Nos coups de cœur de l’année 2022 !

Bonne année 2023 à tous !

Ca y est, l’année 2022 est terminée. A l’ombre du grand arbre, elle aura été riche en découvertes et en partage. Aussi, pour bien commencer 2023, nous vous proposons une sélection de nos plus belles lectures !

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Pour Linda, le choix a été assez difficile car, même si elle a moins lu en 2022, ses lectures ont souvent été de qualité. Aussi son choix s’est finalement arrêté sur un roman illustré qui réunit tout ce qu’elle aime dans un livre : une belle histoire, un texte classique et des illustrations somptueuses. Finalement, ce titre s’est imposé, comme une évidence.

Princesse Sara de Frances Hodgson Burnett, illustré par Nathalie Novi, Albin Michel, 2021.

Son avis complet.

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Lucie a eu un véritable coup de cœur pour Ma petite bonne de Jean-François Chabas. Ce roman est de ces lectures qui marquent, auxquelles on pense encore longtemps après avoir tourné les dernières pages.
Pour commencer, c’est un voyage dans le temps et dans l’espace comme sait en proposer la belle littérature. Jean-François Chabas emmène ses lecteurs dans le Liban des années 1990, et le choc des cultures est brutal. D’autant qu’il les confronte à l’arrivée de la « petite bonne », sorte d’esclave légale dans la famille de la narratrice. Bouleversant.

Ma petite bonne de Jean-François Chabas, talents hauts, 2022.

Son avis complet ICI.

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Le petit écureuil d’Oliver Tallec allait forcément être présent dans les coups de cœur de l’année pour Lucie. Son choix aurait pu se porter sur un autre tome. Mais J’aurais voulu est le plus récent, et il épingle avec tellement d’humour notre difficulté à choisir et à affirmer ce que l’on est dans une société aux multiples sollicitations ! On peut faire confiance à l’auteur pour amener les enfants à réfléchir, sans les brusquer.
Cet album est aussi le souvenir d’une belle rencontre avec l’auteur-illustrateur.

J’aurais voulu d’Olivier Tallec, l’école des loisirs, 2021.

L’avis complet de Lucie ICI.

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Une des lectures qui a le plus « bouleversifié » notre collectionneuse de papillons cette année, sur les conseils toujours aussi formidables de ses arbronautes préférées, ce fut Annie au milieu d’Emilie Chazerand dont Lucie et Frédérique vous ont livré une lecture commune par ici.

Je vous livre ici les mots que j’avais écrits à mes copinautes sur le forum pour leur faire part de mon émerveillement après la lecture de ce roman coup de cœur : « Que j’ai pleuré en lisant l’histoire de cette famille bancale et si lumineuse ! J’ai pleuré quand Camille arrive chez les Desrochelles pour l’entraînement et qu’il est accueilli comme un membre de la famille tant attendu, j’ai pleuré quand Del et tous les réfugiés du camp où elle travaille font la chorégraphie d’Annie et les barjorettes, j’ai pleuré quand Solange propose à Velma de s’inscrire au stage de dessin… Que j’ai pleuré ! Parce que quand même ce bouquin, au delà du handicap, il nous parle surtout de la FAMILLE, de ce qui la compose, des liens qui se tissent souvent silencieusement, au fil du quotidien mais aussi à travers générations. La relation entre Solange et Del est tellement puissante. J’ai beaucoup apprécié la manière dont l’auteure fait ressurgir implicitement ce que les personnes étaient avant, ce que cet avant a laissé de traces sur leur corps, leurs cheveux, leur regard et que les autres membres de la famille perçoivent parfois comme dans un éclair lumineux et parfaitement éphémère. Bien sûr ce roman est un incroyable conte de fée, tout va très vite, des magiciennes et des magiciens interviennent spontanément de manière peut-être un peu surnaturelle (je pense à Dolorès qui accepte de faire la coach sportive alors qu’elle connaît à peine Velma, je pense à la mère de Hui, incroyable costumière, qui réalise sans poser de question les improbables tenues de la tribu, je pense au patron de la brasserie qui embauche Harold sans trop poser de questions) mais c’est un conte de fée qui célèbre la solidarité et que ça fait du bien ! »

Annie au milieu d’Emilie Chazerand, Sarbacane, 2021.

Pour les curieux, nous avons aussi eu la chance d’interviewer Emilie Chazerand.

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Pour Liraloin c’est une BD lue en musique qui a emporté le coup de cœur de l’année 2022. Il s’agit de Blue aux Pays des songes, une série en 3 volumes.

Blue au Pays des Songes de Davide Tosello, Vent d’Ouest, 2021.

Son avis complet ici

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Pour Blandine, le point commun de ses coups de cœur qui ont émaillé 2022 est l’émerveillement! Pour un récit intemporel, pour une relation particulière, pour un graphisme exceptionnel ou pour une douceur candide essentielle. Certains de ses coups de cœur ont déjà été partagés ici au fil des mois, aussi, pour ne pas les remettre, en voici un nouveau qui regroupe tout cela!

Magic really can happen… When it Snows. Richard COLLINGRIDGE.

Tout est déjà dans le titre (et le sous-titre)!! Il y a de la magie et de la féérie, du merveilleux et du fantastique, une quête et une mise en abyme fabuleuse qui fait la part belle aux livres, à l’imaginaire et à la transmission. Le tout servi par des illustrations (de peinture?) fascinantes, douces et immersives, qui jouent sur les luminosités et les clair-obscur! juste magnifique!

Son avis complet ICI!

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En refermant Zephyr, Alabama cet été, Isabelle avait l’impression de connaître cette bourgade comme sa poche : ses églises et ses ragots, son supermarché flambant neuf, ses contrebandiers et ses attaques racistes, le quartier noir où la conquête des droits civiques s’organise. Et quels mystères renfermés derrière les portes des petites maisons, au fond de la rivière ou du lac profond ! Témoin d’un crime, le jeune Cory mène l’enquête…

Le récit se nourrit de la toile de fond sociale de l’enquête : des indices sont distillés à chaque chapitre sous la forme d’indices à première vue anodins mais qui finissent par prendre tout leur sens. Cory recoupe des éléments stupéfiants, faisant la rencontre d’une reine noire de cent six ans, d’un as de la gâchette, d’un monstre de rivière et même d’un tricératops. Son regard enfantin donne au roman une fraîcheur irrésistible. Cory et ses copains rappellent les aventures de Tom Sawyer, mais avec en plus le rythme scandaleux des tubes des Beatles et des Beach Boys. Et un soupçon de magie. Ils savent lire les rêves, la forme des nuages et les grains de sable. On ne sait pas toujours si Cory en rajoute un peu (il a l’étoffe d’un écrivain, voyez-vous), si l’imagination de sa bande la dépasse un peu ou s’il y a vraiment un solide cœur de magie à Zephyr.

Tout cela semble un peu foisonnant, mais tout finit par s’imbriquer parfaitement en un tout cohérent qui a beaucoup ému Isabelle. Ce livre est un univers à lui tout seul, un roman à remonter le temps porté par une plume vive qui trace son sillon propre à la lisière de la tranche de vie, de l’enquête policière, du thriller et du réalisme magique.

Zephyr, Alabama, de Robert McCammon, Monsieur Toussaint Louverture, 2022.

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Et vous, quels ont été vos coups de cœur en 2022 ?

Lecture commune : Jack et la grande aventure du Cochon de Noël

Cette année, pour Noël, nous avons eu envie de nous retrouver pour discuter de Jack et la grande aventure du Cochon de Noël de la grande J. K. Rowling. Un conte qui, par ses thématiques, rejoint notre envie d’un Noël généreux présenté lors de la sélection de la semaine dernière !

Jack et la grande aventure du Cochon de Noël, J. K. Rowling, Gallimard Jeunesse, 2021.

Blandine : L’an passé, quelle a été votre réaction première à l’annonce du nouveau roman à paraître de J. K. Rowling ?

Lucie : Youpi ! Bien sûr, pour commencer. Nous sortions juste de l’Ikabog que nous avions adoré et j’avais hâte de me laisser entraîner dans un nouvel univers par cette auteure fabuleuse.

Isabelle : Tout comme Lucie ! Nous n’allions pas manquer ça, je n’ai même pas regardé le résumé avant de l’acheter.

Linda : A ce moment-là je crois que je pensais surtout qu’il plairait à mes filles, mais je ne me souviens plus vraiment ce que j’ai pu ressentir à l’annonce. J’ai sans doute dû me dire : « Tiens, un nouveau J. K. Rowling »… Pour cette auteure, je ne me pose pas trop de question. Je me souviens juste que je ne me suis pas précipitée, j’ai attendu le moment propice pour me le procurer et l’Avent s’est révélé être ce moment-là !

Blandine : Que pensez-vous du titre et de la couverture ? Quelles sont les idées, thématiques qui vous sont venues à leur découverte ?

Isabelle : C’est une couverture qui joue sur le kitsch de Noël, avec ses branches de sapin et ses couleurs rouges et dorées. Je pense que je n’aurai pas été la seule à penser spontanément au film Toy Story en la découvrant ! Je ne suis pas forcément hyper fan de ce type de graphisme digital dans les livres mais qu’importe : mes moussaillons et moi avons aimé que le titre promette de l’aventure et depuis Harry Potter, nous lisons tout ce que publie J. K. Rowling.

Linda : La couverture et son titre sont pleins de promesses d’une aventure merveilleuse au cœur de la magie de Noël. Bien sûr, comme Isabelle, j’ai aussi pensé à Toy Story avec ce jouet qui s’anime. Je suis très fan de ce cochon qui semble entrainer Jack sous le sapin. Regardez son regard pétillant, son bras tendu vers ce qui semble être quelque chose d’extraordinaire. Il nous invite nous aussi à venir découvrir ce qui se cache sous ce sapin en tournant la couverture.

Lucie : Le titre m’a étonnée. Je ne voyais pas bien le lien entre un cochon et Noël. Du coup, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Et c’est aussi bien ! Comme Isabelle je ne suis pas hyper fan de la couverture. Cela fait très film d’animation, et pas le genre que j’aime.
Et toi Blandine, te souviens-tu de tes premières impressions ?

Blandine : Un nouveau J. K. Rowling = je le veux. Elle fait partie de ces auteurs pour lesquels je ne me pose même pas la question du sujet. Et puis, il y avait « Noël » dans le titre. Cela ne pouvait être que merveilleux ! !
Comme Linda, je me suis questionnée sur ce cochon tout rose « de Noël » qui est écrit bien en gros sur la couverture et qui figure au premier plan, bien devant Jack. On devine de suite que c’est lui le véritable héros de cette aventure. Au-delà, il me semble que c’est un joli pied-de-nez à certaines traditions alimentaires de Noël qui servent encore du porc rôti lors de ce repas festif. Ici, le cochon est bien vivant et actif ! La couverture m’a immédiatement attirée avec ses couleurs et ce cochon qui nous tend la patte, comme pour nous rejoindre, ou nous appeler à l’aide. Côté graphisme, j’aime beaucoup ! Et bien sûr, le parallèle avec Toy Story (que j’aime beaucoup aussi) a été instantané.

Linda : Je n’avais pas du tout pensé au côté « alimentaire » du cochon, peut-être parce que je ne mange pas de viande et que je ne perçois plus les animaux comme tels depuis longtemps. Mais c’est peut-être tout simplement parce que je suis restée dans le côté fantastique avec le jouet qui prend vie. C’est cependant une réflexion intéressante et j’aimerais bien savoir ce qu’en pensent Isabelle et Lucie ?

Lucie : Je n’y ai pas pensé non plus. Pour moi il a tout de suite été évident que ce cochon était un jouet, alors je ne me suis pas posé la question. Mais c’est une remarque pertinente, et vu l’expérience de J. K. Rowling je pense que le choix de cet animal n’est pas anodin.

Isabelle : Moi non plus, ça ne pas traversé l’esprit d’imaginer que ce cochon aurait pu être sur la table !

Blandine : Je trouve intéressant, intriguant, que ce soit le cochon qui soit mis en avant, avant l’humain (même s’il est vrai qu’on va beaucoup suivre Jack).

Lucie : Avant d’être plongés dans le merveilleux avec le Pays des choses perdues, nous rencontrons Jack et sa famille. Il me semble que c’est la première fois que J. K. Rowling décrit une famille si « normale » et contemporaine, telle que nous en connaissons tous. 
Qu’avez-vous pensé d’eux et de leurs relations ?

