Entretien avec Gilles Bachelet

Vous avez forcément déjà vu, si ce n’est déjà lu, un album de Gilles Bachelet. Un trait reconnaissable entre tous, un humour dévastateur et un sens du décalage remarquable… Inutile de dire que sous le Grand Arbre nous sommes de grandes admiratrices du travail de cet auteur-illustrateur. L’ancienne équipe l’avait interviewé à l’occasion de la sortie de son album Les coulisses du livre jeunesse, album dont elle avait fait une lecture commune ; et nous vous avons présenté nos classiques préférés ainsi qu’une lecture commune de Résidence Beau Séjour. Poussées par une curiosité toujours plus grande, nous avons eu envie de lui poser des questions sur son parcours et son œuvre. Questions auxquelles il a accepté de répondre avec une grande gentillesse !

Gilles Bachelet. Source : site des éditions du Seuil.

De quelle manière êtes-vous arrivé à la littérature jeunesse ?

Ce n’était pas une vocation précoce. Je comptais faire des études pour être vétérinaire. Mon père qui était artiste m’avait fait faire du dessin très jeune, mais je n’avais pas tellement aimé. J’ai fait des études scientifiques mais il s’est avéré que je n’avais pas le niveau en physique-chimie et en mathématiques. Je me suis demandé quoi faire, et comme il y avait beaucoup d’artistes dans les amis de mes parents et je me suis tourné vers des études artistiques.

Durant une longue période vous étiez très prolifique sur les réseaux sociaux. Pourquoi avez-vous arrêté de publier sur ces canaux ?

J’ai été très actif pendant trois ans, et puis j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour. Je me suis lassé. J’ai retrouvé des illustrations que j’avais publiées, postées ailleurs sans que je sois crédité ou étant attribuées à quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas nécessairement un arrêt définitif, peut-être seulement une pause.

Comment choisissez-vous les sujets de vos albums ?

C’est ce qui me prend le plus de temps. Je n’ai pas de méthode particulière, je passe beaucoup de temps à chercher l’idée du prochain. Cela peut venir d’une discussion, d’une rencontre… Parfois, c’est un hasard.
Par exemple, Champignon Bonaparte c’est venu d’une discussion avec mon éditeur qui venait de voir un spectacle sur le Premier Empire et il a pensé que ce serait amusant de faire un album situé à cette époque. Le champignon m’est venu rapidement, inspiré par le chapeau de napoléon. Le Chevalier de Ventre-à-terre est né lorsque mon éditrice m’a appelé pour me rappeler que je leur devais un album et qu’elle devait boucler le catalogue. C’est un peu moi ce chevalier, j’ai tendance à procrastiner. Alors j’ai fait un album avec cet escargot.

Vos albums jouent souvent sur le décalage entre le texte et l’illustration. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce procédé ?

J’ai commencé par illustrer les histoires écrites par d’autres, mais cela m’ennuyait. J’ai eu envie d’inventer mes propres histoires et j’ai commencé avec Le singe à Buffon. Quand j’ai illustré la phrase « Il fait pipi dans sa culotte », le décalage est apparu et cela a été un déclic.

Pour Mon chat le plus bête du monde, j’avais envie de faire un album sur mon chat, et parallèlement c’était une période où je dessinais beaucoup d’éléphants. C’est venu comme cela. Dans Une histoire d’amour, à aucun moment il n’est indiqué qu’il s’agit de gants de vaisselle et d’objets ménagers.

Trouvez-vous que votre style a évolué au cours du temps et de quelle manière ?

Mon style a peu évolué. Certains illustrateurs comme Thierry Dedieu cherchent un style différent pour chaque album. Je travaille de la même façon depuis mes débuts, à l’aquarelle.

Il vous arrive de vous mettre en scène dans vos albums. Y’a-t-il un élément déclencheur pour que cela arrive ou est-ce prévu depuis le départ ?

C’est un peu cabotin de se mettre en scène. J’ai commencé avec Mon chat le plus bête du monde. Comme c’était une histoire inspirée du chat que j’avais à l’époque et qui était réellement très bête, je me suis mis en scène naturellement. Et il m’arrive de le refaire parfois, comme dans Résidence Beau Séjour.

Nous serions très curieuses d’en savoir plus sur la manière dont vous travaillez concrètement. Avez-vous des rituels d’écriture ? Des horaires définis ? Travaillez-vous généralement sur un seul projet ou vous arrive-t-il d’en développer plusieurs en même temps pour qu’ils se nourrissent les uns les autres ?

Je n’ai pas de rituel. Il arrive que je ne dessine pas pendant de longues périodes. J’ai travaillé pendant 20 ans pour la presse et la publicité, puis j’ai enseigné l’illustration et les techniques d’édition à l’Ecole Supérieure d’Art de Cambrai pendant 17 ans. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire mes propres histoires. Je cherchais un sujet pendant l’année, en dehors de mes heures de cours, puis quand je l’avais trouvé je travaillais sur l’album pendant l’été, puis sur une période de 4 ou 5 mois en tout. Je n’enseigne plus mais j’ai gardé ce rythme de travail à fond sur un album.

Quels sont vos outils préférés ? Travaillez-vous sur ordinateur ?

J’utilise l’ordinateur pour me documenter et pour de petites retouches quand j’ai oublié quelque chose. Mais je réalise l’essentiel de mes illustrations à la main.

Vous faites très souvent référence à vos autres albums et au travail de certains autres auteurs. De quelle manière choisissez-vous ces citations ?

Ce sont des hommages à des coups de cœur. Certaines de ces références sont identifiables mais d’autres sont personnelles. Par exemple, il m’arrive d’utiliser des objets ayant appartenu à mon père, ou à mon fils.

Avez-vous un livre de chevet et si oui lequel ?

Je n’ai pas un livre de chevet mais plusieurs. Ce sont surtout les albums que j’ai lu dans ma jeunesse comme Little Nemo, Tintin (par exemple je fais référence à l’univers d’Hergé dans XOX et OXO et dans Hypermarquête), l’époque de Pilote, Gotlib…

Est-ce qu’il y a des illustrateur/trices – auteur/trices qui vous inspirent ?

Les illustrateurs qui m’ont le plus influencés sont probablement Benjamin Rabier et aussi Benito Jacovitti. J’avais vu des bandes dessinées de Jacovitti quand j’étais enfant et je l’ai retrouvé beaucoup plus tard dans Charlie Mensuel. Même chose pour Benjamin Rabier, j’avais découvert les albums de Gédéon chez des amis de mes parents et, des années après, alors que j’étais étudiant aux Ardéco, je suis retombé dessus sur une brocante et j’ai réalisé que ces dessins étaient restés profondément gravés dans ma mémoire…

Lisez-vous d’autres auteurs de littérature jeunesse ou de littérature générale ?

