Lire et faire lire de la poésie à tout âge !

En mars, depuis 25 ans, la France célèbre la poésie à l’occasion du Printemps des poètes ! Partout en France, dans la rue, dans les écoles, les collèges, les lycées, les médiathèques, les théâtres, sur les parkings ou dans les parcs, si le cœur vous en dit, il vous est possible de faire rimer votre vie avec fantaisie ! C’est cette année l’occasion de concrétiser une idée que nous avions depuis longtemps : vous proposer une sélection de nos livres de poésie préférés destinés à la jeunesse. Et une fois n’est pas coutume, cette sélection sera accompagnée de morceaux choisis, car rien de mieux pour faire vibrer la poésie que de se la mettre en bouche, ici, tout de suite, maintenant !

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Je te sens

Je sens le poids de ton corps
Je sens la dimension de ton corps
Je sens la température de ton corps
Je sens les bruits de ton corps
Je sens les odeurs de ton corps
Je sens la texture de ton corps
Je sens la couleur de ton corps
Je sens le poids de ton corps

Je te sens

Poèmes à murmurer à l’oreille des bébés (de 9 secondes à 9 mois et au delà…), Marcella et Marie Poirier.

Et si on murmurait des poèmes à l’oreille des bébés ? Et oui, on peut goûter la poésie dès le plus jeune âge, les bébés étant particulièrement gourmands de comptines, enfantines et autres guirlandes de rimes que leurs proches peuvent leur glisser à l’oreille parfois même avant leur naissance. C’est le doux projet de Marcella et Marie Poirier avec le très beau recueil Poèmes à murmurer à l’oreille des bébés (de 9 secondes à 9 mois et au delà…) publié aux éditions Les Venterniers.

Poèmes à murmurer à l’oreille des bébés (de 9 secondes à 9 mois et au delà…),
Marcella et Marie Poirier, 2020.

Retouvez l’avis de Liraloin.

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Mon coeur a des dents
des dents

il mord qui approche dévore ceux qui m’aiment
j’entends les os craquer les hurlements glacés des assassinés
c’est pas appétissant
sage mon cœur sage
es-tu rassasié maintenant
cesse s’il te plaît de grincer
des dents

j’habite un ogre en mon seins
moi qui suis végétarien
c’est un peu
embarrassant

je vais l’entourer de fil barbelé planter une pancarte
attention danger
au moins vous serez prévenu
mon cœur minotaure en son labyrinthe
vous attend

à pleines dents

Mon cœur a des dents, poèmes sous haute tension, Bernard Friot.

Pour Colette, il est un auteur jeunesse qui manie les mots, l’espace de la page, la ponctuation avec brio pour initier les enfants et les adolescent.e.s à la poésie : c’est le célébrissime Bernard Friot ! Avec ses recueils Mon cœur a des dents ou Attention ça pourrait devenir intéressant…, par exemple. Il se joue du blanc de la page, de l’espace, inventant des architectures improbables pour exprimer tout le potentiel de liberté des mots à qui on lâche la bride ! Le voilà qui a même inventé un outil foisonnant pour qui souhaite s’initier à l’écriture poétique avec son formidable Agenda du (presque) poète illustré avec une énergie folle par Hervé Tullet.

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Tout au plus

Envoie-moi ce ballon que je lui parle,
Il doit avoir au moins un but dans la vie.

Envoie-moi ce mot que je lui parle,
Il doit avoir au moins un poème dans sa famille

Envoie-moi ce soleil que je lui parle,
Il doit tendre au moins une oreille dans le feu.

Envoie-moi ce rond dans l’eau que je lui parle,
Il doit connaître au moins une lune qui s’est noyée.

Envoie-moi ce chemin que je lui parle,
Il doit au moins savoir jeter des pas devant lui

Envoie-moi cette idée que je lui parle,
Elle doit au moins avoir un calicot qui l’attend.

Envoie-moi ce demain qui perle sur nos lèvres.
Nous n’en parlerons pas, nous changerons un peu,
Nous d’abord, puis le monde, tout au plus.
 

Petits poèmes pour y aller de Carl Norac, illustrations d’Anne Herbauts, Pastel, 2022

Dans Petits poèmes pour y aller, Carl Norac nous raconte sa vie de poète. Il nous confie ses poèmes pour mieux apprécier les sensations que la vie peut nous mener à traverser. Que l’on soit plutôt « petit poème pour y aller » ou « petit poème pour ralentir » il y aura bien un moment où il faudra « y aller ou pas ». L’important c’est tout de même de déguster le moment qui fige ce temps. Les illustrations d’Anne Herbauts mettent en scène ce poète parcourant, en totale harmonie, notre monde : « – Et ça mène où, pour finir, la poésie ? – Nulle part, Monsieur, nulle part mais au bout du monde ».

Petits poèmes pour y aller de Carl Norac, illustrations d’Anne Herbauts, Pastel, 2022

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Marchands d’histoires

– Quand je serai grand,
– Quand je serai grande,
– Je serai marchand,
– Je serai marchande.

– Nous serons tous deux
Des marchands d’histoires :

– Du dragon sans feu,
– De l’ogre au miroir,
– Du monstre à trois yeux,
– Du fantôme noir.

– Quand je serai grand,
– Quand je serai grande,
– Nous serons tous deux
Marchands de légendes.

J’y suis j’y rêve, Pierre Coran, Les éditions du Rocher, 2005.

Pierre Coran sait parler aux enfants. Sa poésie est accessible sans sacrifier à la facilité. Que ce soit dans son recueil J’y suis j’y rêve, ses Jaffabules ou ses comptines (Pour ne pas zozoter, De bouche à oreille) le rythme et l’humour sont à l’honneur. Pour le plaisir des petits et des grands !

L’avis de Lucie sur J’y suis j’y rêve.

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Cendrillon

Vous croyez, j’en suis sûr, connaître cette histoire.
Vous vous trompez : la vraie est bien plus noire,
Ou rouge sang, si vous voulez.
La fausse, que vous connaissez,
Fut fabriquée, ou inventée,
Et sans scrupule trafiquée,
Afin que tout y soit mollasson, niaisouillard,
Le genre à faire le soir s’endormir les moutards.

Un conte peut en cacher un autre, de Roald Dahl, illustrations Quentin Blake, Folio cadet, 2017.

Si le recueil Un conte peut en cacher un autre de Roald Dahl n’apparaît pas dans l’article que nous avons consacré à nos classiques préférés, il a été mentionné dans celui consacré aux contes détournés. Et pour cause ! L’auteur anglais mélange allégrement histoires et personnages, ajoutant encore une couche de cruauté à des figures qui n’en manquaient pas. Le tout en vers, s’il vous plaît. Si nous sommes reconnaissants de ne pas avoir eu à les apprendre par cœur à l’école, cela reste un délice de lecture.

Un conte peut en cacher un autre, de Roald Dahl, illustrations Quentin Blake, Folio cadet, 2017.

L’avis de Lucie.

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Quand je retourne au pays
Je passe toujours devant chez eux
Et ça chaque fois ça me surprend

Le trottoir nu souligne leur absence
Quatre murs seuls qui tournent au gris
Gonflées d’humidité comme s’ils retenaient des larmes
Et une petite cour déserte collée au mur de la maison voisine

Il fallait bien du talent pour en faire un paradis

Leur départ
Signe la fin d’un monde

Vivre pauvre sans être rustre
Avoir peu et tout offrir
Garder le meilleur pour l’ami ou l’étranger
Reprendre tous les matins le même chemin
Savoir que toute la vie sera ainsi
Et en sourire

Moi
J’ai vu
Sisyphe heureux.

J’ai vu Sisyphe heureux de Katerina Apostolopoulou, Bruno Doucey, 2020.

La poésie est voyage et c’est encore plus vrai sous la plume de Katerina Apostolopoulou qui nous raconte, en deux langues, la Grèce de son enfance, avec ses paysages magnifiques, son peuple généreux, sa pauvreté, la richesse des cœurs, ses croyances et ses mythes. L’auteure à la double nationalité écrit de la poésie narrative, c’est à dire des histoires décomposées en plusieurs textes poétiques. Ici pas de traduction mais une écriture en grecque et une écriture en français pour nous raconter avec ses mots trois histoires qui tendent à montrer que l’on peut être heureux dans une vie simple et répétitive. Un recueil savoureux pour les plus grands.

J’ai vu Sisyphe heureux de Katerina Apostolopoulou, Bruno Doucey, 2020.

L’avis de Linda.

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Parce qu’un enfant
ça doit jouer

Parce qu’un enfant
ça doit rêver

Parce qu’un enfant
peut s’envoler

Parce qu’un enfant
doit être aimé

sait sourire
sait respirer
sait fleurir

c’est liberté

Immenses sont leurs ailes de Murielle Szac, Bruno Doucey, 2021.

Le voyage n’est pourtant pas toujours facile. Murielle Szac nous raconte les enfants de Syrie, dans ce long poème narratif, des enfants qui aiment jouer, danser, chanter, courir ; des enfants dont la lumière dans les yeux s’est éteinte quand les bombes ont rasé un village, une école, une maison et qu’il a fallu partir et tout laisser derrière. Les visages de ces enfants, peints par Nathalie Novi, sont autant de portraits qui nous regardent intensément et nous disent la douleur d’avoir tout quitter et l’espoir que leurs rêves se réalisent. Tout simplement bouleversant d’émotions. La collection Poés’Histoires s’adresse aux enfants et souhaite leur offrir de la poésie qui les prenne au sérieux en abordant des sujets peu présents en jeunesse.

