Pour le 26e Printemps des Poètes, nous avions envie de vous proposer une nouvelle sélection de poésie. Une poésie pour nos tout-petits, une poésie pour nos plus grands. Une poésie qui fait sonner, jouer, rimer, aimer les mots, qui donne du sens, des sens à la vie, à ses joies et à ses maux. Une poésie qui pétille et transporte ailleurs. Une poésie en gestes et en rythmes, pour « aider à mettre le langage dans le corps » (Karen Coats). Une poésie à murmurer, à déclamer, à proclamer.
Il existe de longue date une poésie pour enfants, qu’elle soit le fait d’écrivains qui partagent leur quotidien comme Marceline Desbordes-Valmore, Victor Hugo ou encore Maurice Carême, ou de poètes qui composent occasionnellement pour eux comme René de Obaldia, Robert Desnos ou, un peu plus près de nous, Jacques Roubaud et Jean-Pierre Siméon. Avant cela, on a souvent adressé aux enfants des poésies dont l ton privilégiait l’oralité, et les thèmes l’absurde ou la fantaisie, tels les poèmes narratifs et populaires de Jacques Prévert qui n’ont pas été écrit spécifiquement pour les enfants. (Sophie Van Der Linden – « Tout sur la littérature jeunesse »)
Mais, « la poésie, Késako ? » nous demandent Thomas Vinau et Marc Majewski (Gallimard Jeunesse). Serait-ce « une porte spatio-temporelle pouvant s’ouvrir n’importe où (…) et qui mène tout droit vers la vie… » De pages en pages, suivons ces personnages qui explorent et découvrent, rencontrent et laissent place au hasard, à « autre chose ».
La poésie, Késako ? Thomas VINAU et Marc MAJEWSKI. Gallimard Jeunesse, mars 2023
La poésie pour enfants esthétise le réel davantage par le rythme, le corps, la voix, les sonorités, que par les analogies (comme la métaphore ou la comparaison). Elle est extrêmement concrète. C’est une poésie du détail, de l’observation, de la dissection du réel; pas une poésie de la synthèse et de l’abstrait. (Clémentine Beauvais – « Ecrire comme une abeille »)
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Les haïkus des tout-petits. Alain SERRES et Judith GUEYFIER. Rue du Monde, mars 2023
Trente-deux haïkus égrènent une journée, du lever au coucher, des repas aux jeux, de la sieste au bain, du parc aux livres… Rimes, espièglerie et sensations s’entremêlent dans ces mots choisis.
L’assiette du soir s’est renversée. La cuillère est fatiguée. Et sur les chaussons, des larmes de potiron.
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La poésie est universelle, chaque pays, culture, continent a la sienne. Elle explique le monde, permet de voyager, de rêver, d’expliquer. Les choses sont-elles vraiment si différentes ailleurs ?
Mon premier album de poèmes du monde. Illustré par 15 artistes d’ici, d’ailleurs ou voyageurs. Rue du Monde, mars 2020
Cet album nous propose des poèmes venus de quinze pays ou peuples, tels le Cameroun, l’Iran, les Indiens Navajos, Cuba, la Russie, le Peuple Inuit, etc. Certains sont courts et aériens (Japon), d’autres longs et denses (Algérie), tous célèbrent la nature, l’enfance, l’amitié…
Qui es-tu donc, Poésie? Je l’ignore, mais il suffit de t’écouter pour deviner tes couleurs. (…)
Tu es la musique et tu sembles la flamme. Oh Poésie ! Ce n’est pas étonnant que l’on tombe amoureux de toi en t’écoutant.
(Ke Yan – Chine)
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La poésie dédramatise le langage tout en l’enseignant (…) C’est une manière de confier le langage à leurs bouches encore inexpertes, en disant « c’est pas grave de se tromper, c’est beau, d’ailleurs »…. (Clémentine Beauvais – « Ecrire comme une abeille »)
A hauteur d’enfant. Lisette LOMBÉ et 10eme ARTE. CotCotCot Editions, septembre 2023
Lisette Lombé, est une artiste plurielle et militante belge qui aime mélanger les genres, les bousculer et les (faire) vivre. Dans cet album au format atypique tel un cahier, au graphisme bleuté et pixellisé, paré de découpes rectangulaires telles des fenêtres, elle interroge un enfant, voire l’enfance. Cette enfant que l’adulte qu’elle est devenue ne sait plus voir, ressentir, savourer. Elle fait appel aux cinq sens dans un texte polysémique, engagé, percutant.
Que goûtes-tu, à hauteur d’enfant, que je ne savoure plus depuis que je me nourris à contresens des saisons?
Les orties qui piquent les avant-bras. Les paumes calleuses d’une maman courageuse. Le pied des podiums réservés toujours aux mêmes.
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Parce que la poésie, c’est la vie. Et que la vie commence par le quotidien, parce qu’on vit tous les jours, dans la répétition comme dans le bouleversement, dans les joies et les peines, avec la famille, les amis, l’Autre. Pour trouver du réconfort, pour être ensemble, pour vivre ensemble, Milja Praagman a composé ces poèmes. qui célèbrent la vie et qui aident à la comprendre.
Petits poèmes pour TOI ET MOI. Milja PRAAGMAN. Gallimard Jeunesse, mars 2024
Toi et moi
On fait la paire Toi et moi.
Bout à bout Et nez à nez, Je commence là où tu finis.
Alors vraiment, pas de doute : On se ressemble comme deux gouttes d’eau. On est de vrais jumeaux.
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7 comptines d’Oiselles et d’Oiseaux, de Sarah Cheveau, Thierry Magnier, 2023
Apparaissent dans un petit coffret 7 tout petits livrets. Ces 7 petits formats émerveillent avec ses comptines et ses récits imagés
Des jeux de mots interviennent; une poésie à la portée des bébés… pic pic pic ! pour le poussin qui picore (pic pic pic) ou qui tombe (à pique !) Or les jeux sur les mots et les répétitions sont le fondement même de la poésie…
Ces minuscules livres sur les oiseaux, ce sont des comptines et des jeux de sonorités : . l’assonance en -ou pour la huppe fasciée : hou hou, . l’allitération en -t pour le pic épeiche : toc toc toc, . ou en [k] lorsque la coquille se craquèle : cric crac croc. pour voir naître un poussin (cui cui !) ou même une multitude de poussins (piou piou !).
Des jeux de coucou ! avec le coucou puis le hibou rappellent aussi une comptine bien connue des bébés C’est de l’intertextualité.
La poésie c’est aussi un récit en boucle… Or le martinet vole ; construit son nid, et l’histoire peut recommencer…
Ces 7 livres d’éveil sensibilisent les bébés à la nature qui s’éveille… et mettent la poésie à la portée des tout petits.
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Pour que la nuit soit douce de Marcella & Marie Poirier, Les venterniers, 2023
Après Poèmes à murmurer à l’oreille des bébés (de 9 secondes à 9 mois et au-delà…), le duo formé par Marcella et Marie Poirier revient enchanter les oreilles des enfants dans un recueil de poésies douces comme un baiser.
L’ouvrage propose une approche différente puisqu’il s’inscrit dans une démarche de sophrologie, chaque texte invitant à la méditation, la relaxation en axant l’écoute de l’enfant sur sa respiration et son corps afin de l’amener à se détendre, à laisser les tensions de la journée s’apaiser pour parvenir à un état de calme et ainsi mieux accueillir le sommeil.
Ces poèmes à murmurer aux enfants sont autant de textes doux et tendres à chuchoter au creux de l’oreille de son enfant pour l’aider à se détendre et s’endormir.