J’aime particulièrement le travail des auteurs-illustrateurs comme Philippe Corentin, Claude Ponti, Tomi Ungerer, Clothilde Delacroix ou Benjamin Chaud…

Avez-vous déjà reçu des sollicitations de certain(e)s qui souhaiteraient travailler avec vous ?

Oui, cela m’arrive mais je les refuse. J’ai fait une exception pour La paix, les Colombes ! avec Clothilde Delacroix mais c’est un album écrit à quatre mains. Nous avions échangé des dessins sur Facebook et les éditions Hélium nous ont proposé d’en faire un album.

La paix, les colombes !, Gilles Bachelet et Clothilde Delacroix, Hélium, 2016.

Avez-vous un lecteur idéal en tête quand vous écrivez ?

Moi-même. Je dois me faire rire. Quand il était petit, mon fils m’a servi de cobaye, c’était mon premier lecteur. Mais je ne veux pas écrire pour une tranche d’âge en particulier, j’aime l’idée d’un album qui parle aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Je sais que les enfants ne verront pas certaines références (celle à Shining dans Résidence Beau Séjour par exemple), mais elles m’amusent et j’espère qu’elles amusent leurs parents.

Lors du salon où nous vous avons rencontré, une enfant s’est exclamé « Il est trop cool Gilles Bachelet ! » Quel est votre rapport à vos lecteurs et à partir de quel âge pensez-vous qu’ils parviennent à saisir le second degré inhérent à votre travail ?

Les élèves de maternelle ne perçoivent pas le second degré. Mes albums sont plus destinés à des élèves de CE2, CM1 et CM2. J’ai récemment écrit un album pour les plus petits, Une histoire qui… dans lequel j’ai fait attention à ne pas mettre de références qu’ils ne pourraient pas saisir.

Avez-vous un souvenir à nous partager d’une rencontre particulière avec vos lecteurs ?

Mes souvenirs des rencontres scolaires sont un peu floues, elles se mélangent. Les plus marquantes se sont déroulées dans les classes dans lesquelles les élèves avaient vraiment travaillé sur mes albums. Quand mes albums ont servi de support à des travaux artistiques ou à un spectacle par exemple, cela nourrit les échanges avec les élèves.
L’année dernière, une classe avait réalisé des travaux sur tous mes albums, c’était très touchant. Dans ce cas ce ne sont pas eux qui me rencontrent mais moi qui les rencontre.
Quand je rencontre des enfants et qu’ils viennent ensuite me voir avec leurs parents dans un salon, je me rends compte que ces rencontres sont marquantes pour eux.

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Merci infiniment à Gilles Bachelet pour sa disponibilité et le temps qu’il a accordé à nos questions !
Nous espérons vous avoir donné envie de (re)découvrir tout ses albums. Pour la liste complète, rendez-vous sur la page que lui consacre les Editions Seuil Jeunesse.

Nos classiques préféré.e.s : l’humour de Gilles Bachelet

Cela faisait longtemps que nous souhaitions vous partager nos albums favoris de Gilles Bachelet. Sous le grand arbre, nous sommes particulièrement friandes de son humour et des clins d’oeil qui parsèment ses illustrations. Nous nous étions d’ailleurs régalées en discutant de sa Résidence Beau Séjour.

Plus le propos est fantaisiste, plus le réalisme et le soin apportés aux détails me paraissent indispensables.

GIlles BAchELET, La ReVue Des Livres pour enfants N°301 (juin 2018)
Gilles Bachelet. source : site de son éditeur Seuil Jeunesse.

Si cet auteur illustrateur est surtout connu pour la série d’albums qu’il a consacré à son chat, voici ceux que nous préférons et pourquoi !

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Pour Colette et ses Petits-Pilotes, XOX et OXO est vraiment l’album-remède-en-cas-de-coup-de-mou tellement il est jubilatoire !

Xox et Oxo, Gilles Bachelet, Seuil Jeunesse, 2018.

Et voilà pourquoi :

  1. Pour son titre imprononçable et tellement visuel !
  2. Pour ses personnages extra-terrestres à l’étrange visage bleu, aux yeux transparents comme le verre des billes avec lesquelles hélas on ne joue plus dans les cours de récréation.
  3. Pour sa fascisante double page documentaire sur la machine à Glimouilles et puis oui, tiens d’ailleurs, pour toutes les glimouilles qui rythment cet album réjouissant !
  4. Pour la personnalité de XOX et OXO qui ont trouvé en eux les ressources pour ne plus s’ennuyer sur leur planète où résonne la solitude.
  5. Pour son discours joyeux et enthousiasmant sur la créativité.
  6. Pour son discours tout aussi joyeux et enthousiasmant sur l’inspiration, celle qui vient d’ailleurs, celle qui se nourrit de l’autre, des œuvres du passé, des œuvres contemporaines, cette inspiration que nourrit l’incroyable curiosité de nos protagonistes et que l’on souhaite à tous les enfants qui passeront le seuil de la planète Ö !
  7. Et en parlant d’art, quel plaisir de jouer à « Cherche-et-trouve-des-oeuvres-d’art-célèbres-qui ont-été-glimouillisées » dans l’atelier de XOX et OXO ! Dali, Rodin, Duchamp, De St Phalle, Degas… Nos extra-terrestres ont autant de génie que tous.tes nos artistes humain.e.s réuni.e.s.
  8. Pour le questionnement philosophique qui parcourt le livre jusqu’à la dernière page : mais à quoi sert l’art ? L’art peut-il nous rendre heureux, heureuse ? Faut-il qu’il ait un public pour que l’art soit reconnu ?
  9. Et bien sûr pour l’incroyable humour qui jalonne tout cet album, qui parvient à aborder tant de sujets en quelques pages colorées d’une extrême précision !
  10. Sans parler de l’invitation finale qui nous invite à « mettre le cap sur la constellation du Beignet aux Pommes » pour retrouver XOX et OXO et leur incroyable musée ! En avant toute !

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Le choix de Liraloin s’est porté sur cette épopée qu’est Chevalier de ventre-à-terre. Et pourquoi aime-t-elle autant cette histoire à lire et à raconter ? C’est par ici…

