Les métiers du livre : être libraire jeunesse

Après l’interview de Liraloin, bibliothécaire, ainsi qu’Aurélien et Héloïse, professeur(e)s – documentalistes, nous avons eu le plaisir d’interviewer Alexiane une jeune libraire dynamique pour vous partager son métier et sa passion !

Alexiane (à droite) et son employée Clara devant la superbe vitrine de la librairie les Trois Brigands

Pourquoi avoir choisi le nom des « Trois Brigands » ?
Le nom de la librairie est inspiré du titre d’un album de mon enfance, Les Trois Brigands de Tomi Ungerer. C’est un livre paru dans les années 60, qui est assez précurseur dans la littérature jeunesse. Là où aujourd’hui les propositions sont très riches, avec de nombreux illustrateurs et auteurs, c’était bien moins le cas à l’époque. C’est un album qui parle à beaucoup de gens et qui, à mon avis, est intergénérationnel. Posez la question autour de vous, je suis sûre que des personnes de votre entourage connaissent ce titre. J’avais envie de partager cela avec ma clientèle et de faire en sorte que le nom de ma boutique évoque notre enfance. Après tout, je suis spécialisée dans la littérature jeunesse.
J’ai réfléchi pendant plusieurs mois avant de choisir le nom de ma boutique. Ce n’est pas une tâche simple : tout notre entourage a ses propositions et des avis divergents. Après plus d’une centaine d’idées et de suggestions, je me suis finalement arrêtée sur celle-ci.

Le métier de libraire sonne comme la réalisation d’un rêve d’enfant, est-ce effectivement le cas pour vous ?
J’ai toujours adoré m’évader dans des mondes imaginaires, mais c’est véritablement au collège que ma passion pour la lecture s’est développée. C’est une amie qui m’a encouragée à rejoindre un club, un peu comme le vôtre. Aujourd’hui, elle aime dire que j’ai trouvé ma voie grâce à elle (et elle n’a pas tout à fait tort).
Pour la petite anecdote, je n’aimais pas particulièrement lire auparavant. Mais, comme tous les lecteurs, il y a un « livre déclic », celui qui nous fait découvrir le plaisir de la lecture. Pour moi, c’était L’Ordinatueur de Christian Grenier, un grand merci à ma professeure de français.


Bref, ma passion s’est véritablement affirmée au collège puis au lycée, et j’ai rapidement compris que je voulais que cette passion devienne bien plus qu’un simple loisir : je voulais en faire mon métier. À mon avis, pour être libraire, il faut être passionné. Sans cette passion, ce métier n’a pas de sens.

Quel a été votre parcours pour parvenir à transformer cette passion en métier ?
J’ai suivi une licence Métiers du livre, spécialisée en librairie, à Clermont-Ferrand pendant deux ans après avoir obtenu un BAC ES. Durant ces deux années, j’ai réalisé plusieurs mois de stage dans différentes librairies, ainsi que du bénévolat dans des salons du livre, comme celui dédié au carnet de voyage, qui fut une belle découverte. Cependant, après ces deux ans, je souhaitais une formation plus axée sur la pratique.
J’ai donc intégré l’université d’Aix-Marseille pour une licence professionnelle Librairie en alternance. Cette dernière s’est déroulée au café-librairie « Les Parleuses » à Nice. Ce fut une année que j’ai énormément appréciée, car je pouvais mettre en pratique la théorie apprise. On a beau posséder de nombreuses connaissances, être face à un client est bien plus formateur. À la suite de cette alternance, j’ai été embauchée en CDD pour une durée de six mois.
Malheureusement, avec la pandémie de Covid-19, les contraintes financières n’ont pas permis de prolonger mon contrat. Durant ces années d’expérience, j’ai particulièrement aimé travailler dans le rayon jeunesse, et je tenais à me spécialiser dans ce domaine.
J’ai donc recherché un poste de libraire jeunesse dans toute la France afin de trouver un emploi qui me correspondait réellement. Même si la France compte un peu plus de 3 000 librairies indépendantes, il n’est pas simple de trouver un poste vacant. Je ne pouvais donc pas me limiter géographiquement si je voulais décrocher un poste précis.
J’ai finalement été embauchée à La Maison du Livre à Rodez, dans l’Aveyron, une grande
librairie indépendante de plus de 800 m². Là-bas, je gérais le rayon jeunesse, avec plus de 16 000 références, les animations, les stocks, les rencontres et la communication, le tout avec l’aide de deux collègues.

