Lecture commune : Forêt des frères – Yukiko NORITAKE

Un grand format qui immerge
Des couleurs qui attirent
Un titre intriguant qui fait des mystères
Une couverture sereine, apaisante, sensorielle

En ses pages, une forêt, deux frères, des choix différents qui dessinent deux modes de vies, qui deviennent deux sociétés (très) différentes, qui représentent toutes deux nos réalités, aspirations, idéaux.

Des illustrations, en plongée, qui nous happent.
Un texte, lapidaire, qui nous saisit.

C’est grâce à Colette que nous avons découvert cet album qui nous a toutes conquises, marquées, interrogées. Car il ne laisse pas indifférent.
Il nous pousse à nous questionner sur notre manière de vivre en tant qu’être humain, membre d’une famille et citoyen d’un pays, du monde, de la Terre.

Ensemble, nous avons échangé nos impressions et ressentis, partagé nos émotions et points de vue sur cette lecture qui se livre petit à petit.

Forêt des Frères. Yukiko NORITAKE. Actes Sud Junior, 2020

Blandine – Première question quant à l’objet-livre : quelles ont été vos impressions premières sur le format, la couverture, les couleurs, le titre ?

Colette: J’ai tout de suite été séduite par le format incroyable de l’album. C’est d’ailleurs un des aspects du livre qu’il fallait que vous découvriez par vous-même. Un format qui souligne l’importance de la matérialité de l’objet-livre. Un format qui, je l’imagine, suggère quelque chose de l’immensité de la nature, de la forêt dont il va être question. Une immensité qui sera peut-être ici sublimée, là tristement rognée…

Liraloin: J’aime les albums à la première et quatrième de couverture parlantes. Ici, deux hommes se reposent sur une plage. À gauche une jeune femme entourée d’arbres et d’animaux. Lorsqu’on déplie la première et la quatrième de couverture pour en faire un tableau, on découvre que ces hommes viennent de la mer à bord d’un kayak. C’est un grand format d’où cette impression d’immensité dans l’image, on devine une forêt dense.

Isabelle : C’est justement ce grand format qui m’a fait forte impression. J’ai été intriguée par le titre : était-il à comprendre au sens que cette forêt était celle des frères, leur propriété ? Et par les couleurs étranges de ce paysage de forêt. Bref, cette couverture a tout suite piqué ma curiosité.

Livres d’Avril: Certains albums nécessitent un grand format. Comme l’élément principal est une forêt, il était important de montrer son immensité, tous les possibles qu’elle contient. Cette couverture m’a, moi aussi, tout de suite attirée : cette plage, ces sapins, cette eau verte… Une invitation à se poser pour découvrir cette « Forêt des frères ». Comme Isabelle, je me suis tout de suite demandé qui étaient ces « frères ».

Blandine: J’adore les albums grand format qui nous transportent en leurs pages. Le titre m’a immédiatement plu et interrogée alors même que son illustration n’augure rien du contenu.

Blandine: Que pensez-vous des illustrations intérieures ? De leur place dans la page, de leur apparente symétrie, de leurs détails et couleurs ? De l’atmosphère qu’elles dégagent?

Colette : Au départ, je ne comprenais pas trop où cet album allait me mener car les deux premières pages sont semblables, aussi bien au niveau du texte que de l’illustration. Enfin c’est ce que j’ai cru car en le relisant, je me suis rendue compte que les hommes dessinés à l’orée de la forêt étaient en fait habillés différemment : l’un de blanc et de noir, l’autre de noir et de blanc. Comme s’ils étaient le négatif l’un de l’autre. Puis dès la page suivante, des choix s’opèrent qui vont façonner le paysage, transformer cette si belle « forêt des frères ». Cet album semble raconter une histoire qui au départ est la même pour tous, mais qui au fil de nos décisions modifient en profondeur le monde. L’histoire que raconte les images semble anecdotique, celle de deux hommes anonymes, uniques, mais le texte lui, avec ses infinitifs, nous racontent une histoire universelle. Une histoire qui me chagrine, m’inquiète, l’histoire de la relation de l’Homme avec la Nature.

Liraloin: Cette vue en plongée nous incite de suite à poser notre regard sur tous les détails pour comprendre.

Isabelle : Effectivement, on voit le paysage de haut, mais dans ses détails qui sont représentés finement et de façon assez réaliste. La texture du feuillage des arbres, les vêtements des personnages, les animaux, tout cela est dessiné en détails et invite à laisser promener son regard dans cette forêt aux couleurs douces. Cela m’a fait penser aux jeux vidéo qui consistent à développer une civilisation en partant de l’âge de pierre. Leur perspective ressemble tout à fait à celle du livre et après tout, le parallèle n’est pas si absurde…

Livres d’Avril: J’ai trouvé les illustrations simples et belles, très cohérentes avec le propos de l’album. La symétrie est étonnante au début, mais on comprend rapidement que les choix vont être différents. Je rejoins Colette sur les personnages en négatif : c’est pour moi la grande qualité de cet album. Un simple regard suffit à saisir son message. Le choix du cadrage me semble important. Le lecteur est placé suffisamment loin pour avoir une vue d’ensemble, tout en ayant accès à certains détails. Cette plongée donne l’impression d’emprunter le point de vue d’un oiseau. Cela peut donner l’impression que la nature elle-même nous observe. Je n’avais pas pensé aux jeux vidéos, mais maintenant que tu le dis je suis tout à fait d’accord avec toi, Isabelle !

Blandine: J’ai tout de suite été séduite et immergée dans cette forêt partagée, dans laquelle les détails, subtils puis plus éloquents, illustrent les divergences des frères. Tout est en délicatesse et suggestion : par exemple, sur la double page de la nuit où chacun festoie avec des amis, à sa façon. À gauche, autour du feu de camp, l’obscurité et le bleu de la nuit, enveloppent les personnages. Quand, à droite, il sont « combattus » par une forte quantité de lumière, artificielle. Il y a le vert de la forêt, des arbres, naturel. Et celui, recréé, millimétré, de l’environnement urbain (dernière double page). Ce souci du détail est impressionnant! Et ton parallèle avec les jeux vidéos très pertinent, Isabelle!