Linda : Normale et contemporaine dans le sens « famille recomposée » ? Elle est en effet à l’image des familles d’aujourd’hui, une famille à l’image de celle de J. K. Rowling elle-même d’ailleurs. Je pense que c’est avant tout une famille qui cherche son équilibre et que cela passe par celui des enfants. Holly étant à cet âge où le besoin de s’affirmer se développe, elle devient l’élément perturbateur, l’épine dans le pied de cette famille. De plus, elle ne vit avec eux qu’un week-end sur deux ce qui fait qu’elle a, je suppose, besoin de plus de temps pour s’adapter à cette nouvelle vie. Sa relation à Jack est clairement dictée par la jalousie de partager un père qu’elle aimerait voir plus souvent. Tout cela me semble plutôt crédible… Maintenant, je perçois la famille de Jack comme une façon d’asseoir l’histoire et son contexte, pas comme élément essentielle à l’histoire donc je ne me suis pas trop attardée sur ce point du livre. J’avoue par-ailleurs que, grande romantique et mère de famille nombreuse, je me sens plus proche, dans l’univers de cette auteure, de la famille Weasley…

Isabelle : D’accord avec toi, Linda. C’est une famille comme il y en a tant, ni parfaite, ni horrible comme celle de Harry Potter. Elle illustre à quel point, même quand on a des parents aimants qui font de leur mieux, la vie et l’enfance peuvent présenter des passages difficiles, liés dans l’histoire au divorce des parents suivis d’un déménagement et d’une cohabitation compliquée avec la famille du nouveau conjoint de la mère. Du point de vue narratif, cela permet d’introduire le cochon de Jack, qu’il aime tant même s’il est délavé et rapiécé. Cela parlera à tous ceux qui, comme mon moussaillon cadet, sont irrémédiablement attachés à un animal en peluche élimé ou à certaines reliques de tranches de vie dont il est hors de question de se séparer. Cet attachement est d’autant plus fort chez Jack qu’il a l’impression que son existence tombe en lambeaux. Il est évident que lorsque le cochon disparaît, Jack est prêt à aller jusqu’au pays des Choses perdues pour le retrouver.

Blandine : Dans cette grande aventure promise par le titre, nos héros passent par différents mondes, tour à tour merveilleux et terrifiants. Comment avez-vous trouvé leurs enchaînements et descriptions ?

Linda : J’ai aimé la façon de pénétrer chaque nouveau monde par des « portes » différentes qui confrontent les héros à différentes difficultés. J.K. Rowling est assez méticuleuse dans son travail de création et ça se ressent vraiment à la lecture. Rien n’est jamais laissé au hasard, elle donne un maximum d’informations pour qu’à la lecture on puisse visualiser l’univers qu’elle a créé. Son écriture est très visuelle et immersive. De même, la succession de ces mondes semble rythmer vers la fin de vie d’un produit : de la perte à la destruction en passant par les différentes étapes de l’oubli. J’ai trouvé cela très intéressant car cela questionne réellement notre rapport aux objets et met en relief les effets de l’obsolescence programmé d’un point de vue économique et écologique.

Lucie : Je te rejoins Linda, ces différents « mondes » m’ont surtout intéressée pour ce qu’ils disent de notre rapport aux objets. La salle des Egarés dans laquelle les objets attendent dans l’espoir d’être retrouvés, puis ce tri entre les différents objets selon leur valeur pécuniaire mais aussi affective.
J’ai beaucoup aimé cette nuance qui montre bien qu’un objet peut avoir une valeur affective énorme en dépit de son faible coût. Le fait que les objets chers comme les bijoux se croient supérieurs aux autres aussi… Tout cet aspect est vraiment traité de manière très fine.

Isabelle : Effectivement, ce pays des Choses Perdues, c’est une idée géniale pour nous donner à réfléchir à tout ce qui peut se perdre ! Des objets utiles ou superflus, ceux qui ont une valeur surtout sentimentale comme tu le dis Lucie ou absolument vitale. En imaginant un univers où toutes ces choses prendraient vie, J. K. Rowling nous interroge sur le consumérisme ambiant. Les différents mondes dont tu parles, Blandine, soulignent l’ampleur de ce qu’on peut perdre (et remplacer en un clin d’oeil) au quotidien, les Objets Sans Valeur, les affaires égarées de Zutcéouça, les Regrettés… Alors, le procédé peut avoir quelque chose de répétitif, on passe d’un monde à l’autre, il y a chaque fois de belles rencontres, des dangers et des péripéties jusqu’au passage vers la contrée suivante et on se doute bien qu’elles seront toutes explorées. Mais l’autrice réalise la prouesse de susciter l’attachement vers des objets, mon moussaillon s’est passionné pour le destin d’un ange fabriqué en papier toilette. On voit, au passage, que les Objets « gentils » sont ceux qui ont été perdus par inadvertance et regrettés (Ange brisé, Boussole, Poésie ou Lapin bleu), alors que les « méchants » comme par exemple Râpe-Fromage ont été abandonnés à dessein. Après, l’autrice s’amuse en réfléchissant à la perte de choses plus abstraites, comme les principes, les ambitions ou l’inspiration. C’est hyper malin et amusant.

Blandine : J’ai moi aussi beaucoup aimé ces portes qui permettent de passer d’un monde à l’autre, comme des sas de décompression, pour avancer dans notre réflexion quant aux objets, leur utilité, leur valeur émotionnelle et pécuniaire.
J. K. Rowling use de beaucoup de jeux de mots dans ses romans, cela semble enfantin, presque trop facile. Et pourtant cela a un impact à la fois amusant et percutant. 
Aimez-vous ce genre d’écriture ? Pensez-vous que cela soit percutant ou au contraire préjudiciable ?

Lucie : J’adore les inventions de J. K. Rowling. Son travail sur le vocabulaire est génial. En revanche, je pense toujours au traducteur avec compassion !
Quand c’est bien fait (ce qui est toujours le cas chez cette auteure) ces trouvailles sont très ludiques. J’aime bien chercher ce qui a servi à composer le mot, le sens qu’elle a voulu y mettre en plus des mots originaux. Comme les univers qu’elle crée sont très créatifs, pour moi la forme rejoint « simplement » le fond.

Linda : Je suis d’accord avec Lucie. Ces jeux de mots sont un peu la marque de fabrique de J. K. Rowling et je trouve que cela apporte une certaine richesse à ses textes ainsi qu’à ses univers. Cela donne aussi du sens à ses créations et permet parfois un double niveau de lecture qui permet de toucher un public plus large. Quelque part je trouve que son écriture est fédératrice de lien entre les parents et leurs enfants.