Ce fut une expérience extrêmement enrichissante, ponctuée de magnifiques rencontres.
Cependant, après plus de trois ans passés dans cette librairie, j’ai ressenti l’envie de me lancer et de créer ma propre librairie, à mon image.

Quelle est la tâche que vous préférez dans votre métier ?
Sans hésiter, le conseil client ! J’adore raconter des histoires, partager mes lectures et donner envie de lire. J’aime particulièrement lorsque qu’un client revient me dire qu’il a adoré l’histoire, qu’on a trouvé LE livre parfait pour lui.

Celle que vous aimez le moins ?
En tant que gérante de la librairie, il y a beaucoup de paperasse à gérer et de comptabilité, qui ont toujours tendance à s’accumuler si l’on traîne. C’est indispensable, donc je le fais vite pour m’en débarrasser, mais ce n’est clairement pas une partie de plaisir.
Si je devais mentionner autre chose qui ne concerne pas directement le poste de gérante, je dirais la manutention. C’est une tâche peu visible, car elle fait partie des aspects un peu cachés du métier. Pourtant, je reçois plusieurs cartons de livres par jour, parfois même jusqu’à une tonne de livres pendant les périodes de forte activité. Je transporte donc constamment des charges lourdes sans forcément prêter attention à mes mouvements, ce qui m’a déjà valu plusieurs blessures. C’est malheureusement monnaie courante dans ce métier : aucun libraire n’y échappe !

Lorsque certains clients n’ont aucune idée, quels sont « vos secrets » pour conseiller LE livre qui plaira ?
Un client a toujours une petite idée, même s’il n’en a pas forcément conscience. Mon « secret », si je reprends votre terme, est de poser des questions pour comprendre ce qui pourrait lui convenir. Par exemple : Pour qui recherchez-vous un livre ? Est-ce pour vous ou pour quelqu’un d’autre ? Quels sont les goûts de cette personne ? Quel est le dernier livre qu’elle a apprécié ?
Préférez-vous partir sur un roman, une bande dessinée ou un album ?
En fonction des réponses, je me dirige vers un rayon adapté aux attentes du client pour lui présenter des ouvrages susceptibles de lui plaire. En général, on repère rapidement, à l’expression du client, si cela lui convient ou s’il faut explorer d’autres options.
Si cette méthode ne fonctionne pas, parce que le client a du mal à répondre aux questions, je lui montre une sélection de livres très variés et lui demande ce qui lui plairait le plus. Cela me permet ensuite de lui proposer d’autres ouvrages dans le même esprit.
Chaque client est unique : il n’y a jamais deux fois la même demande, et il faut savoir s’adapter à chacun. Mais c’est aussi ce qui rend le métier passionnant, car aucune journée ne se ressemble.