Immenses sont leurs ailes de Murielle Szac, Bruno Doucey, 2021.

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Entre nous et le ciel parfois
L’urgence d’une comète
Puis le malheur plongeant à tire-d’aile
Puis juste le ciel à nouveau
Perdu dans le silence

Entre nous et le ciel maintenant
Le vent
L’ombre d’un nuage
Peut-être un ange
Ou pas

Puis plus rien

Juste le ciel et nous d’Annie Agoplan, Le port a jauni, 2022.

Plus qu’un recueil, Juste le ciel et nous est un long poème qui défile d’un bout à l’autre amenant une réflexion philosophique, un questionnement sur l’existence, sur le rapport de l’humain à l’univers, à la nature. En nous donnant le rôle d’observateur du ciel, simplement rattachés au sol par nos pieds, Annie Agopian nous invite à repenser la brièveté d’une vie humaine comparée à celle de la nature qui se répète dans le cycle infini des saisons. Mais son texte invite aussi à repenser le monde sans limites, sans frontière, aussi infini que le ciel. Les bilingues pourront relire le livre dans l’autre sens, dans la langue arabe (texte traduit) ; les deux textes se font miroir et se partagent un même espace, une même illustration de Carole Chaix qui a su si parfaitement restituer les mots de l’auteure et les sublimer.

Juste le ciel et nous d’Annie Agopian, traduit en arabe par Golan Haji, illustré par Carole Chaix, Le port a jauni, 2022.

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Si la musicalité de la poésie parle souvent aux enfants, ce genre littéraire n’est pas forcément le plus facile d’accès. C’est pourquoi le parti-pris des albums de la collection « petit livre, grand texte » des excellentes Éditions courtes et longues est si intéressant : présenter des textes de grands auteurs, mais sous la forme d’albums illustrés par un(e) artiste contemporain(e). Le trait nous invite, nous accompagne dans le cheminement du poème et en décuple encore l’émotion. C’est magique et Isabelle a été ravie de pouvoir ainsi faire découvrir à ses moussaillons Baudelaire, La Fontaine, Rimbaud ou Victor Hugo. 

« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

L’albatros, de Charles Baudelaire, illustré par Mathilde Magnan. Éditions courtes et longues, 2016.

L’albatros est certainement l’album de cette collection qui a le plus ému l’équipage de L’île aux trésors. On ne présente plus ce texte magnifique sur la solitude douloureuse du poète, incompris et maltraité, qui tel un grand oiseau libre, tutoie les nuages. Ses alexandrins se déploient ici lentement, un ou deux par double-page, laissant aux mots le temps de faire leur effet. Les aquarelles aériennes de Mathilde Magnan soutiennent le texte, l’incarnent, le prolongent voire en prennent le relai. C’est de toute beauté et bouleversant.

L’albatros, de Charles Baudelaire, illustré par Mathilde Magnan. Éditions courtes et longues, 2016.

L’avis d’Isabelle

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Et dans la même collection, ne manquez surtout pas Les animaux malades de la peste, de Jean de La Fontaine !

Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis, 
Je crois que le Ciel a permis 
Pour nos péchés cette infortune ; 
Que le plus coupable de nous 
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ; 
Peut-être il obtiendra la guérison commune. 
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence 
L’état de notre conscience. 
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,  
J’ai dévoré force moutons. 
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense ; 
Même il m’est arrivé quelquefois de manger 
Le berger. 
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense 
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :  
Car on doit souhaiter selon toute justice 
Que le plus coupable périsse. 
– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ; 
Vos scrupules font voir trop de délicatesse. 
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce. 
Est-ce un péché ? Non non. Vous leur fîtes, Seigneur, 
En les croquant beaucoup d’honneur; 
Et quant au berger, l’on peut dire 
Qu’il était digne de tous maux, 
Étant de ces gens-là qui sur les animaux 
Se font un chimérique empire. » 

Les animaux malades de la peste, Jean de La Fontaine

L’album illustré par Olivier Morel souligne le potentiel subversif des fables de La Fontaine. Langue corrosive, vers réjouissants, férocité de la dénonciation de la justice à géométrie variable exercée par les puissants. Vous savez bien, il s’agit de cette fable où l’on cherche un responsable du fléau de la peste. Si chaque animal bat sa coulpe, on ne peut pas vraiment dire que chacun soit logé à la même enseigne… Olivier Morel ne touche pas un mot au texte mais joue sur la typographie pour mettre en relief certains d’entre eux. Fractionné avec un ou deux vers par double-page, le texte prend tout son sens. Et surtout, l’idée géniale est de lui juxtaposer des gravures modernes dans l’esprit du street art qui révèlent sa portée évidente pour éclairer la société d’aujourd’hui. C’est puissant, hyper contemporain et plein de clins d’œil artistiques et sociétaux.

Les animaux malades de la peste : Olivier Morel, Jean de la Fontaine, Olivier  Morel: Amazon.de: Bücher
Les animaux malades de la peste, texte de Jean de La Fontaine illustré par Olivier Morel. Éditions courtes et longues, 2016.

L’avis complet d’Isabelle

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Et vous, quels poèmes allez-vous lire en ce printemps 2023 ?

Nos coups de cœur de février !

Ils sont tous beaux, choisis avec grand soin par vos arbonautes préférées : les coups de cœurs de février ! C’est le moment de se faire plaisir et s’adonner à son passe-temps préféré : la lecture …

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Pour Liraloin c’est une BD sans texte qui fait froid dans le dos qui emporte le coup de cœur ce mois-ci !

Ils sont quatre (si on assemble la première et la quatrième de couverture). Quatre adolescents sur des vélos à pédaler sous le soleil couchant entre prairie et montagne. Pourtant il y a bien cinq jeunes avec dans leurs sacs à dos clopes et boissons campant dans les bois. Il fait nuit et tous savourent ce moment privilégié d’un soir d’été. Soudain tout va très vite dans cette atmosphère de nuit où l’on cherche le pote égaré en balayant les bois de sa lampe torche. La peur s’installe au rythme d’une rubalise que l’on déroule sur cette fameuse scène d’une personne portée disparue. Les gendarmes sont là, la battue s’organise, le voisinage est interrogé… la tension monte !

Effectivement la tension est palpable est fini par rester dans cette BD sans texte. Si l’intrigue se déroule à la campagne au milieu des montagnes et des grandes étendues herbeuses s’est pour mieux déstabiliser la le lectrice lecteur. On y perd ses repères dans ce paysage qui, lui, continu d’exister à travers les saisons tout comme ce groupe d’ados amputé d’un camarade.

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Il y a eu beaucoup de belles lectures chez Linda en février et le choix n’a pas été facile pour sélectionner celle.s qui l’a.ont faite vibrer.

Du côté des romans, un titre se démarque par sa couverture qui évoque la nature, les pique-niques entre amis sous le soleil d’été. Mais c’est surtout l’histoire de ces quatre ados qui tendent à s’accorder sur un même rythme qui l’a touchée. Des ados un peu hors normes qui expriment leurs émotions et apportent du concret à leurs existences au travers de l’expression artistique. Musique, photographie, skateboard leur permettent d’enchanter un quotidien qui pèse parfois lourd sur leurs jeunes épaules.

Son avis complet est ICI.

Les désaccordés d’Anne Cortey, illustré par Cyril Pedrosa, l’école des loisirs, 2023.

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Un petit tour du côté de la Pologne lui a permis de découvrir un conte raconté à deux voix : celle d’Olga Tokarczuk qui nous raconte par les mots, la douleur de la perte et la prise de conscience, et celle de Joanna Concejo qui utilise le dessin pour raconter le temps passé à courir et le besoin de ralentir. Les illustrations tiennent une place essentielle et prépondérante dans cet album incroyable qui invite à ralentir.

Son avis complet est ICI.

Une âme égarée d’Olga Tokarczuk, illustré par Joanna Concejo, Format, 2018.

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Mois très faste également du côté de chez Isabelle ! Mais s’il ne fallait retenir qu’un roman, ce serait Monstres, le petit dernier de Stéphane Servant illustré par Nicolas Zouliamis. Le duo nous entraîne dans un village étrange où arrive un cirque avec, paraît-il, un monstre tel qu’on en a jamais vu. Textes et illustrations se complètent magnifiquement pour placer ce récit sous tension et nous immerger dans une sorte d’upside-down qui fait vaciller nos repères. Cela donne une sorte d’expérience de pensée qui révèle l’arbitraire des codes, la peine infligée à ceux qui diffèrent, les cages qu’on peut briser et la force tirée de l’amitié : on est tous le monstre de quelqu’un, les pratiques les plus monstrueuses visent d’ailleurs certainement ceux qui sont perçus comme tels. Un message dans l’air du temps mais amené de manière vraiment inattendue ! Émouvant et délicieusement bizarre.

Monstres, de Stéphane Servant et Nicolas Zouliamis. Thierry Magnier, 2023.