Le chevalier de ventre-à-terre, Gilles Bachelet, Seuil Jeunesse, 2021.
  1. Parce que je parie que vous n’avez jamais assisté à une bataille aussi inattendue qu’imprévisible
  2. Pour cette couverture à faire pâlir plus d’un auteur de saga chevaleresque. Quelle somptueuse armure dont est doté notre Chevalier de Ventre-à-Terre.
  3. Pour cette vie d’escargot-chevalier qui exige une stricte discipline de vie pour autant que l’on y ajoute le bisou baveux. D’ailleurs le lectorat, un tantinet très observateur, remarquera à quelle grande vitesse se prépare un chevalier prêt à en découdre !
  4. Pour toutes les références à la littérature de jeunesse, et il y en a un paquet : comment ça vous n’êtes pas jalouse de cette merveilleuse glacière à l’effigie d’Hello Kitty !! Petit indice : la chambre d’enfants en est truffée.
  5. Pour cette affiche, que personnellement, j’aimerais voir dans ma cuisine « 5 salades et champignons par jour ». N’est-ce pas la base d’une excellente alimentation d’escargot ?
  6. Pour l’illustration représentant le bureau du Chevalier, son équipement tout dernier cri afin de répondre en temps réel sur les réseaux sociaux. Tiens donc Saint-Procrastin a quitté mon foyer pour échouer ici… quel joli clin d’œil à l’auteur lui-même.
  7. Pour cette gigantesque épopée qui se trame sous vos yeux ébahis et qui se retrouvera surement gravé sur un champignon au détour d’un chemin.
  8. Pour ce suspens insoutenable : Chevalier de Ventre-à Terre va-t-il enfin croiser le fer avec ce malotru de voisin baveux grignoteur de fraises : le Chevalier de Corne-Molle ?
  9. Pour ce dénouement parfait et cette chute vertigineuse !
  10. Pour l’humour si particulier de Monsieur Gilles Bachelet. Des albums aux références qui parlent autant aux grands qu’aux petits.

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Le choix de Lucie s’est rapidement porté sur Une histoire d’amour, voici pourquoi :

Une histoire d’amour, Gilles Bachelet, Seuil Jeunesse, 2017.

1- Parce que cette histoire d’amour, comme celle de tous les couples heureux, est d’une banalité exemplaire…
2- Jusqu’à ce que l’on découvre ses personnages principaux !
3- Pour le voyage de noces exotique.
4- Pour cette brosse à ongles – chien, qui compte parmi les meilleures trouvailles.
5- Pour la réplique de Georges : « Des enfants ? Mais… nous avons déjà un chien ! »
6- Et l’illustration de la page suivante mettant en scène des familles d’objets usuels, du papier toilette au sèche cheveux.
7- Parce que Gilles Bachelet réussi le pari de faire vivre ses personnages dans un monde à échelle humaine, au milieu des objets du quotidien à taille réelle.
8- Pour les petits (ou gros) détails hilarants que recèlent les illustrations.
9- Parce que chez Georges et Josette, le partage des tâches semble fonctionner à merveille.
10- Et parce que le couple traditionnel n’est peut-être pas à la pointe de la modernité, mais que (comme le montre le doigt qui leur sert de tête) Georges et Josette s’en moquent.

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Et vous, quel est votre album préféré de cet auteur fantastiquement fantasque ?

Entretien avec Emilie Chazerand

Vous avez découvert Emilie Chazerand lors de notre lecture commune consacré à son dernier roman ado Annie au milieu et bien voici son IMMENSE interview rien que pour vous !

– Comment passe-t-on d’infirmière à auteur jeunesse ? Exercez-vous encore votre premier métier ? Si oui, est-ce que ces deux activités se nourrissent l’une l’autre ?

On passe du métier d’infirmière à celui d’autrice parce qu’on finit toujours par trouver sa place, je pense.

Je ne peux pas dire que je suis devenue infirmière par accident parce que, tout de même, il s’agit de trois années et demi d’études nourris de plusieurs stages où on est humilié et exploité, de connaissances théoriques monstrueuses à ingurgiter, d’épreuves pratiques ultra stressantes et exigeantes, d’un mémoire à rédiger et tout le tintouin.
Donc j’ai vraiment serré les dents pour obtenir ce diplôme d’état et avoir le droit d’exercer un des métiers les plus méprisés et douloureux, avec des taux de suicide professionnel, de burn out, de harcèlement moral et sexuel, effrayants. Parenthèse fermée.

Je n’exerce plus ce métier depuis presque dix ans.

Parfois, je suis vraiment tentée de repasser d’autrice à infirmière, parce que les patient.e.s, les gestes du soin, me manquent, le sentiment d’utilité immédiate, l’adrénaline, aussi. (Et poser des voies veineuses. Bon sang, ce que j’aimais poser des voies veineuses…)

Mes souvenirs les plus intenses, mes plus grandes douleurs, mes pires traumas, les rencontres les plus déterminantes de mon parcours ont eu lieu à l’hôpital. Tout, en dehors de cette essoreuse à humains, est rose, doux, frivole. De la flûte.

J’ai peu de véritables ami.e.s chez les auteurs et autrices. Iels se comptent sur les doigts d’une main. J’en ai plus du côté des soignant.e.s.
Ça disserte moins, ça n’a pas de prétention mal placée, « ça ne farcit pas les petits pois », comme disait ma grand-mère, mais ça rit et ça vibre incroyablement fort.
C’est dans le concret, dans le réel. Pas de népotisme ni de réel piston : tout le monde en chie, pardonnez-moi l’expression. J’aime, j’admire et j’ai besoin de ça.
Et puis, comme mon conjoint est médecin, j’ai la sensation d’avoir un pied dans le monde soignant, à vie.

Et évidemment, c’est un univers qui regorge d’histoires de vie et de sujets potentiels de romans. J’adorerais parvenir à écrire sur mes années d’études, le groupe d’ami.e.s que j’avais alors, si hétérogène et en constante évolution, nos aventures et mésaventures, nos pertes et nos fracas… On était des toutes jeunes personnes qui jouaient aux grandes personnes qui doivent secourir d’autres personnes. C’était fou.
Un jour, peut-être.

– La famille se trouve toujours au cœur de vos écrits. Est-ce que la vôtre vous inspire ?

Pas tant que ça, non. Parfois, mes enfants disent ou font un petit truc qui allume une étincelle d’idée mais je ne raconte pas mes proches, globalement. Et puis, j’ai une vision de la famille un peu foutraque, un peu éclatée. La mienne ne se résume pas par la biologie.

– Dans vos romans, les héroïnes ou les héros évoluent dans des familles dysfonctionnelles. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

Parce que la plupart des familles sont dysfonctionnelles et que les lecteurs et lectrices ont le droit de retrouver des histoires qui leur ressemblent. Et puis, c’est beau, c’est intense et même sain, de dysfonctionner dans un monde totalement dysfonctionnel, lui aussi, pour le coup.

La dysfonction, c’est le grain de sable dans un rouage bien huilé qui va permettre de faire apparaitre les failles mécaniques. La panne. L’accident. Et là, il se passe quelque chose. On peut commencer à raconter des trucs et à réparer. J’aime bien réparer.
Les familles parfaites, ça n’existe pas. Et si ça existait, je pense qu’elles seraient vraiment très chiantes. En tout cas, moi, ça ne m’intéresse pas.

Et puis, tout est une question de point de vue, je suppose : ce qui est dysfonctionnel pour moi vous paraitra peut-être équilibré et cohérent, et vice et versa.

Et surtout, au fond, est-ce qu’une famille a vocation à être fonctionnelle ? C’est un groupe d’individus qu’on place ensemble et qui doivent apprendre à exister et coexister. C’est tout.

– Vos romans ainsi que vos albums se caractérisent par des punchs line en cascade ainsi que des situations loufoques parfois invraisemblables. Comment vous viennent toutes ces idées, que ce soit dans les jeux de mots ou autres ?

Là, je vais faire très court : je n’en sais rien. Je n’ai aucun conseil à filer, aucun tuyau, astuce, méthode, recette. Mais mes meilleures punchlines ne pourraient jamais être publiées, ça, c’est une certitude…

– Outre les phrases qui font mouche et la répartie de vos personnages, l’humour est très présent dans vos romans. Il permet notamment d’alléger certaines situations qui, sans cela, pourraient être dramatiques. Vos personnages sont très lucides et se moquent d’eux même avec beaucoup d’humour. Avec vous, nous avons presque l’impression que l’on peut rire de tout (le nanisme, les odeurs corporelles, le handicap et même de djihad), est-ce une « recette » que vous utilisez consciemment ou cet humour vient-il naturellement ?

Je ne fais pas grand-chose consciemment, j’ai l’impression. J’écris comme je suis. Si vous trouvez mes livres relous, vulgaires et insupportables, ne venez pas manger à la maison : vous n’allez pas passer un bon moment…

Rire de soi est un pont qu’on jette vers l’autre. C’est un reliquat de l’enfance. La version adulte du « tu veux jouer avec moi ? ». On doit pouvoir continuer à jouer les uns avec les autres, peu importe nos âges.

Je ne vais pas me lancer dans le débat « peut-on rire de tout ? » parce que ça ne m’amuse pas, justement.
Mais je peux tout trouver drôle, c’est un fait.

Par exemple, perdre mon père a été un des moments les atroces de ma vie, très sincèrement. Mais quand ma mère lui caressait le visage sur son lit de mort et que ça devenait un peu embarrassant, ma nièce lui a dit « hep, c’est comme dans les magasins : on touche avec les yeux ! ». Forcément, j’ai ri. Pareil quand ma sœur a grognonné, très sérieusement « putain, quelle semaine, je te jure : hier j’ai pété mon Iphone et maintenant, papa est mort… ».
C’était à la fois nul, indigne et marrant. J’ai eu envie de la goumer et de la serrer fort, en même temps. J’adore être habitée de ces deux pulsions contradictoires. Et j’adore l’idée de susciter ce mélange-ci chez les gens.

Toute petite, j’ai compris que l’humour est un pouvoir immense. 
Parce qu’il est la combinaison de l’intelligence, de l’empathie, de la culture et de la bienveillance.

C’est très difficile de faire rire. Bien plus que de faire pleurer. Pour ça, il suffit de la photo d’un enfant triste, d’un chien borgne ou d’un chat à trois pattes, avec une musique de fond remplie de violons tremblotants et d’un piano mélancolique. Et hop, ça chiale à n’en plus pouvoir.

Pour faire rire, il faut comprendre ce qui amuse l’autre. S’être intéressé.e à lui/elle. Le connaitre un petit peu. Trouver un terreau commun, des références universelles, comme un radeau auquel se raccrocher ensemble. Ça demande de l’investissement et la volonté de faire du bien.
C’est la meilleure façon d’aimer.

– Nous avons remarqué que vous prenez un malin plaisir à mettre des personnages dans des environnements qui les poussent à se sentir différents. Nous pensons notamment au personnage de Richard dans Falalalala ou encore celui d’Annie dans Annie au milieu. Cette question de la différence semble être centrale dans vos romans, est-ce parce que vous considérez que la différence ou être différent est une force ?

En réalité, on se sent toujours différent des autres, non ? Déjà parce que nous sommes les personnages principaux de nos existences tandis que les autres… ne sont que les autres, ma foi.

Asseyez deux chauves l’un à côté de l’autre et dites-leurs qu’ils sont pareils, vous verrez qu’ils feront la gueule.

Richard n’est pas malheureux parce qu’il est différent de sa famille. Il est frustré et mal dans sa peau parce qu’il ne parvient pas à être lui-même, à se faire accepter, aimer et respecter tel qu’il est. Tant que Richard refuse l’idée qu’être Richard c’est super, c’est merveilleux, c’est suffisant, il va mal. Richard a un problème avec Richard.

Annie, elle, adore être Annie. Et elle adore que les autres ne soient pas Annie. Quand elle souffre, ce n’est pas parce qu’elle est différente et qu’elle déteste ça, mais parce qu’on la rejette pour ce qu’elle est alors qu’elle, elle s’aime. Ce sont les autres le problème. Pas Annie.
Annie n’a aucun problème avec Annie.

Etre différent n’est pas une force.
Ce qui en est une, et une énorme, c’est être soi. D’être en paix, en accord et même en amour avec soi.
Et ça, c’est rudement complexe.

– Nous avons découvert avec beaucoup d’intérêt votre documentaire Chiens. Pourquoi les chiens particulièrement ? Comment s’est passé cette expérience et votre collaboration avec l’illustratrice ?

C’est Charlotte Duverne, l’éditrice de Marcel & Joachim, qui a proposé ce projet. Je n’ai jamais eu, de moi-même, l’envie spontanée d’écrire un atlas des animaux… 
Il me semble qu’elle avait repéré un post où je parlais avec humour d’un de mes chiens, photo à l’appui, et elle a dû se dire que j’étais la personne adéquate pour une telle entreprise…
Mais j’ai été si surprise que j’ai eu un petit rire nerveux, la première fois qu’elle en a parlé. J’ai dû répondre un « Euh… d’accooord… pourquoi pas… » assez titubant.

Honnêtement, je n’ai envisagé ce projet que parce que c’était avec Charlotte et Marcel & Joachim : tous leurs bouquins sont modernes, malins, pétillants.
Ailleurs, j’aurais eu trop peur que ça donne un catalogue pour mémés à caniche abricot, un peu old school et kitsch/bof, avec des photos bizarroïdes de toutous caracolant dans les prés, museaux au vent et queues en l’air.

Charlotte a tout de suite parlé de Naomi Wilkinson aux illustrations. Je suis allée jeter un œil à son travail et ça a suffi à me convaincre que ce serait bien.
Je n’ai pas eu d’échange particulier avec elle, si ce n’est un petit mail poli et chaleureux pour dire, en gros, « ravie de bosser sur ce livre avec toi ! ».

Cet atlas a exigé un énorme boulot de recherche et d’écriture. Si j’avais su ce que cela allait représenter en quantité de travail, je ne suis pas sûre que j’aurais accepté…
Cela dit, je ne regrette pas un millième de seconde : j’ai appris une tonne de trucs qui ont fait bouger des lignes, dans ma tête, et je suis très fière de ce bouquin !
De plus, j’ai trois chien.ne.s et il était grand temps que je fasse un livre pour iels. Iels le méritent : ce sont mes gars sûrs et ma belle gosse.