Quel est le livre que vous lisez actuellement ? Et votre dernier coup de cœur ? Puisqu’il est impossible de tout lire, comment choisissez-vous les titres auxquels vous accordez votre attention ?
Je reçois énormément de services de presse de la part des éditeurs : des livres qu’ils nous envoient gratuitement pour que nous puissions les lire et mieux les vendre. Pour vous donner une idée, je reçois environ 40 romans par mois (et je ne parle ici que des romans).
Heureusement, je ne reçois pas tous les livres qui paraissent, sinon je ne m’en sortirais pas.
Vous vous en doutez, il est impossible pour moi de lire 40 romans par mois, à moins de ne faire que ça de mes journées. Alors, ma règle est de lire les 50 premières pages de tous les romans que les éditeurs m’envoient. Je considère qu’ils ont fait l’effort de m’envoyer un livre
gratuitement, donc je me dois de jouer le jeu de mon côté. Je ne termine que les livres qui me plaisent vraiment et que j’ai envie de finir. Je pense que se forcer à lire tue l’envie et le plaisir de la lecture.
Je choisis donc les livres que j’ai envie de lire. Par exemple, j’adore les romans fantastiques, alors j’ai tendance à en lire davantage, contrairement aux romances, qui me plaisent moins, sauf lorsqu’elles sont tragiques. Comme tout le monde, j’ai mes propres goûts littéraires.
Ainsi, j’ai toujours plusieurs lectures en cours (environ une dizaine). Si je devais en choisir un parmi ceux que je compte terminer, je dirais Les Adelphides d’Alice Dozier. Je l’ai commencé hier [Alexiane a répondu à cet entretien en mars], et il m’a bien captivé. Enfin, même si je lis beaucoup et que j’ai aimé plusieurs livres, pour moi, un coup de cœur doit surpasser les autres. Je citerais un livre lu pendant la période de Noël : Songlight de Moira Buffini.
C’est un excellent roman de science-fiction dystopique (j’adore les dystopies) qui explore la valeur de l’authenticité et la liberté d’être soi-même.

Avez-vous un livre de chevet et si oui lequel ?
Oui, mon livre préféré est Azul d’Antonio Da Silva. J’adore la façon d’écrire de cet auteur : des chapitres courts, une lecture fluide et rapide, avec du suspense et des rebondissements à chaque page. Il nous embarque dans son univers, nous mène en bateau, et on en ressort toujours avec une multitude de questions. J’ai beau le relire, je me fais toujours happer de la même manière.
Pour vous en donner un aperçu : on suit Miguel, un jeune garçon vivant au Portugal, qui a un don un peu particulier : il peut traverser les tableaux. Son objectif est de corriger les plus petites erreurs des chefs-d’œuvre de la peinture. Mais tout ne se déroule pas comme prévu. Des événements étranges commencent à survenir dans sa vie quotidienne. Miguel en vient à se demander : si lui peut entrer dans les tableaux, est-il possible que quelque chose en sorte ?
Toute la question de ce roman est : qu’est-ce qui est réel ? C’est un récit qui mêle aventure, enquête policière, romance et suspense.
L’auteur vient de sortir un nouveau roman, Les Oublieux. Il est déjà sur ma pile à lire, et j’ai hâte de m’y plonger !

Est-ce que les chiffres de vente influencent vos commandes ?
Cela dépend si l’on parle des chiffres de vente réalisés dans ma librairie ou de ceux à plus grande échelle (mondiale, nationale, etc.). Par exemple, si un auteur que j’apprécie ou qui se vend bien dans ma librairie sort un nouveau livre, je vais plus facilement en commander
plusieurs exemplaires. En revanche, si je me base plutôt sur les chiffres de vente à l’international pour une traduction, je ne vais pas forcément en commander beaucoup. Certains livres se vendent très bien à l’étranger, car ce sont des lectures populaires là-bas, mais ce n’est pas forcément le cas chez nous. Cela dépend vraiment de l’ouvrage.
Lorsque je travaille sur un nouveau titre, j’essaie de tenir compte de ma clientèle et d’estimer le nombre de personnes qui pourraient être intéressées par le livre. Voici plusieurs critères que je prends en considération :

  • Si l’éditeur prévoit une importante campagne de presse,
  • S’il m’envoie un service de presse,
  • Si l’auteur est particulièrement populaire en ce moment,
  • Si c’est le nouveau tome d’une série qui fonctionne bien (par exemple, le prochain Hunger Games : Lever de soleil sur la moisson),
  • Si le livre est adapté au cinéma,
  • Si le sujet résonne avec une actualité récente,
  • Et également l’éditeur lui-même, car d’un éditeur à l’autre, la qualité des livres et les moyens financiers pour les promouvoir varient.

Cela peut paraître un peu complexe, mais c’est vraiment un travail de gestion que j’ai appris durant ma formation. Malgré tout, il reste difficile de tout anticiper. Parfois, un livre devient soudainement très populaire sur les réseaux sociaux, et cela peut être imprévisible. Dans ces cas-là, il arrive souvent que le livre tombe en rupture de stock, car même l’éditeur n’a pas pu l’anticiper. Ce fut le cas pour Mille Baisers pour un Garçon ou encore Et Ils Meurent Tous les Deux à la Fin.

Comment décidez-vous de vos vitrines ? A quelle fréquence les modifiez-vous ?
J’ai deux vitrines qui donnent sur deux rues. Je les change environ tous les mois, en fonction des thématiques actuelles, des grandes nouveautés, ou encore d’un thème que nous avons envie de mettre en avant. J’aime beaucoup faire cela, car cela nous permet de laisser parler notre créativité et nos envies.
Par exemple, en ce moment, il y a une vitrine « Team Chien ou Team Chat » et une vitrine sur les jeux. Mais j’ai déjà réalisé des vitrines sur : le chantier, la danse, les dinosaures, les cochons, l’histoire, la mer, les loups et bien d’autres encore.
Il arrive parfois qu’un éditeur lance un concours de vitrines avec des lots à gagner afin de mettre en avant ses publications.

Êtes-vous présentes sur les réseaux sociaux ? Avez-vous un site internet ? Pourquoi ?
Oui, nous sommes présents sur Instagram et Facebook. J’ai également lancé, il y a une semaine, un site internet :
www.lestroisbrigands.com
J’ai souhaité créer un site très complet. Il permet de consulter le stock de la librairie, de créer des listes d’envies, de commander les livres qui ne sont pas en magasin ou de réserver ceux qui s’y trouvent. Il est également possible de payer en ligne et de se faire expédier les ouvrages. Ce site me sert aussi de plateforme d’information et d’agenda pour ma clientèle.
J’essaie d’être très active sur les réseaux sociaux et sur le site internet, car aujourd’hui, le numérique a pris une place importante. Pour fidéliser les jeunes, il est essentiel d’être le plus visible possible sur les plateformes. C’est beaucoup de travail, car cela demande du temps : veille, tournage de vidéos, photos, montage, création d’affiches, etc. J’endosse de nombreuses casquettes, tout comme ma salariée Clara, afin d’assurer une visibilité indispensable de nos jours.

Et pour compléter cette visibilité numérique, organisez-vous des animations autour du livre et de la lecture dans et hors les murs ? Et si oui quelles sont les étapes de préparation ?
Les animations sont indispensables pour faire vivre un commerce, et encore plus dans une librairie pour enfants. En moyenne, j’organise une animation par semaine. Par exemple, nous proposons deux fois par mois des séances « bébé lecteur » pour les enfants de 6 mois à 3 ans (albums en anglais et en français). Depuis ce mois-ci, nous organisons également un atelier créatif par mois, en commençant avec un atelier de bracelets brésiliens. Il y a aussi des goûters-lecture pour les enfants de 4 à 7 ans.
Pour le reste des animations, comme les rencontres avec des auteurs et les dédicaces, cela dépend des opportunités. Soit nous démarchons un auteur, soit c’est lui qui nous contacte, et nous acceptons de le recevoir. Ces événements engendrent des frais supplémentaires à prendre en compte. Il faut donc trouver un équilibre : inviter suffisamment d’auteurs pour montrer à la clientèle que le lieu est vivant, mais pas trop pour éviter d’être à perte.
La préparation varie en fonction des animations. Pour les goûters-lecture, je sélectionne des ouvrages qui m’ont plu et m’entraîne à les lire à voix haute une fois, généralement la veille si j’ai le temps. C’est un exercice que je fais régulièrement, donc j’ai pris l’habitude et je peux improviser si besoin.
Pour les ateliers créatifs, étant plutôt manuelle, je maîtrise pas mal de techniques. Je combine généralement mes connaissances et les suggestions des éditeurs. Quant aux rencontres avec les auteurs, je m’assure de lire leurs livres au préalable. Si un échange de questions est prévu, je prépare mes questions au fur et à mesure de ma lecture pour ne rien oublier avant de faire le point.
Pour ce qui est des animations « hors les murs », j’ai participé à la Fête du Livre du Var en novembre, mais je ne considère pas cela comme une animation, plutôt comme un salon.