Blandine: Le choix des mots, aussi concis que précis, laisse cependant place à une grande discussion/débat sur ces choix individuels, puis collectifs, jusqu’à devenir de société. Qu’en pensez-vous?

Colette : Pour moi, c’est la grande force de cet album : ce texte, concis, ciselé. Ces infinitifs qui se répondent et se contredisent. Il y a quelque chose de manichéen à présenter les choses sous cet angle mais en même temps, cela permet en un coup d’œil de percevoir ce qu’est un choix et les conséquences immédiates de ce choix.

Blandine : Je te rejoins Colette sur cette force des mots. Leur sobriété, leur polysémie, parfois une seule lettre diffère et c’est tout le message qui prend un autre sens. Ces mots, ces phrases sont-ils la transcription d’un caractère, d’une décision, la conséquence d’un choix ou « simplement » une description? Je pense qu’ils sont un peu tout cela à la fois. Le texte illustre l’image, parfois s’en éloigne, va plus loin, ou fait silence pour qu’on l’observe davantage.

Isabelle : Cela m’a semblé très fort. Avec quelques images et finalement très peu de mots, l’album donne aussi à voir comment des choix de vie qui peuvent au départ paraître infimes finissent par façonner une société dans son ensemble. Les choix différents faits par les deux frères les entraînent sur une sorte de pente, de sentier qui va les conduire vers des modes de vie radicalement opposés. C’est vraiment inspirant, même si on sait que ce ne sont pas seulement les choix individuels qui façonnent la société, mais aussi les choix collectifs et politiques. Cet album n’est absolument pas manichéen.

Liraloin : Je dirais même plus, l’Homme a le choix. Quel aurait été le destin de cette femme si elle avait choisi tel ou tel homme? Et bien Noritaki y répond parfaitement en juxtaposant ces deux destins.

Livres d’Avril : D’ailleurs, il me semble que la compagne du frère de droite s’enfuit en même temps que les animaux. Je ne la retrouve pas sur les illustrations des pages suivantes. Ce serait peut-être le seul passage manichéen parce que cela sous-entend que la décision s’est prise seul et que la femme n’y adhère pas (alors qu’on sait toutes combien beaucoup de femmes seraient ravies d’avoir une villa avec piscine au bord de l’eau, n’est-ce pas ?! – rires). Comme Colette, j’apprécie beaucoup que le texte suggère plutôt que d’insister, il est très didactique. C’est minimaliste mais très efficace. J’aime l’idée qu’un mot, une petite expression change tout. Dès « se faire une petite place » / « se faire de la place », on sent la différence de conception des deux frères, dont va découler tout le reste. Pour moi, il n’y a pas de jugement, juste deux conceptions qui s’opposent. On peut parfaitement comprendre que les enfants soient attirés par les choix du frère de droite (la grande maison, la piscine, la fête…) malgré ses effets désastreux pour la nature. Et c’est ce qui m’a plus, Yukiko Noritake n’impose pas une vérité.

Pour revenir au texte, j’ai aussi trouvé le passage « admirer le résultat » / « faire voir le résultat » très pertinent. Cela m’a renvoyée à cette mise en scène de sa vie, de son quotidien sur les réseaux sociaux notamment. Ce besoin du regard de l’autre est associé au frère de droite, alors que le frère de gauche se satisfait de son propre travail. Pareil pour « se rapprocher » / « s’entourer », cela m’a évoqué les multiples « amis » sur ces mêmes réseaux.

Blandine : Ce parallèle avec les réseaux sociaux est très intéressant, mais ne concerne pas simplement le frère de droite à mon sens. Tous, nous mettons notre vie en scène, en en exposant ou taisant certains aspects (peut-on le supposer pour le frère de gauche?). Pour autant, Il ne ressort de cette album aucune injonction pour un modèle ou un autre.

Lucie, tu as raison concernant la jeune femme de droite, elle disparaît assez vite et apparaît pour la dernière fois avec « Faire ce qu’on fait ailleurs ». Les attitudes de ces deux compagnes sont d’ailleurs fortes de sens. Le jeune homme de gauche agit de concert avec son amie, celui de droite n’en a finalement que faire (la femme serait-elle finalement qu’une consommation comme une autre?) et son attitude autocentrée me semble montrée dès le début sur la page « Penser à la suite » où il tourne le dos à la jeune femme dans une attitude presque de défi, quand elle semble catastrophée par ce comportement et ses actions. L’éditeur indique à propos des jeunes femmes : « une mystérieuse jeune fille est là pour les accueillir, symbole de l’esprit de la nature. » Cela apporterait une dimension spirituelle, ésotérique à l’album.

Isabelle : J’ai fait les mêmes associations. Mais j’ai trouvé chacune de ces oppositions interpellantes : prises ensemble, elles dessinent des systèmes. Elles permettent de prendre conscience des impensés derrière des choix qui n’apparaissent pas forcément problématiques à première vue : avoir envie de planifier, d’accumuler, de consommer… Des mécanismes au fondement du capitalisme. Mettre le doigt sur le comportement miroir met en relief ce que tout cela implique : une difficulté à vivre dans l’instant et en harmonie avec la nature, une dilution des liens et une frustration permanente qui empêche de se contenter de ce qui est là plutôt que de chercher à en faire voir une surface bien vernie. Et qui justifie de plier notre environnement à nos envies et nos humeurs du moment.

Blandine : Le mot « frère » du titre ne m’a sauté aux yeux qu’après coup. Je l’avais pris dans un sens large, celui de Frères en humanité, et non deux frères d’une même famille. Ce qui est encore plus fort et dit beaucoup de nos caractères et différences individuels alors même que nous nous pensons semblables et élevés de la même façon, parce que de la même famille.

Liraloin : Il se peut que ces deux hommes soient simplement amis, c’est mystérieux. Mais si tu fais le choix qu’ils le soient, oui, la question se pose. Une fratrie élevée avec les mêmes valeurs peut, à un moment, prendre des chemins très différents.

Isabelle : Très bonne question que je ne m’étais pas du tout posée, partant du principe que les deux protagonistes étaient des frères au sens familial. Comme tu le dis Liraloin, cela souligne qu’on a beau être frères, on peut faire des choix radicalement différents – on en revient à la responsabilité individuelle dont nous parlions précédemment. Cela m’a rappelé ces contes où des frères (ou sœurs) prennent des chemins divergents. En même temps, l’idée de fraternité a une dimension de solidarité, je trouve. Cette forêt est la leur, il me semble que ces frères devraient se sentir responsable de la préserver de façon solidaire.

