Sous ta peau, le feu – de Séverine Vidal, roman reçu avant publication

Le dernier roman de Séverine Vidal, Sous ta peau, le feu, nous transporte dans le Bordelais, une vingtaine d’années avant la Révolution française, en pleine épidémie de variole. Ange, 17 ans, accompagne son père médecin qui l’initie au métier et tente de canaliser un peu ses rêves révolutionnaires : pas toujours évident face à tant de fougue – plus encore depuis sa rencontre avec la jeune Esmée dont la famille a été décimée par la maladie… Un roman historique aux accents très actuels, donc, que nous avons eu la chance de découvrir en avant-première, suite à l’entretien que Séverine Vidal nous a accordé en mars 2021. Quelques semaines plus tard, nous recevions Sous ta peau le feu avant parution, pour une lecture attentive et enthousiaste, assortie de l’invitation à faire part de nos retours à l’autrice. Dans ce billet, nous revenons sur cette expérience qui ne nous a pas laissées indifférentes !

Sous ta peau, le feu de Séverine Vidal, Nathan, 2021.

Comment avez-vous eu connaissance de l’opportunité de lire Sous ta peau, le feu avant publication ? Aviez-vous déjà eu de telles occasions ? Si oui pour quels textes ?

Isabelle : C’est Pépita, branche fondatrice de notre bel arbre, qui a été contactée début 2021 par Séverine Vidal suite à l’entretien qu’elle nous avait accordé. L’autrice était intéressée d’avoir des retours sur son manuscrit. Je savais déjà que j’appréciais ses livres, je n’avais jamais eu l’occasion de commenter un roman en amont de sa publication, j’aimais l’idée que nous soyons plusieurs par ici à nous prêter à l’exercice en même temps : j’ai saisi la perche !

Lucie : Tout comme Isabelle. Pour moi, c’était une première pour un roman jeunesse, mais j’ai l’habitude de le faire pour les romans de mon mari. Cela dit, l’expérience a été très différente ici, car j’ai aussi beaucoup apprécié de pouvoir en discuter avec vous. Comme toujours, on ne voit pas toutes les mêmes choses et c’est enrichissant !

Colette : Je n’avais jamais non plus eu une telle opportunité. J’ai vraiment vécu cela comme un cadeau, une précieuse faveur d’autant plus que je venais de lire plusieurs romans de Séverine Vidal que j’avais vraiment beaucoup appréciés, Des astres et Soleil glacé. Qu’une autrice comme Sévérine Vidal nous confie son texte, c’était pour moi la preuve très concrète que ce que nous faisons A l’ombre du grand arbre compte pour les auteur.e.s.

LiraLoin : Tout comme vous, c’est après l’interview qu’elle nous accordé que, très vite, nous avons été sollicitées pour lire son roman avant publication. J’ai été tout de suite très émue et enthousiaste. En effet, j’avais déjà lu la Drôle d’évasion, Pëppo et L’Été des Perséides.

Que vous a apporté cette expérience ?

LiraLoin : Beaucoup, car c’était une première et j’ai trouvé cette démarche intéressante. Le plus amusant c’était de vous savoir toutes en train de lire le roman, un p’tit lien malgré cette distance. Après, j’étais hyper stressée car pas du tout à l’aise avec l’exercice : j’aime analyser, mais pas critiquer. Je n’ai pas assez confiance en moi pour expliquer à un auteur que tel ou tel passage n’est pas plaisant ou qu’il manque des précisions… Séverine Vidal n’est pas une débutante ! Lorsque j’ai lu vos retours, je me suis sentie un peu naze car les miens n’étaient pas aussi précis que les vôtres. J’ai bien aimé mais je ne suis pas certaine d’être à la hauteur de ce que peut attendre un écrivain.

Colette : J’ai adoré cette expérience car elle a légèrement modifié ma manière de lire ce texte : j’ai été beaucoup plus attentive à la structure du récit, d’autant plus que dans Sous ta peau, le feu, la structure en deux parties est vraiment fondamentale. Savoir que nous participions à un texte en cours d’écriture, une sorte de work in progress, c’était vraiment enthousiasmant intellectuellement : nous étions en quelque sorte en train d’écrire le texte à plusieurs mains et j’ai toujours été très intriguée par les procédures d’écriture collective découvertes lors de mes études de lettres (démarches de l’OULIPO, ou des surréalistes avec les cadavres exquis par exemple). Au-delà de la démarche artistique, il y a aussi la démarche relationnelle qui m’a beaucoup plu : une auteure nous faisait confiance, nous étions toutes en train de lire le même texte, en même temps, de manière unanime, c’est finalement une expérience de vie assez extraordinaire.

