Lecture commune : L’honneur de Zakarya

Chaque année, nous mettons nos forces en commun et lisons toute la sélection du Prix Vendredi, équivalent du Goncourt en littérature adolescente. C’est toujours un exercice particulièrement intéressant : certains titres font l’unanimité parmi nous (généralement en bien !), d’autres provoquent des réactions contrastées autour desquelles nous aimons particulièrement échanger. Cette année, par exemple, il y avait un roman que nous étions plusieurs à avoir envie de lire mais qui a résonné de manière très différente chez chacune, provoquant chez l’une la curiosité et l’émotion, chez d’autres le malaise. Ce texte intitulé L’honneur de Zakarya nous entraîne au cœur d’un procès d’assises chargé de juger un jeune homme mutique dans le cadre d’une affaire de meurtre. Nous avons eu envie d’en parler !

L’honneur de Zakarya, d’Isabelle Panzazopoulos, Gallimard Jeunesse, 2022.

Isabelle : Comment L’honneur de Zakarya est-il arrivé dans votre bibliothèque ? Aviez-vous déjà lu l’autrice ? Ou ce roman vous-a-t-il été recommandé ? Ou peut-être aviez-vous un intérêt particulier pour le sujet du roman ?

Liraloin : Je n’ai jamais rien lu de cette autrice et pourtant elle est très active ! J’ai commandé quelques titres de la sélection du Prix Vendredi pour la médiathèque où je travaille. Le sujet m’a beaucoup intéressée, je suis toujours à la recherche de romans sociaux qui pourraient parler aux jeunes ados qui fréquentent l’établissement. J’ai vraiment été emballée par le résumé et la chronique qui en a été faite dans Télérama en mai 2022.

Linda : Je ne sais plus vraiment comment j’ai découvert ce titre. Je crois qu’au moment de sa sortie, il apparaissait souvent sur la page de suivi des amis sur Babelio, ce qui a forcément attiré mon attention. En lisant la présentation de l’éditeur et les critiques, je me souviens m’être dit que ça pouvait me plaire. Pourtant, je l’ai laissé de côté et ce n’est que récemment, avec notre volonté de lire la sélection du Prix Vendredi, que j’ai eu envie de le ressortir.

Colette : J’ai découvert L’honneur de Zakarya grâce à vous, pour notre article sur la sélection du prix Vendredi. J’avais déjà lu un livre de l’autrice, La Décision, qui m’avait beaucoup marquée à la fois par la complexité du sujet abordé et par l’écriture particulièrement froide et incisive de l’autrice.

Isabelle : Moi aussi, j’étais passée à côté de ce roman jusqu’à ce qu’il soit retenu dans la sélection du Prix Vendredi. La couverture est certes assez sobre avec ce beau visage de jeune homme qui nous regarde dans les yeux. J’aurais dû percevoir le mystère qui émane de ses lèvres serrées et de l’ombre qui tombe sur toute une partie du visage. Et vous, quel effet vous a fait cette couverture ? Qu’attendiez-vous en ouvrant ce roman ?

Liraloin : La couverture est très mystique. Est-ce un choix de l’autrice ? J’ai vu qu’elle écrivait beaucoup autour de la mythologie et ce jeune homme m’y a fait fortement penser. Héros au regard droit et fragile.

Linda : Ce choix de la photographie pour la couverture n’est-il pas surprenant ? Elle n’est plus très utilisée aujourd’hui, alors qu’elle était plus courante il y a cinq ans. C’est un choix que je trouve souvent risqué car cela donne un visage à un personnage et laisse donc moins de place à l’imagination. Dans ce cas précis, on se rend vite compte à la lecture que le jeune homme a été parfaitement choisi et vu la thématique, le sujet, c’est finalement un choix parfaitement adapté qui vient appuyer le réalisme et l’ancrer dans notre réalité. Par ailleurs, je trouve que ce jeune homme a un beau visage et j’ai été intriguée par la surprise que dégagent ses traits, et bien plus encore par le mystère que vient intensifier l’ombre qui lui cache la moitié du visage.

Colette : Ayant lu ce roman en format numérique, je n’ai pas prêté attention à la couverture ! Et ça me fait un argument en faveur de l’objet-livre cette observation ! Quand on prend le livre en main, qu’on le pose sur sa table de chevet ou qu’on le glisse dans son sac, l’image de couverture va s’imprimer en nous à chaque passage. Visiblement, ce n’est pas le cas quand le livre se cache dans les dossiers de votre téléphone.

Isabelle :  Et qu’avez-vous découvert en vous plongeant dans le texte ? 

Linda :  Un jeune homme blessé par une vie de famille compliquée, rejeté par un père qui ne l’a pas reconnu, surprotégé par une mère fragile dont il se sent responsable. Un jeune homme perdu qui a fait de mauvais choix et se retrouve pris au piège de ses actions, sur le point d’être puni pour un crime qu’il crie ne pas être le sien. Mais également un jeune homme intelligent et sensible, inquiet pour sa mère bien plus que pour lui. Je le trouve très attachant dans toute sa complexité. 

Liraloin : Il y a une empathie mais assez dissolue pour Zakarya. Je m’explique : Isabelle Pandazopoulos protège son personnage par son écriture très enveloppante et pourtant page après page, détail après détail elle fait du lecteur (ou de la lectrice) un juré très spécial. J’ai vraiment beaucoup aimé cette écriture-là.

Isabelle :  Cette complexité est quelque chose qui m’a marquée aussi. L’autrice la brosse à petites touches, par des flashbacks successifs qui éclairent différents aspects de la personnalité de Zakarya. Et plus on le découvre, plus on se dit que la tâche du tribunal est ardue, plus on se dit qu’ils sont presque voués à passer à côté de ce qui s’est passé. Linda, tu dis qu’il crie son innocence, mais en réalité, au moment du roman, Zakarya reste mutique. J’ai trouvé que cela faisait terriblement monter la tension du récit du tribunal, je me demandais sans cesse : mais quand va-t-il enfin parler ? J’ai trouvé que cette construction avec d’un côté les flashbacks et de l’autre le récit éprouvant du procès était très réussie de ce point de vue. Qu’en avez-vous pensé ? 

Liraloin : Je suis d’accord avec toi. L’alternance entre les flashbacks et le récit du procès est très intense. Nous sommes à l’affût du détail qui permet de comprendre le mutisme de Zakarya. Il dit l’essentiel, il ne cherche pas à « amadouer » les jurés. Il y a des comportements qui ne s’expliquent qu’après coup, quand on lit l’enfance de Zakarya. Encore une fois, l’autrice ne cherche pas à en faire une circonstance atténuante. Le lecteur est juré. C’est fort !

Colette : J’ai trouvé tout l’intérêt du récit dans cette construction qui alterne le passé et le présent à un rythme particulièrement perturbant : les chapitres consacrés au passé de notre héros sont denses, intenses et ceux consacrés à son présent sont remplis du silence de Zakarya, presque vides me semblait-il. Par conséquent reconstruire le fil de sa personnalité semble une tâche particulièrement ardue pour le lecteur ou la lectrice, comme elle l’a été pour son avocate. Et je trouve ce dispositif particulièrement ingénieux même s’il a quelque chose de frustrant, de laborieux, de difficile. On soupçonne constamment quelque chose de beau sous le silence mais on ne l’effleure jamais qu’un tout petit peu au fil des pages.

Linda : Pour ma part, je n’ai pas réussi à finir ce roman précisément parce que j’ai beaucoup de mal avec les aller-retours dans le temps. Ça me déstabilise complètement et m’éloigne du personnage alors que j’avais espéré m’y attacher. Je comprends que ces flashbacks sont là pour nourrir notre perception de Zakarya mais je trouve que l’écriture maintient le lecteur à distance et n’en fait qu’un simple spectateur. J’aurais aimé une écriture plus sensible, plus empathique…

Isabelle : Avez-vous perçu un message, une réflexion particulière dans ces aller-retours ?

Colette : Ce dispositif mime celui de l’enquête qu’elle soit policière ou psychanalytique. On regarde en arrière pour expliquer le présent. Mais au cœur de ce dispositif, il y a l’amour qui fait grincer tous les rouages : l’absence d’amour paternel, l’amour débordant d’une mère, l’amour impossible pour Aïssatou. Et c’est l’amour qui empêche l’enquête d’avancer. L’amour semble ne pas pouvoir (vouloir) être sondé, psychanalysé, enquêté. L’amour ne se résout pas !