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D’abord, l’ouvrage est splendide, il semble dire que les enfants aussi méritent de beaux livres, dignes d’être exposés dans leur bibliothèque comme autant de trésors à admirer et à conserver précieusement ! Petits poèmes tombés du ciel de Zaro Weil, illustrés par Junli Song, parus chez Le lotus et l’éléphant, c’est surtout une superbe anthologie de 28 poèmes, haïkus et courtes pièces de théâtre, un concentré de mots et d’images délicats et poétiques. On plonge avec délice au cœur de ces pages, où arbres, rivières, astres, fleurs et insectes nous révèlent leurs secrets, pour célébrer le vivant et la nature, sourire aux lèvres, sens en éveil, cœur léger…A noter le beau travail de traduction par Anne-Laure Estèves, qui est parvenue à retranscrire avec une grande sensibilité l’intention de la poétesse. Cerise sur le gâteau, en fin d’ouvrage, les autrices proposent des activités pour prolonger la lecture. Des heures d’émerveillement.
Petits poèmes tombés du ciel, de Zaro Weil, illustré par Junli Song, Le lotus et l’éléphant, 2024
Quand tu songes Il était une fois Pense à moi Car qui d’autre Fait chanter La terre
Quand tu songes A l’avenir Pense à moi Car qui d’autre Tient la terre Entre ses mains
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« S’il-te-plaît, peux-tu m’écrire la première poésie que tu aurais aimé lire enfant ? » ont demandé les Editions On ne compte pas pour du beurre à treize poétesses francophones contemporaines. Leurs réponses en poèmes sont rassemblées dans ce recueil, petit par la taille, grand par la qualité. Identité, confiance en soi, héritage, transmission, exil, célébration de la nature, imagination, les thèmes que déclinent en voix plurielles ces treize plumes résolument libres, engagées, inclusives, résonnent comme autant d’odes à la liberté, au respect, à la bienveillance, à la joie d’être au monde. L’ensemble forme un joli recueil choral, frais, moderne, optimiste, une véritable invitation à célébrer l’enfance et la vie. Il contribue, comme tant d’autres, et c’est heureux, à dépoussiérer un genre littéraire qui a parfois du mal à sortir du carcan dans lequel il est enfermé depuis trop longtemps, notamment dans le cadre scolaire. Sans compter qu’il est encore très masculin. Oui, on aime Victor Hugo, Paul Verlaine, Maurice Carême ou encore Jacques Prévert. Mais le temps de Laura, Lisette, Rim, Hélène et les autres est venu ! Bonjour, poétesses ! Enfin, s’il s’agissait aussi de montrer que la poésie peut aussi être ludique (jeux typographiques), lue à voix haute et pas seulement murmurée, ou tout simplement contemplée, grâce aux merveilleuses illustrations, tendres, lumineuses, oniriques et vibrantes de Clémence Pollet, qui accompagnent, ou suivent chacun des poèmes, le pari est gagné.
Bonjour poésies, collectif, On ne compte pas pour du beurre, 2025
Ta vie sera ce paysage Sans cesse recréé Un poème dans ton cœur La neige lente et légère Qui raconte le temps précieux
(Extrait du poème Un souffle de saison d’Hélène Dorion)
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Ah ! Si seulement avec une goutte de poésie ou d’amour, nous pouvions apaiser la haine du monde ! Pablo Neruda
Liberté. Paul ELUARD et Collectif. Rue du Monde, mai 2024
Dans cet album, quinze artistes d’ici et d’ailleurs ont orné chacune des strophes de ce poème de 1942 qui résonne toujours avec force. Ils l’ont illustré par leur interprétation, par leur style unique, onirique, coloré et vivant, déployant tous les possibles des mots. Dans le dossier de fin, dirigé par Alain Serres, son histoire comme celle de son auteur nous sont racontées, agrémentées de photographies.
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Pour conclure:
« La liberté n’aura t elle pas toujours besoin de poésie, besoin de vous, pour exister? »
Liraloin a eu un énorme coup de cœur pour cet album et l’a proposé pour la sélection Brindilles du Prix ALODGA. Quelle déception lorsque nous nous sommes rendu compte qu’il avait été publié en 2023 et ne pouvait donc pas concourir cette année ! Entre temps Lucie l’avait lu, et adoré, et les deux acolytes ont décidé de vous embarquer dans un voyage au fil d’une lecture commune…
MERCI, Icinori, éditions La Partie, 2023.
Liraloin : Est-ce que tu connaissais Icinori ? Un étrange nom d’artiste pour un couple inventif !
Lucie : Non, je ne connaissais pas Icinori mais j’aime beaucoup ! Encore une découverte que je te dois. Et toi ?
Liraloin : Ça me fait plaisir que mon erreur de date puisse être l’occasion d’une belle découverte pour toi. Oui je connaissais car naturellement en littérature jeunesse et notamment dans les albums je suis attirée par les petits ovnis, ceux qui sortent un peu des sentiers battus. J’avais chroniqué Et Puis il y a quelques années. Je suis super fan de leur travail et comme une “timide” que je suis je n’ai pas encore osé les aborder au SLPJ… ça viendra !
Lucie : Justement, je suis curieuse de savoir pourquoi as-tu proposé cet album pour le prix et finalement pour une lecture commune ? Lui parmi toutes tes découvertes.
Liraloin : Avec les années, cela fait tout de même 15 ans que je suis spécialisée “jeunesse” je suis devenue une “fine gourmet”. Je trouve qu’il y a des jeunes artistes émergeants qui méritent cette attention et Icinori en fait partie. Justement ce couple n’avait encore jamais proposé de titre pour les petits !
Lucie : Comment le qualifierais-tu d’ailleurs ? Album, imagier… pour être honnête j’accepterais même livre d’art !
Liraloin : Je dirais qu’à la toute première lecture, je l’ai vu comme un imagier puis en insistant un peu j’ai vu un très bel album sur l’aventure.
Liraloin: Est-ce que cette première de couverture t’as attirée ?
Lucie : Oui, immédiatement. Aussi bien le titre que l’illustration d’ailleurs. Celle-ci est très graphique et associée à l’idée de gratitude, j’avoue que je n’ai pas hésité longtemps à me plonger dans cette lecture. Et j’y ai effectivement retrouvé la simplicité de ce parapluie-feuille face aux petites contraintes de la vie (pluie), et beaucoup de douceur et de poésie.
Liraloin : Ca me fait super plaisir en même temps tu ne m’étonnes pas car tes lectures sont si variées que la curiosité te pousse à aller vers des titres comme ce dernier. Je te rejoins la couverture est très attirante et puis les éditrices des éditions La Partie sont très très fortes. Le catalogue est d’une richesse… !
Liraloin: En ouvrant le livre et dès la lecture des premières pages, tu avais quelles attentes ?
Lucie : Au départ, j’ai bêtement pensé ouvrir un très bel imagier sur la gratitude : on dit « merci » à tous les éléments qui nous entourent. J’ai mis un certain temps à le réaliser que ces « merci » suivaient une logique et que le personnage se préparait. Et, toi, te souviens-tu quand tu as compris – comme tu le disais – que c’était en réalité « un très bel album sur l’aventure » ?
Liraloin: Mais oui complètement, dès le début on plonge dans des images qui se répondent (“merci matin-merci œil”) ou le matin symbolise l’œil fermé et en même temps le lever du soleil. C’est là que j’ai compris comme tu le dis que les images suivent une logique.
Lucie : C’est vrai que la deuxième lecture fait surgir un sens qui a pu nous échapper lors de la première. Il faut dire que subjuguée par les illustrations je n’ai peut être pas été hyper attentive lors de la découverte de cet album. En fait, tout bascule à l’apparition de la lettre, dont pour être honnête je n’ai pas saisi tout de suite l’importance. Te souviens-tu ce que cet élément a fait surgir chez toi ?
Liraloin : Tout comme toi, c’est la carte au trésor qui m’a fait réagir, repartir en arrière car on repart souvent en arrière pour véritablement saisir tous les sens.
Lucie : Tout à fait. Et c’est assez rare dans un album pour être souligné !
Liraloin : Une de mes planches préférées dans ces images qui se répondent c’est « merci cuillère – merci œuf » ? Et toi et pourquoi ?