Lucie : Je vous rejoins sur le sentiment de légitimité qu’une telle proposition apporte à notre blog, le plaisir de vous imaginer en train de découvrir le texte en même temps que moi (et en avant-première !), nos échanges à son sujet… Mais aussi sur la difficulté à cerner ce que Séverine Vidal attendait réellement de nous. Comme tu le dis Frédérique, ce n’est pas son premier roman : attendait-elle simplement une validation ou des retours sincères ? Et, le cas échéant, qui suis-je pour lui dire que tel personnage agit de manière illogique ? Pas simple de trouver l’équilibre et le ton juste dans le mail que je lui ai envoyé ! En bref, j’ai adoré partager cette expérience avec vous, mais ce n’était pas forcément évident.

Isabelle : C’est vrai que c’est excitant d’avoir dans les mains un texte encore ouvert. J’ai surmonté les questionnements que vous évoquez en me disant que Séverine Vidal s’intéressait à l’avis de celles et ceux à qui ce roman s’adresse : ses lecteur.ice.s. Et en la matière, nous étions légitimes pour lui faire part de notre sentiment, en tant que grandes consommatrices de livres !

En quoi est-ce une expérience de lecture différente d’une lecture de texte publié ?

Isabelle : La demande d’un retour, sur un texte qui pouvait encore bouger a beaucoup modifié ma manière de lire. Je ne me suis pas complètement autorisée à glisser dans l’histoire, me posant en cours de lecture des questions qui n’émergeraient normalement qu’au moment d’écrire mon billet, après avoir terminé le livre (ou même pas du tout) : le récit était-il cohérent sur tous les points ? Bien construit ? Manquait-il quelque chose ? C’est comme ça que j’ai remarqué que si on recoupait les informations sur l’histoire d’Ange, on se rendait compte que ce personnage avait dû prendre une décision très importante à seulement cinq ans. Je n’aurais jamais remarqué cela en lisant « normalement » le roman, mais certain.e.s lecteur.ice.s, notamment les jeunes, peuvent être très attentifs à ce genre de détails. C’est un point que l’autrice a modifié dans le manuscrit final, je suis heureuse si mes remarques ont été utiles.

LiraLoin : J’ai lu avec attention mais je n’ai pas pris le temps d’analyser comme vous l’avez fait et je dois avouer qu’une deuxième lecture aurait eu plus d’impact. Ma première lecture n’a pas suffi pour repérer tous les détails. Comme je le disais, j’avais la pression : qui suis-je pour me permettre de faire des retours ? Je suis restée trop focalisée sur les sensations que m’apportait l’écriture et j’ai eu du mal à me détacher de cette sensation que me procuraient les mots. Si c’était à refaire, j’aborderais ma lecture différemment.

Colette : J’ai vécu cette opportunité comme une occasion de pouvoir faire mes remarques de lectrice en direct à l’auteure, mais pas du tout dans l’esprit d’une correctrice. Je n’ai pas pensé que Séverine Vidal changerait des choses dans son récit et d’ailleurs je n’ai toujours pas lu la version définitive mais à te lire, Isabelle, je comprends que l’auteure a tenu compte de certaines de nos remarques – et j’en suis encore plus honorée ! Pour résumer c’était une expérience de lecture différente parce que je pouvais communiquer avec l’auteure mais comme Frédérique je me suis complètement laissée emporter par les mots, enfiévrée par cette passionnante histoire d’amour naissant et de femmes puissantes !

Lucie : Tout à fait d’accord avec Colette, je l’ai plus lu comme un texte achevé, avec toutefois la possibilité d’émettre quelques petites remarques, mais pas celle d’en modifier la structure ou l’histoire. Là, pour le coup, je ne me serais pas sentie légitime du tout !

Qu’est-ce qui vous a marquées à la lecture, quels sont les aspects sur lesquels vous avez échangé avec l’autrice ?

LiraLoin : J’ai apprécié l’actualité de cette lecture : satané virus ! Un point que j’ai transmis à l’autrice concernait le besoin, de mon point de vue, de plus de descriptions de paysages pour bien ancrer les scènes. Ça commençait bien avec la description du château mais je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à plus de détails.

