Billet d’été : voyages : quête initiatique, quête de liberté ou d’une nouvelle vie…

Après les échappées lointaines de Liraloin et Héloïse, après les échappées graphiques de Lucie et enfin les échappées familiales de Séverine...

Cet été, Héloise – Ileautresor avait envie de parler du voyage qui devient une quête initiatique : comme dans celui du Passager de l’été (Jean-Philippe Blondel) vers le Nord de l’Europe ou dans celui du Don de Lorenzo enfant de Camargue (Michaël Morpurgo). Le voyage peut être aussi l’occasion de se retrouver en famille en traversant l’océan comme dans Rio et la baleine perdue (Hannah Gold).

Mais le voyage peut toutefois ne pas être un choix : dans Alma : le vent se lève, Timothée de Fombelle évoque la traversée des natifs d’Afrique, contraints d’embarquer à bords de navires en partance pour les îles… Désormais, les voyageurs seront en quête de liberté : ils rechercheront leurs proches et leur bonheur perdu.
Le voyage peut enfin être entrepris pour avoir de meilleures conditions de vie – comme dans Au bout des longues neiges (Jean-Côme Noguès) qui met en scène des pionniers partis d’Irlande vers le Nouveau Monde. Le départ était alors entrepris en chariot ou en caravane pour découvrir le sol canadien à la conquête de nouvelles terres vers un rêve de vie meilleure.

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Dans le Passager de l’été, Jean-Philippe Blondel nous présente le beau projet de Samuel : travailler dur dans la restauration pour s’offrir un voyage en train avec son ami.
Tout à coup, tout s’effondre… son meilleur ami, Adrien le « lâche » : il préfère des vacances au soleil…
Mais Samuel tient bon. Il décide de partir malgré tout. C’est une quête. Rien ne lui fera renoncer à son projet de voyage. Seul, avec son sac sur le dos, Samuel va apprendre à se débrouiller.

Amsterdam. Hambourg. Copenhague. Lund. A chaque étape, a lieu une nouvelle rencontre avec une personne qui lui confie son histoire. Désormais, chaque rencontre est comme une histoire au coeur de l’histoire : une mise en abyme… qui vous emporte encore ailleurs.
Mais ce voyage permet aussi de savoir que les personnes rencontrées ont parfois des secrets qui les ont transformés.
Petit à petit, il se découvre lui-même.
J’ai adoré ne pas savoir où ce voyage me conduirait ni quels récits je connaîtrai avec Samuel… qui se découvre lui-même.
Ce roman est une quête initiiatique, qui permet bien sûr à Samuel de partir à la recherche de soi-même.
A la fin de ce voyage, Samuel se sera aussi métamorphosé. Il a grandi intérieurement. Vers plus de maturité.

C’est une aventure passionnante, un roman rythmé, comme je les aime… Avec ce livre, j’ai découvert l’auteur : Jean-Philippe Blondel, et je ne le regrette pas… le temps d’une lecture, il m’a emporté de ville en ville – d’étape en étape – et j’ai beaucoup aimé ce tour d’Europe. Ce livre, c’est une vraie traversée. Un roman passionnant. Une découverte. Dans la relation à d’autres, c’est aussi une vraie découverte de soi-même, d’un soi en devenir… Dans une quête tout aussi passionnante qu’un tour en Europe…

Passager de l’été, Philippe Blondel, Actes Sud Jeunesse, 2023.

Rio et la baleine perdue de Hannah Gold raconte la très belle histoire sur un enfant parti rencontrer sa grand-mère inconnue. Là, le voyage en mer conduit à un retour vers ses origines à travers un merveilleux amour pour les baleines.

Rio et la baleine perdue, Hanna Gold, Seuil jeunesse, 2024.

Le don de Lorenzo de Michaël Morpurgo est un roman attachant, qui parle d’amitié et de rencontres, avec en toile de fonds la Camargue. Vincent, le narrateur, visite la Camargue, le pays des chevaux sauvages et des flamants roses. Il rencontre Kenza, qui le soigne, et Lorenzo, un jeune garçon qui tisse un lien particulier avec les chevaux sauvages et les flamants roses caractéristiques de cette région. L’histoire parle de la rencontre entre Kenza, une enfant du voyage, et Lorenzo, qui a un véritable don pour soigner les animaux sauvages. Le roman a aussi pour sujet l’amitié qui lie les différents personnages, une amitié indéfectible tissée au cours du temps, liée aussi à la liberté et à la vie sauvage, dans la nature camarguaise, au milieu des étangs et des marais. Un roman sur la rencontre de différences et d’amitiés dans ce voyage au pays des chevaux blancs et des flamants roses: les animaux blessés que Lorenzo aime et excelle à soigner.

Le don de Lorenzo, Michael Morpurgo, illustrations de François Place, Folio Junior, 2022.

Dans Alma : le vent se lève (premier tome d’un trilogie), Timothée de Fombelle invite le lecteur dans la vallée d’Afrique où vit paisiblement une famille, celle d’Alma, comme dans un petit paradis. Cependant, Lam, le petit frère d’Alma, a disparu. Qu’est-il devenu ? A-t-il trop écouté les histoires qu’ inventait Alma pour lui ? Leur père les avait pourtant bien mis en garde… Nul ne pouvait entrer ou sortir de la vallée !
Par ailleurs, un beau navire, la Douce Amélie, est prêt à prendre le large, toutes voiles dehors : à son bord, les matelots ont embarqués, prêts à partir à l’aventure. Un clandestin, Joseph Mars, et le redoutable capitaine Gardell sont à la recherche d’un trésor.

C’est aussi l’histoire de la famille d’Alma. Cette dernière vivait heureuse, cachée dans une vallée à l’abri des regards… avant que les marchands d’esclaves ne menacent leur bonheur. Tous les membres de leurs famille sont éparpillés dans le monde entier … Ils vont être embarqués dans de beaux navires, en partance pour les îles ou l’Amérique…

C’est un roman d’aventures avec des pirates et une belle demoiselle de la Rochelle : Amélie, une jeune fille de bonne naissance mais qui va se livrer au commerce triangulaire pour ne pas perdre ses précieuses ressources.
C’est une belle histoire à la fois poétique et romanesque qui permet de voyager à bord d’un navire, la Douce Amélie (un bien doux nom pour un navire de traite d’esclaves). Il s’agit d’un récit qui permet de faire connaissance avec des pirates à la recherche d’un trésor… ou peut-être juste avec des personnes qui sont en quête d’un bonheur perdu et voudraient juste retrouver leurs proches et leur liberté…

Alma, Le vent se lève, Timothée de Fombelle, illustrations de François Place, Gallimard jeunesse, 2020.

Au bout des longues neiges de Jean-Côme Noguès est un roman historique agréable à lire. L’histoire se déroule en Irlande, au milieu du XIXe siècle. Or une grande famine ravage tout le pays.

La famille O’ Connell décide de partir pour le Canada. Ce départ peut-être lui permettre de survivre… Après une longue marche, tous les membres de la famille embarquent à bord d’un voilier vétuste. Parviendront-ils à bon port ?
Après la traversée sur le bateau délabré, la famille irlandaise finit par se retrouver à terre au complet. Ils sont enfin arrivés au Nouveau Monde !
Il faut encore marcher jusqu’à la concession située après le confluent où la rivière Saguenay se jette dans le St Laurent.
Mais les difficultés ne sont pas terminées, loin de là…

Tous les soirs, Dennis Hopper, le responsable de la caravane, installe le campement en plaçant les chariots en cercle sous bonne garde. Petit à petit, les voyageurs se rapprochent de leur concession – qui font encore partie des « terres indiennes ».

Quand enfin le père O’Connell prend possession de ses terres, il faut encore défricher la terre du potager… C’est un travail considérable et de longue haleine pour parvenir à s’implanter.
Mais Finn parvient toutefois à courir dans les bois. Il retrouve enfin sa liberté de mouvement. Il rencontre alors un jeune amérindien sourd-muet, avec qui il va lier amitié : Plumes-Noires.

Ce dernier lui apprend à marcher sans bruit sur les sentiers de la forêt. Il l’emmène aussi dans un canoë sur la rivière jusqu’à un superbe lac canadien. Ainsi, petit à petit, Finn découvre le sol canadien.
C’est un roman historique bien écrit, accessible et agréable à lire. J’ai bien aimé ce récit d’aventures qui décrit la dure vie des pionniers, leur rencontre avec les premiers amérindiens et la solidarité dont font preuve les pionniers entre eux. Un roman d’aventures captivant, avec des passages sur la beauté de la forêt canadienne à la fin de l’été.

Au bout des longues neiges, Jean-Côme Noguès, Nathan, 2014.

Et vous, quels titres auriez-vous proposé ?

Billet d’été : mes vacances inoubliables auprès de mes grands-parents

Après les échappées lointaines de Liraloin et Héloïse, après les échappées graphiques de Lucie, à mon tour de vous parler voyage, vacances et découvertes… De lieux, de paysages, d’humains différents ? Oui, peut-être. Mais peut-être bien aussi des voyages au bout de soi, au-delà des apparences, dans les méandres du cœur, les secrets de famille, la profondeur des sentiments… Pas besoin de partir au bout du monde pour passer des vacances inoubliables ou bouleversantes. Dans la sélection que je vous propose aujourd’hui, il suffit d’être avec ou chez papi et /ou mamie ! En album, BD, premières lectures, ou roman, c’est parti !

Le premier livre que je vous présente aurait pu se glisser dans la sélection d’Héloïse. En effet, Le van de Mona, c’est l’histoire d’un jeune garçon, Liam, en vacances chez sa grand-mère, qui à l’occasion d’une partie de cache-cache, découvre dans le garage un véhicule sortant de l’ordinaire ! D’abord fâchée contre lui, mamie lui raconte qu’il s’agit du vieux van rafistolé dans lequel elle a parcouru le monde entier avec son papi aujourd’hui décédé. Cela lui rappelle des souvenirs devenus douloureux et elle n’a pas l’intention de réutiliser ce véhicule jusqu’à son propre décès. C’est sans compter le pouvoir de persuasion, l’énergie contagieuse, la curiosité de Liam ! Il n’a plus qu’une idée en tête : dormir dans cette maison roulante. S’ensuit alors un road-trip improbable, parsemé de rires et de complicité, de souvenirs et de confidences, de tendresse et beaucoup d’amour, au bout duquel chacun, en quelque sorte, ressortira grandi, ouvert à la vie qui continue. Les illustrations crayonnées apportent une touche spontanée et authentique, de type carnet de voyage, elles sont empreintes de délicatesse… J’ai été très touchée.

Le van de Mona, de Baptiste Puaud, illustré par Adèle Tariel, Editions du Père Fouettard, 2025

J’éprouve une admiration sans faille pour Rascal, qui demeure indéniablement au fil des années l’un de mes artistes jeunesse préférés, lorsqu’il illustre les mots des autres que quand il signe des albums aux textes intelligents, subtils, drôles ou émouvants. Mais aussi quand il est seul maître à bord. Je l’ai également découvert et apprécié romancier, avec ce petit roman tendre et nostalgique, qui s’éloigne sensiblement de ses thèmes habituels. Nous suivons au gré des saisons une année de la vie de Rose, une petite citadine qui passe toutes ses vacances à la campagne chez ses grands-parents. Cueillette de champignons, confection de gâteaux, promenades en forêt rythment le lien fort qui l’unit à eux, tissé de petits bonheurs et de transmission silencieuse, de joie et de confiance. Un roman tout en nuances, en contemplation et en poésie, très joliment accompagné par les illustrations sépia de Nathalie Novi, pour appréhender le temps qui passe et les souvenirs qui aident à grandir.

