La série du Petit Nicolas créée par Goscinny et Sempé sent bon l’enfance et les années 60. Elle fait partie de ces classiques tellement iconiques qu’il nous semble les connaître même si l’on ne se souvient plus très bien si on les a lus ou non. Pour en avoir le cœur net, Lucie et son fils ont (re)lu Le Petit Nicolas (et quelques autres).
Le livre C’est toujours un grand plaisir de faire découvrir un livre que nous avons aimé enfant à notre enfant, et l’entendre rire aux éclats est un bon bonus ! Les aventures de Nicolas, Eudes, Alceste, Clotaire, Agnan et compagnie ont tapé dans le mille. Théo a adoré suivre leurs bêtises, et a beaucoup apprécié le second degré de certaines situations. Il s’est tout de même étonné de cette classe uniquement composée de garçons, des enfants qui se promènent seuls dans la rue, de ces mamans toujours à la maison… Intéressant justement, pour évoquer l’enfance de ses grands-parents. Et si le contexte a bien changé, les carabistouilles fonctionnent toujours. Indémodable.
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Le film Suite à ces lectures, Théo et Lucie se sont amusés à découvrir l’adaptation de Laurent Tirard sortie dans les salles à l’occasion des 50 ans du premier tome. Alors, qu’en ont-ils pensé ?
Lucie: Ça commence très fort avec un magnifique générique directement inspiré des dessins de Sempé, façon pop-up. Mais Laurent Tirard a fait le choix d’un film en prise de vues réelles avec un solide casting d’enfants, tous excellents. Les enfants sont secondés par Kad Merad et Valérie Lemercier en parents de Nicolas, mais aussi par des adultes venus faire un petit clin d’œil en passant (Louise Bourgoin en fleuriste, François Damiens en voisin envahissant, Eric Berger en majordome, Gérard Jugnot en chef de chœur) parfois à la limite de la private joke. Pas sûr que les enfants saisissent les allusions.
Théo: Non, je ne sais pas qui sont ces acteurs. Mais j’ai aimé retrouver l’univers du Petit Nicolas : l’époque, les copains et les autres personnages.
Lucie: Je suis d’accord avec toi. On est plongés dans de proprettes années 60. C’est très joli et coloré, une vraie carte postale. Tu as trouvé que le film était fidèle au livre ?
Théo: Oui. J’étais content de retrouver les bêtises que j’avais bien aimées. Mais j’ai aussi apprécié de découvrir de nouveaux gags, comme la soupe ou la roulette. C’est bien aussi d’inventer et ça changeait un peu. Parce que même si j’aime beaucoup le Petit Nicolas, je trouve que ça manque parfois d’un peu de fantaisie.
Lucie: J’ai trouvé que certaines situations présentes dans l’œuvre originale (le bouquet de fleurs, le cours de dessin, la visite de l’inspecteur, la visite médicale…) étaient désamorcées avant la fin. Je n’ai pas compris pourquoi. As-tu eu le même sentiment ?
Théo : Non, je ne suis pas d’accord. J’ai aimé retrouver ces situations et elles m’ont fait rire.
Pour comprendre cette divergence, Théo et Lucie sont retournés au texte et se sont aperçus que ce qui différait était le décalage entre la perception du petit Nicolas et celle de son entourage. Pour Théo, la bêtise est plus importante, mais c’est ce décalage qui amuse le plus Lucie.
Lucie: Tu as remarqué bien sûr, que pour lier les gags auxquels un chapitre est consacré à chaque fois dans le livre, deux intrigues parallèles ont été ajoutées dans le film :
suite à un quiproquo, Nicolas se met à craindre l’arrivée d’un petit frère. D’ailleurs, cette naissance est issue d’un autre tome que nous n’avons pas lu : Le petit Nicolas a des ennuis.
Et la maman de Nicolas décide d’organiser un repas avec les Moucheboume (le patron du père et sa femme).
Qu’as-tu pensé de ces deux ajouts ?
Théo: La maman est beaucoup plus agitée dans le film que dans le livre. Elle perd rarement son calme avec Nicolas dans le livre alors qu’elle se met dans tous ses états dans le film. J’ai trouvé cette histoire de dîner plutôt rigolote.
Lucie: De mon côté (et peut-être est-ce dû à mon statut de « maman ») je n’ai pas aimé ce fil narratif. Il transforme la gentille mère de famille du roman en espèce de névrosée portée sur la boisson. D’autant plus qu’après quelques velléités d’émancipation, elle finit par retourner dans sa cuisine. J’ai préféré l’histoire du petit frère qui crée des situations amusantes et plutôt cohérentes avec le roman.
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Dans l’ensemble nous avons passé un bon moment à regarder et à discuter de cette adaptation agréable et enlevée, qui plaira certainement aux (jeunes) lecteurs du Petit Nicolas !
Octobre annonce l’automne et la saison des tisanes au coin du feu accompagnées de douceurs en tout genre. L’éveil des sens est au cœur de cette saison pas comme les autres qui nous rappelle le temps qui passe et nous apporte le réconfort dans le partage. Parce que la lecture illumine le quotidien en nous stimulant, nous vous proposons de découvrir nos derniers coups de cœur !
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Linda a découvert la plume d’Hubert Ben Kemoun, un auteur incroyable qui est parvenu à la faire rire dans un récit qui aborde la maltraitance infantile. Les Flamboyants est l’histoire de cinq jeunes garçons « attardés » que la vie n’a pas épargnéS. Interrogés par le Capitaine Delaunay, ils doivent raconter leur soirée qui déterminera les circonstances de la mort de leur éducateur. Une enquête policière dont on comprend rapidement qu’elle n’est, pour l’auteur, qu’un prétexte pour faire parler les garçons et lever le voile sur des secrets bien gardés au fond d’eux. Epoustouflant !
Mais Linda a aussi été très touchée par la poésie et la sensibilité de l’histoire de Yeowoo, une petite renarde rejetée par ses parents au moment de leur divorce, et déracinée quand son père l’abandonne à la campagne chez son grand-père et sa tante. D’abord pleine de colère, elle va peu à peu apaiser sa douleur grâce à Paulette, une poule elle aussi rejetée des siens. La solitude et le besoin d’amour sont au cœur de cette bande dessinée au graphisme délicat et soigné. L’amitié entre Yeowoo et Paulette montre aussi que l’amour voit au-delà des différences.