Colette : Je comprends complètement cette hypothèse mais je n’ai pas lu l’album avec ce regard là. Les deux personnages masculins ne se ressemblent pas (je sais bien que ce n’est pas une condition suffisante) alors je ne les ai pas vus comme deux frères issus d’une même famille. Pour moi ce livre se lit vraiment comme un livre de philosophie et par conséquent les personnages en sont des « concepts ».

Livres d’Avril : Le résumé indique : « Au commencement, il y a deux frères : un sur chaque page. Chacun hérite de la moitié d’une forêt.  » Ce seraient donc deux frères « de sang » faisant des choix de vie radicalement différents. Comme le dit Liraloin, cela ne me semble pas si improbable. En revanche, le lien avec l’humanité est très clair : ils ont hérité d’une forêt, comme nous avons hérité de la Terre. A chacun de faire ses choix en fonction de ses convictions pour « se nourrir » ou « s’enrichir ». J’aime bien l’idée de Colette de lire cette histoire comme un conte philosophique dont les deux personnages ne seraient que des concepts. Cela invite aussi à plus de nuances : dans notre quotidien nous naviguons évidemment d’un frère à l’autre, même si nous tendons idéalement à nous rapprocher du frère de gauche !

Blandine : Je trouve le fait qu’ils soient des « frères de sang » davantage enrichissant. Nous sommes de la même famille mais nous sommes d’abord des individus indépendants avec des opinions, des choix, des actes qui nous sont propres, nous laissant rapprochés ou nous éloignant.

Blandine: Quelle a été la réaction de vos enfants?

Isabelle: Même si cet album n’est pas manichéen, mes enfants ont très vite eu envie de souligner énergiquement leur approbation des choix du frère « de gauche ».

Blandine: Mes garçons, eux aussi, ont de suite adhéré au « modèle » de gauche tout en reconnaissant que l’un et l’autre comporte avantages et inconvénients, et que la société dans laquelle nous vivons est plutôt celle de droite. Dès lors, que faire? Ils se sont beaucoup interrogés sur la manière d’allier les deux modèles plutôt que d’aller vers l’un ou l’autre.

Pour aller plus loin, découvrez les avis de BlandineLindaLivres d’Avril

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Et vous, quelles sont vos impressions sur cet album qui ne se lasse pas d’être lu, admiré, commenté, et de nos échanges? N’hésitez pas à nous les partager!

Nos coups de coeur de mars

Le printemps est arrivé. Avec l’arrivée des beaux jours, les premiers bourgeons sortent et chez A l’ombre du grand arbre, c’est aussi le moment de présenter nos coups de cœur mensuels.

 

Pour Aurélie, ce fut la fraîcheur printanière dégagée par la premières lecture d’Emile Cucherousset, dernier opus de la collection polynie et elle fut séduite aussi par le couple du roman de Sara Barnard, qui évoque la rencontre d’un ado sourd et d’une jeune fille « muette ».

Pombo courage d’Emile Cucherousset et Clémence Paldacci-Collection Polynie-Mémo éditions

Et plus si affinités de Sara Barnard chez Casterman

Lire ses avis ici et .

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Pour Sophie, le printemps est signe de zénitude et de doigts de pieds en éventail ! Elle vous propose de découvrir le dernier album de Sandra Le Guen (une ancienne branche de l’arbre) avec vos tout-petits et leurs petons sûrement aussi joueurs que ceux de cette histoire !

« Les pieds en éventail » de Sandra Le Guen et Marjorie Béal chez Les p’tits bérets.

Son avis ICI.

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Pour Bouma, c’est une lecture pleine de compassion qui a retenu son attention. Sophie Adriansen sait parler des sujets difficiles avec délicatesse et empathie. Ici, elle livre l’histoire d’une jeune fille dont le papa, malade, perd peu à peu l’usage de son corps…

Papa est en bas de Sophie Adriansen chez Nathan, 2018

Son avis ICI.

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Pour Pépita, c’est un arbre qui a fait vibrer son cœur de lectrice en mars : un album aux illustrations si délicates qu’elles constituent des tableaux à elles seules et un texte si sensible sur la transmission entre une petite fille et sa grand-mère, autour d’un secret. Autre personnage et pas des moindres : un arbre confident, immuable dans sa beauté tranquille. Et quoi de mieux qu’un arbre sous l’Ombre du Grand Arbre !

L’arbre de Sobo, de Marie sellier et Charlotte Gastaut, Réunion des Musées Nationaux

Son avis ICI

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C’est sans conteste en lisant le très bel album La balade de Koïshi d’Agnès Domergue et Cécile Hudrisier paru chez Grasset Jeunesse qu’HashtagCéline aura eu ses plus belles émotions. Au gré d’une promenade, sur le chemin de la vie, en compagnie de ce petit personnage né d’un grain de riz, elle s’est émerveillée de la douceur et de la poésie de chaque mot, de chaque illustration. Un livre-objet magnifique à offrir, à s’offrir et à faire découvrir.

La Balade de Koïshi d’Agnès Domergue illustré par Cécile Hudrisier, Grasset Jeunesse

Son avis ICI.

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Sur l’île aux trésors, le coup de cœur a été unanime pour Les sept étoiles du Nord, premier roman de l’autrice écossaise Abi Elphinstone, tout juste paru chez Gallimard Jeunesse. Une lecture qui nous transporte pour des aventures palpitantes dans un univers de glaces, de forêts boréales et de tribus qui évoque la mythologie nordique !

Son avis ICI.

 

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Souvenirs


Avant de changer d’année, des souvenirs pleins la tête, explorons quelques lectures qui nous ramènent en arrière. Voilà un thème qui traverse de nombreuses fictions jeunesse, qu’il soit seulement évoqué ou au centre de l’histoire. Entre réminiscences familiales et moments durs à digérer, ces fenêtres ouvertes sur le passé nous touchent souvent.