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Et parmi les lectures d’album du mois, Isabelle est ravie de vous parler de Nicky & Vera, de Peter Sis. À travers une histoire vraie, cet album raconte les années 1930, de l’Angleterre, l’Allemagne et la République tchèque, la montée de la haine, des préjugés et de l’autoritarisme, et la façon dont les mouflets de cette époque ont vu leur enfance voler en éclat. Pourtant, ces pages vibrent d’espoir : elles racontent l’histoire incroyable de quelqu’un d’ordinaire qui trouva le courage de faire simplement « ce qu’il fallait » et sauva 669 enfants. Tout est beau dans cet album : les illustrations d’une puissance sidérante, la résilience de Vera, le courage modeste de Nicky et l’hommage inspirant rendu aux héros discrets. Une de ces lectures qui vous marquent à vie !

Nicky & Vera, de Peter Sis, Grasset Jeunesse, 2022.

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C’est sur les conseils de son loulou passionné d’athlétisme, que Lucie a découvert Le garçon qui courait de François-Guillaume Lorrain. L’histoire vraie de Sohn Kee-Chung, athlète d’origine coréenne ayant remporté l’épreuve du marathon sous la bannière du Japon lors des J.O. de 1936. Moins connu que celle de Jessie Owens, son parcours est pourtant passionnant entre fierté, abnégation et résistance. Si son nom coréen a été rétabli sur les tablettes du Comité International Olympique en 2011 (il était jusque-là inscrit sous le nom Kitei Son, qui lui avait été imposé par les japonais), la victoire est toujours attribuée au Japon, la Corée n’existant plus à l’époque. Un hymne au dépassement de soi.

Le garçon qui courait, François-Guillaume Lorrain, Sarbacane, 2017.

Son avis complet ICI.

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Après le magnifique Forêt des frères dont nous avions fait une lecture commune, Yukiko Noritake revient avec un album qui se lit aussi bien dans un sens que dans l’autre. Etonnant !
Il poursuit sa sensibilisation des enfants (et de leurs parents) à la protection de l’environnement, par la présentation de deux modes de vie dont les effets sur la nature sont très différents. Si le message est ici un peu plus appuyé, les vues en plongée qui incitent à chercher les détails et la conception en miroir sont une belle réussite.

De l’autre coté de la mer, Yukiko Noritake, Actes sud junior, 2022.

Son avis complet ICI.

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Pour Colette et son Petit-Pilote-de-Trotinette, gros coup de cœur de février pour les livres de Kotimi qu’ils ont eu la chance de rencontrer à la médiathèque pour un atelier créatif de dessin à l’encre de Chine. Après s’être plongés dans Momoko, une enfance japonaise nous avons savouré la suite des aventures de la petite écolière à travers les 4 anecdotes des Vacances de Momoko. Un graphisme dynamique, joyeux qui nous emmène au cœur de la vie de famille d’une enfant de 6 ans, quand son père décide de prendre 3 jours de vacances pendant l’été. Des vacances rythmées par les cours obligatoires de natation, l’hospitalisation de sa petite sœur et le séjour forcé chez ses grands-parents qui s’en suivit. Au fil des pages, nous découvrons des coutumes et des rituels propres à la culture de cette enfant, dont l’histoire puise ses racines dans l’enfance de l’autrice. On guette le troisième tome des aventures de Momoko avec impatience !

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Pour Blandine, c’est l’Amour et la mélancolie qui ont emporté son cœur avec le magnifique album de Daniela Volpari, Un amour américain.

Un Amour Américain. Daniela VOLPARI. Marmaille & Cie, 2015

Sur un pont, James entrevoit un jeune femme rousse. Coup de foudre, évanescence de l’instant. Entre rêve et réalité, des années durant, il n’aura de cesse de la chercher.

Avec délicatesse, Daniela Volpari nous décrit le temps qui passe, entre ce qui change et demeure, et nous restitue des époques, des lieux, des pensées, entre poésie, zen et jazz, empruntant à de grands auteurs leurs mots et paroles. Ses illustrations aux teintes fanées possèdent un charme délicieusement rétro et joliment stylisé (il y a comme une influence de Rébecca Dautremer dans son trait). Nous oscillons entre le présent et le passé, entre la vie et le souvenir, entre la réalité et la nostalgie, entre photographie d’antan et dessins à la mine de plomb, entre couleurs sépia ou flamboyantes, entre symboles et métaphores
Et nous ne savons pas ce qui est… ou n’est pas…

L’avis de Blandine ICI.

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Et vous, qu’avez-vous aimé en février ?

Nos classiques préféré.e.s : la peinture d’Anne Brouillard est sa lumière.

Anne Brouillard s’illustre dans le monde de la littérature jeunesse par sa peinture qui nous offre des albums aux aventures humaines et aux paysages uniques. Tantôt autrice-illustratrice, elle collabore aussi avec d’autres auteurs et autrices. Pour en savoir plus : un article extrait du blog Le Carnet et les Instants. Retrouvez nos raisons d’apprécier et de lire Anne Brouillard.

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Pour Liraloin, voici les dix raisons d’aimer se retrouver immergée dans les illustrations de cette autrice avec Voyage d’hiver !

1 – Pour son édition leporello qui en fait un livre tout à fait original, complété d’un petit coffret de 44 cartes à histoires.
2 – Pour ses images immersives sans texte.
3 – Pour ce paysage qui va se dérouler sous nos yeux. Etes-vous prêts pour un voyage d’hiver sans retour ?
4 – Pour se précipiter à bord d’un train et admirer la vue d’un cadre figé par le froid.
5 – Pour traverser cette nature endormie, ressentir cette fraicheur hivernale bien à l’abri dans sa voiture de voyageur.
6 – Pour imaginer la vie qui peut se dérouler dans ces maisons que l’on pourrait presque toucher.
7 – Pour cette neige qui couvre les branches des arbres et fond sur les toits des maisonnées au loin.
8 – Pour cette ville qui s’étend peu à peu et nous laisse entrer dans une autre gare : clap de fin d’un voyage hivernal.
9 – Pour cette magnifique peinture que nous offre Anne Brouillard.
10 – Pour avoir l’envie immédiate de remonter à bord mais seulement si nous sommes accompagnées des cartes et s’offrir un voyage différent.

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Pour Linda, la lumière d’Anne Brouillard n’a pas son pareil pour s’exprimer dans cet album sans texte.

L’orage de Anne Brouillard, Grandir, 1998.
  1. Parce qu’il n’est pas besoin de mots pour que s’exprime l’orage qui s’installe,
  2. Parce qu’il suffit d’un chat qui sursaute, d’une fenêtre qui s’ouvre, d’un vase qui se brise pour ressentir la violence du vent,
  3. Parce que la tension monte progressivement, rendue palpable par un mouvement de travelling avant-arrière,
  4. Parce qu’un seul couple permet de voir la rapidité avec laquelle l’orage arrive, se mettant à l’abri,
  5. Pour la luminosité des illustrations et leur réalisme,
  6. Pour toutes les sensations que l’on ressent au fil des pages, nous donnant l’impression d’être dans l’orage,
  7. Parce que le trait d’Anne Brouillard éveille nos sens : on sursaute quand le vase se brise, on frissonne quand le vent souffle, on entend la pluie qui frappe sur les fenêtres restées ouvertes, on sent l’odeur de l’herbe mouillé quand la pluie laisse derrière elle les prés détrempés?
  8. Parce que chaque illustration est une véritable œuvre d’art, un vrai tableau,
  9. Et pour tout ça à la fois car c’est ce qui rend son art si unique.

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La Grande Forêt fait partie des chouchous de la bibliothèque d’Isabelle. Ses moussaillons aiment les histoires aux confins de la réalité et aussi celles où humains et animaux se côtoient. Ils sont complètement entrés dans ce monde imaginaire et, depuis, ne se lassent pas d’y retourner. Dix raisons qui font de cet album une lecture incontournable !

La Grande Forêt, de Anne Brouillard, Pastel. 2016

1 – Parce que cet album nous emmène en voyage, dans une contrée exotique au possible qu’on ne trouve pas facilement sur un atlas habituel : le pays des Chintiens !
2 – Parce que cette contrée vaut le détour, avec ses forêts de bouleaux, sa culture singulière et tout son bestiaire de petits habitants tous plus surprenants les uns que les autres
3 – Pour la forme réjouissante de ce livre, objet littéraire non identifié qui trace son propre sillon entre album illustré, bande-dessinée et documentaire, avec cartes topographiques et schémas à l’appui
4 – Pour la saveur de l’amitié partagée avec Killiok, sympathique créature à mi-chemin entre le chien et le moumine, et son amie humaine Véronica
5 – Pour la manière dont l’enquête des deux compères met sous tension leur périple : qu’est-il advenu de leur ami Vari Tchésou qui n’a plus donné de nouvelles depuis des mois ?
6 – Pour l’aventure avec un grand A : entre les inconnus qui rôdent dans la forêt, les lumières étranges qui brillent la nuit et les créatures bizarres qui prétendent se rendre à un festival, le voyage est mouvement !
7 – Parce que cette histoire est de celles où le chemin compte plus que la destination : on se régale de multiples curiosités, d’une intrigue souvent à la limite de l’absurde…
8 – … mais aussi et surtout des petits moments de bonheur dont Anne Brouillard semble avoir le secret : le plaisir de préparer tous les détails de l’expédition, de planter sa tente dans un panorama à couper le souffle, ou tout simplement de partager une tasse de café fumante en contemplant la forêt.
9 – Pour les illustrations qui reflètent si bien cet imaginaire avec leurs mille détails, leur forêt frémissante, les arbres qui semblent avoir des yeux et les buissons qui s’agitent impatiemment
10 – Pour la manière dont cette lecture en fait résonner d’autres, comme les romans de Michael Ende (cette ligne de chemin de fer au milieu de nulle part), d’albums de Claude Ponti (Ma Vallée, en particulier), mais aussi par exemple les aventures de Fifi Brindacier dans lesquelles elle part en expédition seule avec ses amis dans une nature aussi enthousiasmante qu’inquiétante.