Isabelle : Qu’avez-vous pensé du dénouement du roman ? Trouvez-vous aussi qu’il s’agit d’un roman initiatique et, le cas échéant, qu’auriez-vous retiré de cette initiation ?

Linda : La fin de l’histoire est l’aboutissement de ce voyage initiatique au cours duquel Jack a appris que la perte fait partie des étapes de la vie et que les accepter nous fait grandir. La perte est un thème récurent dans la bibliographie de J. K. Rowling et elle est généralement associée à un changement important dans l’évolution, la construction de ses personnages. Ici la fin apporte la lumière et l’espoir dont avaient besoin Jack et Cochon de Noël dans leur vie, mais c’est aussi une fin lumineuse pour Lo Cochon, et je trouve que c’est vraiment fort de la part de l’auteure de finir son récit de cette façon si lumineuse.

Lucie : Je qualifierais cette fin de douce-amère. Elle est à la fois apaisée, car effectivement Jack est prêt à laisser cette part de son histoire derrière lui, il accepte de grandir et d’avancer. Mais je crois beaucoup à la conservation de la part d’enfance, et je suis sûre que vous êtes d’accord avec ça ! Alors j’avoue avoir tout de même été peinée de cette séparation. Séparation inenvisageable pour mon loulou, qui a tout bonnement refusé de lire ce roman à cause de la fin.

Linda : Il est certain que la séparation est difficile mais on ne peut nier que cela fait partie de la construction de l’enfant (et de l’adulte) et qu’elle nous fait avancer, grandir.

Isabelle : Je vous rejoins toutes les deux. Comme ton loulou, Lucie, mon moussaillon a eu une réaction très forte face à la séparation que tu évoques. Mais comme tu le soulignes, Linda, ce dénouement n’est pas triste – et in fine, mon fils a vraiment adoré lire (et terminer) ce roman. Jack a traversé énormément d’épreuves au pays des Choses perdues, il a grandi et s’est affirmé comme un jeune héros courageux qui apprend à lâcher prise et finit par faire son deuil.

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Merci à Blandine d’avoir initié cette lecture commune ! Et vous, avez-vous lu Jack et la grande aventure du Cochon de Noël ? Qu’en avez-vous pensé ?

6ème édition du Prix Vendredi !

C’est maintenant une tradition, nous avons lu (presque toute) la sélection du Prix Vendredi ! Alors que le lauréat sera annoncé ce lundi 7 novembre, voici nos avis subjectifs sur ces romans destinés aux adolescents.

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Bayuk, Justine Niogret, 404 éditions, 2022.

Présentation de l’éditeur :
On raconte que c’est arrivé un soir sans Lune, au village de Coq-Fondu, dans l’endroit le plus reculé du bayou. Qu’une jeune fille a été maudite pour les crimes de sa mère, la pirate la plus redoutée des mers, qu’elle n’a jamais connue. Où qu’elle aille, les esprits iront aussi, la traquant sans merci.
On raconte encore que pour briser cette malédiction, elle devra dire adieu à tout ce qu’elle a toujours connu pour partir en quête de l’épave du Mermaid’s Plague, le légendaire pavillon de la cruelle capitaine.
Cette histoire, c’est celle de Toma. Mais c’est aussi celle de Boone et celle de Roi-Crocodile, qui l’accompagneront dans sa quête de vérité.

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Et le ciel se voila de fureur, Taï-Marc Le Thanh, L’école des loisirs, 2022.

Et le ciel se voila de fureur est un pur western, genre peu fréquent en littérature jeunesse. Paysages, voyages, poussière, rencontre avec des rustres, dangers… Ce récit est d’autant plus dépaysant qu’il est illustré de magnifiques croquis réalisés par l’auteur. La violence annoncée par le titre est omniprésente : tous les personnages sont animés par la vengeance, à tel point qu’elle étouffe tous les autres enjeux. Taï-Marc Le Thanh en esquisse pourtant certains que l’on aurait aimé voir développés comme la place des femmes, les relations dans une famille recomposée, la résilience… Ils auraient permis d’étoffer l’histoire et d’apporter de la profondeur aux personnages. Car malgré la plume toujours impeccable de l’auteur, leur côté un peu monolithiques peut finir par lasser.

L’avis de Lucie.

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L’honneur de Zakarya, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard Jeunesse, 2022.

Mutisme tête baissée, nom arabe, précédents multiples : Zakarya n’est-il pas le coupable idéal ? Mais qui est-il vraiment ? C’est ce que les jurés appelés à délibérer sur une affaire de meurtre vont devoir déterminer. Cette tragédie entre trois actes – JUGER, PROUVER, CONDAMNER – nous entraîne au cœur d’un procès d’assises. Les faits et la personnalité de Zakarya sont passés au crible pour aboutir à un jugement. Le récit du procès est ponctué de flash-backs de la jeunesse de l’accusé et du soir des faits. Ces fragments entretiennent le doute, dessinent un portrait complexe. Ado impulsif insuffisamment cadré par sa mère ? Petite frappe ? Rebelle à la rage brûlante ? Garçon solaire, déterminé à tenir la dragée haute aux préjugés ? Manipulateur hors-pair ? Ou abîme de fragilité ? Le mystère reste entier puisque Zakarya se tait. On brûle de le percer et le roman se dévore. La construction par flash-backs est impeccable et montre magistralement comment la tentation de plaquer des idées toutes faites peut nous induire en erreur. Les tentatives de comprendre Zakarya ont beau s’adosser à tous les gages d’apparence, de respectabilité et d’expertise, elles semblent irrémédiablement vouées à l’échec. Un roman « coup de poing » tout en subtilité et en sensibilité.

Les avis de Liraloin et d’Isabelle

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La Dragonne et le Drôle, Damien Galisson, Sarbacanne, 2022.

L’univers et les personnages de La Dragonne et le Drôle sont cohérents, ce qui est toujours appréciable dans un roman fantasy. Le Drôle est un héros particulièrement touchant et son rapport aux animaux apporte un peu de douceur dans un univers plutôt brutal. Le moyen de communication entre les deux personnages principaux donne lieu à des passages très poétiques. Car Damien Galisson propose un vrai parti pris formel : entre les vers libres et les jeux de mise en page, son texte n’est pas banal ! Au lecteur de décider s’il accepte ou non de consacrer à ce roman exigeant l’attention constante que sa lecture requiert.

L’avis de Lucie.

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Les Errantes, Jo Witek, Actes Sud Junior, 2022.