Quand un roman culte est adapté en BD, on a forcément peur d’être déçu.e… Et bien pas du tout, chaque millimètre carré de De Cape et de Mots a emporté l’enthousiasme d’Isabelle et de ses moussaillons ! Quel bonheur de suivre les débuts à la cour royale de Sérine qui arrive sans relations ni parures, mais avec une répartie inouïe, doublée d’un sens solide de la justice sociale. Notre héroïne navigue entre coups-bas et complots, semant la zizanie dans les rouages bien huilés de cette cour digne de Versailles ! Les aquarelles du duo Kerascoët donnent merveilleusement forme et couleurs à ce décor absolutiste. Tours et marbreries, baldaquins et salle de bal, coiffures alambiquées et conseil des ministres : chaque détail respire l’humour irrésistible et le grain de folie de l’autrice (que l’on retrouve aussi, évidemment, dans les dialogues). Le scénario rend en tout point justice aux péripéties et rebondissement de l’intrigue originale. À ne manquer sous aucun prétexte !
L’autre coup de coeur de l’équipage de L’île aux trésors est balèze mais très classe avec son ruban marque-page et ses couleurs chatoyantes, orné de dorures, de sympathiques bestioles et… de crânes. Et riche de révélations avec ça ! Il s’agit, évidemment, du dernier tome de la collection Le Monde Extraordinaire chez Little Urban, consacré au plus fascinant des scientifiques : Charles Darwin. On apprend (presque) tout : la jeunesse du naturaliste, les doctrines qui avaient cours à l’époque, l’expédition du Beagle, les thèses évolutionnistes, leur réception par ses contemporains et leurs prolongements plus récents. Les contenus sont d’une précision réjouissante. Ils expliquent notamment avec une grande clarté les principaux fondements de la théorie de l’évolution. La mise en page est attrayante, les illustrations splendides et le propos s’appuie sur des exemples très parlants. Une mine d’information spectaculaire, pour les curieux déjà grands et sans limite d’âge !
Pour Liraloin, un conte sublimé par de majestueuses illustrations a retenu toute son attention.
Maroussia vit avec sa grand-mère dans une forêt où les divinités se mêlent aux légendes. Les esprits de la forêt veillent sur elles et Maroussia est fascinée par l’un d’entre eux : le gardien nommé Lièchi. Parfois, certaines nuits, Bouka peut réveiller la jeune fille mais rassurée par sa grand-mère elle se défend : « Prends garde, disait-elle. Je connais bien le dieu de la Forêt. » Et le monstre ne bronchait pas ». Alors lorsque cette vie paisible et respectueuse vis-à-vis de la nature et de ses esprits est mise à mal, Maroussia demande l’aide du dieu de la Forêt : « Oh Iarilo, dieu de la Forêt, aide-nous, la situation est grave. Notre village est menacé, les arbres et les animaux de la forêt le sont aussi. Ils vont tout raser, arracher nos buissons, abattre nos arbres. »Finira-t-elle par être entendue ? Parviendra-t-elle à empêcher la destruction de la forêt ?
Ce conte nous transporte dans ces légendes anciennes où la femme communique avec la nature : relation privilégiée. L’humain reçoit ce que la forêt lui donne avec générosité. La force qui émane de Maroussia vient de ce respect juste et sincère. Les illustrations de Daniel Egnéus nous transportent loin dans ce folklore mis en texte par l’écriture soutenue et poétique de Carole Trébor.
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Pour Colette, c’est le très bel album Tancho de Luciano Lozano qui a rallumé l’étincelle dans son coeur d’éco-anxieuse 🙂 L’auteur y raconte l’histoire vraie de Yoshitaka Ito, un habitant de l’île d’Hokkaïdo, qui a empêché l’extinction des grues à couronne rouge au Japon en nourrissant ces oiseaux majestueux au moment où ceux-ci commençaient à déserter. Grâce à lui, un Centre de conservation des grues a vu le jour sur l’île japonaise. Cette histoire particulièrement inspirante nous rappelle combien le soin que nous accordons aux autres est au cœur de ce qui fait le vivant.
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Lucie a été bluffée par la qualité du petit documentaire Pourquoi la laïcité ? Ce concept essentiel, méconnu et parfois même décrié, est parfaitement expliqué par Ingrid Seithumer. Elle en retrace l’histoire, présente les grands penseurs, explique les idées reçues et sa mise en place dans différents pays. 120 pages de faits, rien que de faits ! POCQQ, une collection d’une grande qualité, à découvrir sans tarder.
Avec Je ne dirai pas le mot, Madeleine Assas nous entraine dans les affres du premier amour. Au retour des vacances d’été, une jeune fille retrouve son voisin, son ami d’enfance, mais ne le voit plus avec les même yeux. Que faire ? Lui dire ou non ? Prendre le risque d’être rejetée ? Comment cacher ses émotions à ses amis, à sa famille ?
Un texte court au ton incroyablement juste, qui a permis un instant à Lucie de retrouver des sensations d’adolescente.
Blandine a été subjuguée par ce livre à la croisée des genres qui nous emmène à travers le temps et les continents pour nous présenter la figure, à la fois stable et mouvante de la Sorcière, ce qu’elle représente et induit. Et c’est aussi passionnant qu’édifiant !
Chapitré chronologiquement de l’Antiquité à nos jours, il s’agrémente de portraits de femmes ayant existé et marqué leur temps, comme de focus sur les accessoires, pratiques et liens avec la Nature. Les dessins qui les accompagnent sont splendides!
À l’ombre du grand arbre, on aime que nos lectures nous fassent voyager dans l’espace et dans le temps ! Nous avions donc été plusieurs, il y a quelques années, à tomber sous le charme de l’ébouriffant road-trip La longue marche des dindes de Kathleen Karr (paru en 1998 chez L’école des loisirs). L’annonce de l’adaptation de ce roman en BD ne pouvait que susciter notre curiosité ! Lorsque nous avons appris qu’en plus cette adaptation serait signée Léonie Bischoff dont nous avions adoré Anaïs Nin : sur la mer des mensonges, le doute n’était plus permis : une lecture commune s’imposait !
Isabelle : Je me suis jetée sur cette BD dès sa sortie car le roman original que j’avais lu à voix haute à mes moussaillons avait été un immense coup de coeur. Qui l’avait lu parmi vous ?
Linda : J’avais découvert le roman en passant en librairie alors qu’il était mis en avant dans les nouveautés. La couverture avait attiré mon regard, le synopsis m’avait séduite. Je savais que la lecture à voix haute plairait à mes filles. Je n’avais pas prévu que l’histoire transporterait toute la famille. Mon mari m’a même demandé de lire en sa présence tant il était captivé par l’aventure de Simon.
Lucie : Pour ma part, je n’avais pas lu roman.
Blandine : Moi non plus. Je n’en avais jamais entendu parler avant de lire une chronique blog de l’adaptation BD. Le titre a un côté amusant, renforcé par l’illustration de couverture, même si on comprend rapidement que le sujet n’est pas humoristique.
Isabelle : Et aviez-vous eu l’occasion de découvrir le travail de Léonie Bischoff avant de de lire cette BD ?
