Lecture commune : Lonely Club

Il y avait un moment que les membres du blog ne s’étaient pas connectées pour parler bande dessinée. Lucie, Blandine et Liraloin se sont bien amusées à lire cette BD qui véhicule de nombreux messages sur le milieu du livre… vous allez vite comprendre en lisant cette lecture commune !

Lonely Club de Pelle Forshed, L’Agrume, 2025

Lucie : Connaissiez-vous le travail de Pelle Forshed ?

Liraloin : Pas du tout, je ne connaissais pas cet auteur alors que je participe tous les mois à un comité BD ! Je n’ai pas pris le temps de me renseigner sur ses autres publications par contre… Et vous ? 

Blandine : Non, je ne connaissais absolument pas. J’ai entendu parler de l’album grâce à une publication du rendez-vous BD auquel je participe en ligne quasi tous les mercredis. Et lorsque j’ai vu que vous souhaitiez lire cette BD, forcément, ça m’a donné envie de vous rejoindre. Et j’aime bien le titre en oxymore !

Lucie : Moi non plus. Mais je me suis aperçue depuis que Pendant ce temps était à la bibliothèque, je l’emprunterai certainement.
La couverture a un côté « super héros » avec ce titre qui fait penser à la typo de Superman, la posture typique de Batman du personnage sur le côté… si je n’avais pas lu la présentation, je me serais attendue à un comic. Et vous, quelles étaient vos attentes ? à quoi vous a fait penser cette couverture ?

Blandine : Alors je ne m’attendais à rien du tout. J’avais même plutôt pensé à une femme voilée dans un pays du Moyen-Orient, plus qu’à autre chose, ou à un déguisement.  Je pensais, avec ce titre, à un club littéraire clandestin, de résistance. Impression d’autant plus renforcée que je ne lis que très rarement les 4ème de couverture ! J’aime être surprise, et là, ce fut clairement le cas !

Lucie : C’est amusant les écarts d’interprétation, je n’aurais pas du tout pensé à la résistance Blandine, mais c’est très pertinent !

Liraloin : Moi non plus ! mais je comprends pourquoi tu as eu cette impression. 

Liraloin : La couverture est très bien choisie, attirante et vraiment typique du roman graphique. Comme tu le dis Lucie, c’est trompeur avec ce personnage sur le toit mais le côté comics aurait été le personnage accompagnée de la faux de la Mort. La typo du titre fait un rappel au cinéma. On verra par la suite que finalement le titre est une référence à la musique. Je n’avais pas d’attente particulière mais en lisant la 4ème de couverture je me suis dit : j’espère que c’est un peu barré et absurde. 

Blandine : Effectivement, c’est barré, un peu absurde concernant le milieu littéraire, ses surprises, ses éclats, ses rendez-vous aussi ! Et les interconnexions qui peuvent exister au sein de ce milieu, mais aussi avec d’autres, et ici, la publicité, et la cartomancie. Toute la couverture est en oxymore, dès le titre. Avec une typo très vintage, très cinématographique comme l’a bien remarqué Liraloin, très occidentale. Si je reste sur mon impression première de résistance, ça prend sens aussi. 

Lucie : Niveau absurde, c’est vrai que nous avons été servies ! Justement, L’Agrume publie des albums jeunesse mais celui-ci n’est pas particulièrement dédié aux jeunes lecteurs. Il aborde des thèmes difficiles comme la dépression, l’alcoolisme, la tentation du suicide… En quoi ce roman graphique peut être intéressant pour eux, selon vous ?

Liraloin : Bizarrement tous les sujets que tu évoques sont indéniablement présents mais ils sont traités de telle façon que cela passe car, que ce soit l’alocoolisme, la dépression ou la tentative de suicide, et bien il y a une certaine légèreté dans les propos de manière à ce que le lecteur ne soit pas forcement “atteint” à la première lecture. Pour moi, il peut trouver son public auprès des ados sans problème mais je crains malheureusement que ces derniers n’y soient pas ou peu sensibles.

Blandine : De mon côté, et peut-être parce qu’en tant que libraire j’appartiens à ce “milieu littéraire”, ce qui m’a immédiatement percutée, c’est justement ce milieu-là. L’attente pour un auteur de voir son “bébé de papier” publié, puis lu, puis encensé, ou tout du moins apprécié par les “professionnels”, ici un libraire, mais surtout LE critique BD DU journal. Cela devient risible car l’auteur, évidemment subjectif, ne mise que sur cette reconnaissance. Et dans ce milieu hyper concurrentiel, une critique, même négative, est attendue car synonyme d’intérêt du lectorat qui, sans cela, ne pourrait, ou ne saurait, s’y retrouver dans ce flot de publications continuel.

Lucie : C’est justement une question que je voulais vous poser : pensez-vous, comme semble le dénoncer l’auteur, que le monde de l’édition est profondément arbitraire ?L’anecdote du critique sur la pile de C.V. dont le patron jetterait la moitié à la poubelle en se disant « ça c’est ceux qui n’ont pas de bol, je n’en veux pas dans mon entreprise » est assez parlante à ce niveau-là !

Liraloin : Mais complètement ! Il y a énormément de publications et sortir du lot de la P.A.L devient un enjeu de taille d’où le comportement de Benedikt. Tout est bon pour se faire reconnaître dans ce flot de BD publiées chaque année ! Dernièrement nous avons eu un débat avec un membre de mon comité de BD qui expliquait qu’il ne comprenait pas pourquoi A l’intérieur de M. Sapin était dans notre PAL de ce mois-ci (ouvrage de commande – hyper politisé…)

Blandine : En effet, le monde de l’édition croule sous les publications (même s’il tend à en réduire le nombre – en tout cas en France). Cette BD ne vise pas seulement ce monde-ci mais aussi, avec beaucoup de dérision, voire de sarcasme, les critiques littéraires comme les auteurs eux-mêmes. Arbitraire, je ne saurais dire, mais dans la maison d’édition de Benedikt, Grunk, la ligne éditoriale semble très floue lorsqu’on compare le livre de Benedikt et celui de Boel Flood.

Liraloin : En effet Blandine, le critique littéraire est aussi très mal en point dans cette BD. Visiblement toute la chaîne du livre souffre.

Lucie : Je rebondis sur le terme “sarcasme” utilisé par Blandine, tellement adapté au ton de ce roman graphique ! L’auteur pousse le curseur assez loin, l’humour (noir) est très présent. Vous a-t-il séduit ?

Blandine : J’ai été totalement séduite par cet humour noir. Il me semble aussi juste qu’attractif.

Liraloin : J’adore ! Je suis fan surtout quand l’auteur se compare à Paul Auster ! Il est à fond et il a raison de croire en sa BD, il se fait son cinéma seul, c’est très drôle. Je trouve que le scénario est fin (un gros travail de traduction). 

Lucie : Cela ne m’étonne pas que ça t’ai fait rire. De mon côté, je l’ai pris comme une farce, un moyen d’exorciser la peur de l’échec que ressent tout auteur, impression renforcée par la ressemblance physique entre le personnage et l’auteur, d’autant que la mise en abîme est jouée jusque dans le titre de l’œuvre. Mais Benedikt peut aussi sembler assez égocentrique et prétentieux : comme tu l’évoquais il se compare successivement à Paul Auster, Baudelaire…(!) Qu’avez-vous pensé de lui ?

Liraloin : Il ne supporte pas le succès de Boel Flood au point d’en faire des rêves complètement barrés ! (les seules planches couleurs d’ailleurs). Il n’est plus du tout connecté à sa famille tellement il est mégalo.

Blandine : Benedikt ne m’a pas paru spécialement sympathique. Il est tellement obnubilé par sa BD qu’il estime géniale et incontournable, comparant – comme vous le disiez – sa “flânerie” à Paul Auster (un auteur que j’aime énormément) et à Baudelaire, qu’il m’a paru très égocentrique, évidemment pas objectif, et absolument pas ouvert d’esprit. Sa femme, Frida, ne semble même pas (ou plus) s’en émouvoir. Est-ce parce qu’elle a l’habitude de ce genre de comportement chez son mari ou par simple désintérêt ? Elle semble quand même beaucoup porter la stabilité de la famille (j’imagine financièrement si les livres de Benedikt sont des flops – d’autant qu’il a mis 5 ans à écrire et faire publier celui-ci ; parentalement avec leur fils, dans leurs loisirs de couple…) Benedikt semble être un homme très passif dont l’humeur est invariablement liée à l’opinion qu’ont les autres de lui, donc de son œuvre. Il n’a rien d’indépendant, alors que son métier l’y obligerait..
Quant à Magnus Kjellander, l’éditeur, il semble n’en avoir rien à faire du raté de Benedikt et être totalement assujetti à Boel Flood (financièrement, le succès de l’une peut peut-être compenser le flop du premier). 

Liraloin : Ce qui est assez extra c’est que Mathias Ortiz le critique littéraire est également égocentrique et complètement dépressif alors que Benedikt le porte “aux nues” ! c’est très bien vu. 

Blandine : Tout à fait Liraloin ! L’imagination, les fantasmes, les craintes sont portés à leur paroxysme concernant les autres. Chacun estime les autres, les imagine tellement mieux et plus qu’ils ne sont en réalité. Et chacun se trompe sur la réalité de ce que chacun est et surtout ressent. Serait-ce une invitation à davantage et mieux communiquer?

Liraloin : C’est pas faux ce que tu évoques Blandine, oui mieux communiquer pour mieux saisir les intentions de l’autre. Ici les intentions d’un auteur.