C’est mon père qui a choisi mon prénom. Mon père, il dit que l’on ne devrait donner aux filles que des prénoms de fleurs.
Je suis heureuse que le mien porte des épines.

Les quatre saisons de Rose, de Rascal, illustré par Natahlie Novi, Rue du monde, 2004

Avec La cabane du bonheur, nous suivons également le rythme des saisons. Jaune, c’est la couleur que Papi Martin a choisi pour sa cabane de bord de mer, afin qu’elle ait toujours l’air ensoleillé. C’est là qu’à chaque période de vacances, une fratrie de trois enfants passe des moments délicieux avec leur grand-père, entre courses contre la pluie, pique-niques, jeux de cartes, contemplation des étoiles, cerf-volants et bains de mer. Des moments de partage, d’apprentissage, de joie que l’on croit éternels quand on a six ou sept ans. Mais parfois, les papis tombent malades et les cabanes ne résistent pas aux tempêtes… Après ça, « il est où, le bonheur, il est où ? » Perdu à jamais ?… à moins que l’esprit de famille et le souvenir des jours heureux ne donne le courage de retrousser ses manches et de l’emporter sur la tristesse. Très joliment illustré, avec des couleurs éclatantes et un mouvement permanent, cet album sensible et lumineux permet d’aborder en douceur des thèmes comme la maladie et la mort, tout en délivrant un message intemporel : profitons des gens qu’on aime, notamment les plus âgés, et notre joie demeurera, même après leur disparation.

La cabane du bonheur, de Tom Hopgood, traduit par Rosalind Elland-Goldsmith, Bayard, 2023

Douceur, encore… avec la réédition de cet album de 2019, publié d’abord chez Margot, ressorti cette année à l’Ecole des loisirs, avec une nouvelle couverture. Autant annoncer la couleur : il s’est immédiatement hissé dans le top 10 des plus beaux que j’aie jamais lus. L’auteur-illustrateur Thibault Prugne, que j’appréciais déjà énormément dans un registre humoristique (notamment sa série Renard jubilatoire), m’a ici bluffée par la grâce, la mélancolie, la sensibilité de son texte et de ses illustrations, évidemment, absolument somptueuses. Chaque nouvelle page est plus éblouissante que la précédente. Je défie quiconque de ne pas être touché.e par cette histoire où la noirceur de l’époque, en proie à la guerre qui fait rage, est adoucie par la relation magique entre un grand-père original et une petite fille curieuse, par cette histoire de transmission intergénérationnelle et de passion, par cette histoire mêlant écologie et pacifisme, par cette histoire où les petits riens font le grand tout… Par cette histoire d’amour. Imprégnée de tant de lumière et de beauté, la parenthèse enchantée et émouvante qu’offre cet album a tout simplement le parfum du chef-d’œuvre.

Je me souviens de sa cabane qui flottait dans les champs comme un phare sur l’océan ; des feuilles du vieux frêne scintillant au soleil, de l’odeur du linge qui séchait au fond du jardin, du bourdonnement des  abeilles et du chant des mésanges. Pépé Léon faisait partie de ces gens qui aimeraient que rien ne change jamais. Qui ne veulent pas refaire le monde, juste vivre au  milieu et l’écouter respirer. Je m’appelle Louise et ceci est mon histoire.

Le parfum des grandes vacances de Thibault Prugne – Ecole des Loisirs, 2019

Ces grandes vacances-là aussi se déroulent par temps de guerre, la deuxième guerre mondiale, plus précisément. L’histoire commence a l’été 1939, tandis que deux petits parisiens, Colette, 6 ans et Ernest, 11 ans, passent les vacances en Normandie chez leurs grands-parents. Mais le 3 septembre, la guerre est déclarée, leur père est envoyé au front, leur mère tombe gravement malade et ce qui ne devait être qu’un séjour estival va devoir se prolonger…. Ce seront des grandes grandes vacances ! Dès lors, nous suivons au fil des 5 tomes, leur intégration à leur nouvel environnement, leur quotidien à la ferme avec leurs aïeuls, les amitiés naissantes et les rivalités de clans, leurs prises avec le monde et les décisions des adultes, leur confrontation à la mort, etc. sous le regard toujours bienveillant et plein d’amour de leurs grands-parents. Pas sombre du tout, sans toutefois occulter les problématiques liées à la guerre mais à hauteur d’enfant (des éléments explicatifs historiques et des précisions de vocabulaire y sont intégrés), cette BD destinée aux enfants à partir de 9 ans, est très fidèle à la série TV diffusée sur Okoo dont elle est issue. Publiée au printemps 2025 dans une superbe édition collector intégrale, c’est une belle réussite car elle allie savamment fiction et Histoire. Pour ma part, les dessins signés Emile Bravo n’y sont pas étrangers.

Les grandes grandes vacances, de
Gwenaëlle Boulet, illustré par Emile Bravo, BD KIDS, 2025

Pour les plus jeunes lecteur.ic.es, particulièrement friand.e.s de la collection Mouche de l’Ecole des Loisirs, Anne Cortey et Thomas Baas proposent le récit simple et doux de quelques journées d’été de Nonna et Marta, respectivement grand-mère et petite-fille. Elles se soutiennent, se transmettent mutuellement, partagent promenade et baignade, ce qui ne les empêche pas de se chamailler gentiment. Quand la fatigue de l’une et l’énergie de l’autre entrent en collision, le respect de l’altérité est la belle leçon de vie qu’en tire la petite fille. Si j’ajoute que la forêt, la rivière, omniprésentes, gracieuses et chantantes, la sérénité de ce petit coin de paradis loin des tumultes citadins, incitent aussi le.la jeune lecteur.ice à savourer le temps présent, à profiter des joies offertes par la nature et à prendre conscience de sa nécessaire protection, c’est un peu la cerise sur le gâteau… ou disons… les haricots dans le ragoût, puisque c’est le plat préféré de Marta !

Ma chronique complète ICI.

Nonna et Marta, d’Anne Cortey, illustré par Thomas Baas, L’Ecole des loisirs, 2024

Les vacances qui ont tout changé, ce sont pour Gabin -situation familiale compliquée – celles qu’il a passé avec sa mamie dans un village-vacances des Vosges, parmi des personnes (âgées) bizarres, dont certaines sont en fauteuil roulant… Présentée ainsi, l’histoire ne fait pas rêver ! Mais c’est sans compter le talent de son auteur pour se glisser dans la peau de ce pré-adolescent perturbé par les disputes quotidiennes de ses parents sur le point de divorcer, et qui se cache derrière l’humour pour ne pas s’avouer qu’il a terriblement peur de l’avenir… Mais lors de son séjour, d’abord vécu comme une sinécure, il fait la connaissance de la pétillante et bavarde Manon, une jeune fille de son âge, et tout change. Dès lors, il participe aux activités proposées aux vacanciers, sans les juger, il apprend la tolérance, le respect, la générosité… et au final, il grandit et murît, il comprend…il se murmure même que… Chut ! Je vous laisse découvrir ce court roman drôle, frais, bienveillant et pas aussi léger qu’on pourrait le penser, idéal pour l’été.

Les vacances qui on tout changé, d’Arnaud Dudek, illustré par Benoît Perroud, Actes sud jeunesse, 2024

Pour les ados, j’avoue avoir eu plus de difficultés à sélectionner parmi mes lectures marquantes, des histoires mettant en scène des petits-enfants et des grands-parents.

Mon choix s’est tout d’abord arrêté sur le roman Apitoxine de Mélody Gornet. Eté 2020, post confinement. Son héroïne Gwendoline, 17 ans, quitte Paris pour échapper pendant deux mois à la pression sociale et familiale qu’elle subit. Elle décide de passer les vacances scolaires d’été dans le village de ses grands-parents maternels, qu’elle connaît peu et en profiter pour faire le point sur sa situation, ses névroses, ses aspirations… Sur place, guidée par sa cousine, elle découvre un monde rural différent du sien et surtout, s’embarque avec elle dans une enquête qui, résolue, la mènera à une vérité qu’elle n’aurait jamais imaginée… Il s’agit d’un roman où ce sont finalement moins les grands-parents que les secrets de famille et les non-dits qui tiennent le premier rôle, mais il a malgré tout sa place dans une sélection « vacances bouleversantes chez les grands-parents » ! En le lisant jusqu’au bout, on comprend évidemment pourquoi ! Bravo à l’autrice pour la justesse des personnages, les thématiques abordées (mal-être adolescent, relations familiales, engagement écologique, asexualité…) la tension palpable, l’écriture tendue, et pour ce premier voyage inattendu avec elle, en ce qui me concerne.

Apitoxine, de Mélody Gornet, Thierry Magnier, 2023

Enfin, c’est tout naturellement qu’Albert s’est imposé ! Un été avec Albert, c’est un roman dans lequel on retrouve les thèmes (préservation du végétal et de la biodiversité) et les personnages (jeunes femmes ou adolescentes à personnalité affirmée, environnement familial défaillant voire toxique) chers à son autrice. Le tout saupoudré d’un style percutant, d’un humour qui fait mouche, d’une bonne pincée de mystère, d’un suspense à tendance fantastique qui pousse immanquablement à dévorer les pages jusqu’à la fin, tout en offrant ici et là des scènes ou des pensées d’une tendresse infinie, un concentré de Pavlenko en vérité. Il raconte en un peu plus de 200 pages, l’été de Soledad, fraîchement bachelière, dans le village pyrénéen de sa grand-mère qu’elle aime, mais qu’au fond, elle connaît peu… Alors qu’elle rêvait de vacances de folie entre copains, elle a atterri dans ce « trou paumé » après que ses parents lui ont annoncé leur divorce et que son père s’enfonce dans la dépression. Mais ce qui aurait pu virer au récit un peu gnangnan autour du retour aux sources, aux joies simples, au partage des souvenirs et à une nostalgie douce-amère devient, grâce au super-pouvoir de conteuse de Marie Pavlenko, une histoire virevoltante, haletante et oui, un peu effrayante parfois… L’été de Soledad avec Albert sera finalement hors du commun et inoubliable, bien plus qu’aurait pu l’être un séjour au camping avec ses ami.e.s. Mais au fait… qui est Albert ?

Un été avec Albert, de Marie Pavlenko, Flammarion jeunesse, 2021

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Et vous, quels titres auriez-vous sélectionnés ?

Billet d’été : Vacances et road-trip : En voiture, tout le monde !

Quand j’ai entendu le thème « vacances », j’ai tout de suite visualisé la voiture, la route, bref, ces trajets en voiture que je trouvais interminables étant enfant (et pour être honnête, adulte aussi !). L’idée de road-trip s’est donc tout de suite imposée à moi. Je vous emmène en voyage à travers ces quelques titres, qui j’espère vous plairont autant qu’ils m’ont marquée !

