Sous ta peau, le feu – de Séverine Vidal, roman reçu avant publication

Le dernier roman de Séverine Vidal, Sous ta peau, le feu, nous transporte dans le Bordelais, une vingtaine d’années avant la Révolution française, en pleine épidémie de variole. Ange, 17 ans, accompagne son père médecin qui l’initie au métier et tente de canaliser un peu ses rêves révolutionnaires : pas toujours évident face à tant de fougue – plus encore depuis sa rencontre avec la jeune Esmée dont la famille a été décimée par la maladie… Un roman historique aux accents très actuels, donc, que nous avons eu la chance de découvrir en avant-première, suite à l’entretien que Séverine Vidal nous a accordé en mars 2021. Quelques semaines plus tard, nous recevions Sous ta peau le feu avant parution, pour une lecture attentive et enthousiaste, assortie de l’invitation à faire part de nos retours à l’autrice. Dans ce billet, nous revenons sur cette expérience qui ne nous a pas laissées indifférentes !

Sous ta peau, le feu de Séverine Vidal, Nathan, 2021.

Comment avez-vous eu connaissance de l’opportunité de lire Sous ta peau, le feu avant publication ? Aviez-vous déjà eu de telles occasions ? Si oui pour quels textes ?

Isabelle : C’est Pépita, branche fondatrice de notre bel arbre, qui a été contactée début 2021 par Séverine Vidal suite à l’entretien qu’elle nous avait accordé. L’autrice était intéressée d’avoir des retours sur son manuscrit. Je savais déjà que j’appréciais ses livres, je n’avais jamais eu l’occasion de commenter un roman en amont de sa publication, j’aimais l’idée que nous soyons plusieurs par ici à nous prêter à l’exercice en même temps : j’ai saisi la perche !

Lucie : Tout comme Isabelle. Pour moi, c’était une première pour un roman jeunesse, mais j’ai l’habitude de le faire pour les romans de mon mari. Cela dit, l’expérience a été très différente ici, car j’ai aussi beaucoup apprécié de pouvoir en discuter avec vous. Comme toujours, on ne voit pas toutes les mêmes choses et c’est enrichissant !

Colette : Je n’avais jamais non plus eu une telle opportunité. J’ai vraiment vécu cela comme un cadeau, une précieuse faveur d’autant plus que je venais de lire plusieurs romans de Séverine Vidal que j’avais vraiment beaucoup appréciés, Des astres et Soleil glacé. Qu’une autrice comme Sévérine Vidal nous confie son texte, c’était pour moi la preuve très concrète que ce que nous faisons A l’ombre du grand arbre compte pour les auteur.e.s.

LiraLoin : Tout comme vous, c’est après l’interview qu’elle nous accordé que, très vite, nous avons été sollicitées pour lire son roman avant publication. J’ai été tout de suite très émue et enthousiaste. En effet, j’avais déjà lu la Drôle d’évasion, Pëppo et L’Été des Perséides.

Que vous a apporté cette expérience ?

LiraLoin : Beaucoup, car c’était une première et j’ai trouvé cette démarche intéressante. Le plus amusant c’était de vous savoir toutes en train de lire le roman, un p’tit lien malgré cette distance. Après, j’étais hyper stressée car pas du tout à l’aise avec l’exercice : j’aime analyser, mais pas critiquer. Je n’ai pas assez confiance en moi pour expliquer à un auteur que tel ou tel passage n’est pas plaisant ou qu’il manque des précisions… Séverine Vidal n’est pas une débutante ! Lorsque j’ai lu vos retours, je me suis sentie un peu naze car les miens n’étaient pas aussi précis que les vôtres. J’ai bien aimé mais je ne suis pas certaine d’être à la hauteur de ce que peut attendre un écrivain.