Lucie :Je comprends, ce “duo” est particulièrement harmonieux. Mais de mon côté, s’il faut absolument en choisir une (ce qui n’est pas facile, tu es dure avec moi) j’irai vers le savon et la douche pour le côté très rond de l’un et essentiellement vertical de l’autre, avec pourtant quelques rappels de l’un comme de l’autre sur la page opposée. C’est très subjectif !
Liraloin : Oui tout à fait, selon sa sensibilité tu as raison. Ce que j’aime cette main qui tend un objet (ici une cuillère) mais de manière à y plonger tête première, sa couleur laisse penser à un couché de soleil qui plonge dans la mer et sa réponse sur la page de droite avec l’œuf qui s’offre à nous comme un levé de lune. C’est très ingénieux !
Lucie : Je me demandais : sais-tu quelle technique a utilisé Icinori ? Ça me fait penser à de la sérigraphie mais je n’en suis pas certaine.
Lucie : C’est vrai, cela se voit bien surtout dans les premières illustrations. J’aime beaucoup ce côté “pédagogique” en légèreté : tu n’as pas vraiment d’explication mais tu saisis le principe.
Liraloin : En effet, tu te laisses porter par ce procédé et ces choix de couleurs très facilement même si l’univers est hyper graphique.
Liraloin: Au début, as-tu remarqué que chaque succession d’objets conduisent à une double page, comme pour faire avancer l’histoire. Qu’est-ce que tu en penses ? (Exemple : de merci valise à merci clé) cette clé qui ferme cette porte puis ce petit homme qui s’aventure sur la route.
Lucie : Maintenant ça me semble évident mais pas lors de ma première lecture. Tout cela est très subtil. Et même si ça me donne parfois l’impression d’être passée à côté, j’aime la subtilité ! Je trouve que les choix d’Icinori montrent qu’il fait vraiment confiance à l’intelligence et au sens de l’histoire de ses lecteurs et c’est très agréable.
Liraloin : Tout à fait, de nos jours on trouve encore trop d’albums “prémâchés” c’est-à-dire que le texte doit redire exactement l’illustration et là justement Icinori fait confiance à son jeune lectorat ! j’aime beaucoup. Surtout que les enfants même très petits captent énormément les détails.
Lucie : On voit bien au fil de cette discussion que Merci est un ouvrage riche et très particulier, quel aspect te plait le plus ?
Liraloin : c’est cette construction qui est intéressante (le fait que la succession d’objets amènent à plusieurs double page « aventure »), pour moi elle permet à l’enfant de tirer un nouvelle carte objet et toute de suite comprendre à quoi elle va servir dans cette aventure. Est-ce que tu as eu la même sensation à la lecture ?
Lucie :J’ai aimé partir en voyage alors que je ne m’y attendais pas (puisque je pensais lire un imagier), ne pas savoir où j’allais être emportée. Je n’ai pas le sentiment d’avoir eu les clés comme tu le dis, avec la carte objet dont on sait à quoi elle va servir. Et c’est ce qui m’a plu : partir à l’aventure un peu à l’aveuglette mais sans risque !
Liraloin : J’aime beaucoup ce que tu dis et oui je l’ai lu aussi comme ça. Il y a une grande aventure qui se trame et on voyage de page en page, c’est magique. Digne d’un titre tel que “Le tour du monde en 80 jours” !
Lucie : Oui, ce voyage est d’ailleurs annoncé par la carte qui en indique toutes les étapes. On s’en rend compte en y revenant en fin de lecture. Tu as raison, c’est vraiment la marque des grands albums : ceux que l’on peut lire et relire en y trouvant chaque fois de nouveaux éléments.
Lucie : On peut donc dire que nous sommes toutes les deux très fans de cet album et de ses somptueuses illustrations. Quelle est ta préférée ? Est-ce qu’une double page dans la suite du voyage a détrôné le fameux « merci cuillère – merci œuf » ?
Liraloin : Oui ! Car là je suis ultra fan de cette page qui m’évoque souvenir et dépaysement, c’est la page “merci nuages”. Et toi?
Lucie : C’est vrai qu’elle est très belle. C’est aussi l’une de mes préférées, mais j’ai tout de même une petite préférence pour “Merci froid” avec cette nuée d’oiseaux. Chaque page est pratiquement une œuvre d’art que j’accrocherai sans souci sur un mur. C’est fou !
Liraloin : Mais oui quelle merveille cette double page ! Tu as raison, on ne cesse d’admirer ces tableaux qui s’offrent à nous, à nos yeux d’enfant.
Lucie : Pour conclure, la question traditionnelle : à qui recommanderais-tu cet album ?
Liraloin : Et bien à toute aventurière ou aventurier de 4 à 104 ans tant cet album peut parler à des générations de lectrices et lecteurs.
Lucie : D’accord avec toi ! Je pense que petits et grands pourront y trouver leur compte. A condition toutefois d’accepter d’y consacrer du temps et d’accepter d’embarquer dans un voyage où les sens sont plus sollicités que la raison car la narration est réduite à l’essentiel.
Liraloin : Oui d’ailleurs, le parent ne va pas aller vers cet album tout de suite car il se mérite (épais, graphisme…) il peut rebuter. Vive la narration qui porte vers l’illustration, je plussoie !
Si Février est le mois le plus court de l’année, ce n’est pas par un nombre moins important de lectures, et ce ne sont pas les quelques journées presque printanières qui nous aurons tirées de sous nos plaids. Entre lectures personnelles, lectures communes et préparation du Prix ALODGA, nous avons eu de quoi faire de belles découvertes. C’est avec toujours beaucoup de plaisir que nous vous présentons nos derniers coups de cœur !
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Pour Linda, les lectures jeunesse n’ayant pas été si nombreuses, le choix a été assez simple. C’est en effet le dernier titre d‘Élise Fontenaille qui l’aura faite vibrer d’émotions. Un récit poignant, inspiré de faits réels, qui dénonce le poids des contraintes administratives et le manque de respect de l’homme, de l’animal ou de la terre dans le travail des éleveurs, condamnés à suivre un modèle de production unique élaboré par des bureaucrates qui ne connaissent rien aux métiers de l’agriculture. Le texte écrit d’une plume sensible amène une réflexion sur le bien-être animal en interrogeant les modes de productivités modernes qui visent davantage la quantité que la qualité.
Julien de La Révolted’Élise Fontenaille, Rouergue (doado), 2025.
Lucie a au contraire – et encore une fois – été éblouie par de nombreux titres proposés par les arbronautes. Pas de doute, la sélection du prix ALODGA va être de haute volée ! Le choix s’est fait difficilement, avec l’idée de mettre en lumière des titres exigeants qui osent aborder des sujets ardus.
Tout d’abord, le très beau A la poursuite des animaux arc-en-ciel de Sarah Ann Juckes. Derrière cette couverture tout en ombres et lumières se cache l’histoire de Nora, petite fille volontaire qui vit avec un lourd secret, la dépression de sa mère. Alors qu’elle se convainc depuis des mois qu’elle va très bien, des animaux arc-en-ciel surgissent dans son quotidien et la poussent à aller vers les autres. Et à accepter de l’aide. Ce roman met la maladie mentale à portée des enfants, explique et déculpabilise de manière magistrale. C’est intelligent, touchant, et très fort. Une réussite à tous points de vue.
A la poursuite des animaux arc-en-ciel, Sarah Ann Juckes, illustrations de Sharon King-Chai, Little Urban, 2024.
Ensuite le glaçant Caillou de Thierry Dedieu qui commence et se termine par cette phrase : « Les hommes sans mémoire n’ont pas d’avenir« . Et c’est avec son talent habituel (s’habitue-t-on jamais à un tel talent ?) que l’auteur illustre cette maxime. Couleurs tranchées, texte sans concession, fin suspendue. Thierry Dedieu assume ses choix et va courageusement au bout de ses idées. La bêtise humaine est exposée dans ce qu’elle a de plus intolérable et le lecteur est invité à tirer ses propres conclusions. Magistral.