Isabelle :  Je suis d’accord avec toi, ces aller-retours soulignent à quel point les tentatives de comprendre Zakarya dans le cadre du procès sont vaines. Son histoire est brossée par petites touches, au fil des flash-backs, qui ajoutent des touches de complexité supplémentaires qui nous amènent à reconsidérer le jeune homme : ado impulsif insuffisamment cadré par sa mère ? Petite frappe ? Rebelle à la rage brûlante ? Garçon solaire, déterminé à tenir la dragée haute aux préjugés ? Manipulateur hors-pair ? Ou abîme de fragilité ? On voit bien comment la tentation de plaquer des idées toutes faites peut nous induire en erreur. Les gens entrent rarement dans une case. La tâche des membres du jury est immense, presque impossible.

Liraloin : Comment avez-vous ressenti la relation entre Zakarya et sa mère ? Et surtout celle avec son père ?

Linda : Je n’appellerai pas relation la violence qui existe entre ce jeune et son géniteur. Ce type est juste odieux, répugnant. On dirait qu’il prend plaisir à punir cet enfant juste parce qu’il existe. En ce qui concerne la mère, elle aime son fils mais ne semble pas capable de le protéger. Elle a déjà tant de mal à prendre soin d’elle. Zakarya se trouve être le fruit d’une relation adultère qui se rappelle aux parents quand ils le regardent. La père semblant le voir comme le résultat d’une erreur et la mère le percevant plutôt comme le souvenir de jours meilleurs. Au final, n’est-il pas le plus mature des trois ?

Liraloin : Je suis du même avis que Linda. Cette femme se sauve car elle ne peut plus vivre éternellement pour un homme qui ne la considère pas mais trop tard, le mal est fait. Les passages sur l’histoire de Zakarya sont tellement difficiles, cette innocence que l’on ressent en tant que lectrice, ce géniteur qui n’a aucun regard aimant pour son fils. Au départ pourtant avec ce déménagement, on se dit que OUI tout va aller mieux, comme un faux espoir, alors que l’on sait que tout est fichu. Finalement, ce jeune homme a sans doute une mère qui l’aime mais pas assez ou trop difficilement.

Colette :  Je ne sais pas si c’est lié au fait que je viens de finir un autre roman de l’autrice, mais j’ai l’impression qu’elle aime à observer un certain type de modèle parental, un modèle défaillant qui oblige l’enfant ou l’adolescent.e à une inversion des rôles. Ici notre héros se retrouve à protéger sa mère d’elle-même, de lui-même, de sa différence, de ses questions, de ses écarts. Il semble tellement conscient de la fragilité de sa mère…

Isabelle :  Oui, cette relation très particulière aux parents est fondatrice. C’est d’ailleurs une scène emblématique de l’enfance de Zakarya qui se trouve au cœur du premier chapitre ! On a d’un côté une mère aimante mais très inquiète, que Zakarya semble vouloir protéger ; de l’autre un père qui n’a pas tenu ses promesses et auquel Zakarya s’est juré de ne pas ressembler, ce qui joue un rôle important dans le roman. D’ailleurs, le roman s’ouvre sur une citation de Hannah Arendt sur les promesses. Cette citation m’a interpellée parce que les promesses (électorales, en l’occurrence), c’est mon sujet principal de recherche. Avez-vous remarqué cette citation ? A-t-elle orienté votre lecture ? 

Linda :  Je t’avouerai que je n’y ai pas spécialement prêté attention. Je l’ai lue mais je n’ai pas cherché à l’associer à ma lecture… peut-être si j’avais su finir le roman, mais en l’occurrence ce n’est pas le cas.

Liraloin : Je n’y ai pas non plus prêté attention !

Isabelle : Ce n’est pas crucial, je dirais. Mais cela cadre un peu ce qui suit, entre la citation en incipit relative aux promesses et cette première scène qui montre la souffrance causée par un père qui ne tient pas ces promesses, je pense que l’autrice a voulu nous dire que cette expérience est vraiment fondatrice pour Zakarya. Lui est prêt à tout sacrifier pour tenir sa parole. C’est peut-être difficile d’en parler sans trop en dévoiler, mais avez-vous été convaincues par la résolution de l’intrigue ? L’essentiel est-il là ?

Liraloin : Je ne m’attendais pas à cette fin et en même temps, comme tu le demandes, l’essentiel est-il là ? Pour moi non justement, l’essentiel est dans le fait que Zakarya soit honnête avec lui-même, je pense que c’est un peu « la leçon » que nous donne ce livre.

Colette : Il me semble me souvenir que la fin du roman est un peu décevante, dans le sens où l’intrigue n’y trouve pas d’élément de résolution. Mais Zakarya reste fidèle à lui-même coûte que coûte et ça, c’est éminemment romanesque. Une intégrité exemplaire qui a valeur de morale peut-être.

Isabelle : Je n’ai pas trouvé la fin décevante – nous avons le fin mot de l’affaire et connaissons les faits – mais elle est profondément dérangeante. Isabelle Pandazopoulos nous confronte à la difficulté de la justice, malgré tous ses gages d’apparence, de respectabilité et d’expertise, de prendre les décisions justes. Les gens entrent rarement dans une case, c’est troublant d’en peser les implications mais encore plus de prendre conscience que des jugements, justes ou pas, tombent tous les jours.

Premières lectures : notre sélection.

Pas facile de conseiller des romans aux tout jeunes lecteurs qui débutent les lectures en autonomie ! Trouver un texte à la fois intéressant et adapté du point de vue de la longueur, du vocabulaire et des thématiques est une gageure. Les maisons d’édition ont heureusement travaillé à combler le manque de lectures entre les « premières lectures » (pas toujours très passionnantes sur le fond) et les romans plus étoffés qui abordent souvent des thématiques plus adaptées à des collégiens. Quand Lucie a demandé leur avis aux arbronautes pour ses petits élèves, elles ont concocté une précieuse sélection que nous vous partageons !

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Voce Verso – Ginko

Maison d’édition jeunesse indépendante créée en 2015, Voce Verso publie des livres illustrés pour les enfants avec pour vocation affichée de porter la voix de l’enfant. La collection Ginko met en avant des textes premières lectures classés en trois niveaux de lecture représentés par une à trois feuilles de ginko.

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Pour Linda, c’est probablement Rosalie (trois feuilles de Ginko) qui fut le plus gros coup de cœur. Véritable ode à la famille, ce petit roman touche par les valeurs qu’il véhicule. Le personnage de la mère est particulièrement incroyable, prêt à tout pour que ses enfants ne souffrent pas de l’absence du père. Le texte déborde d’émotions et joue sur les mots pour dynamiser une histoire toujours plus riche d’instants partagés en famille et de voyages.

Rosalie de Ninon Dufrénois, illustré par Julien Martinière, Voce Verso, 2022.

Les avis de Linda et de Lucie.

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Dans la même collection, Lucie a aussi beaucoup aimé Petite peur (deux feuilles de Ginko). Dans ce petit roman, le narrateur parle de son émotion, des situations où elle surgit et de ses stratagèmes pour l’apprivoiser. Où comment donner quelques clés et faire surgir la discussion dans les moments de tension !

Petite peur de Cécile Emeraud, illustré par Anne-Lise Boutin, Voce Verso, 2022.

Les avis d’Isabelle et de Lucie.

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Mon poisson et moi (deux feuilles de Ginko) aborde la difficulté d’affronter le regard des autres via l’amitié entre un enfant et son poisson. Car lorsque l’on décide de ne plus se séparer de son bocal, y compris pour aller à l’école et jouer à la récré, assumer ce choix face à ses camarades est une gageure. Que faire ? Se débarrasser de son poisson ou attendre patiemment que les mentalités des élèves évoluent ? Une très belle histoire sur l’affirmation de soi.

Mon poisson et moi de Céline Claire, illustré par Marie Bretin, Voce Verso, 2019.

L’avis de Lucie.

L’avis de Liraloin sur d’autres titres de cette collection

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L’école des loisirs – Mouche

Si l’école des loisirs a eu le temps de faire ses preuves depuis sa création en 1965, cette maison d’édition continue de séduire des milliers d’enfants en proposant des textes de qualité. On trouve dans la collection Mouche, des histoires illustrées pour les enfants qui commencent à lire tout seuls, signées de grands auteurs et illustrateurs, tout en laissant leur chance à de jeunes auteurs et illustrateurs de s’associer pour inventer de nouvelles aventures.