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Lucie a découvert l’univers d’Anne Brouillard en préparant cet article. Et si tous les titres qu’elle a lus ne l’ont pas enthousiasmée, Les aventuriers du soir l’ont définitivement séduite. Voici pourquoi :

Les aventuriers du soir, Anne Brouillard, Les éditions des éléphants, 2015.

1 – Pour ce cocon de feuilles qui entoure le personnage dès la couverture.
2 – Parce que Gaspard dans sa cabane renvoie immédiatement les lecteurs qui ont la chance d’en avoir (eu) une à leurs souvenirs d’enfance,
3 – Et que se raconter des histoires à l’abri des regards adultes est l’un des privilège des enfants.
4 – Parce qu’observer ses parents à distance raisonnable (du haut d’un arbre par exemple !) est le premier pas vers l’indépendance,
5 – Mais que la maison familiale éclairée est un phare dans le noir.
6 – Parce que chaque imprévu est intégré à l’histoire que l’enfant se raconte, magie de l’imagination !
7 – Parce que les illustrations d’Anne Brouillard sont empruntes de douceur,
8 – Et qu’elles évoquent à merveille ce petit blues de la nuit qui tombe,
9 – Au point qu’on en ressent presque les douces odeurs et le petit air frais grâce à ses illustrations.
10 – Parce que cet album sent les vacances d’enfance à plein nez.

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En préparant les vacances d’été au bord du lac de Côme, Colette avait préparé une petite sélection de livres ayant un lac comme cadre géographique. C’est à cette occasion qu’elle découvrit De l’autre côté du lac.

De l’autre côté du lac, Anne Brouillard, Le Sorbier, 2011.

Alors toute la famille vous le recommande :

  1. pour cette manière si poétique qu’a l’autrice de chanter les aventures minuscules, celles qui nous attendent à chaque coin de nature chérie et qu’il suffit d’un peu d’audace et d’imagination pour tenter.
  2. pour ces beaux liens qui unissent les adultes et les enfants, hors du cadre de la famille triangulaire, ici entre Tante Nadège et Lucie.
  3. parce que Tante Nadège est la première à vouloir partir explorer l’autre côté du lac, parce qu’elle encourage Lucie, parce qu’elle prend le temps.
  4. parce que les animaux sont des personnages à part entière, doués de parole, membres à part entière de la famille ou du clan, forces de proposition, soutiens inconditionnels.
  5. parce qu’Anne Brouillard y dépeint aussi bien la chaleur d’un intérieur modeste mais généreux qu’une nature immense et sereine. Dans cet album se jouent d’intrigants allers-retours entre les maisons isolées à l’orée de la forêt et le lac qui les sépare.
  6. parce que l’alternance des vignettes, et des double pages muettes, crée un rythme de lecture tout particulier, surtout si on goûte cet album à voix haute. Y règne une certaine lenteur. D’ailleurs n’est-ce pas une particularité des albums de cette artiste, faire l’éloge lumineux de la lenteur ?
  7. parce que la nature y est sublimée à chaque page, dans les moindres détails, les oiseaux, les reflets de l’eau, les troncs noueux des arbres, les lueurs orangés du soleil couchant.
  8. parce qu’il y est question de pique-nique de l’autre côté du lac et que vraiment nous adorons les pique-niques au bord de l’eau !
  9. parce qu’il y est aussi question de rencontre, d’amitié naissante, de l’autre, d’abord étranger puis apprivoisé.
  10. parce qu’à chaque fois que nous lisons un album d’Anne Brouillard c’est un peu comme si nous nous offrions une parenthèse hors du monde, de son bruit, de sa fureur. Et c’est une sensation très agréable !

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Et vous quel est votre livre préféré d’Anne Brouillard ?

De case en case, jouer le « je » – Une sélection de BD autobiographiques.

Commencer l’année avec des BD, c’est ce que le Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême propose chaque année aux amatrices et aux amateurs de ce genre littéraire si particulier ! Cette année le festival fêtait ses 50 ans ! 50 ans de bulles, de vignettes, de phylactères, de planches et d’onomatopées ! C’est l’occasion pour nous de regarder ce genre à travers un prisme un peu particulier : celui de la BD autobiographique. Car des autrices et des auteurs qui ont choisi de se raconter au fil des cases, il y en a de plus en plus. On y retrouve des récits d’enfance, des histoires d’héritages, des journaux intimes, mais aussi des témoignages historiques ou autres confidences amoureuses. Un genre foisonnant dont on vous présente aujourd’hui nos titres préférés !

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Colette vous présente un premier titre, découvert à Angoulême en 2008, dont le titre est particulièrement énigmatique : Ma maman est en Amérique,elle a rencontré Buffalo Bill écrit par Jean Régnaud et Emile Bravo. On y suit une année scolaire dans la vie de Jean qui vient de rentrer au CP dans une petite ville du Périgord. On découvre au fil des pages le quotidien de Jean, ses jeux avec son petit frère, Paul, les jolis rituels de sa gouvernante Yvette et les traits tirés et tellement sérieux de son papa. On y découvre aussi sa voisine, Michèle, de deux ans plus âgée que lui, qui vient égayer ses longs après-midis libres en lui lisant notamment les cartes postales que la maman de Jean lui envoie des quatre coins du monde. Mais pourquoi la maman de Jean écrit-elle à Michèle au lieu de lui écrire à lui et à son frère, Paul ? Voilà tout le mystère de ce merveilleux récit d’enfance, raconté du point de vue d’un petit homme de 7 ans qui cette année-là va faire de terribles découvertes. Si l’on retrouve de nombreuses caractéristiques du récit autobiographiques, les choix narratifs ici sont particulièrement ingénieux car rien ne nous avertit que ce texte est le récit de l’enfance de Jean Régnaud : l’auteur en effet choisit de raconter son histoire du point de vue de l’enfant et non de l’adulte qui porterait sur sa vie un regard rétrospectif. Ce qui en fait une BD accessible des plus jeunes lecteurs et lectrices tout en donnant du grain à moudre aux plus grand.e.s.

Ma Maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill,
Jean Regnaud et Emile Bravo, Gallimard 2007.

Cette BD a été adaptée en film d’animation en 2013 par Marc Boréal et Thibaut Châtel. Une petite merveille qui offre une autre vision de ce récit d’enfance.

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Pour les plus grand.e.s, Colette propose la lecture de Goupil ou face de Lou Lubie. L’autrice y raconte comment, adolescente, elle a découvert, après de longues phases de questionnements et d’errances thérapeutiques, qu’elle souffrait d’un trouble psychologique : la cyclothymie. Ce qui est formidable dans ce récit autobiographique, c’est que Lou Lubie nous livre un nombre incroyable d’informations sur ce trouble tout en nous confiant tout ce qu’elle a testé pour vivre avec. L’allégorie qu’elle choisit pour représenter sa maladie est vraiment judicieuse car elle permet de mettre un visage sur son trouble, une image qui sans nul doute lui a permis de s’apprivoiser elle-même. Et au delà de ce récit accès sur la psychologie de son autrice, c’est aussi son processus créatif que l’autrice nous dévoile et c’est toujours jubilatoire car Lou Lubie manie avec une véritable grâce le sarcasme et l’humour noir !

Goupil ou face, Lou Lubie, Delcourt, 2021.

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Nowhere Girl est sans doute la BD autobiographique qui a le plus touché Isabelle et ses moussaillons. La sincérité avec laquelle Magali Le Huche raconte la dureté de son quotidien de collégienne qui voulait pourtant tellement bien faire, son malaise face à l’enfance qui s’étiole, aux interpellations cassantes et au conformisme de la cour… Le propos sonne juste, nombre de nowhere people s’y reconnaîtront. Les « images » sont très parlantes aussi : ce fardeau de plus en plus lourd sur le dos ; le groupe qui s’estompe lorsque la solitude se referme sur Magali. Heureusement, il y a les Beatles et leur Ticket to Ride vers une bulle en apesanteur, éclaboussée de couleurs chatoyantes, où l’insouciance règne en maître et tout semble possible ! Mais n’allez pas imaginer qu’il s’agit d’une lecture pesante, c’est au contraire un album plein de fraîcheur. Le charme des années 1990 – doudounes Chevignon, Minitel, horloge en forme de montre XXL au mur, Bruel et Nirvana dans le top 50 –, le tempérament pour le moins entier de la narratrice et sa passion anachronique pour les Beatles sont réjouissants. Et quel réconfort on trouve dans l’amitié d’Agathe et l’amour, même maladroit, de sa famille – All you Need is Love – mais aussi et surtout dans l’exploration de mondes imaginaires qui n’appartiennent qu’à soi, auxquelles de magnifiques explosions de couleurs rendent hommage. Strawberry Fields Forever ! Une BD lumineuse et pleine d’inventivité.

Nowhere Girl, Magali LeHuche, Dargaud, 2021.