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Questions sur Annie au milieu 

– Vous semblez avoir joué de plusieurs codes littéraires – l’écriture en vers, les listes, des niveaux de langues différents sur les personnages, etc – d’où est née cette envie ? Est-ce un jeu ou est-ce une réflexion sur le rapport étroit entre « signifié » et « signifiant » ? Quelles sont vos sources d’inspiration pour le travail du style ?

Chaque fois que je pensais au projet Annie au milieu, je me torturais sur la forme, le style à employer, etc. Je changeais d’avis, d’orientation, tous les jours.
Je ne savais pas comment attaquer le dossier, ni m’y coller sérieusement. Je piétinais un peu et puis, un soir, j’ai rédigé le premier chapitre de Velma en vers, presque par accident, en essayant de réfléchir le moins possible.

Je l’ai illico envoyé à Tibo Bérard, mon éditeur d’alors chez Sarbacane, dans un mail très court, genre « T’en penses quoi ?  Baisers ».
J’étais inquiète et fébrile. Pas sûre de moi, du tout du tout. J’avais besoin de sa validation pour avancer.
Il m’a répondu avec son enthousiasme légendaire et je me suis sentie autorisée à continuer. Ça peut sembler bête mais j’ai besoin d’un éditeur/d’une éditrice pour ça. C’est le hochement de tête approbateur, la petite tape sur l’épaule, qui me rassure et me fortifie. Chez Sarbacane, iels sont tou.te.s hyper fortiches pour rassurer. (Je pose ça là, faites-en ce que vous voulez.)
J’ai donc expliqué à Tibo que j’allais essayer de donner une voix à chaque personnage, en fonction de la manière dont je les entendais, « dans ma tête », et ça a donné ça. Je voulais qu’on distingue les styles d’écriture comme on distingue des timbres de voix, justement. Il m’a dit que ça allait être bien, donc on l’a fait de cette façon.

Je pense que ce n’était pas un jeu et que je ne me suis inspirée de rien de particulier.

En réalité, je ne sais pas comment ça se passe pour mes collègues auteurices mais, personnellement, quand je vivote avec un projet depuis un moment, les personnages existent, comme des fantômes ou des amis imaginaires. Je peux les entendre, les voir. Ils sont « là ».

En l’occurrence, je voulais qu’ils parlent tous les trois. Qu’ils se passent la parole, gentiment, respectueusement. Qu’ils aient des places et des importances égales, même si Annie a remporté le titre du livre. J’ai beaucoup aimé le temps passé avec les Desrochelles : iels ont déboulé à un moment compliqué de ma vie et j’ai repris mon souffle, grâce à elleux. Je penserai toujours à ce livre avec la tendresse qu’on accorde aux ami.e.s présent.e.s dans les coups durs.

– Quelle a été la place de la musique dans l’écriture d’Annie au milieu ?

J’ai beaucoup écouté de musique pendant mes pauses entre les chapitres.

Pour Velma, j’écoutais des choses douces, tristes, profondes, pour me mettre dans son énergie si particulière, un peu opaque, pesante mais belle. Je mettais Pomme, Bon Iver, the Irrepressibles, Stina Nordenstam, Tove Lo, Alice Boman, Radiohead, Aimee Mann. Globalement, tout ce qui peut filer un seum monumental était bienvenu et profitable.

Pour Annie, c’était exactement l’énergie inverse. Il fallait que ce soit solaire, joyeux, pêchu, agité, rigolo. Comme Blink 182, Lio, Liquido, Philippe Katerine, les Rita Mitsouko, Oldelaf, certains titres de Björk et de Dalida et, bien sûûûr, Taylor Swift.

Pour Harold, c’était la musique que j’aime et écoute ordinairement. Ni des trucs tire-larmes, ni des machins de fête à Dédé. Entre ces deux ambiances-là. Pas trop lourde, pas trop pimpante.

Mais, globalement, dès que j’ai une idée de roman en tête, je bricole une playlist. C’est comme choisir un vêtement : on ne s’habille pas de la même façon pour aller à un enterrement, à un anniversaire, en randonnée, au boulot…
La musique distribue les bonnes émotions et les place aux bons endroits. En tout cas, pour moi.

– Est-ce qu’on pourrait avoir un petit scoop sur votre lien à Dalida qui est un personnage clé de ce roman ?

Je n’ai aucun lien particulier avec Dalida, si ce n’est qu’une de mes tantes l’adore et qu’elle m’a appris la chanson du petit bikini quand j’étais encore minuscule.

Je ne suis pas fascinée par la personne ni subjuguée par l’artiste mais elle m’intrigue et me touche. Dalida, c’est une femme qu’on a envie de consoler et de sauver d’elle-même, même maintenant qu’il est bien trop tard.
Et puis, elle a en elle ce mélange curieux de douceur et de gravité, de frivolité et de tristesse évidente, de beauté et de plaies apparentes, qui fait d’elle un personnage de confidente absolument parfait pour Annie. Non ?

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Merci Emilie d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, et nous régaler toujours plus avec vos histoires !


De l’humour noir au rire jaune – grands lecteurs, grandes lectrices

Après la sélection sur l’humour pour les petits lecteurs, petites lectrices la semaine dernière, voici l’arc-en ciel des couleurs de l’humour pour les plus grands !

L’humour noir et l’ironie / le sarcasme

Calvin et Hobbes (22 tomes), Bill Watterson, Presses de la cité.

Comment ne pas parler de la série Calvin et Hobbes de Bill Watterson ? Dans ces bandes dessinées, l’humour noir est élevé au rang d’art.
Calvin est un petit américain de six ans qui porte sur le monde un regard acerbe. Hobbes, son tigre en peluche, prend vie quand ils sont seuls et participe activement aux bagarres, blagues et autres réflexions désespérées sur l’espèce humaine. Mordant, drôle, mais aussi plein d’humour et de réflexions pertinentes… Lucie et Blandine en sont fans.

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La ferme des animaux, George Orwell, Le Livre de Poche Jeunesse, 2021.

Satire politique, La ferme des animaux d’Orwell utilise l’humour noir pour critiquer le régime stalinien et les états totalitaires en général. Il y dénonce notamment le pouvoir et la cruauté exercés par des tyrans. Publié pour la première fois en 1945, le récit n’a pas pris une ride et son sujet résonne encore avec le monde moderne. Le texte court et la format de fable animalière rendent la lecture accessible par les enfants dès l’âge de 10-11 ans pour les plus curieux.

L’avis de Linda, celui d’Isabelle et de Lucie. On pourra aussi lire l’avis d’Isabelle sur la version illustrée par Quentin Gréban ICI. Et l’avis de Linda et celui d’Isabelle sur l’adaptation en BD pour la jeunesse.

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Pour Lucie, Roald Dahl est un maître incontesté dans le domaine. Que ce soit dans Matilda, La potion magique de Georges Bouillon, Les deux gredins, Un conte peut en cacher un autre ou son autobiographie Moi, Boy, l’auteur anglais a le chic pour croquer d’affreux personnages. On adore les détester et on rit, tellement !, de leurs mésaventures.