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Pour Linda, il y a des séries qui continuent de séduire ses filles qui, du haut de leur treize ans, continuent de guetter la sortie de nouveaux titres. C’est le cas de la série suédoise Ma vie heureuse, portée par l’amitié de deux fillettes qui, séparées suite à un déménagement, tentent de se revoir le plus possible. Le texte est toujours bienveillant et richement illustré. Presque poétique, cette série est aussi un récit d’apprentissage, chaque volume apporte son questionnement et voit Dunne et Ella Frida grandir en se confrontant à la difficulté de se voir.

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C’est aussi le cas de la petite série Mousse, pleine de douceur et de poésie. Mousse vit de belles histoires d’amitié qui véhiculent des valeurs de partage et de solidarité. La douceur du texte se retrouve dans les illustrations aux couleurs pastels. Les personnages ressemblent à des doudous, ils évoluent dans un univers pacifique qui fait beaucoup de bien à la lecture. L’ensemble dégage une tendresse infini et nous renvoie littéralement dans l’imaginaire de l’enfance.

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Dans cette collection, Lucie a beaucoup aimé la série Dagfrid. Déjà parce que les illustrations d’Olivier Tallec lui ont tapé dans l’œil, mais aussi parce qu’elle présente le quotidien d’une petite fille viking et que ce n’est pas la fête tous les jours ! Entre le régime alimentaire légèrement lassant (du poisson, du poisson et encore du poisson), les injustices de traitement entre elle et son frère, l’allergie de sa maman aux animaux de compagnie et les fêtes familiales, venez découvrir l’humour mordant d’Agnès Mathieu-Daudé.

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Et toujours dans cette collection, Isabelle a fondu d’enthousiasme pour Akita et les grizzlys. Lorsque les mots de Caroline Solé rencontrent le pinceau de Gaya Wisniewski, cela donne un très joli roman initiatique auquel nous avons consacré une lecture commune. Akita nous entraîne dans un univers polaire à couper le souffle où il s’agit d’affronter les éléments, mais surtout de mystérieux grizzlys. Son histoire pleine de frissons évoque les sentiments si difficiles à dompter qu’ils peuvent terroriser, les contradictions parfois douloureuses qu’implique l’acte de grandir, et le pouvoir de l’imaginaire et (aussi lointain que le monde d’Akita puisse paraître) de la psychologie pour y faire face. Tout cela en 80 pages à peine !

Akita et les grizzlys, de Caroline Solé et Gaya Wisniewski, École des loisirs, 2019.

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Mémo – Petite Polynie

Petite Polynie est une collection des éditions Mémo, spécialement pour les jeunes lectrices et lecteurs.

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Liraloin a notamment apprécié les deux titres suivants pour leur pétillante histoire et illustration ainsi que cette belle mise en page ! Truffe et machin sont deux petits lapins, des frangins qui ne manquent pas d’imagination. Peut-être que Machin est un peu plus gourmand que son frère mais tous deux s’entendent à merveille, surtout pour s’inventer des histoires rocambolesques. Et dans ce petit roman, bande de veinards, il y a trois aventures à suivre… Ce livre est très séduisant et attire l’œil. Sa tranche jaune-luciole et l’illustration pleine page de la première de couverture donnent le ton. L’écriture d’Emile Cucherousset démontre bien le caractère espiègle des deux loustics. Quant aux illustrations de Camille Jourdy, elles sont teintées d’humour jusqu’au plus petit détail. Nos deux petits lapins ont de l’énergie à revendre. A travers le jeu et l’amusement le jeune lecteur est témoin d’une belle complicité même si cela fait parfois râler maman-lapin !

Truffe et Machin d’Emile Cucherousset & illustré par Camille Jourdy, 2017

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Pombo est un ours rêveur et profite de la vie. Sa meilleure journée consiste à ne strictement rien faire. Java, lui, préfère escalader les troncs d’arbres et profiter de la vie à 100% à fond les ballons ! Lorsque Java souhaite construire une cabane haut-perchée, Pombo trouve cela dangereux mais décide de tout de même l’aider à sa façon : « Il fut décidé que Pombo n’en ficherait pas une, mais donnerait son avis sur tout. » Java l’intrépide va grandement bouleverser le quotidien de Pombo le rêveur. Cependant, Pombo va plus d’une fois surprendre son camarade par son courage. Et oui ! on n’abandonne jamais un ami dans la difficulté. Douceur et vitalité se dégagent de cette histoire. Deux caractères d’ours complétement opposés mais au cœur rempli d’une belle amitié. J’aime énormément les illustrations de Clémence Paldacci, elles ont ce côté rétro des années 70. Les détails transportent la le jeune lectrice lecteur à s’installer moelleusement dans la maison-cocoon de Pombo… humm quel bonheur…

Pombo Courage d’Emile Cucherousset & illustré par Clémence Paldacci, 2019

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Pour Linda, c’est une aventure emprunte d’une réflexion philosophique sur la liberté et le libre-arbitre qui l’a complètement séduite. Le texte regorge d’humour et d’intelligence, les personnages, représentés par des pions d’échec, sont absolument irrésistibles et les illustrations se prêtent au jeu de la narration avec talent.

La petite épopée des pions d’Audren, illustré par Cédric Philippe, 2018.

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Dans la même veine poétique et philosophique, Isabelle a adoré Hamaika et le poisson. Hamaika est une poule plus intéressée par l’exploration du monde que par les grains à picorer dans la cour. C’est ainsi qu’elle fait la rencontre d’un poisson tout aussi singulier qu’elle : c’est le début d’une amitié qui est loin d’être une évidence, mais les deux compères débordent de créativité pour surmonter les petits obstacles pratiques ! Une fable de haute fantaisie qui concentre tout ce qu’on aime à l’ombre du grand arbre : des personnages drôles et attachants, des trésors d’imagination, des propos philosophiques à hauteur d’enfant et des aventures palpitantes. Les illustrations pleines de couleurs sont à la fois drôles et colorées. Un vrai roman arc-en-ciel !

Hamaika et le poisson, de Pierre Zapolarrua, illustrations d’Anastasia Parrotto, Éditions MeMo, 2019.

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Les éditions Seuil Jeunesse ont également lancé en 2020 la collection Le grand bain dédiée aux apprentis lecteurs qui souhaitent faire le saut dans le bain de la lecture en autonomie de textes un peu plus longs que ceux que nous avons mentionné précédemment ! Des romans courts et joliment illustrés qui se démarquent à la fois par un bel objet-livre (dont les belles jaquettes américaines se déplient en une affiche permettant de garder un souvenir de la lecture) et par des thématiques très diverses mais fortes, ancrées à la fois dans l’enfance et dans la société.

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Dans cette collection, Isabelle a particulièrement aimé Le gang des chevreuils rusés. Une histoire charmante sur la magie d’une forêt mise en péril par des promoteurs immobiliers mais ardemment défendue par une bande d’enfants. Porté par la plume vive de Corinne Morel-Darleux, ce récit donne à voir une palette de formes de mobilisation citoyennes, tout en montrant que de nouvelles formes d’expression restent à inventer et que les jeunes générations ont tout leur rôle à y jouer. Les illustrations de Marine Schneider sont désarmantes d’expressivité : une ode colorée à l’intensité de l’enfance qui donne puissamment envie d’aller jouer dans les bois.

Le gang des chevreuils rusés, de Corinne Morel-Darleux et Marine Schneider, Seuil Jeunesse, 2021.

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Les éditions Hatier ont une collection Première lectures assez riche, composée de plusieurs séries pour séduire un public assez large. Ce la va des contes à des histoires dont « vous êtes le héros », en passant par la mythologie, des enquêtes ou encore des histoires du quotidien. Le tout décliné en trois niveaux de lecture et enrichi d’un lexique.

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Les petites demoiselles de Linda ont particulièrement aimé les histoires de Gérard Moncomble, Moi, Thérèse Miaou qui racontent, non sans humour, les aventures d’une chatte auprès de ses humains. Les amoureux des chats s’y retrouveront sans aucun doute entre le caractère, le choix du meilleur coin de la maison, la visite chez le vétérinaire ou encore le départ en vacances… Le tout magnifiquement illustré par Frédéric Pillot.

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Et vous, quelles sont vos premières lectures préférées ?

De l’intérêt de lire à Voix haute

Que ce soit dans l’intimité de notre foyer ou dans le cadre de notre travail, la lecture à voix haute est une activité que nous pratiquons toutes. Nous avions envie d’échanger sur ce sujet afin de savoir comment nos copinautes mettent en place cette activité dans leur quotidien, pourquoi, pour qui et ce que cela leur apporte.

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Quand est-ce que vous lisez à haute-voix ? A qui ?

