Les métiers du livre : dialogue entre Héloïse et Aurélien, professeurs-documentalistes

Après l’interview de Liraloin, bibliothécaire, nous avons eu envie de nous intéresser aux professeurs régnant sur les CDI (Centres de Documentation et d’Informations) pour les interroger sur leur métier. Héloïse, qui enseigne en collège, et Aurélien, professeur-documentaliste en lycée, ont accepté de nous répondre et de confronter leur vision de leur travail.

*

Comment êtes-vous devenus professeurs-documentalistes, est-ce un rêve d’enfant ?

Héloïse : Non pas du tout ! Enfant, je voulais être archéologue ! C’est un peu un concours de circonstances qui m’a amenée à faire ce métier, alors que j’étais en deuxième année de master. Je travaillais en bibliothèque universitaire pour financer mes études, et je me disais que ce serait sympa de faire un métier en rapport avec les livres, vu qu’ils ont toujours été une passion. J’hésitais à passer le concours de bibliothécaire quand on m’a parlé du métier de professeur-documentaliste. L’année de préparation au CAPES a été une révélation !

Aurélien : Moi non plus, ce n’était pas un rêve, même si enfant, j’aimais beaucoup aller à la bibliothèque. Ce sont plutôt les circonstances qui m’ont amené à l’être : j’étais enseignant dans une autre discipline, et j’ai appris qu’il y avait des stages en reconversion pour être documentaliste. J’avoue que les corrections de copies et la répétition inhérente au métier de prof (« enseigner, c’est répéter », entend-on souvent à raison) me pesaient quelque peu, et j’ai profité de cette opportunité pour changer de voie. 

Quel est le parcours type pour exercer ce métier ?

Aurélien : Je ne sais pas s’il y a un parcours type. La brochure ONISEP me dira peut-être le contraire… Je pense surtout qu’il faut être prêt à intégrer un « système » tout en étant conscient que nous évoluerons un peu comme des électrons libres. Ce qui nous accorde une forme de liberté…

Héloïse : Je ne sais pas non plus mais j’ajouterai qu’il vaut mieux avoir des connaissances en sciences de l’information et en documentation, mais je ne suis pas un bon exemple, je me suis formée sur le tas !

Comment choisissez-vous les ouvrages (revues, romans, documentaires…) que vous proposez aux élèves ?

Héloïse : J’ai un budget ridicule, donc c’est quelque chose qui me demande du temps, il ne faut pas que je me trompe ! Je me base sur les programmes, les demandes des élèves, les sorties que je repère… Le plus difficile, c’est de faire des choix, puisque je ne peux pas acheter tout ce que je souhaiterais proposer à mes élèves !

Aurélien : En ce qui concerne les revues, il y a des incontournables notamment dans le domaine des sciences ou de l’actualité. Ensuite, il faut procéder à une sorte d’évaluation, en fin d’année, par exemple, en fonction des prêts, des consultations et du prix aussi ! Pour les livres, j’effectue un gros travail de veille documentaire. Comme Héloïse je me base sur pas mal de « sources » : les programmes, les demandes d’enseignants ou des élèves, une revue professionnelle (Inter CDI) ou plus généraliste (Lire magazine), mes lectures personnelles. Je consulte régulièrement la rubrique culture des hebdomadaires. Et il m’arrive aussi d’aller sur le site d’À l’ombre du grand arbre 

Quels sont vos rapports avec les autres professeurs ?

Héloïse : Ils sont très cordiaux dans mon établissement. Il faut dire que j’y travaille depuis un petit moment maintenant ! Globalement, ils sont partants quand je leur propose un projet, ce qui fait plaisir, mais je sais que ce n’est pas le cas partout. Après, je travaille tout de même souvent avec les mêmes enseignant.es… de lettres notamment !

Aurélien : À partir du moment où ils connaissent un peu mon métier, les rapports sont satisfaisants. Bien sûr, certains professeurs ne mettront jamais le pied au CDI avec leur classe ! Il faut faire avec, ne pas trop provoquer les choses au risque de mettre en place des séances superficielles. J’aimerais travailler davantage en amont avec les « réguliers », ce qui n’est pas toujours le cas… Mais quand cela se fait, en général avec des profs de lettres ou d’histoire, le résultat est toujours positif, pour nous, comme pour les élèves.

Parmi les projets ou les interventions que vous avez menés, duquel êtes-vous les plus fiers ? Pourquoi ?