Lucie : Oui, tout à fait : le Club Lonely ce sont tous ces personnages seuls même si entourés (d’une famille, de sollicitations, de collègues…), essentiellement par manque de communication, d’écoute, de temps partagé (vraiment partagé, la séance d’escalade en amoureux vaut son pesant de cacahuètes !). En tout cas, c’est ainsi que je l’ai compris.

Blandine : Pelle Forshed joue avec ses personnages en nous dévoilant, à nous lecteurs, leurs pensées, nombreuses et très diverses, quand leurs dialogues se résument souvent à des phrases laissées en suspens.

Liraloin : Oui je l’ai vu comme toi Lucie. Il ne reste plus qu’à Benedikt d’incarner la Mort et ainsi faire “peur” à son pire ennemi LE critique littéraire. Il pousse le bouchon un peu loin Maurice.

Blandine: Je vous rejoins totalement. Ce que tu dis Liraloin est très juste : on vit dans une crainte permanente, qui est devenue l’unique moyen de dialogue et de communication.

Lucie : Les personnages ne sont pas très attachants, on l’a compris, et c’est ce qui me rend curieuse : quel personnage avez-vous préféré ?

Liraloin : Mon personnage préféré c’est Oddie j’adore cette planche très borderline. Blague à part, je dirais que je n’ai pas de personnage préféré. Tous les protagonistes se ressemblent un peu. La voisine de Mathias Ortiz est aussi gratinée que les autres. Sans doute Frida me semble garder les pieds sur terre en prenant un grand recul, Blandine en a bien parlé plus haut.

Blandine : Je ne crois pas avoir de personnage préféré. Peut-être Frida, mais elle me semble assez froide tout de même.

Lucie : De mon côté, la figure du critique Mathias Ortiz que tu évoquais Liraloin m’a beaucoup plue : il est complexe à souhait. Pédant mais terriblement seul et triste, conscient de son pouvoir sur la carrière des auteurs mais lassé d’une production homogène… Il est aussi perclus de doutes que les autres mais veut le cacher à tout prix, je trouve ce type de personnage très intéressant.

Blandine : Ton analyse de Mathias Ortiz est très pertinente ! Effectivement, son “pouvoir” lui pèse terriblement. Tandis que l’éditeur n’endosse absolument pas son rôle, il a fait parvenir le livre au critique mais ne s’assure pas de sa lecture, ne s’occupe pas de son auteur oublié, ne s’offusque qu’en privé du faux-bond de sa star d’autrice à une dédicace…

Liraloin : L’éditeur joue les faux-jetons, il n’est pas crédible pour un sou ! Ton analyse est juste Blandine.

Blandine : Selon vous, qu’est-ce qui fait le succès d’un livre? 

Liraloin : Je dirais que certaines critiques littéraires sont pour beaucoup dans le succès d’un livre ou plutôt dans la recommandation. La meilleure et plus belle façon d’obtenir du succès est le bouche à oreille, enfin je pense…

Lucie : Je dirais la chance de sortir au bon moment, l’écho dans les médias, certainement (et donc en partie l’investissement financier de l’éditeur dans la communication), et le rôle des libraires qui vont (ou non) le mettre en avant sur leurs présentoirs. J’aimerais pouvoir répondre « simplement le talent de l’auteur » mais j’avoue que je n’y crois pas.

Blandine : Nombreux sont les auteurs à s’être vus refuser la publication de leur manuscrit ici ou là, et tout d’un coup, voir le succès leur sourire. Les prescripteurs sont nombreux, et  chaque tranche d’âge a le sien. Et comme toi Lucie, je pense que chaque maillon est important. C’est une coordination, une collaboration même. En tout cas, cela devrait.

Liraloin : J’aimerais avoir votre ressenti sur le personnage de Maria ?

Blandine : Mère célibataire qui habite un appartement grâce à son père dans un quartier cossu (en tout cas couru), absolument pas à l’aise dans son métier de publicitaire (voire même carrément à côté de la plaque), et qui trouve son épanouissement dans la cartomancie, dont elle délivre les significations et pouvoirs dans des vidéos en ligne, pour lesquelles elle se grime.
Elle ne semble pas du tout à l’aise dans sa peau, ni dans ses goûts, n’ose pas dévoiler son amour (ou son attirance) pour Mathias, n’ose pas affronter son père. Elle semble très fade en comparaison des autres qui, par leur mal-être et égocentrisme, sont des personnages marquants. Et puis la cartomancie passe pour une activité au mieux ludique, en tout cas pas sérieuse. Je ne suis pas d’accord puisque je la pratique. Mais au fond, n’est-elle pas celle qui cherche le plus à s’en sortir, en tout cas, à chercher des solutions ?

Liraloin : J’avoue que ce personnage ne m’a pas paru essentiel sauf pour une chose, rendre Mathias Ortiz doté de sentiments.

Lucie : En tout cas, dans une BD où les situations gênantes ne manquent pas, c’est elle qui a la palme avec la scène de la salle de bain. Pour moi elle est spectatrice de sa vie (c’est peut être pour cela qu’elle s’intéresse à la cartomancie, pour ne pas se sentir responsable de ses choix) et le peu d’initiatives qu’elle prend tournent systématiquement à l’échec. On peut comprendre qu’elle peine à s’y résoudre. Même si elle essaye, parfois…

Blandine : Ton analyse de l’usage de la cartomancie par Maria est totalement contraire à la mienne, c’est intéressant ! Et la salle de bains, oui mais par gêne, ou pudeur, ou culpabilité, elle n’est pas totalement passive, elle s’en va, tandis que Mathias se lamente (sur son propre sort).

Blandine : Qu’avez-vous pensé du style graphique de Pelle Forshed ? Personnellement, je l’ai trouvé à la fois épuré et sobre, mais aussi très particulier. Il m’est difficile de le qualifier de “beau” mais il sert très bien le propos, car il n’y a pas de fioritures, de décors ou de détails. D’autant que le découpage des cases et les cadrages sont quasi uniformes tout du long. Son usage de la couleur, tout en bichromie peut sembler monotone mais sert la détresse psychologique de ses personnages. Les couleurs, plus vives, sont utilisées pour le spectaculaire ou le rêve. Il y en a donc peu.

Lucie : Pelle Forshed va à l’économie et l’efficacité. Son trait semble simple, même s’il ne l’est évidemment pas, et va à l’essentiel. Comme vous l’évoquez, il utilise très peu de couleurs pour un rendu aussi gris que le moral de ses personnages principaux. Le lecteur est plongé dans le doute et la tristesse des personnages mais, rappelons-le, avec beaucoup de recul et d’humour !

Liraloin : Son style est assez classique. Le découpage est linéaire sans inventivité. Oui parfaitement cet usage de la couleur bichromie est le reflet de cette détresse psychologique. 

Lucie : Aucun extrait de la fameuse œuvre « maudite » n’est dévoilée au lecteur, au contraire de celle de sa concurrente. Elle est en revanche souvent qualifiée par l’auteur lui-même et parfois de manière très différente. Je trouve ce parti-pris très pertinent, cela laisse le lecteur s’imaginer un chef d’œuvre – ou non – mais au moins pas de déception à ce niveau-là, contrairement à La vérité sur l’affaire Harry Quebert par exemple dans lequel les extraits de la « Grande Œuvre » m’ont tellement déçue que j’ai décroché. Et vous, qu’avez-vous pensé de ce choix ?

Blandine : Tu as tout à fait raison. Sur ce “chef d’œuvre”, nous n’avons que le point de vue de son auteur et le silence, l’absence, criants, des critiques (de tout le monde autour de Benedikt). Et j’aime ce parti-pris. On ne peut en effet qu’imaginer. Et je reconnais que sa comparaison avec Paul Auster m’a rendue plus que circonspecte. A relativiser tout de même, car lorsqu’on lit les planches de Boel Flood, on peut se questionner sur la qualité et la qualification d’un “chef d’œuvre”. Et c’est justement ce à quoi veut nous mener Pelle Forshed, je pense : nous forger nous-mêmes, en tant que lecteur.ice.s, nos propres avis, indépendamment de tous les acteurs du monde du livre. Sans influences, sans parti-pris, en toute honnêteté et conscience. Est-ce seulement possible ?

Liraloin : Je comprends tout à fait le point de vu de Blandine sur les intentions de Pelle Forshed. Il y a tout de même un passage très intrigant qui nous en dit un peu plus sur Benedikt. Ce que j’aime c’est que dans son inconscient il puisse donner le titre de sa BD qui était le nom d’un DJ Crew d’un ancien camarade de classe (p.105). Personnellement, je pense que sa BD n’est pas terrible enfin c’est cela à quoi je m’attendrais pour finir sur une note très absurde bien évidemment ! 

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Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir cette BD et que vous prendrez autant de plaisir que nous à découvrir cette histoire. Merci à l’Agrume de nous avoir envoyé ce titre auquel nous souhaitons plus de succès que son double de papier !

Prix À l’Ombre Du Grand Arbre 2025 : les lauréats !

C’est aujourd’hui le grand jour de l’annonce des lauréats de notre Prix ALODGA. Vos arbronautes préférées ont individuellement sélectionné des livres parus en 2024 et les ont proposés à leurs collègues, qui, selon leurs possibilités, leurs envies ou leurs thèmes de prédilection, les ont lus à leur tour. À l’issue d’un système de notation rigoureux, un classement a été effectué afin de déterminer les 3 finalistes de chaque catégorie, regroupant des genres balayant de la toute petite enfance aux ados. Nous vous avons proposé de voter ces dernières semaines et tenons à vous remercier pour votre participation exceptionnelle, puisque nous avons décompté pas moins de 661 votes ! Un record !… Sous vos applaudissements

Catégorie Petites feuilles (albums pour les grand.e.s)

Cet adorable album de la maison d’édition indépendante Cot Cot Cot a surnagé ! Vous l’avez largement élu album de l’année, pour sa plongée… en beauté au cœur d’une histoire tendre, touchante mais aussi pleine d’humour !

A l’eau ! Heejin Park, trad. Charlotte Grison, éditions Cot Cot Cot, 2024

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Catégorie Brindilles (albums pour les petits.e.s)

Comme nous, vous appréciez de sortir des sentiers battus et vous l’avez prouvé ! Les urnes (virtuelles ;-)) ont parlé et c’est cet album original, qui invite en douceur à une réflexion sur ce qu’on ne dit pas, faisant la part belle aux images, qui a emporté vos voix.

Quand je garde le silence de Zornitsa Hristova & illustré par Kiril Zlatkov, traduit par Marie Vrinat-Nikolov – Six citrons acides, collection : Around the langue, 2024 – publié pour la première fois en 2014 en Bulgarie, 2024

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Catégorie Racines (documentaires)

Un ex-aequo inédit pour la catégorie documentaires ! Et deux merveilles, effectivement ! Nous avions sélectionné trois titres qui invitent au dialogue et à la découverte de l’Autre, pour montrer que les barrières et les conflits perdent tout leur sens dès que l’on admet cette simple vérité : nous sommes tous.te.s des humains, notre pays, c’est la Terre.

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Catégorie Branches dessinées (BD et romans graphiques)

Chez les BD et les romans graphiques, résultat sans mystère, c’est finalement un album un peu inclassable, d’une extraordinaire inventivité visuelle, à la fois enchanteur et ludique (il faut des lunettes 3D pour en profiter), ne ressemblant à aucun autre, qui a remporté les suffrages.

Jeanjambe et le mystère des profondeurs, de Matthias Picard. Ed. 4048, octobre 2024.

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Catégorie Belles branches (romans ados)

Krok a dévoré ses concurrents ! 232/416 : le record du nombre de votes a été battu, félicitations !… Qui a dit que les adolescent.e.s ne lisaient plus ? Ce roman traitant de problématiques sociétales, jonglant entre humour et mordant, mais qui sait aussi rentrer les griffes pour se faire poésie, douceur et pattes de velours, est la preuve que la littérature ado a encore de beaux jours devant elle.

Krok, d’Hervé Giraud, Thierry Magnier, 2024

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Catégorie Grandes feuilles (romans jeunesse)

On peut parler de tout aux enfants, à condition que ce soit bien fait. Comme vos abronautes, vous avez plébiscité cette belle histoire, dans laquelle le sujet sensible de la dépression d’un parent est traité avec grand talent. Ou quand l’amitié, l’amour des siens, toutes les couleurs de la vie, l’emportent sur la noirceur. Mention spéciale pour l’objet-livre magnifique, qui a tout d’un grand.

A la poursuite des animaux arc-en-ciel, de Sarah-Ann Juckes, illustré par Sharon King-Chai, Little Urban, 2024

Encore un beau succès du Prix ALODGA, pour lequel nous avons mobilisé en équipe, toute notre conviction, toute notre passion. Félicitations aux lauréats, à leurs auteur.e.s et à leurs maisons d’édition (à noter que l’édition indépendante s’est particulièrement illustrée cette année.) Mais plus qu’une compétition, ce Prix a surtout pour objectif de mettre en valeur la richesse quasi sans limites d’un pan de la littérature à part entière. Que nous soyons enfants, adolescent.e.s, parents, enseignant.e.s, la belle littérature jeunesse a quelque chose à nous dire, entre capacité à s’émerveiller et consciences à éveiller. Écoutons-la. Mieux : lisons-la.

Prix ALODGA 2025 – catégories Belles branches et Grandes feuilles

Nous vous en parlons depuis des semaines, voici enfin la nouvelle édition du Prix ALOGDA ! Comme les années précédentes, nous avons sélectionné trois titres dans six catégories différentes :

  • Belles branches (romans ado)
  • Grandes Feuilles (romans jeunesse jusqu’à 11 ans)
  • Petites feuilles (albums pour « grands »)
  • Brindilles (albums premier âge)
  • Branches dessinées (BD)
  • Racines (documentaires)

Durant trois semaines, nous vous présenterons deux de ces catégories, ainsi que les titres concernés, et nous vous inviterons à élire votre préféré. Les votes se termineront le 6 juin 2025 à 20h30, et nous annoncerons les lauréats le 9 juin à 8h !

Ouvrons dès à présent le bal avec les romans ados et jeunesse !

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Catégorie Belles branches

Dans cette catégorie, 16 titres étaient en lice. Nous avons lu frénétiquement, avec délectation et naturellement certains romans se sont démarqués. Voici notre trio de tête avec comme vous pouvez le constater : des titres tous très différents des uns des autres et heureusement d’ailleurs !

Angélino est un jeune adolescent en décalage avec les autres doté d’une candeur qui le rend si attachant. Le jeune garçon ne veut pas se séparer de son ami Krok. Malheureusement, ce jeune gars se retrouve bousculé dans son bonheur par les décisions des adultes, par la sauvagerie du monde. Mais bien vite, il va changer, se rendre compte que ce n’est pas une vie pour lui. Une prise de conscience qui se fait tout en douceur…

Il y a beaucoup d’humour dans ce texte malgré les propos qui nous donnent à réfléchir sur la captivité des animaux. C’est un roman qui est donc à la fois drôle, parce parfois bien farfelu, mais aussi émouvant, et pédagogique. Une lecture fun et sérieuse.

Krok d’Hervé Giraud, Thierry Magnier, 2024

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Arsinoé Ouvrard est coupable d’avoir aimé « l’ennemi », d’avoir découvert l’Amour avec Hannes. « Jugée » coupable d’aimer, cette femme est humiliée, abandonnée à la violence masculine de ses compatriotes. Des hommes cherchant la gloire dans la détresse de ces femmes. Le destin de ces « poules à boches » rappelle que les dérives existent dans tout mouvements de foules.

Ce roman, également sélectionné pour le Prix Vendredi cette année, nous a bouleversées. Un roman court et puissant qui nous rappelle des faits historiques peu exploités en littérature et notamment dans celle destinée aux adolescents.

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Dans la tête et dans le corps de ce jeune garçon, rien ne va plus depuis des mois. Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une circonstance trop forte pour que tout bascule. Pas un signe avant-coureur, pas un cri, juste une respiration qu’il faut apprendre à régler pour se donner du courage. S’enfermer n’est pas un choix mais une survie qui s’organise. Dans ce roman, aussi sélectionné pour le Prix Vendredi de cette année, on s’interroge avec lui : que s’est-il passé ? Crise d’adolescence ou prise de conscience ?

La réponse ouvre la réflexion sur le rapport compliqué au monde d’une jeunesse qui a de plus en plus de mal à respirer… Pourtant, on continue à croire que l’espoir jamais ne s’essouffle et cela fait aussi la force du roman : rester optimiste. Un roman qui nous fait entrer en totale empathie avec le personnage principal et son entourage.

La cabane de Ludovic Lecomte, Ecole des Loisirs, collection : M+, 2024

À vous de voter pour départager ces titres !

Quel titre de la sélection "Belles branches" préférez-vous ?

  • KroK (56%, 232 Votes)
  • Vindicte (41%, 170 Votes)
  • La cabane (3%, 14 Votes)

Total Voters: 416

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Catégorie Grandes feuilles

Nous avons dévoré les 11 titres présélectionnés avec nos yeux d’enfants, c’est-à-dire curieuses de découvrir des univers éclectiques et extra-ordinaires, qui ont à nous dire quelque chose du monde. Histoires fortes ancrées dans l’imaginaire, fictions réalistes ou récits autobiographiques, d’hier, d’aujourd’hui, ou dans un passé dont il s’agit de tirer les leçons, nous avons plongé avec plaisir dans ces romans qui aident à grandir et à comprendre, sans perdre de vue le plaisir de lire.

Pour le trio de tête, la famille, même dysfonctionnelle, est presque le premier rôle de l’histoire. Les ambiances et les styles sont bien différents, sur des thématiques (très) fortes.

Coup de cœur presque unanime pour ce roman qui coche de nombreuses cases : originalité, humour, découverte, réflexion. C’est un ouvrage étonnant, qui change de ce que l’on peut lire aujourd’hui. Le génie sous la table, c’est lui, l’illustrateur Eugène Yelchin, Yevgeny, de son vrai prénom, un enfant qui grandit en URSS et qui a du mal à trouver sa place, coincé entre le talent de son frère aîné, la gouaille de sa mère, ou les rêveries de son père. Espionnage, antisémitisme et conditions de vie précaires…tel est le quotidien de cet enfant, dont nous avons adoré suivre les réflexions et sa vision des rouages et des dérives du communisme. Des sujets graves, mais son regard à la fois naïf et interrogatif sur ce qui l’entoure apporte beaucoup de fraîcheur.