Frede : J’ai lu et je lis à voix haute très régulièrement surtout dans le cadre de ma profession.
J’ai lu énormément pour les enfants et adultes en situation d’handicap, pour les personnes âgées.
Maintenant ma lecture à voix haute se fait plus pour les enfants de 0 à 14 ans et toujours dans mon boulot. Cette lecture peut être en lien avec une thématique choisie : la dernière en date était sur le développement durable. Je me suis régalée à interpréter un extrait d’une pièce et lire Forêt des frères que nous avions beaucoup aimé ici. Ayant fait du théâtre lors de ma jeunesse, j’adore interpréter et moduler ma voix sans exagérer. J’ai eu la chance d’être formée à la lecture à voix haute par une comédienne lorsque j’étais bénévole pour l’association « Lis avec moi » à Lille. Puis avec une autre comédienne qui m’a appris à me déplacer lors de mes lectures, à « s’approprier l’espace scénique ».
Parfois je lis à voix haute pour moi, pour entrer dans le texte et pouvoir le lire sans difficulté lors d’un accueil de classe. De temps en temps je kidnappe mes grands ados pour leur lire un album coup de cœur.
Pour moi, la lecture à voix haute est essentielle et comme je le dis à mes collègues que je forme aux accueils de classe : il faut vivre le texte, faire passer les mots !

Linda : La lecture à voix haute a toujours été une activité partagée entre chacun de mes enfants et moi-même, dès qu’ils ont été capable de capter leur attention quelques minutes. C’est un moment que j’associe au calme et à l’échange. Je me souviens que chacun d’eux aimaient vraiment être collé à moi durant ce moment qui leur permettait de se poser tout en se faisant câliner. Avec l’âge et l’entrée progressive dans la lecture, chacun s’est détaché au moment de son choix, parfois un peu trop tôt à mon goût, parfois pas du tout mais finalement au moins qui leur a semblé être le bon. Mes filles aiment toujours la lecture à voix haute, malheureusement les emplois du temps de chacune ne facilitent plus une disponibilité commune et nous ont contraintes à presqu’abandonner cette activité. J’essaie encore de préserver cet intérêt car, à cette étape qu’est l’entrée dans l’adolescence, la lecture à voix haute revêt un intérêt différent : partager un temps de qualité ensemble, échanger autour d’un livre, des sujets qu’il aborde, débattre et ouvrir au monde. C’est par ailleurs une activité qui rassemble, qui développe et enrichie le vocabulaire et l’imagination et c’est aussi un formidable outil pour la concentration.

Lucie : Chez nous la lecture à voix haute est une tradition familiale. Mes parents nous lisaient des histoires (je me souviens que mon père faisait des voix différentes pour chaque personnage, j’adorais ça) et je ne me suis même pas posé la question de lire à mon tour des histoires à mon fils, ou d’écouter mon mari lui en lire (lui aussi fait des voix géniales). Mais la tradition ne se limite pas aux enfants. Il est arrivé que mon mari me lise des histoires, et j’ai appris que mon grand père faisait la même chose pour ma grand mère.
Effectivement, la question de continuer ou pas se pose quand les enfants grandissent et qu’ils deviennent bons lecteurs. Il est souvent arrivé que je commence un roman à haute voix avec mon fils et que le lendemain matin il en soit trois chapitres plus loin. C’est un peu frustrant quand c’est un livre que l’on découvre ensemble ! Mais il faut saluer les auteurs qui parviennent à créer des histoires tellement prenantes que l’on ne peut pas attendre pour en lire la suite.
Ce moment de partage autour du livre est précieux et ni lui ni nous ne sommes prêts à y renoncer. Même si parfois il s’agit seulement de lire des livres différents pelotonnés tous ensemble.

Dans ma pratique de maîtresse aussi la lecture est très importante. Il y a les lectures « suivies » que je propose en épisodes, et les lectures offertes (expression que j’aime beaucoup) en lien avec un thème travaillé en classe ou juste pour le plaisir.
Je suis pour ma part totalement convaincue par le quart d’heure lecture à condition que les élèves soient libres de choisir leurs lectures. Les études montrent bien que ce moment est source d’apaisement pour les élèves comme pour les enseignants.

Isabelle : Un peu comme Linda, j’ai lu à mes garçons, nés en 2009 et 2011, dès leurs tous premiers mois. Je me souvenais de moments fantastiques de lecture avec ma mère et de lectures offertes par mon instituteur de CM1, j’avais envie de proposer de tels partages à mes enfants. Nous avons donc instauré une sorte de rituel de lecture du soir. Mes moussaillons ont longtemps aimé lire et relire les mêmes livres, puis nous avons commencé à en découvrir de nouveaux, plus longs et immersifs. Nous n’avons pas eu envie de mettre fin à ce moment quotidien quand ils ont su lire seuls. Cela s’est fait naturellement avec l’aîné, vers 10 ans, lorsqu’il était trop absorbé par son roman du moment pour interrompre sa propre lecture. Cela ne l’empêche pas de nous rejoindre de temps en temps lorsque notre lecture du moment l’intrigue et nous avons développé de nouvelles formes de partage autour de lectures communes. Je continue de lire à voix haute presque tous les jours avec son frère qui aura bientôt douze ans. Je lis aussi de temps en temps avec les autres enfants de la famille, notamment mes neveux et nièces qui aiment tous ça !

Que pensez-vous que cette pratique de la lecture partagée ait apporté à votre famille ?

Linda : Je crois que cela a développé l’esprit critique de chacun, l’amour des mots, le plaisir d’être ensemble, d’échanger, d’argumenter autour de tout un tas de sujets. La lecture à voix haute nous a aussi permis de partager des intérêts communs pour les livres que, désormais, nous choisissons ensemble ou se recommandons mutuellement.

Colette : Avant toute chose, le rituel de la lecture partagée nous a apporté un moment de disponibilité réciproque. Pendant le moment de l’histoire du soir, nous nous retrouvons VRAIMENT tous les 4, pas de compromis possible, pas de diversion négociable : comme une promesse d’être entièrement présents les uns pour les autres. C’est un RDV que nous nous offrons et que nous ne manquerions pour rien au monde !

Frede : La lecture partagée est un moment de plénitude totale. Malheureusement dans la famille, nous lisons très peu ensemble, je l’ai énormément fait avec mes fils lorsqu’ils étaient petits. Je pense que le fait de lire pour une classe, un groupe m’apporte autant de satisfaction.
De plus, je lis beaucoup à voix haute pour moi-même, pour ressentir encore plus les mots. Mine de rien cet exercice n’est pas plus mal lorsque je dois lire devant un public surtout pour les 0-3 ans.
C’est un moment où toutes les oreilles sont attentives et captent la même histoire et où l’imagination n’appartient qu’à soi.

Lucie : Je te rejoins tout à fait : ce moment est très précieux chez nous aussi, et incontournable ! Une pause pour être ensemble et partager une histoire dans un quotidien où l’on court tous tout le temps. Nous y tenons beaucoup.

Isabelle : Je me retrouve dans vos réponses : ces moments d’attention exclusive dont tu parles, Colette, sont hyper précieux ! Je pense que c’est LA manière privilégiée de cultiver son goût de lire et de le transmettre à ses enfants. On s’extrait aussi, pour quelques minutes, du train-train de nos journées trop chargées. L’évasion dans un livre permet souvent de désamorcer les tensions et de prendre un peu de distance vis-à-vis des petits soucis du quotidien. C’est véritablement stupéfiant de voir à quel point quelques minutes de lecture permettent aux enfants les plus vifs et turbulents (et je sais de quoi je parle !) de se poser et de retrouver le calme avant d’aller dormir : cela vaut vraiment le coup d’essayer ! Comme le dit Linda, ces lectures donnent aussi souvent lieu à des confidences, des questions et des moments privilégiés d’échange que nous n’aurions pas forcément eus sinon. Il est parfois plus facile d’aborder certaines questions de façon indirecte, voire implicite, à travers une histoire que de manière frontale. Jour après jour, on apprend à mieux se connaître. Quand le goût de la lecture se transmet de génération en génération, cela peut enfin contribuer à créer une belle complicité autour de certains livres qui finissent par composer un univers de références partagées par toute la famille… Chez nous, nombreux sont les repas de famille où nous parlons de Karlsson sur le toit ou encore de Willy Wonka. Ces personnages ont presque partie de la famille, tout le monde les connaît ! 

Quelles sensations et quelles émotions apporte la lecture à haute voix ? Quel est le « supplément d’âme » de cette pratique d’après votre expérience ?

