Entretien avec Jean-François Chabas

Ecrivain-voyageur par excellence, Jean-François Chabas a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions entre deux séjours à l’étranger. Et elles étaient nombreuses tant son œuvre est riche et variée !
Albums, romans jeunesse ou « pour les grands », ce baroudeur aux multiples talents aime partager les cultures autochtones qu’il découvre et son espoir que leurs conditions de vie s’améliorent. Sous le Grand Arbre, nous sommes particulièrement touchées par l’humanité qui irrigue ses textes.

Photo issue du site officiel de Jean-François Chabas : www.jean-francois-chabas.com

******

Pensez-vous qu’il y a des impératifs particuliers ou des écueils à éviter lorsque l’on écrit pour la jeunesse ?

Écrire pour la jeunesse impose une contrainte de style, singulièrement de vocabulaire, mais je prends garde depuis toujours à respecter les enfants en leur offrant un travail littéraire, par goût de la beauté et pour leur ouvrir l’esprit…
Parce qu’ils sont lecteurs à part entière.

Justement, vous écrivez aussi bien des albums que des romans jeunesse, ou pour les adultes. À quel moment définissez-vous l’âge auquel s’adresse votre histoire ? Des contraintes s’imposent-elles selon le type de lecteur visé ?

Certains de mes textes sont interchangeables, entre littérature jeunesse et littérature générale. Sauf bien entendu pour les petits. Encore à mon avis est-ce le gage d’une littérature jeunesse de qualité que de pouvoir être lue par les adultes sans déplaisir ni ennui. La qualité littéraire doit être présente partout, puisque c’est le respect du lecteur.

Y a-t-il des auteurs ou des artistes qui vous inspirent ou dont vous appréciez particulièrement le travail ?

L’inspiration puisée chez les artistes, oui, elle est immense. Je suis très influencé par les Anglo-saxons, de Melville à Dickens en passant par Stevenson, Steinbeck, Jim Harrison avec qui j’ai eu la chance d’échanger du courrier. Russell Banks, prodigieux. Mais il y a aussi les germaniques, Hesse, Zweig, Mann, les hispaniques, García Márquez, Vargas Llosa, les français, Tournier, Le Clézio, et puis les peintres, Vermeer, les musiciens… il faudrait cent pages.
André Migot, l’écrivain voyageur, que je respecte et j’adore, ou encore Nicolas Bouvier, autre voyageur…

La liste des illustrateurs ayant travaillé sur vos textes est très impressionnante. Comment se passent vos collaborations ?

La collaboration avec les illustrateurs est souvent lointaine. Il est rare que je les rencontre, mais je suis très solitaire de nature, et je préfère le monde sauvage. Je communique avec certains, sans les voir le plus souvent. J’en profite pour saluer José Muñoz, qui m’avait illustré Les Frontières, un homme très élégant et généreux.

Les frontières, Jean-François Chabas, illustrations de José Munoz, Casterman, 2001.

Il y a récemment eu un débat sur la rémunération des auteurs. Sans entrer dans une quelconque polémique, souhaitez-vous vous exprimer à ce sujet ?

C’est un sujet grave, qui touche véritablement au scandale. L’acceptation de droits et d’avances ridicules de la part de certains artistes crée une situation où des contrats léonins sont proposés. Il faut se battre. Sur le terrain du respect humain aussi.

Nous vous savons grand voyageur, et nous avons évidemment fait le lien avec le choix de situer nombre de vos romans sur des terres lointaines (Amérique, Australie…). D’où vient ce goût pour l’exotisme ? Ces mondes-là seraient-ils plus propices aux aventures ?

Eh bien… Je reviens du Northern Territory australien où j’ai passé des mois avec les tribus. Je vous confirme qu’entre les crocodiles géants ultra-agressifs, les méduses-boîtes, les requins tigres, les araignées mortelles, un cyclone de catégorie 5 qui nous a frôlés, un feu de forêt géant qui nous a fait courir et une émeute aborigène sérieuse à Tennant Creek, oui, c’est plus sportif là-bas.
Plus sérieusement, j’en profite pour attirer votre attention sur le drame que vivent les tribus partout sur l’île. Vous pouvez lire Red Man, Ils ont volé nos ombres, ou La sorcière et les manananggals, des romans que j’ai publiés sur le sujet. Ces gens vivent un calvaire.

A ce sujet, nous avons été impressionnées par la manière dont vous immergez vos lecteurs dans ces lieux qui leur sont parfois inconnus. Comment vous documentez-vous ?

Je me documente, autant que possible, en allant sur place, ou bien j’y passe beaucoup de temps. La documentation rigoureuse est indispensable lorsque l’on aborde n’importe quel sujet, mais peut-être surtout quand c’est ethnologique. Dans le cas des Aborigènes, ou celui de certaines tribus américaines, j’ai passé du temps avec eux. Les Aborigènes australiens plus que tous les autres, peut-être, sont très mal servis en littérature occidentale. Je m’attache à décrire avant tout leurs conditions de vie épouvantables, particulièrement dans les communautés, mais partout en vérité. Il me semble obscène de vouloir piller leur culture, de vouloir faire du folklorique, avant de dire qu’ils meurent. Ils m’ont directement demandé de parler de leur tragédie, et cela du sud au nord, de l’est à l’ouest. J’ai parcouru des dizaines de milliers de kilomètres en trois très longs séjours pour leur parler, mais surtout pour que eux me parlent. Je suis à leur service. Je garde dans le cœur le souvenir des taudis que j’ai traversés à pied, la peur au ventre, au milieu d’une population traumatisée, clochardisée, assassinée par l’alcool, les drogues, la misère morale et matérielle. Ces gens meurent dans l’indifférence générale.

Comme vous le disiez vos romans sont le plus souvent ancrés dans le réalisme et liés à vos rencontres, mais vous avez fait quelques incursions dans la fantasy. Que vous apporte ce genre en particulier ?

La fantasy m’apporte de la fantaisie !

Votre travail a reçu de nombreuses marques de reconnaissance entre les prix, les traductions et les titres figurant sur la liste des recommandations de l’Education Nationale. Est-ce que l’une d’entre-elles vous touche plus particulièrement et pourquoi ?

Les prix, c’est terriblement subjectif. Je me permets de l’affirmer parce que j’en ai eu beaucoup. Il y aurait tant de choses à dire, à commencer par le fait qu’ils sont souvent remis à ceux qui se déplacent pour aller les chercher… Mes deux prix Versele [en 2000 pour Les secrets de Faith Green, puis en 2017 pour L’eau verte ndlr] me font très plaisir parce que j’aime les Belges. La recommandation de l’éducation nationale pour La terre de l’impiété me touche parce que c’est un sujet – la guerre d’Algérie – extrêmement casse-gueule, où l’on se fait des ennemis de tous les côtés, et que mon sérieux mon impartialité ont été reconnus.
La traduction de mes romans et albums en 15 langues, c’est merveilleux, parce que l’on sera lu par des petits Chinois, des Coréens, des Italiens, des Russes, des Turcs…

***

Merci à Jean-François Chabas de nous avoir accordé du temps malgré son emploi du temps chargé !
Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir certains de ses romans.
Et si vous souhaitez en apprendre plus sur son univers, n’hésitez pas à visiter son site internet.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *