Lecture commune : De délicieux enfants

Comme vous avez pu le constater au travers des deux articles que nous lui avons consacrés (un entretien et une présentation des romans de notre auteure essentielle), sous le Grand Arbre nous sommes fans de l’écriture vive et pétillante de Flore Vesco. Ses thématiques et son attention à la langue nous emportent systématiquement.

Systématiquement ? Nous avons voulu le vérifier, et nous sommes donné rendez-vous pour discuter de son dernier roman, De délicieux enfants !

De délicieux enfants, Flore Vesco, L’école des loisirs, 2024.

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Héloïse : Était-ce le premier Flore Vesco que vous lisiez ? Aviez-vous des attentes particulières avant de le commencer ?

Isabelle : Pour ma part, je suis une fan de la première heure et je lis tous les romans de cette autrice. Elle pourrait revisiter l’annuaire que je serais sur les rangs ! Donc évidemment, j’ai mis cette lecture au programme des lectures familiales dès l’annonce de la parution du roman, sans même avoir besoin de lire le résumé. Donc pas d’attente particulière, j’y suis allée en toute confiance !

Lucie : J’ai découvert Flore Vesco avec L’estrange malaventure de Mirella grâce aux copinautes du Grand Arbre. Je crois qu’il ne m’en manque qu’un (celui sur Gustave Eiffel) et je les attends chaque fois avec impatience !

Héloïse : J’ai découvert Flore Vesco avec De cape et de mots (j’ai d’ailleurs beaucoup aimé l’adaptation BD), mais je n’ai pas encore lu tous ses ouvrages. Cela dit, je n’ai pas hésité une seule seconde avant de l’acheter ! Pas d’attentes particulières non, je me régale à chaque fois avec ses jeux de mots, et sa plume virevoltante.

Colette : J’avais déjà lu Louis pasteur contre loups garous (mon préféré parce que j’y ai appris beaucoup de choses scientifiques) Gustave Eiffel et les âmes de fer, D’or et d’oreillers et le flamboyant De Capes et de mots. J’adore le style de cette autrice qui ne cesse de réinventer la langue à l’aune de l’histoire des mots tout en reconstruisant des univers historiques hyper solides. Je n’avais qu’une seule attente : retrouver le plaisir incroyable de mes précédentes lectures.

Isabelle : Je te rejoins sur tout : la densité des décors historiques, son usage incroyablement créatif de la langue et la surprise, toujours au rendez-vous. Il me semble que l’une des caractéristiques les plus fascinantes de ce roman est son ambiguïté qui commence dès le titre qu’à chaud, mes moussaillons et moi n’avons pas compris pareil. Quel effet vous a-t-il fait ?

Lucie : Quand on connaît le goût pour la langue et les doubles sens de Flore Vesco, un titre pareil ne peut qu’attirer l’attention ! Surtout avec ces mains qui s’approchent subrepticement de cette jeune fille sur l’illustration ! D’un premier abord, ça pourrait presque être un titre à la Comtesse de Ségur, dans le sens « délicieux » agréables, bien élevés. Mais on ne peut ignorer le sens associé à la nourriture, synonyme de « succulent » !

Isabelle : Ha ha, tu as raison, il y avait un roman de la Comtesse de Ségur qui s’appelait Les Bons enfants ! Très drôle comme parallèle.

Héloïse : Ah le titre… Dès le début, j’ai pensé à une histoire d’ogre. Mais effectivement, ce terme de délicieux peut être compris dans tellement de sens différents !

Colette : Un monde mi cruel mi gourmand s’est ouvert à mon imaginaire dès le titre. J’ai tout de suite pensé à l’univers des contes, des ogres, des ogresses et des ogrions ! Je venais de terminer la lecture de L’Ogrelet de Suzanne Lebeau avec mes élèves de 6e alors peut-être que cela a joué sur mon horizon d’attente.

L’Ogrelet, Suzanne Lebeau, Éditions théâtrales jeunesse, 2003.

Isabelle : je suis plus naïve que vous, je n’y ai pas pensé tout de suite. Alors que pour mes moussaillons, il n’y avait pas l’ombre d’un doute, comme pour vous : les enfants allaient être dégustés.

Héloïse : En parlant de la couverture, moi c’est ce rouge qui m’avait interpellée, c’est une couleur forte, qui renvoie à beaucoup de symboles (la passion, le sang, le feu…). C’était pareil pour vous ?

Colette : j’adore cette couverture ! Je la trouve d’une puissante féminité. Il y a quelque chose de très ambigu dans le choix de la couleur et des motifs qui se dessinent à travers elle. Danger et beauté entremêlés. Vie et mort. On sent dès la couverture qu’on va toucher à un récit qui se jouera de questions existentielles.

Lucie : Bien sûr ! Cette couverture attire immédiatement l’œil. D’ailleurs on retrouve cette couleur absolument partout dans le roman. Flore Vesco s’en sert pour créer une sorte de jeu de piste très ludique. D’autant que là encore elle joue sur toutes les nuances et les tous les symboles possibles associés à cette couleur.

Isabelle : La couverture reflète toute l’ambiguïté que nous évoquions à l’instant. Elle est sensuelle et effrayante. Comme tu y fais allusion Héloïse, le rouge est la couleur de la sensualité, mais aussi celle du sang qui coule lors des meurtres mais aussi lorsque les femmes ont leurs règles, un motif récurrent que l’on trouve sous une forme symbolique dans les contes.

Séverine : Cette couverture m’a envoûtée ! Je la trouve à la fois effrayante (ces mains crochues et menaçantes) et très sensuelle, oui, effectivement. Et ces variantes de rouges m’évoquent bien les différents niveaux de lecture qu’on peut avoir : rouge sang, rouge passion, rouge du feu ardent…

Colette : C’est fou, je n’avais pas vu les mains dont vous parlez. Pour moi il s’agissait de racines d’arbre.

Héloïse : Je ne les ai pas vues au début non plus, c’est après qu’elles m’ont sauté aux yeux !

Isabelle : Ta réaction Colette le confirme : Le double-ton était donné dès la couverture ! Le roman s’ouvre sur un prologue lui aussi assez particulier : qu’avez-vous ressenti à sa lecture ?

Héloïse : Un grand « Waouh ! Ça démarre fort ! ». Flore Vesco prend dès le début le contrepied des contes, et joue avec nous, j’adore !

Séverine : je me suis demandé, sans mauvais jeu de mots, à quelle sauce nous allions être mangé.es ! Le ton est brut, sans ménagement, et je me suis vraiment projetée à la place de ces enfants qui, dans un mélange d’appréhension et de curiosité, attendent avec impatience l’histoire qui va leur être racontée. Je visualisais vraiment la scène !

Colette : Le ton particulièrement provocateur du prologue qui se joue à la fois de la figure traditionnelle de la sorcière et de celle de la grand-mère donne le ton dès les premières pages. Il va être question de Petit Poucet, de Perrault mais surtout de subversion et de transgression. On avance en territoire connu mais on sait d’avance que tout cet univers va être chamboulé.

L’une des très nombreuses versions du Petit Poucet, adapté de Charles Perrault par Marie-Hélène Delval et illustrée par Ulises Wensell, Bayard éditions, 2021.

Lucie : Il m’a fait penser à celui de D’Or et d’oreillers dans le sens où on a une narratrice (j’aime cette référence aux conteurs d’antan) qui annonce d’emblée que cette histoire sera différente des « niaiseries » habituelles et se place dans le rôle de celle qui va enfin dire la vérité sans fard. Le tour avec un franc parler et un humour (noir) très caractéristique de l’écriture de Flore Vesco.

Isabelle : c’est assez drôle la manière dont elle annonce que l’histoire ne convient pas aux « jeunes âmes », qu’il y aura des tripes, des larmes et des morts. Évidemment, dès que je leur ai lu ça, mes garçons n’ont eu qu’une envie : se jeter avidement sur la suite. Vous êtes plusieurs à avoir évoqué les contes, matériau de prédilection de Flore Vesco. Si on en croise plusieurs dans ces pages, le principal reste Le Petit Poucet. Y avez-vous tout de suite trouvé vos repères ? Pour ma part, je n’ai pas trouvé cela évident tant l’histoire est racontée différemment et je me retrouve dans l’idée exprimée par Colette que cet univers a été “chamboulé”. Est-ce que vous auriez envie de parler des procédés utilisés par l’autrice et de la manière dont ils ont influencé votre lecture ?

Colette : L’un des procédés que j’ai trouvés le plus efficace est l’organisation en texte choral de la narration. En effet, on ne s’attend pas du tout à entendre la voix du père, de la mère et surtout des six enfants, qui sont comme invisibilisés dans le conte de Perrault. Même si cette structure m’a rappelé L’enfant océan de Jean-Claude Mourlevat qui reprend lui aussi le conte du Petit Poucet, le génie de Flore Vesco est de garder le cadre temporel imprécis propre au conte tout en y introduisant une véritable dynamique romanesque. On est vraiment toujours à la limite de ces deux genres dans ce récit, encore plus me semble-t-il que dans ses autres romans inspirés par l’univers des contes.

L’enfant Océan, Jean-Claude Mourlevat, Pocket jeunesse, 2010.

Isabelle : Là-dessus, j’ai trouvé que De délicieux enfants se démarquait. L’estrange Malaventure de Mirella nous entraînait dans les recoins les plus sombres du Saint empire romain germanique, D’or et d’oreillers dans l’Angleterre victorienne. Ici, comme tu le dis, on reste plus proche du registre intemporel des contes. Je me suis demandé si j’avais affaire à une famille survivaliste qui vivrait en marge de la société, mais non, nous sommes dans une forêt de contes et il y a peu de références qui nous permettraient de nous orienter.

Lucie : On retrouve la cabane dans les bois, les parents, les sept enfants dont le dernier un peu à part… J’ai donc retrouvé certains marqueurs mais j’ai été très surprise (et enchantée) par le virage pris par l’auteure. Elle bouscule les attentes du lecteur, c’est assez jouissif ! Je rejoins Colette, la multiplicité des narrateurs est vraiment un ressort intéressant de ce point de vue là. Comme toi Isabelle je me suis demandé dans quel contexte historique se tenait cette histoire. Il m’a d’ailleurs fortement évoqué le film Le Village dans la volonté de s’exclure de la société. (et la couleur rouge a aussi un rôle spécifique dans ce film !) Mais cela ne m’a pas gênée outre mesure.

Héloïse : Je suis d’accord avec vous, cette narration à plusieurs voix est très intéressante. On a bien une famille avec sept enfants au départ, mais justement, on se rend vite compte que cette famille diffère de celle du Petit Poucet. On est en pleine forêt, toute la famille a faim mais … Dès le début, on comprend que ce père n’abandonnera jamais ses enfants. C’est difficile d’en dire plus sans trop en dévoiler non plus !

Colette : oui Héloïse, je te rejoins, difficile d’en dire plus mais le ressort le plus intéressant est quand même la méga-giga-surprise qui nous attend quand on vient frapper à la porte de nos protagonistes !

Héloïse : Mais oui, je ne m’y attendais pas du tout ! Et c’est aussi ce qui fait le charme de cet ouvrage, je me suis totalement laissée « embarquer » dans des situations que je n’avais pas vues venir.

Isabelle : Vous vous en sortez très bien pour parler du roman sans dévoiler ce qui serait dommage ! Je trouve qu’un autre aspect déstabilisant, c’est la détermination avec laquelle le roman met en lumière ce qu’on n’a pas l’habitude de voir en littérature (jeunesse ou pas). Les choses les moins ragoûtantes, les plus pulsionnelles, effrayantes ou jouissives. Les corps.

Colette : Carrément ! C’est en quoi j’ai trouvé ce récit tellement moderne et tellement féministe ! Les corps, les désirs, les plaisirs sont au cœur de la rencontre. Sur ce point là, il y a des liens avec les thématiques explorées dans D’or et d’oreillers mais finalement d’une manière plus essentielle, plus “primitive”.

Isabelle : Tu parles des plaisirs et de la sensualité mais il est aussi question de corps qui ploient, se déchirent, allaitent, restent mutilés par les épreuves de la vie. Il est aussi et surtout question de faim dans ces pages, un sujet qui, s’il est courant dans les contes traditionnels, n’est pas abordé si souvent de nos jours en littérature jeunesse.

Lucie : Nous sommes conviés dans une famille qui aime manger, les corps sont libres, forts. De bons vivants qui parlent sans tabou des fluides naturels et corporels mais aussi des envies, des besoins et des pulsions. Je trouve que cela correspond parfaitement à leur rapport à la nature qui les entoure. C’est très sain !

Isabelle : Tout de même, je ne dirais pas “de bons vivants”. Ils meurent presque de faim !

Héloïse : Oui, et puis notre protagoniste est adolescent. Le corps, ses changements, la découverte des désirs, l’éveil à la sensualité, c’est un cap de cette période.

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Un bonus pour celles et ceux qui ont DÉJÀ lu le roman. Pour les autres, revenez après l’avoir dévoré : attention spoilers !

Isabelle : Le récit prend une autre tournure au moment où l’on découvre que les sept enfants dont on parle sont des filles. Des filles mais qui ont grandi en marge de la société et se sont développées à leur guise, libres de toute attente sociale : c’est quand même génial, non, cette expérience de pensée qui imagine ce que deviendraient des jeunes filles élevées à la sauvage, loin de tous les carcans genrés ?

Héloïse : Oui c’est une question que j’avais mis de côté sans savoir si on pouvait en parler, c’est quand même une des “révélations” du roman.

Lucie : Il aurait vraiment été dommage de ne pas aborder ce sujet. Il se trouve que j’ai lu un certain nombre de romans qui jouent sur le genre des personnages récemment, et je trouve qu’ici c’est non seulement très bien fait en surtout extrêmement pertinent. Et oui Isabelle ! Ce qui est génial c’est qu’elles se comportent donc sans se conformer à un quelconque rôle et que, spontanément, le lecteur pense avoir affaire à des garçons. Non seulement parce que les marqueurs du Petit Poucet sont présents mais aussi parce qu’elles chassent, coupent du bois… Rôles traditionnellement associés aux garçons. Et le lecteur d’être pris au piège des stéréotypes !

Colette : c’est difficile en effet de ne pas aborder cette manipulation de l’autrice car la majorité du texte va s’intéresser à la question du genre me semble-t-il. Toute l’épaisseur de la réécriture du conte repose sur cette “inversion” des genres des personnages principaux. Et comme toi Lucie, j’ai trouvé qu’ici cela faisait le sel même de la narration alors que par exemple dans Sous ta peau le feu de Séverine Vidal où l’autrice joue aussi sur l’effet révélation du genre de son personnage principal au milieu du livre, c’était un “prétexte” pour aborder la question de la sexualité alors qu’ici cette inversion permet d’aborder toutes les questions d’éducation liées au genre.

Lucie : Justement, avez-vous remarqué à quel moment nous prenons connaissance du sexe des « enfants » ?

Colette : C’est au moment où on vient frapper à leur porte ! Quelle judicieuse trouvaille qui joue encore une fois avec le conte tout en le détournant puissance 1000.

Isabelle : C’est vrai que c’est assez génial parce qu’à ce moment-là, on réalise qu’on est bien dans le conte qu’on connaît, mais pas du tout là où on croyait !

Colette : Et d’ailleurs, c’est là où j’ai commencé à avoir peur pour nos héroïnes… car justement du coup je m’y étais attachée et je savais ce qui allait leur arriver ! Malheur ! Mais en même temps, je goûtais avec délice aux manipulations de l’autrice en me demandant où elle pouvait bien vouloir nous amener !

Héloïse : Oui, c’est un regard masculin qui va nous dévoiler cette surprise. Un regard qui juge, qui condamne cette liberté.

Colette : C’est très intéressant que tu parles de regard masculin Héloïse, j’entendais encore ce matin Iris Brey spécialiste du female gaze (et donc du male gaze) en parlait pour ce qui concerne le cinéma et les séries mais tu as raison, ici aussi c’est le même procédé : avec l’irruption du masculin, le jugement débarque !

Héloïse : Oui, c’est là que l’on quitte “l’innocence” pour notre famille. Les enfants sont confrontés aux stéréotypes, à un regard malsain, qui veut tout régenter, contrôler…

Lucie : En effet, c’est le regard masculin qui révèle le sexe des filles, par contraste. Avant de rencontrer ces garçons, ce sont des enfants. Rencontrer ces enfants différents d’elles leur fait prendre conscience de leur sexe, et changer totalement de comportement. C’est un peu ce que je voulais dire quand je parlais de « s’exclure de la société » : les parents ont voulu préserver leurs enfants des préjugés en les isolant, mais la société frappe à leur porte (au sens propre) et les ennuis arrivent ! Puisque nous avons décidé de parler des filles, nous pouvons aborder la couleur rouge des règles, peu présentes en littérature jeunesse. Qu’en avez-vous pensé ?

Isabelle : J’avoue que je n’ai pas trop compris pourquoi les règles jouaient un rôle aussi important dans l’histoire. Mais j’imagine que c’est une sorte de symbole de l’âge de l’adolescence qui va de pair avec la fin de certaines illusions, la naissance de désirs et l’envie de s’émanciper.

Colette : C’est aussi une question qui permet de distinguer Tipou de ses sœurs, tout en symbolisant comme vous l’avez souligné ces deux âges de la vie que sont l’enfance et l’adolescence. Et avec l’adolescence, ce nouveau rapport à l’autre, à celui qu’on désire, dont on se montre curieuse, curieux.

Héloïse : Les règles sont aussi parfois mentionnées comme symbole de la puissance féminine.

Lucie : Je l’ai aussi pris comme une entrée dans l’adolescence et donc dans la séduction et le désir dont vous avez déjà parlé. Question essentielle s’il en est au vu de la suite des péripéties ! Pour une fois les héros de contes ne sont pas asexués (même si nombre de contes parlent en réalité de sexualité de manière détournée). Tu as raison Héloïse ! Et cette puissance prend tout son sens quand on comprend finalement qui est réellement cette famille.

Héloïse : oui, et avec la rencontre avec la marraine…

Lucie : J’ai trouvé ce personnage de marraine particulièrement intéressant (et peut-être même sous exploité, j’aurais aimé en savoir plus sur ses motivations). Avez-vous envie de parler de ce personnage ?

Colette : Personnellement, c’est le personnage qui m’a laissé le plus incrédule… Je n’ai pas bien compris son rôle dans l’histoire – car là par contre on s’éloigne clairement du Petit Poucet. Mais je suis curieuse de découvrir vos analyses !

Isabelle : Tout comme toi, Colette.

Héloïse : oui, là on trouve des références à Hansel et Gretel et au Chat Botté… Elle a un côté sorcière toute-puissante, bienfaitrice mais aussi dangereuse.

L’une des tout aussi nombreuses versions de Hansel et Gretel, Jacob et Wilhelm Grimm illustré par Anthony Brown, L’école des loisirs, 2001.

Isabelle : Effectivement, elle tient plus de la sorcière que de la marraine la bonne fée. Mais je n’ai pas trop compris ses motivations.

Lucie : Voilà, j’aurais aimé mieux la comprendre. Comme Héloïse, j’ai tout de suite pensé à la sorcière d’Hansel et Gretel. Mais il me semble que le personnage fait sens avec le discours féministe (la figure de la sorcière a le vent en poupe). A vrai dire, je me suis immédiatement demandé si elle n’était pas la narratrice du prologue. Elle a un côté marionnettiste avec des buts obscurs mais qui paraissent essentiels à ses yeux. Elle est cruelle mais pousse les gens à réaliser leur destinée.

Héloïse : Pour moi c’est la même personne.

Isabelle : Mais oui, pour moi aussi, c’est bien elle. On comprend à la fin du roman comment la cicatrice mentionnée dans le prologue s’est formée.

Héloïse : C’est cela, avec l’épilogue, la boucle est bouclée.

Lucie : Parmi la quantité d’éléments traditionnels du conte que Flore Vesco bouscule, il y a aussi la place laissée aux parents. Habituellement absents voire atroces, ils sont ici attentifs et aimants. Pour être honnête je crois que ce sont mes personnages préférés. Ont-ils réussi à vous séduire vous aussi ?

Colette : J’ai été particulièrement sensible au discours sur l’éducation. Deux systèmes s’opposent dans ce récit : celui de la famille de Poucet, ancré dans la société, avec toutes ces étiquettes qui vous empêchent d’être vous-mêmes, et celui de la famille de Tipou, qui vous accueille exactement comme vous êtes et devenez. C’est une sacrée critique de notre société que l’on peut donc lire en filigrane car qui ose vraiment éduquer ses enfants en marge des codes, des règles, des stéréotypes, de genre, entre autres ? Et ne finit-on pas par le payer quand on a l’audace d’essayer ? Ce que j’ai trouvé chouette aussi avec la figure des parents c’est de découvrir leur passé, leur histoire au fil du récit, par bribes, ce qui leur donne une épaisseur inattendue par rapport au conte dans lequel les personnages sont tellement manichéens.

Isabelle : C’est vrai que ces personnages de parents sont inattendus, tu as raison d’en parler Lucie. Les rôles de parents et d’ogres se brouillent. Mais comme, contrairement à d’habitude, on entend leur voix, leurs doutes, leurs difficultés, ils restent très humains et on s’attache fort à eux. C’est un peu l’antipode des adultes des contes qui sont souvent monstrueux.

Colette : J’ai aussi particulièrement aimé le lien entre les sœurs et comment l’autrice nous montre à la fois comment ce lien s’est élaboré et comment – avec l’intrusion du masculin – il se défait… Et vous qu’en pensez-vous ?

Isabelle : Leur narration à la deuxième personne du pluriel donne l’impression qu’elles fusionnent. Elles sont presque indissociables, se confondent, agissent de concert comme un tout organique… jusqu’à un certain point où cette belle unité se fissure, effectivement, suite à l’intrusion des garçons qui leur donnent envie de se distinguer et de s’approprier l’un de ces hommes en devenir.

Héloïse : Oui, la concurrence apparaît alors qu’elles étaient unies auparavant. L’individualité. presque de l’individualisme. L’arrivée des garçons, c’est vraiment le moment où, malgré toutes les difficultés rencontrées auparavant, l’harmonie est brisée. L’entrée du loup dans la bergerie.

Lucie : Pourtant, dans un conte “normal”, un nombre égal de filles et de garçons cela ne crée pas de tensions ! Je pense au Bal des douze princesses par exemple. C’est vraiment le regard – et plus encore le comportement extrêmement macho – des garçons qui fait monter les rivalités. Pour ma part, la fusion des filles aînées par binômes m’a semblé un peu facile. Cela crée deux blocs : Tipou et ses sœurs, qui ne sont pas forcément très sympas avec elle d’ailleurs… La sororité en prend un coup, même avant l’arrivée des garçons.

Héloïse : Tu as raison Lucie, Tipou à une place à part des autres sœurs. Mais elles-mêmes le disent, malgré sa différence, elles l’aiment.

Isabelle : Un pari sur le prochain conte que Flore Vesco fera passer à la casserole ?

Héloïse : aucune idée ! Mais je serai au rendez-vous pour le lire 🙂

Lucie : Moi je verrai bien quelque chose d’hivernal avec une couverture dans les tons blancs. Revenir sur La Reine des Neiges (pas mal cruelle elle aussi) après le carton de Disney (qui l’a bien trahi) pourrait être sympa ! Pourquoi pas mixé avec la Dame hiver, que j’aime beaucoup, ce serait génial.

Colette : pour sûr, ce sera un conte où les femmes seront à l’honneur !

Isabelle : Moi ça fait des années que je rêve de la voir revisiter Les habits neufs de l’empereur. Ça m’irait aussi très bien si elle décide de faire du petit garçon une fille, ou même de l’empereur une impératrice !

Lucie : Oh, celui-ci aussi est génial sur les faux-semblants et le poids du regard !

Isabelle : Pour finir sur notre question traditionnelle : à qui auriez-vous envie de faire découvrir ce roman ?

Lucie : Je le recommanderai plutôt à un public averti car il faut vraiment avoir les références aux contes pour l’apprécier, et aussi accepter d’être bousculé par les éléments un peu triviaux dont nous avons parlé. Cela peut gêner certains lecteurs. Mais ce serait dommage de s’arrêter à cela car le ton, l’humour et le discours sont vraiment brillants !

Colette : Je ne pense pas que l’autrice vise le même lectorat que celui du Petit Poucet. Moi qui venais de le lire à mes élèves de 6e, je ne leur aurais pas du tout proposé cette réécriture ! Par contre, je me vois bien le lire ou le suggérer à mon fils aîné de 15 ans. Et je le conseille sans hésiter à toutes mes copines, sorcières, fées-marraines, marabouteuses et elfes de forêt ! C’est une ode à la sororité ce bouquin, et à l’indépendance, l’émancipation, la liberté.

Héloïse : Effectivement, je pense que pour mieux le savourer, il faut avoir quelques notions de contes. Je le conseillerai à un public adolescent, dès 14-15 ans, et aux plus grands bien sûr !

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Et vous, avez-vous lu ce nouveau roman de Flore Vesco ? Dans le cas contraire, avons-nous réussi à vous donner envie de le découvrir ?

Vous pouvez aussi retrouver l’interview que Flore Vesco nous avait accordée et l’article où nous avons présenté nos titres préférés.

De la page à l’écran : La fameuse invasion de la Sicile par les ours !

Publié pour la première fois en 1945, le roman jeunesse de Dino Buzzati ne sera adapté en film d’animation qu’en 2019, après que l’épouse de l’auteur se soit laissée convaincre d’en céder les droits. Franco-italien, le film reprend l’essence du roman et tente de conserver les nombreuses idées graphiques incluses dans le récit illustré par l’auteur.
Linda et Lucie vous livrent leurs échanges autour du livre et de son adaptation par Lorenzo Mattotti.

La fameuse invasion de la Sicile par les ours, Dino Buzzati, Folio junior, 2019 (pour la présente édition).

Linda : Lorsque j’ai vu le film en 2020, j’ignorais qu’il s’agissait d’une adaptation d’un conte de Dino Buzzati. Je me suis donc précipitée sur le livre après avoir adoré le film. 
Par quel format as-tu découvert cette histoire ? T’a-t-elle convaincue de poursuivre rapidement l’aventure en changeant de support ?

Lucie : J’avais retenu le titre (qui est quand même particulier !) parce que tu avais parlé de ton coup de cœur pour le film. Il se trouve que, par hasard, ce conte se trouvait dans le tome des œuvres complètes de Buzzati que j’avais emprunté pour lire le recueil Panique à la Scala que m’avait conseillé un copain. Ça a donc été un emprunt deux-en-un, et comme le film était disponible aussi ce jour-là, j’ai enchaîné les deux.

Linda : C’est vrai que son titre ne passe pas inaperçu. Pourtant le film n’a pas fait grand bruit à sa sortie en salle en octobre 2019. Cela m’avait surprise la première fois que je l’ai vu car, même s’il peine encore à sortir son épingle du jeu, le cinéma d’animation européen a su se créer une véritable identité graphique. 
Comment trouves-tu le film d’un point de vue strictement visuel : dessin des personnages, couleurs, animation…?

Lucie : Je l’ai trouvé très travaillé et très beau. Le graphisme change de ce que l’on a l’habitude de voir, les couleurs sont magnifiques, l’animation est soignée… Bref, c’est une belle représentation du cinéma d’animation européen, qui comme tu l’as dit est plutôt de qualité.
Et toi, qu’en as-tu pensé ? Et comme il n’a a pas eu beaucoup de promo, te souviens-tu comment tu l’as découvert ?

Linda : Mon mari est un grand amateur de films d’animation. Il apprécie tous les genres et cherche toujours à découvrir de nouvelles choses. Il est sensible à la diversité des styles graphiques et quand l’esthétisme est soigné, il n’hésite pas longtemps. C’est donc tout naturellement qu’il est tombé sur celui-ci et nous a proposé de le voir en famille. C’était en avril 2020, durant le confinement, une époque propice aux découvertes puisque nous étions limités dans nos activités.

Affiche du film de Lorenzo Mattotti.

Linda : Le récit se découpe en deux parties, avec une césure de plusieurs années entre les deux. Si la première est plus épique, le seconde a un côté plus politique. Peux-tu nous en dire plus ? Est-ce que cette double temporalité t’a semblée adaptée au format cinéma ?

Lucie : Cette double temporalité est nécessaire du fait de la disparition du fils du roi. Tu expliques parfaitement la différence de ton entre les deux parties, qui se complètent (et forment même une sorte de boucle) mais sont d’un ton très différent.
La première partie est consacrée à l’invasion de la Sicile par les ours au sens propre. Ils ne sont plus satisfaits de leur mode de vie et décident de descendre de leurs montagnes, ce qui va les amener à cohabiter avec les humains après moultes péripéties.
La seconde est justement le résultat de cette cohabitation, l’influence néfaste que notre mode de vie a sur les ours et particulièrement sur leur morale. J’ai nettement préféré cette seconde partie, tant du livre que du film.

Linda : Je te rejoins dans l’idée que l’ensemble forme un tout indissociable, le premier amenant inévitablement au second. Si j’ai aimé l’aspect fantastique de la première partie avec sa magie, ses rencontres improbables, j’ai aussi été plus intéressée par la seconde qui amène une réflexion sur la place de l’homme dans son environnement, son rapport à la nature et aux animaux, mais aussi aux autres humains. Mais on y dénonce aussi les travers de notre société qui offre bien des facilités. C’est un aspect du livre que le film retranscrit parfaitement d’ailleurs.
Le film introduit deux personnages qui n’apparaissent pas dans le livre, un homme et une fillette qui prennent le rôle de narrateur. Ce choix te semble-t-il pertinent ?

Lucie : Ha, la grande question des narrateurs qui enchassent le récit !
Je n’ai pas forcément trouvé leur présence indispensable, mais elle ne m’a pas gênée non plus (contrairement aux écureuils du Gruffalo par exemple, qui me semblent totalement inutiles). Les personnages sont bien caractérisés, ils sont sympas, font un lien avec le spectacle vivant et son artisanat. Mais ils n’apportent pas grand chose à l’histoire selon moi. Et toi, qu’en as-tu pensé ?

Linda : Je pense tout comme toi qu’ils n’apportent rien de plus rien de moins à l’histoire. J’avoue même m’être demandé si l’idée n’était pas aussi de glisser un personnage féminin car il n’y en a pas dans l’histoire… Mais quelque part ça permet aussi de créer du lien avec le spectateur et comme tu le dis, ils font un lien avec le spectacle vivant.
En parlant de personnage féminin, crois-tu qu’il soit indispensable d’en ajouter une ? N’est-ce pas simplement répondre à un courant féministe et une demande du public ?

Lucie : Très clairement l’influence de ce courant féministe sur la littérature et les films m’agace. Mais je ne suis pas certaine qu’il était si présent à ce moment là. Et autant la petite fille du duo de narrateurs n’apporte pas grand chose (tout comme l’homme, nous l’avons dit), autant la jeune complice du prince donne une vision moins négative des humains. Il y en a quand même quelques uns d’à peu près d’aplomb. Parce que le magicien est un figure très ambivalente !

Linda : Ce n’est pas faux mais je me demande si cela répond vraiment à un message que Buzzati souhaitait faire passer ou si c’est quelque chose qu’il faut montrer pour amener un regard moins manichéen. Car finalement dans le roman, les hommes ont tous les vices, alors que les ours sont bons par nature. C’est notre mode de vie qui les pervertit, notre argent. Le professeur De Ambrosiis est certes ambivalent quant à son allégeance mais n’est-ce pas surtout qu’il ne sert que ses propres intérêts ? 

Lucie : Je me faisais exactement la même réflexion. Cela correspond d’ailleurs aux nouvelles de Buzzati que j’ai pu lire. Il y épingle avec beaucoup d’acuité et d’humour les travers humains. Je dirais qu’à ce titre De Ambrosiis est tout à fait représentatif de la vision de l’humanité de Buzzati ! C’est un personnage vraiment intéressant par ses revirements… mais pas le plus aimable.
D’ailleurs, as-tu un personnage préféré ?

Linda : Le professeur De Ambrosiis sait rebondir face aux situations pour obtenir ce qu’il souhaite sans pour autant être dénué d’empathie. On sent qu’il apprécie vraiment les ours et le confort de vie qu’il a gagné à être avec eux. Mais de là à risquer tout perdre…
Autrement je n’ai pas vraiment de personnage préféré, il y a plusieurs ours que je trouve intéressants. J’aime la sagesse du vieil ours Théophile, l’objectivité et la droiture de Tonio et même Léonce est attachant. Il a certes ses faiblesses mais c’est un bon souverain qui veut ce qu’il y a de mieux pour son peuple. 
Et toi ? 

Lucie : Comme toi, je n’ai pas vraiment de préférence. Les personnages ont une caractéristique principale, un peu à la manière des contes, et il est intéressant de les voir collaborer ou se confronter. À ce titre, j’ai d’ailleurs beaucoup aimé la présentation des personnages qui ouvre le livre. Elle m’a vraiment amusée et j’ai regretté qu’elle n’ait pas été utilisée dans le film. 
Y-a-t-il d’autres éléments qui t’ont particulièrement manqués dans l’adaptation ?

Linda : Pas spécialement non. Il y a dans le roman une sorte de complicité tacite qui s’installe dès les premières lignes entre le narrateur et son lecteur, on a vraiment cette impression d’être pris à parti avec des dialogues qui nous sont clairement destinés. Ca aurait pu me manquer peut-être, si j’avais lu avant de voir… La présence de personnages « narrateurs » dans le film vient jouer ce rôle en quelque sorte.

Lucie : L’adaptation est plutôt réussie, elle ne trahit pas le roman original, le graphisme est original et les couleurs très lumineuses nous emmènent directement en Sicile. Excepté ce « doute » sur le duo de narrateurs, qui relève du pinaillage, on peut considérer que c’est une belle adaptation !

Linda : Complètement d’accord avec toi. Je me souviens aussi avoir lu que les ayants-droits de Buzzati ont longtemps refusé toutes adaptations et qu’il a vraiment fallu à l’équipe du film expliquer le projet qu’ils avaient pour que son épouse accepte. Il était essentiel pour elle que les valeurs transmises par son mari soient respectées.

Lucie : La relation père-fils est centrale dans cette histoire. 
Qu’as-tu pensé de la réaction du roi à la disparition de son fils ? Et de la réparation de leur lien au moment où ils se retrouvent ?

Linda : C’est assez surprenant car on sent combien Léonce est inquiet de la perte de son fils, il le cherche pendant un moment mais est finalement tellement honteux de ne pas avoir su protéger son enfant qu’il finit par rentrer chez lui sans vraiment expliquer ce qui s’est passé. Finalement il va se contenter d’attendre qu’on lui propose d’aller chez les hommes pour se remettre à espérer. Leurs retrouvailles sont bouleversantes parce qu’elles sont brutales, mais en même temps la scène permet de montrer combien Léonce aime son fils. Le problème est que l’on découvre rapidement qu’en grandissant parmi les hommes, Tonio a une perception du monde différente de celle de son père dont les œillères définissent une limite erronée entre les hommes et les ours.
Au final, Léonce ne demandera qu’une seule chose à son fils. Qu’as-tu pensé de ce retour à la nature ?

Lucie : Tout d’abord, cette différence de point de vue entre le père et le fils m’a semblée vraiment intéressante. Il est normal que Tonio, ayant grandit parmi les hommes, soit moins choqué par leur comportement. Et dans le même temps, la demande de Léonce est celle d’un bon souverain. Il a entrainé son peuple dans la quête de son fils, a pu constater les dégâts de la cohabitation entre ours et hommes et a l’intelligence de revenir sur sa décision. Pour moi, c’est la preuve qu’il place le bien des ours avant tout. Cela montre bien, comme nous le disions au début de cette discussion, que Buzzati place la nature au-dessus de l’espèce humaine.
Et toi, qu’as-tu pensé de cette fin ?

Linda : Ca semble une fin logique, un retour nécessaire à la nature où finalement l’animal est à sa place. Par extension, l’homme étant un animal, y a sa place également, mais son évolution a fait qu’il ne peut plus y vivre sans éprouver le manque de ce que la civilisation lui apporte. Comme tu le dis, Buzzati place la nature au-dessus de l’espère humaine, cela se ressent dès le début de son récit c’est pourquoi cette fin m’a semblé naturelle.
Merci pour cet échange !

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Avez-vous lu et/ou vu La fameuse invasion de la Sicile par les ours ? Qu’en avez-vous pensé ?

Lecture commune : L’Apprenti conteur

L’Apprenti conteur de Gaël Aymon, l’école des loisirs, 2022.

Fin janvier, Gaël Aymon répondait à nos questions de curieuses arbronautes. Linda, Lucie et Liraloin se sont empressées de lire son roman l’Apprenti conteur paru dans la collection Neuf aux éditions de l’Ecole des Loisirs en avril 2022 et de partager leurs impressions.

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Linda :  Avant de commencer, j’aurais aimé savoir ce qui vous a poussé à lire ce livre et à le proposer en lecture commune ?

Liraloin : C’est drôle que tu me poses cette question car c’est Colette qui a suggéré de faire une LC du dernier roman de Gaël Aymon, j’ai juste répondu que l’idée était bonne et j’ai lu le roman. C’est aussi simple que cela. Après, j’avais bien aimé son titre Et ta vie m’appartiendra donc c’était l’occasion de lire un autre roman de cet auteur. 

Lucie : C’est effectivement Colette qui a proposé cette lecture commune suite à l’interview de Gaël Aymon. J’avoue que j’aime assez qu’un entretien ne soit pas publié comme ça, mais accompagné soit d’une lecture commune comme nous l’avons fait avec Annie au milieu d’Émilie Chazerand ou un article sur les « classiques » comme pour François Place. Cela nous permet d’explorer l’œuvre de l’auteur de manière plus attentive et de profiter à fond de cette opportunité (que je trouve toujours merveilleuse !) de poser nos questions à un auteur.

Liraloin à Linda: J’ai vu que tu en avais fait une chronique pourquoi as-tu été attirée par ce roman ?

Linda : Je ne connaissais que Silent Boy de Gaël Aymon et suite à son interview, j’étais curieuse de le lire autrement. La couverture, particulièrement sombre m’a interrogée et en lisant le synopsis je pensais lire une réécriture de conte, un format que j’apprécie beaucoup. Je n’ai pas hésité un instant.
Connaissiez-vous déjà l’hypothèse qui veut que les contes de la Mère l’Oye aient été écrits par Pierre Darmancour, le fils de Charles Perrault ?

Lucie : Je ne connaissais pas du tout cette théorie, et je ne sais pas vraiment quoi en penser. Mais dramatiquement, dans le roman, je l’ai trouvée intéressante.

Liraloin : Mais pas du tout ! Ca été une surprise pour moi si bien que je suis allée chercher des informations car je pensais que c’était pure fiction et invention de l’auteur. J’avoue n’être pas très experte en histoire et origines des contes. Finalement j’en lis peu alors que j’adore les écouter ! Et toi, as-tu été surprise également ?

Linda : J’ai aussi fait une recherche sur ce sujet à la fin de ma lecture. Je pensais vraiment que l’auteur s’était amusé à inventer tout ça pour placer son récit dans un cadre mystérieux. Donc oui, une vraie surprise et une lecture qu’on repense autrement après coup. J’ai trouvé toute cette histoire assez fascinante au final, d’autant que le mystère autour de cette affaire ne semble pas complètement résolu.
Gaël Aymon a choisi le versant sombre des contes pour raconter son histoire, mêlant le récit au genre fantastique. Qu’avez-vous pensé de ce choix ? Et quelles émotions vous a procuré la lecture ?

Liraloin : Quelle belle idée ! A travers des chapitres courts et bien rythmés le lecteur se prend au jeu. A chaque instant et durant toute ma lecture je me suis demandée si Pierre ne rêvait pas inlassablement, me procurant un étrange sentiment. L’effet fantastique fonctionne très bien car Gaël Aymon prend le parti de dérouler son histoire dans une atmosphère glauque et toujours de nuit.
Là encore je retrouve les effets cinématographiques dont l’auteur nous parle dans son interview. Le moment le plus fort est celui où Pierre et Mariette entrent dans la forêt brumeuse, j’y ai vu des références à Tim Burton dans Sleepy Hollow. L’émotion y est forte !

Lucie : En effet, les choix de Gaël Aymon sont de l’ordre du fantastique, et parfois assez noirs. Je ne m’attendais pas à ça mais après tout les contes traditionnels sont tout de même très sombres entre abandons d’enfant et méchants qui veulent les dévorer (ogres, loups, sorcières…), il y a quand même beaucoup de noirceur !

Linda :  L’écriture est très visuelle dans ce récit et cela m’a vraiment permis de m’immerger dans l’histoire de Pierre. J’ai donc souvent été surprise, presque perdue quant aux perceptions de ce monde aux contours assez flous. On est en effet en perpétuel questionnement sur les limites du réel. Comme tu le dis, Liraloin, les événements ont toujours lieu la nuit, ce qui renforce l’incrédulité du moment. Pierre rêve-t-il ? mais dormait-il vraiment au début de la scène ? C’est assez déstabilisant, d’autant que lorsqu’il revient dans la réalité, il semble toujours sortir du sommeil mais en même temps son esprit et son corps semblent avoir vécus et ressentis les événements fantastiques… C’est une vraie réussite !

Liraloin : Qu’est-ce qui vous a attiré dans la couverture ? Que pensez-vous des dessins de Siegfried de Turckheim ? Connaissiez-vous cet illustrateur ?

Lucie :  Je ne connaissais pas le travail de Siegfried de Turckheim mais il m’a beaucoup plu et je suis allée chercher ce qu’il avait fait d’autre. Je trouve que son trait correspond parfaitement à l’univers créé par Gaël Aymon, qui a effectivement quelque chose de Tim Burton, en tout cas dans ce roman.

Linda : Je ne connaissais pas non plus Siegfried de Turckheim et, comme Lucie, je suis allée chercher ce qu’il a fait d’autres. Je suis assez curieuse d’écouter sa musique d’ailleurs. Mais pour rester sur le dessin, j’aime beaucoup son style et le choix de se limiter au noir et blanc, ce qui appuie la noirceur du récit et vient aussi renforcer l’effet mystérieux des lieux et personnages dont il ne dévoile à chaque fois que quelques traits. Cela vient, au même titre que le texte, titiller la curiosité et encourager à poursuivre la lecture. J’aime beaucoup l’association de son univers à celui de Gaël Aymon, il y a une forme de cohérence entre les deux qui crée une vraie unité.

Liraloin : Qu’avez-vous pensé du Prologue?

Linda :  J’ai adoré le ton accrocheur de l’auteur qui s’adresse à son lecteur « Toi ! Oui, toi qui viens d’ouvrir ce livre ! » avant de nous expliquer où il nous entraîne et comment il compte bien nous perdre entre réalités et mensonges. Ça donne clairement envie de découvrir ce qu’il va nous raconter et si tous ces mystères vont réellement nous faire tourner la tête.

Lucie : Comme Linda, j’ai bien aimé que l’auteur annonce jouer avec la vérité et assume de manipuler son lecteur.
Ces façons d’interpeller le lecteur qui cassent d’une certaine manière le quatrième mur sont risquées, il arrive qu’elles me fassent sortir du roman. Mais quand c’est bien fait, cela peut être un ressort narratif très intéressant.

Liraloin : J’ai trouvé ce prologue intéressant car il plonge le lecteur dans l’histoire, c’est une introduction qui appartient à l’oralité, le conteur prévient le spectateur et l’interpelle sur la dangerosité de l’histoire qui s’ouvre devant lui mais je suis d’accord avec Lucie, il faut savoir le mesurer pour ne pas « gêner » le lecteur.
Revenons sur le caractère fantastique du roman et sur l’enchaînement des évènements :
Je te cite Linda : « L’Apprenti conteur va bien au-delà du conte de fées et flirte avec le fantastique en plongeant son personnage principal dans un monde chimérique qui le fait douter des limites de son imagination, poussant également le lecteur à s’interroger sur la frontière entre le réel et l’imaginaire, et sur l’existence d’une vie après la mort. » Est-ce que vous avez éprouvé ce même sentiment ? Ce sentiment d’osciller entre le rêve et la réalité ? Et où se trouve la réalité justement ?