Lucie : En réalité, si j’aime ce moment je n’aime pas beaucoup lire à voix haute. Je le fais pour le partage du moment, mais je préfère nettement écouter !
Mais je suis curieuse de lire les réponses de celles qui sont à l’aise dans cet exercice.

Colette : Personnellement, j’aime beaucoup devoir moduler ma voix, jouer avec les différents personnages pour captiver mon petit public. Mais comme toi Lucie je préfère écouter les autres lire. J’ai découvert depuis peu la lecture audio. Nous avons écouté lors de longs trajets L’Ickabog lu par Aïssa Maïga ou encore Jefferson lu par JC Mourlevat et vraiment ce fut un régal. J’avoue que Jean-Claude Mourlevat lit vraiment bien ses textes : sa voix est riche des émotions de ses personnages, je ne sais pas si c’est lié à sa formation de comédien ou encore au fait qu’il connaisse parfaitement bien ses personnages, mais l’écouter lire est très enthousiasmant.

Et je rajouterai que « le supplément d’âme » que je trouve à cette pratique c’est la sensation de vivre une expérience collective à travers une activité qui est sinon très individuelle. Les échanges que l’on peut faire en classe après une lecture à haute voix sont très intéressants pour comprendre tous les mécanismes qu’implique la lecture qui est un acte tellement complexe. Et puis le silence qui règne dans un groupe à l’écoute d’une lecture à haute voix, c’est un silence magique !

Linda : Comme Colette, j’aime beaucoup devoir moduler ma voix, c’est une façon de s’approprier les personnages et de les rendre vivants et accessibles au petit public attentif. Je trouve aussi que cela donne vie aux mots, les fait danser, et puis cela dynamise la lecture et la rend tellement plus intéressante pour l’auditeur.
J’aime aussi, en tant que lectrice, observer les réactions que provoque la lecture, cela donne à réfléchir sur ce qu’elle apporte à chacun et facilite ensuite les échanges, à exprimer son ressenti et ses émotions. 

Frede : Je dirais que cette sensation est unique et apporte beaucoup de quiétude, de bien-être. J’aime ce moment où toutes les oreilles et les yeux sont rivés sur le livre que je suis entrain de lire. Peu importe la technique employée à ce moment là c’est véritablement un instant de véritable communion.

Isabelle : L’histoire du soir permet de redécouvrir la lecture, car on lit différemment quand on le fait à haute voix pour quelqu’un d’autre. Moi qui lis beaucoup et de manière un peu compulsive, j’ai redécouvert certains livres en les parcourant plus lentement, en prenant le temps de me représenter pleinement le texte afin de mieux le transmettre, de respecter les silences (voire les faire durer pour entretenir le suspense !), d’adapter mon intonation, de théâtraliser un peu la lecture où jouant sur des mimiques et des expressions, un ton ironique, des voix plus aiguës ou plus graves, voire même des accents ! Cela demande une concentration exclusive et a l’effet de me calmer. Rétrospectivement, j’ai le sentiment d’une qualité de lecture différente pour les livres lus comme cela. 

Pour vous, y a-t-il des supports qui se prêtent mieux à la lecture à haute voix que d’autres ? Vous est-il arrivé de tomber sur un livre particulièrement difficile à lire à haute voix ? Et, au contraire, avez-vous des « chouchous » que vous aimez lire à haute voix ?

Colette : Oui, clairement il faut des textes qui alternent récit et dialogues régulièrement. Les textes de théâtre se prêtent bien évidemment à la lecture à haute voix mais à peine ouverts, ils appellent à être joués et ils seront bien plus savoureux à plusieurs lecteurs, lectrices. J’aime beaucoup lire des albums, car on peut ménager de longues pauses de silence pour montrer les images qui les illustrent. Je n’ai pas beaucoup d’expérience de lectures à haute voix de textes longs. Quant aux BD c’est vraiment compliqué en groupe mais en tête à tête avec mon fils de 9 ans, c’est un genre qu’on adore lire ensemble. Les documentaires sont d’après moi les livres les plus difficiles à lire à haute voix mais certains s’y prêtent vraiment. Il faut une mise en page simple avec un objet par page ou double-page, au delà on s’éparpille. Pour la pratique de lecture à haute voix, ce que j’aime le plus, c’est ressortir le butaï que mon père a fabriqué à mon grand garçon pour ses 5 ans et lire des kamishibaï à ma petite famille. Le kamishibaï est une sorte de théâtre d’images où la voix accompagne les images que le public voit défiler devant ses yeux. Pour le baptême de mon filleul, j’ai lu « Il faudra » d’Olivier Tallec et Thierry Lenain en version kamishibaï et ce fut vraiment un très beau moment. Des phrases courtes. Poétiques. Percutantes. Qui touchent en plein coeur. Pour moi la poésie est le genre par excellence de la lecture à haute voix et certains albums sont de pures merveilles de poésie.

Lucie : Tous les supports type kamishibaï, tapis à histoire etc. sont extra pour la lecture à voix haute. Mais quand on n’a pas la chance d’avoir ce matériel, je trouve que l’album est le livre idéal. Nous n’avons jamais lu de poésie en famille, tu me donnes envie d’essayer.
En réalité, en posant cette question je pensais à un roman en particulier que nous avons arrêté car trop compliqué à lire à haute voix : « Réseaux » de Vincent Villeminot. En revanche, les auteurs qui jouent avec les mots et les sonorités (J.K. Rowling, Timothée de Fombelle, Flore Vesco, Roald Dahl ou Jean-Claude Mourlevat pour ne citer qu’eux) sont géniaux à lire à haute voix, même sur de longs textes.

Linda : Pour ma part j’aime lire tous les supports à voix haute, à l’exception de la bande dessinée. Je n’aime pas partager ce format de texte « fractionné » que j’aime pourtant lire en solo. Je lis des romans à voix haute et je les trouve tout aussi savoureux, voir plus parfois, que les albums. Peut-être justement car pour ces derniers, il faut régulièrement marquer une pause pour regarder les images et laisser la place à chacun de le faire dans le temps qui lui convient.
Dans les romans, c’est plus l’écriture qui va avoir un rôle dans le plaisir de lire. J’aime particulièrement la poésie et la musique des mots que certains auteurs savent poser sur le papier. Spontanément je pense à Flore Vesco, Bertrand Santini, Jean-Claude Mourlevat ou encore Roald Dahl… Mais parfois c’est plus le rythme de l’action et l’écriture qui est un véritable plaisir pour l’oreille ; ici je pense à des titres plus classiques comme Les aventures d’Arsène Lupin, la saga de Anne de Green Gables ou encore La ferme des Animaux. Sans oublier les textes qui font voyager au sens propre, comme au sens figuré. Pourtant parfois, alors que le sujet est intéressant et le livre vraiment bien écrit, ça fait flop. Je me souviens avoir vraiment peiné sur Le baron perché d’Italo Calvino, la faute aux phrases interminables qui faisaient trembler ma voix de fatigue. C’est pourtant un livre que nous avons aimé, les filles et moi, mais j’en suis ressortie épuisée.
Donc pour moi, tout livre vaut le coup d’être lu à voix haute, chacun trouvera ceux qui lui conviennent.

Frede : Je ne lis jamais de documentaires ou de BD en lecture à voix haute. Par contre j’adore lire du théâtre à plusieurs voix. Je me souviens encore du bonheur de lire Roméo et Juliette avec mon cadet en se répartissant les rôles à chaque début d’acte. Comme je lis l’histoire avant mon accueil je n’ai jamais de mauvaise surprise car il faut « maîtriser » son texte pour y mettre la tonalité et captiver son public. Mes chouchous sont essentiellement des albums comme De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, La souris et le voleur, tous les albums de Christian Voltz (je les connais presque par cœur), La moufle, le bateau de Mr Zouglouglou… mais j’ai un souvenir ému de ma lecture du petit roman La bergère qui mangeait ses moutons, lu sur scène pour les 20 ans de la médiathèque où je travaillais. Quel régal ! une comédienne nous avait aidé à « nous mettre en scène ».

Isabelle : Pas de support privilégié, même si comme Linda, je n’aime pas trop lire de BD à haute voix. Pour moi, cette mode de lecture est un test clé. Il y a les textes dans lesquels on entre tout de suite. C’est notamment le cas de ceux de Roald Dahl ou de Jean-Claude Mourlevat dont vous avez parlé. Ils ont un rythme et coulent de manière évidente, déployant dans nos imaginaires un univers dans lequel on se repère aisément, des personnages palpables dont on perçoit la consistance et qu’on a l’impression de connaître, des intrigues qui nous enveloppent et nous accrochent à tel point qu’il est difficile d’interrompre la lecture. Il nous est arrivé de lire plus d’une heure à la suite ! Les choses sont différentes avec les albums mais là aussi (encore plus, je trouve), on voit tout de suite comment fonctionnent les mots. D’autres textes sont plus durs à lire et à suivre, souvent c’est sans appel et tout le monde est d’accord ! À mon sens, la lecture à voix haute est aussi un moyen privilégié de faire découvrir des textes plus difficiles d’accès à ses enfants. Au fil des années, nous avons lu de nombreux classiques qui comportent des mots plus rares et exigent de connaître certains éléments de contexte : les romans de Stevenson par exemple (L’île au trésor, L’étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde), Moby Dick, Dracula ou le splendide Watership Down. Les enfants étaient super heureux mais ne se seraient sans doute pas lancés seuls.

Sur la base de vos expériences respectives, avez-vous des conseils particuliers à adresser à celles et ceux qui aimeraient se lancer dans la lecture à voix haute en famille ou dans un autre cadre ? Des trucs qui auraient bien marché chez vous ?

Isabelle :  Pour ma part, je conseillerais d’essayer de ménager ce moment qui n’a pas besoin d’être très long en veillant si possible à ne pas être dérangé. Et aussi de ne pas se formaliser si un enfant ne parvient pas à rester immobile en écoutant. Mes moussaillons ont souvent eu besoin de rester libres de leurs mouvements, de manipuler un objet… J’ai pris le parti de les laisser s’installer ou bouger comme ils le souhaitaient, tant que cela ne perturbait pas la lecture. Il leur est par exemple arrivé de faire des coloriages ou des perles à repasser pendant la lecture du soir, mais ils savent qu’ils ne peuvent pas faire de bruit ou s’agiter.

Linda : Je rejoins assez ce que dis Isabelle sur la disponibilité de l’enfant, l’importance de le laisser libre de ses mouvements. J’ajouterai qu’il ne faut pas se forcer à le faire ou s’imposer un moment précis, le plus important est que chacun soit disposé à partager ce moment ensemble.

Lucie : L’idéal est bien sûr de commencer avec un enfant tout petit. Mais ne pas l’avoir fait ne veut pas dire qu’il ne faut pas se lancer !
Nous avons vécu des moments de « pause » de ce rituel, qui m’ont chaque fois fait un pincement au cœur. Mais nous l’avons chaque fois relancé grâce à une lecture qui nous donnait envie, suite à un passage en librairie par exemple. Ne pas être trop rigide sur la forme (liberté de mouvement, durée…) pour garder le plaisir, partir de l’envie de l’enfant aussi, pour ne pas perdre son attention en route. Et s’autoriser à abandonner une lecture trop compliquée, contraignante en lecture à haute voix, ou finalement décevante.
Je crois en revanche qu’il est important de ritualiser, d’avoir un moment de la journée dédié pour lequel nous sommes totalement disponibles les uns et les autres.

Colette : Comme Lucie, je pense que la mise en place d’une lecture ritualisée est vraiment primordiale quand on veut instaurer un moment de lecture à haute voix dans le cercle familial. Pour ce qui est de la lecture devant un public, je conseillerai de se préparer à l’avance en s’enregistrant par exemple pour essayer de théâtraliser au mieux sa lecture. Ce sont deux types de lecture à voix haute assez différentes me semble-t-il : si la lecture à haute voix dans la sphère privée me semble pouvoir exister en toute liberté, dans la sphère professionnelle, elle n’en sera que plus savoureuse si la lectrice, le lecteur s’est bien entraînée avant.

Frede : L’important c’est de commencer avec un livre que l’on aime car c’est à ce moment là que tout va se faire : le plaisir de l’écoute et le plaisir de lire. Comme vous l’avez très bien dit, même si l’enfant bouge où n’est pas à 100% à votre écoute, il est tout de même attentif. Le plus beau est de transmettre par cette lecture peu importe le moment. Il faut juste être disponible en tant que lecteur et spectateur.

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Et vous, lisez-vous à voix haute ? Quels bénéfices y trouvez-vous pour vous et pour ceux à qui vous faites la lecture ?

Nos coups de cœur de l’année 2022 !

Bonne année 2023 à tous !

Ca y est, l’année 2022 est terminée. A l’ombre du grand arbre, elle aura été riche en découvertes et en partage. Aussi, pour bien commencer 2023, nous vous proposons une sélection de nos plus belles lectures !

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Pour Linda, le choix a été assez difficile car, même si elle a moins lu en 2022, ses lectures ont souvent été de qualité. Aussi son choix s’est finalement arrêté sur un roman illustré qui réunit tout ce qu’elle aime dans un livre : une belle histoire, un texte classique et des illustrations somptueuses. Finalement, ce titre s’est imposé, comme une évidence.

Princesse Sara de Frances Hodgson Burnett, illustré par Nathalie Novi, Albin Michel, 2021.

Son avis complet.

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Lucie a eu un véritable coup de cœur pour Ma petite bonne de Jean-François Chabas. Ce roman est de ces lectures qui marquent, auxquelles on pense encore longtemps après avoir tourné les dernières pages.
Pour commencer, c’est un voyage dans le temps et dans l’espace comme sait en proposer la belle littérature. Jean-François Chabas emmène ses lecteurs dans le Liban des années 1990, et le choc des cultures est brutal. D’autant qu’il les confronte à l’arrivée de la « petite bonne », sorte d’esclave légale dans la famille de la narratrice. Bouleversant.

Ma petite bonne de Jean-François Chabas, talents hauts, 2022.

Son avis complet ICI.

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Le petit écureuil d’Oliver Tallec allait forcément être présent dans les coups de cœur de l’année pour Lucie. Son choix aurait pu se porter sur un autre tome. Mais J’aurais voulu est le plus récent, et il épingle avec tellement d’humour notre difficulté à choisir et à affirmer ce que l’on est dans une société aux multiples sollicitations ! On peut faire confiance à l’auteur pour amener les enfants à réfléchir, sans les brusquer.
Cet album est aussi le souvenir d’une belle rencontre avec l’auteur-illustrateur.

J’aurais voulu d’Olivier Tallec, l’école des loisirs, 2021.

L’avis complet de Lucie ICI.

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Une des lectures qui a le plus « bouleversifié » notre collectionneuse de papillons cette année, sur les conseils toujours aussi formidables de ses arbronautes préférées, ce fut Annie au milieu d’Emilie Chazerand dont Lucie et Frédérique vous ont livré une lecture commune par ici.

Je vous livre ici les mots que j’avais écrits à mes copinautes sur le forum pour leur faire part de mon émerveillement après la lecture de ce roman coup de cœur : « Que j’ai pleuré en lisant l’histoire de cette famille bancale et si lumineuse ! J’ai pleuré quand Camille arrive chez les Desrochelles pour l’entraînement et qu’il est accueilli comme un membre de la famille tant attendu, j’ai pleuré quand Del et tous les réfugiés du camp où elle travaille font la chorégraphie d’Annie et les barjorettes, j’ai pleuré quand Solange propose à Velma de s’inscrire au stage de dessin… Que j’ai pleuré ! Parce que quand même ce bouquin, au delà du handicap, il nous parle surtout de la FAMILLE, de ce qui la compose, des liens qui se tissent souvent silencieusement, au fil du quotidien mais aussi à travers générations. La relation entre Solange et Del est tellement puissante. J’ai beaucoup apprécié la manière dont l’auteure fait ressurgir implicitement ce que les personnes étaient avant, ce que cet avant a laissé de traces sur leur corps, leurs cheveux, leur regard et que les autres membres de la famille perçoivent parfois comme dans un éclair lumineux et parfaitement éphémère. Bien sûr ce roman est un incroyable conte de fée, tout va très vite, des magiciennes et des magiciens interviennent spontanément de manière peut-être un peu surnaturelle (je pense à Dolorès qui accepte de faire la coach sportive alors qu’elle connaît à peine Velma, je pense à la mère de Hui, incroyable costumière, qui réalise sans poser de question les improbables tenues de la tribu, je pense au patron de la brasserie qui embauche Harold sans trop poser de questions) mais c’est un conte de fée qui célèbre la solidarité et que ça fait du bien ! »

Annie au milieu d’Emilie Chazerand, Sarbacane, 2021.

Pour les curieux, nous avons aussi eu la chance d’interviewer Emilie Chazerand.

