Lecture commune : Le goût du baiser

En ce mois de février où l’amour bat son plein, une lecture commune à la fois douce et pleine d’enthousiasme s’est installée entre Colette, Pépita, Lucie et Liraloin. Le goût du baiser, de Camille Emmanuelle, issu de la toute nouvelle collection L’Ardeur aux éditions Thierry Magnier, destinée aux ados de 15 ans et + a provoqué une belle discussion. Vous avez envie d’entendre parler d’amour, de sexualité et de confiance ? Installez-vous confortablement, c’est parti pour un petit voyage au pays des sens !

Le goût du baiser, Camille Emmanuelle, Thierry Magnier – collection L’Ardeur, 2019

Pépita : Le goût du baiser : Qu’est-ce que ce titre vous a évoqué associé à cette couverture rouge ? Et ce nom de collection ? Vous la connaissiez d’ailleurs ? Comme ça, sans réfléchir !

Lucie : J’ai abordé ce livre dans le cadre de la LC que tu avais proposée, associée à une thématique sur la manière dont la littérature jeunesse abordait la sexualité… Autant dire que je me doutais un peu d’où je mettais les pieds ! J’aime bien la couverture rouge (passion !) ajourée, laissant deviner une image cachée. Il me semble que Thierry Magnier ouvre avec ce roman une nouvelle collection, « L’Ardeur », avec comme ligne éditoriale une thématique autour de la sexualité des ados. C’est bien ça ? Le titre Le goût du baiser est très évocateur, je trouve. Directement dans le sujet !

Colette :  Le goût du baiser : quel joli titre ! Tout un poème et après lecture on comprend que se tient entre ces quatre mots la quintessence du roman ! Comme Lucie, le contexte dans lequel j’ai découvert ce livre m’a bien renseigné sur son contenu. Je trouve cela formidable, progressiste, enthousiasmant qu’une maison d’édition jeunesse crée une collection dédiée aux questions de sexualité et aux métamorphoses du corps caractéristiques de l’adolescence. La couverture rouge avec ces lettres découpées qui laisse deviner des corps nus est très originale et attise la curiosité.

Liraloin : Le goût du baiser : très évocateur comme titre, ado on s’attend sans doute à goûter les lèvres (parfumées et colorées comme la couv’ : bonbon cerise ?) de l’autre… En librairie, la couverture m’a tout de suite attirée, belle idée et vous l’avez très bien dit Mesdames, le jeu où le lecteur essaye de deviner ce qui s’y cache, intriguant.
Et toi Pépita, qui a proposé ce livre pour une lecture commune : qu’est-ce qui t’a donné envie de le découvrir, de le partager ? Qu’as-tu pensé de la couverture, de cette nouvelle collection ?

Pépita :
J’avais repéré cette collection dans mon travail de veille pour mon boulot de bibliothécaire : et quand je l’ai reçu pour le swap d’été, je n’étais que joie et curiosité ! C’est toujours stimulant de découvrir une nouvelle collection. Et tu as raison, c’est bien une collection dont la thématique a comme fil rouge la sexualité des ados. Comme toi, le rouge de cette couverture attire l’œil et plus encore les ajours laissant deviner des corps nus emmêlés. Le nom de la collection L’Ardeur est très bien trouvé je trouve car il n’a pas de connotation sexuelle mais indique bien une énergie.
Et alors, cette lecture, vous vous attendiez à ce que vous avez lu ? Votre première réaction à chaud ?

Colette : À chaud ? Personnellement c’est la première fois que je lisais un roman qui parlait avec autant de liberté et de joie de la sexualité féminine ! Je ne m’attendais pas à ce souffle généreux ! Je ne pensais pas que l’on pouvait aborder autant de sujets – qui ont été particulièrement tabous dans mon adolescence – en un roman ! C’était vraiment jubilatoire comme lecture ! On en oublierait presque que tout commence avec un double handicap et des relations garçons-filles particulièrement sinistres…

Liraloin : À chaud, cette lecture était très appréciable car cinématographique. Les personnages vivants, existants… des rencontres avec l’autre et avec soi-même. En posant le livre je me répétais sans cesse : « Comme j’aurais voulu lire cette histoire à 15 ans… » (Haaaa la confiance en soi lorsqu’on est ado, pas simple).

Lucie : « À chaud », c’est le cas de le dire ! Comme vous, c’est un livre que j’aurais aimé lire à l’adolescence. De plus en plus de romans ados ont au moins un personnage très au fait de la sexualité, qui renseigne et guide ses camarades dans les méandres de leur vie amoureuse. Ils en parlent beaucoup, mais l’acte lui-même est évité ou passé sous silence. Là tout est dit sans fausse pudeur et c’est à la fois très libérateur et nécessaire.

Pépita : Je vous rejoins : ce que j’ai aimé la liberté de ton ! Une Aurore qui se pose plein de questions sur la sexualité, ou plutôt sur le passage à l’acte car je trouve qu’elle est déjà vachement décomplexée ! Et pareil, moi qui suis de la génération avant vous, imaginez le choc ! Tout commence par un accident de vélo pour Aurore. Elle perd du coup l’usage de deux sens : le goût et l’odorat. C’est une jeune femme d’aujourd’hui, qui va au lycée, a ses potes, a flashé sur un garçon de sa classe, a des relations normales avec ses parents.
Comment avez-vous trouvé sa toute première réaction par rapport à ce handicap ?

Lucie : Ça commence surtout par un petit tacle sur l’utilisation du portable à vélo ! Mais c’est très bien fait : pas moralisateur et en même temps Aurore va subir les (lourdes) conséquences de ce petit moment d’inattention. Je trouve que, dès cet instant le ton du roman est donné : on va dire les choses telles qu’elles sont, sans porter de jugement et chacun en tirera les leçons qu’il voudra… Ou pas. J’ai aimé la manière dont elle découvre son handicap. Elle réalise immédiatement que ce qui va lui manquer, ce seront les petits riens qui sont tellement signifiants. Comme cette odeur de pain grillé et tout ce qu’elle symbolise. Elle panique et du coup, on la comprend, l’empathie est immédiate.

Colette : Je ne sais pas si je me souviens assez précisément de la première réaction de notre héroïne, mais ce qui m’a interpellée, c’est que lorsqu’elle comprend qu’elle n’aura plus ni odorat ni goût, elle va faire des recherches sur le net et lit que l’agueusie et l’anosmie entrainent une baisse de la libido. Et cette découverte la consterne car elle se projette dans sa vie sexuelle, une vie sexuelle dont elle rêve de manière extrêmement positive (rien que ça, pour moi c’est hyper enthousiasmant !) et dans laquelle elle craint désormais de ne pouvoir s’épanouir.

Pépita : Oui, voilà ! C’est ça que j’ai trouvé incroyable ! Le fait qu’Aurore se projette dans sa vie sexuelle avec une détermination ! J’en suis restée scotchée. Tu as raison aussi de dire les petits riens de tous les jours mais très vite, c’est sa vie sexuelle qui prime. Elle se masturbe, est vachement décomplexée par rapport à ça, mais quand il s’agit de passer à l’acte…
Qu’avez-vous pensé de sa « rencontre  » avec ce garçon sur lequel elle flashe ? (J’ai oublié le prénom, c’est dire combien je ne le porte pas dans mon estime !). Elle est forte l’autrice non ?

Colette : La « rencontre » avec Antoine ne m’a rien laissé présager de bon… Trop rapide, trop direct, ce rendez-vous ne pouvait pas être placé sous de bons augures. J’en ai un souvenir de profond dégoût… D’autant plus qu’Aurore avait su nous parler de sa première histoire de sexe avec une certaine forme de candeur et de légèreté, cette fois on bascule dans quelque chose de plus glauque… C’est compliqué de parler de ce moment du livre sans trop en dévoiler pour qui aimerait le lire. C’est quand même un évènement majeur dans la vie d’Aurore malgré le comportement ignoble du jeune homme et le manque total de clairvoyance de notre héroïne au prénom pourtant si lumineux.

Lucie : Je suis d’accord avec vous : le personnage d’Antoine est carrément odieux. En même temps il y a beaucoup des garçons ou des filles en mode « tableau de chasse ». Qu’ils soient vraiment comme ça ou qu’ils jouent un rôle pour la galerie, le résultat est la négation des sentiments de leurs partenaires. Pour le coup j’ai trouvé vraiment intéressant l’utilisation du handicap dans cette soirée. Quand l’auteure nous annonce cette perte de goût et d’odorat, je ne sais pas vous, mais je me suis dit qu’Aurore ne s’en sortait pas si mal. Et finalement, très rapidement on se rend compte de la difficulté qu’a Aurore à vivre normalement : manger, savoir ce qu’elle boit, elle s’inquiète aussi beaucoup de son odeur corporelle… C’est vrai qu’Aurore est très simple dans son rapport à la sexualité au début du roman. Et pour moi c’est presque plus cette rencontre avec Antoine (et ses recherches Internet) que son handicap qui va la faire douter d’elle-même. Et c’est ce qui est intéressant pour les lecteurs ados : une mauvaise expérience peut laisser des traces bien plus profondément qu’on pourrait le croire. D’où l’importance de pouvoir en parler. Effectivement, pas facile de parler de ce passage sans divulgâcher…

Pépita : Mais vous vous en sortez très bien ! Voilà donc le prénom de ce garçon ! Antoine… Je me suis dit qu’il était drôlement anesthésié de ses sens celui-là ! Les rôles sont donc renversés. C’est ce que j’ai aimé dans ce roman : la faculté de l’autrice de voir plus large que la perte de deux sens mais d’arriver à aborder les relations filles/garçons, le rapport différent à la sexualité, le respect de l’autre ou sa négation. Aurore interroge tout cela aussi à travers son cheminement vers l’acceptation. Du coup, elle reçoit une douche froide et c’est ça qui va la faire réagir. Elle va s’occuper de son corps à travers un sport pour le coup à l’image très masculine.
Comment avez-vous vu cette deuxième réaction d’Aurore ? Saine, addictive, déplacée, angoissante, sans issue ?

Lucie : J’ai trouvé ça très sain : (re)prendre le contrôle de son corps à travers le sport c’est encore la meilleure solution ! J’ai aimé qu’elle fasse le choix de la boxe, à priori plutôt catégorisé comme un sport de garçon. Elle a une colère légitime à exprimer et je trouve que l’auteure a fait là un choix à la fois culotté et pertinent. Les leçons de boxe avec le travail en binôme, la répétition des mouvements et ses effets (transpiration, odeurs…) peuvent d’ailleurs être mis en parallèle des relations amoureuses.

Liraloin : Cette jeune fille perd un de ses sens et des petits riens qui bercent ses habitudes s’en trouvent bouleversés (l’odeur du pain grillé, du parfum de sa mère je crois). Comme quoi même en pleine rébellion adolescente : la famille est un pivot ! Comme vous, Antoine ne m’a pas paru sympathique dès le départ. A cet âge, être remarquée par le beau gosse du lycée c’est juste immense (d’où cette fabuleuse chute à vélo), merci l’autrice. Après je trouve qu’elle est assez décomplexée par rapport à la découverte de sa sexualité. La crainte de la perte de la libido fait que tout s’accélère, il y a comme une forme d’urgence à tout ressentir et à frapper dur (d’où la boxe).

Colette : Rien n’est simple dans la décision d’Aurore de faire de la boxe : il y a d’abord la rencontre « percutante » avec un adhérent et Joao le prof du club de boxe. Quand Aurore bouscule Joao en rentrant du lycée, elle va être marquée par cette petite phrase lancée au vol qui aura de grandes conséquences : « Tu l’as piqué, comme une abeille. » Puis viendront les recherches sur Mohamed Ali qui a inspiré cette petite phrase. Et la prise de conscience qu’il n’y a pas de fatalité, qu’on peut toujours se défendre, en tout cas apprendre à se défendre. Grâce à ce corps, qui parfois défaille, qui parfois nous semble un parfait inconnu. Ce que j’ai vraiment apprécié dans le choix de la boxe, c’est que nous ressentons comment Aurore se réapproprie (ou s’approprie) son corps, comment elle l’apprivoise, le dompte, l’intègre.

Pépita : Tout à fait : le sport lui permet de se réapproprier son corps qui lui joue des tours et je trouve que le choix de la boxe n’est pas anodin du tout : il lui permet de « fighter » contre ce handicap qu’elle a du mal à accepter, son caractère invisible l’empêche d’être franche avec les autres, et là, elle se remet à l’endroit, elle retrouve confiance en elle mais surtout elle va rencontrer un jeune homme qui va savoir approcher cette jeune femme farouche. J’ai beaucoup aimé comment cette rencontre est dessinée par petits traits. Leur façon de se parler.
Vous aussi ?

Lucie : Oui je suis d’accord, leur relation s’établit vraiment petit à petit, il l’apprivoise au moment où elle est si fragile. Ils se laissent le temps, enfin l’auteure leur laisse le temps ! J’ai beaucoup aimé ces passages. Et puis ces doutes, ces questionnements, ces échanges autour de la musique… C’est très bien fait, très crédible et cela donne une légitimité à leur couple pour la suite, je trouve.

Pépita : Je te rejoins totalement : j’ai aimé la délicatesse de leur rencontre comme s’ils percevaient déjà qu’il ne fallait pas l’abîmer, malgré les difficultés. J’ai aussi beaucoup aimé ces passages sur l’installation de leur relation. Une relation magnifiée par la scène finale !
L’avez-vous trouvée osée à destination des ados ? Ou au contraire tout à fait naturelle ?

Lucie : Tout à fait naturelle pour ma part, justement parce que l’auteure a pris le temps de créer une relation crédible et très touchante. L’opposition entre Valentin et le Antoine du début est totale sur tous les plans.

Liraloin : Tout à fait d’accord avec vous, la relation s’installe doucement même si parfois Aurore a du mal à faire confiance. Au contraire, il lui montre que c’est possible et installe cette douceur entre eux. Cette fin est parfaite.

Colette : La relation entre Valentin et Aurore est une belle relation de confiance et de sincérité qui se construit pas à pas, aucun des deux ne juge l’autre, jamais. Ils s’écoutent, ils s’entendent. Ils sont patients, d’une infinie et si précieuse patience. Alors oui la fin du roman est logique, naturelle, même si personnellement je les trouve tous les deux particulièrement « mûrs » quand il s’agit de sexualité, ils ont une connaissance très fine de leur propre corps et de leur propre plaisir, que j’imagine difficilement à leur âge. Mais c’est un avis de presque quarantenaire !

Lucie : Je crois que tu as dit l’essentiel Colette, ils s’écoutent, ils s’entendent. Je pense que c’est ça, plus que la maturité, qui fait que cela fonctionne. Parce qu’ils sont attentifs l’un à l’autre dans les sentiments, dans leur relation et dans leur plaisir. Je ne me souviens plus très bien des détails, mais il me semble que lui est plus âgé et plus expérimenté. Du coup ça peut aussi expliquer cette connaissance que tu trouves si fine, non ? Et ça pour le coup c’est vraiment le message à passer aux ados !

Colette : J’y ai pensé aussi après au fait que Valentin soit plus âgé, c’est vrai qu’il initie Aurore en quelque sorte à l’écoute de son propre plaisir, mais je t’avoue – et c’est très personnel et sûrement lié à mon éducation – que cette expertise sensorielle m’a vraiment surprise pour des jeunes gens parce que pour le coup à leur âge je ne parlais jamais de sexualité avec autant de bienveillance et de précision.

Lucie : Je crois effectivement que les jeunes d’aujourd’hui sont bien mieux renseignés sur leur corps et ses possibilités (sexuelles notamment) qu’on ne l’était à leur âge. J’imagine qu’Internet y est pour beaucoup, et que ce n’est pas forcément que positif. C’est pour ça que ce roman est intéressant : il allie informations « pédagogiques » j’ai envie de dire et romance (ce qui dans ma représentation n’est pas présent sur Internet, mais je ne suis pas allée voir alors c’est peut-être faux !).

Pépita : J’ai été un peu surprise aussi au début de cette facilité des corps à la fin du roman mais après réflexion je me dis que la confiance qu’ils ont en chacun l’un vers l’autre y fait pour beaucoup. Ils ont pris le temps de l’attente aussi. Comme en danse, même si le rôle n’est pas toujours attribué au début, il y a toujours un « meneur » qui guide l’autre, et cela se fait souvent naturellement. J’ai trouvé cela très beau, très évident même et que des ados puissent avoir accès à cette beauté, c’est autre chose que le porno !

Liraloin : Je trouve génial le travail des éditions Thierry Magnier sur cette collection. Bon je me précipite un peu car je n’ai lu que ce titre… mais il est bon de trouver une collection pour nos ados cherchant des éléments ou un discours fiction sur la sexualité. Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir lu ces livres à l’adolescence ! Pour me greffer à votre discussion, oui, moi aussi je trouve que l’autrice a eu raison de créer un personnage plus vieux et expérimenté qu’Aurore. C’est juste ce qu’il faut : une touche de calme, un soupçon de confiance et l’amour s’installe tranquillement sans rien à prouver, sans rien provoquer qu’elle ne pourrait regretter.

Pépita : Un seul mot pour définir ce roman, quel serait le vôtre ?

Lucie : SENS. Les sens (perdus, découverts) et le sens (qu’on donne à une relation par exemple !).

Pépita : Pour moi ce serait le mot SENSualité. J’ai vraiment beaucoup apprécié ce livre, son approche, son intelligence, sa spontanéité.

Colette : Pour moi le mot serait « CONFIANCE » car c’est grâce à cette confiance qui se construit petit à petit, au fil des conversations, des entraînements de boxe, des erreurs qu’on analyse, que le couple Aurore et Valentin se soude et peut découvrir ENSEMBLE les plaisirs du SENS/des SENS retrouvés.

Liraloin : J’adore les lectures communes et merci d’avoir été nombreuses à aimer ce livre ! Pour moi le mot serait : EXISTER
EXISTER pour se faire confiance,
Exister pour faire confiance,
Exister pour aimer, goûter !

Pour en savoir encore plus, c’est ici avec Pépita, Liraloin et Lucie.

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LC Eleanor & Park

eleanor & park

Deux personnages dessinés de dos, reliés par le fil d’un casque de walkman, et sur le dessin de cette couverture on pressent déjà toute la grâce et la singularité de leur histoire. Eleanor & Park a été un des romans de l’été. Grand succès à l’ombre de notre grand arbre, il a été un incontournable du swap ALODGA … Et comme c’est bien en ce moment qu’on a encore envie d’un peu d’été, on va en reparler !

*C du Tiroir : Nous étions plusieurs à l’ombre du grand arbre à avoir très envie de lire Eleanor & Park avant que l’un(e) de nous ne le fasse. L’auteure, Rainbow Rowell n’était pas encore connue en France. Qu’est ce qui vous attirait dans ce roman ?

Kik : La couverture !

Carole : Clairement la couverture m’a plu tout de suite, et le titre aussi !

Pépita : Moi, pas du tout, c’est l’histoire qui m’a attirée…Vous en aviez parlé, je ne l’aurais pas repéré de suite j’avoue…et puis, j’ai craqué et j’ai drôlement bien fait !

Céline du flacon : J’ai d’abord été attirée par sa couverture. Je l’ai pris en main, me suis questionnée sur cette auteure au prénom poétique et puis l’ai redéposé, un peu freinée par le prix…Puis, les premiers avis enthousiastes lus à gauche et à droite m’ont décidée ! Une semaine après, je l’achetais, entamais les premières lignes en soirée pour ne plus le lâcher avant la fin, au petit matin !

Solectrice : Moi aussi, j’ai d’abord été contaminée par votre enthousiasme pour ce roman. J’étais également intriguée par le dessin de la couverture, qui promettait une certaine harmonie et me donnait l’impression d’entrer dans une bulle pour rejoindre ces personnages de dos…

*C du Tiroir : L’alternance de points de vue est un procédé de plus en plus souvent utilisé dans les romans jeunesse. Les personnages y gagnent en épaisseur, en sensibilité, et le récit en est enrichi et rythmé. On vit l’histoire à travers deux regards, et on se rend compte que souvent, certains événements ne sont pas du tout perçus de la même façon par les différents protagonistes (comme dans la vie !). Un exemple qui vous revient ?

Pépita : Il y en a pas mal dans le livre en effet : Park fait souvent les réponses à la place d’Eléanor, mais il faut dire qu’il lui manque beaucoup d’éléments de sa vie compliquée. Il est si peu sûr de lui et et tellement ébloui par elle ! Il ne sait pas trop comment s’y prendre avec elle, elle est comme un mystère. Ils s’imaginent chacun des choses sur leur famille respective d’où les quiproquos.

Carole : Une scène me revient : ils se retrouvent à l’arrêt du bus le lundi matin. Eleanor se met à rire quand elle aperçoit Park et  » glousse comme les personnages de dessins animés, les joues écarlates et des petits cœurs leur sortent des oreilles. C’était ridicule !  » Quant à Park, il a envie de courir à sa rencontre, de la prendre dans ses bras et de la soulever dans les airs. « Comme les types dans les séries à l’eau de rose que sa mère regarde. C’était merveilleux ! »… Voilà qui illustre bien les différences du point de vue du vécu et du ressenti des 2 amoureux.

Céline : Pour moi, c’est leur première rencontre dans le bus. Chacun voit l’autre avec les œillères de monsieur tout le monde, un regard qui juge sur l’apparence sans chercher à voir plus loin… Pour Park, Eleanor n’était pas seulement nouvelle, elle était grosse et gauche ». Pour Eleanor, elle hésite : Park fait-il partie des « suppôts de Satan » du fond du bus ou n’est-il qu’un Asiatique débile ? Heureusement, ils vont l’un et l’autre dépasser peu à peu cette première impression.

Solectrice : Cette alternance m’a beaucoup plu. Pour explorer le sentiment amoureux, les doutes naissant de ces nouvelles sensations (Park ne cesse de s’interroger sur ce qu’éprouve Eleanor pour lui), la façon d’imaginer l’autre pendant son absence (chaque détail est revisité sur ce qui attire Eleanor chez Park par exemple), le manque dévorant et qui semble unique à chacun… j’ai aimé découvrir ce que chacun pensait. Et j’ai trouvé qu’il y avait pourtant de la pudeur dans l’utilisation de la 3e personne (ce qui n’est pas habituel dans un roman à plusieurs voix).

*C du Tiroir : Dans Eleanor & Park, les parents sont des personnages intéressants et assez uniques qui occupent une place plus importante que dans beaucoup d’autres romans ados où ils sont soit inexistants, soit beaucoup plus secondaires. Parlez-moi d’eux.

Pépita : Le moins qu’on puisse dire, c’est que leurs parents respectifs sont à l’opposé ! Pour Eléanor, c’est très compliqué…une mère très soumise à son beau-père violent et alcoolique, un père dont elle a honte. C’est très dur ces pages-là, car rien n’est vraiment dit clairement, on est dans les ressentis, dans un flou malsain et ça met mal à l’aise. Pour Park, je les ai trouvés particulièrement géniaux : très à l’écoute, dans le dialogue mais aussi avec des repères. Ils le laissent aussi faire ses propres expériences, en tirer des conclusions, le laisser venir à eux quand il en a besoin. Ils sont très vigilants, mais de loin. Du coup, cela impressionne Eléanor, ça ne lui semble pas crédible ce modèle parental là. D’un côté, des parents qui empoisonnent et de l’autre, des parents qui épanouissent.

Carole : C’est vrai qu’ils sont dans deux modèles opposés : une famille soudée pour Park et une recomposée pour Eleanor. Mais justement, c’est toujours intéressant d’observer comment 2 ados n’ayant pas le même schéma familial se construisent et à quel point ces schémas sont révélateurs de leur personnalité ! Ils sont faits de ça aussi, et ça se ressent dans leur façon d’appréhender l’autre. Confiance et sérénité pour Park, angoisse et confusion pour Eleanor.

Solectrice : On découvre en effet des univers contradictoires, complexes et énigmatiques que les adolescents percent par moment mais qui gardent un voile de mystère. Je voulais aussi en apprendre plus sur la mère de Park (mère aimante, déterminée, mais qui semble aussi si fragile).

*C du Tiroir : Tout à fait d’accord avec le « flou malsain » dont tu parles, Pépita.
Je me suis beaucoup interrogée sur le personnage de la mère d’Eleanor. C’est un personnage complexe, défaillant quoique bienveillant. Elle est assez peu décrite et sa relation avec Eleanor, qui est à la fois aimante et lointaine est dépeinte tout en implicite. A la lecture, j’ai oscillé entre l’empathie et la colère/incompréhension à son égard. C’est l’adulte le plus effacé, et aussi celui que j’aurais voulu voir plus approfondi. Et vous ? D’autres ressentis ?

Pépita : Je te rejoins totalement. En fait, la mère d’Eléanor est prise entre deux feux : elle est dépendante de cet homme financièrement, elle est sous sa coupe et c’est terrible. Elle sait que c’est insupportable pour Eléanor mais elle tente de la faire entrer dans un moule acceptable pour une sérénité apparente pour la famille. Maladroitement, elle essaie de garder le contact avec sa fille et c’est déjà bien. Mais c’est terrible aussi car cela annihile toute confiance en soi et toute relation sincère entre enfants et parents. Elle sacrifie ses enfants au nom de cette paix relative par peur. J’ai trouvé Elénanor exemplaire dans ce no man’s land affectif : elle fait très bien la part des choses, mais en même temps l’amour que lui porte Park est trop pour elle, ça la paralyse, elle n’a pas les clés. Park lui ouvre peu à peu ce chemin-là mais sera-t-elle jamais prête à aimer entièrement ?

Carole : Exactement Pépita ! C’est pour ça que je parlais d’angoisse et de confusion au sujet d’Eleanor. Et effectivement, elle s’en sort plutôt bien vu le poids des bagages familiaux. Comment se représenter l’amour comme une chose épanouissante, où chacun a sa place et peut s’exprimer en liberté, quand ton quotidien est pétrifié de silences, de petitesses en tout genre et sous conditions permanentes ?

*C du Tiroir : Pas forcément adepte des histoires d’amour pour ados, la lecture d’Eleanor & Park m’a complètement charmée, sans que j’arrive à tout expliquer de la magie qui s’est opéré. Il y a la grâce et la pureté de cet amour naissant, la justesse de ces premiers moments, je crois que tout ça m’a rendu très nostalgique… Le background aidant : les année 80, les walkmans et les Cure…
Et vous ? Vous êtes vous « envolé(e)s » ? Qu’est ce qui vous a plu ? touché(e)s ? séduit(e)s ?

Pépita : Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est la délicatesse qui émane de ces deux êtres, l’attente qu’ils ont inassouvie l’un de l’autre, leur absolu aussi. Malgré les difficultés de la vie, malgré les autres, ils construisent envers et contre tout leur bulle de bonheur et s’en nourrissent comme s’ils s’agissait de leur survie. Ils ont remué en moi une tendresse infinie qui reste intacte après quelques mois de la lecture de ce roman.

Céline du flacon : Dans l’histoire, le professeur de littérature pose la question du succès de Roméo et Juliette. Park répond que c’est parce que les gens aiment se rappeler ce que c’est que d’être jeunes, et amoureux. C’est exactement ça avec ce titre. Aux côtés de ces deux personnages plus vrais que nature, on replonge avec délice dans ce flot d’émotions lié à un premier amour, pur et sincère. On vibre, on vit, on re-vit ! Bien sûr, il y a aussi un côté plus noir à ce récit mais celui-ci ne fait que renforcer ce petit miracle : la rencontre de deux êtres que tout oppose ! Les références culturelles aidant, tout ça m’a rendue très nostalgique aussi Céline…

Carole : oui la nostalgie des premiers émois amoureux, notamment la scène du premier baiser : grandiose d’authenticité ( j’en ai encore les mains moites et des frissons), les gestes maladroits et touchants, les silences qui en disent long. Et puis comme toi Céline, l’ambiance des 80’s, la musique des Cure, le trajet pour le collège. Simplicité et universalité sont les vecteurs de ce roman.

Nathalie : J’ai été extrêmement touchée par la scène du premier coup de téléphone. Cela a remué en moi une nostalgie sans borne, sans doute, effectivement, liée au fait qu’il s’agit d’un premier amour et que l’histoire se passe à l’époque de ma propre adolescence (walkman, téléphone avec rallonge de 50 mètres, relations au collège et au lycée, etc.). Ces deux voix comme un souffle, qui se parlent juste et vrai, avec tant de tension et de délicatesse, cette obstination à faire attention à l’autre, à tendre, à attendre, dans la bulle créée par le téléphone et ses fils, dans le noir… Comment ne pas vibrer ? PS. Lu en numérique, bien sûr

Pépita : C’est marrant, quand je vous lis : je ne suis pas du tout nostalgique des années 80…Nos propres souvenirs sont bien souvent fantasmés. Ce n’est pas du tout cet aspect-là du roman qui m’a accrochée… Dans ce roman, il y a la fulgurance de ce premier amour mais aussi et surtout un fond de relations familiales très dur. J’ai ressenti aussi une sourde angoisse tout du long qui m’a en quelque sorte mise en garde en permanence. Pas une lecture si sereine que ça en fait.

Carole : La tension que tu évoques Pépita, je l’ai aussi ressentie…mais davantage concernant la fin potentielle de leur relation…. parce que si on aime à se rappeler ce qu’est l’état amoureux, on aime aussi à croire que ça durera toujours, non ?

Céline du flacon : Même ressenti que vous deux, Carole et Pépita. Cette double inquiétude quant au devenir de leur relation d’un côté et le harcèlement malsain vécu par Eleanor d’autre part m’a tenue également en haleine jusqu’à la toute dernière page… Je ne pouvais croire que la noirceur l’emporterait !

Solectrice : Le cadre des chansons, des comics, et des séries télé des années 80 ne m’enchantait pas particulièrement (car je ne partageais pas beaucoup de ces références) mais j’ai apprécié l’idée de camper ainsi le décor pour ajouter à l’intimité de ces deux personnages étonnants.
J’ai été touchée par la découverte de l’amour chez ces deux adolescents si différents, par le changement de regard de Park vis à vis d’Eleanor. J’ai apprécié la force que déploie la jeune fille pour s’extirper des noirceurs de sa vie. J’ai été séduite aussi par la tendresse de Park, par le cocon qu’il tisse autour d’Eleanor.

Je me suis laissée emporter, tout comme Céline, par le flot d’émotions de ces premiers instants. J’ai entendu battre le cœur de ces jeunes amoureux, j’ai retrouvé aussi ces impressions, ces maladresses, ces emportements des premières amours. Quelle écriture !