Retrouvez aussi les avis de Linda, Blandine, Isabelle sur ce génie de l’humour.

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Les Willoughby : un roman abominablement écrit et ignominieusement illustré par l’autrice, Loïs Lowry – Ecole des loisirs, 2010 pour la première édition, 2019 pour l’édition collector

Les Willoughby ne sont pas une famille attachante. Les parents sont particulièrement odieux et les enfants sont agaçants. Cependant, ils ont tous un point commun : ils ne s’aiment pas. Alors c’est tout naturellement qu’un bébé abandonné sur leur perron se retrouve vite expédié chez le voisin, Mr Melanoff, un veuf inconsolable vivant dans une énorme maison-taudis !Le sort va-t-il s’acharner contre ce bébé ? De quels horribles moyens les enfants vont-ils user afin de se débarrasser de leurs parents et vice versa ?

L’ambiance de cette histoire a plongé Liraloin dans les romans de Roald Dahl mais aussi dans celle de Nanny McPhee. Tout va très vite et les évènements s’enchaînent un peu comme au théâtre. Les situations sont souvent loufoques et chaque personnage fait avancer l’histoire de manière maladroite. Une bonne dose d’humour noir et malgré tout, les ondes positives rayonnent dans ce roman farfelu.

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Monstre effrayant avide de chair d’enfant, le Yark est aussi… un animal en voie d’extinction. C’est que la pauvre bête a l’estomac fragile et ne digère que les enfants sages. Cette créature pleine de scrupules préférerait mille fois se nourrir de gamins insupportables, elle n’a pas vraiment le choix. Comme beaucoup, donc, le Yark regrette amèrement les enfants bien élevés, propres et innocents de jadis et désespère de trouver de quoi se mettre sous la dent… Tout est génial dans cet album qui s’impose déjà comme un classique : l’objet livre est magnifique (encore plus la réédition de 2021), la couverture et les illustrations (signées Laurent Gapaillard) de toute beauté, les rimes audacieuses, les péripéties à hurler de rire. Incontournable dans une sélection sur l’humour !

Le Yark, de Bertrand Santini, illustré par Laurent Gapaillard. Grasset Jeunesse, 2011 (réédité en 2021).

L’avis d’Isabelle et de Linda

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L’humour burlesque, le comique de situation

La souris et le voleur de Jihad Darwiche & Christian Voltz – Didier jeunesse, collection : A petits petons, 2002

Tout commence par un gros ménage de printemps chez la souris. Sous cette poussière, un p’tit trésor : un sou ! Alors, « Elle court chez le boucher. Elle lui donne sa pièce et revient chez elle avec un beau morceau de viande. » Notre souris, économe, décide que la moitié qui ne sera pas mangée régalera son p’tit bidon le lendemain. Malheureusement la nuit s’achève sur un réveil colérique : un voleur lui a piqué sa gourmandise. Elle va vite raconter ses malheurs au juge qui lui dicte cette drôle de formule-magique-spéciale destinée au voleur trop goulu : « Rentre dans ta maison. Mets du caca dans une assiette, pose l’assiette sur l’étagère, plante des clous à l’envers dans le mur, mets un serpent dans la bassine d’eau, cache un âne derrière la porte, accroche un coq au plafond et dors tranquille. » Bon s’il en est ainsi, allons-y! Alors quoi, vous ne devinez pas la suite….

Cette histoire est vraiment très drôle à lire et surtout à raconter (parole de pro du livre : les enfants aiment les histoires de caca). Le comique de répétition fonctionne à merveille. Le passage où notre pauvre voleur tombe sur tous les pièges laissés par la souris sont à mourir de rire. Les illustrations de Christian Voltz y sont pour beaucoup. Il alterne papier découpé et matériel de récupération donnant des expressions si farfelues aux personnages.

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Le journal de Gurty (10 tomes), Bertrand Santini, Sarbacane, 2015.

A-t-on encore besoin de présenter Gurty, l’adorable petite chienne de Bertrand Santini ? Les enfants adorent lire son journal et ses réflexions sur la vie, le quotidien, son maître et ses rencontres. Le regard qu’elle porte sur son environnement (très premier degré) est hilarant !

Retrouvez les avis de Blandine, Lucie, Linda et Isabelle.

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C’est qu’ils passeraient presque inaperçus, dans leur tranquille banlieue londonienne… Une famille qui déborderait certes d’énergie, dont les membres pourraient bien paraître un peu plus velus et dentus que la moyenne, mais alors vraiment en y regardant de près… La seule chose qui pourrait bien les trahir, c’est leur propension irrépressible à hurler de rire à la moindre occasion. Car oui, mais que cela reste entre nous, hein ! La vérité, c’est que les Zarnak sont une famille de hyènes ! Il souffle sur ce roman une loufoquerie toute britannique. Les péripéties des Zarnaks qui peinent à ne pas attirer l’attention, le comique de situation et les blagues intempestives de M. Zarnak sont désopilants. Et sur le mode du rire, ce roman invite à la réflexion sur les stéréotypes (car voyez-vous, les hyènes ne sont bien vues ni des hommes, ni des autres animaux), l’aliénation des humains passée au révélateur du regard des hyènes, leurs liens avec le monde animal, l’anticonformisme et la valeur de la tolérance. On en redemande !

Les Zarnak, de Julian Clary, illustré par David Roberts. abc melody, 2016.

L’avis complet d’Isabelle

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Comment résister au bouc Cornebique, gaillard tout en jambes, doté d’un don pour le banjo, d’un solide appétit, d’une bonne dose d’auto-ironie et d’un cœur tendre à souhait ? Ravagé par un chagrin d’amour, notre héros se résout à quitter le pays des boucs, pourtant si sympathique. Il est loin d’imaginer les rencontres et les aventures extraordinaires que lui réserve cette ballade à travers le vaste monde… Jean-Claude Mourlevat est un conteur incroyable et la magie opère immédiatement : difficile de reposer le livre, une fois ouvert. Les dialogues sont mémorables, les frasques de Cornebique hilarants. Vous aimez la fête, la musique folk, les courses-poursuites et les concours en tous genres ? Ce livre est fait pour vous !

La ballade de Cornebique, de Jean-Claude Mourlevat. Folio Junior, 2003.

Les avis de Lucie et d’Isabelle

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L’humour par l’absurde et le farfelu

Cochon-Neige, Vincent Malone, Seuil Jeunesse, 2004.

Cochon Neige est une réécriture de Blanche-Neige… avec un cochon dans le rôle-titre. Ce point de départ donne une assez bonne idée de la folie de Vincent Malone qui, non content d’offrir à son lecteur une parodie enlevée, multiplie les notes de bas de page toutes plus tordantes les unes que les autres.

L’avis de Lucie.