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Pour Liraloin c’est une BD lue en musique qui a emporté le coup de cœur de l’année 2022. Il s’agit de Blue aux Pays des songes, une série en 3 volumes.

Blue au Pays des Songes de Davide Tosello, Vent d’Ouest, 2021.

Son avis complet ici

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Pour Blandine, le point commun de ses coups de cœur qui ont émaillé 2022 est l’émerveillement! Pour un récit intemporel, pour une relation particulière, pour un graphisme exceptionnel ou pour une douceur candide essentielle. Certains de ses coups de cœur ont déjà été partagés ici au fil des mois, aussi, pour ne pas les remettre, en voici un nouveau qui regroupe tout cela!

Magic really can happen… When it Snows. Richard COLLINGRIDGE.

Tout est déjà dans le titre (et le sous-titre)!! Il y a de la magie et de la féérie, du merveilleux et du fantastique, une quête et une mise en abyme fabuleuse qui fait la part belle aux livres, à l’imaginaire et à la transmission. Le tout servi par des illustrations (de peinture?) fascinantes, douces et immersives, qui jouent sur les luminosités et les clair-obscur! juste magnifique!

Son avis complet ICI!

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En refermant Zephyr, Alabama cet été, Isabelle avait l’impression de connaître cette bourgade comme sa poche : ses églises et ses ragots, son supermarché flambant neuf, ses contrebandiers et ses attaques racistes, le quartier noir où la conquête des droits civiques s’organise. Et quels mystères renfermés derrière les portes des petites maisons, au fond de la rivière ou du lac profond ! Témoin d’un crime, le jeune Cory mène l’enquête…

Le récit se nourrit de la toile de fond sociale de l’enquête : des indices sont distillés à chaque chapitre sous la forme d’indices à première vue anodins mais qui finissent par prendre tout leur sens. Cory recoupe des éléments stupéfiants, faisant la rencontre d’une reine noire de cent six ans, d’un as de la gâchette, d’un monstre de rivière et même d’un tricératops. Son regard enfantin donne au roman une fraîcheur irrésistible. Cory et ses copains rappellent les aventures de Tom Sawyer, mais avec en plus le rythme scandaleux des tubes des Beatles et des Beach Boys. Et un soupçon de magie. Ils savent lire les rêves, la forme des nuages et les grains de sable. On ne sait pas toujours si Cory en rajoute un peu (il a l’étoffe d’un écrivain, voyez-vous), si l’imagination de sa bande la dépasse un peu ou s’il y a vraiment un solide cœur de magie à Zephyr.

Tout cela semble un peu foisonnant, mais tout finit par s’imbriquer parfaitement en un tout cohérent qui a beaucoup ému Isabelle. Ce livre est un univers à lui tout seul, un roman à remonter le temps porté par une plume vive qui trace son sillon propre à la lisière de la tranche de vie, de l’enquête policière, du thriller et du réalisme magique.

Zephyr, Alabama, de Robert McCammon, Monsieur Toussaint Louverture, 2022.

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Et vous, quels ont été vos coups de cœur en 2022 ?

Lecture commune : Jack et la grande aventure du Cochon de Noël

Cette année, pour Noël, nous avons eu envie de nous retrouver pour discuter de Jack et la grande aventure du Cochon de Noël de la grande J. K. Rowling. Un conte qui, par ses thématiques, rejoint notre envie d’un Noël généreux présenté lors de la sélection de la semaine dernière !

Jack et la grande aventure du Cochon de Noël, J. K. Rowling, Gallimard Jeunesse, 2021.

Blandine : L’an passé, quelle a été votre réaction première à l’annonce du nouveau roman à paraître de J. K. Rowling ?

Lucie : Youpi ! Bien sûr, pour commencer. Nous sortions juste de l’Ikabog que nous avions adoré et j’avais hâte de me laisser entraîner dans un nouvel univers par cette auteure fabuleuse.

Isabelle : Tout comme Lucie ! Nous n’allions pas manquer ça, je n’ai même pas regardé le résumé avant de l’acheter.

Linda : A ce moment-là je crois que je pensais surtout qu’il plairait à mes filles, mais je ne me souviens plus vraiment ce que j’ai pu ressentir à l’annonce. J’ai sans doute dû me dire : « Tiens, un nouveau J. K. Rowling »… Pour cette auteure, je ne me pose pas trop de question. Je me souviens juste que je ne me suis pas précipitée, j’ai attendu le moment propice pour me le procurer et l’Avent s’est révélé être ce moment-là !

Blandine : Que pensez-vous du titre et de la couverture ? Quelles sont les idées, thématiques qui vous sont venues à leur découverte ?

Isabelle : C’est une couverture qui joue sur le kitsch de Noël, avec ses branches de sapin et ses couleurs rouges et dorées. Je pense que je n’aurai pas été la seule à penser spontanément au film Toy Story en la découvrant ! Je ne suis pas forcément hyper fan de ce type de graphisme digital dans les livres mais qu’importe : mes moussaillons et moi avons aimé que le titre promette de l’aventure et depuis Harry Potter, nous lisons tout ce que publie J. K. Rowling.

Linda : La couverture et son titre sont pleins de promesses d’une aventure merveilleuse au cœur de la magie de Noël. Bien sûr, comme Isabelle, j’ai aussi pensé à Toy Story avec ce jouet qui s’anime. Je suis très fan de ce cochon qui semble entrainer Jack sous le sapin. Regardez son regard pétillant, son bras tendu vers ce qui semble être quelque chose d’extraordinaire. Il nous invite nous aussi à venir découvrir ce qui se cache sous ce sapin en tournant la couverture.

Lucie : Le titre m’a étonnée. Je ne voyais pas bien le lien entre un cochon et Noël. Du coup, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Et c’est aussi bien ! Comme Isabelle je ne suis pas hyper fan de la couverture. Cela fait très film d’animation, et pas le genre que j’aime.
Et toi Blandine, te souviens-tu de tes premières impressions ?

Blandine : Un nouveau J. K. Rowling = je le veux. Elle fait partie de ces auteurs pour lesquels je ne me pose même pas la question du sujet. Et puis, il y avait « Noël » dans le titre. Cela ne pouvait être que merveilleux ! !
Comme Linda, je me suis questionnée sur ce cochon tout rose « de Noël » qui est écrit bien en gros sur la couverture et qui figure au premier plan, bien devant Jack. On devine de suite que c’est lui le véritable héros de cette aventure. Au-delà, il me semble que c’est un joli pied-de-nez à certaines traditions alimentaires de Noël qui servent encore du porc rôti lors de ce repas festif. Ici, le cochon est bien vivant et actif ! La couverture m’a immédiatement attirée avec ses couleurs et ce cochon qui nous tend la patte, comme pour nous rejoindre, ou nous appeler à l’aide. Côté graphisme, j’aime beaucoup ! Et bien sûr, le parallèle avec Toy Story (que j’aime beaucoup aussi) a été instantané.

Linda : Je n’avais pas du tout pensé au côté « alimentaire » du cochon, peut-être parce que je ne mange pas de viande et que je ne perçois plus les animaux comme tels depuis longtemps. Mais c’est peut-être tout simplement parce que je suis restée dans le côté fantastique avec le jouet qui prend vie. C’est cependant une réflexion intéressante et j’aimerais bien savoir ce qu’en pensent Isabelle et Lucie ?

Lucie : Je n’y ai pas pensé non plus. Pour moi il a tout de suite été évident que ce cochon était un jouet, alors je ne me suis pas posé la question. Mais c’est une remarque pertinente, et vu l’expérience de J. K. Rowling je pense que le choix de cet animal n’est pas anodin.

Isabelle : Moi non plus, ça ne pas traversé l’esprit d’imaginer que ce cochon aurait pu être sur la table !

Blandine : Je trouve intéressant, intriguant, que ce soit le cochon qui soit mis en avant, avant l’humain (même s’il est vrai qu’on va beaucoup suivre Jack).

Lucie : Avant d’être plongés dans le merveilleux avec le Pays des choses perdues, nous rencontrons Jack et sa famille. Il me semble que c’est la première fois que J. K. Rowling décrit une famille si « normale » et contemporaine, telle que nous en connaissons tous. 
Qu’avez-vous pensé d’eux et de leurs relations ?