Lucie : Je te rejoins Frédérique. Je n’ai peut-être pas été assez attentive au début, mais je n’avais pas compris où se situait l’histoire : j’ai un peu manqué de descriptions ou d’indices géographiques. Séverine Vidal m’a répondu avoir situé l’action à Lacanau (La Canau, à l’époque), mais elle n’a pas eu envie de tout nommer avec précision. J’ai noté aussi de très jolies phrases et trouvé le parallèle entre les chimères et Ange intéressant : sa situation (n’en disons pas plus ici pour ne pas divulgâcher) est tellement étonnante pour l’époque !

Isabelle : C’est drôle ce que tu dis sur les chimères, c’est un aspect qui m’a interrogée aussi. Je me suis demandé pourquoi le père d’Esmée a des préoccupation aussi particulières (livres en cuir humain – qui ont vraiment existé, je suis allée vérifier, taxidermie, construction de ces fameuses chimères), ou plus précisément quel rôle cela jouait pour l’intrigue. Je n’avais pas pensé à faire ce parallèle avec Ange !
Si quelque chose m’a fait un peu tiquer, ce serait peut-être des doutes quant à la crédibilité d’un homme comme le père d’Ange. Je me suis demandée si la tonalité de certains dialogues marqués par la connivence entre Ange et son père manquait de crédibilité. Les deux évoquent leur époque avec beaucoup d’ironie (« Prête à épouser un beau garçon et le servir, ta vie durant ? »), tout cela me semblait difficile à s’imaginer au XVIIIe siècle. J’ignore peut-être certaines prémisses des idées « féministes », mais il me semble que c’est quelque chose qui se développe de façon aussi explicite plutôt au siècle suivant.

LiraLoin : Je me suis aussi demandé si, à l’époque, même un médecin était aussi ouvert d’esprit.

Colette : L’époque de la narration est celle qui voit la naissance d’Olympe de Gouges, pionnière du féminisme en France, donc il ne me paraît pas incongru que des jeunes gens portent déjà – à voix basse – les réflexions menées par Ange. D’ailleurs ce n’est sans doute pas un hasard si sa mère se prénommait Olympe.

Isabelle : Oui. Mais Olympe de Gouges est vraiment une pionnière. Ce n’est pas facile pour un enfant de médecin élevé par son père à la campagne de penser hors des cases en s’affranchissant de toutes les normes de son époque – beaucoup plus tard, dans un tout autre contexte, Marx avait développé son concept d’aliénation pour susciter des prises de conscience qui semblèrent longtemps impossible malgré des injustices criantes et des situations de facto insupportables. Pour vous donner une comparaison, j’ai trouvé que la prise de conscience et le cheminement vers l’émancipation étaient plus crédibles dans le roman sur Rosa Bonheur : nous sommes cinquante ans plus tard, son père est un Saint-Simoniste et donc formé aux idées progressistes et malgré cela, son discours (apprends la couture pour pouvoir rester indépendante matériellement) doit être replacé dans l’époque pour en saisir tout le côté pionnier. Et Rosa chemine pas à pas.

Comment avez-vous vécu la correspondance avec Severine Vidal ?

Colette : J’ai trouvé cette correspondance très motivante car c’est à cette occasion que j’ai découvert que Sévérine Vidal vivait près de chez moi et surtout dans le village d’une collègue chère à mon cœur qui est très engagée pour la culture. Des liens se sont créés entre nous trois : ma collègue a commandé plusieurs livres de Séverine Vidal pour la bibliothèque de son village, se servant de mes chroniques pour les valoriser et communiquant avec Séverine pour des animations à la bibliothèque. J’ai eu la chance de rencontrer Séverine Vidal au festival Lire en poche de Gradignan et elle m’a tout de suite associée au Grand Arbre et à notre lecture commune de Sous ta peau, le feu. C’est un sentiment tellement agréable que celui d’appartenir à un cercle d’autrices et de lectrices !

Lucie : Comme je l’ai dit, j’étais dans mes petits souliers. Pas facile de trouver les mots justes, faire attention à la sensibilité de l’auteur qui prenait le risque de nous faire lire son roman encore inachevé.

LiraLoin : C’était aussi assez angoissant pour moi, comme une attente de résultat lors d’un entretien d’embauche. Je n’attendais pas grand chose vu le peu de remarques que j’ai pu faire sur mon retour de lecture et c’est pour cela que je n’étais pas à l’aise. Je ne me sentais pas du tout légitime. Mais j’ai été ravie que Séverine Vidal me réponde et prenne en compte mes suggestions.

Isabelle : Je trouve que vous mettez bien en mots ce qu’un tel échange peut avoir de grisant et d’intimidant en même temps. Quand on chronique des livres, on a parfois la chance de pouvoir dialoguer avec l’auteur.ice. C’était la première fois pour moi qu’un tel dialogue se faisait en amont de la publication, mais l’expérience se rapprochait de la situation où un.e. auteur.ice lit notre billet et prend le temps de réagir. Cela fait toujours immensément plaisir et donne l’impression d’être prise au sérieux par celles et ceux qui écrivent nos livres. Ils sont souvent curieux de sonder notre expérience de lecture. En même temps, c’est intimidant comme vous le soulignez. Et cela peut être étrange quand on a lu déjà plusieurs livres parce qu’écrire et lire, c’est quelque chose d’assez intime et que même si on ne se connait pas personnellement, on peut avoir l’impression d’avoir partagé quelque chose d’assez personnel.

Suite à nos échanges, Séverine Vidal a eu la gentillesse de nous répondre de façon individuelle et de nous envoyer un exemplaire de son roman paru en août avec cette dédicace.

Sans oublier notre collectionneuse de papillons, Colette…

La dédicace finale a-t-elle eu une résonance particulière pour vous ?

LiraLoin : Une très grande fierté m’a envahie, celle d’appartenir à ce groupe de blogueuses : A l’Ombre du Grand Arbre. C’était la première fois aussi que mon prénom était cité en remerciement. J’ai été très touchée.

Colette : D’une certaine manière oui, car j’ai été oubliée par l’éditeur dans la dédicace ! Je pense que je ne m’en serais pas rendu compte mais Séverine Vidal y a été très attentive et me l’a signalé par mail. J’ai trouvé cette attention assez exceptionnelle. Le plus important me semble-t-il, comme le disait Lucie, c’est la reconnaissance du travail mené ensemble à l’ombre de notre grand arbre : lire Sous ta peau, le feu en avant-première a été une aventure très fédératrice ! Et je suis prête à recommencer !

Lucie : J’ai trouvé cette attention très sympa, et surtout me retrouver citée avec vous, en collectif (même s’il manquait Colette qui avait partagé cette lecture avec nous) m’a vraiment plu. Petite fierté partagée. J’espère avoir l’occasion de renouveler l’expérience !

Merci encore à Séverine Vidal pour sa disponibilité et sa gentillesse !

Pour finir de vous donner envie de lire Sous ta peau, le feu, n’hésitez pas à lire les avis complets de Linda, Isabelle et Lucie !


Entretien avec Séverine Vidal

Il y a des autrices dont on aime lire les écrits et dont on suit les parutions avec impatience. Séverine Vidal est de celle-là. J’ai eu la chance de la rencontrer, elle réside en plus dans la même région que moi, et en plus, c’est une fidèle du blog ! Ayant gentiment commenté notre article consacré aux plaisirs minuscules qui comportait deux de ses ouvrages, nous avons saisi l’occasion de lui proposer un entretien. Voici le résultat !

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De quelle manière choisissez-vous le sujet de vos histoires ? Vous partez d’un mot, d’une situation ? Est-ce qu’il s’impose ? Est-ce que vous écrivez avec un lecteur en tête ?

Je ne choisis jamais un sujet, ni un message à faire passer. Je choisis un personnage. Je l’invente (c’est une étape, cette rencontre, qui ne se passe que dans ma tête ; je ne prends aucune note à ce stade), nous faisons connaissance. Puis je le suis, je la suis, je les suis. Ils m’embarquent, ces personnages, vraiment. L’idée de ce personnage peut surgir, de façon presque brutale, sans préavis, d’un mot entendu, d’une silhouette, d’une histoire qu’on me raconte, d’une chanson. Ou elle peut naître d’une construction lente, comme si je tournais autour des semaines avant de l’atteindre. Je ne suis pas sûre d’être très claire, là ! Il y a des personnages qui s’imposent, oui, parce que je les rencontre dans la « vraie vie » et que j’ai envie d’inventer l’histoire qui « va » avec. Récemment, le personnage d’Yvonne dans notre BD Le Plongeon (avec Victor Pinel, Grand Angle), ou Pierrot dans mon roman Soleil Glacé  (coll R) : je me suis inspirée de résidents d’EHPAD (pour l’une) ou de foyers pour adultes en situation de handicap (pour l’autre). De nos échanges lors d’ateliers d’écriture que j’y ai menés. Ces personnages sont le fruit d’une matière brute : l’émotion.