 

Dans Le Tiroir à histoires

June et Jo – les souvenirs de Séverine Vidal et Amélie Graux

La maison en petits cubes de Kunio Katô et Kenya Hirata

 

Lire les avis de Bouma, Sophie et de Pépita.

 

Bouche Cousue de Marion Muller-Collard

Ce récit tourne autour d’un souvenir de jeunesse qui remonte à la surface suite à un événement.

Lire l’avis de Pépita

 

 

Sur Méli-Mélo de livres

 

Le jardin des ours Fanny Ducassé. Thierry Magnier.

Quand se souvenir de ses deux grands-pères, aujourd’hui disparus, donne un album d’une rare sensibilité et aux illustrations magnifiques.

Lire aussi les avis de Céline et Sophie

 

L’armoire Anne Cortey, illustré par Claire de Gastold. Grasset jeunesse.

Une armoire, métaphore de la grand-mère disparue et dont la présence angoisse une petite fille. Quand les souvenirs rattrapent les générations qui suivent, une approche bien vue.

 

La couverture : une histoire en petits carreaux (de tissu) Isabel Minhos Martins Yara Kono. Editions Notari.

Une histoire qui sublime le souvenir, le partage, la transmission entre générations.

 

Sur les Lectures Lutines

Le Jardin de Minuit d’Edith. Editions Noctambule.
Quand un enfant partage mystérieusement les souvenirs d’une demoiselle dans un fabuleux jardin.
Lire aussi les avis de Bouma et Sophie

La belle histoire d’une Vieille Chose, de Louis Emond et Steve Adams.

Quand une voiture se souvient de ce qu’elle a été avant de n’être plus qu’une vieille chose.

 

Les bruits chez qui j’habite de Claire Cantais et Séverine Vidal.

Des souvenirs sonores que l’on goûte délicieusement. De petites portes qui s’ouvrent vers un monde de l’enfance que l’on n’a pas oublié.

 

 
A lire au Pays des Merveilles
La mémoire en blanc de Isabelle Colombat. Thierry Magnier, 2015
Quand pour se réconcilier avec sa propre histoire, Léonie se construit sur de de bouleversants souvenirs et nous oblige à (re)découvrir un épisode récent de l’Histoire du Rwanda. N’oublions pas…

Après la peine / Ahmed Kalouaz. Rouergue, 2014.

 

Un tête à tête mélancolique entre un père et son fils entre souvenirs et révélations.

Lire aussi les avis de Pépita et de Bouma.

Vide-grenier / Davide Cali, Marie Dorléans. Sarbacane, 2014
Bric à brac de souvenirs entassés dans le grenier ; il suffit de remettre le nez dans les cartons oubliés pour retomber en enfance et décidé .. de ne plus s’en séparer !
Lire aussi l’avis de Chlop.
Sur Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait Livresse
Les souvenirs, ça se construit aussi ! Ou comment transformer le malheur en bonheur ? Une belle illustration de résilience avec une galerie de personnages hauts en couleur.
Lire aussi les avis d’Alice et de Pépita.
Souvenirs de papier de Baptistine Mesange et Jessica Lisse.
Dans cet « album-souvenir », le narrateur revient sur les amis de papier qui ont peuplé son enfance : un ours en peluche à qui il a offert une partie de son cœur, une jolie poupée et son amie imaginaire, un coffret pour y glisser tous ses secrets… Un album très psychologique voire philosophique qui aborde avec beaucoup de justesse, de tendresse et une petite pointe de mélancolie le passage de l’enfance au monde adulte.
Dans Un Petit bout de Bib(liothèque)
Mon grand-père de Christine Schneider et de Gilles Rapaport.

Un livre sensible qui rappelle tous ces moments de l’enfance passés avec son grand-père, ceux qui restent malgré la disparition de l’être cher.
Lire l’avis de Pépita
Le Marchand de souvenirs de Ghislaine Biondi.
Quand on n’a pas eu de père, difficile de s’en souvenir. C’est pourtant ce que propose ce marchand de souvenirs…
Un album intemporel qui rappelle que chaque être humain est passé par mille vies avant de devenir celui que l’on connaît. Avec tout le talent de Lane Smith, en plus.
Chez La Collectionneuse de Papillons
Quelqu’un qu’on aime de Séverine Vidal.

Partir à la recherche de ses souvenirs, une quête qui n’a pas de prix, surtout quand elle permet à une jeune homme de construire le lien avec son grand-père.
Lire l’avis de Pépita
La Gigantesque petite chose de Béatrice Alemagna.
Béatrice Allemagna signe un album gigantesque pour évoquer ces moments infiniment précieux que nous chérissons tous au fond de notre mémoire.
Dans la Littérature enfantine de Chlop
 
Guirlandes de poupées, J. Donaldson R. Cobb Kaléidoscope
Entre réel et imaginaire, une fillette joue avec une guirlande de poupées. Jusqu’au moment où elles croisent une paire de ciseaux bien réels, et c’en est fini de la guirlande de poupée… Mais il reste toujours quelque chose des bons moments passés, une place attend les poupées disparues dans la mémoire de la fillette.
Dans la maison de ma grand-mèreAlice Melvin, Albin Michel jeunesse
Nous suivons une petite fille qui traverse la maison de sa grand-mère, dans la quelle chaque pièce, chaque objet, lui évoque un doux souvenir.
Lire l’avis de Pépita
Dans l’Atelier de Cœurs
Mon bison de Gaya Wisniewski chez Mémo
L’histoire d’une amitié entre une petite fille et un bison racontée par une vieille femme.
Une somme de souvenirs de Thomas Scotto et Annaviola Faresin chez Notari
L’histoire d’un homme qui décide de se séparer de ses souvenirs et qui ignore qu’ils ont aussi du sens pour les autres.
Le grenier de Mona Leuleu chez Seuil Jeunesse
Des souvenirs à découvrir à l’aide d’une torche à lumière bleue.
Mamie est partie de POG et Lili la Baleine chez Gautier Langereau
Une petite fille qui arrive à faire le deuil de sa grand-mère grâce aux souvenirs qu’elle lui rapportait de ses voyages.
Sur l’île aux trésors
Mémoire en eaux troubles de Joëlle van Hee
 
Un roman qui évoque à la fois les souvenirs de la deuxième guerre mondiale, à travers le grand-père du protagoniste, et la perte de mémoire suite à la maladie d’Alzheimer.