Pour Liraloin la peur chez le tout-petit est un sujet intéressant et malheureusement il existe bien trop peu d’albums qui le traitent intelligemment ! Quelle joie d’apprendre que le coup de cœur de février est sélectionné dans la catégorie Carrément Beau Mini 2025 du fameux Prix Sorcières. Cet album est aussi en lice dans la catégorie Brindilles du Prix ALODGA 2025.
Un énorme coup de cœur pour cet album qui revisite, avec brio, la peur du soir et du noir ! Ici, la chambre s’ouvre sur d’immenses doubles pages afin que nous soyons immergées dans cette pièce entourée de jouets, de livres… et l’imagination dû à la semi obscurité peut démarrer. Aimer se faire peur ne nous quitte jamais vraiment.
Alors, parents… abandonnez vite Tchoupi a peur du noir ou Petit Ours Brun fait des cauchemars (ces titres sont du hasard mais cependant doivent exister) car cet album est d’une richesse que les yeux de votre enfant peuvent percevoir bien plus loin que vous ne le pensez !
Comme le dit si bien Lucie, les titres des différentes catégories du Prix ALODGA nous amènent à lire beaucoup et ainsi découvrir des romans exceptionnels c’est le cas de S’arracher de l’auteur Marc Daniau. Pour Liraloin, cette lecture a remué pas mal de sentiments.
L’urgence happe la lectrice et le lecteur, soixante-deux pages où notre regard alterne entre la douleur de Lucas et de l’animale. La lecture est fluide, le rythme est saccadé, calqué sur ce besoin de s’échapper, un besoin vital et nécessaire. Marc Daniau joue avec nos nerfs, notre sensibilité est mise à l’épreuve. Intemporel, ce récit est libérateur malgré l’état d’urgence dans lequel il nous plonge.
En février, Héloïse et ses enfants ont particulièrement apprécié deux albums. Le premier, c’est la suite d’un de leurs chouchous, Chevalier Chouette, qu’ils ne se lassent pas de relire.
Chevalier Chouette et Petite oiselle, c’est la rencontre entre notre chouette préférée, devenue capitaine de la garde, et une oiselle survoltée qui l’admire et rêve de devenir comme lui. Un album qui nous montre qu’il ne fait pas si fier aux a priori, et ne pas fuir face au changement. C’est une chouette histoire d’amitié et de complémentarité, servie par de magnifiques illustrations, et une belle dose d’humour. Craquant !
Chevalier Chouette et Petite Oiselle, de Christopher Denise, ed. Kaleidoscope, Janvier 2025
Avec Moi j’aime (pas) les livres, c’est le rapport à la lecture et l’appétence que Mariajo Ilustrajo, l’autrice de Débordés, met en avant. Helolitla avait repéré cet album pour son titre et son autrice, et elle n’a pas été déçue du voyage.
L’héroïne, c’est une petite fille qui n’aime pas lire, mais qui doit le faire : c’est son devoir du week-end. Sa mère l’emmène donc à la bibliothèque, mais devant les rayonnages, l’enfant reste sceptique. Jusqu’à ce que sa mère lui conseille LE livre qu’elle avait adoré à son âge. Pas motivée, elle le commence… et vous devinez la suite, a bien du mal à le lâcher !
Un très bel album qui évoque avec humour et en couleur la magie des livres, leur pouvoir d’évasion, ainsi que la transmission. C’est beau, c’est doux, bref, on ne peut que valider !
Moi, j’aime (pas) les livres, de Mariajo Ilustrajo, Ed. Glenat jeunesse, septembre 2024
Ce mois-ci, ce sont deux albums pour tout-petits que Colette a envie de vous présenter. Touché est un imagier qui vous intriguera dès sa couverture, soyez-en sûr.e.s ! On y perçoit deux mains en relief aux paumes tournées vers le ciel. Et puis au fil des pages, on retrouvera ces deux mains qui caressent une feuille, se glissent derrière un rideau que la brise soulève, déchirent l’emballage d’un biscuit, recueillent quelques gouttes de pluie, tracent un tait dans la poussière , s’enfoncent dans la chantilly qui décore une part de gâteau… Un imagier de sensations s’ouvre avec cet album au graphisme épuré, tout en noir et blanc, qui donne le monde à voir autrement, dans son humble simplicité, dans son incroyable diversité.
Touché, Woshibai, (Les Grandes Personnes), septembre 2024.
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Grain de chagrin a quelques point communs avec l’album précédent : une couverture en creux, un graphisme épurée, une simplicité assumée, une poésie ordinaire. Il y est question des larmes, et des sensations que les larmes nous font. Martine Perrin, comme à son habitude, joue avec la page, avec ce qu’elle cache, avec ce qu’elle révèle. Grâce à un jeu de découpe, la larme prend corps à chaque double-page, et on découvre à travers le trou dans la page le détail d’une image qui se révèle en entier quand on déplie la double-page de droite. Ingénieuse simplicité qui permet de mettre des mots doux sur l’amertume de nos chagrins, petits ou grands, et de les envisager en couleurs.
Grain de chagrin, Martine Perrin, Seuil Jeunesse, 2021.
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En février, Séverine a beaucoup lu. Des romans adultes, de la poésie, et aussi, comme toute passionnée qui se respecte, énormément de littérature jeunesse : romans, romans ados, poésie, encore, albums, documentaires…La plupart des titres ont été des coups de cœur, mais il y en a 2 qui se démarquent. Le premier vient d’être nominé pour le Prix Sorcières, catégorie fiction. Original par sa forme, puisqu’il s’agit d’un album épistolaire, il est d’une puissance rare pour dire, parfois même à la simple force d’une illustration sans texte, les liens qui se brisent, se distendent ou se renforcent, au sein d’une famille bouleversée par l’incarcération longue durée du père. Il y est question d’incompréhension, de culpabilité, de rêves d’enfant, de la vie qui continue avec ses joies et ses peines, du temps qui fait son œuvre pour panser les blessures, de pardon…il est si riche ! Tout en émotion retenue ( quoique Séverine n’ait pas retenu la sienne longtemps…), d’une tendresse et d’une sensibilité qui font mouche, sur un sujet rare en littérature jeunesse, Séverine est d’avis que cet album, du duo surdoué Germano Zullo et Albertine, fera date…
Tous les bateaux ne prennent pas la mer, de Germano Zullo, illustré par Albertine Zullo, La joie de lire, 2024
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Le deuxième signe le retour à la littérature jeunesse de Marcus Malte, qui est décidément selon Séverine un grand écrivain, avec un court roman destiné aux jeunes adolescent.e.s. Il raconte trois siècles d’Histoire à travers les yeux, les émotions et les souvenirs d’un… bonhomme de neige ! Le héros de cette fable initiatique naît, meurt et renaît en différents lieux, à différentes époques, il est le témoin des faiblesses humaines, des guerres et des catastrophes nées de l’action (auto)destructrice de l’Homme. Mais ses nombreuses vies lui permettent aussi de connaître de grands bonheurs : avoir une famille, apporter de la joie et du réconfort, ressentir de l’empathie, s’émerveiller de la beauté de la nature, l’amour, l’amitié…La rencontre avec un certain Jack L. et son chien Buck, ainsi que le clin d’œil à un précédent roman de l’auteur ont particulièrement plu à Séverine qui ne sait, finalement, si elle a préféré la poésie, le réalisme magique, l’intelligence ou la sensibilité de ce texte. À la fois manifeste écologique, pacifiste, humaniste, ce roman philosophique s’il en est, ne manque ni de finesse, ni d’émotion, ni d’humour pour transmettre un message essentiel sur l’être l’humain et son environnement : attention, fragile !
Le dernier hiver, de Marcus Malte, éditions du Rouergue jeunesse, 2025.
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Blandine ne vous présente pas un titre, mais une collection. Celle des Grandes Vies chez Gallimard Jeunesse. Des albums au format quasiment carré, intimistes, couverture toilée à médaillon, ornée d’éléments distincts concernant la personnalité mise en avant. Les auteurs et illustrateurs diffèrent à chaque opus, variant les approches et contenus.