Trois jeunes filles, tourmentées par des apparitions surnaturelles, s’allient pour retrouver le cours de leur existence en affrontant leur peur, et pour venir en aide aux âmes tourmentées de femmes venues d’un autre temps. Des femmes ayant réellement existées ou inspirées par d’autres et qui interrogent sur l’héritage reçu de toutes celles qui nous ont précédées, sur la place à leur rendre pour gommer les inégalités et les erreurs qui leur ont portées préjudice pour avoir osé aller à contre-courant de croyances ou de codes sociaux en vigueur à leur époque.

Les errantes est un roman féministe, qui emprunte au fantastique et à l’historique pour rendre hommage à des femmes restées longtemps oubliées, porté par trois jeunes filles fortes et déterminées qui font preuve d’un magnifique esprit de sororité.

L’avis complet de Linda.

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Les histoires des autres, Muriel Zürcher, Thierry Magnier Editions, 2022.

Présentation de l’éditeur : Une petite fille vivant dans un appartement empli jusqu’au plafond de sacs de croquettes pour chien. Un jeune à la dérive, le cœur brisé par le long silence de son ami, qui s’accroche à son rêve d’escalader avec lui les plus beaux ponts de la planète. Un vieux sans-abri découpant inlassablement des magazines pour reconstituer le visage d’une femme au fil des pages de ses cahiers d’écolier. Une lycéenne que son chien entraîne dans une drôle d’histoire qui n’a rien d’une histoire drôle. Et si la fantaisie et l’innocence de l’une transformait la vie des autres ? Lilibelle, Soan, Hector, Aricia et les autres, une petite troupe d’humanité cabossée dans un roman teinté d’humour où la vie déborde de partout.

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Les Longueurs, Claire Castillon, Gallimard Jeunesse, 2022.

« Outre : peau d’animal cousue en forme de sac et servant de récipient. »
Simplement une peau et plus personne, aucune âme, aucune vie, aucun souffle pour l’habiter. Cette peau est celle d’Alice au doux diminutif de Lili 15 ans. Avant Lili a eu 7 ans puis 8 ans et c’est à ce moment-là que son tout s’est changé en noir, dans cette vie sans papa juste maman. Un papa qui vit aux USA mais il y a un homme Georges dit Mondjo toujours présent jouant le rôle du confident, du père absent, de l’amant de sa maman, de l’homme destructeur : « -Mais non, me répond-il, quand on se dit je t’aime avec le corps, on peut s’appeler autrement, tu veux bien t’appeler Anna, dans notre secret ? je réponds oui parce que j’adore la Reine des Neiges. »
Alice se rend compte que Mondjo fait tout pour l’éloigner de ses ami(e)s et de son père : «… J’ai quinze ans et j’ignore donc que les personnes comme Mondjo sont des hors-la-loi ? Je le sais, alors pourquoi je ne le dis pas ? Parce que lui et moi c’est l’amour, ou c’était. Ces jours-ci, je ne l’aime plus, mais si on retire le sexe, peut-être que je l’aimerais encore ? »

Durant la lecture de ce roman il est compliqué de se défaire de cette boule au ventre, de cette gorge serrée. Parfois et même souvent on oublie de respirer, on est juste le témoin du drame qui se joue dans la tête et le corps d’Alice. Lili lutte en permanence entre ses sentiments de soumission, de compréhension et d’acceptation. Claire Castillon réussit à écrire avec grande intelligence sur un sujet trop peu présent en littérature surtout dans celle destinée aux adolescents. A l’image de la couverture du livre, de cet homme prenant le contrôle sur cette jeune fille aux yeux fermés tout comme Mondjo prend le contrôle d’Alice et de sa mère, marionnettes aux fils cassants et fragiles.

L’avis d’Isabelle

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On a supermarché sur la Lune, Sébastien Joanniez, Joie de Lire, 2022.

Au hasard des moments volés au train-train de l’existence, Rosa écrit son journal. La collégienne extériorise en les écrivant les milliers de choses qui bouillonnent en elle : scènes du quotidien, poèmes, réflexions, ressentis bruts, coups de gueule, déclarations d’amour… Tout cela forme une sorte de kaléidoscope assez déstabilisant. Les personnages sont nombreux à graviter autour de la protagoniste, leurs apparitions sont trop fugaces pour nous laisser le temps de nous attacher et leurs dialogues sont minimalistes, à la limite de la caricature. Le fil conducteur ne se révèle qu’à petites touches : il faut s’accrocher, se laisser porter par le texte pour voir où il nous mène. Mais il y a un rythme, un flow dans les mots de Rosa, une poétique de l’adolescence. Une fougue pour dire le mal-être et les révoltes, la famille qui devient trop étroite, les rêves, les fulgurances, l’intensité des émotions avec force points d’exclamation. Sous nos yeux, Rosa se cherche et se trouve. C’est chaotique, parfois douloureux, joli aussi. Et finalement, la forme éclatée de ce roman est à l’image de la manière dont on grandit.

L’avis complet d’Isabelle

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Rien nous appartient, Guillaume Guéraud, Pocket Jeunesse, 2022.

Dans Rien nous appartient, Guillaume Guéraud se met dans la peau de Malik, un jeune en rupture sociale qui s’apprête à commettre l’impassable. Critique sociale, le texte prend la forme d’un témoignage, un testament dans lequel le jeune homme raconte sa famille, ses amis, la cité, […] son parcours atypique pour expliquer son geste et dire sa vérité d’un monde qu’il rêve plus juste, plus égalitaire. Par ailleurs, le texte soulève de nombreuses questions sur notre société et son fonctionnement, mais on retiendra principalement celle de l’accompagnement, de l’écoute et de la prise en charge des personnes (des jeunes) en situation d’échec ou de fracture sociale.

L’avis complet de Linda.

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Ton absence, Guillaume Nail, Rouergue, 2022.

Pour valider son BAFA, Léopold participe à un stage d’approfondissement avec sa nouvelle bande de potes, La Coterie.
Le jour du départ, un garçon solitaire et solaire le trouble et l’attire, Matthieu.
Il n’est pas le seul. Damien, le chef autoproclamé de la bande, a pris le jeune homme en grippe et enchaîne remarques et comportements, aussi humiliants que vulgaires, pour l’ostraciser. Et pire, le groupe le suit.
Léopold est offusqué, blessé même. Pourtant, par peur du rejet, il ne fait rien et se soumet même.
Pourtant, dorénavant, il y a « son absence » et Léopold en est forcément transformé.