Colette : J’ai adoré cette expérience car elle a légèrement modifié ma manière de lire ce texte : j’ai été beaucoup plus attentive à la structure du récit, d’autant plus que dans Sous ta peau, le feu, la structure en deux parties est vraiment fondamentale. Savoir que nous participions à un texte en cours d’écriture, une sorte de work in progress, c’était vraiment enthousiasmant intellectuellement : nous étions en quelque sorte en train d’écrire le texte à plusieurs mains et j’ai toujours été très intriguée par les procédures d’écriture collective découvertes lors de mes études de lettres (démarches de l’OULIPO, ou des surréalistes avec les cadavres exquis par exemple). Au-delà de la démarche artistique, il y a aussi la démarche relationnelle qui m’a beaucoup plu : une auteure nous faisait confiance, nous étions toutes en train de lire le même texte, en même temps, de manière unanime, c’est finalement une expérience de vie assez extraordinaire.

Lucie : Je vous rejoins sur le sentiment de légitimité qu’une telle proposition apporte à notre blog, le plaisir de vous imaginer en train de découvrir le texte en même temps que moi (et en avant-première !), nos échanges à son sujet… Mais aussi sur la difficulté à cerner ce que Séverine Vidal attendait réellement de nous. Comme tu le dis Frédérique, ce n’est pas son premier roman : attendait-elle simplement une validation ou des retours sincères ? Et, le cas échéant, qui suis-je pour lui dire que tel personnage agit de manière illogique ? Pas simple de trouver l’équilibre et le ton juste dans le mail que je lui ai envoyé ! En bref, j’ai adoré partager cette expérience avec vous, mais ce n’était pas forcément évident.

Isabelle : C’est vrai que c’est excitant d’avoir dans les mains un texte encore ouvert. J’ai surmonté les questionnements que vous évoquez en me disant que Séverine Vidal s’intéressait à l’avis de celles et ceux à qui ce roman s’adresse : ses lecteur.ice.s. Et en la matière, nous étions légitimes pour lui faire part de notre sentiment, en tant que grandes consommatrices de livres !

En quoi est-ce une expérience de lecture différente d’une lecture de texte publié ?

Isabelle : La demande d’un retour, sur un texte qui pouvait encore bouger a beaucoup modifié ma manière de lire. Je ne me suis pas complètement autorisée à glisser dans l’histoire, me posant en cours de lecture des questions qui n’émergeraient normalement qu’au moment d’écrire mon billet, après avoir terminé le livre (ou même pas du tout) : le récit était-il cohérent sur tous les points ? Bien construit ? Manquait-il quelque chose ? C’est comme ça que j’ai remarqué que si on recoupait les informations sur l’histoire d’Ange, on se rendait compte que ce personnage avait dû prendre une décision très importante à seulement cinq ans. Je n’aurais jamais remarqué cela en lisant « normalement » le roman, mais certain.e.s lecteur.ice.s, notamment les jeunes, peuvent être très attentifs à ce genre de détails. C’est un point que l’autrice a modifié dans le manuscrit final, je suis heureuse si mes remarques ont été utiles.

LiraLoin : J’ai lu avec attention mais je n’ai pas pris le temps d’analyser comme vous l’avez fait et je dois avouer qu’une deuxième lecture aurait eu plus d’impact. Ma première lecture n’a pas suffi pour repérer tous les détails. Comme je le disais, j’avais la pression : qui suis-je pour me permettre de faire des retours ? Je suis restée trop focalisée sur les sensations que m’apportait l’écriture et j’ai eu du mal à me détacher de cette sensation que me procuraient les mots. Si c’était à refaire, j’aborderais ma lecture différemment.

Colette : J’ai vécu cette opportunité comme une occasion de pouvoir faire mes remarques de lectrice en direct à l’auteure, mais pas du tout dans l’esprit d’une correctrice. Je n’ai pas pensé que Séverine Vidal changerait des choses dans son récit et d’ailleurs je n’ai toujours pas lu la version définitive mais à te lire, Isabelle, je comprends que l’auteure a tenu compte de certaines de nos remarques – et j’en suis encore plus honorée ! Pour résumer c’était une expérience de lecture différente parce que je pouvais communiquer avec l’auteure mais comme Frédérique je me suis complètement laissée emporter par les mots, enfiévrée par cette passionnante histoire d’amour naissant et de femmes puissantes !

