Roald Dahl : Le BGG

Ce 13 septembre, on fête l’anniversaire du centenaire de la naissance de ce grand conteur qu’était Roald Dahl.

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Celles et ceux qui s’intéressent de près à la littérature jeunesse ont au moins tous lu un livre de cet immense auteur. Et tous, sans exception, on connait au moins un des titres de son oeuvre.

Sous le Grand arbre, on a décidé de lui consacrer deux articles cette semaine à travers une  lecture commune intergénérationnelle sur le BGG  (avec la participation de Lucie -13 ans et de F….-14 ans, respectivement filles de Solectrice et de Pépita) et une sélection thématique sur nos lectures de ses livres ce vendredi.

 « J’adore aider les enfants à devenir des lecteurs, à être à l’aise avec les livres et à ne pas se sentir intimidés. Un livre ne devrait jamais être intimidant : il devrait être drôle, passionnant, merveilleux. Aimer lire est un immense atout dans la vie. »

Roald Dahl

Phrase lue dans le dossier du numéro 74 de la Revue Citrouille des Librairies Sorcières

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Pépita : Que retenez-vous de cette lecture ?

SolectriceEn suivant Sophie et le BGG, on s’offre un sacré moment de détente. C’est également un beau récit d’aventure, avec des monstres effrayants, une héroïne rusée, d’étranges légumes et une incroyable collection de rêves. Pendant la lecture, menée en parallèle avec les filles, on a souvent ri en partageant les jeux de mots du Géant, mais on discutait souvent aussi des réactions de Sophie face au mode de vie du Géant. Je retiens donc que cette histoire nous donne aussi à réfléchir sur notre monde par une exploration inversée : à travers les yeux du BGG, on en vient à s’interroger sur notre monde d’humains.

Sophie LJ : Quel plaisir c’était cette lecture. Je n’ai pas lu beaucoup de romans de Roald Dahl mais j’ai retrouvé exactement l’ambiance que je gardais en souvenir : un univers un peu décalé et pourtant si emprunt de la société réelle, une héroïne courageuse et intelligente et un texte succulent comme une gourmandise.

Lucie :  C’est un roman où l’univers imaginaire occupe une grande place. C’est une histoire qui se passe partout dans le monde et même dans un autre monde où les géants sont très impressionnants.et les illustrations sont vraiment amusantes.

F. : Ce qui m’a beaucoup plu, c’est l’imagination autour des rêves. C’est merveilleux ce monde-là ! Quand il fait découvrir sa bibliothèque à rêves à Sophie, ce que j’aurais aimé être avec elle ! Et quand il explique ce qu’il fait, avec sa trompette et son grand sac la nuit…

Pépita : Une récréation ! Un plaisir de la langue inouï ! L’évasion totale. Comment avez-vous appréhendé ce langage inventé ?

Solectrice : Quand on rencontre le Géant et qu’on écoute ses premiers mots, on se dit qu’il bafouille et qu’il s’entortille dans les mots et petit à petit, on prend plaisir à trouver ces perles farfelues. D’autant que ces mots-valises et autres paronymes ne sont pas systématiques dans les paroles du Géant. Alors on se surprend à les guetter et à les savourer au détour d’une phrase. Les filles, quant à elles, en ont été un peu déroutées au début parce qu’elles ne les comprenaient pas toujours, mais elles ont finalement trouvé ce langage très amusant.

Sophie LJ : Comme Solectrice, on s’attache d’abord aux erreurs de prononciation et puis petit à petit ce langage nous devient familier, agréable et même d’une certaine poésie. Un peu comme Sophie, l’héroïne (beaucoup de Sophie dans cette lecture commune) qui relève tout au début et finit par s’y habituer et accepter qu’il s’agit là de la personnalité du BGG.

Lucie : La façon de parler du BGG m’a semblé bizarre au début mais je l’ai vite trouvé très rigolote. Et à la fin, j’avais du mal à changer les mots du Géant parce que je les trouvais plus amusants que les vrais : je rêverais de faire un tour en « hernigroptère » ! J’aimais bien le fait d’assembler deux mots comme dans « délexquisavouricieux ».

F. : Cela ne m’a pas dérangée du tout et même j’en aurais voulu plus ! Je me souviens que pendant un long chapitre, le BGG n’a plus trop parlé de façon inventive et cela m’a ennuyée. J’ai eu peur qu’il arrête ! Son langage est génial, on finit par ne plus s’en étonner, cela devient une vraie langue.

Pépita : Un peu prise au dépourvu au début je l’avoue puis peu à peu, on se régale et on aurait vraiment envie de parler comme lui tant c’est farfelu, gourmand et imagé. D’ailleurs, quel est votre passage préféré ? Dites pourquoi ?

Solectrice : J’adore la chasse aux rêves. Et l’exploration de cette incroyable collection qui donne envie de goûter à tous ces rêves merveilleux. Je trouve cette idée très poétique et j’aime à croire que les rêves puissent être butinés, soigneusement rangés dans des bocaux étiquetés, avant de nous être soufflés pour un géant bienveillant. Quelle invention géniale !

Pépita : Oui c’est vrai que c’est féérique et j’aime bien aussi. Mais le passage qui m’a fait beaucoup rire et en le lisant je l’imaginais fort bien, c’est l’accueil de la Reine d’Angleterre ! L’arrivée du BGG et le repas qui suit est mémorable je trouve. Quelle imagination ! Quel humour ! Quel enfant résisterait à une telle scène, vraiment, je vous le demande !

Sophie LJ : Moi aussi c’est le passage avec la reine qui m’a beaucoup plu. J’ai essayé d’en trouver un autre qui m’ait autant marqué mais je ne vois pas. J’ai adoré ce décalage entre le BGG impotent et imposant et le bonne éducation royale toujours discrète.

Lucie : Dur de choisir. J’ai bien aimé le moment où les domestiques de la reine cherchaient le mobilier adapté au Géant car je trouvais rigolo d’imaginer que le Géant était tellement grand qu’il lui fallait tous ces meubles pour s’asseoir confortablement. J’adore aussi la capture des géants par les militaires.

F. : J’ai beaucoup aimé le passage de l’arbre à rêves, c’est magique ! Mais comme j’ai vu le film, je l’ai trouvé moins réussi dans le livre finalement. J’aurais bien aimé pouvoir aller m’y promener comme Sophie…c’est si beau !

Pépita : Roald Dahl, outre l’opposition bien /mal qui fonctionne toujours aussi bien, n’a pas son pareil pour instiller des messages aux valeurs fortes, y compris dans ce roman aux allures de conte merveilleux. Est-ce un aspect qui vous perturbe ou au contraire le trouvez-vous pertinent ?