 

 

Bons souvenirs de 2018 !

En attendant nos coups de cœur de l’année qui vient de s’écouler, toute l’équipe A l’Ombre du Grand Arbre vous souhaite un joyeux réveillon !

Nos coups de cœur de novembre

Décembre est déjà là !

Peut-être que nos choix de coups de cœur de novembre vont-ils vous aider à emplir la hotte du Père Noël ?

En tout cas, nous l’espérons, alors les voici !

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Novembre a été un mois de lecture particulièrement intense sur l’île aux trésors. Mais le trésor du mois est sans aucune hésitation Le célèbre catalogue Walker & Dawn, de Davide Morosinotto (École des loisirs, 2018). Un régal de lecture plein de fraîcheur et d’aventures qui nous a emmené de la Louisiane à Chicago, accompagné de quatre amis aussi intrépides que sympathiques… Pour finir de vous convaincre, jetez donc aussi un œil sur l’avis de Pepita !

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Chloé, de Littérature enfantine, est à la recherche de la perfection, et l’a trouvée sous la plume de Remy Charlip.
Une journée sans contrainte, sous le signe de la complicité père fils, un véritable petit bonbon cet album. Un jour parfait, Remy Charlip, MeMo

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Pépita, de Méli-Mélo de livres, a particulièrement aimé retrouver Flora et Max dans leurs nouvelles vies, après leur folle rencontre. Il y a des romans, comme ça, on y  est bien de suite, on aimerait rencontrer les personnages, et leur dire combien ils nous ont émus. Les nouvelles vies de Flora et Max, un roman écrit à 4 mains par le couple Coline Pierré et Martin Page à l’Ecole des loisirs, collection Médium+.

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Sophie de La littérature jeunesse de Judith et Sophie est tombée (encore) sous le charme du style de Rébecca Dautremer avec son album Les riches heures de Jacominus Gainsborough publié chez Sarbacane. Avec douceur, elle y raconte la vie simple de Jacominus qui pourrait être n’importe qui d’entre nous.
« Ce fut une petite vie, vaillante et remplie. Une bonne petite vie qui a bien fait son travail.« 

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Aurélie de l’atelier a eu beaucoup de coups de cœurs ce mois-ci mais si elle ne devait n’en garder qu’un, elle  conseillerait Groléphant & t’it souris de Pierre Delye et Ronan Badel chez Didier Jeunesse. Un duo rafraîchissant autant pour les auteurs que pour les personnages.Cet album sous format BD est rempli d’humour absurde.

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Hashtagcéline vous propose de partir en voyage sur l’île de Sumatra pour y faire la connaissance d’un drôle d’orang-outan. Exotisme, fantaisie, dépaysement et grain de folie garantis !

Laurent le flamboyant, un roman de Karen Hottois illustré par Julia Woignier paru chez Memo dans la collection Petite Polynie.

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Yoko Lulu des Lectures Lutines a découvert un chouette roman de Science-fiction, avec plein de suspense et de rebondissements. La loi du dôme de Sarah Crossan aux éditions Bayard l’a convaincu sur le fait qu’il faut protéger la planète si on veut pas que cette histoire soit prémonitoire.

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Lecture Commune : Soixante-douze heures

Chers amis des livres, cette semaine nous vous proposons une lecture commune sur un roman ado qui nous a toutes émues : Soixante-douze heures de Marie-Sophie Vermot édité chez Thierry Magnier.

Nous suivons Irène, une jeune fille de 17 ans durant les 72 heures après son accouchement. C’est en effet le délai lorsqu’on décide d’accoucher sous X. Récit mêlant réalité, flashbacks et pensées, il nous a tenues en haleine jusqu’à la fin et a donné lieu à des échanges abondants. N’hésitez pas à nous faire part de vos ressentis.

Un extrait à feuilleter en ligne.

 

Aurélie : Quelles ont été vos premières impressions en regardant la couverture ?

Pépita : Celle d’une prostration, d’une grande souffrance mais aussi d’une position fœtale et d’un grand retournement intérieur.

Aurélie : Tout à fait, très touchée par la couverture avec la souffrance et la position foetale.

Colette : Je la trouve très belle ! Cette adolescente en position fœtale la tête à l’envers, entre repli sur soi et sommeil bienfaiteur, baignée de couleurs pastels, juste esquissée, vraiment je trouve ce portrait en pied très touchant… Bravo à Edith Carron pour sa délicatesse qui accompagne en douceur un titre particulièrement énigmatique.

Sophie LJ : Avec cette silhouette recroquevillée sur elle-même, je m’attendais à ce que ça parle d’un sujet autour de la psychologie de l’adolescence : le mal-être, le suicide peut-être.

Aurélie : Même de la maltraitance.

Hastagcéline : Connaissant le sujet traité dans le livre, je l’ai trouvé très belle, très parlante et tout à fait adaptée. La position du personnage dégage beaucoup de choses. Elle m’a interpellée et touchée, avant d’aller plus loin et de me lancer dans la lecture. Le mal-être; la douleur, l’isolement par rapport aux autres…

Pépita : Comme une urgence de se couper du monde, de ne plus exister même.

Isabelle : Pour ma part, je n’avais pas beaucoup entendu parler du roman et je l’ai appréhendé avec curiosité. La couverture m’a d’abord surprise par son tracé enfantin qui évoque une fille toute jeune, en position fœtale et littéralement « retournée ». Elle correspond en fait bien au roman et à Irène, prise dans un tourbillon de pensées et seule, à la charnière entre plusieurs âges et périodes de la vie… Peut-être ai-je été influencée par la quatrième de couverture, ma première impression m’a amenée à m’attendre à un roman triste.

Colette :  Et je dirai d’autant plus quand il s’agit de la grossesse d’une adolescente…

Aurélie : Aviez-vous déjà lu un roman sur cette thématique et sinon quelles ont été vos appréhensions ?

Sophie LJ : Non je n’en connais pas d’autres sur ce sujet, à ma connaissance c’est même de l’inédit dans un roman ado ! Il y en a sur l’IVG mais pas sur l’accouchement sous X. J’étais très impatiente de le lire. En tant que maman je m’attendais à être émue mais pas à ce point !