Linda : Complètement oui. A la lecture j’ai ressenti beaucoup de choses (plus ou moins agréables), mais j’ai vraiment été déstabilisée par cette impression floue qui ne permet jamais de savoir si Pierre est éveillé ou s’il rêve. C’est quelque chose que l’auteur maîtrise parfaitement, nous étions prévenus et il a parfaitement réussi à flouter les limites réalité/rêve. La réalité n’est pas vraiment déterminée, ce qui est certain est que lorsque Pierre est dans la maison de son oncle, lorsqu’il écrit, il est dans la réalité. Pour ce qui est du reste…

Lucie : Heureusement, cela finit par être éclairci au cours du roman. J’avoue qu’au début Gaël Aymon ayant beaucoup situé les passages fantastiques la nuit, j’avais un peu peur que cela tourne au « tout ceci n’était qu’un rêve » qui m’aurait vraiment déçue. Car, comme le dit Linda, les seuls éléments clairement situés dans la réalité sont les interactions de Pierre avec son oncle.
Je vous rejoins sur la frontière floue entre réel et fantastique qui s’avère finalement très maîtrisée !

Liraloin : Gaël Aymon reprend des éléments que l’on retrouve dans les contes de ma Mère l’Oye, d’après-vous, comment font-ils avancer l’histoire ?

Lucie : Chaque conte correspond à une péripétie. Cela m’a d’ailleurs paru un peu systématique à un moment donné. C’est aussi ludique, comme un jeu de piste dans les contes populaires. J’étais chaque fois curieuse de découvrir auquel Gaël Aymon allait-il faire référence.
Mais heureusement, l’intrigue ne se limite pas à cela et prend ensuite de l’ampleur en se concentre plus sur l’histoire personnelle de Pierre et son rapport à Mariette.

Linda : Il me semble que ces objets, à l’inverse de Mariette, viennent appuyer le basculement dans l’irréalité du moment. Ils jouent d’une certaine façon le rôle de « porte », permettant de basculer d’un monde à l’autre. Un rôle que je questionne d’ailleurs beaucoup car, j’ai souvent eu l’impression que la maison servait également de passage. 

Liraloin : Vos réponses sont intéressantes et d’ailleurs, j’ai eu les mêmes impressions que vous et j’ai trouvé cet exercice (éléments tirés des contes) bien fait car comme tu le dis Lucie, cela ne dénature pas le récit. N’oublions pas la relation très particulière entre Mariette et Pierre mais nous y reviendrons (sans divulgâcher bien évidemment).

L’Apprenti conteur de Gaël Aymon, l’école des loisirs, 2022.

LiraLoin : Que pensez-vous de la rencontre entre Pierre et Mariette ? Comment leur relation fait évoluer l’histoire ?

Lucie : Pour moi, Mariette est le lien entre la réalité et le monde magique. C’est aussi elle qui fait le lien entre Pierre et les histoires orales. C’est donc un personnage à la fois essentiel et très énigmatique. Si j’ai rapidement compris sa différence, la révélation sur son identité a été une surprise !
J’ai beaucoup aimé qu’ils cherchent à se protéger l’un l’autre et la dynamique de leur relation.

Linda : Mariette se présente à Pierre au cœur de la nuit et dans l’intimité de sa chambre. Ce n’est pas anodin et permet de comprendre qu’elle est « différente », comme si elle n’était visible que de Pierre. Comme Lucie, j’ai été surprise par la révélation de son identité même si je commençais à penser, dans un petit coin de ma tête, que son attachement à Pierre et sa façon de le protéger la faisait ressembler à ce qu’elle est.
Pensez-vous que la maison fait le lien entre les deux mondes, ainsi qu’entre les deux enfants ? Ou est-ce cet attachement entre Pierre et Mariette, qui donne ce pouvoir à la maison ? 

Lucie : Je n’en ai aucune idée ! Et j’avoue ne pas avoir cherché à comprendre plus que ça. Si l’auteur parvient à m’entraîner dans l’univers qu’il a conçu, j’accepte le fantastique sans me poser de question. Mais comme tu poses la question, j’imagine que la maison a forcément un rôle, sinon Mariette aurait pu rendre visite à Pierre alors qu’il habitait à Paris. Mais Mariette a un rôle central de guide, de passeur malgré tout essentiel. Les deux sont liés, on s’en rend compte rapidement même si on ne sait pas vraiment de quelle manière !

Liraloin : Exactement, les deux mondes sont visibles seulement dans cette maison, vous avez raison. Le lien entre Mariette et Pierre est à la fois amical, amoureux et fraternel. On sent, dès le début, que Mariette est meneuse comme pour faire sortir Pierre de son « exercice d’écriture de poésie ». Je l’ai vu plutôt comme ça pour ma part, elle va le repousser dans ses retranchements et lui apprendre qu’un autre « monde » existe finalement.

Perlin, l’enfant qui faisait tomber la pluie de Siegfried de Turckheim, Seuil jeunesse, 2022.

Linda : Par ailleurs, lorsque l’on comprend qui est Mariette et d’où elle vient, sa présence fait-elle sens ? N’avez-vous pas vu une mise en danger du garçon ? Peut-on dire que la venue de Mariette ne soit motivée que par son désir de rencontrer Pierre ? 

Lucie : C’est une bonne question : Y-a-t-il réellement mise en danger ? Il me semble que c’est explicité à un moment dans l’histoire mais je ne me souviens plus de ce qui est dit. S’il arrive quelque chose à Pierre dans le monde fantastique, y aura-t-il des conséquences dans la réalité ? Mariette joue alors un rôle de passeur mais aussi de protecteur. Elle explique les règles qui régissent ce monde, qui sont étrangères à Pierre et le conseille dans certaines situations.
La présence de Mariette s’explique quand on comprend qui elle est, mais le lien avec le monde fantastique ne m’a pas forcément semblé plus clair. Et ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin que l’on m’explique tout pour être emportée !

Liraloin : Je pense aussi que Mariette emporte Pierre là où il ne serait jamais allé tout seul. Elle est à la fois aventurière et un guide rassurant.

Lucie : C’est finalement en découvrant le lieu où sa mère a grandi qu’e Pierre va en apprendre un peu plus sur elle. Qu’avez-vous pensé de cette idée ?

Linda : Il paraît logique que revenir sur les lieux qui ont vu grandir sa mère permette à Pierre d’en apprendre plus sur elle. Mais c’est la façon dont cela se fait qui est original puisqu’à aucun moment il ne va entrer en contact direct avec le souvenir de ce qu’elle fut lorsqu’elle vivait là. Il ne découvre pas qui elle était au travers de sa famille mais par le biais du fantastique.

Liraloin : Je dirais que la boucle est bouclée et que finalement Gaël Aymon sait entretenir le suspense jusqu’au bout de son histoire en ne perdant jamais l’essence même du fantastique.

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Les avis de LiraLoin, Isabelle, Linda et Lucie.

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Nous espérons que cette lecture commune vous aura donné envie de vous procurer ce titre. Si vous appréciez le fantastique et les contes il vous plaira certainement. N’oubliez pas de nous dire en commentaire si vous l’avez aimé !


NOËL dans le Grand Arbre

Pour varier des sélections et divers conseils de livres sur Noël, on a eu envie ici d’écrire collectivement un CONTE DE NOËL, illustré par nos artistes en herbe, à savoir nos propres enfants, d’âges différents. Le voici !

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« Mais ça existe un coiffeur pour arbre? »

« Il était une fois un grand arbre, qui durant l’année écoulée, avait essuyé une terrible tempête. Il était tout ébouriffé, beaucoup de ses épines étaient tombées sous le souffle du vent, celles qui restaient étaient tordues. « Il faudrait que je trouve un coiffeur ! se disait-il. Mais ça existe ça, un coiffeur pour arbre ? De plus, son tronc était penché, il avait peur de s’écrouler. Les oiseaux ne venaient presque plus se poser dans ses branches. Il était triste et seul. En plus, ce qui l’angoissait, c’est que Noël approchait ! Et pour lui, Noël, c’était Noël !

