D’abord édité en 2008, l’essai de Joëlle Turin, Ces livres qui font grandir les enfants (Didier jeunesse, collection passeur d’histoire 20 €), a été réédité dans une version augmentée en 2012. L’auteure y explore les domaines évocateurs de la vie de l’enfant : ses jeux, ses peurs, ses grandes questions, ses relations avec les autres, le monde de ses sentiments et les pouvoirs de l’imagination. Les albums qui y sont présentés sont analysés finement à la lumière des observations de terrain faites par des professionnels de la lecture aux enfants.
Si cet ouvrage s’est rapidement imposé comme une référence pour les professionnels, il est également très accessible au grand public.
A l’ombre du grand abre, nous sommes nombreuses à le feuilleter régulièrement et toujours avec plaisir. Cela méritait bien une petite lecture commune.
Chlop: Un ouvrage théorique sur la littérature jeunesse, quelle drôle d’idée, mais à qui ce livre s’adresse-t-il d’après vous ?
Pépita: Trés bonne question ! À toute personne désireuse d’accompagner l’enfant vers et avec les livres. Le titre est déjà une belle invitation et la nouvelle couverture, avec ces personnages tout droits sortis de classiques de la littérature jeunesse, comme des fées penchées sur un berceau, je la trouve bien appropriée.
Sophie: C’est un livre pour tous les professionnels de la littérature jeunesse et en particulier pour ceux qui mettent en pratique avec les enfants. Il est aussi très intéressant pour ceux qui travaillent avec des enfants sans forcément être professionnels du livre
Colette: Je pense que cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui se passionnent pour la littérature de jeunesse, pas nécessairement des professionnels de l’enfance mais juste des lecteurs adultes qui trouvent tout leur intérêt entre les pages d’un album !
Ok, alors maintenant qu’on sait que c’est un livre accessible, revenons au titre. Pépita soulignait qu’il était une belle invitation, mais encore ? Qu’est ce que ça nous inspire déjà ce titre avant même d’ouvrir le livre?
Colette: J’aime beaucoup ce titre car c’est un de mes leit motiv dans mon métier : LES LIVRES FONT GRANDIR LES ENFANTS !!! Les livres donnent du grain à moudre à chaque petit lecteur, ils les tirent vers le haut ! Le démonstratif utilisé dans le titre quant à lui nous annonce une liste de titres, ce qui pour le lecteur avide de lectures phares est un atout indéniable. Il y a un côté prescriptif dans le titre qui n’est pas pour me déplaire, j’aime beaucoup suivre les traces de lecteurs plus expérimentés que moi .
Sophie: Bien dit ! Rien à ajouter.
Pépita: Ce que j’aime dans ce titre c’est d’affirmer clairement que les livres font grandir les enfants, que c’est une nourriture aussi essentielle à leur développement. Je suis un peu plus réservée sur le démonstratif : il sous entend que ceux là sont les meilleurs en délaissant les autres …mais en fait non, c’est trompeur car le contenu prouve le contraire. Une belle accroche donc pour un livre de référence et je te rejoins Sophie dans le fait qu’il faut l’avoir à portée de main.
Carole: Le titre est effectivement une invitation. En revanche, j’ai considéré le démonstratif « ces » comme parlant de « cette » littérature jeunesse au sens large. Comme une sorte de reconnaissance de l’importance, de la richesse, de la diversité de cette vraie littérature exigeante. Et les nombreux exemples donnés en sont l’expression, il me semble.
C’est une affirmation forte quand même ! Est-ce qu’elle parvient à convaincre, après tout, Joëlle Turin est une spécialiste des albums plus que des enfants, elle n’est pas éloignée du monde de l’enfance. Elle s’appuie sur quoi pour affirmer cela ?
Colette: Je ne savais pas que l’auteure n’était pas une spécialiste de l’enfance mais en tous cas, si elle n’a pas expérimenté les albums dont elle parle avec les enfants, elle est super forte pour dénicher ceux qui font mouche auprès du jeune public. Les albums dont elle parle sont quasiment devenus des « classiques » de la littérature jeunesse et pour en avoir lu pas mal à mes Petits-Pilotes, ce sont vraiment des livres qu’ils plébiscitent.
Sophie: Elle connait bien le développement de l’enfant, ses questionnements… et c’est ce qu’elle utilise pour thématiser son livre. Les jeux, la peur, les grandes questions philosophiques, le rapport à l’autre, les émotions, l’imagination : voilà autant de grands sujets qui sont abordés dans ce livre. On connaît (pas forcément d’ailleurs) l’importance de ces notions théoriques dans l’enfance, elle, elle rapporte ça aux livres, aux histoires qui s’en inspirent pour aider l’enfant à mieux les appréhender, mieux les comprendre.
Pépita : Oui elle parvient à convaincre car elle donne des exemples concrets de pratiques, des albums qui ont fait leurs preuves, qui sont devenus des classiques de par leur appropriation par des gens de terrain ( professionnels de la médiation du livre au sens large) et par les enfants eux-mêmes. Et parce que « lire c’est bon pour les bébés » commence à faire son chemin grâce à des pionniers en la matière.
Carole : C’est par la pratique enseignante en maternelle que je l’ai trouvé ce livre, donc plutôt du côté petite enfance que littérature. Et me servant des albums notamment comme supports pédagogiques, les pratiques qu’elles proposent sont vraiment chouettes à explorer in situ.
Ah, très bien, donc une affirmation forte (à laquelle nous adhérons sans réserve sous l’arbre mais qui peut parfois étonner), qui est argumentée à la fois par la connaissance des albums et par l’expérience de terrain. C’est effectivement les deux piliers qui font la force de cet ouvrage.
Pépita soulignait que le titre suggère que tous les livres ne sont pas également porteurs pour les enfants (l’utilisation de « ces » plutôt que « les »), qu’en est- il dans le livre?
Colette: Dans le livre, tous les exemples analysés sont des albums très forts, très originaux qui ont marqué pour beaucoup l’histoire de l’édition jeunesse, tous les titres sont porteurs de sens aussi bien pour l’adulte que pour le petit qu’il accompagne.
Pépita : Dans le livre, on ressent tout le contraire : « ces » livres-là sont à prendre vraiment dans le sens d’incontournables car ils participent de facto au développement de l’enfant : le nourrir, l’interroger, le placer face à ses angoisses, lui apporter des réponses, lui permettre de revenir encore et encore tant qu’il n’aura pas terminé sa propre appropriation. Mais le plus de ce livre, c’est de permettre à l’adulte, néophyte ou pas d’ailleurs, peu importe, d’avoir des clés de lecture, voire des clés de questionnement et de se mettre à la portée de l’enfant. Et le must de ce livre est de démontrer que la littérature pour enfants est une littérature adaptée à leurs besoins et qu’il ne faut pas s’en priver.
En effet, si on n’y trouve pas de définition de ce qu’est un « bon livre », on y trouve quantités de livres qui sont bons et on découvre pourquoi ils le sont.
L’analyse du texte, de l’image, mais aussi de l’effet qu’il produit chez le jeune lecteur à qui il s’adresse est vraiment un axe parlant.
Il me semble qu’il y a aussi, en filigrane, une vision de l’enfance, très respectueuse, et de la façon dont il est bon d’apporter des livres aux bambins (en respectant leurs désirs). Vous avez aussi été sensibles à cet aspect- là?
Sophie : Oui c’est vrai, j’ai ressenti ça aussi, cette idée qu’il faut faire confiance à l’enfant, le laisser analyser son environnement et ses émotions, lui offrir son indépendance… Toutes ces choses qui peuvent être facilitées avec les livres.
Pépita : Oui complètement. Pas de côté moralisateur mais un côté » je vous propose, à vous de disposer et de partager avec votre enfant ces livres qui ont fait leur preuves chez beaucoup d’entre eux, alors pourquoi pas le vôtre ? Essayez, vous verrez…
Colette : Absolument !!! Et une vision de la parentalité aussi peut-être. Je suis en pleine recherche sur ma manière d’être mère, comment sortir de la « violence éducative » larvée, comment se mettre à portée des enfants (les miens aussi bien que ceux que j’ai en face de moi chaque jour en classe d’ailleurs) et les exemples analysés par Joëlle Turin m’apportent des réponses. Les titres analysés dans le chapitre « venir au monde » par exemple correspondent vraiment à ce que j’ai pu vivre avec mon aîné quand nous avons parlé de la naissance, la sienne puis celle à venir de son frère : les livres cités sont des nids à eux seuls pour accueillir en douceur la parole de l’enfant.
Tiens, c’est amusant ce que tu dis Colette, je me suis fait la réflexion que dans la bibliothèque de mon quartier ce livre est classé dans les ouvrages théoriques sur la littérature jeunesse alors que moi je l’aurais mis dans ceux sur l’éducation.
Parce que après tout, la lecture et son importance, c’est des choses dont on devrait parler davantage aux jeunes parents, parfois c’est d’un plus grand secours que des ouvrages sur le développement de l’enfant ou la « bonne façon » d’être parents.
Colette : Complètement d’accord : c’est pourquoi j’aime offrir aux jeunes parents de mon entourage des albums à partager avec leurs bébés ! Et depuis deux ans lors de notre première réunion parents-professeurs, j’offre aux parents qui se déplacent un recueil de 7 histoires pressées de Bernard Friot que je les invite à lire chaque soir de la semaine avec leur ado car je suis intiment convaincue que quand on lit, on lie !