Travaillez-vous en partenariat avec le(s) école(s), le(s) collèges, lycée(s) de votre ville ?
Oui, je travaille avec plusieurs collectivités, le lycée Bonaparte, ainsi que les médiathèques de Sanary et de Bandol. Il est important de collaborer avec toute la chaîne du livre, car cela permet de toucher un plus grand nombre de lecteurs.
Pour certains partenariats, la librairie doit répondre à des marchés publics. Concrètement, la mairie publie une offre pour une bibliothèque donnée, et toutes les librairies peuvent y répondre afin d’obtenir ce marché. Nous devons alors proposer les meilleurs arguments pour remporter le marché. C’est encore un peu difficile pour moi de m’imposer face à un géant comme Charlemagne (librairie de taille importante sur la ville), mais je compte persévérer !

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Merci à Alexiane pour sa gentillesse et sa passion ! Nous souhaitons une longue route à sa belle librairie !

Passeuse d’histoire : Liraloin, bibliothécaire à ses nombreuses heures perdues

A l’Ombre du Grand Arbre, nous aimons créer de nouvelles rubriques. Avec les « passeurs d’histoires », les arbronautes vous proposent de découvrir les différents métiers du livre. Ce lundi nous commençons avec Liraloin qui le jour est une bibliothécaire-infiltrée dans un réseau.

Votre bibliothécaire croquée par une jeune lectrice lors d’une séance de lecture pour une classe et autre dessin réalisé par un ex-collègue !

Comment es-tu devenue bibliothécaire ? Est-ce une vocation précoce ou le résultat d’un cheminement, et lequel ?

Je n’étais pas très douée pour les études. J’adorais lire et rêver, beaucoup trop même. Je me dirigeais plus vers le métier de professeur car j’aimais l’histoire et surtout le français. Parallèlement je répétais souvent « j’aimerais travailler dans les livres… » mais en ne sachant pas quoi faire exactement. C’est ma p’tite maman qui s’est dit que d’aller rencontrer la bibliothécaire de la médiathèque de notre ville serait une bonne idée (cette médiathèque venait d’être créée). Et là, révélation : le cursus et le contenu m’ont parlé de suite. Je peux dire qu’à l’âge de 18 ans je savais que je voudrais être bibliothécaire.

Quelles sont les principales qualités à avoir pour envisager ce métier selon toi ?

Il y a différents niveaux de compétences pour exercer ce métier. Si l’on veut occuper un poste comme le mien (responsable d’une section jeunesse), il est impératif d’avoir plusieurs cordes à son arc. Après, la charge de travail correspond à l’équipe que l’on encadre (autonomie, prise d’initiative, suivi des collections et des actions culturelles….). La principale qualité c’est d’avoir un grand sens du service public, nous sommes là pour les usagers. Tout va découler naturellement de cette notion.

On imagine le métier de bibliothécaire en se disant qu’il permet de lire énormément et en voyant surtout ce que l’on expérimente en tant qu’usager : quelqu’un qui nous aide à trouver LE livre qui correspond à ce que l’on est venu chercher…

En fait, c’est une idée complétement biaisée du métier. En médiathèque on ne lit pas, on lit chez soi comme les usagers. Je lis les albums pour vraiment être certaine de ne pas me tromper dans les âges, « les 0-4 ans » et les « 5-8 ans ». Après, tout dépend de l’investissement de la personne. C’est un métier en perpétuelle mutation donc j’essaye, par le biais des formations ou de ma curiosité naturelle, d’en savoir toujours plus. Je me rends compte que je n’arrête jamais, il est tellement important de savoir mesurer l’impact du numérique tout comme comprendre le succès de tel ou tel courant littéraire…