Aurélien : C’est un métier où il faut apprendre, à mon avis, à être modeste et humble. Ce qui n’exclue pas la rigueur et la visée d’objectifs raisonnables. Je ne sais pas si j’ai à être fier de quoi que ce soit, mais je suis très heureux d’avoir pu créer des rencontres entres élèves et écrivains. Celles avec le regretté Charles Juliet, par exemple, ont été particulièrement riches…

Héloïse : Question difficile… Chaque projet est unique, je ne sais pas s’il y en a un que je préfère. Je suis toujours contente quand je vois les yeux des élèves qui s’éclairent, ou si cela leur permet de se révéler d’une manière ou d’une autre.

Vous avez un rôle différent des professeurs de matière, de quelle manière gérez-vous cette différence vis à vis de vos collègues et des élèves ?

Héloïse : C’est l’un des écueils du métier : les élèves ne nous considèrent pas forcément comme des enseignants, du fait de notre particularité. Ils n’ont pas « CDI » dans leur emploi du temps. J’en ai pris mon parti… Quant à mes collègues, ils ont compris que je pouvais apporter autre chose aux élèves, d’une autre manière, que c’était un autre moyen de travailler…

Aurélien : Je trouve que le métier de documentaliste (je ne me suis jamais senti obligé d’ajouter le mot « professeur ») permet un rapport différent avec les élèves et les enseignants. Il faut aussi apprendre à privilégier certaines misions par rapport à d’autres. Selon sa sensibilité ou personnalité, chacun fait sa propre hiérarchie. Faire un bilan devant les professeurs (en début ou en fin d’année) permet aussi d’apporter un éclairage sur notre travail, de leur faire comprendre que nous ne sommes pas là uniquement pour « ranger des livres », que nous devons participer à l’acquisition d’une culture de l’information pour les élèves, à favoriser l’ouverture culturelle de l’établissement, et que le CDI n’est pas une salle d’étude bis ! Bref, on fait de la pédagogie avec les profs aussi !

Quelle est la tâche que vous préfèrez ? Celle à laquelle vous ne vous attendiez pas en entrant dans ce métier ? Celle que vous aimez le moins ?

Aurélien : Faire les commandes de livres (romans, documentaires) m’intéresse, parce qu’elles ouvrent un champ de possibles. J’aime aussi partager des avis de lecture avec les élèves. Ou sur les films aussi, car le CDI doit être ouvert à la culture audiovisuelle. J’apprécie aussi d’aider les élèves à trouver des documents pertinents pour leur travail de recherche. En revanche, les tâches administratives (type réabonnements, etc.) sont assez lourdes. Et les relations téléphoniques avec les revues se sont dégradées depuis la fin du Covid… Nous devons collaborer avec des centres d’appel qui transforment les gens en robots ! Le pire selon moi, ce sont les éditeurs de manuels scolaires qui, au mois de mai, lors de la réception des spécimens pour les enseignants, nous prennent pour des valets à leur service ! Enfin, il est toujours délicat d’expliquer à des profs qui « s’invitent » au dernier moment au CDI que j’ai, moi aussi, un ordre du jour…

Héloïse : De mon côté, je ne m’attendais pas à devoir recouvrir des livres ! Et d’ailleurs, je n’ai jamais été très douée pour ça. Mais je te rejoins : ce que j’aime le moins, c’est tout ce qui est administratif. Les demandes à remplir pour espérer avoir un budget, les bilans et montages de projets qui demandent toujours énormément de temps. Par contre, j’aime conseiller des livres, j’aime expliquer des concepts aux élèves. J’aime partager mes connaissances, leur montrer qu’ils savent des choses. J’aime le contact et le partage en fait.

Justement, est-ce que vous estimez avoir un rôle particulier dans la transmission du « plaisir de lire » aux enfants ? Quelles actions avez-vous menées qui ont permis à des élèves de goûter aux joies de la lecture ?

Héloïse : Je pense qu’on a tous un rôle à jouer dans ce domaine… parents, famille, éducateurs, bibliothécaires, enseignants. Il est vrai que je peux plus facilement échanger avec eux, étant en première ligne !