Sophie LJ : Je trouve ça intéressant. Il y a souvent plusieurs lectures dans les romans de Roald Dahl. Ici, on peut simplement voir cette histoire de petite fille et de géants ou alors allez plus loin et percevoir des notions de politique (on la voit pas souvent dans les romans la Reine d’Angleterre) ou des valeurs comme la tolérance, l’acceptation de la différence…

Pépita : En effet, Roald Dahl n’a pas son pareil pour prendre les enfants au sérieux. Malgré leur sort souvent peu enviable dans ses romans, il leur montre qu’il y a toujours de l’espoir et que l’optimisme et l’envie de changer les choses ne peuvent venir que d’eux. Avec lui, on se sent déplacer des montagnes ! Dans ce BGG, j’ai particulièrement aimé la relation de grand adulte à enfant : ils apprennent l’un de l’autre et se respectent.

Lucie : Je ne m’étais pas rendu compte des messages de l’auteur pendant ma lecture mais si j’y réfléchis, je pense qu’il soutient l’idée que la vérité sort de la bouche des enfants. Par exemple il donne raison à Sophie face au chef des armées.

Sophie : Le côté moral ne m’a pas dérangée car il fait aussi partie de l’univers du conte. J’ai aimé les remarques du Géant sur le mode vie des humains, cette remise en cause se fait en douceur et donne au jeune lecteur une vision critique de l’humanité pour l’inviter à réfléchir ensuite. L’humour fait ainsi passer beaucoup d’idées pertinentes.

F. : Je n’ai pas du tout pensé à ça non plus, je l’ai lu comme un conte magique parce que c’en est un.

Pépita : Par quel biais conseilleriez-vous cette lecture aux enfants ?

Sophie LJ : L’humour. Pour moi, c’est l’élément incontournable des romans de Roald Dahl et de ce livre là en particulier. C’est par ce langage surprenant, les scènes triviales et les illustrations qu’on arrive ensuite à aller plus loin dans ce que veut nous dire l’auteur.

Pépita : Oui, je te rejoins Sophie. L’humour ! Cette alchimie si particulière qu’il arrive à insuffler à ses romans et celui-ci en particulier. Je suis redevenue une enfant en le lisant et ce que ça fait du bien !

Lucie : Je dirais à l’enfant : tu vas te plaire dans l’univers de ce roman car l’héroïne est jeune et elle vit beaucoup d’aventures fantastiques.

Sophie : C’est un roman qui nous transporte dans un monde fabuleux et qui donne envie d’adopter un Bon Géant ! On frémit, on rit et on suit une petite fille dans de folles aventures. En plus, les dessins nous font entrer avec plaisir dans cet incroyable imaginaire.

F. : Je lui dirais qu’il va découvrir un monde fantastique qui va l’enchanter et qu’il ne verra plus ses rêves de la même façon (et les géants aussi !).

Pépita : Pour finir : juste un mot significatif pour vous quand vous évoquez ce roman.

Sophie LJ : Savouricieux !

Pépita : Et je dirais même plus ! Délexquisavouricieux ! 🙂

Lucie : Rigolo !

F.  : Extraordinaire !

Sophie : Complètement magique !

Dans les mots du BGG, je retiendrais : « L’ennui, avec les hommes de terre, poursuivit le BGG, c’est qu’ils refusent de croire aux choses qu’ils n’ont pas vues devant leur museau. Bien sûr que les farfouilleras existent, j’en rencontre souvent, et même,  je bavardouille avec eux. »

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Nos chroniques pour aller plus loin :

-Sophie-La littérature de jeunesse de Judith et Sophie

-Solectrice-Les lectures lutines

Pépita-Mélimélodelivres

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Le BGG est maintenant adapté au cinéma par Steven Spielberg.

Pépita et sa fille l’ont vu et ont beaucoup aimé, même si Spielberg prend quelques libertés par rapport à l’histoire. Certains passages sont magnifiques, d’autres plus violents mais l’esprit du livre est conservé et c’est ça l’essentiel. Le cinéaste a lui aussi sa vision…

Qu’y a-t-il sous l’arbre ?

De notre grand arbre, vous connaissez le blog et la page Facebook, ramures et feuilles qui nous permettent de vous transmettre toutes nos découvertes en matière de littérature jeunesse.  Mais, sous cette partie visible, en sous-terrain, dans ses racines profondes, grouillent des tas d’idées : sélections thématiques, lectures communes, projets de billets variés…  Certaines bien mûres arrivent jusqu’à vous ; d’autres, pour des raisons diverses que nous ne pouvons pas toujours nous expliquer,  sont précautionneusement rangées dans l’attente de leur moment.  Ainsi, pour le visiteur qui aurait la chance de parcourir les dédales de cette fourmilière, il découvrirait de-ci de-là, cachés comme des trésors, de petites perles…

C’est le cas de cette lecture commune initiée par Nathan – Le cahier de lecture de Nathan – sur Le livre de Perle de Timothée de Fombelle.  Notre jeune pousse partie vers le large, nous avons laissé ce billet pourtant quasi achevé en friche.  Peur sans doute de rompre le lien magique unissant Nathan à son auteur fétiche…

La réédition-anniversaire d’une autre oeuvre de Timothée de Fombelle, Tobie Lolness, joue cependant les électrochocs.  Nous ne pouvons décemment attendre dix ans avant de sortir cette lecture de sa boite.  La voici donc, spécialement dédiée à Nathan, notre jeune jardinier parti à la recherche des petits bouts de féerie disséminés dans le monde… Petit clin-d’œil également à Kik – Les lectures de Kik – partie elle aussi vers d’autres horizons…

Nathan – Alors que Timothée de Fombelle nous raconte, dans Le livre de Perle, sa rencontre avec Perle et la naissance de son imaginaire, racontez-nous comment vous avez rencontré l’imaginaire de cet auteur, comment il vous a marqué, comme vous en êtes venues à lire Le livre de Perle et à venir en parler ici …

Kik – Timothée de Fombelle, je l’ai rencontré il y a longtemps avec Tobie Lolness, je l’avais beaucoup aimé. Puis les choses passent, on lit d’autres choses, beaucoup d’autres choses, et on croise Nathan … Alors forcément on se remet à lire du Timothée.

ColetteLe blog de la collectionneuse de papillons –  J’ai été happée par Timothée de Fombelle, je ne sais plus trop comment avec les aventures de Tobie et puis j’ai carrément adoooooré Victoria rêve, livre écouté dans ma voiture un mercredi où je récupérais mon grand-pilote-de-balançoire en vacances chez ses grands-parents, c’était ma première expérience de livre sonore, et la voix de l’auteur m’a vraiment envoûtée – non seulement il écrit admirablement mais qu’est-ce qu’il raconte bien ! – Bon, bien sûr devinez qui m’avait donné le conseil de cette lecture ? Ma Pépita-de-bibliothécaire-préférée !!! Et puis pour Le Livre de Perle, comme toutes les lectures de romans ados que je fais en ce moment c’est VOUS, les jardiniers d’ALOGDA qui m’en avez donné terriblement envie. Et devinez quoi ? C’est la fille de Pépita qui me l’a prêté….

Céline Le tiroir à histoires – C’est avec Vango que j’ai pénétré dans l’univers de Timothée de Fombelle. J’avais adoré cette écriture virtuose, ce souffle romanesque… J’ai adoré Victoria rêve aussi, et puis il y a eu ALODGA, Nathan, la lecture d’un passage de Victoria rêve au SLPJ par M. de Fombelle himself ;) Bref, j’étais moi aussi déjà bien mordue et c’est avec impatience et délice que je me suis plongée dans Le Livre de Perle !

CélineQu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse… – J’ai découvert Timothée de Fombelle via le recueil Nouvelles contemporaines Regards sur le monde où l’on pouvait également retrouver des textes de Caroline Vermalle et Delphine de Vigan. A l’époque, je dois avouer avoir été davantage touchée par les textes de Caroline Vermalle… Et puis, il y a eu le choc Victoria rêve, le livre papier et le livre audio, où j’ai découvert à la fois l’écriture poétique de Timothée et sa voix envoûtante. Le lien était créé ! Pour preuve, je me garde précieusement – pour un moment où j’aurai tout le temps de le savourer – son premier livre, Tobie Lolness, offert par Nathan !

Nathan – Perle est tombé dans notre monde un soir d’orage … Le lecteur, lui, souvent perdu parmi toutes ces intrigues, tombe dans le livre confus … Ça a été votre cas ? Racontez moi votre propre passage.

Kik – Dans les premières pages, je n’ai pas compris, j’ai cherché à savoir qui était qui, quand, où. J’avais du mal à me repérer. À mon avis, ce flou est volontairement créé par l’auteur. Le lecteur est perdu, comme le personnage, lors de son passage.

Colette – Qui était qui ? Mais à quelle époque se situait donc cette histoire ? Réel ou imaginaire, quel était ce monde dans lequel je venais de pénétrer ? Comme Kik, pendant un long moment, j’ai eu l’impression de tâtonner pour trouver mon chemin à travers un brouillard épais mais qui dès le départ avait un goût particulier, étrange, le goût du merveilleux.

Céline – QLF... – Pour ma part, j’y suis tombée avec jubilation. J’adore ce genre de récit où l’auteur arrive à nous surprendre dès les premières lignes, les premiers mots. Quoi de plus motivant qu’une histoire où tout semble confus et où, en se laissant guider, on finit par reconstituer le puzzle… Comme pour le mur de bagages de Perle, les trois lieux, les trois époques, les trois fils de l’écheveau finissent par s’emboîter à merveille. Là est tout l’art de cet écrivain de talent.

Nathan – Et pourtant, nombre de lecteurs disent avoir eu du mal ou avoir arrêté le livre à cause de ce début très complexe.  Pourquoi est-il complexe ? Et vous, ça vous a bloqués ?

Kik – Ca m’a un peu perturbée je dois dire, mais j’ai continué car j’avais entière confiance en l’auteur, alors j’ai continué et je ne fus pas du tout déçue.

Céline – Le tiroir… – Pas bloquée au contraire, plutôt très intriguée par cette narration démantelée, ces brins de récit qu’on attend de voir se réunir pour tresser l’histoire.

Colette – Comme Céline, cette complexité m’a vraiment séduite dès le départ !!!

Nathan – Colette évoque le goût du merveilleux, comment dire mieux ? Car le merveilleux est là, bien présent, à travers les contes notamment. Vous nous racontez un peu l’histoire d’Iliån, quel est ce monde qu’il a quitté ? Vous nous racontez un peu ce que vous avez pensé de son passé merveilleux …?

Céline – QLF… – Un monde merveilleux qui ne l’est que de nom car, au pays des contes, tout est loin d’être rose – c’est le moins qu’on puisse dire. Notre héros se retrouve d’ailleurs banni de son royaume pour délit de naissance – son frère aîné lui reprochant la mort en couches de sa mère. Pendant ma lecture, j’ai sans cesse repensé à la série « Once upon a time » où les personnages des contes sont également exilés dans notre monde et ont parfois bien du mal à s’accommoder à un train-train terre à terre. Au-delà du passé « merveilleux » du héros, ce qui m’a davantage plu, c’est la façon dont il gère sa vie « terrestre » en gardant toujours en tête son objectif (son obsession) bien vivace : celui de retrouver sa bien-aimée… Qu’on soit d’un côté comme de l’autre, Iliån et un homme profondément amoureux !

Kik – Merveilleux, car il y a toutes ces choses inexplicables, ces références aux mondes des contes. C’est étrange de se dire ça après une lecture, mais je ne suis pas capable de présenter le monde qu’Ilian a quitté, car je n’ai pas tout compris. Il y a ce que Céline a dit. Il y a cette histoire de famille terrifiante, mais pour le reste … Où est le passé et le présent ? Les allers-retours entre l’un et l’autre sont tellement fréquents, que je n’ai pas eu envie de démêler l’un de l’autre. Je me suis laissée porter dans ces mondes imaginaires, dans ce que l’auteur m’offrait comme univers parallèles et j’ai apprécié. Tout simplement.

Céline – Le tiroir… – Ce merveilleux, il nous happe, dès le début du roman, comme une légende millénaire terrible et envoûtante. Et puis il est toujours là, qui guette, qui fait des incursions dans notre monde réel, comme en témoignent toutes ces « preuves », que s’attache à collectionner Ilian devenu Joshua, ici un morceau de botte de sept lieues, là une chaussure égarée comme celle de Cendrillon… Il insuffle au récit de la magie et cette saveur d’il y a très longtemps dans un royaume très lointain…

« Mais les histoires nous font changer.  Et certaines rencontres nous retournent sur le dos comme des tortues. Elles nous obligent à nous laisser faire. »

C’est un peu de cette magie que nous, lecteurs, recherchons au travers de nos pérégrinations livresques…  C’est sans doute pour cette raison fondamentale que ce livre nous a tant remués.  Et vous, l’avez-vous lu ?  Qu’en avez-vous gardé comme souvenir ? Dites-nous tout…

Celle qui sentait venir l’orage

A l’ombre du grand arbre, les récits d’Yves Grevet ne nous ont jamais laissé indifférents. Cet auteur sait inventer avec habileté et finesse des mondes qui nous surprennent, nous bousculent et nous questionnent. Dans son roman paru en mai 2015 si poétiquement intitulé Celle qui sentait venir l’orage, l’auteur quitte la dystopie où il a excellé avec Méto ou encore Nox pour se consacrer à un récit réaliste qui plonge dans le passé : il y met en scène une adolescente, tout juste orpheline, qui se soumet, sans le savoir, aux expériences d’un scientifique féru de morphopsychologie censée servir la criminologie. Mais Frida, notre jeune héroïne, comme tous les personnages d’adolescent d’Yves Grevet, est une battante et résistera à ses oppresseurs afin de découvrir la vérité.

Pépita, Bouma, Kik et moi-même, Colette, nous nous sommes arrêtées quelques instants sur ce roman déroutant et tellement… vivant !

celle orageCelle qui sentait venir l’orage : voilà un titre bien mystérieux. Qu’ont évoqué pour vous ces mots, au seuil du roman, avant même de vous plonger dans le récit ?

Pépita : Oui beaucoup de mystère et un bien joli titre ! Il a évoqué pour moi d’emblée une angoisse sourde, difficile à cerner comme une sorte de nébuleuse néfaste qui vous tourne autour mais également des sens en alerte face à ce danger diffus.

Bouma : Connaissant déjà l’écriture d’Yves Grevet, le titre m’a tout de suite fait penser à un récit fantastique… Celle qui sentait venir l’orage… on peut le prendre au sens figuré (l’angoisse comme le souligne Pépita) ou le sens propre (le climat) et c’est vers ce sens que je penche plus naturellement.

Kik : Connaissant Yves Grevet pour ses écrits de dystopie je pensais me retrouver face à un être amélioré, prédicateur de la météo … Je n’avais pas vu juste …!

Celle qui sentait venir l’orage c’est Frida : comment la décririez vous cette jeune fille pas comme les autres ?

Pépita : Frida m’a semblé un peu froide au départ mais il faut dire que vu les circonstances vécues, elle n’avait pas trop le choix que de faire profil bas. Puis au fur et à mesure de l’histoire je l’ai trouvée d’une force extraordinaire et d’une volonté à toute épreuve pour faire éclater la vérité. Elle s’est transformée dans cet objectif, elle est plus réfléchie et déterminée, sait convaincre les autres, bref, une vraie étoffe d’héroïne ! Je l’ai trouvée très attachante et elle s’est révélée être un vrai modèle de détermination malgré l’adversité.

Bouma : Je l’ai trouvé unique, avec en elle ce mélange d’immense solitude, d’incertitude chronique et malgré tout d’espoir en l’avenir. Pour le côté physique, j’ai eu beaucoup de mal à me l’imaginer car l’image qu’elle renvoyait dépendait beaucoup d’un personnage à l’autre.

Nous avons tenté de décrire Frida, maintenant que diriez-vous de l’aventure qu’elle va vivre au fil des pages ?

Pépita : Je ne m’attendais pas à ce type d’aventure où se mêle évènement historique, enquête et de nombreux rebondissements à travers ses rencontres. Beaucoup de suspense et une découverte de l’Italie à une certaine époque.

Kik : Connaissant l’auteur Yves Grevet pour ses écrits dystopiques je ne m’attendais pas à ce roman sur fond historique. Après un moment de surprise, je me suis laissée embarquer vers le passé avec plaisir.

Bouma : Frida va vivre une véritable aventure entre quête identitaire et quête de vérité le tout étant très étroitement lié à sa famille et à leur mode de vie.

Que diriez vous justement de la famille mystérieuse de Frida? Quel personnage vous a le plus intrigué ?

Pépita : Le père sans aucune hésitation. j’ai bien failli croire à un moment ce qu’on racontait sur lui ! Et puis, non, je me suis dit que ce serait trop facile. Il est assez énigmatique ce père : un mélange de crainte et de fascination pour ma part.

Bouma : J’ai particulièrement aimé Gianluca, le libraire ancien journaliste en mal d’aventure. Sa détermination et ses connaissances sur le monde politique apporte un nouveau souffle à l’histoire

Moi aussi j’ai particulièrement aimé cet homme engagé qui va avoir tant d’importance dans la quête de Frida. La nouveauté dans ce roman par rapport aux derniers récits d’Yves Grevet, vous l’avez souligné, c’est le choix de l’arrière-plan historique et surtout scientifique : que pensez-vous de cette théorie de la morphopsychologie au service de la criminologie ?

Pépita : Telle qu’elle est présentée dans le roman, c’est plutôt une science détournée à mauvais escient. On pourrait la rapprocher du délit de faciès d’aujourd’hui. Surtout si cette science est instrumentalisée par des hommes peu scrupuleux, plus soucieux de leur carrière que de l’humain. J’ai trouvé que c’est un point très intéressant du roman que de faire connaitre cette science, et surtout les prolongements historiques désastreux qu’elle a eu. Un sujet philosophique en somme : science et conscience…

Bouma : Le fait est que les sciences, les découvertes qui y sont liées ne sont pas toujours sans conséquence. Les recherches scientifiques sont un moyen pour l’homme d’arriver à ses fins, elles sont un instrument de l’humanité et peuvent par la même produire le meilleur comme le pire. Dans ce sens, la morphopsychologie (qui en plus n’est pas une réelle science) ne fait qu’exacerber la pensée commune comme quoi certaines personnes seraient plus criminelles que d’autres par leur ascendance génétique. Et cela fait froid dans le dos quand on pense que certains y ont cru.

Yves Grevet ne s’inscrit-il pas ainsi, dans un étonnant renversement de la chronologie, dans la lignée de ces auteurs ou réalisateurs qui ont pensé la prévention des crimes par des moyens scientifiques comme Philippe K. Dick dans Minority Report (adapté au cinéma par Steven Spielberg) ou encore Andrew Niccol dans Bienvenue à Gattaca, même si là il s’agit de manipulation génétique pour obtenir le meilleur de l’humanité ? Est-ce que ce texte a fait résonner d’autres oeuvres en vous ?

Bouma : Il y a de nombreux ouvrages qui traitent des progrès de la science et de son éthique. La science-fiction en a même fait son domaine de prédilection. Je citerais plusieurs titres : Rana et le dauphin de Jeanne A. Debats chez Syros (pour les 8-10 ans) et BZRK de Michael Grant chez Gallimard (à partir de 13 ans), traient tous les deux de l’utilisation des nano-technologies et de leurs dérives ; Roby ne pleure jamais d’Eric Simard chez Syros (8-10 ans) et Partials de Dan Wells abordent le sujet de la robotique et de la frontière avec l’humanité ; enfin Yves Grevet lui-même avait déjà abordé les soucis des débordements de la science dans un texte plus court Des ados parfaits.

Au final, même s’il s’inscrit dans le passé, ce roman offre une réflexion valable à travers toutes les époques -et la nôtre en particulier – sur le rôle de la science dans la définition de ce qui est humain : quelle humanité représente donc Frida pour vous ?

Pépita : Celle du non-renoncement, celle de la non-manipulation, celle du droit des plus petits face aux puissants, donc celle de la Vérité, voire de la Démocratie

Bouma : Celle qui est libre et qui fait tout pour le rester malgré l’image d’elle-même qu’on veut lui imposer.

Et si vous souhaitez connaître plus précisément l’avis de Pépita c’est par

et celui de Bouma est ici !

Bonne lecture !

 

 

Ces livres qui font grandir les enfants

ces livres qui font grandir les enfantsD’abord édité en 2008, l’essai de Joëlle Turin, Ces livres qui font grandir les enfants  (Didier jeunesse, collection passeur d’histoire 20 €), a été réédité dans une version augmentée en 2012. L’auteure y explore les domaines évocateurs de la vie de l’enfant : ses jeux, ses peurs, ses grandes questions, ses relations avec les autres, le monde de ses sentiments et les pouvoirs de l’imagination. Les albums qui y sont présentés sont analysés finement à la lumière des observations de terrain faites par des professionnels de la lecture aux enfants.

Si cet ouvrage s’est rapidement imposé comme une référence pour les professionnels, il est également très accessible au grand public.

A l’ombre du grand abre, nous sommes nombreuses à le feuilleter régulièrement et toujours avec plaisir. Cela méritait bien une petite lecture commune.

Chlop: Un ouvrage théorique sur la littérature jeunesse, quelle drôle d’idée, mais à qui ce livre s’adresse-t-il d’après vous ?

Pépita: Trés bonne question ! À toute personne désireuse d’accompagner l’enfant vers et avec les livres. Le titre est déjà une belle invitation et la nouvelle couverture, avec ces personnages tout droits sortis de classiques de la littérature jeunesse, comme des fées penchées sur un berceau, je la trouve bien appropriée.

Sophie: C’est un livre pour tous les professionnels de la littérature jeunesse et en particulier pour ceux qui mettent en pratique avec les enfants. Il est aussi très intéressant pour ceux qui travaillent avec des enfants sans forcément être professionnels du livre

Colette: Je pense que cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui se passionnent pour la littérature de jeunesse, pas nécessairement des professionnels de l’enfance mais juste des lecteurs adultes qui trouvent tout leur intérêt entre les pages d’un album !

Carole: Effectivement, pour les professionnels mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à la littérature jeunesse, les curieux, les étudiants en formation, les parents pourquoi pas ? Personnellement je le feuillette régulièrement depuis longtemps, notamment pour y trouver des références et pour étayer un point de vue.
Ah, un livre de « spécialiste » alors, adapté aux passionnés, mais pour celui ou celle qui n’est pas dans le milieu, c’est lisible ? Ce n’est pas un peu élitiste, un bouquin qui ne parle que de livres pour enfants ?
Sophie: Je pense qu’à partir du moment où on connaît un peu ce domaine de la littérature jeunesse, on peut y trouver des choses intéressantes autour du développement de l’enfant par le livre. En tous cas, je l’ai trouvé assez accessible, avec beaucoup d’exemples donc plutôt concret.
Colette: Justement je ne le trouve pas du tout élitiste, la langue utilisée est très claire, il n’y a pas de jargon -contrairement à d’autres livres théoriques sur la littérature de jeunesse que je n’ai pas réussi à lire jusqu’au bout malgré mon engouement pour ce genre – et tous les thèmes abordés touchent à des questions qui concernent chaque humain.
Pépita: Oui, en effet, c’est le risque mais c’est toujours le risque de ce genre de livre de tomber dans cet écueil. Il n’y tombe pas complètement de par sa structure je trouve, proche des préoccupations des tout-petits. Et on peut le lire soit de façon linéaire ou en piochant dedans.
Colette: Oui Pépita c’est un aspect du livre que j’ai adoré : on peut picorer assez librement dedans ! Choisir un thème, choisir une analyse de livre en particulier, ce qui le rend encore plus accessible à un lecteur néophyte.
Carole: Idem, son organisation thématique le rend aussi ludique, le style est clair, et pas pompeux ni trop technique, et les exemples suffisamment nombreux pour que chacun s’y retrouve

Ok, alors maintenant qu’on sait que c’est un livre accessible, revenons au titre. Pépita soulignait qu’il était une belle invitation, mais encore ? Qu’est ce que ça nous inspire déjà ce titre avant même d’ouvrir le livre?

Colette: J’aime beaucoup ce titre car c’est un de mes leit motiv dans mon métier : LES LIVRES FONT GRANDIR LES ENFANTS !!! Les livres donnent du grain à moudre à chaque petit lecteur, ils les tirent vers le haut ! Le démonstratif utilisé dans le titre quant à lui nous annonce une liste de titres, ce qui pour le lecteur avide de lectures phares est un atout indéniable. Il y a un côté prescriptif dans le titre qui n’est pas pour me déplaire, j’aime beaucoup suivre les traces de lecteurs plus expérimentés que moi .

Sophie: Bien dit ! Rien à ajouter.

Pépita: Ce que j’aime dans ce titre c’est d’affirmer clairement que les livres font grandir les enfants, que c’est une nourriture aussi essentielle à leur développement. Je suis un peu plus réservée sur le démonstratif : il sous entend que ceux là sont les meilleurs en délaissant les autres …mais en fait non, c’est trompeur car le contenu prouve le contraire. Une belle accroche donc pour un livre de référence et je te rejoins Sophie dans le fait qu’il faut l’avoir à portée de main.

Carole: Le titre est effectivement une invitation. En revanche, j’ai considéré le démonstratif « ces » comme parlant de « cette » littérature jeunesse au sens large. Comme une sorte de reconnaissance de l’importance, de la richesse, de la diversité de cette vraie littérature exigeante. Et les nombreux exemples donnés en sont l’expression, il me semble.