Liraloin : Oui, j’ai lu son roman graphique sur Anaïs Nin. J’avais été subjuguée par la beauté de certaines planches…
Linda : Moi aussi. J’avais particulièrement aimé le trait, la mise en page, le choix et l’application des couleurs. Certains aspects me rappellent d’ailleurs le travail d’Isabelle Simler. J’ai d’ailleurs été surprise de ne pas retrouver ce style dans La longue marche des dindes.
Lucie : De mon côté, je découvre Léonie Bischoff avec cette BD. J’ai bien aimé et je renouvellerai l’expérience avec plaisir !
Blandine : Moi non plus, je ne connaissais son nom qu’indirectement, grâce à des chroniques sur le roman graphique sur Anaïs Nin dont vous parliez. Le trait diffère d’ailleurs beaucoup par rapport à cet album et j’aime ça !
Linda : Le trait est plus naïf mais cela convient davantage au public jeunesse visé.
Isabelle : L’une des nombreuses choses que j’ai aimées, c’est que cette histoire s’inspire de périples qui se sont vraiment passés. Avez-vous envie de nous en dire un peu plus ?
Linda : Kathleen Kaar s’inspire du convoyage d’animaux à pied. On connait tous les cowboys, bien sûr, mais les turkeyboys ont aussi existé et leur travail n’était pas moins exigeant. Au XIXè siècle, de nombreux voyages se font vers Boston et d’autres villes du Nord-Est des Etats-Unis, des voyages qui excèdent rarement les cinquante kilomètres.
Isabelle : J’ai trouvé géniale l’idée de s’inspirer de ces convois ! Je n’avais jamais vraiment réalisé qu’avant que le transport de bétail puisse se faire en train ou véhicule, il n’y avait pas d’alternative à la marche à pied.
Lucie : Moi non plus, je n’y avais jamais pensé. Pourtant ça tombe effectivement sous le sens : si on convoyait du bétail, il n’y a pas de raison qu’on ne l’ait pas fait avec d’autres animaux.
Isabelle : Plutôt périlleux quand il s’agissait de traverser les grandes plaines américaines et donc le Far West, comme dans le cas de Simon, le personnage principal et narrateur de cette histoire.
Linda : C’était vraiment très dangereux. Les convoyeurs n’étaient jamais à l’abri d’attaques. Les troupeaux de bœufs (et on parle de milliers d’animaux) étaient d’ailleurs très encadrés. Les cowboys étaient nombreux pour encadrer le troupeau, à dos de cheval, armés pour protéger les animaux mais également pour se protéger eux-mêmes. On a peut-être plus de mal à visualiser des hommes armés jusqu’aux dents pour assurer la sécurité de dindes mais les dangers et la finalité étant les mêmes, cela paraît plutôt logique.
Blandine : Je ne m’étais jamais posé la question des modes de transports animaliers à cette époque. Pourtant, c’est très intéressant. Cela interroge sur le bien-être animal qui est d’ailleurs l’un des nombreux sous-thèmes abordés tout au long de l’album. Que ce soit celui des dindes, des chevaux, ou du chien, sans que Simon semble faire d’échelle de valeur entre eux.
Lucie : Le choix des dindes est extra parce que ces animaux sont réputés idiots, et finalement face à certains humains rencontrés… L’idiot n’est pas celui que l’on croyait. Elles sont essentiellement un motif de départ, mais tendent involontairement un miroir à l’homme qui n’est pas toujours à son avantage.
Linda : Je te rejoins sur la comparaison entre ces volatiles et les humains, pas toujours très malins.
Isabelle : C’est à se demander pourquoi ces sympathiques volatiles sont si peu représentés en littérature !
Isabelle : Pour revenir à l’histoire : comment présenteriez vous Simon, le personnage principal et narrateur de cette histoire ?
Lucie : Comme nos dindes, il est considéré comme un benêt par les habitants de son village. Il a quadruplé son CE1. Tant sa famille que l’éleveur de dindes le prennent pour un idiot. Je dois dire que cette présentation du personnage a été un peu douloureuse à lire. Heureusement, Simon va se jouer du déterminisme social, trouver son talent et croire en son projet. C’est très inspirant.
Liraloin : Oui, il faut se méfier de l’eau qui dort ! Très vite – et tout va très vite dans les réflexions de ce jeune garçon – il s’intéresse au « business », voudrait gagner son indépendance, vu que sa « famille » ne l’apprécie guère.
Linda : Téméraire, Simon ne manque pas de ressources pour se sortir de situations délicates, à commencer par sa propre vie, en écartant son entourage pour se tourner vers des personnes plus censées qui voient au-delà de ses résultats scolaires. Je trouve d’ailleurs qu’il correspond assez bien au « rêve américain », à la manière de Forrest Gump, par le fait qu’il réussit tout ce qu’il entreprend alors qu’il ne partait pas forcément gagnant. Handicapé par ses échecs scolaires et une certaine naïveté, il transforme ses faiblesses en points forts, montrant un sens des affaires et une compréhension des rapports humains naturels.
Blandine : Si Simon souffre de l’opinion ingrate que les gens ont de lui, cela ne semble pas l’atteindre, il arrive même à s’en servir contre eux. C’est magistral ! La bonté d’âme est récompensée, la méchanceté non. Cela peut sembler naïf de dire cela ainsi, mais finalement, c’est ça.
Lucie : Si Simon ne peut pas compter sur sa « famille », plusieurs personnages l’aident à trouver sa voie. Souhaitez-vous en parler ?
Liraloin : Les personnages secondaires aident vraiment notre héros à prendre conscience de ses capacités. La petite famille un peu bancale que finissent par former Simon, Mr. Peece, Jo et Lizzie m’a fait penser aux personnages du roman Le célèbre catalogue de Walker & Dawn, de Davide Morosinotto. On s’y attache tellement !
Blandine : L’institutrice est la première qui croit en Simon, ce qui lui donne assez de confiance pour oser.
Isabelle : Voilà un beau personnage ! Elle est convaincue que « chacun ici-bas a un talent » et apporte à notre protagoniste le soutien moral et matériel dont il a besoin pour lancer son périple. D’une manière générale, Simon ne correspond pas à l’image classique du héros qui agit seul, mais fait de multiples rencontres avec des personnages secondaires qui sont tous hauts en couleurs ! C’est quelque chose qui m’a beaucoup plu dans cette histoire qui montre que l’union fait la force et fait la part belle au partage.
Blandine : La gentillesse naturelle de Simon lui fait voir le bon chez les autres et les touche au cœur. Chacun s’enrichit mutuellement. La candeur de Simon est aussi un élément de sa réussite, car s’il avait été plus « réaliste », aurait-il seulement osé envisager ce voyage ? Bien sûr, il y a aussi les mauvaises rencontres qui le font douter mais, finalement, elles renforcent sa détermination.