Le génie sous la table, d’Eugène Yelchin, L’Ecole des loisirs, collection Neuf, 2024

A la poursuite des animaux arc-en-ciel est une lecture exigeante, parfois difficile, qui traite d’un sujet peu exploité en littérature « juniors » : la dépression. Il raconte quelques semaines de la vie de Nora, 10 ans, dont la maman solo souffre de cette maladie, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Seule, très mûre pour son âge, la petite fille vit en fait dans une sorte de déni, s’auto-persuadant que tout va bien, qu’il n’y a aucun problème, que sa vie est normale. Jusqu’au jour où commencent à lui apparaître des animaux qu’elle seule peut voir…Sur le fond, très belle trouvaille que ces animaux arc-en-ciel, qui vont se succéder pour aider Nora à aller vers les autres et accepter de se faire aider, jolie fin ouverte mais sans angélisme. Sur la forme, les arbronautes ont particulièrement apprécié l’objet-livre : couverture cartonnée, titre scintillant, dos graphique, illustrations soignées, police aérée, et plusieurs bonus en fin d’ouvrage.

A la poursuite des animaux arc-en-ciel, de Sarah-Ann Juckes, illustré par Sharon King-Chai, Little Urban, 2024

Harlem, le court roman d’Anne Cortey, illustré par Chales Berberian, est largement inspiré d’une histoire vraie, celle d’une amie de l’autrice ayant grandi dans ce quartier emblématique de New York, dans les années 60. A l’époque, la ségrégation raciale bat son plein, mais la lutte pour les droits civiques émerge et l’on découvre au fil des pages les espoirs nés des actions de Martin Luther King ou Rosa Parks. Nous avons admiré ses deux petites héroïnes au caractère bien trempé, qui refusent que leur couleur de peau les sépare. Un belle histoire pleine de sensibilité, joliment illustrée, dont le message général est porteur d’espoir, invitant à réfléchir, avec bienveillance, à la justice et à l’égalité.

Harlem, d’Anne Cortey, illlustré par Charles Berberian, L’Ecole des loisirs, collection Neuf, 2024

À vous de voter pour départager ces titres !

Quel titre de la sélection "Grandes feuilles" préférez-vous ?

  • A la poursuite des animaux arc-en-ciel (57%, 58 Votes)
  • Harlem (30%, 31 Votes)
  • Le génie sous la table (13%, 13 Votes)

Total Voters: 102

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Lecture commune : Nous traverserons des orages, de Anne-Laure Bondoux

Anne-Laure Bondoux est presque déjà une autrice classique en littérature jeunesse et ado. Lorsque son tout nouveau roman, Nous traverserons des orages, a reçu la pépite d’or du salon de Montreuil, nous avons eu envie non seulement de le lire mais de partager nos impressions ! Nous voilà donc dans la ferme des Chaumes, logis de la famille Balaguère qui porte mal son nom. Avec ses générations successives, nous allons traverser plus d’un siècle d’histoire, de 1914 à nos jours. Les pages se tournent, les temps changent avec les générations, mais la ferme des Chaumes est comme immuable et les Balaguère restent hantés par les mêmes démons : les chimères et l’abandon, les non-dits et la violence. Lecture commune !

Anne-Laure Bondoux lors d’une rencontre-dédicace à l’occasion de la sortie de son roman

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Isabelle : Avant d’entrer dans le vif du sujet : aviez-vous déjà lu Anne-Laure Bondoux ? Sur quel registre la connaissiez-vous ? Le nom de l’autrice a-t-il joué un rôle dans votre envie de lire ce roman ?

Liraloin : Je connais cette autrice depuis un moment, mes collègues m’en parlaient souvent et il y a quelques années (environ 12 ans maintenant) j’ai lu ses romans. J’ai eu un véritable coup de cœur pour Tant que nous sommes vivants. En plus, l’autrice a été invitée dans une librairie de Toulon ! Quelle opportunité de pouvoir l’écouter parler de son livre et d’échanger (un peu) avec elle.

Lucie : Moi aussi, j’ai déjà lu plusieurs des romans d’Anne-Laure Bondoux (Tant que nous sommes vivants m’avait particulièrement plu aussi) et c’est une auteure que je suis avec plaisir.

Héloïse : Oui, j’avais déjà lu plusieurs romans d’Anne-Laure Bondoux, et j’avais particulièrement aimé L’aube sera grandiose, qui m’avait marqué à l’époque.

Linda : Je pensais ne pas l’avoir lu avant de retrouver dans mes archives un petit retour sur L’aube sera grandiose dont je ne garde absolument aucun souvenirs. Au vu de mes notes, cela ne m’avait pas vraiment plu et je ne comprenais pas l’engouement autour de ce roman à côté duquel j’étais passée. C’est la couverture qui m’a en premier lieu attirée ici, elle dégage une certaine sérénité avec son paysage campagnard et l’immensité de ce ciel si bleu.

Isabelle : Moi aussi, c’est l’un de ses textes que j’avais vraiment aimés ! On pourrait faire des parallèles avec celui dont il est question ce soir, on y reviendra peut-être ! Après, pour moi, ce n’est pas que le nom de l’autrice qui a piqué la curiosité mais aussi la pépite décernée à ce roman à Montreuil.

Héloïse: J’avoue que cela m’a donné envie de le lire encore plus rapidement aussi.

Lucie : Oui, ce prix est tout de même gage de qualité !

« Entre ces deux époques, tu verras vivre ici quatre générations d’une famille tourmentée par des secrets et hantée par des morts sans sépulture.
Entre ces deux époques, nous traverserons des « orages. Tu verras se répéter des conflits, des accidents, des abandons et des coups de couteau. Tu verras changer les saisons, les habitudes, les lois et les gouvernements. Tu assisteras plusieurs fois à la fin du monde et au début d’un autre. »

Isabelle : Ce livre s’ouvre sur un prologue qui offre en quelque sorte un écrin au récit qui va suivre. Qu’en avez-vous tiré ? En avez-vous immédiatement saisi toutes les dimensions ou êtes-vous retournées le lire plus tard, voire à la fin du roman ?

Héloïse : Le prologue m’a particulièrement intriguée, mais oui, je n’en ai saisi toute la richesse qu’à la fin…

Lucie : Le tutoiement en début de roman m’a interpellée. Je me suis tout d’abord demandé qui était Saule pour complètement l’oublier jusqu’à la fin du roman. Donc, non, je n’avais pas du tout anticipé toutes les dimensions du roman et oui, je suis retournée lire ce prologue une fois ma lecture achevée.

Isabelle : Moi pareil ! Je l’ai lu sans tout comprendre, puis j’y suis revenue plus tard et j’ai réalisé tout ce qu’il livre sur ce qui va suivre. C’est un roman qui va parler d’histoire avec un petit « h » quand il s’agit de la famille Balaguère et d’un grand « H » puisque l’on va remonter tout le vingtième siècle. Le cadre du récit est posé, la ferme des Chaumes. Mais c’est aussi un récit adressé à quelqu’un qui s’appelle Saule, dans un but bien précis : déjouer ce qui pourrait être perçu comme une malédiction qui se répète depuis déjà trop de générations. Et ce, par le pouvoir des mots.

Liraloin : C’est assez étrange comme sentiment car ce prologue peut être interprété comme un testament et en même temps il y a cette lueur d’espoir qui réside dans la transmission. Le retrouver à la fin, quand la boucle est bouclée, est un soulagement.

Linda : Comme Lucie c’est le tutoiement qui m’a interpellée au début. Je n’ai pas forcément saisie tout ce que ce prologue voulait nous dire, forcément, mais quand on arrive au bout du récit, on comprend combien l’auteure nous avait déjà préparé, tout comme Saule, à ce qui allait suivre, à ce qui nous serait raconté.

« Seul dans la chaleur de juillet, Marty traverse la cour de la ferme. L’après-midi tire à sa fin, et pas un souffle d’air sur les Chaumes. On entend bourdonner les mouches, tinter les cloches des vaches dans le champ d’à côté, le grincement d’une poulie quelque part, et le cœur de Marty qui tape dans sa poitrine. »

Isabelle : Ensuite, énorme bond dans le temps, n’est-ce pas ? Quelqu’un a-t-elle envie de raconter un peu comme elle s’est immergée dans l’histoire des Balaguère ?

Héloïse : J’avoue que je ne savais pas trop à quoi m’attendre en commençant ce roman. Il y a un côté tragédie grecque dans cette fatalité, cette famille maudite et cette violence qui règne… et en même temps, sans réellement s’attacher aux personnages, on a envie de savoir où tout cela va mener ! Le mélange histoire familiale et “grande” Histoire est savamment dosé. C’est un récit puissant, qui met du temps à se construire, et qui est tellement riche !

Lucie : Je me suis laissée emporter dans la famille Balaguère, sans me poser de questions. J’ai d’ailleurs été surprise de lire ce roman aussi vite. Vu le nombre de pages et sa forte teneur en intensité et en tragédies, je pensais que cette lecture me prendrait plus de temps. Mais il faut dire que comme Héloïse j’ai beaucoup apprécié le mélange entre la « petite » et la grande histoire.

Linda : En effet, le roman se lit d’une traite, assez facilement malgré sa densité qui tient certes dans le nombre de pages mais aussi dans son contenu car on y balaie l’Histoire de 1914 à aujourd’hui ce qui représente tellement… Et comme vous le dites, ce mélange entre la petite et la grande histoire font la richesse du récit. C’est en tout cas un aspect que j’ai vraiment apprécié en ce qui me concerne.