Le texte et les illustrations se répondent et se complètent pour nous présenter un parcours de vie ayant œuvré dans le sport, la science, la justice, etc. Chacun se termine par une chronologie et une petite annexe, fort intéressante, et qui donne envie de prolonger la découverte !
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Héloïse – ileautresor a eu un coup de cœur pour un bel album aux couleurs polaires de l’autrice néerlandaise Marieke Ten Berge.
La passion du Grand Nord se ressent dans ce délicieux récit sur Rana, une petite renarde arctique. À la fin de l’été, le froid est glacial. Rana aime écouter les histoires de sa maman. Celle-ci évoque la longue nuit polaire, la Grande Ourse et les neiges éternelles. Rana suit les empreintes d’un ours blanc. Mais il est difficile de retrouver son chemin. Le vent est glacé. La neige recouvre tout… Epuisée, Rana s’enroule dans son épaisse fourrure blanche. Soudain, elle sursaute : un ours polaire surgit… Grâce à son aide, elle se remémore un récit de sa maman : les renards arctiques peuvent donner naissance à une aurore boréale ! Désormais, en suivant la lumière, Rana retrouve son chemin… et sa maman ! Une merveilleuse histoire composée de magnifiques paysages.
Rana ou la légende des aurores boréales, de Marieke Ten Berge, Rue du Monde, 2024.
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Connaissez-vous certains de ces titres ? Quels sont vos derniers coups de cœur ?
On ne présente plus Clémentine Beauvais ? Ben si faisons-le à la sauce A l’Ombre du Grand Arbre ! Grande prêtresse de la littérature de jeunesse, sa cible favorite est bien évidement les plus jeunes mais aussi les adolescents. En plus de sa casquette d’autrice, Clémentine s’amuse à écrire et donne des conférences sur l’écriture, plutôt chouette comme job non ? Attendez ce n’est pas tout, elle défend superbement bien le fait de livrer ses émotions de lectrices et lecteurs. D’ailleurs, retrouvez notrelecture commune de Comment jouir de la lecture pour prolonger le plaisir que vous aurez à la lecture de ce billet. Elle est belle la lecture, n’est-ce pas ?
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Le choix de Liraloin
La Plume de Marie de Clémentine Beauvais – couverture illustrée par Anaïs Bernabé, Talents Hauts, 2011
Lettre à Marie, 1653
« Chère Marie, j’ose espérer que cette missive vous parviendra… je suis admirative de vos écrits depuis que j’ai découvert vos pièces de théâtre par le plus grand des hasards, ma mère m’a souvent parlé de votre voix et de votre plume. Laissez-moi vous conter comment votre âme résonne dans les murs de ce château que vous avez jadis connu. Mademoiselle Margot et Mademoiselle Sophie n’ont jamais cessé de chanter vos louanges et vos mérites depuis votre départ. Malheureusement, elles ont toutes deux épousés des hommes dénués d’esprits. Très liées, elles n’ont jamais cessé de se voir pour évoquer vos admirables écrits, incitant leurs propres enfants à écrire et jouer à leur tour la comédie. Vous avez ouvert une page d’un livre qu’il ne faudrait jamais fermer, une page écrite en alexandrins invoquant l’espoir de réussir lorsque l’on naît femme et fille du peuple. »
Eleanor Fergusson
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Le choix de Lucie
Va jouer avec le petit garçon !, Clémentine Beauvais, illustrations de Maisie Paradise Shearring, Sarbacane, 2016.
(air connu) Ah te dirai-je maman Ce qui cause mon tourment ? Dès que nous allons au square Recommence le même cauchemar Tu t’installes sur un banc Et cherches des yeux un enfant.
« Va jouer avec celui-ci » Et si je n’ai pas envie ? Je connais bien les dangers, Le risque de me faire croquer. Va lire à l’ombre du tilleul Laisse-moi jouer tout seul !
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Le choix de Colette
Pour le droit de vote dès la naissance de Clémentine Beauvais, Gallimard – Tracts, 2024.
J’ai 14 ans, et aujourd’hui je vais participer à un référendum sur l’adhésion de mon pays à une organisation internationale en charge d’organiser la solidarité entre les générations pour lutter contre les effets du changement climatique. J’ai 14 ans, et depuis que je suis née mes parents me lisent les histoires des hommes et des femmes qui ont permis aux sociétés d’élaborer des textes collectifs pour protéger les droits des êtres vivants. J’ai 14 ans et je suis une citoyenne à part entière, je participe à la vie collective de mon pays et je connais son histoire. J’ai 14 ans et je suis fière de pouvoir défendre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité de mon pays de naissance à chaque consultation citoyenne. J’ai 14 ans, et j’ai voté toute mon enfance aux élections présidentielles, aux législatives, aux européennes, aux municipales. J’ai 14 ans et ma voix compte. C’est comme ça que j’ai grandi. J’ai grandi avec une voix qui compte dans un pays où chaque femme et chaque homme politique se soucie de rendre accessible chaque proposition de loi aux enfants. On se retrouve en assemblée générale parents-enfants un soir par mois dans les jardins et les médiathèques de nos écoles, les élu.e.s viennent à notre rencontre et on discute ensemble leurs propositions politiques. J’ai 14 ans et j’existe de mille manières mais celle que je préfère c’est celle qui m’unit à des millions d’autres à chaque fois que je me rends aux urnes. J’ai 14 ans et j’ai le droit de vote depuis la naissance.
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Le choix de Séverine
Les Petites reines de Clémentine Beauvais, Gallimard jeunesse – Pôle Fiction, 2019
Le périple de ces 3 filles Ensemble dans l’adversité ? Super roman, les yeux qui brillent !
Physique ingrat, puberté au taquet, Elles subissent l’intolérance, le mépris. Trio improbable, cible de quolibets Il n’en fallait pas plus pour les challenger, Toutes trois désignées boudins de l’année. Elles décident de partir pour Paris S’inviter à l’Elysée, le 14 juillet.
Rien ne les arrêtera, pas d’obstacle fatal Elles en ont sous la pédale ! Incroyable, à l’arrivée, elles auront gagné Ni gloire, ni beauté, futilités de pacotille ! En revanche, un trésor précieux pour les filles, capital : SORORITÉ.
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Le choix d’Heloïse – ileautresor
Écrire comme une abeille, Clémentine Beauvais, Gallimard jeunesse, 2023.
Ecrit avec un esprit vif, léger et pertinent, Ce guide de lecture et d’écriture Rend accessible la littérature jeunesse : Intéressant, il tient des propos intelligents et amusants ; Répond à de multiples questions (comme : est-ce un genre littéraire ?) Enlevé, plein d’humour, il explique l’intérêt des procédés littéraires.
C’est un livre pertinent : il éclaire toute belle Oeuvre… qui sera désormais lue autrement. Mais l’analyse d’albums, de romans, de nouvelles Magiquement devient un jeu plaisant… sous la plume de l’auteure… Ecrit avec répartie, ce guide est vraiment passionnant !
Un livre agréable à lire, comme un roman… Notamment grâce à ses explications sur la façon de construire un récit Elle fait naître le plaisir de lire en se glissant dans sa peau d’écrivaine …
Avec ses anecdotes sur ses débuts dans l’écriture… de fait Clémentine Beauvais est une auteure virtuose en la matière de techniques littéraires. Elle use de procédés pour rendre les personnages vivants, rythmer un récit. Ironiquement, elle nous fait rire, et nous instruit avec plaisir Là, elle nous convie à la découvrir avec légèreté, originalité et créativité Le livre est désormais vu dans toute sa complexité. Ecrire comme une abeille… Ce guide est une petite merveille !
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Et vous, quel est votre ouvrage préféré de cette auteure essentielle ?
C’est une excellente question que pose Clémentine Beauvais dans ce petit essai publié l’année dernière ! À l’heure où d’aucuns déplorent que les gens ne lisent plus, comment peut-on appréhender la lecture de manière à en faire quelque chose de réjouissant, voire de jouissif ? Nous qui lisons pourtant toutes déjà beaucoup, nous avons été ravies de la fraîcheur et de la portée percutante de ces réflexions et nous sommes sous le charme du programme qu’elles dessinent. Il y avait clairement là matière pour une lecture commune !