Comment choisis-tu les livres que tu commandes ? Peux-tu nous raconter le parcours d’un livre entre le moment où il arrive et celui de sa mise en rayon ?
Dans ma carrière, j’ai occupé plusieurs postes dans différentes villes. On ne fait pas les mêmes acquisitions, il faut mesurer les attentes du public et aussi savoir « bouleverser » les attendus. Exemple : une fois par mois je propose aux jeunes parents une matinée sur la sensibilisation à la littérature de jeunesse. Les parents qui y viennent n’ont pas les mêmes attentes. Pour un couple qui lit régulièrement à son bébé, je vais sortir des sentiers battus en leur montrant des livres atypiques vers lesquels ils ne seraient peut-être pas allés. A contrario de parents qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’on peut lire à un bébé, là je vais aller vers des livres plus faciles d’accès en leur montrant comment lire… sans évidemment donner de leçons. La seule chose que je dis (pour tous) : « prenez plaisir à lire l’album ou chanter, l’enfant le sentira tout de suite ». (bon j’ai divagué sur l’action culturelle mais tout est très imbriqué !)
Pour les acquisitions, nous avons des statistiques : taux de rotation d’un livre durant un an (le nombre d’emprunts d’un livre), c’est en partie cela qui va déterminer l’orientation des collections. Est-ce que je développe plus d’albums pour les 0-3 ans ? Comment achalander une collection de documentaires ? Est-ce que je ne vais pas extraire les albums jeux des albums pour attirer des enfants qui lisent moins car j’ai une section jeux vidéo et que cela peut être cohérent ?
Comme j’ai une certaine expertise en éditions jeunesse, je fais la différence dans le travail de certaines maisons d’éditions. Attention également à bien équilibrer les collections et ne pas acheter que des livres élitistes… sachant que certains ouvrages sont peu empruntés (comme la poésie et le théâtre), c’est à nous de mettre les collections en avant et d’en faire la médiation (c’est un autre pan du métier).
Le livre est commandé chez un libraire (les médiathèques travaillent avec des prestataires qui répondent aux critères d’un marché établi par des collègues travaillant en politique documentaire – j’y ai travaillé également). Le livre peut arriver équipé ou nu selon les degrés de prestation. Pour un livre nu, il faut l’équiper : code-barre, estampillage (tampon de la médiathèque), pose de charnière et de filmolux (couverture avec un film plastique spécial), de la puce RFID (antivol) et de la cote du livre (son adresse : pour le retrouver en rayon). Ensuite il est catalogué (référencé dans le SIGB – le logiciel de la médiathèque). Chaque médiathèque a son SIGB et donc le développe selon les demandes hiérarchiques (tranches d’âges, genre des romans ou des films, section jeunesse ou ado, fonds spécifiques : parentalité ou FAL (Facile à Lire). Puis mise en rayon, en facing pour les mettre en valeur ou sur les tables de nouveautés ….

Quel aspect de ton métier préfères-tu ?

J’aime beaucoup ce que je fais au quotidien. Ce que je préfère c’est de monter des projets et des actions culturelles en direction des usagers et choisir les documents qui correspondent au public en attente. Pour moi, le seul fait qu’une maman me dise « je trouve vraiment tout ce que je veux dans cette médiathèque » me prouve que j’ai réussi à faire des acquisitions pertinentes. La communication est très importante, il ne faut rien laisser au hasard, elle passe autant par la médiation des collections (tables thématiques, mise en avant d’un auteur…), que par la médiation des actions (savoir reconnaître un usager qui serait intéressé par tel ou tel atelier…). C’est pour tout ce qui se passe dans les murs de la médiathèque car le travail hors les murs est aussi important, notamment les projets que l’on monte avec nos partenaires associatifs ou éducatifs.

Et, a contrario, y a-t-il des tâches un peu moins sympas dont les usagers n’ont pas conscience ?

Je dirais que c’est la difficulté de se faire entendre par la collectivité parfois. Il n’y a pas de tâches moins sympas, enfin pas à mon niveau. Par contre, je n’occuperai jamais un poste en direction : faire des plannings, gérer le bâtiment… ce n’est pas ce que je préfère.

Dans les inconvénients (mais c’est peut-être une vision biaisée du métier), une sous-question sur le poids de l’administratif ou des budgets à gérer peut-être ?