Liraloin : Et oui 1914 ! on se dit que l’Histoire va être très présente dans ce roman. Je ne sais pas mais j’ai beaucoup pensé à ma mère car elle adore Pierre Lemaître et je me suis dit « en voilà un roman qui traite de la saga familiale à travers le temps. » C’est venu de suite et ne m’a pas quitté toute le long de ma lecture, spectatrice de drames vécus par une famille un jour en France.

Isabelle : C’est drôle que tu parles de Pierre Lemaître, j’ai aussi pensé à cet auteur. À Ken Follett, aussi, qui tisse comme ça des sagas historiques à partir de la perspectives de plusieurs membres d’une famille.

Liraloin : Pour ma part et on en avait un peu parlé avec Linda, j’ai trouvé que le ton était distant comme si A-L Bondoux relatait des faits et bien évidemment avec cette immersion qu’on lui connaît. Une saga familiale c’est tout de même un autre genre très différent de ses autres romans même si avec l’Aube sera grandiose nous avons été accompagnées par une mère et sa fille.

Isabelle : C’est intéressant que tu parles de L’aube sera grandiose parce que pour ma part, j’ai fait pas mal de parallèles. Dans les deux cas, on a une histoire familiale avec un enjeu d’arriver à dire à la génération suivante ce qui s’est passé pour sortir d’un schéma. Ici, c’est une transmission père-fils (sur plusieurs générations), dans L’aube sera grandiose, c’est une transmission mère-fille. Quoi qu’il en soit, et j’ai l’impression que ça a été pareil pour toi, je ne me suis pas tout de suite sentie à l’aise. J’étais un peu perturbée qu’on soit en 1914 mais que le récit soit rédigé au présent. J’avais du mal à trouver mes repères, les lampions et les musettes, la chanson Viens poupoule chantée par Anzême à Clairette, tout ça ne me parlait pas du tout. Et j’ai eu du mal à m’identifier aux personnages, au départ la perspective de Marty est très importante et ce personnage simple d’esprit est vraiment difficile à cerner.

Lucie : C’est vrai, Marty est un personnage très particulier. Et dans le même temps, ce côté « au bord de l’abîme » met une tension immédiate, on sent un drame arriver sans savoir vraiment ce qui va survenir.

Liraloin : Complétement d’accord avec vous, ce personnage met le/la lectrice/lecteur mal à l’aise (mon fils me disait mais il est vraiment bizarre lui…)

Linda : C’est clairement le personnage qui m’a le plus dérangé dans le récit. Dès le départ il met mal à l’aise et semble n’exister que pour nous préparer aux drames qui vont suivre.

Isabelle : Justement, à propos de Marty, il faut bien qu’on en parle, je pense, il y a cette scène qui pourrait être un viol mais qui ne dit pas son nom. Comment l’avez-vous perçue ?

Liraloin : C’est terrible car on sait et cela dès le début qu’un malheur va arriver. Le départ d’Anzême n’est qu’un prétexte pour que ce personnage se laisse complètement aller. Clairette n’est plus « protégée » donc elle n’est plus « respectable ». 

Isabelle : Ça t’a paru clair, le fait que c’est un viol qui se produit ? Moi ça m’a mise très mal à l’aise que les choses soient décrites mais de manière ambiguë, sans dire les choses (ça a fait partie de ma perplexité, voire de mon malaise au début de ce roman). 

Liraloin : je pense que l’autrice a voulu justement créer ce malaise car à cette époque on ne dit pas les choses.

Isabelle : Pour aller dans ton sens, je me suis dit ensuite qu’il s’agissait bien d’un viol mais que dans cette narration très ancrée dans le présent de l’époque et la perspective des personnages, Anne-Laure Bondoux avait restitué un viol comme on l’aurait fait à l’époque. Sans le nommer.

Linda : Même s’il n’est pas nommé, l’acte est clairement un viol et il est décrit comme tel puisque Marty dit bien que son frère lui a dit que ce qui est à l’un est à l’autre. Il s’approprie donc sa femme sans se poser de question, laissant juste son désir prendre le dessus, s’imposant à Clairette qui finit par accepter l’inacceptable, impuissante devant ce monstre qui croit avoir trouvé le paradis entre ses bras…

Lucie : Cette scène m’a mise mal à l’aise, parce que Clairette ne semble pas consentante au début. Mais il n’y a pas de violence à proprement parler et j’ai eu l’impression qu’elle se laissait faire, un peu comme si elle était consciente de l’effet qu’elle faisait à Marty et qu’elle lui permettait d’assouvir une pulsion longtemps réfrénée. La promiscuité décrite (Marty entend son frère et sa femme faire l’amour dans la chambre à côté de la sienne) est assez malsaine elle aussi. Toute cette partie m’a semblé être une cocotte-minute prête à exploser, et finalement cette action va modifier un équilibre qui était extrêmement précaire.

Isabelle : Pour moi il y a violence, mais elle est restituée du point de vue de Marty, donc d’une manière biaisée: il est écrit : « Il ne reste que le désir de Marty, cette flamme dévorante qui l’aveugle et qui pousse Clairette, une main sur la bouche, vers le foin de la grange. » Et plus loin « ce corps qui a cessé de résister et qui s’offre désormais à ses caresses, sans un mot, sans un bruit. »

Héloïse : Moi aussi, cette scène m’a mise mal à l’aise. Et justement, cette phrase, « ce corps qui a cessé de résister » … On comprend bien que c’est un viol. On sent le drame arriver, et c’est horrible d’y assister, on ressent de l’impuissance, comme une résignation de la part de Clairette, on voit à quel point les femmes étaient impuissantes à l’époque.

Lucie : C’est effectivement le point de vue d’un homme porté sur l’action d’un homme, ce qui modifie certainement le ressenti du personnage. Mais ensuite, ces rapports deviennent récurrents et je n’ai pas eu l’impression qu’ils pesaient à Clairette. (Peut-être est-ce dû au fait que ma lecture commence à remonter un peu ?) Le côté « nature » de l’affaire : “j’ai des besoins, toi aussi, assouvissions les ensemble” a pris le dessus pour moi. 

« Car il n’y a pas de super-héros dans notre histoire. Seulement des hommes blessés par la violence du monde et qui, incapables d’exprimer ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes, se taisent et exercent la violence à leur tour, comme enfermés dans une malédiction. »

Isabelle : Ça ne va pas être facile de rendre compte d’un roman aussi riche en quelques mots et sans trop en dire, peut-être pourrions nous aborder cette matière en parlant de la manière dont il est écrit ? Au début, on est plongé dans le vif du sujet, puis on se rend compte que le récit suit une certaine trame. Laquelle ?

Liraloin : La trame est un parti pris pour que l’Histoire, qui a toujours son mot à dire, vienne se mêler aux personnages fictifs. En réalité pas si fictifs que ça car les malheurs vécus par les Balaguère existent. C’est tout cette finesse d’écriture qui est appréciable !

Lucie : La trame est clairement chronologique, et d’ailleurs Anne-Laure Bondoux fait des intermèdes pour résumer ce qui a pu se passer entre certains événements touchant la famille Balaguère. C’est précisément ce qui m’a intéressée : elle ne prend pas clairement le parti de la transmission de la violence, celle-ci peut aussi venir de la société et des drames vécus par les hommes de ces générations.

Héloïse : Oui, chaque personnage est « ancré » dans une époque, vit des événements de la grande Histoire, y participe, contraint et forcé. Et ces évènements vont les marquer, et marquer indirectement les générations suivantes. On perçoit bien l’horreur de la guerre et les séquelles indélébiles qu’elle laisse. 

Linda : Oui, comme le dit Lucie, Anne-Laure Bondoux ne prend pas parti de la transmission de la violence. J’y ai plutôt perçu un questionnement sur son origine entre inné ou acquis. Et si on perçoit parfois que la violence est présente en nous, elle interroge son expression au regard de nos actions mais surtout de notre vécu. Les guerres et autres combats sociétaux impactent fortement chacun d’entre eux, d’entre nous.

Isabelle : Je me retrouve dans ce que vous dites : aucun des Balaguère (ce nom !) n’est une personne foncièrement mauvaise ou violente à la base mais chaque génération va se retrouver prise en étau dans un climat de violence structurelle.

Liraloin : Exactement ! Et les dégâts subis à cause des guerres mondiales sont considérables.

Lucie : Je me suis d’ailleurs demandé si vous aviez un personnage préféré parmi tous ceux que nous croisons dans cette fresque ?

Héloïse : Je n’ai pas vraiment de personnage préféré, mais Aloès m’a touchée. Olivier aussi d’ailleurs. C’est étrange, mais plus j’entrais dans ma lecture, et plus les personnages me touchaient.

Liraloin : J’ai été moi aussi beaucoup marquée par le personnage d’Aloès. Cette sensibilité juste après les ravages des deux guerres ! Et pourtant rien n’est facile pour lui car il est impacté également par un autre conflit…

Isabelle : Comme vous, je pense spontanément à Aloès. Mais je pense que c’est son fils Olivier qui m’a finalement le plus touchée. Comme pour Héloïse, les émotions sont allées croissantes au fil des pages, comme si je parvenais mieux à m’identifier à des personnages avec qui je partage des souvenirs – et peut-être aussi dont je pouvais palper l’histoire familiale.

Linda : Aloès bien sûr, mais surtout Olivier. Comme vous, plus on se rapproche de notre époque, plus il m’a été facile de m’identifier et de me sentir proche des personnages. Ce qui me fait penser que j’aurais probablement aimé Saule…

Liraloin : Oui je crois que c’est aussi parce que leurs maux sont plus proches de notre société actuelle, je sais pas …

Héloïse : C’est probable ! 