Lucie : À l’issue de cette lecture je n’ai pas l’impression qu’il me manque grand chose. Est-ce parce que l’adaptation en BD est vraiment bonne ou me conseillez-vous tout de même le roman qui aborde d’autres thématiques ?
Isabelle : L’expérience de lecture n’est évidemment pas la même en roman et en BD, mais l’intrigue est très fidèlement retranscrite. Rien ne manque, il me semble, et je n’ai pas noté de grande différence. Alors que certaines adaptations tranchent dans le vif et font des raccourcis, ce n’est pas le cas ici. En même temps, le roman s’y prêtait dans la mesure où il se nourrissait largement des péripéties et des dialogues plutôt, par exemple, que de longues descriptions ou fils de pensée plus difficiles à mettre en images.
Linda : Complètement d’accord. Le roman est par ailleurs très visuel et à la maison nous continuons d’espérer une adaptation cinématographique car l’histoire si prête vraiment. Le format de la bande dessinée permet de réduire le texte aux échanges entre les personnages, le dessin reprenant les descriptifs. De fait, l’adaptation est ici parfaitement réussie.
Liraloin : Il y a tout de même des différences çà et là. La seule chose qui m’a embêtée (mais c’est un détail), c’est que dans la BD, Simon est deux ans plus jeune que dans le roman. Il n’a donc pas les mêmes réflexions et préoccupations. Sinon, Simon constate que les fauves ont l’air malheureux durant le numéro de cirque, je pense que ces préoccupations étaient moins d’actualité à l’époque où le roman est paru. Il y a aussi le personnage de Jo qui se nomme Jabeth dans le roman et qui n’est pas une fille, mais un garçon.
Lucie : Léonie Bischoff joue sur l’ambiguïté à propos de ce personnage puisque Simon croit tout d’abord que c’est un garçon. Que pensez-vous de ce choix et du personnage de Jo de manière plus générale ?
Blandine : Ce personnage est intéressant à de multiples égards. Il interroge (en vrac) la place des Noirs dans la société (avec notamment l’esclavage toujours pratiqué dans les Etats du Sud), la place de la fille dans la société et les distinctions genrées, le fait qu’elle doive faire ses preuves (à l’inverse de Lizzie), la non-instruction des filles mais aussi leur débrouillardise. Sa présence et son acceptation nous conforte dans l’altruisme désintéressé de Simon.
Liraloin : Dans le roman comme dans la BD, le personnage de Jo/Jabeth est d’abord apeuré et un peu maladroit, puis prend vite ses aises avec Simon qui le/la met en confiance. Peu importe que le personnage soit masculin ou féminin, Léonie Bischoff ne le dénature pas. Après toutes les épreuves traversées, Jo souhaite juste être libre !
Isabelle : Ça m’intéresserait de savoir ce qui a motivé de faire de ce personnage une fille. Peut-être Léonie Bischoff trouvait-elle que l’histoire manquait de personnages féminins, peut-être a-t-elle souhaité ajouté un propos émancipateur sur ce registre qui n’était pas développé dans le roman ? Cela ne m’a pas du tout perturbée, j’ai même eu un doute en me demandant si ce n’était pas déjà une fille dans le roman. Je te rejoins Frédérique, ce personnage était déjà quelqu’un qui voguait vers la liberté en galopant vers les pays qui avaient aboli l’esclavage : l’histoire reste cohérente si ce rôle est joué par une fille.
Liraloin : Les femmes, si elle ne sont pas « cultivées » comme notre institutrice, sont quasi inexistantes ou alors subissent. J’imagine que c’est pour cela que l’autrice a voulu faire de Jo un perso féminin fort.
Linda : Je ne sais pas si c’est ce qui a motivé le choix de faire de Jabeth une Jo, mais il est évident que la place de la femme n’est pas enviable à cette époque. Si elles ont la chance de faire des études, le choix de professions restent très limité et elles doivent généralement faire une croix sur la vie de famille, le mariage et la maternité. A l’inverse si elles ne font pas d’études, elles s’enferment dans le rôle d’épouse et de mère au foyer. Dans tous les cas, ce n’est pas très plaisant car ce n’est pas un vrai choix. Si on part de ce constat, le choix d’avoir changé le sexe du personnage a pour but de répondre à un questionnement plus contemporain, à l’image de ce que disait Frede plus haut sur l’empathie de Simon envers les animaux du cirque. Alors que sur ce point, j’ai envie de croire plutôt que Simon voyait l’enfermement et la tristesse de l’animal comme un élément de comparaison avec sa propre existence, prisonnier de l’image que l’on a de lui et confronté à son propre désir de liberté… Il ne s’attarde du reste pas sur eux, probablement car il a déjà commencé à changer le cours de son existence. On retrouve d’ailleurs ce thème de la liberté dans le personnage de Jo qui fuit un Etat esclavagiste pour un Etat plus libre.
Isabelle : Cet épisode illustre la manière dont la toile de fond historique et sociale donne de l’épaisseur à ce récit. On l’a dit, cette BD donne à voir pas mal de facettes de ce qu’étaient les États-Unis au milieu du 19e siècle. Est-ce qu’il y a d’autres choses qui vous ont particulièrement marquées par rapport à ça ?
Lucie : J’aime beaucoup les westerns, et on reconnaît bien l’univers du genre dans la BD. Les thématiques sont similaires : grand déplacement, rencontres, dangers, etc. Mais il est rare que les westerns mettent en scène des enfants et la rugosité de la population m’a encore plus touchée. On voit vraiment les contrastes entre les différentes populations colons/esclaves/indiens mais aussi selon le niveau social (la famille de Simon est quand même bien gratinée) et l’éducation. La violence envers les enfants, moqués, livrés à eux-mêmes, pourchassés m’a particulièrement marquée.
Linda : Comme Lucie, j’aime les westerns. Mais peut-être pas tel qu’on nous les montre habituellement : des cowboys justiciers venus pour sauver la veuve et l’orphelin. C’est plus le côté vie nomade, transhumance à travers le pays que je trouve fascinant. Les cowboys tels qu’ils sont à l’origine, des gardiens de bétail. Il y a dans ces déplacements un côté sauvage qui ramène aux origines de l’homme. La différence, qui n’est pas des moindres, est qu’ils ne suivent plus les troupeaux pour se nourrir mais ils déplacent les troupeaux pour nourrir d’autres humains. Je trouve d’ailleurs que le récit ne s’appesantit pas assez sur le sort des natifs américains et le massacre des bisons. Il se contente de citer des faits sans chercher à les dénoncer, même si M. Peece exprime physiquement son dégoût de la situation lorsqu’il raconte l’histoire des peuples de la région à Simon. C’est peut-être la seule chose qui m’ait vraiment gênée, car même le discours de John Prairie d’Hiver semble banaliser leur situation.
