A l’ombre du grand arbre, les récits d’Yves Grevet ne nous ont jamais laissé indifférents. Cet auteur sait inventer avec habileté et finesse des mondes qui nous surprennent, nous bousculent et nous questionnent. Dans son roman paru en mai 2015 si poétiquement intitulé Celle qui sentait venir l’orage, l’auteur quitte la dystopie où il a excellé avec Méto ou encore Nox pour se consacrer à un récit réaliste qui plonge dans le passé : il y met en scène une adolescente, tout juste orpheline, qui se soumet, sans le savoir, aux expériences d’un scientifique féru de morphopsychologie censée servir la criminologie. Mais Frida, notre jeune héroïne, comme tous les personnages d’adolescent d’Yves Grevet, est une battante et résistera à ses oppresseurs afin de découvrir la vérité.
Pépita, Bouma, Kik et moi-même, Colette, nous nous sommes arrêtées quelques instants sur ce roman déroutant et tellement… vivant !
Celle qui sentait venir l’orage : voilà un titre bien mystérieux. Qu’ont évoqué pour vous ces mots, au seuil du roman, avant même de vous plonger dans le récit ?
Pépita : Oui beaucoup de mystère et un bien joli titre ! Il a évoqué pour moi d’emblée une angoisse sourde, difficile à cerner comme une sorte de nébuleuse néfaste qui vous tourne autour mais également des sens en alerte face à ce danger diffus.
Bouma : Connaissant déjà l’écriture d’Yves Grevet, le titre m’a tout de suite fait penser à un récit fantastique… Celle qui sentait venir l’orage… on peut le prendre au sens figuré (l’angoisse comme le souligne Pépita) ou le sens propre (le climat) et c’est vers ce sens que je penche plus naturellement.
Kik : Connaissant Yves Grevet pour ses écrits de dystopie je pensais me retrouver face à un être amélioré, prédicateur de la météo … Je n’avais pas vu juste …!
Celle qui sentait venir l’orage c’est Frida : comment la décririez vous cette jeune fille pas comme les autres ?
Pépita : Frida m’a semblé un peu froide au départ mais il faut dire que vu les circonstances vécues, elle n’avait pas trop le choix que de faire profil bas. Puis au fur et à mesure de l’histoire je l’ai trouvée d’une force extraordinaire et d’une volonté à toute épreuve pour faire éclater la vérité. Elle s’est transformée dans cet objectif, elle est plus réfléchie et déterminée, sait convaincre les autres, bref, une vraie étoffe d’héroïne ! Je l’ai trouvée très attachante et elle s’est révélée être un vrai modèle de détermination malgré l’adversité.
Bouma : Je l’ai trouvé unique, avec en elle ce mélange d’immense solitude, d’incertitude chronique et malgré tout d’espoir en l’avenir. Pour le côté physique, j’ai eu beaucoup de mal à me l’imaginer car l’image qu’elle renvoyait dépendait beaucoup d’un personnage à l’autre.
Nous avons tenté de décrire Frida, maintenant que diriez-vous de l’aventure qu’elle va vivre au fil des pages ?
Pépita : Je ne m’attendais pas à ce type d’aventure où se mêle évènement historique, enquête et de nombreux rebondissements à travers ses rencontres. Beaucoup de suspense et une découverte de l’Italie à une certaine époque.
Kik : Connaissant l’auteur Yves Grevet pour ses écrits dystopiques je ne m’attendais pas à ce roman sur fond historique. Après un moment de surprise, je me suis laissée embarquer vers le passé avec plaisir.
Bouma : Frida va vivre une véritable aventure entre quête identitaire et quête de vérité le tout étant très étroitement lié à sa famille et à leur mode de vie.
Que diriez vous justement de la famille mystérieuse de Frida? Quel personnage vous a le plus intrigué ?
Pépita : Le père sans aucune hésitation. j’ai bien failli croire à un moment ce qu’on racontait sur lui ! Et puis, non, je me suis dit que ce serait trop facile. Il est assez énigmatique ce père : un mélange de crainte et de fascination pour ma part.
Bouma : J’ai particulièrement aimé Gianluca, le libraire ancien journaliste en mal d’aventure. Sa détermination et ses connaissances sur le monde politique apporte un nouveau souffle à l’histoire
Moi aussi j’ai particulièrement aimé cet homme engagé qui va avoir tant d’importance dans la quête de Frida. La nouveauté dans ce roman par rapport aux derniers récits d’Yves Grevet, vous l’avez souligné, c’est le choix de l’arrière-plan historique et surtout scientifique : que pensez-vous de cette théorie de la morphopsychologie au service de la criminologie ?
Pépita : Telle qu’elle est présentée dans le roman, c’est plutôt une science détournée à mauvais escient. On pourrait la rapprocher du délit de faciès d’aujourd’hui. Surtout si cette science est instrumentalisée par des hommes peu scrupuleux, plus soucieux de leur carrière que de l’humain. J’ai trouvé que c’est un point très intéressant du roman que de faire connaitre cette science, et surtout les prolongements historiques désastreux qu’elle a eu. Un sujet philosophique en somme : science et conscience…
Bouma : Le fait est que les sciences, les découvertes qui y sont liées ne sont pas toujours sans conséquence. Les recherches scientifiques sont un moyen pour l’homme d’arriver à ses fins, elles sont un instrument de l’humanité et peuvent par la même produire le meilleur comme le pire. Dans ce sens, la morphopsychologie (qui en plus n’est pas une réelle science) ne fait qu’exacerber la pensée commune comme quoi certaines personnes seraient plus criminelles que d’autres par leur ascendance génétique. Et cela fait froid dans le dos quand on pense que certains y ont cru.
Yves Grevet ne s’inscrit-il pas ainsi, dans un étonnant renversement de la chronologie, dans la lignée de ces auteurs ou réalisateurs qui ont pensé la prévention des crimes par des moyens scientifiques comme Philippe K. Dick dans Minority Report (adapté au cinéma par Steven Spielberg) ou encore Andrew Niccol dans Bienvenue à Gattaca, même si là il s’agit de manipulation génétique pour obtenir le meilleur de l’humanité ? Est-ce que ce texte a fait résonner d’autres oeuvres en vous ?
Bouma : Il y a de nombreux ouvrages qui traitent des progrès de la science et de son éthique. La science-fiction en a même fait son domaine de prédilection. Je citerais plusieurs titres : Rana et le dauphin de Jeanne A. Debats chez Syros (pour les 8-10 ans) et BZRK de Michael Grant chez Gallimard (à partir de 13 ans), traient tous les deux de l’utilisation des nano-technologies et de leurs dérives ; Roby ne pleure jamais d’Eric Simard chez Syros (8-10 ans) et Partials de Dan Wells abordent le sujet de la robotique et de la frontière avec l’humanité ; enfin Yves Grevet lui-même avait déjà abordé les soucis des débordements de la science dans un texte plus court Des ados parfaits.
Au final, même s’il s’inscrit dans le passé, ce roman offre une réflexion valable à travers toutes les époques -et la nôtre en particulier – sur le rôle de la science dans la définition de ce qui est humain : quelle humanité représente donc Frida pour vous ?
Pépita : Celle du non-renoncement, celle de la non-manipulation, celle du droit des plus petits face aux puissants, donc celle de la Vérité, voire de la Démocratie
Bouma : Celle qui est libre et qui fait tout pour le rester malgré l’image d’elle-même qu’on veut lui imposer.
Et si vous souhaitez connaître plus précisément l’avis de Pépita c’est par là
et celui de Bouma est ici !
Bonne lecture !
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