Je n’écris pas avec un lecteur en tête. Jamais. Je n’y pense pas. C’est plus tard, ça. Au moment de la parution, quand je lâche mon livre, quand il n’est plus tout à fait à moi, que je dois le partager. Là, j’attends les premiers retours fébrilement. Il y a un vrai vertige, là. D’ailleurs, j’ai l’impression que si on n’aime pas mon livre, c’est moi qu’on rejette. Ça ne s’arrange ni avec les années, ni avec les succès, les prix… Si j’ai un article négatif et deux cents coups de cœur, ce qui tourne le soir dans ma tête, hélas, c’est l’article négatif.

Vous sentez-vous reconnue comme une autrice à part entière ?

Heureusement, oui. C’est mon métier depuis 2011. Et même si j’ai commencé tard (à 40 ans), même si je ne viens pas de ce milieu (j’étais enseignante), même si j’ai pu me laisser grignoter, parfois, par le fameux syndrome de l’imposteur (il faudra que je cherche le féminin de ce mot), je sais que je suis à ma place. Ça n’empêche ni les doutes (j’aime douter), ni la peur.

Vous touchez à tout : albums, premières lectures, bandes dessinées, romans.  Est-ce un travail différent ? Avez-vous une préférence ? Ou avez-vous besoin de toucher à tout ?

C’est un travail différent, on n’aborde pas de la même façon un album pour les tout-petits et un roman pour ados ou encore un scénario de BD adulte. C’est ça qui me plaît  ! La richesse, la variété, le fait de mener, toujours, plusieurs projets de front, de ne rien me refuser, et qu’une journée ne ressemble pas à la précédente, ce sont des choses que je recherche. Je travaille en général sur six ou sept projets en même temps, un roman qui occupe mes après-midis, plusieurs projets BD à différents stades d’avancement (prise de note pour l’un, étape du séquencier pour un autre, écriture du scénario et travail sur le découpage pour un autre encore…), la rédaction de synopsis pour mes prochains romans (de façon à les proposer à mes éditeurs ou éditrices), l’écriture d’albums. J’aime écrire. C’est mon moteur. Et j’aime varier les plaisirs 🙂

Parlons de vos romans dans lesquels il y a beaucoup d’humour. Est-ce pour dédramatiser certaines situations ?

Souvent, oui. J’aborde parfois des thèmes qu’on pourrait considérer comme lourds, difficiles. L’humour permet d’en alléger la charge, permet la respiration. C’est le cas dans la vie  : l’humour nous sauve. Rire de soi, rire avec les autres, tordre le quotidien pour le rendre drôle, même dans les pires moments. On expérimente ça tous les jours, surtout en ce moment. Heureusement qu’il reste ça, l’humour, qui est contagieux lui aussi.
Mon envie, quand j’écris, c’est de suivre mes personnages, de créer des situations « justes ». Je vis la scène, de l’intérieur, je mets les dialogues en voix, et l’humour, un certain décalage, viennent spontanément.

Le thème du road trip revient souvent dans vos textes : avez-vous, vous-même, entrepris ce genre de voyage et si oui, est-ce votre propre expérience qui vous a inspirée ? Est-ce un ressort narratif particulièrement « pratique » pour s’extraire de la réalité et du quotidien afin de permettre à des liens familiaux (intergénérationnels ou générationnels) de se construire ?

Oui, vous avez raison, mes personnages sont presque toujours en mouvement ! Je ne m’en étais pas spécialement rendu compte, quand un élève en classe me l’a fait remarquer il y a quelques années. Il avait lu Quelqu’un qu’on aime et Lâcher sa main. Il m’arrive quand même d’avoir des personnages statiques, ha ha, dans Pëppo ou dans La Maison de la Plage, par exemple. Mais, naturellement, j’ai envie de les faire voyager, bouger, comme si leur évolution passait par là. Pour Quelqu’un qu’on aime, oui, je me suis inspirée d’un voyage que j’ai eu la chance de faire en 2013, aux États-Unis. Le livre est né en route, là-bas. Mais, dans d’autres cas, au contraire, je fais voyager mes personnages alors que je suis plutôt casanière et que j’adore, tout simplement, être chez moi ! Je fais parfois faire à mes personnages les voyages dont je rêve, ou les voyages que je n’ai pas faits.

Dans   votre dernier roman L’été des Perséides, vous rédigez un joli paragraphe sur votre mari Jérôme dans les remerciements. Vous indiquez que c’est lui qui a cru en votre écriture et n’a cessé de vous « remettre au travail lorsque vous pensiez que tout était foutu ». Est-ce que la famille vous donne cette force pour écrire ? Sont-elles des personnes ressources ?