Liraloin : La société de l’époque s’incarne aussi dans des personnages couards, alcooliques, peu scrupuleux, et pas très malin non plus : le vendeur de volailles du départ, l’oncle de Simon et même Mr. Peece qui est un alcoolique notoire ! Le pompon revient au père biologique de Simon : quel détestable personnage celui-ci ! Le sort de Lizzie aussi m’a marquée, elle a tellement enduré. Rappelez-vous du sort de cette femme enceinte que rencontre le photographe dans le roman graphique Jours de sable, c’est très proche !
Blandine : Cet album, et le personnage de Lizzie en particulier, m’ont moi aussi beaucoup renvoyée à Jours de sable, et à la condition des femmes notamment. Lizzie est éduquée mais aussi douée de ses mains et de sens pratique, indubitablement acquis dans l’épreuve.
Isabelle : Oui, j’ai trouvé assez forte la manière dont l’histoire brosse l’Amérique de cette époque – pauvreté, racisme, famine, discriminations, banditisme, massacre des bisons… – sans s’appesantir nullement ou que ce contexte ne prenne le pas sur l’intrigue. L’entraide des personnages enrobe tout cela de douceur et d’optimisme, et on est à chaque instant captivé.e par l’aventure de Simon.
Isabelle : Comme on passe d’un roman à une BD, il faut forcément que je vous pose la question : qu’avez-vous pensé de la mise en image de cette histoire ?
Blandine : N’ayant pas lu le roman ni lu aucune autre BD de Léonie Bischoff, je n’avais aucun aucune attente sur son travail ou cette adaptation. Son trait est plein de rondeur et il fait très « jeunesse ». Je m’attendais donc à des thématiques plus légères. Les couleurs sont chaudes, enveloppantes, avec des tons jaunes, orangés, très en accord avec l’idée d’un rapport à la terre nourricière et aux westerns.
Linda : Oui, on vise vraiment un public jeunesse, j’aurais aimé quelque chose de plus sombre au niveau de la palette de couleurs, plus proche de la réalité en fait. Maintenant j’aime beaucoup le trait et le cadrage des images avec des plans plus ou moins larges. Je suis vraiment fan des BD qui sortent des cases justement pour offrir une mise en page plus dynamique. Ici, j’ai aussi aimé le chapitrage en « étapes de voyages » qui donne également du rythme, une forme de mouvement au récit et au voyage.
Blandine : C’est vrai que le découpage est dynamique. Le chapitrage dont tu parles nous permet d’être vraiment avec les personnages tout au long de leur voyage et d’en ressentir la durée. C’est vraiment un très bel album avec différents nivaux de lectures.
Lucie : Plusieurs choses m’ont intéressée dans les choix de Léonie Bischoff. Déjà ce trait presque enfantin (est-ce une constante chez cette illustratrice ?), qui correspond bien à l’âge et à la fraicheur de Simon. Les teintes jaune-orangé-ocre aussi nous transportent immédiatement dans le voyage à travers les plaines. Les paysages sont vraiment magnifiques. Et puis la volaille, cette poussière et ces plumes, cela apporte du mouvement, de la vie, et souvent de l’humour. On retrouve aussi quelques cadres typiques du western comme le regard de Peece page 71 ou la vue de la rue principale de la ville page 75.
Isabelle : Bien d’accord avec vous sur le charme irrésistible des illustrations qui parviennent à concilier une ambiance de western, une grande tendresse et un esprit d’aventure renforcé par les cartes et les « étapes de voyage » dont parlait Linda. Force est de constater que la BD jeunesse va comme un gant à Léonie Bischoff ! On aurait envie de la voir adapter d’autres romans à destination d’un public jeune, non ? Par exemple ceux de Davide Morosinotto dont on parlait toute à l’heure !
Lucie : Le célèbre catalogue Walker & Dawn semblerait presque évident après La longue marche des dindes. Mais je suppose que le trait de Léonie Bischoff est susceptible de porter différents genres !
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Et vous, avez-vous lu La longue marche des dindes et qu’en avez-vous pensé ? Dites-nous tout ! Sinon, nous espérons vous avoir donné envie de vous lancer dans le périple.
En 2022, nous avons envie de lancer une nouvelle rubrique intitulée « Du blanc de la page au bleu de l’écran » consacrée aux adaptations de livres jeunesse.
Mais pour commencer, nous nous sommes interrogées sur l’intérêt de ces adaptations. Qu’est-ce qu’un film peut apporter à un livre ? Quel format nous semble le plus adapté ? Vaut-il mieux avoir lu le livre avant ? Voici quelques unes des questions autour desquelles les arbronautes ont partagé leurs ressentis.
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Quel est, d’après vous, l’intérêt d’adapter des livres jeunesse au cinéma ?
Isabelle : J’adore lire et j’aime aussi beaucoup le cinéma, même si j’y consacre moins de temps. Mais je dois constater que j’ai rarement été enthousiasmée par les adaptations à l’écran de livres, y compris ceux que j’ai aimés. Il y a, bien sûr, des impératifs de format qui font qu’on est forcément frustré.e des raccourcis qui donnent l’impression que le propos a été réduit à la substantifique moelle – la première réaction de mes enfants en découvrant les films de Harry Potter (J. K. Rowling) ou celui des Royaumes du Nord (Philip Pullman) était indignée de voir qu’autant de choses étaient passées à la trappe. Parfois, le scénario s’écarte pour mieux coller aux attentes en ajoutant par exemple une romance qui n’était pas du tout dans le livre de départ – est-ce que, par exemple, vous avez vu Brisby, adaptation contestable d’un superbe roman de Robert C. O’Brien ? Ou l’adaptation en série Netflix de Watership Down de Richard Adams ? De manière plus générale, le ressenti est moins riche qu’à la lecture, peut-être aussi parce qu’on perd la singularité de la plume. Et il peut y avoir des décalages liés au fait que le « film » qui s’imprime dans notre esprit à la lecture des mots est singulier, unique, et donc différent de celui qu’un réalisateur nous montre. Mais justement, sans doute cela représente-t-il un intérêt important de l’adaptation : nous permettre de revisiter un texte en nous invitant dans une autre lecture, tout aussi personnelle que la nôtre.
Linda : Je pense qu’une adaptation vise un public plus large. Le réalisateur se fait généralement plaisir en adaptant un livre qu’il a aimé, qu’il a partagé avec ses enfants, peut-être. Il en propose une interprétation personnelle qui, offerte à un plus large public, sera soumise à la critique. Or, cette vision est personnelle en ce qu’elle ne pourra séduire tout le monde. Les critères d’adaptation semblent suivre un code précis qui vise à garder la substance de base. Le scénario se concentre donc sur l’intrigue principale et occulte tout ce qui la nourrit car cela devient superflu. J’avoue préférer le format « série » qui laisse plus de place (plus de temps) et permet donc de suivre plus fidèlement un récit. Adapter pour un public jeunesse me semble aussi être une manière d’inviter les parents à découvrir des univers que leurs enfants apprécient. Car beaucoup de parents ne lisent pas de littérature jeunesse. Je pense donc qu’un film peut rapprocher les membres d’une même famille et leur offrir un sujet de discussion intéressant.