Lucie : Tout à fait d’accord avec Colette, je l’ai plus lu comme un texte achevé, avec toutefois la possibilité d’émettre quelques petites remarques, mais pas celle d’en modifier la structure ou l’histoire. Là, pour le coup, je ne me serais pas sentie légitime du tout !

Qu’est-ce qui vous a marquées à la lecture, quels sont les aspects sur lesquels vous avez échangé avec l’autrice ?

LiraLoin : J’ai apprécié l’actualité de cette lecture : satané virus ! Un point que j’ai transmis à l’autrice concernait le besoin, de mon point de vue, de plus de descriptions de paysages pour bien ancrer les scènes. Ça commençait bien avec la description du château mais je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à plus de détails.

Lucie : Je te rejoins Frédérique. Je n’ai peut-être pas été assez attentive au début, mais je n’avais pas compris où se situait l’histoire : j’ai un peu manqué de descriptions ou d’indices géographiques. Séverine Vidal m’a répondu avoir situé l’action à Lacanau (La Canau, à l’époque), mais elle n’a pas eu envie de tout nommer avec précision. J’ai noté aussi de très jolies phrases et trouvé le parallèle entre les chimères et Ange intéressant : sa situation (n’en disons pas plus ici pour ne pas divulgâcher) est tellement étonnante pour l’époque !

Isabelle : C’est drôle ce que tu dis sur les chimères, c’est un aspect qui m’a interrogée aussi. Je me suis demandé pourquoi le père d’Esmée a des préoccupation aussi particulières (livres en cuir humain – qui ont vraiment existé, je suis allée vérifier, taxidermie, construction de ces fameuses chimères), ou plus précisément quel rôle cela jouait pour l’intrigue. Je n’avais pas pensé à faire ce parallèle avec Ange !
Si quelque chose m’a fait un peu tiquer, ce serait peut-être des doutes quant à la crédibilité d’un homme comme le père d’Ange. Je me suis demandée si la tonalité de certains dialogues marqués par la connivence entre Ange et son père manquait de crédibilité. Les deux évoquent leur époque avec beaucoup d’ironie (« Prête à épouser un beau garçon et le servir, ta vie durant ? »), tout cela me semblait difficile à s’imaginer au XVIIIe siècle. J’ignore peut-être certaines prémisses des idées « féministes », mais il me semble que c’est quelque chose qui se développe de façon aussi explicite plutôt au siècle suivant.

LiraLoin : Je me suis aussi demandé si, à l’époque, même un médecin était aussi ouvert d’esprit.

Colette : L’époque de la narration est celle qui voit la naissance d’Olympe de Gouges, pionnière du féminisme en France, donc il ne me paraît pas incongru que des jeunes gens portent déjà – à voix basse – les réflexions menées par Ange. D’ailleurs ce n’est sans doute pas un hasard si sa mère se prénommait Olympe.

Isabelle : Oui. Mais Olympe de Gouges est vraiment une pionnière. Ce n’est pas facile pour un enfant de médecin élevé par son père à la campagne de penser hors des cases en s’affranchissant de toutes les normes de son époque – beaucoup plus tard, dans un tout autre contexte, Marx avait développé son concept d’aliénation pour susciter des prises de conscience qui semblèrent longtemps impossible malgré des injustices criantes et des situations de facto insupportables. Pour vous donner une comparaison, j’ai trouvé que la prise de conscience et le cheminement vers l’émancipation étaient plus crédibles dans le roman sur Rosa Bonheur : nous sommes cinquante ans plus tard, son père est un Saint-Simoniste et donc formé aux idées progressistes et malgré cela, son discours (apprends la couture pour pouvoir rester indépendante matériellement) doit être replacé dans l’époque pour en saisir tout le côté pionnier. Et Rosa chemine pas à pas.

Comment avez-vous vécu la correspondance avec Severine Vidal ?