La famille au sens large, oui. Je fais lire mes manuscrits à pas mal de monde avant de les envoyer à mes éditeurs ou éditrices. Des collègues auteurs.trices, des bookstagrameurs.euses… et à mes enfants ou mon mari. A quelques ami.es. Jérôme lit tout ce que j’écris, chaque jour. Il lit ou il m’écoute lui lire à haute voix, à l’apéro (il est brasseur, on teste ses bières en même temps), le chapitre du jour ! C’est essentiel pour moi. Le « cas » de L’été des Perséides est un peu particulier dans ma bibliographie. C’est le seul de mes romans que j’ai écrit en deux fois, avec un intermède d’un an et demi entre la première partie du roman et la dernière. Le seul que j’ai pensé abandonner parce que j’avais l’impression de ne pas y arriver. Je faisais un vrai pas de côté avec ce roman, en touchant à la science fiction, et je sortais clairement de ma zone de confort (je n’aime pas beaucoup cette expression mais là, je n’en trouve pas d’autre). Jérôme m’a aidée, nous avons décortiqué encore et encore la trame narrative, qui s’étend sur plusieurs siècles, les enjeux, la cohérence. Puis mon éditrice, Alice Aschéro, a pris le relais et m’a redonné confiance, elle-même convaincue par ce qu’elle avait lu. J’avais arrêté en octobre 2016, en pleine phrase. J’ai repris au début de l’année 2018, exactement où je m’étais interrompue. Alors oui, les gens qui m’entourent, les amis, la famille, sont très importants. Je compte sur leurs retours honnêtes mais bienveillants.

Est-ce que les rencontres dans les classes ont quelque chose de particulier pour vous ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? Cela vous inspire-t-il ?

J’ai beaucoup aimé cela, beaucoup. J’en ai fait. Beaucoup… trop peut-être ? Il m’est arrivé d’être un peu lassée, de répondre aux mêmes questions, parfois trois fois sur le même livre dans la même journée. Il m’est arrivé d’en avoir assez de parler de moi. J’ai pas mal cherché d’autres façons d’aborder les rencontres, de proposer des lectures, des lectures musicales, une expo reprenant, justement, les questions qui reviennent le plus en rencontre, et, bien sûr, des ateliers. C’est ce que je préfère, en fait, lors des rencontres, faire écrire les autres, créer un espace chaleureux où ils pourront s’exprimer et partager. Ces rencontres-là, oui, sont de vraies sources d’inspiration.

La pandémie a -t-elle bousculé profondément votre travail ? Apparemment, la visio est pour vous un bon moyen de rester en contact : y trouvez-vous votre compte ?

On a tous essayé de réinventer quelque chose. Sinon, quoi ? On arrête tout et on change de métier ? Lors du premier confinement, librairies fermées et monde artistique à l’arrêt, salons annulés, rencontres scolaires impossibles, j’ai eu l’impression que je n’avais plus de métier. Tout simplement. Et avec la sidération, j’ai passé deux mois sans écrire une ligne. C’est là que j’ai compris qu’une des solutions pouvait être à chercher du côté des animations virtuelles. J’avais commencé à en mettre en place en 2019 (surtout parce que les trajets à l’autre bout de la France, répétés, me fatiguaient vraiment et que j’avais envie de rester un peu chez moi !) et ce sont les seules qui ont pu aboutir au printemps 2020. Cette année, j’ai la chance d’avoir à nouveau été sollicitée, pour des ateliers en ligne, pour des rencontres via Zoom ou Skype, pour des ateliers d’écriture avec le réseau Canopé, la Bataille des Livres, en Suisse. C’est riche, chaleureux, on construit malgré tout quelque chose de beau, on rigole bien, on touche à des sujets intimes aussi. Le virtuel n’étouffe pas toujours l’humain : en ce moment, si on ne développe pas ça, on ne voit personne. J’y trouve donc mon compte, comme vous dites. Même si les deux uniques ateliers que j’ai menés cet automne en présentiel (à l’Université de Bordeaux et dans le cadre du salon Lire en poche) m’ont fait du bien. J’étais heureuse de me déplacer et de rencontrer des élèves « pour de vrai ».

EN BONUS

Que lisez-vous aujourd’hui ?

La quinzaine de BD que j’ai reçues ces jours-ci pour le Prix BD Lecteurs.com / CNL dont j’ai la chance inouïe d’être Présidente du jury cette année. Une très belle sélection, je suis ravie.