Cela dépend vraiment de la collectivité. J’ai connu des budgets très serrés comme le contraire. J’ai quitté un poste en politique documentaire principalement pour cet aspect. Gérer des commandes, passer des commandes…. Ce n’est pas très stimulant. Heureusement il y a d’autres tâches très bien en politique documentaire mais on est moins dans l’action auprès du public.

Comment conseilles-tu tes lecteurs et lectrices ? As-tu des valeurs sûres, ou essaies-tu de cerner leurs envies de manière très personnalisée ?

C’est très aléatoire je dirais. Le fait de créer une table thématique peut mener la lectrice-le lecteur à prêter attention à des livres vers lesquels il/elle ne serait pas allé/e. Ce que je préfère c’est surprendre l’usager !

Après il y a aussi le conseil individuel. C’est toujours agréable lorsqu’on range les étagères, souvent les lecteurs nous interpellent. Il m’arrive aussi de m’immiscer en toute discrétion pour un conseil comme ça : surtout quand une maman explique à son fils qu’elle en a marre car il ne lit que des mangas et qu’elle aimerait qu’il lise un roman, c’est classique et là bim… je m’adresse à l’enfant directement, le parent n’existe plus et je lui demande ce qu’il préfère : l’aventure, le suspens, avoir peur…. Généralement il ou elle repart avec LE roman. Comme toute bibliothécaire, j’ai des valeurs sûres.

Les bibliothèques peuvent jouer un rôle super important pour devenir ‘lecteur’, découvrir la littérature. As-tu une anecdote que tu voudrais nous raconter ?

Récemment une éducatrice d’un centre social (celui du quartier de la médiathèque) m’a demandé d’accueillir à la médiathèque des familles qui ne fréquentent pas le lieu. C’était un chouette moment, j’avais préparé des lectures pour les 5-11 ans, des valeurs sûres ! Lors du temps fort sur la restitution des actions menées par ce centre social, l’éducatrice m’a expliqué que les enfants et les parents avaient tellement adoré les histoires qu’elle avait envie de faire venir un conteur plutôt qu’un magicien. Elle m’a expliqué aussi que pour elle c’était le moment qu’elle avait préféré car le groupe était agité et que j’avais su capter leur attention. Il ne m’en faut pas plus pour être heureuse.

Et peut-être ta plus belle rencontre / ton plus beau souvenir ?

Je ne sais pas si j’ai un plus beau souvenir. Ce que je cherche dans ce métier c’est la décharge de bonheur que le conseil ou une situation peut provoquer. Le fait de voir qu’un enfant revienne à la bibliothèque avec ses parents car il n’arrête pas de parler « de la dame qui a raconté des histoires » durant un accueil de classe. D’être émue lorsque je vois les collégiennes et collégiens sauter de joie lorsque je leur annonce qu’une autrice va venir les rencontrer. De voir qu’un bébé de 2 ans lit le petit album que je viens de lui lire, à sa manière, et qu’il le refait 1.2.3 fois de suite laissant son parent complètement bluffé.

Après un de mes plus beaux souvenirs c’est d’avoir modéré un auteur lors d’une rencontre avec le public. C’est beaucoup de travail mais si satisfaisant !

Les projets dont tu es le plus fière et/ou que tu adores mener ?

Le projet que j’adore c’est la création du comité de lecture avec le collège de mon secteur et cette relation de confiance qui s’installe avec la professeure-documentaliste. Cette année, les élèves sont très motivées et surprenantes. Le fait d’avoir associé également les élèves du conservatoire de théâtre est une belle initiative (les comédiens et comédiennes interprètent les extraits des romans choisis pour donner envie aux jeunes de lire). J’adore aussi « Nos doudous aiment les histoires » : sensibilisation à la littérature de jeunesse. Un titre que j’ai choisi car ce qu’aime le tout-petit c’est raconter à son doudou. A chaque fois, je me sens utile, passeuse d’histoires…

J’ai adoré lorsque ces mêmes élèves du conservatoire sont venus à la médiathèque répéter des textes que j’avais choisis sur la thématique de la liberté dans le cadre de « Partir en livre 2023 », c’était émouvant, si heureuse que les textes leur aient plu !

Après j’ai adoré monter un Apéro-comics pour faire découvrir les comics aux usagers emprunteurs de BD et mangas (c’était en 2016). Un autre projet dont je suis fière aussi c’était que des jeunes d’un centre aéré puissent lire des textes mis en musique par un percussionniste et une comédienne.

Il y a eu aussi ces jeunes d’un lycée pro qui avaient monté un club mangas (on s’y rendait une fois par mois, on avait même fait un speed-booking) et qui sont venus à la médiathèque sur un temps fort autour de la SF (alors que ce n’est pas du tout mon rayon). Après, sans prétention, je n’ai peur de rien, je suis si passionnée que tout est un plaisir !

Le public que tu préfères ?

Je n’ai pas de préférence mais je dirais tout de même le public jeunesse (c’est mon secteur). Tous les âges sont sympas. Je suis aussi à l’aise avec le public handicapé que les personnes âgées ou les tout-petits.

Tu as travaillé dans différentes structures, dans des bibliothèques de village peut-être avant de travailler dans de plus grosses structures (ou inversement ) : qu’as-tu préféré ? Pourquoi ?

C’est vrai, j’ai eu la chance de travailler pour différentes collectivités. J’ai débuté dans une médiathèque qui appartenait à un réseau de trois médiathèques en plus de faire partie d’une agglomération de 13 communes qui avaient aussi leur propre réseau interne, ou une seule médiathèque pour les petites communes. Nous avions le catalogue en commun et une méthodologie de catalogage commune ainsi qu’une navette (circulation des documents réservés-retours). Nous ne travaillions quasiment jamais ensemble. Par contre, les trois médiathèques travaillaient ensemble et les agents étaient mobiles selon leurs missions. Après, j’ai travaillé dans une médiathèque dans une commune de taille moyenne et le travail était différent. On est certes assigné à un poste mais on est plus multitâches. J’ai aimé travailler dans ces deux collectivités même si j’ai eu une petite préférence pour la médiathèque n’appartenant pas à un réseau, j’étais plus libre de créer des projets… bon cela tient aussi aux orientations de la direction. Actuellement je travaille sur un réseau de six médiathèques mais il y a beaucoup de retard par rapport à ce que j’ai connu et c’est parfois difficile.

Comment envisages-tu ta mission auprès des classes ? (que dirais-tu du partenariat entre bibliothèque et Education Nationale ?)

Je fais des accueils de classes depuis mes débuts (2005) et j’ai connu de belles actions. J’ai connu le travail sur un projet durant une année entière ou bien sur une création avec une temporalité plus courte. Cette année, c’est la première fois que je ne fais pas d’accueil de classe (maternelle-élémentaire), je me consacre aux autres accueils (petite enfance – collège – autres partenariats…). Peu d’agents ont de l’expérience dans ces accueils donc … ça m’embête mais je ne peux pas être partout. C’est la deuxième année que je reçois les 10 classes de 6ème du collège de mon secteur et cela commence à porter ses fruits. Les collégiens viennent s’inscrire ou fréquentent la médiathèque plus assidument. La fidélisation prend du temps.
Le partenariat entre les médiathèques et l’Education Nationale dépend vraiment de plusieurs facteurs. C’est un peu complexe à expliquer ici. Pour conclure je dirais qu’il n’y a pas la même implication selon les collectivités. C’est terrible car j’ai l’impression que l’on est en perpétuel recommencement. Rien n’est jamais acquis. Dans ce métier il est aussi important de se faire entendre et, là aussi, c’est compliqué…

Et pour finir : du vocabulaire surprenant… « mais quel est ce terme ? »

Désherbage : au Canada les professionnelles utilisent le terme « élagage », cela consiste à enlever des livres des collections.

Refouler : c’est redresser une étagère de livres

Bulletinage : opération de pointage des périodiques (revues)

Exemplariser : le fait de rattacher un exemplaire à sa notice

Estampillage : apposer le tampon de la médiathèque sur la page de titre.

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Quel beau métier que celui de bibliothécaire !

Merci Liraloin d’avoir répondu à nos questions pour ce premier article de notre nouvelle rubrique sur les acteurs du livre !