Lucie : J’avais oublié le nom de Clairette, les personnages qui vous ont le plus touchées sont des hommes, et ça me semble assez symptomatique : les femmes sont très en retrait de l’histoire. Cela vous a-t-il gênées ?

Liraloin : Oui et non. Je ne suis pas complètement d’accord avec toi. Par la force des choses elles se taisent mais prennent une place importante comme Gaby qui finalement s’écoute et ne peut que se résigner à une vie à la campagne.

Héloïse : Je me suis fait la même réflexion que toi Lucie, et puis j’ai réalisé qu’indirectement, elles jouaient un rôle aussi… Je pense à Christiane notamment.

Isabelle : Elles sont même souvent au centre des pensées des protagonistes masculins ! En fait, le récit est centré sur une lignée masculine mais ça n’empêche pas qu’il y ait de beaux personnages de femmes, celui de la petite sœur d’Ariane et celui de la mère d’Olivier qui cherche à toutes forces à s’émanciper à une époque qui n’est pas encore prête.

Linda : Je rejoins les autres. Les femmes ont clairement un rôle à jouer et sont au cœur de l’histoire. Elles portent en elle la force qui parfois fait défaut aux hommes, supportant leurs violence, portant leurs erreurs, leurs secrets… mais pas comme un fardeau, plutôt comme l’espoir d’un avenir meilleur pour elles toutes.

Lucie : La famille Balaguère a pour tradition de donner à ses garçon des prénoms d’arbres. Que vous a inspiré cette idée ?

Liraloin : Intéressante question ! le choix des noms d’arbres. Chaque homme est racine en cette terre des Chaumes, comme si il devait y revenir ! 

Isabelle : ça m’a intriguée les noms d’arbre comme prénoms mais je n’ai pas trop su quoi en faire. C’était l’un des nombreux fils conducteurs de cette histoire familiale, l’une des choses qui se répètent.

Héloïse : les noms d’arbres comme symboles de vie ? Ou plutôt un symbole de l’enracinement, nos racines qui nous construisent ?

Lucie : Je pensais à l’enracinement moi aussi. Que ce soit positif dans le sens savoir d’où l’on vient, à la pérennité, mais aussi l’aspect négatif qui donne l’impression de ne pas pouvoir se défaire de ce que l’on nous a transmis.

Linda : Oui c’est clairement signe de l’enracinement !

Isabelle : Mais oui, vous avez raison !

Isabelle : Je ne sais pas comment ça a été pour vous, mais pour ma part, une fois passée ma perplexité initiale, j’ai dévoré ce livre en quelques heures. Avez-vous aussi trouvé que c’était un livre qui se lisait d’un trait ? Qu’est-ce qui met sous tension cette histoire ?

Liraloin : On ne peut pas lâcher ce roman, j’ai été complètement absorbée par cette histoire, quelle drôle d’impression ! Cette tension vient des personnages masculins essentiellement, on se demande : « Mince !! Il y en a au moins un qui va s’en sortir ? » Attention je ne cherchais pas le happy end mais un apaisement.

Héloïse : Oui, c’est très un roman très addictif ! Une fois passé le malaise initial, difficile de le lâcher. Pour ma part, j’avais hâte de savoir comment cette histoire allait se terminer, et oui, j’espérais une fin pas trop malheureuse !

Linda : C’est un roman très facile à lire, très addictif, une fois passée la situation initiale avec Marty… C’est ce qu’on disait plus haut, la narration est intéressante et bien construite. J’y trouve même une certaine harmonie dans le rythme répétitif des événements que vivent les personnages, à grande échelle ou à un niveau plus personnel.

Lucie : En effet, moi aussi j’ai été vraiment surprise de le lire si vite. Une fois le malaise de la situation triangulaire Anzême-Clairette-Marty passé, je pense que comme on rencontre les personnages enfants et que l’on sait des choses qu’ils ne savent pas mais qui peuvent avoir des conséquences sur leur avenir, on a envie de les accompagner et de découvrir de quelle manière ils vont se dépêtrer (ou pas) de la situation. Comme Liraloin j’avais vraiment envie de tomber sur celui qui parviendrait à mettre un terme à cette violence.

Isabelle : C’est vrai que l’on entre dans l’existence de chacun, ses soucis, ses inquiétudes, sa quête de bonheur, les difficultés qui se posent, c’est très prenant. Mais il y a aussi, au fur et à mesure, que l’on approche du moment où le récit sera bouclé, les questions sur qui raconte cette histoire, à qui et pourquoi.

« En ce milieu des années soixante, alors que le président John F. Kennedy s’est fait assassiner, que les États-Unis commencent à bombarder le Vietnam, que des scientifiques évaluent les effets bénéfiques du LSD sur les troubles mentaux et que la contre-culture hippie se diffuse largement depuis San Francisco en proposant de faire l’amour plutôt que la guerre, les Français sont partagés entre l’envie de tout changer et celle, inverse, de ne rien changer du tout. »

Isabelle : Anne-Laure Bondoux brasse une densité assez incroyable de faits historiques dans son roman : guerres mondiales, guerre d’Algérie, épidémie de SIDA, drame de Tchernobyl – et on pourrait citer encore mille et un faits si on pense aux passages en italique qui ponctuent le récit et parlent de la montée des autoritarismes et de la grande dépression, du front populaire, de la drôle de guerre ou, après-guerre, du mouvement des droits civiques aux États-Unis ou de mai 1968. Est-ce que de votre point de vue cette fresque historique enrichit l’intrigue ? Faut-il à votre avis avoir étudié tout ça en classe pour pouvoir apprécier le roman ?

Héloïse : En grande passionnée d’histoire, cette succession de faits historiques m’a beaucoup parlé. Mais je ne sais pas s’il est nécessaire de tout connaître pour vraiment apprécier l’intrigue, justement parce que nous découvrons tous ces événements par le prisme de personnes, d’individus.

Liraloin : Cette chronologie met du rythme dans l’intrigue car elle est un repère pour le lectorat. Après une collègue m’a fait un retour intéressant sur son écriture qu’elle a jugé trop impactée par les événements historiques. La magie n’opère pas comme dans la relation mère-fille (Aube sera grandiose) et c’est bien normal car le thème ici est vraiment la violence. Je ne pense pas qu’il faille avoir des connaissances historiques, nous sommes sur un roman sociétal.

Isabelle : Moi non plus, je ne pense pas que c’est gênant de ne pas avoir toutes les références, le roman se lit vraiment très facilement. Après je ne suis pas sûre que les passages en italiques qui passent en revue vraiment à toute vitesse des suites d’événements soient très utiles à la narration.

Lucie : Pour moi la raison d’être de ces passages est justement de pouvoir suivre l’histoire de la famille sans être gêné par les informations qui nous manqueraient. Je suis d’accord avec vous, il n’est pas nécessaire de les connaître pour saisir les enjeux qui touchent nos héros. Après, si les jeunes lecteurs ont envie de se renseigner sur certaines d’entre eux, c’est super ! Ils signifient aussi (peut-être) qu’elle a choisi d’intégrer ces faits historiques mais qu’il y en a eu tellement d’autres, qui ont touché de nombreuses autres familles.

Linda : Oui comme Lucie je trouve que ces événements cités en italique permettent de suivre l’histoire, ils montrent aussi que la vie continue pour tout le monde, même quand on est pris par ses problèmes personnels. Mais je vous rejoins complètement, inutile de connaître tous ces événements pour en apprécier la lecture. J’ai même trouvé intéressant certains faits dont je connaissais peu de choses, comme la Guerre d’Algérie dont on ne nous parle pas dans les programmes scolaires alors qu’il y a tant à en dire. Cela est venu aussi attiser ma curiosité et m’a donné envie de lire d’avantage sur le sujet.

Isabelle : Avez-vous envie de faire lire ce roman autour de vous ? À qui ?

Liraloin : Mais oui ! Je l’ai déjà conseillé … Après c’est un roman qui va rencontrer son public, c’est certain, mais pas forcément chez les ados.

Héloïse : Moi aussi, j’ai déjà prévu de le prêter ou de le conseiller à plusieurs personnes ! Effectivement, Liraloin, c’est un roman qui conviendra tout autant à des adultes ! Comme beaucoup de titres d’Anne-Laure Bondoux en fait. 

Liraloin : Tout à fait, d’ailleurs ses romans sont empruntés par le public adulte. Comme Timothée de Fombelle ou Clémentine Beauvais, ces autrices-auteurs possèdent une écriture tout public.

Lucie : Comme vous je pense plus spontanément à des adultes, ou en tout cas à des lecteurs très confirmés. Parce que la violence et les drames sont très présents. Ce n’est pas une lecture facile ou agréable. Même si elle est très intéressante et qu’elle m’a poursuivie un bon moment après avoir refermé le livre.

Liraloin : Je suis d’accord avec toi Lucie, on est un peu hantée par les personnages et cette violence, cette peur de pleurer pour un homme ! C’est terrible !

Lucie : Oui, et (j’y reviens) la place des femmes ! Tout n’est pas réglé mais on mesure tout de même les avancées de la société. En à peine un siècle, quels progrès sur ces questions !

Linda : Oui, je l’ai recommandé à une amie qui devrait apprécié ainsi qu’à l’une de mes filles qui aime l’Histoire et les romans qui abordent la place des femmes. Je pense que celui-ci devrait lui permettre de constater l’évolution de nos droits. Elle s’indigne facilement des classiques qui mettent les femmes aux fourneaux, aussi je crois que lire le combat mené jusqu’à aujourd’hui avec les victoires qui l’accompagnent devrait lui plaire. Et je la laisse libre de se faire une opinion mais je sais qu’il plaira à sa meilleure amie.