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Vera a neuf ans quand elle part pour la première fois en colonie de vacances. D’origine russe, elle peine à trouver sa place dans la communauté américaine aussi espère-t-elle que ce camp spécial pour enfants russes lui permettra d’avoir plein de choses à raconter et ainsi se faire des amis dans son école.
En se plongeant dans les souvenirs de son enfance, Vera Brosgol aborde la difficulté de trouver sa place lorsque l’on se sent différent. De son propre aveu, elle compile ici les événements qui l’ont marqué durant les deux étés qu’elle a passé dans ce camp de vacances, enrichis des souvenirs de son frère. Cela donne une aventure pleine d’humour et de situations cocasses qui ne manqueront pas de rappeler à ceux qui ont connu les colonies de bons et de moins bons moments. Au delà de l’humour, l’auteure aborde aussi avec justesse la solitude et l’exclusion. 

Un été d’enfer de Vera Brosgol, Rue de Sèvres, 2019.

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Pour ne pas complétement oublier que parfois c’est compliqué d’être ado, Liraloin a suivi les aventures de trois amies.

Emma est en 5ème, vit avec son papa et ses meilleures amies sont Bao et Linnéa. Après l’été, c’est l’heure de la rentrée et les trois jeunes filles aiment se retrouver pour jouer dans la forêt. Mais changement de plan pour Linnéa qui décide, soudainement, de retourner au collège sans donner d’explication à ses amies. Un peu plus tard, Linnéa avoue sortir avec un garçon. Et là, c’est parti, Emma se pose des questions sur elle : « EN TOUT CAS, il me faut un PLAN si je ne veux pas être la seule à ne pas être amoureuse ! » tandis que Bao ne comprend pas du tout le changement d’intérêt de son amie Linnéa.

Il est l’heure de se poser des questions. Trois amies unies et l’adolescence qui commence à pointer le bout de son nez. Sous forme de journal, Emma va se confier sur ses relations avec Bao, Linnéa mais aussi Mariam. Elle va essayer de comprendre pourquoi elle-même commence à changer.

Cette histoire est douce. Sa tendresse est contagieuse et emporte le jeune lecteur dans une vie d’ado aux sentiments perturbés : « Je vais arrêter d’être une gamine et commencer à être une ado. » ce qui, en soi, ne se commande pas et peut s’avérer plus compliqué que prévu. Une BD aux problématiques adolescentes menée de façon positive.

L’année où je suis devenue ado, Nora Dasnes, Casterman, 2021

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Et parce qu’être ado dans une famille recomposée est une réelle aventure, Liraloin s’est pris d’amitié pour Jen.

Jen aime dessiner, consigner dans un carnet à spirale des instants de sa vie surtout qu’en ce moment : le changement c’est maintenant visiblement !
Fini la vie new Yorkaise et welcome à la ferme Petit Pois. Alors, entre sa nouvelle vie à la campagne, à ne pas échapper aux corvées et supporter son beau-père, Jen a dû mal à trouver sa place. Son père lui manque et dorénavant il lui faut même partager sa chambre un week-end sur deux avec les deux filles de son beau-père. Vous ne trouvez pas que tous ces évènements peuvent faire beaucoup pour une seule petite fille ? De plus, à cet âge on ne peut pas dire que la confiance soit au rendez-vous. Dans cette autobiographie, l’autrice nous livre son histoire et ses difficultés pour totalement s’adapter.

La Ferme Petit Pois : la nouvelle vie de Jen de Lucy Knisley, Gallimard BD, 2021

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« En somme, je vais parler de ceux que j’aimais »

Albert Camus dans une note au sujet du Premier homme.

Plus qu’une BD autobiographique, Le premier homme est l’adaptation d’un roman largement autobiographique d’Albert Camus par Jacques Ferrandez. L’auteur y évoque ses premières années en Algérie entre sa mère et sa grand-mère, sa rencontre décisive avec monsieur Germain (modèle de tous les instituteurs) et son cheminement jusqu’à Paris et la reconnaissance.
Les thèmes sont forts : recherche des origines, amour filial, poids de la pauvreté, éducation, et cette Algérie si chère à Camus. C’est aussi l’occasion de (re)découvrir certains aspects de la colonisation.
Le personnage déambule dans son histoire, entre passé et présent sans que le lecteur ne s’y perde. Alors que les souvenirs assaillent le narrateur, Jacques Ferrandez multiplie les astuces pour que le récit reste fluide grâce à l’utilisation des couleurs et aux interventions de Jessica.

Le premier homme, Jacques Ferrandez d’après Albert Camus, Gallimard, 2017.

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Très grande fan du travail de David Sala il était tout naturel que Liraloin puisse évoquer cette BD coup de coeur !

En se rendant à l’hôpital où son grand-père est soigné, une maman raconte à son fils, encore très jeune, le passé de cet homme. Un homme né au sud de l’Espagne, engagé mais forcé de s’échapper pour ne pas sombrer sous le régime franquiste.  Un homme vieillissant et malade, refusant de mourir avant son bourreau : Franco. De repas de famille en visites d’amis, David apprendra les détails concernant la captivité de son grand-père maternel mais aussi le passé de résistant de son autre grand-père. Comment grandit-on dans une famille où les figures paternelles héroïques sont si présentes dans l’esprit d’un petit garçon ? 

Il y a un très grand respect et de la douceur dans le travail de David Sala. A travers cette vie de petit garçon et plus tard de jeune adulte et d’homme, ce dernier nous plonge dans une intimité douloureuse mais en même temps lumineuse.  Les passages évoquant la vie héroïque des deux grands-pères sont sublimes. Leur envol respectif permet au lecteur de respirer et à la fois de s’immerger dans ce passé si glauque. La guerre, fil conducteur de cette BD, nous rappelle à notre devoir de mémoire et de transmission. Elle nous démontre également la force des liens familiaux peu importe son histoire et ses engagements. Une BD émouvante et d’une sensibilité rare.

Le poids des héros, David Sala, Casterman, 2022

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Dans L’Arabe du Futur, le célèbre auteur Riad Sattouf nous raconte ses origines et son éducation entre poids des traditions et double culture. Cette série en six volumes est d’autant plus intéressante qu’on y découvre un contexte historique fort, le petit Riad ayant passé une partie de son enfance dans la Lybie de Kadhafi et la Syrie d’Hazed Al-Assad dont l’auteur nous montre l’influence sur sa famille, notamment sur son père qui souhaite que son fils soit éduqué dans le culte des grands dictateurs. Le retour en France et la séparation de ses parents lui offriront une nouvelle liberté et allégeront en partie le récit qui reste drôle même dans les périodes difficiles…

L’Arabe du futur, série en 6 tomes, Riad Sattouf, Allary, 2014 à 2023.

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Aux Etats-Unis, depuis 1986, le mois de février est déclaré « National Black History Month » afin de (re)connaître, transmettre, se rappeler et représenter l’Histoire des Noirs au sein de leur (vaste) pays. C’est dans ce cadre que Blandine a découvert John Lewis avec la trilogie Wake Up America, qu’il a signée avec Andrew Aydin (son attaché parlementaire en communication) et Nate Powell. John Lewis était député et démocrate, ancien membre du Congrès et des « Big Six » dont faisait notamment partie Martin Luther King. Tout comme ce dernier, John Lewis prononça un discours lors de la Marche sur Washington le 28 août 1963. Il est décédé en juillet 2020.

Wake Up America. John LEWIS, Andrew AYDIN et Nate POWELL. Rue de Sèvres, Intégrale éditée en août 2021

Cette trilogie, parue intégralement en 2021, retrace une partie de la vie de John Lewis, entre 1940 et 1965, lorsqu’il prit pleinement conscience de la ségrégation et des différences de vie pour les Noirs entre les Etats du Sud et ceux du Nord. Il décrit son engagement dans la Lutte pour les Droits Civiques des Noirs en en retraçant les évènements et en présentant les grandes figures du Mouvement. Bien que se terminant en 1965 avec le Civil Rights Act et les Voting Rights Act, cet album, aussi passionnant que riche, est toujours d’une brûlante et délicate actualité.

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Damien. L’empreinte du vent. Gérard JANICHON et Vincent. Vents d’Ouest / Glénat, 2022

Avec cette BD, Gérard Janichon nous raconte l’aventure incroyable qu’il a vécue avec Jérôme Poncet à bord du Damien, voilier en bois de 10 mètres, dans les années 1970.

Adolescents grenoblois, ils ne connaissent rien à la mer, aux bateaux et pourtant, leur vient l’idée folle de faire le Tour du Monde en voilier. En cinq ans, ils se donnent les moyens financiers et matériels d’accéder à leur rêve et c’est ainsi qu’ils partent de La Rochelle en mai 1969, pour y revenir en septembre 1973. Durant ce laps de temps, ils ont subi le froid, la chaleur, le manque de vent, des tempêtes, ils ont vu des paysages magnifiques, ont eu des frayeurs angoissantes, ils ont fait des rencontres improbables ou des retrouvailles festives, franchi des Caps, dû renoncer ou bien triomphé!

Au fil de flashbacks, moments phares et dessins immersifs à l’aquarelle, leur initiation devient la nôtre et nous permet de ressentir toutes les émotions fortes et contraires, les questionnements existentiels ou ordinaires, qui les ont étreints durant ce voyage initiatique, ce voyage d’une vie !