Aurélien : Il est vrai que notre rôle est important. Mais nous devons faire face à un facteur qui nous complique le travail : face à la prolifération des écrans, de l’importance du téléphone portable, la lecture n’est plus la priorité des jeunes… De plus, dans mon lycée, il n’y a pas de quart d’heure lecteur (les enseignants n’y étaient pas favorables…)  L’idéal serait qu’il n’y ait plus de frontière entre « lecture plaisir » et « lecture obligatoire » en classe ! Est-ce que nos programmes scolaires permettent cela ? Je me pose la question… Par ailleurs, en ce qui concerne le CDI, il faut autant penser aux « petits » lecteurs (même si je n’aime pas cette expression) qu’à ceux qui dévorent les livres. Mais il faut préciser que le nombre de ces derniers se réduit comme une peau de chagrin à mesure que le bac approche ! C’est pourquoi je suis heureux quand nous pouvons mettre en place des rallyes lectures avec des classes. Mais, comme tu le disais dans ta réponse à la question précédente, je crois plus que jamais que le documentaliste peut devenir « passeur » en dialoguant le plus possible avec les élèves… 

Héloïse : Je mène des actions variées : des sélections thématiques, des présentations à des classes, des lectures offertes, des « emprunts mystère » (des livres emballés avec juste quelques mots-clés pour les présenter), des rencontres avec des autrices… Je présente toutes les semaines un « livre de la semaine », en essayant de varier les natures et les genres. Ce qui fonctionne bien aussi, c’est le « si tu as aimé tel livre, je te conseille celui-ci »…

Proposez-vous des sélections thématiques à certains moments de l’année ? Quelle est votre préférée ?

Aurélien : Oui, les « journées internationales » le permettent. Elles sont variées, souvent nécessaires. En plus, elles font vivre le fonds documentaire ! L’une des plus importantes, à mon avis, concerne la semaine contre le harcèlement scolaire…

Héloïse : Je le fais aussi, c’est un moyen très « classique » de mettre en avant des ouvrages. Je propose des sélection de rentrée, puis d’Halloween (qui fonctionnent toujours très bien), sur la première guerre mondiale, les droits des femmes, la science, l’écologie… J’aime bien aussi faire des sélections par « couleur », elles attirent le regard des élèves, les interpellent. Et puis je mets régulièrement en avant des lectures « faciles », pour les élèves qui n’osent pas trop lire.

Est-ce qu’il y a des échanges de lectures entre collègues là où tu travailles ?

Héloïse : Oui, mais c’est plutôt informel, sur nos pauses. Nous n’avons pas de club lecture – mais ce serait chouette !

 Aurélien : J’ai mis en place une « boîte à livres » en salle des professeurs, permettant à quelques titres retirés du fonds d’avoir une seconde vie. Des collègues me prêtent aussi des ouvrages qui pourraient avoir leur place au CDI. Comme avec Héloïse, les échanges se font surtout sur leurs temps de pause…

Avez-vous un rayon « pédagogies » ? Quel est votre titre préféré dans ce rayon ? Pourquoi ?

Héloïse : Non…

Aurélien : Nous n’en avons pas non plus, mais nous avons un rayon incluant des ouvrages aidant les élèves à mieux s’organiser par exemple. Mais pas de rayons « pédagogie » pour les profs. Je pense que, la plupart du temps, les enseignants sont contraints d’écrire leur livre eux-mêmes, en s’ajustant continuellement aux élèves, à leurs codes, sans toutefois tomber dans la complaisance ! Il faut rappeler combien ce métier formidable devient de plus en plus complexe, dans une société plus complexe elle-aussi…

Pour finir, avez-vous des partenaires avec qui tu travailles régulièrement ? Librairies ? Partenaires culturels (théâtre, centre de loisirs, cinéma…) ?

Aurélien : Non, pas vraiment. Beaucoup d’enseignants le font de leur côté, pour des projets ponctuels. Et peuvent le cas échéant, demander aux documentalistes de venir les accompagner… Je pense toutefois qu’il peut être « glissant » de solliciter systématiquement le documentaliste pour des partenariats extérieurs. Le risque est grand, je l’ai constaté, que le CDI devienne une agence de voyages. Pour moi, le plus intéressant dans ce métier, c’est l’échange avec les élèves…

Héloïse : Oui, on fonctionne beaucoup en réseau, avec les structures locales, et on travaille aussi avec quelques compagnies de théâtre. Comme nous avons peu de budget, cela permet tout de même d’ouvrir nos élèves aux offres culturelles locales, même si le pass culture nous permet aussi désormais de faire intervenir des structures qui viennent de plus loin. Nous profitons aussi du CLEA (Contrat local d’éducation Artistique) de l’agglomération, qui nous permet de monter des projets avec des artistes, auteurs et journalistes en résidence pour quelques mois.

******

Merci à Héloïse et Aurélien d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et de nous éclairer sur leur métier finalement peu connu !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *