ainsi l’histoire en s’affranchissant à ce point des codes de la bande-dessinée. Je serais super curieuse de savoir comment Victor Hussenot a travaillé concrètement.

Une autre originalité formelle concerne le décor. Généralement réduit à sa plus simple expression – une page blanche, une forme grise évoquant un nuage, l’esquisse d’un rocher ou d’une marée montante… – il est, au fil des pages, de plus en plus façonné par l’imagination des deux amoureux, donnant l’impression d’un univers intérieur plus foisonnant (ou peut-être plus intéressant) que le décor extérieur.

As-tu également perçu l’imaginaire et la force des idées comme un thème essentiel de cette BD ?

Bouma : Oui, et tu le formules très bien. Finalement l’espace dans lequel les personnages évoluent semble être façonnés par eux (surtout quand ils finissent par avoir un crayon entre les mains). De manière générale, je trouve que cette BD est une ode à l’imagination.

Isabelle : J’ai trouvé cela très fort. La BD arrive, sans aucun texte, à parler de la complicité qui naît de l’invention de rêves communs, de la construction d’idées communes qui sont ensuite concrétisées, même si elles peuvent donner lieu à des fâcheries. Tu disais toute à l’heure que l’histoire racontée par chacun n’est pas exactement la même : il y a par exemple cette scène de fête où il a l’impression de danser seul alors qu’elle raconte une histoire où ils sont ensemble. Chacun a sa subjectivité, mais les rêves qu’ils dessinent chacun avec leur crayon s’entremêlent et s’unissent sous nos yeux. C’est beau !

J’aimerais bien avoir ton avis sur le public à qui cette BD se destine. Le thème de l’amour n’est pas forcément quelque chose qui parle beaucoup aux enfants, non ? Mais après tout, une BD sans texte se prête peut-être justement mieux qu’un long discours pour leur raconter toutes ces choses de la vie ?

À qui aurais-tu envie de faire partager cette lecture ?

Bouma : Moi, je la conseillerais à tous les âges. Les petits personnages ne donnent pas l’impression d’avoir un âge particulier, ce qui permet une identification globale quelque soit l’âge. Et comme on le disait tout à l’heure, les plus jeunes y verront une aventure extraordinaire tout droit sortie de l’imagination des personnages quand les plus âgés y découvriront une métaphore de la relation amoureuse. En tout cas, chez moi, tout le monde l’a lu.

En fait, je me disais que tout est dans le titre. Car si on le change on peut faire une toute autre lecture de cette BD, non ?

Isabelle : Mais oui ! Tu as raison. Le thème de la force des pensées et des rêves, nés de son imaginaire ou insufflés par un proche comme ici, qui peuvent nous permettre de soulever des montagnes et de faire face aux pires des tornades, me semble aussi présent que celui de l’amour, mais il y a un effet de cadrage très fort par le titre. Les critiques que j’ai lues insistaient toutes sur la métaphore de la vie amoureuse, mais il n’y a pas que ça. Et comme tu le dis, ces silhouettes à peine esquissées facilitent l’identification : elles pourraient appartenir à tout le monde.

Est-ce que tu as un passage que tu as particulièrement aimé ?

Bouma : Mon passage préféré… bien difficile à dire. Disons que le passage autour de la musique m’a beaucoup parlé, et la dispute à coup de géant armé m’a bien fait sourire. Et toi ?

Isabelle : J’ai adoré les passages où chacun des Amoureux donne libre cours à son imagination, pour le plus grand bonheur de l’autre. Il y a une double page où cet imaginaire est à la fois foisonnant et révélateur de leur personnalité respective. Il se sent bien dans son univers à elle, pourtant fait de falaises escarpées et arides à mille lieues de son propre imaginaire luxuriant, évoquant plutôt une sorte de forêt vierge pleine de vie… qu’elle semble prendre plaisir à explorer. Il y a aussi une scène rigolote qui ressemble presque à un jeu vidéo dans lequel le chemin vers l’être aimé est semé d’embûches. Je parie que ce clin d’œil à un autre univers amusera les enfants !