Au loin, durant la journée il pouvait entendre les bruits de la ville. La nuit c’était pire que tout, les lumières dressées ici et là éveillaient la quiétude du soir. Leur brillance l’émerveillait car lui aussi souhaitait se parer de milles couleurs. Le grand arbre se souvint du temps où ses branches auraient pu porter ses lumières fièrement. Maintenant, elles ne ressemblaient à rien. Il avait bien entendu parler d’un coiffeur pour arbre mais n’était pas très sûr de savoir comment s’y prendre pour le trouver ? Alors il interrogea les oiseaux nichés sur ses branches. Eux qui survolaient les villes et les villages de long en large avaient peut-être entendu parler d’un coiffeur de brindilles, d’un expert des ramures, d’un enchanteur de folioles ? L’arbre interrogea pies bavardes, merles, merlettes et rouges-gorges.

Chaque jour de cet automne si particulier, d’étranges bruissement de feuilles et de pépiements pouvaient s’entendre à qui prêtait l’oreille…Cela faisait un tel raffut que des enfants, qui jouaient non loin de là, s’approchèrent et se mirent à écouter les oiseaux tintinnabuler. Parmi eux, une jeune fille. Elle se nommait Samaa. Elle était intriguée. Ce n’était pas normal tous ces oiseaux dans un seul arbre ! Cela cachait quelque chose ! Était-ce dû au réchauffement climatique ? Son père lui en parlait souvent. Elle décida de lui en toucher un mot le soir en rentrant. Car il était jardinier et peut-être saurait-il trouver une explication à ce phénomène. En attendant, elle s’émerveillait de ce spectacle. C’était si féérique ! Ce n’était plus un arbre mais un arbre-oiseau ! Comme si chacune de ses branches n’existait plus ! Pour un peu il aurait pu s’envoler ! On ne remarquait même pas son tronc un peu penché. Le soir même, elle en parla à son père qui était intrigué et lui promit d’aller voir le lendemain. Il tint sa promesse. Au petit matin, devant cet arbre décharné, il comprit. Il comprit que les oiseaux l’embellissaient en attendant qu’il soit soigné. Alors, il s’attela à le remettre en état. Samaa, quand elle l’apprit, voulut l’aider et elle mobilisa ses amis et des gens du quartier. C’était beau à voir toutes ces personnes taillant, ramassant, redressant cet arbre affaibli. Ils lui demandèrent l’autorisation de brûler ses anciens atours mais Samaa eut une meilleure idée : et si on se retrouvait sous cet arbre tous ensemble pour la nuit de Noël ? On pourrait faire un feu de joie, lire des histoires, partager nos spécialités culinaires ? Et c’est ce qu’ils firent. Jamais on n’avait vu arbre plus heureux que de se se sentir si bien entouré… Il existait bel et bien un coiffeur pour arbres ! ».

Un arbre-oiseau !

Nous vous souhaitons de belles fêtes de fin d’année !

Lecture Commune : Rouge de Mathieu Pierloot

La collection Petite Poche chez Thierry Magnier regorge de titres de qualité, qui, en quelques pages, nous transportent dans des univers bien dessinés.

Rouge de Mathieu Pierloot m’a fait forte impression par la qualité de son écriture et l’ambiance qui s’en détachait. J’ai donc forcément eu envie d’en discuter avec les membres du Grand Arbre.

Retour sur notre échange :

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Bouma : Rouge. Un titre énigmatique pour une courte lecture. A quoi vous attendiez vous ?

Colette : Le titre évoque pour moi beaucoup de choses, j’adore le rouge : le rouge aux joues, le rouge à lèvres des baisers les plus fous, le rouge du soleil qui se couche sur la mer. Et puis le rouge c’est surtout l’amour.
Le mot « rouge » est extrêmement riche de connotations poétiques et vivantes. J’aime ce mot. Il me réchauffe. Je n’ai pas tout de suite pensé au petit chaperon rouge car je ne m’attendais pas du tout à une réécriture d’un conte dans la désormais chérie collection « petite poche ». Et puis les premières pages ne nous laissent pas tout de suite comprendre que l’on va rentrer dans un jeu de références intertextuelles… Comme toujours dans cette collection la subtilité prime…

Sophie : Rouge, pour moi, faisait référence à la colère. Je ne sais pas pourquoi mais c’était à une histoire sur ce sujet à laquelle je m’attendais.

Bouma : Avez-vous tout de suite pensé au célèbre Petit Chaperon Rouge ?

Sophie : Pas du tout. C’est d’ailleurs plutôt la Belle et la Bête qui m’est venu en premier à cause des objets qui parlent.

Colette : Même après relecture je ne trouve pas la référence au petit chaperon rouge si évidente… elle y est en filigrane c’est sûr mais Rouge n’est pas cette petite fille choyée par sa mère et sa grand mère qui lui cousent des habits uniques et lui préparent des pâtisseries maison. Loin de là. Rouge est une orpheline, une rescapée, un fantôme.

Bouma : D’accord avec toi Colette, la filiation avec le conte de Perrault n’est pas si évidente mais la relation entre le rouge et le loup est intrinsèquement lié à ce classique pour moi. Mais au fait, quel est votre personnage préféré ?

Sophie : Le loup, enfin on ne le présente jamais clairement comme ça, mais c’est lui que j’ai trouvé le plus intéressant

Colette : Mon personnage préféré c’est Seymour sans aucun doute. Parce qu’il aime la poésie. Et qu’il panse les blessures avec.

Bouma : Vous avez retenu le même personnage mais pas de la même manière à ce que je vois. L’une y a surtout vu l’animal quand l’autre y a vu la personne. Moi c’est finalement la petite fille qui m’a le plus intriguée, le plus questionnée même si on ne sait finalement pas grand chose d’elle. En tout cas, il y a une réelle richesse dans la narration et la profondeur des caractères.

Aviez-vous déjà lu cet auteur ? Que retenez-vous de son écriture ?

Sophie : Non je ne l’avais jamais lu. Ce que je garde en tête de son écriture, c’est surtout une ambiance. Quelque chose d’un peu énigmatique, mystérieux, poétique aussi.

Colette : Jamais lu non plus et j’ai vraiment aimé ce récit étrange, à la lisière du conte philosophique, de la poésie, du rêve…

Bouma : Au final, vous parlez beaucoup de poésie dans vos réponses. Comment la décririez-vous, si c’est possible ? D’où vient-elle selon vous ?

Colette : La poésie de ce texte pour moi est intiment liée au personnage de Seymour, à sa délicatesse, à sa particularité, à l’infinie douceur avec laquelle il prend soin de Rouge…

Sophie : Avec un peu de recul, sans rouvrir le livre, je dirais que ce qu’il me reste de poétique, c’est l’ambiance : quelque chose de mystérieux, d’étonnant et de beau en même temps.

Bouma : Dernière question : Recommanderiez-vous ce texte ? Et à qui ?

Colette : Au plus grand nombre et à mes élèves surtout ! Mes 6e adorent cette collection. Et la 4e de couverture de celui ci les a beaucoup intrigués.

Sophie : Oui je le conseillerais sans doute à des enfants à partir de 9-10 ans. Je me vois bien le lire en accueil de classe avec des CM pour écouter tout ce qu’ils pourraient capter de ce texte.

Bouma : D’accord avec vous, un texte pour les plus grands car il y a un paratexte plus complexe que dans d’autres titres de la collection.

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Nous espérons que cette lecture commune vous aura donné l’envie de découvrir ce court roman, fort et mystérieux, dans lequel chacun peut faire une lecture différente.