Colette : J’ai trouvé cette correspondance très motivante car c’est à cette occasion que j’ai découvert que Sévérine Vidal vivait près de chez moi et surtout dans le village d’une collègue chère à mon cœur qui est très engagée pour la culture. Des liens se sont créés entre nous trois : ma collègue a commandé plusieurs livres de Séverine Vidal pour la bibliothèque de son village, se servant de mes chroniques pour les valoriser et communiquant avec Séverine pour des animations à la bibliothèque. J’ai eu la chance de rencontrer Séverine Vidal au festival Lire en poche de Gradignan et elle m’a tout de suite associée au Grand Arbre et à notre lecture commune de Sous ta peau, le feu. C’est un sentiment tellement agréable que celui d’appartenir à un cercle d’autrices et de lectrices !

Lucie : Comme je l’ai dit, j’étais dans mes petits souliers. Pas facile de trouver les mots justes, faire attention à la sensibilité de l’auteur qui prenait le risque de nous faire lire son roman encore inachevé.

LiraLoin : C’était aussi assez angoissant pour moi, comme une attente de résultat lors d’un entretien d’embauche. Je n’attendais pas grand chose vu le peu de remarques que j’ai pu faire sur mon retour de lecture et c’est pour cela que je n’étais pas à l’aise. Je ne me sentais pas du tout légitime. Mais j’ai été ravie que Séverine Vidal me réponde et prenne en compte mes suggestions.

Isabelle : Je trouve que vous mettez bien en mots ce qu’un tel échange peut avoir de grisant et d’intimidant en même temps. Quand on chronique des livres, on a parfois la chance de pouvoir dialoguer avec l’auteur.ice. C’était la première fois pour moi qu’un tel dialogue se faisait en amont de la publication, mais l’expérience se rapprochait de la situation où un.e. auteur.ice lit notre billet et prend le temps de réagir. Cela fait toujours immensément plaisir et donne l’impression d’être prise au sérieux par celles et ceux qui écrivent nos livres. Ils sont souvent curieux de sonder notre expérience de lecture. En même temps, c’est intimidant comme vous le soulignez. Et cela peut être étrange quand on a lu déjà plusieurs livres parce qu’écrire et lire, c’est quelque chose d’assez intime et que même si on ne se connait pas personnellement, on peut avoir l’impression d’avoir partagé quelque chose d’assez personnel.

Suite à nos échanges, Séverine Vidal a eu la gentillesse de nous répondre de façon individuelle et de nous envoyer un exemplaire de son roman paru en août avec cette dédicace.

Sans oublier notre collectionneuse de papillons, Colette…

La dédicace finale a-t-elle eu une résonance particulière pour vous ?

LiraLoin : Une très grande fierté m’a envahie, celle d’appartenir à ce groupe de blogueuses : A l’Ombre du Grand Arbre. C’était la première fois aussi que mon prénom était cité en remerciement. J’ai été très touchée.

Colette : D’une certaine manière oui, car j’ai été oubliée par l’éditeur dans la dédicace ! Je pense que je ne m’en serais pas rendu compte mais Séverine Vidal y a été très attentive et me l’a signalé par mail. J’ai trouvé cette attention assez exceptionnelle. Le plus important me semble-t-il, comme le disait Lucie, c’est la reconnaissance du travail mené ensemble à l’ombre de notre grand arbre : lire Sous ta peau, le feu en avant-première a été une aventure très fédératrice ! Et je suis prête à recommencer !

Lucie : J’ai trouvé cette attention très sympa, et surtout me retrouver citée avec vous, en collectif (même s’il manquait Colette qui avait partagé cette lecture avec nous) m’a vraiment plu. Petite fierté partagée. J’espère avoir l’occasion de renouveler l’expérience !

Merci encore à Séverine Vidal pour sa disponibilité et sa gentillesse !

Pour finir de vous donner envie de lire Sous ta peau, le feu, n’hésitez pas à lire les avis complets de Linda, Isabelle et Lucie !