C’est une affirmation forte quand même ! Est-ce qu’elle parvient à convaincre, après tout, Joëlle Turin est une spécialiste des albums plus que des enfants, elle n’est pas éloignée du monde de l’enfance. Elle s’appuie sur quoi pour affirmer cela ?

Colette: Je ne savais pas que l’auteure n’était pas une spécialiste de l’enfance mais en tous cas, si elle n’a pas expérimenté les albums dont elle parle avec les enfants, elle est super forte pour dénicher ceux qui font mouche auprès du jeune public. Les albums dont elle parle sont quasiment devenus des « classiques » de la littérature jeunesse et pour en avoir lu pas mal à mes Petits-Pilotes, ce sont vraiment des livres qu’ils plébiscitent.

Sophie: Elle connait bien le développement de l’enfant, ses questionnements… et c’est ce qu’elle utilise pour thématiser son livre. Les jeux, la peur, les grandes questions philosophiques, le rapport à l’autre, les émotions, l’imagination : voilà autant de grands sujets qui sont abordés dans ce livre. On connaît (pas forcément d’ailleurs) l’importance de ces notions théoriques dans l’enfance, elle, elle rapporte ça aux livres, aux histoires qui s’en inspirent pour aider l’enfant à mieux les appréhender, mieux les comprendre.

Pépita : Oui elle parvient à convaincre car elle donne des exemples concrets de pratiques, des albums qui ont fait leurs preuves, qui sont devenus des classiques de par leur appropriation par des gens de terrain ( professionnels de la médiation du livre au sens large) et par les enfants eux-mêmes. Et parce que « lire c’est bon pour les bébés  » commence à faire son chemin grâce à des pionniers en la matière.

Carole : C’est par la pratique enseignante en maternelle que je l’ai trouvé ce livre, donc plutôt du côté petite enfance que littérature. Et me servant des albums notamment comme supports pédagogiques, les pratiques qu’elles proposent sont vraiment chouettes à explorer in situ.

Ah, très bien, donc une affirmation forte (à laquelle nous adhérons sans réserve sous l’arbre mais qui peut parfois étonner), qui est argumentée à la fois par la connaissance des albums et par l’expérience de terrain. C’est effectivement les deux piliers qui font la force de cet ouvrage.
Pépita soulignait que le titre suggère que tous les livres ne sont pas également porteurs pour les enfants (l’utilisation de « ces » plutôt que « les »), qu’en est- il dans le livre?

Colette: Dans le livre, tous les exemples analysés sont des albums très forts, très originaux qui ont marqué pour beaucoup l’histoire de l’édition jeunesse, tous les titres sont porteurs de sens aussi bien pour l’adulte que pour le petit qu’il accompagne.

Pépita : Dans le livre, on ressent tout le contraire : « ces » livres-là sont à prendre vraiment dans le sens d’incontournables car ils participent de facto au développement de l’enfant : le nourrir, l’interroger, le placer face à ses angoisses, lui apporter des réponses, lui permettre de revenir encore et encore tant qu’il n’aura pas terminé sa propre appropriation. Mais le plus de ce livre, c’est de permettre à l’adulte, néophyte ou pas d’ailleurs, peu importe, d’avoir des clés de lecture, voire des clés de questionnement et de se mettre à la portée de l’enfant. Et le must de ce livre est de démontrer que la littérature pour enfants est une littérature adaptée à leurs besoins et qu’il ne faut pas s’en priver.

En effet, si on n’y trouve pas de définition de ce qu’est un « bon livre », on y trouve quantités de livres qui sont bons et on découvre pourquoi ils le sont.
L’analyse du texte, de l’image, mais aussi de l’effet qu’il produit chez le jeune lecteur à qui il s’adresse est vraiment un axe parlant.

Il me semble qu’il y a aussi, en filigrane, une vision de l’enfance, très respectueuse, et de la façon dont il est bon d’apporter des livres aux bambins (en respectant leurs désirs). Vous avez aussi été sensibles à cet aspect- là?

Sophie : Oui c’est vrai, j’ai ressenti ça aussi, cette idée qu’il faut faire confiance à l’enfant, le laisser analyser son environnement et ses émotions, lui offrir son indépendance… Toutes ces choses qui peuvent être facilitées avec les livres.

Pépita : Oui complètement. Pas de côté moralisateur mais un côté  » je vous propose, à vous de disposer et de partager avec votre enfant ces livres qui ont fait leur preuves chez beaucoup d’entre eux, alors pourquoi pas le vôtre ? Essayez, vous verrez…

Colette : Absolument !!! Et une vision de la parentalité aussi peut-être. Je suis en pleine recherche sur ma manière d’être mère, comment sortir de la « violence éducative » larvée, comment se mettre à portée des enfants (les miens aussi bien que ceux que j’ai en face de moi chaque jour en classe d’ailleurs) et les exemples analysés par Joëlle Turin m’apportent des réponses. Les titres analysés dans le chapitre « venir au monde » par exemple correspondent vraiment à ce que j’ai pu vivre avec mon aîné quand nous avons parlé de la naissance, la sienne puis celle à venir de son frère : les livres cités sont des nids à eux seuls pour accueillir en douceur la parole de l’enfant.

Tiens, c’est amusant ce que tu dis Colette, je me suis fait la réflexion que dans la bibliothèque de mon quartier ce livre est classé dans les ouvrages théoriques sur la littérature jeunesse alors que moi je l’aurais mis dans ceux sur l’éducation.
Parce que après tout, la lecture et son importance, c’est des choses dont on devrait  parler davantage aux jeunes parents, parfois c’est d’un plus grand secours que des ouvrages sur le développement de l’enfant ou la « bonne façon » d’être parents.

Colette : Complètement d’accord : c’est pourquoi j’aime offrir aux jeunes parents de mon entourage des albums à partager avec leurs bébés ! Et depuis deux ans lors de notre première réunion parents-professeurs, j’offre aux parents qui se déplacent un recueil de 7 histoires pressées de Bernard Friot que je les invite à lire chaque soir de la semaine avec leur ado car je suis intiment convaincue que quand on lit, on lie !

Pépita : Exactement : dans « ma » bib, j’ai créé en jeunesse un fonds professionnels ( au sens large) avec trois thématiques larges elles aussi, et ce livre est dans « éveiller l’enfant  » et utiliser un verbe est beaucoup plus dynamique, cela incite à l’action.
Je vous rejoins à fond sur la parentalité qui est largement interrogée aujourd’hui.

Vous comme moi étiez déjà convaincues de l’importance de la lecture aux enfants, quand vous l’avez lu, est-ce que ce livre a été pour vous une motivation supplémentaire ? Est-ce que vous avez eu envie de découvrir des albums qu’elle cite que vous ne connaissiez pas?