Comment jouir de la lecture, de Clémentine Beauvais, paru en 2024 chez Alt (La Martinière).
Isabelle: Pour commencer, un petit mot sur l’autrice ! Clémentine Beauvais, c’est un peu la petite reine multi-casquettes de la littérature jeunesse. À quoi pensez-vous spontanément quand on évoque son nom ?
Sev : Je pense immédiatement aux Petites reines, même si évidemment, après, d’autres romans me viennent à l’esprit ! Finalement, je ne la connais pas si bien que ça Clémentine Beauvais… En fait, je n’ai lu que deux ou trois choses d’elle. En revanche, en temps qu’accro aux réseaux, je la suis sur Instagram et là, c’est vrai que je réalise vraiment combien elle est brillante, polyvalente, drôle, intelligente, et j’en passe…
Liraloin : Pour moi Clémentine Beauvais est d’abord une autrice sur laquelle j’ai flashé immédiatement, son humour et son écriture m’ont vraiment séduite. Puis de fil en recherche j’ai pas mal lu des articles sur ses questionnement et réponses autour de la lecture et les jeunes. J’ai apprécié qu’elle parle des livres lus pour les ados qui lisent peu ou pas. Puis je me suis emparée d’Écrire comme une abeille que je n’ai pas terminé de lire encore tellement que cet ouvrage est riche de conseils et de découvertes sur l’écriture et sans prise de tête !
Sev : Je me suis justement promis de lire Écrire comme une abeille, qui m’intéresse à plusieurs titres.
Colette : Clémentine Beauvais c’est une de mes premières rencontres littéraires à L’escale du livre à Bordeaux avec des élèves de 6e ! Et comment dire à quel point ce fut une rencontre tourbillonnante ! Pertinente, impertinente, brillante, elle a mis des paillettes dans les yeux de mes petit.e.s lecteurices ! C’était pour La Plume de Marie ! On a lu, on a débattu, on a joué. C’était magique !
Isabelle : Outre ses talents d’autrice, je la vois justement comme une avocate brillantissime de la littérature jeunesse – et en fait de la jeunesse en général. Elle a une manière hyper rafraîchissante de questionner tout ce que le monde adulte a tendance à prendre pour acquis et c’est toujours stimulant. Et, cela ressort dans ton souvenir, Colette, elle est vraiment douée aussi pour transmettre l’amour de lire à des jeunes. J’apprécie aussi son rôle de passeuse de littératures anglophones puisqu’elle trouve – on ne sait comment – le temps de traduire des textes et romans anglais et américains !
Liraloin : Mais oui, elle a traduit Emma de Jane Austen de façon divine !
Sev : Je me demande effectivement comment fait-elle pour être sur tous les fronts. Je suis d’accord avec le fait qu’elle est l’une des meilleures ambassadrices de la littérature jeunesse en France. Je trouve que contrairement à d’autres, elle est très claire, très accessible et apporte une vraie fraîcheur.
Isabelle : Ici justement, j’ai découvert cette autrice sur un registre nouveau : celui de l’essai (voire du manifeste !), publié dans la collection Alt chez La Martinière Jeunesse. Connaissiez-vous cette collection et que pensez-vous de sa démarche ?
Liraloin : En tant que bibliothécaire fouineuse et toujours à l’affût de nouveaux documentaires pour ados, j’ai découvert cette collection en librairie. Tous les titres sont sur un petit meuble et les ados peuvent piocher pour lire sur place ou emprunter. Les auteurs et autrices sont assez connus et les thèmes abordés très actuels.
Colette : Je connaissais aussi cette collection grâce à des collègues qui m’avaient parlé du tract consacré à la langue : Le français va très bien merci. J’avais trouvé le format innovant et inspirant, provoquant le débat en quelques pages.
Sev : J’avais découvert aussi cette collection via mon libraire jeunesse. Mais Le français va très bien, c’est Gallimard, non ? (Je l’ai, j’ai triché !)
Colette : Ah ! oui ! Merci Séverine ! J’étais persuadée que c’était dans la même collection. Shame on me !
Isabelle : En fait il y a plusieurs de ces collections qui ont fleuri en même temps et qui proposent comme ça des essais plutôt courts à destination des jeunes (ados ou jeunes adultes). Aujourd’hui même, Clémentine parlait sur les réseaux de la collection Regards qui suit le même principe. Cette offre qui se multiplie soudainement est intéressante.
Sev : Le format est tout à fait approprié, percutant, le prix n’est pas un frein : parfait comme support de réflexion et de débats. Le seul point qui m’interroge, c’est qu’il est indiqué “À partir de 15 ans”, or, je me demande s’ils ne devraient pas décliner la collection pour un public (et ses profs ? parents ?) dès le collège…
Isabelle : Justement, avez-vous de l’expérience par rapport au fait de donner à lire des essais suivant ce format à de jeunes lecteurs ?
Liraloin : Bonne question, d’ailleurs je rejoins la réflexion de Séverine. Pas évident d’avoir le retour des jeunes, pour le moment j’en ai de mes collègues seulement…
Colette : Comment jouir de la lecture ? Je ne le ferai pas lire à des collégien.ne.s à cause de l’intro. Par contre j’ai bien l’intention de faire lire Pour le droit de vote dès la naissance (là c’est la collection Tracts chez Gallimard) à mes élèves de 3e cette année, dans le cadre de notre séquence sur la littérature engagée !
Isabelle : Je rebondis sur la remarque de Colette : le titre, qui invite à découvrir comment jouir de la lecture, pourrait avoir une connotation sexuelle. La lecture, le sexe, serait-ce donc comparable ?
Sev : Le titre, épicé s’il en est, correspond bien à la personnalité de Clémentine Beauvais et, comme elle l’expose si bien pendant ces quelques pages, remet la notion de plaisir au cœur de la problématique : pourquoi lire ? Comment ?
Colette : Personnellement, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de liens entre lecture et sexe mais son intro met clairement en avant le lien entre apprendre à jouir sexuellement et apprendre à jouir de ses lectures, ce qui sert habilement – et avec l’humour qui caractérise l’autrice – le propos qui sera ensuite développé beaucoup plus sérieusement dans le reste du texte.
Liraloin : Tout à fait, cette intro est très percutante. Elle propose une comparaison entre le sexe et la lecture avec beaucoup d’humour et une vérité directe : jouer avec le plaisir de lire comme pour le sexe finalement, en expérimentant.
Sev : Ce que je trouve, moi, particulièrement pertinent, c’est le questionnement sur l’éducation à la jouissance, enfin, au plaisir de lire. D’une part, elle rappelle qu’on ne nous apprend pas à porter un regard “indulgent” sur nos goûts littéraires et de fait, nous nous retrouvons, un peu comme dans la vie en général, à devoir choisir un camp et nous ne parvenons pas à sortir des cases dans lesquelles on nous a, ou pire, on s’est soi-même enfermé.e. D’autre part, j’ai été très touchée par sa distinction entre les deux grandes théories de discours sur le plaisir de lire car je me suis quelque peu reconnue dans l’un des deux, et cela m’a bien perturbée, sur le moment. Sauf que… Elle a bien atteint son objectif, en ce qui me concerne : j’ai pris du recul.
Isabelle : Dans vos réponses, vous commencez à esquisser là où cet essai veut en venir : une invitation à découvrir les multiples plaisirs de lire et un constat : jouir de la lecture, comme jouir sexuellement, ce n’est pas quelque chose qui coule de source mais cela se recherche. Avez-vous envie de résumer en quelques mots ce que vous avez retiré de cet essai ?