Kik : Je vous lis et … je n’ai plus envie de vous lire, j’ai plutôt envie de relire le roman. Je l’ai avalé pour savoir la suite, la fin, l’issue. Mais il y a cette sensibilité qui s’est évaporée […]. Je vous laisse papoter et je change le roman de pile de « A chroniquer » il retourne dans « À lire ». J’ai envie de m’imprégner un peu plus. Là j’ai du mal à mettre des mots sur mon ressenti. A part dire « oui, il était bien. Il faut le lire. » Pourquoi ? Quel point m’a le plus plu?

*C du Tiroir : Une dernière question sur la fin, qui reste un peu ouverte. Il ne serait de bon ton d’éviter de gâcher ici le plaisir à ceux qui ne l’ont pas encore lu, alors allons y avec précaution… Disons que la fin reste (entr)ouverte. J’ai pu lire sur le blog de Noukette qu ‘ « il ne pouvait pas y en avoir de meilleure ». C’est peut être vrai, et pourtant je l’ai quand même trouvée un peu frustrante… Et vous ?

Pépita : Oui et non en fait. Oui parce qu’on tombe sous le charme de cette belle histoire d’amour et non parce que justement, c’est un amour adolescent. Mais quand même, j’ai eu envie d’y voir du positif ! Et il me plait à penser que cette histoire n’est pas terminée…car en fait, j’ai eu besoin de la lire deux fois cette fin : il était très tard dans la nuit quand je l’ai fini (comme pour beaucoup, un livre qu’on ne lâche plus !) et le lendemain matin, j’ai eu besoin de relire cette fin : et effectivement, je pense qu’il ne pouvait y en avoir de meilleure.

Carole : Du point de vue narratif et de l’intrigue, c’est effectivement la meilleure fin possible….mais pour l’amoureuse que je suis, c’est très frustrant, voire triste. Encore une fois on n’aime pas les histoires d’amour qui se finissent. Alors, la littérature prend toute sa dimension : celle de nous faire imaginer la suite, non ?

Solectrice : Une fin frustrante ? Je ne croyais pas quand j’ai lu la dernière ligne. J’étais convaincue par l’idée qu’Eleanor ne pourrait échapper à ce bonheur perdu. Mais en vous lisant, je me rends compte que c’est ambivalent…. Je me refuse aussi à imaginer que ce soit « la fin ». Cette carte ne peut être qu’un espoir. Alors, je l’aime cette fin qu’on s’approprie, comme un dernier clin d’œil.

Céline du flacon : Je la trouve pertinente moi aussi. Ce qui m’a particulièrement plu dans ce titre c’est le réalisme des situations vécues et des réactions des personnages. Une fin trop édulcorée n’aurait pas collé avec le reste. J’y lis aussi un espoir, en la vie, en l’amour…

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Sur cette jolie conclusion, je vous invite à lire Eleanor & Park, (ou le relire, comme Kik !), et vous êtes évidemment les bienvenu(e)s sur nos blogs respectifs pour en savoir plus !

– Chez PépitaMéli-Mélo de livres :

« Lisez ce roman : il va vous emporter dans sa bulle et vous ne pourrez plus le lâcher de peur de briser ces instants de grâce. »

– Chez Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse :

«  Détrompez-vous, il ne s’agit pas ici d’une mièvre histoire à l’eau de rose. L’auteure aborde des thèmes qui en font une histoire bien actuelle, même si l’intrigue se déroule en 1986 !  Harcèlement scolaire, familles désunies, parents démissionnaires, précarité sociale, violence conjugale,…  Autant de situations qui font malheureusement le quotidien de bon nombre d’ados. »

Chez Céline – Le Tiroir à Histoires :

« Non seulement Eleanor & Park saura vous rappeler ce que ça fait d’être jeune et amoureux (et davantage encore pour ceux qui ont grandi en écoutant les Smiths !), mais ce roman a un pouvoir magique : le temps d’une lecture, vous aurez 16 ans et le coeur qui bat la chamade. C’est sûr ! »

– Chez Sophie – La littérature jeunesse de Judith et Sophie :

« Je vous laisse en découvrir plus sur ce roman par vous-même. Moi j’ai adhéré, j’ai aimé, c’est un coup de cœur et même plus encore. Mon ventre papillonnait avec eux, mon cœur battait à leur rythme, bref c’était parfait ! »

Eleanor & Park, Rainbow Rowell

Pocket Jeunesse, 2014