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En colère, la petite Jo s’enfonce dans la forêt et emboite le pas à de curieuses petites créatures bavardes, quitte à entrer dans un tunnel obscur… pour déboucher dans un monde où souffle un vent de fantaisie, une sorte de quatrième dimension où l’univers des contes percuterait celui des années 1970. On y croise de petits enfants aux oreilles de chats côtoyer un cyclope en Birkenstocks et un crocodile en blouson de cuir, sous la direction musclée d’un renard mal léché. Tout ce petit monde a décidé de s’élever contre le despote qui terrorise le pays. Ce dernier organise justement un bal costumé : notre fine équipe ne devrait pas avoir de mal à s’infiltrer dans sa forteresse… Ce n’est pas une BD d’humour à proprement parler, mais elle fait beaucoup rire, par la malice du trait de Camille Jourdy, les clins d’oeil qui fourmillent un peu partout, les dialogues mêlant savoureusement l’ironie et l’absurde.

Les Vermeilles, de Camille Jourdy, Actes Sud, 2019.

L’avis d’Isabelle

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Un enfant fait une rencontre extraordinaire : celle de Karlsson, petit bonhomme à la langue bien pendue, sûr de lui, débordant d’idées et d’imagination, et doté d’une hélice lui permettant de voler et de rejoindre sa petite maison… sur le toit de l’immeuble ! Le quotidien prend alors un tour inattendu. Karlsson se laisse complètement aller au jeu, expérimente tout ce qui lui passe par la tête sans tabou, se vante et ment sans vergogne, s’empiffre de sucreries, ne partage pas ses bonbons mais aime à jouer les justiciers… ravissant les petits lecteurs qui aimeraient parfois pouvoir se conduire ainsi. Les répliques du bonhomme (« Du calme, pas de panique ! » ou « Tout ça c’est purement matériel » quand il a détruit quelque chose…) sont vraiment cultes. Un classique suédois porté par l’humour d’Astrid Lindgren.

Karlsson sur le toit, d’Astrid Lindgren. Le Livre de Poche, 1955.

L’avis complet d’Isabelle

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Les jeux de mots et l’humour par les mots

Histoires comme ça, Rudyard Kipling, Milan jeunesse, 2009.

Rudyard Kipling est un magicien des mots. Si son roman le plus célèbre est le Livre de la Jungle, ses Histoires comme ça sont un monument d’humour.
Jeux de mots, comique de répétition, comique de situation… Ecrit pour sa fille, qu’il interpelle régulièrement dans les nouvelles, ces contes des origines publiés en 1902 n’ont pas pris une ride et sont devenus incontournables chez Lucie !

Son avis complet ICI.

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Comme Isabelle, Blandine, Linda et Frédérique, Lucie est séduite par la plume pleine de fantaisie de Flore Vesco. Depuis De cape et de mots jusqu’à D’Or et d’Oreillers, en passant par L’Estrange Malaventure de Mirella, l’auteure, véritable virtuose de la langue, joue avec le vocabulaire et les sonorités. Ses romans sont à la fois délicieux et pleins d’humour.

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Et vous, quels auteurs vous font rire ? N’hésitez pas à partager vos coups de cœur !

De l’humour noir au rire jaune – petits lecteurs, petites lectrices

Le mois d’avril, ses poissons et ses farces nous ont donné envie de vous proposer une sélection autour de l’humour ! Riche thématique, que nous avons pensée comme un arc-en ciel des couleurs de l’humour, et en deux temps : petits lecteurs, petites lectrices aujourd’hui ; grands lecteurs, grandes lectrices lundi prochain.

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L’humour burlesque et le comique de situation

Je mange, je dors, je me gratte, je suis un wombat, Jackie French, illustrations de Bruce Whatley, Albin MIchel, 2007.

Je mange, je dors, je me gratte, je suis un wombat est devenu un grand classique chez Lucie. Car si Jackie French se « contente » de relater la journée d’un wombat à la manière d’un journal, les illustrations de Bruce Whatley apportent un tout autre sens au texte, pour le plus grand plaisir des jeunes lecteurs !

Son avis complet ICI.

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Essayez un peu de faire faire la course à des escargots ! Une chose est sûre : rien ne se passera comme prévu. Et on va bien rigoler. L’un ne peut s’empêcher de faire halte devant un cageot de salade, l’autre se trompe de route quand un autre encore creuse un trou… C’est un vrai plaisir de suivre ces escargots en pâte à modeler, photographiés dans des décors naturels que l’on redécouvre à hauteur de gastéropode. Et la chute est très bien trouvée. À lire à voix haute en prenant la voix d’un commentateur sportif !

L’avis d’Isabelle

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Mina, Matthew Forsythe, Little Urban, 2021.

Mina est un album pour toute la famille dans lequel Matthew Forsythe s’amuse avec son lecteur dans un jeu de dupes compréhensible à tout âge. Le comique de situation se met en place dès les premières pages par l’intermédiaire de la fantaisie d’un papa aventurier qui n’aime rien tant que ramener les choses les plus farfelues chez lui.

Les avis complets de Linda, et d’Isabelle.

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La boîte des papas, Alain Le Saux, école des loisirs, 2009.

D’autres livres qui mettent les papas à l’honneur dans des situations souvent à leur désavantage, sont ceux qui composent le coffret La Boîte des papas d’Alain Le Saux. On y suit les aventures quotidiennes d’un papa qui enchaîne les bourdes et les maladresses. Un régal à mettre en voix avec nos plus jeunes lecteurs et nos plus jeunes lectrices.

L’avis de Colette par là !

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L’humour par l’absurde et le farfelu

Le livre le plus génial que j’ai jamais lu…, Christian Voltz, L’école des loisirs, 2008.

Si l’humour de Christian Voltz fait toujours mouche, Lucie adore les commentaires du petit personnage grognon qui interrompt sans cesse Le livre le plus génial que j’ai jamais lu. Le titre, la dédicace, la typographie, l’histoire… Il formule des remarques sur absolument tout et passe son temps à râler. Jusqu’à ce qu’il s’exclame finalement « Hééé ! C’est vraiment le livre le plus génial que j’ai jamais lu ! »
Que s’est-il passé ? A vous de le découvrir !

Son avis complet ICI.

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Gloups (histoire vraie), de Judith Chomel, Atelier du Poisson soluble, 2021.

Un moment d’inattention et GLOUPS ! Lili avale le précieux boulon qu’elle venait de ramasser. Que va-t-il se passer ? Son imagination se met aussitôt en branle, mais elle est loin (et nous avec) de pressentir ce qui l’attend… Cette histoire est complètement loufoque, captivante et magnifiquement mise en image. Chaque page est un vrai cabinet de curiosités, digne de la collection d’une chercheuse de trésors chevronnée : sur fond de tapisseries vintage, Judith Chomel entremêle joyeusement des photomontages faisant la part belle à des antiquités toutes plus rigolotes les unes que les autres (mais où les a-t-elle dénichées ?) et des dessins qui insufflent au récit la touche de fantaisie qui fait le sel des récits enfantins. C’est hyper réjouissant, intense comme les mômes vivent les choses.