Liraloin : Que la lecture plaisir est avant tout essentielle. On ne nous apprend pas à parler de nos lectures, les termes peuvent être d’une banalité : « c’était super », « j’ai pas aimé ». D’ailleurs, j’essaie de le faire et d’inciter les collégiennes du comité de lecture à se livrer, trouver le bon terme pour parler… Les réflexions sur le Discours Réac et le Discours Plaisir de Lire m’ont beaucoup parlé. J’aime beaucoup cette citation dans laquelle je peux me reconnaître :
« Apprendre à jouir de la lecture n’a rien à voir avec s’initier à une culture dominante. Bien au contraire. C’est devenir, par la jouissance, capable de s’en libérer. »
Colette : La multiplicité des plaisirs de lecture, voilà ce que je retiendrai de cet essai. Il n’y a pas un plaisir unique, le plaisir de lecture, mais toute une potentialité de plaisirs qu’il nous faut apprendre à cerner, nommer, analyser car chacun de ces plaisirs nous ramène à une certaine conception du monde. Clairement quand j’ai lu cet essai la première fois, je me suis dit : voilà, c’est ça qu’il faut que je travaille avec mes élèves quand je leur demande d’écrire des critiques littéraires ! Il faut que je leur apprenne à cerner les plaisirs – et déplaisirs – que les livres provoquent en elleux.
Isabelle : Vous parlez toutes les deux de la manière jouissive dont l’autrice évoque mille et un plaisirs de lire et nous donne à ressentir le plaisir même de parler (précisément, voluptueusement) de ce que lire nous fait. Je te comprends, Colette, d’avoir envie de partager ça avec tes élèves.
Liraloin : J’ai adoré le passage où Clémentine Beauvais parle des différents états à travers lesquels on passe en lisant : « transports échappatoires », « chatouillis intertextuel »…
Isabelle : Ah ! J’avais prévu de vous demander si vous aviez un ou des plaisirs préférés dans la liste de ceux qui sont évoqués dans ces pages ?
Liraloin : Les « transports échappatoires », ça m’a parlé, pour les vivre plusieurs fois dans une journée. Ça me le fait moins depuis que je vis dans le Sud mais c’était nécessaire lorsque je vivais en région parisienne. Et j’aime tellement le terme de « chatouillis intertextuel » ! Je suis toujours à l’affût des références à d’autres textes, comme dans les illustrations de Gilles Bachelet.
Colette : Idem, Frede ! C’est un plaisir que j’ai découvert tardivement – je pense qu’on ne le goûte qu’avec l’expérience – et depuis je suis fan. Aussi bien dans mes lectures que dans les films, ou la peinture ! Je viens d’étudier Triple autoportrait de Norman Rockwell avec mes 3e et j’adore justement étudier ce tableau pour en éprouver le « chatouillis intertextuel » (intericonique dans ce cas). En ce moment, je suis en quête du « bien-être réconfortant » éprouvé en me plongeant dans le texte d’une autrice que j’aime tout particulièrement, je cultive le cheminement en territoire connu, une écriture qui m’enveloppe et me veut du bien, l’écriture de Marie-Aude Murail.
Sev : Comme Frede, j’ai adoré cette liste non exhaustive des différents plaisirs, avec une préférence pour la « galvanisation politique » et le « soulagement identificatoire ». J’aime aussi les « enchantements rebelles » qui me rappellent combien certains livres, dès les premières pages, ne me semblent pas du tout faits pour moi, mais qu’en insistant, à peine, parfois, ils finissent par devenir ceux qui me marquent le plus (en bien ou en mal), dans le sens où ils se démarquent.
Isabelle : Parvenir à aimer un texte qui nous résistait pourtant, c’est effectivement très chouette !
Liraloin : Parfois c’est simplement pas le bon moment et puis un peu plus tard, dans d’autres circonstances, le texte s’ouvre à nous. Sans notre billet sur Jean-Claude Mourlevat je n’aurais sans doute pas encore lu Le chagrin du Roi Mort qui m’a bouleversée dans ma petite vie de lectrice.
Isabelle : Comme je te comprends ! Pour ma part, j’ai un très gros faible pour la « fièvre investigatrice » que Clémentine Beauvais illustre par le génial Pierre Bayard. Mais si je ne devais retenir qu’un plaisir, ce serait sans doute le bonheur du« partage », à voix haute avec mes enfants mais aussi avec mon mari, mes parents, mes ami.e.s (et notamment vous les arbronautes !), tou.te.s hyper volontaires pour les lectures communes.
Colette : Oh ! Oui ! (jouissance !!!) Le bonheur du partage! A chaque lecture commune, il resurgit et m’emporte dans un élan d’enthousiasme que j’avais oublié !
Isabelle :Mais tout « plaisir » est-il bon à prendre ? On pouvait s’attendre à ce que Clémentine Beauvais démonte les discours réacs et élitistes de la lecture qui hiérarchisent les littératures et mettent en valeur celles qui s’inscrivent dans un canon et qui exigent un effort. Mais elle critique aussi les discours selon lesquels chacun devrait lire ce qui lui fait tout simplement plaisir. Pourquoi pas ?
Liraloin : Je pense que, par là, Clémentine Beauvais se prononce contre la littérature facile, celle des mots et des phrases fades. Elle en parlait encore lors de son intervention au SLPJ. Oui, lire, mais pas n’importe quoi finalement.
Colette : Si j’ai bien compris son propos, elle ne critique pas la lecture plaisir mais invite à être plus exigeant.e dans l’analyse de ce plaisir, une analyse qui ne serait pas juste une opinion. Elle critique plutôt la position qui consisterait à défendre un plaisir qui ne se dit pas au nom d’une certaine liberté d’expression.
Sev : J’ai surtout retenu qu’il ne faut surtout pas considérer comme éternelles nos habitudes et nos plaisirs de lecture mais toujours chercher à comprendre de quelles constructions sociales, sociologiques, familiales (scolaires ?) ils proviennent. Je retiens également le devoir de transmission des leçons que nous avons tirées de ces analyses. J’aime particulièrement son passage sur « l’analyse ».
Isabelle : Vous évoquez ici des points très importants : je pense qu’il s’agit de conquérir une vraie liberté en s’émancipant de tout ce que la société de consommation, les rôles sociaux (par exemple genrés) ou notre socialisation nous conduit à privilégier sans l’avoir véritablement choisi. Une sorte de manière de lire émancipée et plus active, conquise en se demandant explicitement pourquoi on a tendance à aller vers certaines lectures plutôt que d’autres !
Isabelle : Il y a beaucoup de discours souhaitant voir les enfants lire plus et s’interrogeant sur les manières de leur donner envie de se plonger dans des textes. Cet essai est-il une contribution utile de ce point de vue ?
Colette : Cet essai ne convaincra que celleux qui sont déjàexpert.e.s de la lecture et qui ont éprouvé cet éventail de plaisirs de lire. Cependant je pense sincèrement qu’il peut changer la manière de parler lecture, d’enseigner, de transmettre. J’ai offert ce livre à toutes mes copines enseignantes de lettres, car je suis convaincue qu’en modifiant, précisant notre manière de parler de notre amour de la lecture, on donnera envie aux plus jeunes de se lancer dans l’aventure.
Sev : Colette a raison, cet essai prêche un peu les convaincu.es, même si Clémentine Beauvais s’en défend. J’adore quand elle écrit :
« Laisser les jeunes choisir librement leurs lectures, ne pas juger, encourager, bien sûr, j’achète. Mais pardon, j’ai besoin d’en savoir plus.»
Cela dit, je trouve qu’il apporte quand même un éclairage nouveau, dans le sens où il souligne aussi le lien entre le politique au sens large (pas seulement la politique culturelle autour de l’enjeu de la lecture) et nos plaisirs de lecture.