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Dans le même esprit, Maxime de Lisle nous raconte le voyage essentiel qu’il a vécu avec ses amis, organisant une expédition en kayak pour découvrir le Passage intérieur, qui s’étend au-delà de l’Alaska jusqu’en Colombie Britannique, au Canada. Si leur objectif avoué est de voir des baleines et des ours, les trois hommes vont pourtant aller à la rencontre de leur moi intérieur et revenir transformés.

Le Passage Intérieur – Voyage essentiel en Alsaka est aussi un guide pratique à destination de tous ceux qui souhaiteraient entreprendre l’aventure. Avec ses pages informatives, la bande dessinée prend aussi la forme d’un carnet de voyage superbement illustré. Bach Mai a un trait réaliste qui semble poser sur le papier visages expressifs et paysages à couper le souffle comme s’il captait l’instant présent et le photographiait. Le choix d’utiliser le noir et blanc ponctué de couleurs renforce l’impression de journal intime tenu au jour le jour, illustré d’aquarelles à l’image de la faune et de la flore locale, de photographies et agrémenté de notes pratiques et de citations d’auteurs. Cela procure un sentiment d’intimité qui captive et entraîne dans l’immensité des paysages, desquels l’illustrateur retranscrit toute la beauté dans ces pages.

Ce voyage au bout du monde civilisé amène une réflexion écologique forte lorsque les comparses découvrent que la main de l’homme se tend aussi loin que possible, dénaturant les grandes forêts dans les coins les plus reculés et provoquant inévitablement un bouleversement des écosystèmes. Le réchauffement climatique, visible dans des lieux encore sauvage, interroge les hommes qui, soucieux de sauver ce qui peut encore l’être, en oublieraient presque le froid, la fin et la fatigue auxquels ils s’exposent par ce voyage aux limites du monde et d’eux-mêmes.

Le Passage IntérieurVoyage essentiel en Alaska, Maxime de Lisle & Bach Mai, Delcourt, 2022.

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Et vous, quelles BD autobiographiques avez-vous particulièrement aimées ?

Lecture commune : Le Nuage de Louise

Certaines lectures se lisent et se relisent à l’infini parce qu’elles sont si riches, si pleines de détails et de sens, qu’il nous reste toujours quelque chose à découvrir. Ces livres-là offrent toujours un support particulièrement stimulant pour un échange avec d’autres lecteurs chez qui leurs pages auront souvent résonné différemment. C’est ce que s’est dit Isabelle en lisant le dernier titre des frères Fan. Ces auteurs-illustrateurs canadiens ont décidément le secret pour déployer un univers un peu magique qui ne semble appartenir qu’à eux où se jouent de fabuleuses histoires qui provoquent, de façon très subtile, des questionnements philosophiques. Leur dernier titre, Le Nuage de Louise, raconte l’adoption… d’un nuage. Nous avons eu envie d’échanger nos impressions. Nous espérons que l’intensité de nos échanges témoigne de la richesse de cet album !

Le Nuage de Louise - Little Urban
Le nuage de Louise, The Fan Brothers, Little Urban, 2022.

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Isabelle : À la maison, chaque année, nous ne faisons ni une ni deux quand sort le nouvel album des Frères Fan. Il faut croire que nous sommes… fan ! Et vous, aviez-vous déjà eu l’occasion de lire ces artistes canadiens ?

Lucie : Pas du tout, je les découvre grâce à toi. Et j’aime ! Leur univers graphique (en tout cas ce que j’avais pu en voir sur internet) m’attire beaucoup.

Blandine : J’avais beaucoup entendu parler de leurs albums, mais sans en avoir lus jusqu’à présent. Alors que je savais que tout était réuni pour me plaire : les thèmes, les illustrations, les objets-livres.

Colette : Pour ma part, je connaissais leur travail grâce à mes arbronautes préférées ! En effet suite à ton article, Isabelle, sur Le Projet Barnabus, je l’avais offert à mon Petit-Pilote-de-Trottinette pour un de ses mois-siversaires ! Il avait adoré cet univers étrange et foisonnant, peuplé de créatures fantastiques.

Isabelle : Cet album nous plonge dans une atmosphère très particulière. Comment la décririez-vous ?

Colette : Dès la deuxième de couverture, nous faisons un saut dans le passé avec ce mur tapissé de jolis cadres dorés aux formes variés et ces photos en noir et blanc. Et nous sommes tout de suite interpellés par ces portraits d’animaux, de fleurs ou de… nuages !

Isabelle : Je suis contente que tu parles de cette couverture intérieure, Colette : c’est quelque chose qui donne tout de suite le ton, je trouve. Un décor à l’ancienne, victorien peut-être, mais aussi plein de fantaisie et de poésie avec les motifs que tu évoques : crocodile, baleine, nuage !

Lucie : On retrouve effectivement quelque chose de « passé » dès la page suivante avec des montgolfières, un orgue de barbarie, un théâtre de guignol… Il est difficile de déterminer l’époque à laquelle se déroule cette histoire.

Colette : L’album semble se situer dans un entre-deux, entre réel et imaginaire.

Blandine : Tout à fait d’accord. Entre passé et présent aussi.

Lucie : J’ai trouvé les couleurs, les dessins – et donc l’atmosphère – très doux. C’est l’utilisation des couleurs qui m’a le plus interpellée.

Blandine : C’est beau ! Les dessins, en différents ton de gris, sont sublimes. Ils ont un indéniable charme désuet, entretenu par les différents éléments qui nous transportent dans l’époque mal définie dont vous parliez, avec la Rolls-Royce, le grand-Bi, les devantures des magasins aux métiers d’antan, le charme du parc avec son carrousel… Et ce jaune, disséminé çà et là, par petites touches, qui questionne. Le jaune est pour moi une couleur « triste », ou plutôt faussement joyeuse, surtout lorsqu’elle est associée, comme ici, avec du gris. Je ne trouve pas la petite Louise heureuse. C’est donc un sentiment de mélancolie (ou plus) qui m’étreint.

Isabelle : La première page de l’histoire s’ouvre justement sur un portrait de Louise dont tu viens de parler, Blandine. Comment la décririez-vous ?

Blandine : C’est une fillette de 6-7 ans, qui semble discrète, réservée, avec un sourire timide, que le jaune des bottes pourrait peut-être contredire. Notre regard est attiré par elles, que Louise s’applique à mettre. On suppose qu’elle s’apprête donc à sortir et qu’il pleut.

Lucie : Elle a un visage assez neutre. Ce sont surtout ses cheveux qui la distinguent d’autres personnages. Cette masse de boucles est adorable et fait (déjà) penser à un nuage.

Colette : Oui, une petite fille à la chevelure nuageuse et aux joues roses !

Blandine : C’est vrai pour les cheveux. Mais ça la vieillit, je trouve. Elle a un doux visage de Mamie, impression renforcée par son manteau et son prénom. Seul l’ourson en peluche sur son lit semble indiquer que nous sommes dans sa chambre, car le reste, le papier peint, et surtout les plantes et fleurs, ça ne fait pas très enfantin. Mais elles dénotent une grande sensibilité, d’autant qu’il y en a beaucoup et de multiples sortes.

Isabelle : Le décor désuet découle de l’époque choisie, peut-être l’époque victorienne ? À cette époque, les chambres d’enfant étaient différentes de celles d’aujourd’hui. Cette impression d’ancienneté est renforcée par le recours au noir et blanc. 

Blandine : Différentes certes, car il y avait beaucoup de nursery, surtout si on reste dans cette impression d’époque victorienne, mais elles étaient tout de même « enfantines ». Cette chambre me renvoie à celle de Miss Charity (livre de Marie-Aude Murail) et ces plantes montrent combien Louise est sensible et aime prendre soin de l’Autre. L’adoption du nuage est en ce sens logique. 

Isabelle : Je ne dirais pas qu’elle paraît vieille. C’est une petite fille aérienne, calme et sérieuse, certainement un peu timide comme vous l’avez dit. Je me suis dit que l’aspect mousseux de sa chevelure pouvait être le reflet de la personnalité de Louise qui a littéralement la tête dans les nuages… 

Colette : Comme Blandine, je parlerai de nostalgie pour décrire son visage, son regard qui regarde le ciel et son petit poing serré. Et c’est surtout l’absence de sourire qui me touche.

Isabelle : Avez-vous envie de raconter ce qui lui arrive ?

Colette : C’est un samedi comme les autres en apparences : Louise se prépare à faire une promenade avec ses parents.

Lucie : En arrivant au parc, elle se rend immédiatement vers le marchand de nuages. Et on bascule avec elle dans le merveilleux. Car avec Louise, on peut acheter des nuages comme d’autres des ballons !

Isabelle : Voilà, on retrouve l’incursion du merveilleux dans l’ambiance à la Mary Poppins dont nous parlions. Cet amas de nuages qui flotte au milieu nous a beaucoup plu. Je pense que c’est quelque chose qui parlera aux enfants qui ont souvent envie de voir des formes dans les nuages.

Lucie : Ils sont extra ces nuages ! Je ne sais pas comment les frères Fan ont fait mais ils sont incroyables de réalisme. Ce qui est essentiel pour la suite de l’album d’ailleurs.

Colette : Ces nuages en grappe, c’est un savant mélange de ballons gonflés à l’hélium comme ceux que l’on voit dans les fêtes foraines et de l’incroyable bestiaire que les enfants imaginent en regardant le ciel, allongés dans l’herbe en été ! Et ce marchand qui porte un parapluie en guise de chapeau et qui a laissé son haut de forme au sol pour l’argent de ses jeunes client.e.s, il a tout d’un étrange magicien !