Pépita : Exactement : dans « ma » bib, j’ai créé en jeunesse un fonds professionnels ( au sens large) avec trois thématiques larges elles aussi, et ce livre est dans « éveiller l’enfant » et utiliser un verbe est beaucoup plus dynamique, cela incite à l’action.
Je vous rejoins à fond sur la parentalité qui est largement interrogée aujourd’hui.
Vous comme moi étiez déjà convaincues de l’importance de la lecture aux enfants, quand vous l’avez lu, est-ce que ce livre a été pour vous une motivation supplémentaire ? Est-ce que vous avez eu envie de découvrir des albums qu’elle cite que vous ne connaissiez pas?
Colette : Oh oui oui oui !!! Le tout petit invité d’Hélène Riff a l’air d’être une merveille aussi bien sur le fond que la forme. Je ne le connais pas du tout et j’ai très envie de le manipuler, de l’expérimenter, de le toucher ! Et puis il y a beaucoup d’albums que ce livre m’a invité à retourner voir, parce que des choses m’avaient sans doute échappé.
Pépita : Oui, d’une part en découvrir qu’on ne connaît pas et d’autre part approfondir les autres. Les albums ont cette faculté qu’ils interrogent en permanence. Par contre, c’est frustrant de lire des analyses d’albums comme celui que tu cites Colette, il est épuisé.
Sophie : En lisant ce livre, j’ai redécouvert autrement des titres que je connaissais et en effet, j’en ai découvert d’autres que j’aimerais maintenant lire. J’ai surtout eu envie de pousser ma réflexion plus loin sur certains titres. Je pense par exemple à l’album « Me voici » de Friedrich Karl Waechter qu’on avait déjà lu ici, et dont on avait fait une interprétation différente.
Pépita : Oui Sophie, je me suis faite la même réflexion.
Colette : Un titre que je ne connais pas, à découvrir !
C’est vrai que outre la découverte de nouveaux titres, on pose aussi sur les albums qu’on connait déjà un œil nouveau.
J’allais justement vous demander, pour conclure, si ce livre vous avait fait changer de regard sur un album ou fait évoluer votre façon de lire aux enfants.
Pépita : Mais sur plein d’albums ça fait changer le regard… Et c’est ça qui est bien de se remettre en cause. Sur la façon de lire non, on lit avec sa personnalité, sa voix, son corps… Je dirais que c’est plus intériorisé du coup… Par contre être plus dans l’observation pour certains albums sur la façon dont les enfants les perçoivent, oui. Et c’est magique !
Sophie : Comme Pépita, je ferais plus attention à ce qu’un album apporte particulièrement aux petits. Ce livre permet de faire un peu de rangement dans ses idées : savoir que la façon d’aborder un thème à telle ou telle signification dans le développement de l’enfant par exemple. Pour ce qui est de changer sa façon de lire, ça ne changera pas fondamentalement pour les mêmes raisons que ce qui a été dit.
Une chose est sûre, j’ai quelques lectures d’albums à prévoir et à mettre en parallèle avec le contenu de ce livre !
Colette : Ce livre n’a pas changé ma façon de lire aux enfants je pense car j’étais déjà convaincue de ce qui se joue dans la lecture d’albums mais il m’a terriblement donné envie de renouer avec l’analyse littéraire !!! J’ai eu envie en le refermant d’écrire des chroniques qui soient aussi précises, aussi sensibles à l’alliance du fond et de la forme, qui traite l’album jeunesse comme une œuvre d’art à part entière, riche de sens multiples.
Pépita : Oui et je trouve que c’est très difficile….Ce type de livre nous aide justement à prendre de la hauteur, mais à hauteur d’enfant. Et c’est déjà pas mal….
Carole : Idem, après ma première lecture, j’ai changé ma façon de proposer les albums en classe, et la disposition aussi. C’est aussi pour cette raison qu’il fait partie de mes « indispensables » toujours à portée de main. Et aujourd’hui que j’enseigne aux étrangers, je le reprends souvent. Il m’aide à remettre en question mes pratiques, ce qui dans le domaine de l’éducation, au sens large, me paraît si ce n’est nécessaire, vital, pour les élèves mais surtout pour moi. Ces livres qui nous font avancer, nous bousculent, nous questionnent, nous aident à grandir aussi, non ?
Effectivement, la lecture de cet essai est stimulante, on a envie de lire tous les albums proposés et plus encore de les lire à des enfants… A ce propos, Pépita soulignait que c’est parfois frustrant de lire les analyses d’albums épuisés. Je partage pleinement cet avis, la question des livres chers à nos cœurs qui sont actuellement indisponibles doit se poser, pourquoi pas à l’occasion d’un débat prochain à l’ombre du grand arbre ?