Liraloin : Clémentine Beauvais donne matière à réflexion et elle n’est pas là pour conseiller ou dresser une liste de ce qu’il faut mettre en place pour faire lire les jeunes. Elle se concentre sur le plaisir de trouver du sens dans sa lecture. Comme le dit Alain Serre en parlant du plaisir de comprendre ce que nous lisons. Comme Colette, je ne pense pas que cet essai peut changer les choses par magie mais en le diffusant et en en parlant on sème des petites graines auprès des profs, des jeunes…
Isabelle : Ça me donne vraiment envie d’essayer de parler lectures avec les enfants et ados de mon entourage. De leur demander sérieusement ce qui les a branchés, voire justement d’introduire dans nos discussions familiales les plaisirs listés dans ce bouquin. Mais aussi de les encourager un peu à sortir de leur zone de confort, par exemple en leur choisissant des lectures différentes.
Liraloin : Tout à fait, Isabelle, et c’est ce que nous faisons au comité de lecture : nous sortons les collégiennes de leur zone de confort sinon on ne lirait que de la New Romance ou Dark Romance.
Colette : Je pense que c’est ce que font aussi tous.tes les enseignant.e.s de lettres – sortir les ados de leur zone de confort – et pourtant le discours sur la lecture scolaire est souvent négatif… Y compris dans la bouche des écrivain.e.s.
Isabelle : C’est toute la difficulté du positionnement prôné ici. Arriver à rester à la lisière pour arriver à dépasser la consommation un peu passive de plaisirs pas vraiment réfléchis mais sans pour autant tomber dans la lecture-devoir. Je pense que personnellement, j’avais tendance à être très “lecture plaisir” laissant chacun.e aller vers ce qui l’attire et après avoir lu ce texte, j’essaierai au moins de lancer des perches pour tenter de proposer autre chose – mais je ne suis pas prof, j’ai à faire aux enfants de mon entourage qui aiment tous déjà la lecture.
Liraloin : Cet enjeu est de taille ! Je rencontre régulièrement des jeunes qui ne lisent pas. Ce ne sont pas ceux-là qui viendront demander conseil, par contre je leur dis : je m’engage à trouver la lecture qui te plaira ! Avec ou sans l’accompagnant.
Isabelle : Et vous-mêmes qui êtes des lectrices aguerries et qui savez jouir de la lecture, allez-vous lire (vous mêmes) différemment après avoir lu ce texte ?
Colette : Je ne pense pas que je vais lire différemment mais plutôt que je vais parler différemment de mes plaisirs notamment dans mes séances de méthodologie dédiées à la rédaction de critiques littéraires.
Liraloin : Lorsque l’on rédige une chronique ou que l’on participe à un comité BD, on s’interroge déjà sur sa façon de lire et d’appréhender le texte, et on apprend à parler des plaisirs qu’il nous procure. J’aime rester dans la neutralité tout en étant très à l’écoute des émotions, de la construction du texte, de l’intrigue… Bref, je continuerai de lire comme je l’ai toujours fait.
Isabelle : Oui, ce que nous faisons avec nos blogs, c’est déjà une manière de cultiver le plaisir de lire en le mettant en mots. Mais pour ma part, j’ai eu envie de regarder la liste des plaisirs dont on parlait toute à l’heure, d’essayer d’en trouver qui me seraient moins accessibles et que je pourrais viser à dessein, voire en imaginer de nouveaux. C’est un programme qui me fait envie.
Colette : Comme toi Isabelle, la liste de Clémentine m’a donné envie d’en inventer d’autres.
Sev : Moi aussi, je me suis dit que j’allais tenter de découvrir des plaisirs de lecture que je ne ressens pratiquement jamais. Le « délice addictif », par exemple, ou « l’enchantement immersif ».
Isabelle : Ne trouvez-vous pas que cet essai est original dans la manière même dont il est écrit ?
Liraloin : La mise en page est intéressante, c’est le plus de cette collection. Aérée et pratique pour stopper sa lecture, noter des réflexions si besoin, y revenir… L’humour de Clémentine Beauvais facilite la lecture également.
Colette : Oui, il y a justement quelque chose de très réjouissant dans l’écriture de cet essai, la forme étant au service du fond. Encore une qualité de cette autrice incroyable que l’on retrouve aussi dans ses romans. Le ton provocateur – épicé pour reprendre le mot de Séverine –, la liste poétique, le militantisme des dernières pages, Clémentine Beauvais crée le terreau de plaisirs multiples !
Isabelle : C’est exactement là que je voulais en venir. Clémentine Beauvais a une manière littéraire de causer littérature, ça décuple le bonheur qu’on a à la lire – hyper rare pour un essai !
Sev : Je le dis tout net, j’ai joui de cette lecture (ha ha). Déjà, la première page à elle seule, vaut tous les incipits du monde, je trouve. Sans vulgarité, avec l’humour qu’on lui connaît, un décalage avec le ton trop souvent professoral (pardon les copinautes profs !).
Isabelle : Je constate souvent des tendances à vouloir dépolitiser au maximum la littérature jeunesse, en faire quelque chose qui préserve l’enfance de la politique. Mais à la fin de cet essai, l’autrice affirme que le plaisir de lire est politique. Que veut-elle dire par là ?
Colette : Personnellement, à chaque fois que je fais lire un texte à mes élèves, je fais de la politique ! Quand je fais lire Maus de Art Spiegelman, L’école est finie d’Yves Grevet ou Scarlett et Novak de Damasio, quand on discute d’Heartstopper avec Chloé et Manon, Nos étoiles contraires avec Lila ou de L’arabe du futur avec Nino, on fait de la politique. Apprendre à mettre des mots sur ce que les idées, l’univers d’un.e autre a éveillé en nous, c’est apprendre à mieux se connaître et à envisager des possibles, c’est travailler l’imaginaire, la créativité, et la résolution des problèmes, des défis de la société de demain (d’aujourd’hui ?!). Le récit nous sauvera ! Inventer des récits, c’est une compétence essentielle pour habiter le monde de manière active !
Liraloin : Mais oui tu as raison Colette ! D’ailleurs merci car je ne voyais pas les choses comme ça. On en parle souvent avec la professeure-documentaliste avec laquelle je bosse souvent. On déconstruit des idées reçues pour en construire des neuves à partir de la littérature.
Sev : Ah mais ce que tu dis, Colette, me parle beaucoup ! Je lis énormément d’histoires (si ce n’est toutes…) avec ma fille de 9 ans, qui nous amènent finalement à parler de « politique ». Qu’on lise, par exemple, des albums où il est question d’exil et de migration ou des romans sur la santé mentale… je pense notamment à À la poursuite des animaux arc-en-ciel, que nous avons lu il y a quelques mois et qui, de fil en aiguille, m’a amenée à lui expliquer que les maladies comme la dépression ne sont pas suffisamment bien prises en compte dans notre société où, globalement, il faut performer pour être considéré. Bref. On finit toujours par élargir aux questions de société, à réfléchir sur le monde qu’on souhaite, qu’on rêve, qu’on espère, et le rôle que l’on peut jouer pour participer. Quand le plaisir de lire s’accompagne d’une prise de conscience, ou d’une volonté d’agir, comment ne pas le considérer comme politique ? Je reconnais néanmoins que d’aucuns, dans mon entourage, considèrent que je ne l’épargne justement pas assez de la gravité. D’où notre recherche, justement, du plaisir de lire que Clémentine Beauvais appelle « bien-être réconfortant » qui autorise la politisation, sans pour autant plomber son enfance (encore heureux !). Des romans comme ceux de Myren Duval, avec sa série Mon chien, par exemple, matchent complètement avec cet objectif.
Colette : C’est super intéressant ce que tu ajoutes là car ça aussi c’est politique : tisser le lien par les rencontres entre les adultes et les jeunes, la littérature nous relie aussi au delà des générations. Merci encore pour ces échanges, c’est toujours un plaisir – on pourrait l’appeler “l’extase alogdesque” ce plaisir là !
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Et vous ? Avez-vous lu cet essai ? Si ce n’est pas encore le cas, nous espérons vous avoir donné envie de le découvrir. Merci à Clémentine Beauvais de nous avoir tendu des perches si stimulantes. La bonne nouvelle, c’est que nous resterons en sa compagnie la semaine prochaine. Alors ne manquez pas le billet que nous consacrons à cette autrice essentielle !