Linda : Normale et contemporaine dans le sens « famille recomposée » ? Elle est en effet à l’image des familles d’aujourd’hui, une famille à l’image de celle de J. K. Rowling elle-même d’ailleurs. Je pense que c’est avant tout une famille qui cherche son équilibre et que cela passe par celui des enfants. Holly étant à cet âge où le besoin de s’affirmer se développe, elle devient l’élément perturbateur, l’épine dans le pied de cette famille. De plus, elle ne vit avec eux qu’un week-end sur deux ce qui fait qu’elle a, je suppose, besoin de plus de temps pour s’adapter à cette nouvelle vie. Sa relation à Jack est clairement dictée par la jalousie de partager un père qu’elle aimerait voir plus souvent. Tout cela me semble plutôt crédible… Maintenant, je perçois la famille de Jack comme une façon d’asseoir l’histoire et son contexte, pas comme élément essentielle à l’histoire donc je ne me suis pas trop attardée sur ce point du livre. J’avoue par-ailleurs que, grande romantique et mère de famille nombreuse, je me sens plus proche, dans l’univers de cette auteure, de la famille Weasley…

Isabelle : D’accord avec toi, Linda. C’est une famille comme il y en a tant, ni parfaite, ni horrible comme celle de Harry Potter. Elle illustre à quel point, même quand on a des parents aimants qui font de leur mieux, la vie et l’enfance peuvent présenter des passages difficiles, liés dans l’histoire au divorce des parents suivis d’un déménagement et d’une cohabitation compliquée avec la famille du nouveau conjoint de la mère. Du point de vue narratif, cela permet d’introduire le cochon de Jack, qu’il aime tant même s’il est délavé et rapiécé. Cela parlera à tous ceux qui, comme mon moussaillon cadet, sont irrémédiablement attachés à un animal en peluche élimé ou à certaines reliques de tranches de vie dont il est hors de question de se séparer. Cet attachement est d’autant plus fort chez Jack qu’il a l’impression que son existence tombe en lambeaux. Il est évident que lorsque le cochon disparaît, Jack est prêt à aller jusqu’au pays des Choses perdues pour le retrouver.

Blandine : Dans cette grande aventure promise par le titre, nos héros passent par différents mondes, tour à tour merveilleux et terrifiants. Comment avez-vous trouvé leurs enchaînements et descriptions ?

Linda : J’ai aimé la façon de pénétrer chaque nouveau monde par des « portes » différentes qui confrontent les héros à différentes difficultés. J.K. Rowling est assez méticuleuse dans son travail de création et ça se ressent vraiment à la lecture. Rien n’est jamais laissé au hasard, elle donne un maximum d’informations pour qu’à la lecture on puisse visualiser l’univers qu’elle a créé. Son écriture est très visuelle et immersive. De même, la succession de ces mondes semble rythmer vers la fin de vie d’un produit : de la perte à la destruction en passant par les différentes étapes de l’oubli. J’ai trouvé cela très intéressant car cela questionne réellement notre rapport aux objets et met en relief les effets de l’obsolescence programmé d’un point de vue économique et écologique.

Lucie : Je te rejoins Linda, ces différents « mondes » m’ont surtout intéressée pour ce qu’ils disent de notre rapport aux objets. La salle des Egarés dans laquelle les objets attendent dans l’espoir d’être retrouvés, puis ce tri entre les différents objets selon leur valeur pécuniaire mais aussi affective.
J’ai beaucoup aimé cette nuance qui montre bien qu’un objet peut avoir une valeur affective énorme en dépit de son faible coût. Le fait que les objets chers comme les bijoux se croient supérieurs aux autres aussi… Tout cet aspect est vraiment traité de manière très fine.

Isabelle : Effectivement, ce pays des Choses Perdues, c’est une idée géniale pour nous donner à réfléchir à tout ce qui peut se perdre ! Des objets utiles ou superflus, ceux qui ont une valeur surtout sentimentale comme tu le dis Lucie ou absolument vitale. En imaginant un univers où toutes ces choses prendraient vie, J. K. Rowling nous interroge sur le consumérisme ambiant. Les différents mondes dont tu parles, Blandine, soulignent l’ampleur de ce qu’on peut perdre (et remplacer en un clin d’oeil) au quotidien, les Objets Sans Valeur, les affaires égarées de Zutcéouça, les Regrettés… Alors, le procédé peut avoir quelque chose de répétitif, on passe d’un monde à l’autre, il y a chaque fois de belles rencontres, des dangers et des péripéties jusqu’au passage vers la contrée suivante et on se doute bien qu’elles seront toutes explorées. Mais l’autrice réalise la prouesse de susciter l’attachement vers des objets, mon moussaillon s’est passionné pour le destin d’un ange fabriqué en papier toilette. On voit, au passage, que les Objets « gentils » sont ceux qui ont été perdus par inadvertance et regrettés (Ange brisé, Boussole, Poésie ou Lapin bleu), alors que les « méchants » comme par exemple Râpe-Fromage ont été abandonnés à dessein. Après, l’autrice s’amuse en réfléchissant à la perte de choses plus abstraites, comme les principes, les ambitions ou l’inspiration. C’est hyper malin et amusant.

Blandine : J’ai moi aussi beaucoup aimé ces portes qui permettent de passer d’un monde à l’autre, comme des sas de décompression, pour avancer dans notre réflexion quant aux objets, leur utilité, leur valeur émotionnelle et pécuniaire.
J. K. Rowling use de beaucoup de jeux de mots dans ses romans, cela semble enfantin, presque trop facile. Et pourtant cela a un impact à la fois amusant et percutant. 
Aimez-vous ce genre d’écriture ? Pensez-vous que cela soit percutant ou au contraire préjudiciable ?

Lucie : J’adore les inventions de J. K. Rowling. Son travail sur le vocabulaire est génial. En revanche, je pense toujours au traducteur avec compassion !
Quand c’est bien fait (ce qui est toujours le cas chez cette auteure) ces trouvailles sont très ludiques. J’aime bien chercher ce qui a servi à composer le mot, le sens qu’elle a voulu y mettre en plus des mots originaux. Comme les univers qu’elle crée sont très créatifs, pour moi la forme rejoint « simplement » le fond.

Linda : Je suis d’accord avec Lucie. Ces jeux de mots sont un peu la marque de fabrique de J. K. Rowling et je trouve que cela apporte une certaine richesse à ses textes ainsi qu’à ses univers. Cela donne aussi du sens à ses créations et permet parfois un double niveau de lecture qui permet de toucher un public plus large. Quelque part je trouve que son écriture est fédératrice de lien entre les parents et leurs enfants.

Isabelle : Qu’avez-vous pensé du dénouement du roman ? Trouvez-vous aussi qu’il s’agit d’un roman initiatique et, le cas échéant, qu’auriez-vous retiré de cette initiation ?

Linda : La fin de l’histoire est l’aboutissement de ce voyage initiatique au cours duquel Jack a appris que la perte fait partie des étapes de la vie et que les accepter nous fait grandir. La perte est un thème récurent dans la bibliographie de J. K. Rowling et elle est généralement associée à un changement important dans l’évolution, la construction de ses personnages. Ici la fin apporte la lumière et l’espoir dont avaient besoin Jack et Cochon de Noël dans leur vie, mais c’est aussi une fin lumineuse pour Lo Cochon, et je trouve que c’est vraiment fort de la part de l’auteure de finir son récit de cette façon si lumineuse.

Lucie : Je qualifierais cette fin de douce-amère. Elle est à la fois apaisée, car effectivement Jack est prêt à laisser cette part de son histoire derrière lui, il accepte de grandir et d’avancer. Mais je crois beaucoup à la conservation de la part d’enfance, et je suis sûre que vous êtes d’accord avec ça ! Alors j’avoue avoir tout de même été peinée de cette séparation. Séparation inenvisageable pour mon loulou, qui a tout bonnement refusé de lire ce roman à cause de la fin.

Linda : Il est certain que la séparation est difficile mais on ne peut nier que cela fait partie de la construction de l’enfant (et de l’adulte) et qu’elle nous fait avancer, grandir.

Isabelle : Je vous rejoins toutes les deux. Comme ton loulou, Lucie, mon moussaillon a eu une réaction très forte face à la séparation que tu évoques. Mais comme tu le soulignes, Linda, ce dénouement n’est pas triste – et in fine, mon fils a vraiment adoré lire (et terminer) ce roman. Jack a traversé énormément d’épreuves au pays des Choses perdues, il a grandi et s’est affirmé comme un jeune héros courageux qui apprend à lâcher prise et finit par faire son deuil.

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Merci à Blandine d’avoir initié cette lecture commune ! Et vous, avez-vous lu Jack et la grande aventure du Cochon de Noël ? Qu’en avez-vous pensé ?