Avez-vous des projets en cours ou à-venir ?

Oui ! J’écris en ce moment la biographie d’Isabella Bird, une aventurière du XIXè siècle au parcours très enthousiasmant. C’est pour Albin Michel. Je travaille aussi sur trois projets de BD, une historique qui se passe au XVIIè siècle dans une colonie britannique (je vous préviens, ça ne sera pas très feel good, ha ha), une qui raconte le parcours d’un migrant et parle pas mal de cuisine, et une autre, imaginée à partir des dessins d’un artiste que j’aime beaucoup. Les parutions sont nombreuses en 2021 (il y a les reports de 2020 et les titres prévus initialement !)  : est-ce que je peux vous les récapituler  ?

A venir
En BD
Une biographie de George Sand (dessinée par Kim Consigny)  : George Sand, la fille du siècle, et qui va paraître en avril chez Delcourt. Un énorme boulot que cette BD de 310 planches : on a tellement hâte de la partager enfin  !

Et une autre BD, chez Glénat, dessinée par Vincent Sorel, Naduah, cœur enterré deux fois (la vie de Cynthia Anne Parker, mère du dernier chef Comanche, Quanah Parker).

En roman : dans la collection Court Toujours, en mai, Tu reverras ton frère.
Un roman pour ado (toujours chez Nathan) à la rentrée de septembre, Sous ta peau, le feu.

Des albums : Ma timidité (chez Milan, avec Marie Leghima), On a fait un vœu (chez Mango, avec Clémence Monnet) et un superbe pop-up avec Adolie Day chez Marcel et Joachim.

Je travaille aussi beaucoup sur des BD jeunesse, autour de personnages féminins forts. Il y aura en 2022 plusieurs adaptations en BD de mes romans chez Bayard, Nos cœurs tordus, co-écrit avec Manu Causse et Pëppo (la BD sera dessinée par Elodie Durand).

Et il y aura une surprise en janvier 2022  !

Merci, Séverine Vidal, pour ces réponses pleines de générosité !
Toute l’équipe va suivre ces sorties avec un grand intérêt !

Lectures d’enfants #20, « Il était deux fois dans l’ouest »

– Alors Mouflette, qu’est ce que tu as choisi comme livre aujourd’hui ?

Il était deux fois dans l’ouest!

– Ah, bonne idée, et pourquoi celui là ?

– Parce que je l’aime bien !

– Ah, c’est une bonne raison, mais il y a plein de livres que tu aimes bien, pourquoi celui là plus qu’un autre ?

– Parce que tu as dit qu’il fallait en choisir un seul !

– Je vois… Bon, alors, par quoi on commence… Un petit résumé rapide peut-être ?

– Oui, alors c’est l’histoire d’une petite fille qui a presque mon âge (10 ans donc) et qui part en vacances avec sa mère et sans son petit frère, mais bon, ça c’est un détail. Sa mère, elle est maquilleuse et elle amène Luna sur un tournage de film dans Monument Valley.

Au début, je me suis dis que c’était, un peu comme les livres que j’aime bien, une histoire d’une fille et, tu sais, ses copines, ses parents, sa vie quoi.

– Un livre sur les relations entre l’héroïne et les autres personnages tu veux dire ?

– Heu, oui, voilà, une histoire heu, je sais pas comment dire, une histoire qui pourrait arriver quoi, une histoire normale.

– Et c’est pas une histoire normale en fait ?

– Ben ce que je veux dire c’est que quand je l’ai lu, j’ai pas pensé que c’était… Une aventure, voilà, c’est une aventure qui fait peur. Bon, c’est vrai aussi que j’avais pas lu la quatrième de couverture. Donc, j’ai cru que c’était une simple histoire, peut être que ça allait parler surtout des vacances avec juste la mère alors que le père et le petit frère étaient restés en France. Mais non, ça, on n’en parle qu’au tout début, le petit frère pleure quand elles partent, et après on n’en parle plus.

il était deux fois dans l'ouest intérieur

– Mais il n’y avait pas d’autres indices qui pouvaient t’indiquer de quoi ça allait parler ?

– Ah, tu veux dire le dessin sur la couverture ? Oui, mais on ne voit pas trop l’aventure dessus, enfin, c’est vrai qu’on ne voit pas la mère. Mais on ne se doute pas de tout ce qui va leur arriver, avec Sloppy Joe, le scorpion et tout le reste.

– Non, c’est vrai… Qu’est ce qu’on voit dessus alors ?