Isabelle : Pour finir, si on parlait du futur dans le titre ? C’est un autre point commun avec L’aube sera grandiose dont on parlait toute à l’heure. Cela m’a laissé un drôle de sentiment. Est-ce quelque chose à laquelle vous avez réfléchi aussi ?

Liraloin : Non je n’ai pas réfléchi à cette question mais merci ! Est-ce qu’on peut dire que rien n’est figé dans le passé et qu’il fait continuer décennie après décennie ?  

Héloïse : Pour L’aube sera grandiose, j’y voyais un certain optimisme, la célébration d’un après, d’un mieux à venir. Là, je ne sais pas du tout… Comme une célébration de la vie peut-être, faite d’orages, mais aussi d’accalmies…

Lucie : Je ne sais pas si on peut vraiment en parler sans divulgâcher, mais la comme ça je me dis que le futur de ce titre a peut-être un rapport avec ce prologue dont nous parlions au début de cette discussion. La promesse du narrateur à son destinataire ? (je n’en dis pas trop ?) Mais je suis aussi tout à fait d’accord avec vos interprétations qui me semblent hyper pertinentes.

Isabelle : C’est intéressant ce que tu dis Héloïse sur l’usage réconfortant du futur dans L’aube sera grandiose. Ce serait presque l’inverse ici. Je me suis aussi demandé si Anne-Laure Bondoux ne nous invite pas à réfléchir à la manière dont nous absorberons les orages à venir ? En même temps, la phrase le dit, nous les traverserons, ces orages, comme d’autres avant nous en ont traversé aussi ?

Héloïse : Oui, dit comme ça, c’est aussi une marque d’optimisme ! 

Et vous, avez-vous lu Nous traverserons des orages ? Ce texte a-t-il résonné différemment chez vous ? Si vous ne le connaissez pas encore, nous espérons que nos échanges vous auront donné envie de le découvrir !

Lecture commune : Les enfants sont rois.

Je préfère vous prévenir : cette lecture commune sera un peu particulière.

Pour deux raisons.

Tout d’abord parce que c’est une lecture commune d’un livre qui n’est pas explicitement destiné à la jeunesse mais publié en littérature générale. Mais ce roman a été un tel coup de cœur, que deux d’entre nous ont voulu échanger à son sujet et quoi de mieux que s’asseoir à l’ombre de notre grand arbre pour en discuter.

Et puis c’est surtout une lecture commune particulière parce que c’est la dernière que Pépita aura faite pour Le Grand Arbre. En effet en mai dernier, elle a décidé de quitter l’aventure collective après neuf ans de débats, de sélections thématiques, d’entretiens, de lectures communes, de swaps, de bookcamps… Au fil de ses milliers de messages sur le forum, Pépita a nourri nos échanges de sa vision généreuse de la littérature jeunesse, faisant découvrir à toute une génération de blogueuses les trésors de l’édition jeune public.

Pépita, si tu passes par là, pour ta présence lumineuse qui a irradié des racines au faîte de notre grand arbre, nous te remercions.

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Colette. – Quand tu as découvert ce titre Les enfants sont rois, qu’est-ce que ces mots ont convoqué en toi ? Personnellement j’ai directement pensé à cette critique qu’on a souvent faite à la pédo-psychiatre Françoise Dolto qui mettait l’enfant à l’honneur dans sa pratique, transformant selon ses détracteurs, les enfants en tyrans de leurs propres parents.

Pépita.- En fait, je me jette toujours sur les romans de Delphine de Vigan sans trop regarder de quoi ça parle ! Je l’ai pris comme un respect à avoir envers eux. Et en lisant, je te rejoins. Malheureusement, j’ai un peu deviné assez rapidement ce que cela voulait dire au fur et à mesure de cette histoire. Mais ce fut très intéressant de voir comment l’autrice en a entremêlé les fils.

Colette. – Justement avant de revenir à cette intrigue où « les enfants sont rois », est-ce que tu pourrais expliquer pourquoi tu te jettes sur les livres de Delphine de Vigan ? Je suis comme toi et je ne réfléchis pas trop avant d’acheter un roman de cette auteure. Cette fois d’ailleurs, je ne savais absolument rien du livre avant de l’acheter, une amie en a parlé en coup de vent dans un échange de SMS et hop le lendemain je l’avais sur ma table de chevet !

Pépita.- Difficile de répondre ! Je la lis depuis longtemps et je n’ai jamais été déçue. Elle a une façon d’aborder ses sujets que je trouve profonde sans juger, et surtout ses personnages sont remarquables d’exactitude, elle parle des femmes, et si bien ! Une écriture à la fois précise et simple et une construction toujours efficace. Ses romans sont sujets à discussion, au sens où ils éveillent en nous des questionnements. Elle a l’art de mettre le doigt là où ça nous titille sans vraiment se l’avouer ou se le formuler clairement

Colette. – Je savais que c’était une question difficile car moi même je ne saurais quoi répondre tellement c’est un tout, une œuvre de Delphine de Vigan. Comme tu l’as dit, c’est à la fois une structure narrative ingénieuse, des personnages féminins intenses, et des tabous, ses propres tabous, à faire exploser tout en subtilité. Bon en fait, j’avoue j’ai vécu de vraies expériences psychologiques intenses avec des livres de cette femme que ce soit avec Rien ne s’oppose à la nuit ou encore Les Loyautés. Ces livres-là ont laissé de satanées traces en moi… Du coup, sans doute que je cours après la promesse de nouvelles expériences marquantes en me plongeant dans ses livres dès qu’ils sortent. C’est un peu comme si elle m’était familière. Pas une amie. Pas une sœur. Une présence à qui j’aime croire que je ressemble. Revenons à Les enfants sont rois. A quels enfants ce titre réfère-t-il ?

Pépita.- Ce titre réfère d’abord aux deux enfants de l’histoire mais il s’adresse aussi et surtout à TOUS les enfants dont les adultes manipulent le droit à l’image.

Colette. – Peux-tu nous en dire un peu plus sur Sammy et Kimmy, les enfants de l’histoire ? Sont-ils vraiment les héros de cette histoire ?

Pépita.- Sammy et Kimmy, un garçon et une fille qui depuis leur plus jeune âge sont sur les réseaux sociaux : chaque moment de leur vie est filmé, partagé. Leur mère en a fait son business. Elle-même a participé à un épisode de télé-réalité, oh ! si peu : une recherche de reconnaissance énorme pour elle puisque ce fut un fiasco, qu’elle a transposé de façon obsessionnelle dans sa vie adulte. Sa famille – son mari la suit aussi – ne vit que pour cette chaîne, en concurrence avec d’autres. Voilà pour le cadre ! Ta question Colette laisse sous-entendre que tu penses que les deux enfants ne sont pas les héros de l’histoire. Moi je pense que oui. Est-ce la mère ? Sans doute aussi. Mais je préfère me mettre du côté de la souffrance de ces enfants. On pourrait penser aussi que les gagnants – et non les héros – de cette histoire sont les réseaux sociaux. De ce point de vue là, oui, ils le sont. Une autre héroïne, et pas des moindres, c’est la policière chargée de l’enquête. Elle, c’est une héroïne invisible du quotidien.

Colette. – Et c’est mon personnage préféré, Clara. Parce qu’elle est toute petite, peut-être. Kimmy dira d’elle, devenue adulte : « Elle s’est souvent demandé pourquoi elle se souvenait de cette femme, alors que sa mémoire a effacé les autres visages […] En la découvrant ce matin, si petite et en même temps si magnétique, elle a songé que c’était peut-être parce qu’elle avait la taille d’un enfant. » – tu comprendras sans doute pourquoi ça me parle.
Si je t’ai posé la question du statut des personnages et plus particulièrement du statut des héros romanesques, c’est parce que pendant toute la première partie du roman, finalement Kimmy et Sammy, les enfants qui donnent pourtant le titre du roman, sont complètement objectivés. On ne connaît ni leurs pensées ni leurs sentiments. Ils sont sans cesse sous l’œil de la caméra de leur mère et de milliers de spectateurs et de spectatrices mais que sait-on d’eux vraiment ? Ils sont parfois décrits physiquement mais c’est tout. Il faudra attendre qu’un certain nombre d’années soient passées pour qu’enfin la romancière fasse entendre leur voix. Et je trouve ce choix narratif tellement riche de sens. Sans jamais donner de leçon moralisatrice sur ce que Mélanie a fait subir à ses enfants, Delphine de Vigan nous fait vivre à travers ses choix d’écriture la dépossession, l’asservissement, la perte d’identité de ses personnages. Et si la véritable héroïne de cette histoire, c’était Elise Favart, celle grâce à qui la voix des enfants va paradoxalement pouvoir se faire entendre ? Celle grâce à qui on va pouvoir basculer du présent vers l’avenir ?

Pépita.- C’est curieux parce que tu vois, je les voyais ces enfants, je les ressentais, surtout dans la première partie, je les ai imaginés. Beaucoup moins dans la deuxième partie dans laquelle je les ai trouvés moins vivants en quelque sorte, comme éteints. C’est certain qu’Elise a joué un rôle primordial mais elle n’est pas si valorisée que cela dans le roman. Je la vois plus comme un déclic. Elle fait le passage entre les deux parties

Colette. – En lisant ta réponse, je me disais justement que l’autrice ne semble pas valoriser un personnage plus que l’autre si ? Quel a été ton préféré, si tu en as eu un ? Et pourquoi celui-là ?