Dans un récit multiforme qui joue sur les dualités, Guillaume Nail explore, non pas le désir homosexuel, mais la force du groupe sur ce désir. Cette force qui peut rassurer mais aussi étouffer et enfermer, quitte à se détester soi pour ne pas être détesté, pour ne pas être délaissé par les autres.
Un roman qui ne laisse pas indifférent.

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Hors compétition (puisque Vincent Mondiot a déjà été lauréat du Prix Vendredi)

Emergence 7, Vincent Mondiot et Enora Saby, Actes Sud Junior, 2022.

Vingt ans l’Émergence 7, Léon peut enfin retourner sur les lieux. Il y trouve le cimetière de sa jeunesse et des réminiscences traumatisantes, celles de cette journée qui a vu son enfance voler en éclats… On peut être frustré par rapport à ce qui semble au départ se dessiner comme l’intrigue principale : Que sont les Émergences et que dissimule l’État à leur sujet ? Qui a survécu parmi les protagonistes ? L’essentiel est finalement ailleurs. Les aller-retours entre le temps de la narration, les souvenirs du jour de l’Émergence, des années antérieures et postérieures permettent de varier les rythmes et les perspectives sur la catastrophe, alternant récit de survie et méditation sur la fin de l’enfance, la fragilité des liens humains, les traumatismes des survivants. On navigue ainsi entre teen novel, thriller post-apocalyptique et drame. Surtout : c’est un nouveau format au croisement du roman et de l’album qu’inventent Vincent Mondiot et Enora Saby, leur permettant de jouer sur les deux tableaux. L’ampleur du texte en surimpression sur des illustrations pleine page permet de développer une intrigue nourrie. Mais la narration portent le récit au moins autant que les mots. C’est hyper réussi, haletant et très original, bien que très sombre. Ce titre fondera-t-il un genre à la croisée entre roman et album ? Pour sa part, Isabelle adorerait retrouver ce format.

L’avis complet d’Isabelle

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Pour savoir qui succèdera à Amour Chrome, Les derniers branleurs, L’Estrange aventure de Mirella, Les amours d’un fantôme en temps de guerre et L’aube sera grandiose, rendez-vous sur le site du prix !

Et vous, lequel avez-vous préféré ?

De la page à l’écran : Hugo Cabret

Pour faire suite à la discussion sur l’intérêt d’adapter des livres de jeunesse au cinéma ou en série et inaugurer une nouvelle rubrique, Linda et Lucie ont souhaité discuter de l’adaptation du roman graphique Hugo Cabret par Martin Scorsese.

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L’Invention de Hugo Cabret, Brian Selznick, Bayard Jeunesse, 2008.

Lucie : Hugo Cabret est le premier roman graphique de Brian Selznick que j’ai découvert. Je me souviens d’avoir été immédiatement conquise. Je l’avais trouvé très visuel, presque entre le storyboard et le flipbook. La maîtrise de l’alternance entre récit et images et la beauté des illustrations m’avaient scotchée.
Te souviens-tu de ta première réaction en découvrant ce livre ?

Linda : Ma découverte du roman est toute récente et ma plus grande surprise a été de constater que cet énorme pavé contenait bien plus d’illustrations que de texte. Surprise agréable, car non seulement les dessins sont magnifiques mais surtout, le procédé utilisé pour le cadrage de l’image donne l’impression de regarder un film avec ces travelling avant et arrière. C’est assez bluffant car cela rend très bien sur le papier, donne un effet très visuel comme je n’avais jamais encore vu utilisé dans un livre.

Lucie : Justement, le fait que ce roman soit si visuel rend-il l’idée de l’adaptation évidente ?

Linda : Avant de voir le film, je pensais que oui, notamment parce que l’auteur utilise des plans cinématographiques. Pourtant après l’avoir vu, j’ai trouvé que l’alternance texte-images, qui m’avait vraiment plu à la lecture, apportait quelque chose de plus que le film qui ne peut que jouer sur l’image. Le texte devient le jeu des acteurs et des dialogues. Quelque part je trouve que cela appauvrit l’histoire.

Lucie : C’est sûr que le cinéma ne peut pas jouer sur cette alternance texte-image. Ou alors avec une voix off, mais cela alourdi considérablement le film.
Mais comme la quête d’Hugo l’amène à Georges Méliès, j’ai trouvé que la version cinéma apportait un vrai « plus » à ce niveau-là, avec des extraits des films originaux en couleurs. Une véritable plongée dans l’histoire du cinéma, puisque la plupart des spectateurs ne connaissent pas cet artiste.
Et, en parallèle, j’ai apprécié le flashback mettant en scène Méliès réalisant ses films. Cela permet de voir comment se faisaient les effets spéciaux (déjà !) à l’époque.
Il me semble que c’est aussi un clin d’œil au travail du cinéaste, clin d’œil accentué par le caméo de Scorsese qui photographie Méliès et sa femme devant leur studio !

Martin Scorsese en photographe dans Hugo Cabret

Linda : Il est certain que l’histoire étant celle de Méliès, le support cinéma apporte forcément quelque chose. Bien que le livre apporte également un témoignage intéressant et propose quelques photogrammes (photos issues d’un film), ce n’est pas la même chose.

Lucie : Les illustrations du livre sont en noir et blanc, avec de très forts contrastes. Martin Scorsese aurait pu faire le choix de conserver ce parti pris (ses premiers courts-métrages et son premier film Who’s That Knocking at My Door sont en noir et blanc), mais il a fait le choix de tourner en couleurs. Je dois dire que si le noir et blanc va très bien avec l’histoire dans le livre, j’étais contente que le film soit en couleurs. Cela apporte de la lumière. Parce qu’entre le deuil, la solitude et le danger permanent, le livre est tout de même assez sombre. 
Et toi, qu’as-tu pensé de cette couleur et des changements entre le livre et le film ?