Colette : Oh oui oui oui !!! Le tout petit invité d’Hélène Riff a l’air d’être une merveille aussi bien sur le fond que la forme. Je ne le connais pas du tout et j’ai très envie de le manipuler, de l’expérimenter, de le toucher ! Et puis il y a beaucoup d’albums que ce livre m’a invité à retourner voir, parce que des choses m’avaient sans doute échappé.

Pépita : Oui, d’une part en découvrir qu’on ne connaît pas et d’autre part approfondir les autres. Les albums ont cette faculté qu’ils interrogent en permanence. Par contre, c’est frustrant de lire des analyses d’albums comme celui que tu cites Colette, il est épuisé.

Sophie : En lisant ce livre, j’ai redécouvert autrement des titres que je connaissais et en effet, j’en ai découvert d’autres que j’aimerais maintenant lire. J’ai surtout eu envie de pousser ma réflexion plus loin sur certains titres. Je pense par exemple à l’album « Me voici » de Friedrich Karl Waechter qu’on avait déjà lu ici, et dont on avait fait une interprétation différente.

Pépita : Oui Sophie, je me suis faite la même réflexion.

Colette : Un titre que je ne connais pas, à découvrir !

C’est vrai que outre la découverte de nouveaux titres, on pose aussi sur les albums qu’on connait déjà un œil nouveau.
J’allais justement vous demander, pour conclure, si ce livre vous avait fait changer de regard sur un album ou fait évoluer votre façon de lire aux enfants.

Pépita : Mais sur plein d’albums ça fait changer le regard… Et c’est ça qui est bien de se remettre en cause. Sur la façon de lire non, on lit avec sa personnalité, sa voix, son corps… Je dirais que c’est plus intériorisé du coup… Par contre être plus dans l’observation pour certains albums sur la façon dont les enfants les perçoivent, oui. Et c’est magique !

Sophie : Comme Pépita, je ferais plus attention à ce qu’un album apporte particulièrement aux petits. Ce livre permet de faire un peu de rangement dans ses idées : savoir que la façon d’aborder un thème à telle ou telle signification dans le développement de l’enfant par exemple. Pour ce qui est de changer sa façon de lire, ça ne changera pas fondamentalement pour les mêmes raisons que ce qui a été dit.
Une chose est sûre, j’ai quelques lectures d’albums à prévoir et à mettre en parallèle avec le contenu de ce livre !

Colette : Ce livre n’a pas changé ma façon de lire aux enfants je pense car j’étais déjà convaincue de ce qui se joue dans la lecture d’albums mais il m’a terriblement donné envie de renouer avec l’analyse littéraire !!! J’ai eu envie en le refermant d’écrire des chroniques qui soient aussi précises, aussi sensibles à l’alliance du fond et de la forme, qui traite l’album jeunesse comme une œuvre d’art à part entière, riche de sens multiples.

Pépita : Oui et je trouve que c’est très difficile….Ce type de livre nous aide justement à prendre de la hauteur, mais à hauteur d’enfant. Et c’est déjà pas mal….

Carole : Idem, après ma première lecture, j’ai changé ma façon de proposer les albums en classe, et la disposition aussi. C’est aussi pour cette raison qu’il fait partie de mes « indispensables » toujours à portée de main. Et aujourd’hui que j’enseigne aux étrangers, je le reprends souvent. Il m’aide à remettre en question mes pratiques, ce qui dans le domaine de l’éducation, au sens large, me paraît si ce n’est nécessaire, vital, pour les élèves mais surtout pour moi. Ces livres qui nous font avancer, nous bousculent, nous questionnent, nous aident à grandir aussi, non ?

Effectivement, la lecture de cet essai est stimulante, on a envie de lire tous les albums proposés et plus encore de les lire à des enfants… A ce propos, Pépita soulignait que c’est parfois frustrant de lire les analyses d’albums épuisés. Je partage pleinement cet avis, la question des livres chers à nos cœurs qui sont actuellement indisponibles doit se poser, pourquoi pas à l’occasion d’un débat prochain à l’ombre du grand arbre ? 

Nous, les enfants sauvages

Ce roman, « Nous les enfants sauvages » d’Alice de Poncheville, édité par l’Ecole des loisirs,  a illuminé ma fin d’année par la justesse de son écriture, le réel transcendé par l’imaginaire de l’héroïne principale, et par son beau message de solidarité et de respect mutuel.

Alors tout naturellement, je l’ai proposé en lecture commune et Bouma a répondu à cet appel. Voici donc notre échange sur ce roman lumineux.

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P. :« Nous, les enfants sauvages » : un titre un peu guerrier non ? Qu’est-ce qu’il t’ a inspiré ?

B. : Les mots nous laissent des impressions différentes. Ce n’est pas le sens violent du terme, se rapprochant alors de sauvagerie, que j’ai entendu. Moi, ce titre m’a fait pensé à la nature qui reprend ses droits, aux animaux non domestiqués, à la liberté retrouvée.

P. : Pour ma part je l’ai vraiment ressentie comme un cri de « guerre » , une revendication, un groupe à part. Et c’est renforcé je trouve par la couverture. Et alors, ça raconte quoi cette histoire ?

B. : C’est l’histoire d’une terre future où l’élevage intensif a donné naissance à des animaux contaminés. Les épidémies ont décimé les familles. Les animaux ont été tenus responsables et complètement éliminés de la planète. Linka, sa petite sœur Oska et leur ami Milo vivent tous à la 16ème Maison des orphelins. Leur quotidien est rythmé par les habitudes, jusqu’au jour où ils découvrent une forme vivante dans les fondations d’un chantier…

P. : …mais une résistance souterraine s’organise. Ce sont les enfants sauvages. Ils tentent de sauver les animaux. Ils font preuve d’une intelligence et d’une organisation impressionnantes. Vont-ils y arriver ?
J’ai pour ma part trouvé que ce roman à ce petit quelque chose en plus, par rapport à d’autres romans traitant de la fin d’un certain monde. Es-tu d’accord avec cette impression ou pas du tout ? Tu peux me dire pourquoi ?

B. : Un petit plus, je ne sais pas. Il est différent ça c’est sûr. D’abord parce qu’il est en un seul tome alors que beaucoup de dystopie forment des cycles. Ensuite, je lui ai trouvé une certaine lenteur (dans le bon sens du terme). L’auteure prend le temps de placer ses personnages et son intrigue dans le contexte avant de les amener à le remettre en cause. Enfin, il est toujours intéressant d’amener un thème désormais habituel loin des sentiers battus.