Hastagcéline : Sur le déni de grossesse, mais pas sur l’accouchement sous X.
J’ai toujours peur que cela soit trop moralisateur. On peut rapidement tomber dans certains travers. Ici, ce n’est pas le cas. L’autrice reste assez neutre, autant qu’on puisse l’être sur un tel sujet.

Isabelle : Je ne me souviens pas avoir lu de roman abordant la grossesse de très jeunes filles ou l’accouchement sous X. Spontanément, j’ai pensé que ce n’était pas facile à traiter sans tomber dans le jugement d’une manière ou d’une autre… Paradoxalement, je me suis attendue à quelque chose de plus « dramatique », avec peut-être plus de pathos, mais je n’ai pas pensé une seule seconde que j’allais être aussi touchée par cette lecture !

Aurélie : Pour moi c’était la première fois, un thème pas facile à traiter sans attirer les foudres. De même le fait de rester neutre. C’est surtout cela que j’appréhendais mais l’auteure traite ce thème avec brio : franc, impartial et apolitique, bravo.

Colette :  Jamais et même en littérature générale je n’avais rencontré ce sujet qui m’a toujours intriguée : accoucher sous x, c’est un choix qui reste très mystérieux pour moi, mais je n’y avais songé que du point de vue de l’enfant et non de la mère.

Aurélie : Colette, je n’y avais pensé aussi que de ce point de vue, à tel point que le fait d’être mère a bouleversé toute ma lecture.

Colette : Oui Aurélie, le fait d’être mère a sûrement beaucoup impacté ma lecture aussi. J’avoue que jusqu’au bout du compte à rebours j’ai espéré…

Pépita : J’en ai lu sur le déni de grossesse mais sur l’accouchement sous X, pas autant que je m’en souvienne. Je ne dirais pas appréhensions mais je savais que ce qui touche à la maternité est toujours émouvant. Ah tiens Colette, moi aussi, j’avoue : une voix intérieure disait à Irène…mais garde-le avec toi. Il a besoin de toi. Et en même temps, c’est SA décision. Jusqu’où une mère peut-elle interférer ?

Colette : Pépita, c’est d’ailleurs ma situation de mère qui m’a rendue plus sympathique la mère d’Irène qui est pourtant assez détestable ! Quelle ironie !

Aurélie : Oui moi aussi j’ai espéré et ait eu de l’empathie pour sa mère alors qu’elle est ignoble. Preuve que la réception du roman est vraiment influencée par l’âge et la situation familiale.

Isabelle : C’est drôle, j’ai eu la même réaction que vous. J’ai pensé lire un livre plutôt triste en adoptant spontanément la perspective de l’enfant et j’ai été dès les premières pages bouleversée en tant que maman. Le livre va droit au cœur en évoquant de façon juste et percutante la tendresse maternelle pour l’enfant à naître et le nouveau-né. Les dilemmes d’Irène, prise entre sa résolution d’aller jusqu’au bout de sa démarche et le tourbillon de sentiments qui la surprennent après la naissance, sont bouleversants.

 

Aurélie : En ce qui concerne la forme et le fonds, qu’avez-vous pensé de la mise en page type journal avec la date et le mélange des pensées , les souvenirs et la réalité ? 

Pépita : Cela permet au lecteur de mesurer le cheminement de ces 72 h d’une part et ensuite de mieux saisir le contexte de cette décision, contexte sexuel, familial, filial. Et puis aussi une sorte de « respiration » : de sortir de ce lieu en huis-clos, dans ce triangle décision/bébé/Irène (j’entendais les bébés vagir !). C’est très bien vu, je trouve cette construction et son écriture parfaites, comme vous le dites, jamais dans le jugement et le pathos.

Colette : Je me suis laissée happer par cette structure qui accentue le compte à rebours, le dramatise à certains moments et le délaye à d’autres, renforçant le sentiment d’urgence tout en rappelant à quel point le temps s’est étiré pour Irène qui a mûrement réfléchi avant de prendre sa décision.

Hastagcéline : J’aime beaucoup la forme « monologue ». J’ai trouvé qu’ici, elle était tout à fait pertinente puisque lorsque l’on se trouve face à un choix, on peut avoir le genre de cheminement qu’a Irène. Le passé, le présent, tout se mélange! On sent à travers cette construction tous les doutes, tous les espoirs qui secouent et habitent l’héroïne. Je crois qu’un récit plus classique aurait peut-être été moins percutant.

Colette : Ce monologue nous permet de devenir Irène et de ne jamais sombrer dans la morale comme vous l’avez déjà souligné.

Aurélie : Malgré l’aspect fouillis sur le papier, on s’y retrouve très bien et en effet, cela permet de faire descendre la pression. Par contre, nous n’avons que la vision d’Irène pour son histoire familiale. Et oui c’est cela Colette on devient vraiment Irène et c’est ce qui rend le roman aussi prenant.

Colette : Cela ne m’a pas dérangée de n’avoir que la vision d’Irène, j’aime devenir à ce point là, quelqu’un d’autre, c’est l’une des forces des bons livres !

Pépita : Oui, c’est vrai, Aurélie, que nous n’avons que sa vision mais c’est son monologue et quand on voit les réactions justement de son entourage, on se dit que sa vision est juste. Ce qui rend d’autant plus mature cette décision.

Hastagcéline : Avec un point de vue différent, il aurait sans doute été compliqué de la comprendre totalement…

Isabelle : Tout à fait d’accord avec Hastagcéline. Cela contribue à faire transparaître la grande solitude d’Irène, seule avec ses interrogations, ses doutes, seule à prendre ses décisions – une solitude encore renforcée par le jugement de ses proches. Irène est très lucide et grâce à ces spirales de réflexions/souvenirs, on la comprend à chaque instant et on se met à douter avec elle.

Colette : Oui je n’aurais d’ailleurs pas imaginé que j’aurais pu douter avec elle, moi qui suis tellement convaincue du bonheur d’être mère ! C’est fou ce pouvoir de la littérature, de nous faire devenir littéralement autre !