Linda : Oui, c’est un très bon choix d’autant que les rétrospectives et autres flashbacks sont en noir et blanc. Cela encre d’avantage l’histoire dans le présent du récit et permet de mettre l’accent sur deux époques différentes : celle de Méliès et celle de Hugo. Je suis d’accord avec toi pour dire que l’histoire aborde de nombreux thèmes assez sombres mais je trouve qu’il y a quand même de la lumière au fil de l’histoire. La rencontre d’Hugo avec Isabelle en est un bel exemple. Sa spontanéité, sa joie de vivre et sa témérité attirent Hugo comme une lumière dans la nuit attire un papillon.
Pourtant Martin Scorsese a choisit de transformer la personnalité d’Isabelle, comme si elle n’était pas assez lisse et proprette, pas assez sage pour une fille. Je trouve ça dommage et cela va à l’encontre des idées féministes de notre époque. De fait, Isabelle n’apporte plus grand chose à Hugo ou à l’histoire, elle devient juste un faire valoir au héros masculin. C’est quelque chose que j’ai trouvé assez dérangeant en fait… 
Que penses-tu de ce choix ?

Lucie : Je suis d’accord, le personnage d’Isabelle est plus lisse. Mais il me semble que celui d’Hugo aussi. Dans le livre, il est vraiment sur la défensive, beaucoup plus agressif que dans le film.
Je me dis que Scorsese ayant fait ce film pour sa fille, lui dont les films sont habituellement si violents (violence tant physique que morale), il a peut-être voulu adoucir les personnages et les rendre plus « aimables » ? Mais je suis d’accord avec toi, j’aime quand les personnages ont plus d’aspérités, y compris les enfants. C’est ce qui les rend intéressants.
Je pense que l’on rejoint ici ce que nous disions dans notre discussion sur les adaptations : l’intrigue et les personnages sont simplifiés parce que le support laisse moins de temps pour les installer et que l’enjeu financier implique de plaire au plus grand nombre.
Cela dit, je trouve que le personnage d’Isabelle garde son rôle principal : celui de réparer le lien entre Hugo et les autres humains, son histoire personnelle l’ayant rendu particulièrement méfiant.

J’aime beaucoup ce motif de la réparation, justement, qu’on retrouve tant dans le livre que dans le film : concrètement il s’agit de réparer des objets (Hugo avec son automate, Méliès avec les jouets cassés) mais les rencontres vont permettre de réparer des liens et des injustices. J’ai trouvé cette métaphore plutôt jolie.

Linda : C’est vrai que c’est joli !
Le temps est également un élément majeur de l’histoire. Déjà parce que Hugo s’occupe de l’horloge de la gare mais aussi parce qu’au travers de son histoire personnelle il est question du temps qui passe et, par association avec la « réparation » dont tu parles, du temps qui aide à panser les plaies et les blessures. A l’inverse de Méliès, qui a vu sa vie basculer quand il n’a pas su suivre les progrès du cinéma, restant figé dans une forme d’art et une époque révolue, Hugo, lui, tente de reconstruire son passé (le pantin) pour redonner sens à son présent et, par extension, à son avenir.

Hugo Cabret, Martin Scorsese, 2011.

Lucie : Ta réflexion sur le temps est très intéressante : temps concret avec les multiples horloges et temps subjectif qui permet d’avancer et d’envisager l’avenir.
J’aime aussi l’idée que les deux personnages se réparent l’un l’autre : Hugo en permettant la reconnaissance du travail de Méliès (qui a vécu une longue « traversée du désert ») et Méliès et sa femme en offrant (enfin !) un lieu de vie stable et aimant à Hugo.
Il y a aussi une dimension patrimoniale dans cette reconnaissance. Scorsese étant un excellent connaisseur (et ardent conservateur) de l’histoire du cinéma, cette thématique prend tout son sens.
Cela compense un peu la quasi éviction du libraire, bien plus présent dans le livre. Comme si chaque support mettait en avant son patrimoine, les deux se complétant.

Georges Méliès devant son magasin de jouets.

Linda : Il y a eu une reconnaissance de l’œuvre de Méliès, mais elle est essentiellement posthume. Il a été décoré de la légion d’honneur par Louis Lumière quelques années avant sa mort. Et puis il ne faut pas oublier Henri Langlois, créateur de la Cinémathèque française, qui a sauvé une partie de ses films. Avec ce film, Scorsese participe aussi à cette reconnaissance…
Je vois aussi un lien entre la façon qu’a Hugo d’observer le monde, à la manière d’un cinéaste peut-être, à travers des petits trous, des fentes dans les murs… Une façon pour lui d’être observateur d’un monde dans lequel il n’a pas vraiment sa place, mais aussi et surtout de se protéger, assurer ses arrières pour éviter de perdre la liberté. Là encore le travail d’illustrations du l’auteur joue avec les codes du cinéma et Scorsese reprend ça très bien dans son film.

Hugo observe Méliès et Isabelle.

Lucie : On peut d’ailleurs y voir une mise en abime : Hugo prend la place de l’auteur et du réalisateur, qui observent, s’inspirent et « commentent » les comportements des gens qui les entourent.

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Et vous, avez-vous lu / vu Hugo Cabret ? Qu’avez-vous pensé de ce roman graphique et de son adaptation ?

Coups de coeur de septembre

La rentrée est passée, le froid s’installe déjà – trop tôt !
Heureusement, A l’ombre du Grand Arbre, nous avons quelques coups de cœur à partager… Pour faire durer le beau temps ou nous préparer à affronter l’automne !

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Lucie a découvert la collection « Court Toujours » de Nathan avec un certain plaisir. Défi lancé à de grands noms de la littérature jeunesse : écrire un texte court (à lire ou à écouter en moins d’une heure), adapté au mode de vie des 18-25 ans. Ces romans sont disponibles en format papier mais aussi numérique et audio.
Pour le moment, ses « chouchous » sont J’entends des pas derrière moi de Jo Witek et Miettes (humour décalé) de Stéphane Servant.

Son avis sur J’entends des pas derrière moi, Miettes (humour décalé) et Tu reverras ton frère.

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Hasard de calendrier, c’est aussi ce mois-ci qu’elle a lu la suite de deux romans coup de cœur mettant en scène des animaux.
D’un côté, Jefferson fait de son mieux, « suite » de Jefferson, par Jean-Claude Mourlevat. Et quel plaisir de retrouver le petit hérisson, enquêteur malgré lui pour sauver l’une des « Ballardeau » embrigadée dans une secte ! Humour, aventures et réflexion sur la détresse face à la solitude. Un très beau roman.

Jefferson fait de son mieux, Jean-Claude Mourlevat, illustrations d’Antoine Ronzon, Gallimard Jeunesse, 2022

Retrouvez les avis d’Isabelle, Linda, Théodore (chez la Collectionneuse de papillons) et Lucie sur le premier tome, et ceux d’Isabelle et de Lucie sur le second.