Colette : Je pense qu’il faut distinguer les adaptations de romans jeunesse et les adaptations d’albums ou de BD. En effet si je suis complètement d’accord avec vous concernant l’inévitable appauvrissement de l’œuvre romanesque (même si j’ai une exception en tête, La Vague de Todd Strasser, que Gabrielle a présenté récemment sur le blog), pour ce qui est de l’adaptation de BD ou d’albums, la plupart du celles que j’ai pu voir, sont vraiment formidables et enrichissent véritablement le texte initial. Je pense à La Chasse à l’ours d’Helen Oxenbury et Michael Rosen notamment, un classique de la littérature enfantine adapté par Johanna Harrison et Robin Shaw en 2018. Cet album qui m’était restée complètement énigmatique prend un sens tout nouveau grâce à la narration beaucoup plus explicite du dessin animé. De même pour Le Gruffalo, Le Petit Gruffalo, Mr Bout de bois ou encore Zébulon le dragon et les médecins volants de Julia Donaldson et Alex Scheffler. Leurs adaptations en dessins animés sont vraiment des petits bijoux de délicatesse, de sensibilité, d’humour tendre et de poésie. Le trait de l’artiste y est parfaitement respecté et on prolonge concrètement le plaisir de la lecture à travers elles.
La chasse à l’ours, Michael Rosen et Helen Oxenbury, Kaléidoscope, 2001.
La chasse à l’ours, Johanna Harrison et Robin Shaw, 2018.
Lucie : Je suis d’accord avec ce que vous dites : on perd souvent en profondeur lors d’une adaptation de roman par manque de temps, forcément ! Et je rejoins Linda sur la vision personnelle du réalisateur. Il y a, je pense, une distinction à faire entre le projet personnel d’un cinéaste qui retrouve ses préoccupations dans un roman jeunesse et souhaite l’adapter (je pense à Hugo Cabret par Martin Scorsese par exemple, dans lequel on retrouve nombre de ses thèmes de prédilection) et un studio qui décide d’adapter un succès pour profiter de sa notoriété. Ce deuxième cas ne fait pas nécessairement des navets mais on perd souvent quelque chose en route. C’est amusant Colette, si le graphisme du Gruffalo et du Petit Gruffalo sont extrêmement fidèles, personnellement je n’ai pas vu l’intérêt d’ajouter l’introduction des écureuils. J’espère que l’on aura l’occasion d’en discuter plus en détail dans un article !
Isabelle : C’est vrai que l’adaptation de Hugo Cabret est très réussie. Ce roman graphique hors-classe de Brian Selznick offrait aussi un terrain de jeu privilégié pour Martin Scorsese, puisque l’intrigue évoque les débuts du cinéma et l’objet-livre jouait sur les codes du film avec ses fondus au noir, ses passages aux airs de folioscope, ses illustrations en noir et blanc et ses multiples clins d’œil aux premiers films.
L’invention de Hugo Cabret, Brian Selznick, Bayard, 2008.
Hugo Cabret, Martin Scorsese, 2011.
Linda : Il y a effectivement de très bonnes adaptations romanesques. Je pense aussi à La Fameuse invasion des ours en Sicile. C’est un film vraiment superbe avec une animation originale qui sort des sentiers battus. Le film s’écarte un peu du roman de Dino Buzzati mais en conserve l’essence. Et pourtant c’est un film qui a fait très peu parler de lui, ce qui est dommage.
Quant à la question de l’adaptation en séries, qui est très riche aussi, à laquelle pensais-tu Linda ?
Linda : His Dark Materials (adaptation des Royaumes du Nord) va bien plus loin que le film proposé quelques années plus tôt (A la croisée des mondes :La boussole d’or de Chris Weitz). Le texte de Philip Pullman est tellement riche et complexe qu’un film de deux heures ne saurait en restituer toutes les subtilités. Je ne dis pas que l’adaptation est parfaite mais on ne peut nier que le résultat est très satisfaisant et plus près du texte de départ.
Isabelle : Tout à fait d’accord avec toi, Linda, sur cette adaptation que nous avons énormément appréciée également ! Je pense aussi que le format de la série permet une expérience immersive plus proche de celle que l’on vit quand on se plonge dans un pavé que ne le permet un film. Comme dans un livre, on finit par avoir l’impression de connaître les personnages et le format permet de développer des intrigues secondaires au sein d’une trame plus complexe. Et de faire la part belle au décor et à l’univers, ce qui est essentiel pour une série comme Les Royaumes du Nord. C’est étonnant, à cet égard, que les adaptations à l’écran de livres ne fassent pas plus souvent le choix de la série plutôt que du film.
A la Croisée des Mondes, Philip Pullman, Gallimard, 2007.
His Dark Materials, Jack Thorne, 2019.
Pour rebondir que ce que disait Linda un peu plus tôt, préférez-vous qu’une adaptation soit fidèle au texte, ou cela ne vous gêne pas forcément que le réalisateur prenne des libertés du moment que l’esprit est respecté ?
Linda : Tout dépend des libertés prises. Je trouve que parfois cela dynamise le récit ou dépoussière un texte désuet. A partir du moment où l’on n’occulte pas le message que l’auteur.e a voulu faire passer, ou ne dénature pas l’histoire et les personnages, ça ne me gène pas outre mesure.
Colette : L’adaptation que je prends souvent en exemple pour démontrer que parfois elle peut dépasser l’œuvre originale est celle que Dennis Gansel a faite du roman La Vague de Todd Strasser que nous présentait récemment Gabrielle. En effet le réalisateur transpose le récit de Todd Strasser dans un tout autre contexte historique et géographique mais cela renforce complètement le message de l’auteur : l’expérience pédagogique du professeure d’histoire qui est le héros du récit redouble de sens en se situant dans l’Allemagne contemporaine. La réécriture de la fin – qui pouvait sembler insipide dans le roman – gagne en profondeur en devenant particulièrement tragique. J’aime d’ailleurs beaucoup travailler la comparaison entre le roman et le film avec mes élèves tellement les partis-pris du réalisateur sont riches. Cette comparaison permet de souligner à quel point le travail de l’adaptation est un travail de création à part entière.