Pépita.– Tu as raison de le souligner : l’autrice a vraiment adopté un ton neutre, presque « froid »: tout est dit sur un ton égal, comme pour atteindre une certaine normalité alors qu’en fait, toute cette histoire est tout sauf normal. J’ai un petit faible pour la policière, c’est certain. Tout est droit chez elle, une abnégation sans failles. La mère m’a à la fois agacée au plus haut point mais en même temps je ne pouvais m’empêcher d’avoir une forme de compassion pour elle. Comment ne pas se rendre compte qu’on rend ses enfants malheureux ? Comment ne pas se rendre compte de cette spirale infernale ? ça frise le voyeurisme non ? Tu l’as ressenti comment toi cet aspect du roman ? Toutes ces mises en scène factices jusqu’à l’écœurement….

Colette. – En fait, ce que j’ai trouvé très fort c’est d’avoir introduit le récit à l’époque où la téléréalité a commencé en France, comme pour « justifier » ce que vont être les choix de vie de Mélanie. Ce moment là, je m’en rappelle comme si c’était hier. J’étais une jeune adulte et avec ma sœur, encore adolescente, on regardait régulièrement Loft story. Et je me souviens très bien de ce sentiment totalement paradoxal qui m’envahissait alors : le sentiment de faire quelque chose de mal – comme un.e enfant qui fait une bêtise – et en même temps l’envie irrépressible de voir jusqu’où ça pouvait aller, ces relations forcées. Il y avait quelque chose de fascinant, qui tenait sûrement de l’aspect expérimental du projet : des humains dans une sorte de laboratoire, à la vue de toutes et de tous. Mais le XXIe siècle est allé encore plus loin que ces émissions de télé-réalité, le XXIe siècle a réussi à produire des personnages capables de vouloir mettre en scène eux-mêmes leur propre vie, avec leurs propres moyens, grâce à un média bien plus invasif que la télévision : j’ai nommé le dieu de notre époque, Internet. Il n’y a qu’à nous écouter. Tu cherches comment aller d’un point A à un point B ? Demande à Internet ! Tu veux savoir quoi faire pour le dîner ? Demande à Internet ! Un petit résumé du roman à lire en cours de Français ? Demande à Internet ! Tu veux prendre RDV pour te faire vacciner contre le coronavirus ? Demande à Internet ! Aujourd’hui, la Pythie des temps modernes, c’est Internet. D’ailleurs souvent mes élèves me parlent d’Internet comme si c’était quelqu’un, quelqu’un d’omniscient et d’omnipotent. Quelqu’un à qui elles et ils délèguent leur savoir, soit dit en passant. Tout ça pour dire que l’autrice a tellement bien introduit l’histoire de Mélanie que finalement, je n’ai pas été écœurée, ni choquée, ni étonnée. Et c’est peut-être ça le pire avec cette histoire : je ne connaissais pas du tout les chaînes Youtube au cœur de la narration, et bien ça ne m’a pas étonné. Que des gens choisissent d’utiliser leurs enfants comme outil de publicité permanente et bien, oui, c’est vraiment désolant, mais ça ne m’a pas étonné. Par contre comme toi, en tant que parent, je me suis demandée comment on pouvait se détacher à ce point de ses enfants. Au point de ne plus savoir s’ils vont bien. Au point de ne plus même y penser. Mais ce qu’interroge Delphine de Vigan, c’est comment, nous, en tant que société, on peut laisser faire ça au vu et au su de tout le monde. Est-ce que comme moi, tu t’es sentie interrogée, notamment dans ta propre utilisation des réseaux sociaux ?

Pépita. – Je ne me suis pas du tout sentie interrogée dans mon utilisation des RS ! Je n’y mets jamais ma photo ni celle de ma famille par exemple. Mais plutôt comment la société pourrait prendre du recul par rapport à cette utilisation. Quels garde-fous ? Quelles limites ? Quels avertissements ? Quelle formation citoyenne ? C’est surtout ça qu’interroge ce roman.

Colette. – Je me suis sentie interrogée non en tant que productrice de contenus mais comme utilisatrice. Si les gens se sont mis à exposer leur vie, c’est que d’autres gens les regardent faire. Je t’avoue que sur Instagram c’est ce qui me dérange toujours : montrer ce qu’on mange, montrer où on part en vacances, montrer où on vit. Ce n’est pas juste une question de montrer les visages de sa famille, il me semble que ça va plus loin. Pourquoi on fait ça ? Comme Mélanie, je crois qu’on court après les likes.
Mais tu as complètement raison, la question la plus intéressante, c’est celle des garde-fous. Tu sais combien cette question m’intéresse depuis que j’ai décidé de quitter les réseaux sociaux suite à la mort de Samuel Paty et aux horreurs que mes élèves me racontaient. Le garde-fou le plus évident pour moi, c’est la morale. Mais visiblement la morale n’est pas la même pour tous. Alors il y a la loi. Mais encore faut-il qu’elle soit appliquée… Concernant la structure du roman en deux parties. J’ai trouvé ce choix très surprenant par rapport aux autres romans de Delphine de Vigan. Qu’en as-tu pensé ?

Pépita. – Oui c’est vrai que ses romans sont bien plus linéaires d’habitude. Comme je le disais plus haut, cette césure en deux parties, c’est comme si il y avait deux côtés d’une réalité. La première une réalité virtuelle et la seconde la réalité réelle. La première enjolivée et la deuxième réaliste. C’est l’arrestation de la kidnappeuse qui fait la césure. Ce n’est pas ça qui l’intéresse l’autrice : c’est montrer ce décalage entre ces deux réalités très différentes. Et cela a pour effet d’amplifier davantage les dégâts causés.

Colette. – Et le fait que la deuxième partie nous propulse en 2031, dans le futur, est-ce que cela ne donnerait pas un petit côté science-fiction à ce roman ? Est-ce que tu y as vu un sens particulier au choix de cette date ?

Pépita.- Elle veut simplement montrer ce que sont devenus ses personnages. Je n’y ai pas vu de la science fiction, mais juste la continuité de la vie.

Colette. – Oui, tu as sans doute raison, peut-être que 2031 est une date choisie simplement pour que toute l’histoire « colle » avec la seule date réelle du roman qui est la première de Loft Story en 2001. J’y ai vu aussi une manière de nous interroger sur ce que nous allons faire des 10 années qui nous séparent de cette échéance pour mieux protéger nos jeunes, notamment, sur les réseaux sociaux. Au fait, est-ce que tu es allée voir des vidéos sur Youtube d’enfants influenceurs ? Et si oui, qu’as-tu éprouvée ?

Pépita. – Non je ne suis pas allée voir des vidéos d’enfants influenceurs car déjà les vidéos de youtubeurs, j’ai beaucoup de mal. Il y a un truc dont j’aurais souhaité qu’il soit approfondi : c’est la loi ! J’ai trouvé ça incroyable qu’elle soit autant balayée ou contournée plutôt. S’agissant d’enfants, tout de même ! Faut que je prenne le temps de creuser. Tu as été interpellée aussi j’imagine ?

Colette. – J’ai surtout été dégoûtée d’apprendre que cette loi existe et que simplement – comme tant d’autres censées nous protéger – elle n’est pas appliquée, il n’y a pas assez de professionnels employés pour vérifier qu’elle est respectée. C’est comme pour les contenus irrespectueux sur internet, sur les réseaux notamment, la loi existe mais encore faut-il qu’elle soit faite respecter par des forces de l’ordre dédiées à cette tâche (et je ne sais pas si ça existe).

Colette. – Des deux citations mises en exergue de chaque partie du livre, laquelle préfères-tu ?
« Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le télé-achat. » Stephen King.

ou
 » On pressentait que dans le temps d’une vie surgiraient des choses inimaginables auxquelles les gens s’habitueraient comme ils l’avaient fait en si peu de temps pour le portable, l’ordinateur, l’iPod ou le GPS » Annie Ernaux.

Pépita. – Je préfère celle d’Annie Ernaux car elle englobe le sujet plus largement je trouve. Ce roman, ce n’est pas que sur le télé-achat mais sur les RS et ce que nous en faisons.

Colette. – Pour conclure, à qui conseillerais-tu ce roman ? Avec des amies enseignantes, on en a un peu discuté : certaines, très emballées, le proposeraient à des élèves de 3e, d’autres non. L’une d’elles hésitait à le proposer à ses parents qui ne sont pas du tout connectés.

Pépita. – Je le conseillerais à des adultes mais aussi et surtout à des ados ! Je rejoins tes collègues ! Pour ceux qui ne sont pas connectés, ils risquent d’halluciner et de prendre les connectés pour des zombis ! Mais c’est peut-être pour ça qu’ils ne le sont pas justement. Ce roman est d’utilité publique !

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Et pour continuer de nourrir vos réflexions sur l’utilisation d’internet notamment par nos jeunes, la semaine prochaine, nous vous proposons une sélection thématique sur une pratique émancipatrice du net !

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Et n’oubliez pas que vous pouvez toujours lire Pépita sur son blog MéLi-MéLo de LIVRES et sur les réseaux sociaux associés pour profiter autrement de son regard amoureux de la littérature jeunesse et continuer de suivre avec elle le précieux précepte de Julien Green :

« Un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade. »