L’avis d’Isabelle

Et cela fait parfaitement la transition vers la catégorie suivante qui est…

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L’humour pipi-caca

Cet humour, universel, fait rire aux larmes les petits comme les grands.

Ni vu ni connu de Michaël Escoffier & Kris Di Giacomo, Editions Frimousse, collection : Maxi’Boum, 2009

Léon est un caméléon un peu gourmand et après une bonne sieste digestive, une belle envie de caca ne se fait pas attendre. Mais comment s’essuyer correctement et proprement lorsque le rouleau de papier toilette est vide ? « Tiens cette vieille culotte devrait faire l’affaire » après tout elle semble bien abandonnée… sauf que quelques temps après « Léon se sent tout bizarre ». N’aurait-il pas un petit souci avec sa conscience ?

Léon, le caca c’est son affaire mais attention à ne pas subtiliser ce qui ne lui appartient pas pour son propre contentement. Ici l’humour « pipi caca » sert d’amorce à un message plus fort : celui de respecter la propriété d’autrui. Le lecteur se régale de la trombine de Léon scrutant les environs pour comprendre et tenter de voir « sa conscience ». La chute est vraiment excellente. A lire, relire et faire découvrir !

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Kiki King de la banquise fait caca de Vincent Malone & Jean-Louis Cornalba – Editions du Seuil, collection : l’Ours qui pète, 2013

Kiki est coincé sur sa mini banquise, l’auteur le croise alors que lui-même traverse « l’océan arctique aller-retour en canoë-kayak sans rames et sans escales pour une marque de camembert au lait cru… ». Kiki semble tenir le coup tout seul tandis qu’un étrange ballet sous-marin se joue. En effet, des requins « curieux en arctique » tournent autour de lui. Qu’attendent-ils et surtout pourquoi Kiki est tout crispé ? Est-ce la peur qui lui donne ce teint tout cramoisi ?

Les squales sont-ils crottivores ? Découvrez-le en lisant ce titre de la série Kiki. Tout le monde y va de son propre commentaire concernant l’état de Kiki. L’attaque imminente des requins à la mine patibulaire se fait sentir. Pauvre Kiki, personne ne le laisse tranquillement faire son affaire « faudrait des bouquins qui ferment à clef. »

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De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, Werner Holzwarth, Wolf Elbruch, Milan, 1999.

Dans cette catégorie, pour nos tout-petits, il y a un album incontournable : De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête de Wolf Erlbruch et Werner Holzwarth. On y suit une petite taupe qui mène l’enquête pour savoir qui lui a fait caca sur la tête. La voilà qui interroge une ribambelle d’animaux alentour et chacun, pour témoigner de sa bonne foi, lui montre à quoi ressemble ses crottes. Il y a un petit côté apprenti naturaliste dans cette recherche des traces et l’humour à la pédagogie mêlé forment un cocktail détonnant.

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L’ironie et l’humour noir

Pas toujours évident de manier l’ironie, le second degré, voire le sarcasme avec des tous petits ! Et pourtant, il n’y a pas d’âge pour commencer. La preuve : cet imagier qui annonce une trottinette et illustre une pomme. Puis décrit une saucisse alors que ce que l’on voit, c’est clairement… un véhicule. Complètement Toc-Toc et hilarant, pour les enfants qui connaissent déjà le sens des mots et saisissent le décalage.

L’imagier toc-toc, d’Edouard Manceau, Milan, 2018.

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Avec Triangle, Mac Barnett et Jon Klassen signent un album inattendu et désopilant ! Une histoire d’arroseur arrosé où Triangle, habitant des contrées triangulaires, joue un tour à Carré. Le dessin minimaliste est follement expressif. Et sur le mode de la fable, l’album raille l’aspiration à ne côtoyer que ses semblables et peut donc être lu comme une ode aux échanges et métissages.

Triangle, de Mac Barnett et Jon Klassen, L’école des loisirs, 2018.

L’avis d’Isabelle

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Regarde par la fenêtre, de Katerina Gorelik. Saltimbanque, 2021.

Admettez-le : difficile de résister à l’envie de glisser un regard curieux par une fenêtre ajourée. À partir de là, l’imagination peut s’emballer ! Mais attention, gardez à l’esprit que la façade peut être redoutablement trompeuse… Quel amusement de voir la réalité se révéler à mille lieux des apparences ! Regarde par la fenêtre a un charme vintage irrésistible, mais ne vous y trompez pas là non plus, tout cela est baigné d’une bonne dose d’ironie et d’humour noir. Isabelle et ses moussaillons ont eu un vrai coup de coeur pour les illustrations de Katerina Gorelik, ses clins d’œil décalés aux contes et son invitation malicieuse à ne pas juger à l’emporte-pièce.

L’avis d’Isabelle

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Les jeux de mots et l’humour par les mots

Un album à tirettes que Colette a encore plaisir à lire avec ses Petits-Pilotes devenus grands, c’est Un jour à la maison d’Alain Pichlak et Elodie Durand. Les auteur.e.s y jouent avec les mots pour notre plus grand plaisir : grâce à un ingénieux système de tirettes, les lettres bougent sur la page et par la magie de la substitution, de drôles de jeux de mots viennent chatouiller notre imaginaire.

Un jour à la maison d’Alain Pichlak et Elodie Durand, De La Martinière jeunesse.

Son avis complet ici.

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Claude Ponti est un roi de l’humour – et de l’humour par les mots en particulier. Un maître des jeux sur les sonorités des mots et des noms qu’il invente avec une imagination et une malice sans borne. Dans Ma Vallée, par exemple, les frères du narrateur s’appellent Olie-Boulie ou Fouchtri-Fouchtra. Et que dire des inventions géniales, comme la Balanquette – combinaison de balançoire et de banquette à laquelle il fallait décidément penser ! Cette histoire pourrait n’avoir aucun sens (ce qui n’est pas le cas, grâce à elle, vous saurez tout de l’univers des Touims), elle resterait jubilatoire pour cette drôle de musique qui résonne comme une comptine et qui ravit les enfants.

Ma vallée, de Claude Ponti. L’école des loisirs, 1998.

L’avis d’Isabelle

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La série des P’tites poules pourrait entrer dans plusieurs catégories. Elle comporte d’ailleurs différents niveaux de lecture qui sauront amuser tant les enfant que leurs parents. Jeux de mots, comique de situation, références historiques, mythologiques, littéraires… Il y en a pour tous les goûts. La présentation des auteurs est à elle seule un monument.

Les p’tites poules (18 tomes), Christian Jolibois et Christian Heinrich, Pocket Jeunesse, 2005.

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En attendant notre sélection consacrée au plus grands la semaine prochaine, racontez nous : de quel humour êtes-vous les plus friands ? Quel album vous fait rire aux éclats ?