Isabelle : Je n’ai pas de position de principe, il me semble que tout dépend de la démarche. Dans certains cas, on sent que l’on s’éloigne de l’œuvre de départ pour des raisons contestables liées aux contraintes pratiques du format du film ou des attentes du public anticipées par les producteurs du films – par exemple la manie de vouloir mettre de la romance ou du sensationnalisme là où il n’y en avait pas, de caricaturer les personnages ou de privilégier le happy-end. Si la démarche est de revisiter sur un mode personnel ou sous la forme d’une nouvelle proposition, ou de dépoussiérer comme dit Linda, je dirais que tout dépend du résultat. Je me suis beaucoup posé la question à propos du classique canadien Anne de Green Gables de Lucy Maud Montgomery, récemment réédité par Monsieur Toussaint Louverture et adapté sous forme de série par Netflix. Les connaissez-vous ? La série s’éloigne pas mal du propos initial et y importe des problématiques contemporaines (autour du féminisme, des sexualités, du racisme) qui n’auraient pas été formulées ainsi au début du 20e siècle, lorsque joue l’histoire. Cela dit, replacé dans le contexte de l’époque, le roman était probablement déjà subversif et progressiste sur ces questions et la série ne me semble donc pas le dénaturer. Nous avons adoré la regarder en famille.
Anne de Green Gables, Lucy Maud Montgomery, Toussaint Louverture, 2021.
Anne withe an E, Moira Walley-Beckett, 2017.
Linda : Je n’ai pour ma part pas du tout apprécié cette adaptation (je me suis arrêtée à la saison 1) qui importe des questionnements d’aujourd’hui sur la place de la femme dans la société et sur sa sexualité, et s’éloigne du roman sur bien des aspects. La question du racisme est, cela dit, déjà abordée dans un des volumes de la série. Je trouve que cette adaptation dénature l’œuvre originale car elle en enlève bien des caractéristiques pour les remplacer par d’autres… Cela m’a fait penser à une commande pour répondre à des attentes commerciales et non à une adaptation. Mais je suis sans doute peu objective sur ce livre que j’adore tout particulièrement. Je suis par ailleurs très attachée à la série de téléfilms de Kevin Sullivan réalisée dans les années 80. Megan Follows fait une Anne Shirley parfaite. Pour le coup, j’ai préféré l’adaptation Little Women par Greta Gerwig qui choisit aussi de l’aborder par le prisme du féminisme, un thème déjà très ancré dans Les filles du docteur March, de Louisa May Alcott.
Lucie : Pour moi deux points s’opposent sur le sujet : la possibilité d’approfondir vraiment l’univers dans une série est intéressante. Mais dans le même temps, regarder une série demande vraiment beaucoup de temps, bien plus qu’un film. Cela demande un investissement que l’on est peut-être pas toujours prêt à mettre quand on connaît déjà l’histoire, les personnages, les rebondissements, etc. Personnellement, il faudrait vraiment que j’ai adoré le livre pour m’engager dans une série, alors que je regarde volontiers les adaptations en films. Par ailleurs, pour rebondir sur la remarque d’Isabelle, autant qu’un auteur s’approprie l’œuvre ne me gêne pas, autant quand on sent les thèmes à placer pour satisfaire le plus grand nombre, j’ai facilement le sentiment que le roman original est trahi. Je déteste ça !
Dans quel cas trouvez-vous que l’œuvre originale se prête plus à une adaptation en film en prises de vues réelles ou en film d’animation-dessin animé ?
Linda : Et bien si on part d’un album, les personnages existent déjà visuellement et il me parait difficile de ne pas reprendre leurs traits si on veut toucher le jeune public. En revanche, pour les romans, c’est autre chose. Quand les personnages sont des animaux, c’est probablement plus facile de passer par l’animation ou le stop motion comme dans l’adaptation Fantastic Mr Fox de Wes Anderson par exemple. Je me suis souvent imaginée une adaptation en série d’animation pour Harry Potter. Je trouve que l’histoire s’y prêterait bien et qu’il serait assez facile de représenter les personnages car J.K. Rowling les décrit vraiment très précisément.
Isabelle: Je ne me suis jamais posé la question, mais je suis plutôt d’accord avec Linda. Peut-être que moins l’histoire est réaliste, moins elle se prête aux prises de vue réelles ? Après, je dirais que c’est une question de projet et que les deux sont souvent envisageables, question de goût. Je pense que pour ma part, je trouverais plus facile de me tourner vers le dessin-animé ou l’animation. Un autre excellent exemple est l’adaptation de Souvenirs de Marnie (roman réédité récemment par les éditions Monsieur Toussaint Louverture), par les studios Ghibli. C’est une histoire qui pourrait très bien être filmée avec les acteurs, mais le film d’animation rend magnifiquement le côté onirique, tout en transportant l’intrigue dans un décor japonais qui donne quelque chose de très différent.
Souvenirs de Marnie, de Joan G. Robinson, réédité en 2021 par Monsieur Toussaint Louverture.
Souvenirs de Marnie, de Hiromasa Yonebayashi, 2014.
Qu’est-ce qu’un film peut apporter à un livre ?
Lucie : La musique est particulièrement importante pour moi. C’est elle qui va me permettre d’être immergée dans l’histoire. Pour les lecteurs manquant d’imagination, les effets visuels sont aussi l’occasion de voir des éléments imaginés par l’auteur. Je pense par exemple au plafond de la grande salle de Poudlard dans Harry Potter, ou à l’arbre dans Quelques minutes après minuit que j’avais beaucoup de mal à me représenter à la lecture.
Colette : Comme toi Lucie, je pense que pour les univers particulièrement merveilleux, comme celui d’Harry Potter, la vision du réalisateur ou de la réalisatrice va permettre la découverte d’un imaginaire supplémentaire. De même pour la science-fiction : des choses difficiles à imaginer comme les districts et le fonctionnement des jeux dans Hunger Games ou les catégories de la société de Divergente vont être rendues tangibles grâce à l’adaptation cinématographique.
Isabelle: Ça sera aussi une représentation différente de celle qui s’était projetée dans notre esprit à la lecture. En ce sens, le film peut être une façon plaisante de prolonger l’immersion dans un univers ou une histoire que l’on a particulièrement aimé.
Linda : Je vous rejoins tout à fait. Mais je dirai qu’un film apporte généralement une notoriété supplémentaire à un récit, ce qui va booster les ventes et donc enrichir bien du monde… C’est une vision assez négative du monde cinématographique, mais malheureusement pas complètement fausse.
Isabelle: C’est vrai que certains livres vont trouver leur public (ou trouver un public incomparablement plus large) suite à leur adaptation à l’écran.
Hésitez-vous avant d’aller voir une adaptation ?
Linda : Si le roman m’a vraiment plu, je ne me pose pas de questions et je vois son adaptation. Probablement par simple curiosité, mais aussi parce que j’espère retrouver le plaisir que j’ai ressenti à la lecture. C’est aussi une façon de prolonger l’aventure, comme tu le disais Isabelle.