P. : Oui c’est exactement cela que j’ai ressenti aussi. Alors que ce monde dévasté parait bien morne et sans espoir, j’y ai trouvé une belle lumière, notamment grâce aux personnages, en particulier les enfants, et surtout le trio Linka, Oska et Milo. Qu’aurais-tu à dire de ces personnages et la façon dont l’auteure les amène chacun dans l’histoire ?

B. : Ce que j’ai aimé c’est que l’auteure les présente d’abord comme une entité, un groupe, une famille. Bien sûr ils ne font pas qu’un, chacun à sa personnalité mais ils sont unis. Et puis, le Jour du don et du partage, le nouveau Noël arrive et ils se retrouvent séparés. Là, ils vont pouvoir penser un peu à eux-mêmes, plus que lorsqu’ils habitent la Maison des Orphelins et qu’ils se protègent les uns les autres. J’ai aimé les voir dans des environnements différents car cela révèle les sensibilités, les envies et les peurs. L’auteure semble nous amener sur trois fils distincts de l’intrigue avant que l’on ne se rende compte que tout est lié. En résumé, des personnages denses et complexes que l’on découvre peu à peu.

P. : Oui tout à fait ça : j’ai aimé aussi cette construction comme si l’auteure voulait aussi insuffler un message contre le communautarisme et l’importance de chaque individu dans sa globalité. Et qu’ils sont attachants ces enfants : trois fils déroulés, trois façons d’agir, de se mouvoir parmi les événements. Et en plus, on s’attache à chacun individuellement mais on sait qu’ils forment un tout, qu’ils ont besoin des uns et des autres.
Il y a un autre « personnage », c’est l’animal étonnant que découvre Linka, qu’elle nomme Vive. Que représente-t-il pour toi ?

B. : Ah… Vive… Vive est un mystère pour moi, le seul élément complètement fantastique du roman, celui que je n’ai pas réussi à visualiser. Si on voulait essayer de trouver une explication logique, on pourrait parler de transformation génétique ou de conséquences écologiques à partir d’animaux existants. Personnellement, je préfère y voir un élément magique, un guide, qui réveille en chacun l’envie d’un avenir meilleur où l’on peut prendre ses propres décisions.

P. : J’ai adoré cet animal ! Pour moi, il représente la part de rêve dont Linka a besoin. Il représente aussi une belle métaphore : cet animal est capable de se transformer quand Linka pense très fort à un animal. Et ce que c’est beau ces passages ! Je pense que Vive est là pour montrer que si on le veut vraiment, tout est possible. Le monde peut changer. Et sans dévoiler une partie de la fin, le passage de la grotte est comme une palpitation, un envol vers un monde meilleur possible. J’ai beaucoup aimé cette part de merveilleux induite par Vive, et dans Vive, il y a Vie. Les enfants lui font immédiatement confiance et ça , c’est un signe fort je trouve. Elle est comme un cœur qui palpite pour eux.
On parle beaucoup d’enfants. Mais il y a aussi des adultes dans ce roman. Un peu manichéen dans leur rôle non ? Certains très noirs, d’autres plus lumineux. Tu en as pensé quoi ?

B. : Ah les adultes… Effectivement certains sont très manichéens, je pense au directeur de la maison de correction pour le côté maléfique ou le cousin de Milo pour le côté lumineux. Mais au final j’ai aussi trouvé des personnages plus en nuances avec leur part d’ombre et de lumière. Il y a les bienveillants de base mais qui suivent les ordres, ne bougent pas, comme la surveillante de la maison des enfants. Et puis il y a ceux qui ont l’air méchant mais qui se révèlent porteur d’espoir et de bonté comme le châtelain chez qui Linka va passer le jour du don, ou la directrice de la maison des orphelins qui s’est attachée à Milo, comme une faiblesse. J’ai trouvé des failles en chacun d’eux à un moment donné. En fait je les ai trouvé très humains face à de telles situations.

P. : Je suis d’accord avec toi : l’auteure joue beaucoup sur l’ambivalence des personnages et je pense comme toi que le mot humanité est au cœur de ce roman.
Du coup, tu me tends une perche pour la question suivante : et ces enfants sauvages, comment les as-tu perçus ? Vraiment sauvages ?

B. Oui, j’ai trouvé que ces enfants étaient sauvages dans le sens où je l’expliquais au départ. Ils ne sont pas violents, ils sont libres, ils vivent en marge de la société. En ça ils représentent la sauvagerie face à l’ordre imposé par les autorités.

P. : Oui sauvages au sens où ils ne rentrent pas dans la norme c’est vrai mais en même temps j’ai été éblouie par leur intelligence, leur organisation, leur solidarité, leurs recherches sur le monde animal et végétal sans cruauté, leur adaptation, leur courage et leur tranquille évolution dans ce monde pourtant pas fait pour eux non plus. Oska, la jeune sœur de Linka, s’y sent d’emblée parfaitement à l’aise. Plus que sauvages, je dirais qu’ils sont des résistants à l’ordre établi. Sans doute l’auteure a-t-elle choisi ce mot pour bien délimiter les deux mondes, celui où tout est compartimenté et rigide, et celui de la vie finalement.
En relisant ta chronique, j’ai perçu que c’est un roman qui t’a séduit. Que dirais-tu à des lecteurs pour les inciter à le lire ?

B. : Pour les séduire, je leur dirai de lire cette dystopie française pour changer un peu de celles anglo-saxonnes 😉 Je leur dirai aussi que c’est un texte intemporel car il peut faire écho à de nombreuses références historiques de notre passé, de notre présent (malheureusement) et qu’il défend des idées qu’il ne faudrait pas oublier un jour. Oui nous sommes une société régit par des règles mais il faut aussi savoir dire quand elles dérapent, quand elles vont trop loin… et aussi qu’il faut savoir écouter les enfants et la jeunesse, car ils sont toujours porteurs d’espoir.

P. : J’ajouterais que c’est un roman sur l’engagement , la désobéissance à ce qu’on ne veut pas vivre, sur la réflexion donc et le refus d’accepter des règles cruelles. C’est un roman aussi sur le respect de la nature et sur ce que l’homme lui doit. Un roman sur l’amitié malgré des personnalités différentes, sur la solidarité entre générations quand elles décident d’aller dans le même sens pour sauver le monde. C’est un roman sur la capacité à rêver aussi. Un roman plein de poésie et de petits bonheurs fugaces qui aident à vivre.

En espérant vous avoir donné envie de lire ce roman…

Voici nos chroniques sur nos blogs :

-Un petit bout de bib(liothèque)-Bouma

-Méli-Mélo de livres-Pépita