Isabelle : J’ai trouvé aussi qu’il y a quelque chose de véritablement magique au moment où Louise fait l’acquisition de son nuage. Les personnages semblent flotter dans une dimension surréaliste, la double-page est presque cinématographique : les pièces tombent dans le haut de forme, quelque chose bascule au moment où le marchand tend à Louise la ficelle de son nuage puis elle le contemple avec un sentiment de félicité qui déploie un bel arc en ciel au-dessus d’elle. C’est beau.

Blandine : L’achat de nuages semble être quelque chose de commun, mais passé de mode, comme on l’apprend. Comme si c’était normal, banal. C’est pour nous que c’est merveilleux.

Colette : Si le marchand a des nuages aux formes fantastiques, ce que veut Louise, c’est un nuage ordinaire. Un nuage à apprivoiser et à aimer.

Blandine : Le terme « ordinaire » pour qualifier le nuage que désire Louise me semble vraiment important et révélateur quant à Louise et son environnement.

Isabelle : Tu m’intrigues Blandine, qu’est-ce que cela révèle d’après toi ?

Blandine : Quel enfant veut de l’ordinaire ? On les voit qui s’inventent des histoires merveilleuses, pleines d’aventures et de périples, entre amis réels ou imaginaires, qui s’enthousiasment de récits magiques, de contes, de fantaisies… On devine que le niveau social de la famille est assez élevé pour qu’elle puisse en théorie avoir accès à tout cela par des livres, des jeux, des sorties, etc. Mais pourtant, cela ne semble pas être le cas. Est-ce que la vie de Louise est trop « originale » (sa maman porte dans son sac des fleurs comme nous nos livres), la voudrait-elle donc plus banale ? Ou son mal-être est si banal qu’elle ne veut que de l’ »ordinaire » ? Ce choix de mot ne peut pas être anodin.

Le nuage de Louise, des frères Fan (Little Urban, 2022) – L'île aux trésors  – Lectures et aventures du soir

Isabelle : Prendre soin d’un nuage domestique, cela s’avère plus complexe qu’il y paraît à première vue, n’est-ce pas ?

Lucie : Oh oui ! J’adore le document des conseils pour prendre soin de son nuage. Notamment la décharge en cas de dégât des eaux ! Dans cet album, non seulement tu peux acheter un nuage, mais en plus tu peux en quelque sorte l’apprivoiser. J’aime beaucoup cette idée.

Colette : J’ai moi aussi adoré ce moment où on passe en vision subjective dans l’album ! Cette grande feuille jaune et cette liste de recommandations fantaisistes jouent de l’animalisation de cet étrange compagnon. Un compagnon dont il faut prendre grand soin car visiblement ses réactions peuvent être surprenantes !

Isabelle : Ça n’a pas l’air évident, ce petit nuage, il va falloir l’aimer et le choyer, mais prendre garde à ne pas l’opprimer.

Blandine : Cette liste de recommandation/mode d’emploi est géniale car elle révèle qu’il s’agit d’un « être vivant » – on comprend qu’il a des émotions – et dont il faut prendre soin. J’aime beaucoup les nuages qui y sont dessinés, des nuages venus d’ailleurs (peut-être d’Asie ?). Cela explique la nécessité de cette notice et la remarque selon laquelle les nuages seraient « un peu passé de mode ».

Isabelle : Je suis contente que tu en parles, Blandine, parce que ça m’a interpellée aussi. On a l’impression que le nuage est un être vivant qui demande des soins mais en même temps, le « passé de mode » évoquerait plutôt une marchandise. J’y ai vu un parallèle avec les animaux sauvages ou de compagnie qui font l’objet de commerces et sont malheureusement trop souvent traités comme des choses qui peuvent être « à la mode » ou « passées de mode ». Quoiqu’il en soit, on comprend que Louise est animée des meilleures intentions et qu’elle prend ces recommandations très au sérieux ! 

Qu’avez-vous ressenti en voyant la petite fille s’occuper de son nuage ?

Blandine : Elle est très appliquée. Elle suit bien les recommandations et on sent qu’elle aime son nuage. 

Lucie : Oui, elle prend son rôle très au sérieux, comme elle le ferait pour un animal domestique. Elle a à coeur de bien faire et ses bons soins vont permettre au nuage de s’épanouir et de grossir. Milo devient un membre à part entière de la famille, il a d’ailleurs son portrait sur le mur.

Blandine : Comme les autres membres de la famille, ainsi qu’un crocodile – un clin d’œil au caïman de María Eugenia Manrique ? – album découvert grâce à toi Isabelle ! – D’ailleurs, ce crocodile, on ne le voit pas dans les pages. Était-il le précédent animal domestique, pour revenir sur ton propos très intéressant sur la commercialisation des êtres vivants, Isabelle ? Louise est-elle triste suite à son décès ?

Isabelle : J’ai eu l’impression que Louise changeait au contact de son nuage. Elle semble s’épanouir en prenant soin de lui, puis les choses deviennent plus compliquées mais elle semble grandir sous le poids des responsabilités.

Colette : J’ai vraiment perçu ses attentions comme celles d’une enfant qui a la responsabilité de s’occuper d’un animal : le nourrir, le sortir, l’emmener en vacances. Jusqu’au jour où l’animal devient trop envahissant et empêche l’enfant de vivre normalement.

Blandine : Je trouve à Louise un air apaisé, puis désemparé lorsque le nuage ne va pas bien. Elle s’inquiète réellement et cherche la solution pour l’aider. Et même après le « dégât », elle ne lui en veut pas. Dans le paragraphe qui explique cela, le mot « remords » apparaît deux fois. C’est un mot lourd de sens. Louise est responsable au sens positif du terme !

Colette : J’ai eu l’impression que Louise ressentait plus de choses, que sa sensibilité se développait au contact de Milo, qu’elle était désormais capable d’apprécier « l’arc-en-ciel » des émotions !

Blandine : Cette couleur rosée, comme une aube naissante, qui colore les dernières pages de l’album est aussi belle que symbolique. Comme ce pigeon/colombe qui s’envole en même temps que le nuage. Louise semble faire la paix avec elle-même.

Colette : Ces pages où la couleur rose envahit le ciel sont surprenantes. On y sent la portée symbolique mais sans complètement la comprendre. Pour une fois, Louise est entourée par le ciel, par la couleur, l’angle de vue change au fil des pages, « la caméra » s’éloigne de Louise pour embrasser les toits de cette ville coincée entre deux époques, et l’enfant fait partie du paysage, elle n’est plus au premier plan comme si elle faisait enfin partie du monde, qu’elle y avait trouvé sa place.

Blandine : J’ai eu ce même sentiment. Comme une renaissance, un regard nouveau sur le monde et elle-même.

Isabelle : L’histoire de Louise semble lourde de symboles mais elle m’a semblé polysémique. Comment l’avez-vous interprétée ? De quoi nous parle-t-elle d’après vous ?

Lucie : Pour moi cette histoire parle d’amour. L’amour que l’on a pour ses proches, pour ses enfants, qui nécessite de leur laisser de la liberté, de l’espace, et la possibilité de prendre leur envol. Elle m’a fait penser à L’amour lapin de Marie-France Zerolo, qui aborde le sujet de manière similaire.

Colette : Il est certain que cette histoire parle de liens, de liens que l’on peut tisser enfant avec un autre que nous : cet autre peut être un animal, notre imaginaire, notre désir d’évasion, un rêve… Quelque chose que l’on doit entretenir chaque jour pour qu’il se réalise. Sans avoir besoin de parler. C’est un des aspects du lien entre Louise et son nuage qui m’a le plus touchée : ils ne se parlent pas.

Blandine : C’est exactement cela. Louise est sensible, mais elle est surtout empathique. Elle sait, comprend, agit.

Lucie : Et elle est donc capable de créer un lien même sans parler. Un lien d’amour qui lui permet de s’épanouir et de grandir en même temps que son nuage.

Isabelle : J’aime aussi cette lecture-là ! Le petit nuage pourrait être un compagnon ou un monde imaginaire comme ceux dont on a tant besoin enfant. En grandissant, on se confronte à certaines réalités et cela nous force à lâcher prise sur une partie de cette vie imaginaire. Cela peut nous laisser un ressenti doux-amer comme celui qui est décrit dans l’album.

Colette : J’aime bien l’idée que c’est son enfance que Louise laisse partir avec Milo… Enfance à laquelle elle repense avec tendresse, et qu’elle salue « juste au cas où ».

Lucie : J’aime aussi beaucoup cette interprétation.

Blandine : Pour moi, dès le début, il est question de dépression. Le terme est peut-être un peu fort ici – même si les enfants peuvent malheureusement en être atteints. Ce nuage, c’est la concrétisation, l’allégorie de ce mal-être disons, à la fois, banal, « ordinaire », et si intime, si terrible. Cette impression est renforcée par le choix des couleurs, les expressions faciales, l’absence des parents tout du long de l’album.

Lucie : Je n’ai pas du tout vu ça comme ça. C’est une idée intéressante ! Est-ce que vous aviez vu la même chose, Isabelle et Colette ?

Colette : Cet album m’a rappelé Marcel et le nuage d’Anthony Browne dont vous savez que j’adore le travail métaphorique. Et dans cet album, le célèbre singe d’Anthony Browne est bien malheureux ! Mais contrairement à Louise, il n’a pas choisi d’être poursuivi par son nuage… C’est ce qui me gêne par conséquent dans l’interprétation du nuage allégorie de la dépression, car choisit-on sa dépression ?