Lucie : Tout à fait d’accord avec toi. Mais c’est aussi prendre le risque de sortir très énervé si l’adaptation est loupée !
Colette : Moi non plus, je n’hésite jamais, je trouve que c’est toujours un chouette défi intellectuel ! Une sorte de « jeu des 7 différences » en taille réelle ! Mon mari est passionné de Dune depuis qu’il a vu le film de Denis Villeneuve et depuis il s’est lancé à corps perdu dans la lecture des livres de Franck Herbert pour le plaisir de retourner vers le film et d’y retrouver les éléments de réécriture du réalisateur.
Dune, Frank Herbert, Robert Laffont, 2021.
Dune, Denis Villeneuve, 2021.
Linda : C’est un jeu que j’aime beaucoup pratiquer aussi, je peux lire un roman, voir son adaptation et relire, et revoir, pour être sûre de n’avoir rien manqué.
Isabelle: Mes moussaillons sont très forts à ce jeu-là, ce qui peut être assez pénible lors du visionnaire où ils vont toujours trouver à déplorer des écarts et des raccourcis. Eux préfèrent clairement la fidélité à l’œuvre d’origine !
Lorsque l’on n’a pas eu l’opportunité de lire le livre avant son adaptation, vaut-il mieux lire le livre ou voir le film avant ?
Linda : J’ai découvert Harry Potter par le cinéma. J’avais déjà testé le livre plusieurs fois et j’avais du mal à dépasser les premiers chapitres que je trouvais particulièrement longs. J.K. Rowling répète plusieurs fois chaque étape de mise en situation avant d’enfin envoyer Harry à Poudlard. J’avoue que ça m’ennuyait profondément. Et finalement une fois vu le film (et après coup je dois dire que l’adaptation du premier volet n’est pas exceptionnelle), j’ai eu envie de lire ces livres qui figurent aujourd’hui dans ma top list, quoi que je n’aime toujours pas beaucoup le premier tome. De même, j’ai découvert Orgueil et Préjugés et Jane Austen par la série TV de 1995 (avec Colin Firth et Jennifer Ehle). Et c’est une chance car je serais probablement passée à côté de quelque chose d’assez exceptionnel. J’imagine que l’on a moins d’attentes quand on commence par le support visuel et le risque d’être déçu est donc moins important que si l’on commence par la lecture. Cela dit, et ce n’est pas du « jeunesse », j’ai préféré le film Le journal de Bridget Jones à son livre, que je n’ai même pas su finir.
Lucie : Une fois que l’on a vu le film, il est difficile de se défaire des images. Je pense à Mary Poppins, que j’ai regardé de nombreuses fois enfant. J’ai été déroutée par la lecture du roman de Pamela L. Travers car le personnage est très différent et je ne retrouvais pas les scènes clés du film. Et quand le film ne fonctionne pas, cela ne donne pas envie de découvrir le livre alors qu’il peut-être beaucoup plus réussi. Par exemple, j’ai vu Sublimes créatures à l’époque de sa sortie en salles (sans même savoir que c’était une adaptation) et, ne l’ayant pas aimé du tout, je n’ai pas envie de découvrir l’œuvre originale !
Colette : Je dirai qu’il vaut mieux lire le livre après finalement ! C’est ce qui m’est arrivé avec Harry Potter et j’ai été ravie de découvrir tant de choses insoupçonnées alors que j’avais l’impression que le film était très riche.
Isabelle: Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas d’accord ! Le plaisir de l’intrigue et de la tension narrative sont pour moi quelque chose de très important à la lecture. Hors de question de laisser un film me divulgâcher le dénouement ! Surtout, j’aime découvrir le texte sans image préconçue et me faire mon propre film, si je puis dire, avant de découvrir celui de quelqu’un d’autre.
Harry Potter à l’école des sorciers, JK Rowling, Gallimard, 1998.
Harry Potter à l’école des sorciers, Chris Colombus, 2001.
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Et vous, aimez-vous voir des adaptations ? Laquelle vous semble la plus réussie ? N’hésitez pas à partager vos commentaires et vos coups de cœur pour nous aider à lancer cette nouvelle rubrique !
Le mois de mars aura été un peu particulier. Les circonstances actuelles ont, pour certains et certaines, freiné toute envie de lire ou de faire autre chose quand, pour d’autres, c’est l’occasion de se plonger dans les livres, pour oublier le malaise ambiant, pour voyager, autrement.
Même si nous sommes tous et toutes chamboulé.es, la vie continue. Comme chaque mois, nous vous proposons quelques idées de lecture, nos coups de cœur à noter pour l’après, ou à lire dès maintenant si cela vous est possible.
Prenez soin de vous.
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Pour HashtagCéline, c’est un double coup de cœur pour un même titre. Comment est-ce possible? Avec la parution de Miss Charity, le roman de Marie-Aude Murail adapté par Anne Montel et Loïc Clément chez Rue de Sèvres, HashtagCéline a enfin pris le temps de lire le roman original paru à l’école des loisirs et illustré par Philippe Dumas.
Pour Pépita et son Méli-Mélo de livres, c’est Bamba qui a fait boum en ce mois de mars. Anne Loyer signe là un roman fort, plein de vie, sur une jeune fille qui mène sa barque envers et contre tous. Un roman qui m’a permis de renouer avec la lecture en cette période mouvementée.
Double coup de coeur, car c’est aussi Bamba qu’à choisi Alice ce mois-ci ! Il y a tellement d’émotions dans ce bouquin rythmé ! Et comme Paul, vieux bougon au grand coeur, elle a juste envie de tendre la main à cette jeune fille sans concession qui revendique et assume de sortir d’une vie toute tracée. La vie arpès tout, c’est une histoire de rencontres !
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Pour Bouma et son Petit Bout de Bib, c’est également l’adaptation en bande-dessinée d’un roman qui a gagné son cœur. Devenu un incontournable de la littérature jeunesse contemporaine La Rivière à l’envers de Jean-Claude Mourlevat se voit offrir une nouvelle version par Max l’Hermenier et Djet, dans un diptyque dès plus réussis !
L’évasion par les livres n’a peut-être jamais été aussi nécessaire. Isabelle et ses flibustiers ne s’y sont pas trompés et ont adoré relire la BD Les Vermeilles, de Camille Jourdy. Cette aventure d’une ampleur impressionnante nous entraîne dans une sorte de quatrième dimension où le monde des contes percuterait celui des années 1970. Quelle vermeille quand les livres repoussent les frontières de ce que nous pouvions imaginer ! On en oublierait presque que nous sommes coincés entre quatre murs…
Et en roman, leur coup de cœur va à très joli roman qui nous vient du Canada : Partis sans laisser d’adresse, de Susin Nielsen. Un concentré de sagesse et d’humour sur la thématique de la perte de logement, avec des personnages inoubliables !