Isabelle : Tout à fait d’accord – même si pour ma part, j’ai presque été prise de court dans l’autre sens. J’avoue que moi qui m’étais promis de ne pas m’en mêler et de ne faire qu’observer Irène de façon bienveillante, vers la fin, je me suis surprise à espérer qu’elle allait finalement décider de le garder…

Aurélie : Ce roman met à l’honneur les femmes et le poids de la transmission, pensez-vous que la décision d’Irène a pu être influencée par celui-ci ?

Aurélie : Pour moi, Irène a voulu arrêter cette tragédie, elle parle d’un gène de pouvoir et de manipulation. Ces femmes ont un amour maternel mais maladroit.

Pépita : Je dirais qu’on est toujours influencé quoiqu’on en dise…C’est difficile à dire ! Comme le dit Isabelle, c’est cette lucidité de cette décision qui la rend si assumée !
En même temps, j’ai écrit dans ma chronique que je n’aurais absolument pas voulu connaitre une mère comme celle d’Irène car elle règle ses propres comptes à travers sa fille ! Donc l’a-t-elle prise contre ? On est toujours un peu dans le prolongement de sa famille même si on fait ses propres choix.

Aurélie : Elle décide de s’écouter, chose que sa mère et sa grand-mère n’ont pas su faire.

Isabelle :  C’est un des fils vraiment intéressants du roman. La fissure du vernis familial sous l’effet du coup de tonnerre de l’annonce de la grossesse d’Irène et le reflux des choix, souvent non-assumés et regrettés des parents et des grands-parents, sont restitués de façon très juste, je trouve. Ainsi que la difficulté pour les parents de faire confiance à leurs enfants et de les laisser faire leurs choix de vie…

Sophie LJ : Oui c’est ça en fait. La transmission ici se fait dans l’opposition de sa décision par rapport au passé familial. Elle assume son choix.
En même temps, comme le dit Isabelle, ce qui se passe là avec le surgissement du passé, c’est assez propre à toute grossesse. C’est souvent le déclencheur d’une remise au point familiale. L’équilibre se bouleverse et les masques peuvent tomber parfois.

Hastagcéline : Cette question est difficile. Car au final, pour Irène, que ce soit la grand-mère ou la mère, les modèles sont décevants… Mais effectivement, on est forcément influencé par eux, consciemment ou inconsciemment. Je pense qu’Irène a voulu faire un choix, son choix sans que celui-ci puisse être influencé par qui que ce soit.

Aurélie : Pépita, tu parles du caractère de la mère, mais on est dans l’hyperparentalité, la maîtrise de tout.

Pépita : Isabelle parle de la difficulté pour les parents mais j’ai trouvé que cela allait plus loin  : notamment la mère d’Irène. Elle est limite manipulatrice non ?

Isabelle : Cela m’a perturbée, on se demande forcément comment on réagirait en tant que parent en telles circonstances. Les strates successives de souvenirs d’Irène révèlent de façon toujours plus forte à quel point sa mère est jugeante et intrusive. Mais ce qui m’a le plus dérangée, c’est l’absence d’empathie, de tentative de compréhension et d’écoute, laissant Irène très seule.

Pépita : Par rapport à ta réponse Hastagcéline… Oui, c’est tout à fait ça. Elle oppose sa liberté au joug des femmes de toujours subir.

Colette :  Je suis d’accord, mais alors vraiment, pourquoi accoucher sous x et ne pas avorter ??? Cette question n’a cessé de m’habiter jusqu’au bout du livre, moi qui fréquente tellement d’enfants qui ne sont pas reconnus par leurs parents, je me dis que même si Max a été porté avec amour, le reste de sa vie sera difficile quoi qu’il arrive… Dès le départ la présence de la mère d’Irène est extrêmement pesante. C’est étrange et terriblement triste de se dire que son choix a été guidé en partie par ce que représente sa mère pour elle, par la place qu’elle aurait prise dans la vie de Max. Car en fin de compte ce n’est pas une mère qui rejette sa fille, qui dénonce ses choix, elle l’accompagne jusqu’au bout mais avec telle maladresse qu’elle préférera protéger son enfant de « ça » …

Pépita : Je l’ai vu différemment : elle est là c’est sûr mais elle le fait pour elle, pas pour sa fille. Comme si elle voulait refaire avec Max ce qu’elle n’a pas réussi avec sa fille. Par procuration. Pour se sentir vivante encore. J’ai trouvé ça terrible. Quand j’ai compris cette intention (mais l’ai-je bien comprise ?), je n’ai plus voulu qu’Irène garde Max.

Aurélie :  Le personnage de la mère s’oppose aux personnages du frère et de la petite sœur : Eugénie est la seule à connaître sa grossesse, peut-être parce que c’est la seule à écouter Irène. Irène, à travers cette épreuve, voit que dans la vie rien n’est prévisible : la mort de son grand-père, les parents de Nour, le handicap de sa sœur.  Je suis d’accord  avec toi Colette, j’ai vraiment éprouvé le même sentiment, je ne comprends pas l’acte d’accoucher sous X. Pourquoi ne pas avorter, comme elle ne souhaitait pas le garder mais elle explique bien que le faire partir serait pour elle la façon de faire disparaître le moment où il a été conçu, où elle a été désirée par ce garçon. Et pour ton propos Pépita , Irène aurait dû prendre des distances vis à vis de sa famille.

Colette : Sur ton propos Pépita, c’est là qu’Irène et moi, on se sépare ! Mais je sais que c’est lié à ma relation avec les élèves abandonnés que j’ai fréquentés…

Sophie LJ : J’ai compris ça aussi Pépita et ça m’a beaucoup dérangé que sa mère essaie de prendre sa place comme ça.
Pour l’avortement, j’y est pensé, mais pas longtemps. On voit bien que c’est mûrement réfléchi et que c’est un choix intime qui englobe tout un tas de choses pour elle.

Hastagcéline : J’avoue que cette question du choix du pourquoi de l’accouchement sous X m’a beaucoup perturbée aussi. Il faut être honnête, à certains moments, j’ai eu du mal à le comprendre. Mais en fait, peut-être aussi qu’il est bien de parler de cette possibilité qui est une alternative à l’avortement, qui est un choix aussi dur et lourd de conséquence…

Pépita : Mais parce qu’elle lui donne la vie ! Je ne me suis pas du tout posée la question d’avorter en fait. Elle lui écrit cette lettre magnifique, oui je sais, ça ne remplace pas une mère…mais elle lui donne une forme de liberté à travers son choix de donner la vie.