-Oui, je vois où tu veux en venir. On voit Luna sur le cheval, avec Josh.

– Ah tiens, mais qui est ce Josh ?

– Josh, c’est le garçon qu’elle rencontre dans Monument Valley. Un indien (maman, ça existe vraiment la langue qu’ils parlent dans le livre ?)

– Oui, les navajos existent vraiment, leur langue aussi.

– Et c’est la vraie langue ? Dans le livre je veux dire, ils parlent la vraie langue les personnages navajos.

– Comment veux tu que je le sache ? Mais à mon avis oui, je pense qu’ils se sont renseignés avant d’écrire le livre…

– Je pense aussi… Elle est indienne l’auteure?

– Je ne crois pas, non.

– Alors, comment elle a fait pour savoir tout ça sur les indiens ?

– Sans doute qu’elle s’est documentée mouflette, qu’elle a fait des recherches.

– Ah… Ben c’est chouette en tout cas.

– Oui ? Ça t’a plu d’apprendre au passage des choses sur la culture Navajos ?

– Oui, et j’aime bien les bonus qui expliquent par exemple la fête Kinaalda ou d’autre petites choses sur les navajos.

– Moi aussi, j’aime bien.

Bon, reprenons, donc il y a Luna et sa mère, qui sont venues pour un tournage à Monument Valley, et Josh, rencontré sur place, et des éléments de la culture indienne. Quoi d’autre ?

– Ben, l’aventure comme je disais.

– Oui ?

– Je raconte tout ?

– Non, juste un peu, ce que tu raconterais pour donner envie à quelqu’un de le lire.

– Alors Josh emmène Luna sur son cheval, pour une promenade. Et en chemin, il espère que tout va bien se passer. C’est là qu’on comprend que ça va devenir une histoire d’amour. Parce qu’il croise les doigts pour qu’il n’y ait aucun problème et qu’elle lui prenne la main. Pas de chance, il y en a plein des problèmes qui arrivent, tous ceux auxquels il a pensé arrivent en fait ! Et ça fait peur !

– Ah, et ça c’est chouette, d’avoir peur ? 

– Ah oui, c’est chouette ! Parce qu’on se doute bien que ça va bien se terminer, et puis en plus, c’est Josh et Luna qui racontent l’histoire donc c’est qu’ils sont pas morts. Moi j’aime bien, quand ça fait peur, lire très vite pour arriver à quand ça va mieux. Et après, relire tout lentement, quand je sais qu’ils vont bien mais que eux, ils ne le savent pas. Alors le scorpion, Sloppy Joe, le coyote, tout ça, on n’a plus peur.

– Je comprends. Tiens, tu dis que c’est eux qui racontent l’histoire, tu veux dire quelque chose là-dessus ?

– Ils racontent chacun leur tour un bout. Au début c’est elle, et puis lui, et puis elle et puis…

– Ok, je crois qu’on a compris le principe. Et t’en pense quoi de ça ?

– Ben… c’est bien ?

– C’est tout ? Quel effet ça fait ?

– ?

– On a leur point de vue à tous les deux…

– ?

– On peut s’identifier aux deux du coup, non ? Ou avoir de l’empathie pour les deux ?

– Oui, voilà…

(bon, je vous l’accorde, je lui ai un peu arraché de la bouche, cet aspect qui me semble important n’a pas l’air de l’être pour elle…)

– Un dernier mot sur ce livre ? Quelque chose que tu dirais à quelqu’un qui se demande s’il a envie de le lire ?

– C’est pas une histoire d’amour, tu sais, gnian-gnian, fleur bleue, eau de rose tout ça. C’est une aventure avec dedans un peu une histoire d’amour. Pas nunuche.

– Ah, c’est vrai que c’est important de le souligner. Autre chose ?

– Il est gros mais il se lit franchement vite.

– Oui, c’est le cas de tous les livres de cette collection.

– Et aussi y’a des dessins sympa dedans, et puis des bonus entre les chapitres, qu’on peut ne pas lire (mais on les lit, parce qu’ils sont rigolos). Et puis, ben, j’ai bien aimé quoi.

il était deux fois dans l'ouest intérieur1

– Moi aussi Mouflette, j’ai bien aimé.

Ce sera donc le mot de la fin.

Il était deux fois dans l’ouest est un livre de Séverine Vidal, illustré par Anne-Lise Combeaud, édité par Sarbacane, collection Pépix. Vendu dans toutes les bonnes librairies au prix de 10€90.