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De l’autre, Pax, Le chemin du retour, suite de Pax et le petit soldat de Sara Pennypacker. Le premier tome ayant laissé un goût d’inachevé malgré sa grande qualité, suivre les traces de Pax et Peter, chacun de leur côté, est un soulagement. L’occasion aussi de répondre aux questions restées en suspens : Pax oubliera-t-il Peter ? Saura-t-il se débrouiller dans la nature ravagée par les conflits des hommes ? Comment Peter fera-t-il face à la disparition de son père ? Une reconstruction sera-t-elle possible suite à tous ces drames ?
Un roman sur l’amitié et le deuil, dans lequel l’écologie tient une place primordiale.

Pax, Le chemin du retour, Sara Pennypacker, illustrations de Jon Klassen, Gallimard Jeunesse, 2022.

Retrouvez les avis de Linda, d’Isabelle et Liraloin sur le premier tome, et celui de Lucie sur le second.

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Pour Liraloin, il était une fois une belle histoire : celle de Berta Hansson. Un album aux magnifiques illustrations relatant l’enfance de cette artiste-peintre suédoise.

L’oiseau en moi vole où il veut, Sara Lundberg, La Partie, 2022

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Pour Linda, la visite de cette maison hantée s’est faite les yeux pétillants de plaisir à la recherche de petits fantômes cachés sur des feuilles de papier calque qui jouent sur la transparence et l’effet de superposition pour créer des éléments de surprise.

Cette maison est hantée de Oliver Jeffers, kaléidoscope, 2022.

Son avis complet est à lire ICI.

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Et puis il y a ce premier roman de Ninon Dufrénois, véritable ode à la famille qui véhicule de si belles valeurs familiales. Le texte est touchant, l’histoire est une grande aventure, l’ensemble donne un récit « première lecture » poétique pour toute la famille.

Rosalie de Ninon Dufrénois, illustré par Julien Martinière, VoceVerso, 2022.

Critique complète de Linda.

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Isabelle a ri toute seule en dévorant le nouveau roman de Clémentine Beauvais, Les Facétieuses. Un roman déguisé en enquête (à moins que ?) sur les traces du jeune Louis XVII et surtout de sa marraine la bonne fée : comment a-t-elle pu l’abandonner à son sort atroce ? L’enquête nous conduit de librairies confidentielles en placards secrets du château de Versailles, recoins parisiens et farouches bibliothèques. Vers des mondes insoupçonnés où frémissent la limonade à la rose et les plumes de paon, peuplés d’historiens féministes ou réactionnaires, de brocanteurs et même de gardes de la couronne britannique. On rit beaucoup mais on n’en découvre pas moins d’où viennent les inégalités d’hier et d’aujourd’hui ! C’est complètement foisonnant et fantaisiste, mais d’une logique imparable : on brûle de connaître le fin mot de l’histoire. 

Les Facétieuses, de Clémentine Beauvais, Sarbacane, 2022.

Son avis complet ICI

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Et en BD, Isabelle et ses moussaillons ont adoré se lancer dans un périple avec mille dindes dans le Far West de 1860, grâce à l’adaptation BD du roman La longue marche des dindes par la talentueuse Léonie Bischoff. Simon Green compte bien faire fortune en conduisant un convoi de mille volatiles jusqu’à la ville florissante de Denver où on se les arrache pour au moins cinq dollars pièce. Seul détail, le chemin de fer n’existe pas encore et le voyage de 1000 km devra donc se faire… à pied. Aventures, rencontres et découverte de soi dans une Amérique peuplée de chercheurs d’or et d’Indiens, de brigands et d’exploiteurs d’esclaves, de fermiers affamés et de chasseurs de bisons. Les illustrations sont colorées, pleines de mouvement et d’expressivité. On glousse de plaisir !

La longue marche des dindes, de Léonie Bischoff (adapté du roman de Kathleen Karr), Rue de Sèvres, 2022.

L’avis d’Isabelle et celui de Lucie.

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Bien que très différentes, les deux lectures coup de cœur de Blandine ont des thèmes similaires, et l’ont beaucoup émue.

La Baleine la plus seule au monde. Kim CRABEELS et Sebastiaan Van Doninck. Alice Jeunesse

Ce très bel album lie deux solitudes. Celle d’une petite fille, Lila, qui se trouve en bout de monde. En attendant sur son phare son papa océanographe parti en aventures pour oublier et combler, elle collectionne les coquillages.
Et celle d’une baleine esseulée par sa différence acoustique.
Un récit métaphorique et magnifiquement illustré sur le deuil, la différence et l’amitié, basé sur une histoire vraie, et qui, forcément, fera écho.

La nuit où les étoiles se sont éteintes. Nine GORMAN et Marie ALHINHO. Albin Michel, 2021

Finn, ado rebelle et cabossé, débarque à la Nouvelle-Orléans chez son oncle maternel qu’il ne connaît pas. Il ne le sait pas encore, mais ce sera pour lui, après avoir connu et en affronter d’autres, l’occasion de se (re)construire, d’avoir un but dans la vie ainsi que des amis. Une bande de potes extravagante, parfois agaçante, mais finalement toujours présente. Et l’amour, aussi inattendu que soudain.

La nuit où les étoiles se sont éteintes est un roman qui emporte et émeut. Beaucoup de thèmes s’entremêlent entre quête identitaire et initiatique, amitié et amour, sexualité et homosexualité, parentalités plurielles, violences et (re)construction, deuil et avenir… C’est beau, c’est juste et c’est fort!

L’avis de Blandine ICI.

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Colette s’est plongée dans la magnifique BD de David Sala, intitulée Le Poids des héros. L’auteur explore son enfance mais à l’aulne de ce que ses grands-pères, héros de guerre et de résistance, ont laissé comme empreintes indélébiles dans les récits qui se transmettent de générations en générations. Et c’est non seulement à un voyage à travers l’histoire d’une famille que l’auteur nous invite mais aussi à un fabuleux voyage à travers la couleur et l’imaginaire. Les images de Sala sont lumineuses même quand elles abordent cette histoire parfois méconnue de ce côté des Pyrénées, celle de la dictature de Franco, de l’exil des Républicains espagnols en France, du camp de concentration d’Argelés-sur-mer…

Le Poids des héros, David Sala, Casterman, 2021.

Vous pourrez feuilleter la BD par ici pour vous faire votre petit avis avant d’aller l’emprunter dans la médiathèque la plus proche !

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Et vous, quels sont les coups de cœur de votre rentrée ?