Blandine : Je ne dirais pas que Louise choisit sa dépression. Bien au contraire ! Elle n’est pas poursuivie par un nuage, elle va le chercher. Par contre, elle apprend à l’apprivoiser, à le connaître, pour mieux lui dire au revoir et par conséquent, se connaître elle-même. S’accepter elle-même. Cette notice fournie avec le nuage pourrait être une notice d’elle-même, pour aller mieux même s’il peut y avoir des phases de moins bien (voir les points 4 et 5), pour ne pas se replier sur elle-même (voir le point 6). C’est ainsi que l’on « se libère » d’une dépression, en identifiant les maux, en les transformant en force.

Isabelle : On voit dans vos réponses que le message de l’album est très subtil et peut résonner différemment selon les lecteurs. C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Je l’ai relu plusieurs fois et il a fait vibrer différentes cordes à chaque fois. J’ai d’abord pensé aux animaux, surtout les animaux sauvages qui ne peuvent pas vraiment être domestiqués mais sont tout de même adoptés par des personnes qui les trouvent mignons : peut-on tout posséder ? La place d’un nuage est-elle vraiment aux côtés d’un enfant ? Ensuite, j’ai fait le parallèle avec le fait d’élever un enfant : comme le nuage, ce petit être a besoin d’être choyé mais aussi qu’un jour, on accepte qu’il vole de ses propres ailes. L’album pourrait être lu comme un livre sur la liberté. Je n’ai pas pensé au thème de la dépression dont tu parlais tout à l’heure Blandine mais en re-feuilletant l’album, cette interprétation me semble tout à fait plausible. Dans tous les cas, vue cette subtilité, ce n’est pas un album moralisateur. Il nous interroge et on peut saisir cette perche un peu selon sa sensibilité.

Colette : Il est certain qu’il est ici question de liberté entre le début de l’album et la fin. Mais de quelle liberté ? En effet l’album reste complètement ouvert aux interprétations ! C’est à la fois vertigineux et enthousiasmant !

Blandine : La liberté est effectivement le thème central, mais abordé subtilement selon plusieurs interprétations et niveaux de lectures et résonnances, sans pour autant que l’un invalide l’autre. C’est magnifique !

Isabelle : J’ai été intriguée à la lecture par le jeu sur les couleurs qui font intrusion ici et là dans le décor en nuances de gris, parfois généreusement, parfois seulement par touches. Cela m’a semblé esthétiquement très beau mais je me suis demandé : ces touches de couleur symbolisent-elles quelque chose ?

Colette : C’est une question qui m’intrigue aussi : j’ai essayé de trouver une régularité dans l’usage des couleurs mais je n’en trouve pas ! Cette couleur jaune qui revient comme une note de musique semble rythmer la narration, mais dans quel but ? Je n’ai pas trouvé d’interprétation. Il me tarde de lire les vôtres !

Lucie : Je me suis fait la même réflexion, et j’ai cherché sans succès.

Isabelle : Ce n’est pas évident. Je ne suis pas sûre non plus mais ce qui est sûr, c’est que chaque double-page a son propre dosage entre le noir et blanc qui fait penser aux vieilles photos ou gravures, mais donne aussi une touche mélancolique à l’ensemble, et des notes colorées qui peuvent être très présentes ou appliquées par toutes petites touches. Je me suis demandé si les couleurs viennent souligner ce qui retient l’attention de Louise. Les enfants sont comme ça, le monde les entoure mais ils ont une aptitude extraordinaire à filtrer et à se concentrer sur ce qui les intéresse. Donc tout au parc du début, puis la liste d’instructions… Sinon j’ai eu l’impression que le monde se colorait lorsque la relation de Louise et du nuage sont au beau fixe (la balade en ville en famille par exemple) et se décolorait quand les choses étaient plus difficiles. Et prend, comme vous l’avez dit, une teinte rosée plutôt paisible à la fin.

Blandine : Je parlais plus tôt du jaune, couleur faussement joyeuse, qui égaie tout de même ces pages en nuances de gris mais qui apportent aussi un côté précieux (par exemple au niveau des cadres de portraits) puisque seuls quelques objets sont colorisés. Et puis ce contraste avec l’extérieur de la maison, le parc est une explosion de couleurs ! Elles sont la vie. Seuls les parents de Louise sont en gris mine de plomb. Puis le jaune se fait nuances, sur d’autres objets extérieurs, puis d’autres couleurs arrivent, comme si elle les voyait/allait mieux, alors que Milo va moins bien. Et enfin ce rose dont on a parlé. Les couleurs participent à l’émancipation de Louise, par petites touches, à sa libération émotionnelle. Sa maturité si on voit l’album sous l’angle de l’enfant qui grandit et qui sait laisser partir celui qu’il aime pour son bien.

Isabelle : Mais oui, tu as raison Blandine ! Je me suis demandé pourquoi le parc était si coloré. C’est un contraste avec la maison et la sphère familiale qui sont essentiellement… grises. Les parents ne respirent pas non plus la gaieté. Ce que vous dites me conforte dans l’idée que les couleurs sont une sorte de métaphore des émotions que Louise apprivoise et auxquelles elle apprend à laisser libre-cours.

Colette : Sur l’utilisation de la couleur, je trouve que ton interprétation Isabelle est très intéressante : et c’est Milo qui apporte la couleur dans la vie de Louise notamment dans cette belle double page où « en échange » des soins que Louise lui prodigue, Milo arrose les plantes de la petite fille avec ce bel arc-en-ciel que l’on retrouve dès le début à proximité du nuage.

Lucie : D’ailleurs, la première touche de couleur est le jaune des bottes, qu’elle met probablement dans l’idée d’aller acheter un nuage puisqu’il fait beau dehors.

Colette : Bien vu, Lucie, et ce que j’ai trouvé bizarre c’est que les parents de Louise aussi avaient prévu « le coup » car sa mère va au parc abritée sous un parapluie, alors qu’il fait un temps magnifique. Contrairement à ce que vous avez pu dire au cours de l’échange, j’ai l’impression que les parents de Louise sont très présents, l’écoutent, la comprennent, l’accompagnent sur le chemin qu’elle a choisi. Jusqu’au jour où elle vit sa propre expérience solitaire de la colère de Milo et décide de le libérer. Ça, elle le fait toute seule.

Lucie : Je suis d’accord avec toi, d’autant que cela rejoint l’interprétation de Blandine selon laquelle ce nuage remplace un autre animal de compagnie (le crocodile). Pour ma part, j’ai trouvé les parents en retrait mais présents, comme s’ils laissaient la place de grandir à leur fille.

Colette : J’aime bien leur présence, discrète mais infaillible. Présents, derrière leur fille. « On est derrière toi, vas-y » semblent-ils suggérer.

Blandine : On peut aussi le voir ainsi. Je me suis dit la même chose sur ce parapluie emporté par sa maman. Mais soit ils laissent leur fille faire ses expériences par elle-même pour comprendre la vie, soit ils s’en « désintéressent ». Au final, elle est et reste seule ! Ainsi, elle comprend qu’elle n’a pas besoin des autres pour être bien, pour faire des choix. Chose pas évidente pour les empathiques.

Isabelle : Avez-vous envie de partager cet album ou de le proposer à lire ? À qui ?

Lucie : Avec tout ce que nous en avons dit, je trouve cet album approprié à partir de l’âge de raison, celui où l’on peut se projeter dans cette expérience de Louise. Cette responsabilité d’un autre être vivant, la découverte des émotions complexes, de la liberté de l’être aimé… Mais les dessins tout doux me donnent aussi envie de le lire à mes nièces de deux et trois ans !

Blandine : Nous l’avons lu avec mes garçons (11 et 13 ans) et ils ont été d’emblée saisis par le jeu des couleurs (ce fameux jaune dont on a parlé) et les nombreux détails « d’un autre temps ». Du coup, nous avons passé beaucoup de temps à « lire » et explorer les dessins, davantage que les mots. Ils ont été sensibles à la notion de liberté et au fait de laisser partir. Mon 11 ans est davantage réceptif à ce genre d’album philosophique à interprétation multiple, que son frère, plus cartésien. Il sera intéressant de le relire dans quelque temps.

Colette : Personnellement, au départ je pensais offrir Le Nuage de Louise à la fille d’une amie chère à mon cœur qui se nomme justement Louise. Mais maintenant, j’ai envie de le proposer en initiation au débat philosophique à mes élèves de 6e ! Je trouve que la pluralité des lectures permet de s’interroger sur ce que signifie grandir. Une question clé de l’adolescence ! J’ai d’ailleurs un petit élève de 11 ans qui m’a demandé la semaine dernière pourquoi on devait renoncer à la magie en grandissant. C’est un jeune homme complètement animé par les films de Walt Disney et l’univers d’Harry Potter. Il a beaucoup de mal avec le collège et retourne très souvent à l’école juste à côté pour revoir son enseignante de CM2. Je trouve que l’histoire de Louise serait une belle métaphore pour l’inciter à grandir sans renoncer à guetter la magie dans le ciel.

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Et vous, avez-vous lu Le Nuage de Louise et comment l’avez-vous interprété ? Connaissez-vous les livres des Frères Fan, lesquels avez-vous aimés ?