Aurélie : Pensez-vous que la réception du roman peut être tronquée par le fait que nous soyons adultes et mères ?

Pépita : Alors là oui complètement ! C’est évident, même. On ne peut pas rester indifférentes, pour l’avoir vécu dans notre chair, à ce flot d’émotions lié à la maternité.

Aurélie : Comme je l’ai expliqué plus haut, ce roman a fait débat entre ce que je pensais ressentir sur cette situation et sur ce que j’ai pu ressentir car j’étais mère. Cet espoir que j’avais pour qu’elle le garde, je ne l’aurais sans doute pas eu si j’avais été adolescente lors de la lecture. En effet, en pleine construction d’identité, je n’aurais peut-être pas eu le recul de l’acte.

Sophie LJ : Oui très certainement. D’ailleurs il y a peut-être deux façons de lire ce roman pour les ados : celles et ceux qui se reconnaîtront à la place de Max et celles qui se verront dans Irène.
Personnellement, contrairement à certaines comme vous l’avez dit plus haut, j’ai tout de suite été à la place d’Irène dans ses ressentis de mère, probablement parce que le décor, l’ambiance était encore très frais dans mon esprit de jeune maman.
Je pense que c’est un livre à partager entre parents et enfants parce que chacun aura sa vision et que c’est une bonne façon de parler de tout ça.

Colette : Si on projette Irène dans sa vie d’adulte, avorter ou accoucher sous x, ce n’est quand même pas la même chose. Max est là, il se demandera toute sa vie qui sont ses parents et Irène se demandera toute sa vie qui est Max. Cela me perturbe vraiment cette question, vous voyez, même après deux mois après la lecture du roman.

Hastagcéline : Oui. On ne peut plus envisager les choses de la même façon sachant ce que donner la vie puis devenir mère implique. Cela change la donne.
Après cela ne m’a pas empêché de prendre du recul et surtout d’être vraiment touchée par ce texte, et pas que parce qu’il m’interpellait en tant que maman.

Isabelle : Je me suis posé les mêmes questions que vous. À l’âge d’Irène, dans la même situation, je n’aurais probablement jamais pensé à mener à terme une telle grossesse. Cela dit, comme vous le dites, le roman parvient à montrer sans jugement le tourbillon émotionnel qu’engendre une grossesse – comment savoir quelle décision on aurait prise ? Et j’ai suivi Irène dans sa démarche. J’ai trouvé assez bouleversant le récit de son enfance un peu écrasée par les attentes parentales qui éclaire l’importance de la découverte soudaine et surprenante de sa sensualité. Tout cela vient cadrer fortement le cheminement d’Irène…

Pépita : Et justement Aurélie, j’ai trouvé très intéressante une de tes remarques sur le fait qu’Irène ne voulait pas entacher le souvenir de ce premier rapport sexuel qui lui a donné…un bébé ! Ce passage est une merveille d’enivrement des sens. Car c’est aussi un roman sur la sexualité, sur l’accouchement, l’après-accouchement (les soins décrits sont très justes). Alors justement, nous sommes mères et adultes. L’auteure arrive très bien à toucher les différents états qui sont en nous : l’adolescente, la femme et la mère.

Aurélie : Oui d’ailleurs, l’accouchement est bien décrit.

Colette : Il y a du vécu derrière tous ces mots, je ne pense pas qu’un homme aurait pu écrire ce livre.

Aurélie : En effet, Sophie LJ, pensez-vous que la lecture de ce roman doit rester intime ou comme tu le suggère, peux-t-il comme certains romans de formation servir de tiers pour aborder cette thématique avec les ados ?

Colette : Je pense qu’un livre ne devrait jamais servir de support pédagogique – et oui je sais c’est très paradoxal pour une prof de français ! – mais c’est un livre qu’on ne peut offrir sans provoquer l’occasion de la discussion a posteriori, comme nous le faisons maintenant.

Sophie LJ : Je suis bien d’accord. D’ailleurs quand je dis que ça peut-être l’occasion de parler de ce sujet, je reste bien dans un rapport intimiste entre parents et enfants (je dirais même entre mère et fille pour le coup). Disons que dans 15 ans, j’aimerais bien me retrouver à discuter d’un livre comme ça avec ma fille. Je verrais à ce moment…

Pépita : Ah on en revient toujours à la même question ! Nos ados dans tout cette littérature qui leur est destinée… Je ne l’ai pas suggéré à mes filles, pour ma part. J’avoue que je n’y ai pas pensé alors que je peux leur suggérer telle ou telle lecture (après, elles lisent… ou pas). Je pense que j’ai tellement été cueillie par ce texte que cela ne m’a pas effleurée. Je suis restée la mère intime face à ce texte d’une grande force émotionnelle, d’autant plus pour moi qui ai deux filles de 18 et 16 ans.

Isabelle : D’accord avec vous toutes pour les descriptions. Sans avoir forcément d’intention pédagogique, je pense que si j’avais lu ce livre ado, cela aurait été l’occasion d’apprendre plein de choses qu’on ne dit pas si souvent sur ces sujets qui restent assez intimes, voire tabou.

Hastagcéline : Oui moi aussi ! J’aurais aimé le lire adolescente.

Aurélie : D’autres thématiques, qui vont ont marquées lors de la lecture ?

Aurélie : Moi comme je l’ai déjà dit plus haut, c’est l’hyperparentalité dans le livre ( peut-être car je lis un truc là-dessus :hehe: ) car c’est fou cette pression mise par la mère : le passage de son cours de musique notamment.

Colette : Ah oui ! La mère est particulière détestable dans cette scène !

Isabelle : C’est vraiment pesant. Le phénomène prend une forme assez caricaturale dans le roman, mais cela existe ! On a l’impression qu’Irène est réduite au rôle de faire-valoir et que sa mère ne se met pas une seconde à sa place… Sa réflexivité et sa volonté d’émancipation sont vraiment salutaires !

Le débat s’est ensuite terminé par le partage de cette lecture avec les ados des arbronautes. D’ailleurs, vous trouverez vendredi les réponses de l’une d’elles.

Retrouvez les billets de nos blogs sur ce roman :

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