Bouma : Dernière question : est-ce que cette lecture t’aura donné envie de découvrir le reste de l’œuvre de Victor Hussenot ?

Isabelle : Oui, absolument ! Et avant tout, les précédents volets des aventures de nos deux Amoureux. Au pays des lignes m’intrigue énormément, j’ai très envie de continuer à explorer l’univers graphique de cet auteur avec cet album-là et je pense qu’il intéressera toute la famille. Merci beaucoup à toi pour cette découverte !

 

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Pour en savoir plus, voici les liens vers l’article de Bouma et d’Isabelle sur leurs blogs respectifs. On espère avoir attisé votre curiosité et vous avoir donné envie de découvrir cette BD !

Nos coups de coeur de décembre

Le Père Noël est passé et l’année 2018 vient de se terminer. Entre les préparatifs et les cadeaux, entre le sapin et les guirlandes, entre l’attente et l’impatience, entre les bons repas et les doux moments passés en famille, entre la nuit de Noël et le réveillon du jour de l’an, quels sont les livres qui ont rendu le mois de décembre encore un peu plus magique ?

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Alice s’est émue de l’histoire dramatique et marquantes des indiens canadiens et des pensionnats dans lesquels ils étaient enfermés  jusqu’à la fin du XX°siècle.

Son avis************************

Sur son île aux trésors, Isabelle s’est laissé emporter dans le tourbillon artistique de Zara, en lisant la dernière BD de Fred Bernard et Benjamin Flao, Éditions Delcourt, 2018). Et si un véritable talent se cachait derrière la peinture débordante de Zara ?

Son avis

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Découvert sur les étagères de notre médiathèque préférée, nous avons dévoré en famille Le Fabuleux voyage du bateau-cerf, de Dashka Slater et The Fan Brother, publié chez Little Urban. Nous y avons suivi Marco, le jeune renard, et son insatiable curiosité à travers une traversée mouvementée de la Mer de Perle. Cet album au format à l’italienne, qui n’est pas sans rappeler le format des carnets de voyage, nous embarque sur un navire extraordinaire où les questions de Marco vont de plus en plus prendre un accent philosophique. Ma chère Pépita donne son avis par là. 

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Sophie de La littérature jeunesse de Judith et Sophie a été emporté par la Création, mise à l’honneur dans l’album 7 jours et après de Thomas Scotto et Annelore Parot, publié chez Gautier Languereau. Ce mythe est magnifiquement illustré en noir, blanc et doré et adapté pour correspondre à la création artistique dans son sens le plus large de la naissance de l’idée à sa matérialisation.

Son avis ici.

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Dans son Méli-Mélo de livres, transformé en Méli-Noël en ce mois de décembre, difficile de choisir tant, déjà, les choix ont été mûrement réfléchis ! Mais Pépita choisit celui qui a ensoleillé l’approche de l’hiver, ce poussin jaune Piouh, petit habitant du grand bois (d’Estelle Billon-Spagnol chez Grasset jeunesse) pour sa bonne humeur, son amour de la vie, sa légèreté et sa malice !

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Pour HashtagCéline, la dernière lecture du mois de décembre aura aussi été le dernier coup de coeur de l’année 2018 : Miss Crampon de Claire Castillon chez Flammarion Jeunesse. Ce roman est une belle invitation à s’assumer, à se détacher du regard des autres et surtout à ne plus avoir peur de dire haut et fort ce que l’on pense.

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Pour Aurélie, ce fut un coup de coeur pour un éditeur : Voce Verso.

Après les avoir rencontrés une première fois en 2017 au Salon de Montreuil où elle avait pu voir, Tout s’éclaire,un album avec un jeu de lumière faisait apparaître un élément de part et d’autre de la page. Elle fit à nouveau leur rencontre au salon cette année et pu découvrir leur collection premières lectures Ginko et leurs albums sans texte. D’ailleurs, elle a rapporté à ses loulous Et après ? de Malthilde Magnan et Un bal d’enfer de Cécile Emeraud dont elle parle dans sa dernière vidéo.

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Et vous, avec quoi avez-vous passé vos soirées au coin du feu, sous un plaid et un bon thé ?