Road-trip et vacances : deux titres m’ont sauté aux yeux : le génialissime Coyote Sunrise, et l’émouvant Juke Vox. Puis, d’autres titres se sont ajoutés à la liste. Et en y réfléchissant, je me suis aperçue que ces road-trips, ces voyages, m’ont beaucoup plu parce qu’ils abordaient des thématiques qui me touchaient beaucoup : c’était souvent des quêtes initiatiques qui permettaient à leurs héro.ïne.s de se trouver, ou de surmonter des traumatismes.

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Commençons d’abord par l’un de mes chouchous, un livre dont je n’ai de cesse de parler, L’incroyable voyage de Coyote Sunrise, de Dan Gemeinhart. Le pitch : Coyote, 12 ans, vit dans un bus scolaire avec son père Rodéo. Ils sillonnent les États-Unis tous les deux, recueillant parfois quelques âmes en peine sur le bord de la route. Mais un jour, Coyote apprend que le parc de son enfance va être détruit. Commence alors une course contre-la-montre pour arriver là-bas à temps…

« Parfois, faire confiance à quelqu’un est la chose la plus terrifiante qui soit. Mais tu sais quoi ? C’est bien moins effrayant que d’être toute seule. »

J’ai adoré ce roman, bouleversant, ces personnages à vif, ces thématiques difficiles (deuil, homophobie, violence) qui sont contrebalancées par la plume délicate, l’humour et l’entraide qui ressort de cette histoire. C’est émouvant, mais c’est aussi extraordinairement lumineux, optimiste.

« Ouais. je suis peut-être un peu brisée. Peut-être un peu fragile. Mais je pense à Val, à Salvador, à Lester, et je me dis que ça va. Peut-être qu’on est tous un peu brisés ? Et un peu fragiles ? C’est peut-être pour ça qu’on a tellement besoin les uns des autres ? »

L’incroyable voyage de Coyote Sunrise, de Dan GEmeinhart. Pocket. Mars 2020

La chronique d’Héloïse, celle d’Isabelle ICI, celle de Lucie.

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Un van sur la couverture de Sweet home, de Nancy Guilbert, voilà un autre titre parfait pour cette sélection road-trip. A son bord : Birdie, son frère Yzac et sa mère. Tous trois éculent les routes d’Irlande, au grand dam de Birdie, qui ne rêve que de se poser et de retrouver ses amies. Jusqu’au jour où le van tombe ne passe au beau milieu de la campagne.

« Je pleure sur la petite Birdie insouciante que j’ai été et dont j’ai lâché la main depuis longtemps.
Je pleure sur mes notes écrites sous ma couette ou sur le rebord de ma fenêtre, près de l’océan agité ou dans le parc rempli de souvenirs en cascade qui me serrent la poitrine.
Je pleure sur les enfants du monde entier qui voient leur famille et et leur monde s’écrouler parce que les adultes n’ont pas réussi à gérer. »

Avec la plume poétique qui est la sienne, Nancy Guilbert dépeint une famille déchirée et des personnages profondément touchants. Au milieu de l’Irlande sauvage, on aperçoit l’horreur, mais aussi la solidarité et la rédemption. L’écriture, la nature, font office d’exutoire, et permettent de surmonter l’insurmontable. Un roman puissant, intense, à découvrir sans hésiter.

Sweet home, de Nancy Guilbert. Didier Jeunesse. Octobre 2024

La chronique détaillée d’Héloïse.

[Je sors un peu de la thématique, mais dans un mood « vacances + résilience », je ne peux que vous conseiller deux autres ouvrages de l’autrice : Et derrière nous le silence et Gazelle Punch. Le premier parle d’emprise et de violence, de famille dysfonctionnelle, le second de violence familiale. Mais tous deux, avec de très beaux exemples, abordent aussi et surtout la reconstruction, ou comment envisager la vie après l’enfer.]

Ma chronique de Et derrière nous le silence, celle de Gazelle Punch.

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Le désormais « classique » de Clémentine Beauvais, Les petites reines, ne pouvait que figurer dans cette liste. Trois jeunes collégiennes, élues « boudins » d’un stupide concours Facebook, décident de se lancer dans un défi : rallier Paris depuis Bourg-en-Bresse, à vélo, pour protester contre le harcèlement dont elles ont été victimes. Enfin, pas seulement… Chacune a une raison bien précise de s’inviter à la garden-party du 14 juillet… Au ours de ce périple, elle vont mettre ne lumière ce harcèlement, faire passer des messages et surtout, prendre confiance en elles.

« – Je ne comprends pas pourquoi vous vous entêtez à revendiquer ce nom de Boudins ! s’offusque Maman. C’est un mot horrible.

– On le rendra beau, tu vas voir. Ou au pire, on le rendra puissant.
(Rubrique trucs et astuces de la vie, par Tata Mireille :
prends les insultes qu’on te jette et fabrique-toi des chapeaux avec.) »

On ne le présente plus, c’est un roman à succès, et je l’ai adoré, que ce soit lors de ma première lecture à sa sortie, ou lors de sa relecture en 2024. C’est avec lui que j’ai découvert la plume pétillante de Clémentine Beauvais, et j’ai beaucoup ri avec ce périple à vélo, entre dépassement de soi, confidences et humour. C’est un récit tendre et lumineux, un voyage plein de bienveillance et de folie, qui met de bonne humeur.

Les petites reines, Clémentine Beauvais. Sarbacane, 2015

Ma chronique ICI, et celle d’Héloïse Ileautrésor .

Bonus : ce roman a été adapté en BD en 2023 par Magali le Huche !

Les petites reines, de Magali Le Huche, d’après l’oeuvre de clémentine Beauvais. Sarbacane, 2023.

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Après l’est, on change de région. Juke Vox, de Pascale Perrier, est assez marquant, et pour cause. Cassandra a prévu de partir en vacances itinérantes avec sa cousine et meilleure amie Laly. Sur la route, elles chanteront. Chouette idée, non ? Mais quelques semaines avant le départ, Cassandra est violée. Les deux cousines partent tout de même, avec ce drame à surmonter…

« C’est fatigant, de marcher, de jouer, de faire semblant de sourire, y compris quand on n’en a pas envie. »

Juke Vox est un roman ado qui aborde l’après, les traumatismes et la souffrance, sur fond de voyage au soleil et de musique. L’histoire est racontée du point de vue de Laly, donc de la personne la plus proche de la victime. On ressent sa culpabilité, sa grande empathie, son impuissance, tout au long du voyage. C’est une lecture dure, mais qui aborde des thèmes importants.

Juke Vox, de Pascale Perrier. Scrineo. Avril 2022

La chronique d‘Héloïse.

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Et si l’on s’éloignait un peu des sentiers battus ? Direction l’Australie avec Stolen, de Pascale Perrier. Avec ce roman, j’ai découvert la situation d’enfants aborigènes enlevés à leur famille. C’est le cas de Joshua, qui ignorait tout de ses origines, jusqu’au jour où sa sœur Ruby, qui a grandi dans un foyer, vient le voir et lui annoncer. Commence alors pour le jeune homme un voyage dans l’Outback australien, à la recherche de ses origines et de son identité.

« L’art est nécessaire aux hommes, vois-tu. Sans l’art, un homme ne verrait pas la beauté du monde. Nos malheurs viennent du fait que nous ne sommes plus en phase avec l’art. »

Avec Joshua, Ruby, puis William, j’ai découvert l’horrible destin de ces enfants. J’ai été secouée par cette violence, ces discriminations : j’ai aussi été émue par ces jeunes adultes paumés dans la seconde partie du récit. C’est un texte incisif, révoltant parfois, très beau à d’autres, qui sensibilise à l’importance du patrimoine culturel.

Stolen, de Pascale Perrier. Actes Sud Junior. 2018

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Dans un tout autre style, partons pour les États-Unis, avec Missouri 1627. Un roman engagé, et ô combien actuel, puisqu’il nous narre le périple de deux jeunes femmes, dont l’une souhaite avorter. Veronica a 17 ans, un brillant avenir devant elle, et est tombée enceinte malgré une relation protégée. Mais elle est mineure, et si elle veut se faire avorter, il lui faut parcourir 1627 kilomètres en voiture… C’est son ancienne meilleure amie Bailey qui accepte de l’emmener.

« J’ai adoré la vie que j’avais. C’était fabuleux. J’étais tout près de devenir une de ces personnes ringardes qui pensent avec nostalgie à leurs années de lycée. Mais ça, c’était hier. Bientôt, mes parents, mes amis, tout le monde apprendra la vérité, et il ne restera plus rien de la Veronica Clarke d’avant. Oubliées mes excellentes notes et mon investissement dans le conseil des étudiants. La seule chose que l’on retiendra de moi, c’est que je me suis fait avorter. »

Contrairement à ce que le sujet pourrait laisser entendre, c’est un récit plein d’humour. Haut en couleur même. Les deux héroïnes, un peu cabossées, vivent des moments forts, parfois burlesques, parfois rocambolesques. C’est un joyeux roman initiatique, qui parle aussi de confiance en soi et d’amitié.

Missouri 1627, de Jenni Hendrix et Ted Caplan. Bayard Jeunesse, février 2021

La chronique ICI.

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Vous êtes plus thriller ? Vous préférez de la vitesse ? Vous serez servi.e avec Ce qui fait battre nos cœurs, de Florence Hinckel. Un road-trip haletant, une course-poursuite qui tient en haleine. Les thèmes : la santé, l’inégalité devant l’accès aux soins, la bioéthique, l’intelligence artificielle, le poids des réseaux sociaux. Le tout mené tambour battant.

« Actuellement, trop de chercheurs testent des avancées technologiques ou médicales juste pour voir ce que ça va donner. On peut rajouter une lettre à l’ADN? Allons-y. Pour quoi faire? On verra plus tard! On a été trop loin? Une autre avancée scientifique va bien réparer ça, non? On vit dans un délire scientiste qui manque totalement finalité, de buts, d’objectifs précis. De vision à court ou à long terme. »

J’ai aimé le rythme fou, mais aussi et surtout les thématiques actuelle qui nous plongent dans un futur proche assez glaçant. Les personnages, notamment Esteban et sa petite sœur, sont fort touchants. C’est un roman intense, prenant, passionnant au niveau de ses réflexions !

Ce qui fait battre nos cœurs, de Florence Hinckel. Syros, 2019

Plus de détails ICI.

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Et un joli petit album pour clôturer cet article, et boucler la boucle avec plus de légèreté ! Avec Nationale 7, on découvre en effet une belle histoire de transmission, qui mêle nostalgie et impatience d’arriver à destination.

Louis a une mère géniale : elle est mécanicienne. Et même une mécanicienne hors pair ! Son travail : acheter et réparer de vieilles voitures et leur donner une seconde vie. Elle les libre en suite, avec son fils comme copilote. L’occasion de se remémorer d’autres voyages…

Il y a un doux parfum mélancolique dans cet ouvrage, beaucoup de tendresse et de complicité. C’est chou comme tout !

Nationale 7, de Didier Lévy, illustré par Sonja Bougaeva. Sarbacane, juin 2023

La chronique ICI.

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Et vous, quels titres auriez-vous sélectionnés ?

Billet d’été : Voyage à travers la BD

Après le séjour au Japon proposé par Liraloin la semaine dernière, Lucie a décidé de vous emmener voyager grâce aux BD. Voyages dans le temps mais surtout dans l’espace, la place des illustrations de ce support permettant de plonger dans des décors grandioses… pour un dépaysement garanti ! Alors installez-vous confortablement (parce que certaines d’entre elles sont volumineuses) et préparez-vous pour les neuf escales qu’elle vous a concoctées entre vignettes et phylactères.

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Première étape, le Nouveau Monde…

… Avec Florida, bande dessinée racontant une expédition française pour la Floride au 16ème siècle. Jean Dytar y mêle admirablement deux époques : celle d’Eléonore dont le mari est revenu traumatisé par ce projet dont il refuse de parler et celle à laquelle le jeune cartographe participe à la malheureuse tentative de colonisation.

Avec finesse et sans manichéisme, l’auteur questionne ces expéditions, leurs motifs et leurs conséquences, tout en mettant en scène des femmes qui refusent de faire tapisserie et des enjeux religieux et économiques. Alors que nous connaissons la fin, dramatique, de l’histoire, Jean Dytar parvient à nous transporter aux cotés de Jacques Le Moyne (personnage ayant réellement existé) grâce notamment à des décors éblouissants et à des représentations de cartes d’époque.
Un voyage dans le temps et l’espace.

Florida, Jean Dytar, Delcourt, 2018

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Nous voici 300 ans plus tard, en 1850, toujours en Amérique et la colonisation a eu les effets que l’on connait sur les amérindiens. Alors que Georges est élevé par le pasteur qui gère la réserve dont il est issu, il vit coupé de ses origines et des traditions de son peuple. Jusqu’à ce que Little Knife tue l’homme de foi et l’entraine dans un voyage qui va lui permettre de renouer avec son histoire.

Cette bande dessinée a été récompensée de nombreux prix, à juste titre. Outre ses paysages de l’Ouest américain, grandioses, Neyef met en scène quatre personnages aussi complexes que complémentaires dans une quête où la violence est reine. Qu’attendre d’autre d’un peuple qui a été décimé ? Une nouvelle fois, la question se pose de la légitimité des colonisateurs qui ne tient qu’à la violence et à une technologie plus élaborée. Mais il est aussi question d’entraide, d’altérité et de transmission dans cette œuvre éprouvante.
Un voyage brutal mais nécessaire.

Hoka Hey !, Neyef, Rue de Sèvres, 2022

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A peine 10 ans plus tard, encore en Amérique, le jeune Simon décide d’entreprendre un voyage de son Missouri natal à Denver. 1000 km pour aller vendre des dindes beaucoup plus cher que chez lui. Ce pari un peu fou va être l’occasion de faire des rencontres, de prendre confiance et de se confronter à des destins fort différents du sien.

Destiné à un lectorat plus jeune que les deux titres précédents, cette adaptation du classique de Kathleen Karr par Léonie Bischoff est aussi tendre que réfléchie, lumineuse que sérieuse. Car il est aussi question d’esclavage, de la place de la femme, du destin des orphelins… Le tout dans une ambiance très colorée avec des paysages sauvages et ces dindes que Léonie Bischoff prend visiblement beaucoup de plaisir à croquer.
Un voyage tout en vivacité.

La longue marche des dindes, Léonie Bischoff d’après Kathleen Karr, Rue de Sèvres, 2022

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Quatrième et dernière escale en Amérique et nouveau bond dans le temps que presque un siècle. Aimée de Jongh nous entraine dans le Dust Bowl en 1937. John Clark, photoreporter de 22 ans est chargé par le Farm Security Administration de témoigner de la situation dramatique des agriculteurs dans la région.

A la fois témoignage historique, puisqu’elle s’inspire de faits réels, et avec une forte résonnance avec les enjeux écologiques d’aujourd’hui, cette bande dessinée fait très fort. D’abord grâce aux planches, magnifiques. Les couleurs, les cadrages, les attitudes, la réussite est totale. Avec discrétion, elles interrogent sur le rôle du photographe dans le témoignage : comment dispose-t-il son appareil, que choisi-il de cadrer (et donc d’exclure) ? Et l’humain fini évidemment par prendre le pas sur le travail, le professionnel par s’impliquer face aux situations dramatiques auxquelles il assiste.
Un voyage éprouvant mais passionnant.

Jours de sable, Aimée de Jongh, Dargaud, 2021

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Voyager pour mieux se connaître ou réaliser un rêve

Après cette première étape de l’autre côté de l’Atlantique, la destination compte moins que le chemin. Les voyages forment la jeunesse dit-on, est-ce qu’ils apprennent à mieux se connaitre ? C’est en tout cas ce qu’espèrent Ulysse et Aimée, couple que tout oppose qui voyage vers le sud de l’Espagne dans le van aménagé. Ils sont à un tournant de leur vie, ce voyage va-t-il les rapprocher ou les séparer ?

Alicia Jaraba Abellán file les métaphores de la plongée et de la route au gré des aléas, des rencontres et des questionnements de ses personnages. Quand on se connait depuis (presque) toujours, comment savoir où l’on commence et ou fini l’autre ? Les deux personnages ont des aspirations qui les éloignent implacablement, s’aiment-ils assez pour surmonter leurs difficultés ? Les décors sont variés entre ville, campagne et côtes, le lecteur voyage et se questionne en même temps que les héros.
Un voyage doux-amer en eaux agitées.

Loin, Alicia Jaraba Abellán, Bamboo édition, 2024

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Est-ce pour mieux se connaître que le papa d’Antoine est parti ? Pour se prouver ou fuir quelque chose ? « L’important ce n’est pas d’arriver, mais de partir. » voilà le leitmotiv de Georges alors qu’il s’embarque pour un séjour d’un an sur une île déserte. Mais cette île est un caillou aride loin de sa vision romantique du Robinson.

Cette bande dessinée est directement issue de la lecture des carnets de Georges par Antoine. Celui-ci cherche à comprendre ce qui a motivé son père à quitter le confort de sa vie parisienne pour l’expérience ultime de la solitude. Le dialogue par-delà le temps, les résonnances des âges des deux personnages et les articles reproduits à la fin de l’ouvrage sont particulièrement intéressants. Et Xavier Coste se fait le plaisir de rendre l’île la moins accueillante possible. Ses illustrations à la peinture apportent du mouvement et une certaine étrangeté qui convient parfaitement à cette quête de sens qui anime Antoine.
Un voyage en forme d’hommage d’un fils à son père.

Il déserte, Antoine de Caunes et Xavier Coste, Dargaud, 2025

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Sermilik, c’est l’histoire vraie de Max Audibert, parti de Marseille à 18 ans pour s’installer sur la côte est du Groenland. L’opportunité de découvrir le mode de vie des Inuits mais aussi une nature aussi magnifique qu’impitoyable. Qu’est-ce qui pousse un jeune homme à quitter tout ce qu’il connaît pour vivre son rêve de devenir chasseur arctique ? Et surtout, comment vit-il la confrontation entre rêve et réalité ?

Découvrir les us et coutumes des habitants du petit village de Tiniteqilaaq, s’imprégner de la langue, se faire accepter et, évidemment, apprendre les méthodes de chasse… Voici quelques unes des difficultés qui attendent Max. Mais il trouvera aussi l’entraide d’une communauté soudée, une famille et la fierté d’avoir réalisé son rêve.
Un voyage aussi glacé que passionné.

Sermilik, Simon Hureau, Dargeau, 2022

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Deux escales dans l’imaginaire

Certains auteurs se plaisent à entrainer leurs lecteurs dans des mondes intérieurs, directement issus de leur imagination. Et comment parler du voyage sans évoquer la libre adaptation anthropomorphique de L’île au trésor de R. L. Stevenson ? Renommée du nom de son héros qui a les traits d’un jeune félin, cette version de Sébastien Vastra évoque forcément l’univers de Blacksad. Mais l’auteur a les talents de ses ambitions.

La vie de Jim va être bouleversée par l’arrivée de Billy Bones dans l’auberge de sa mère. La suite, le lecteur la connait mais les paysages maritimes et insulaires font rêver, tout comme cette quête de trésor avec un équipage inquiétant.
Un voyage plein d’aventures et de rebondissements.

Jim Hawkins – intégrale, Sébastien Vastra, Ankama éditions, 2023

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Il a été lauréat de notre prix ALODGA 2025 dans la catégorie Branches Dessinées, il était impossible de conclure ce billet d’été sans reparler du voyage dans les profondeurs de Jean Jambe.  Inspiré par les minéraux et autres trésors ramassés au fil de ses promenades, Matthias Picard joue avec les échelles et la profondeur pour faire évoluer son personnage dans un paysage en trois dimensions.

Aucun texte mais beaucoup de poésie au fil des pérégrinations de Jean Jambe qui suit un mystérieux fil, sans paraitre s’inquiéter le moins du monde des obstacles qu’il rencontre. Où ce fil mène-t-il ? C’est la question que se pose le lecteur avant de se laisser porter par les décors très graphiques, lunettes 3D sur le nez. Le mystère sera bien sûr résolu, entre humour et mise en abîme.
Un voyage énigmatique et réflexif.

Jean Jambe et le mystère des profondeurs, Matthias Picard, éditions 2042, 2024

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Lucie vous remercie d’avoir voyagé à ses côtés au fil des planches et des bulles, et vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour le road trip organisé par Helolitla !

Billet d’été : et si on partait au Japon ?

Le Japon fascine et oscille entre tradition et modernité. Humble voyageuse que tu sois obnubilée par ce pays comme moi ou simple curieuse, suis le chemin qui s’offre à toi. La découverte risque d’être infinie… Prête à suivre Liraloin pour un premier voyage dépaysant.

Explorer une partie du pays …

« Dans le train de Monsieur Shô-Shô, il y a des bonsaïs, des cerisiers en fleurs, des buveurs de thé et des buveurs de saké… ». Ici, les wagons sont colorés et accueillent les voyageurs aux moultes envies. Après avoir déposé son bagage, éventuellement mis son fidèle compagnon en gardiennage, vous pourrez filez « à la japonaise ». Bienvenue à bord pour un voyage où les escales sont tantôt des izakaya (petites échoppes pour boire et manger) où des magasins pour y faire des petites emplettes et tout cela sur les rails bien évidemment. Avez-vous remarqué cet arbre ou vous pourrez vous installer le temps d’une lecture à la douce lumière d’une lanterne traditionnelle ? …

Dans ce grand album à l’talienne sans texte, la voyageuse-lectrice peut observer toute la diversité de la culture nipponne. Les intempéries n’empêcheront pas d’arriver à la gare de Shitamachi sous une pluie de fleurs de cerisier. Qu’il est bon d’observer les dessins crayonnés hachurés et colorés. Yoki kokai wo !

Un ticket pour Shitamachi de Tadayoshi Kajino – Lirabelle, 2014

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Sac à dos, chaussures de rando, vêtements de pluie car quand elle tombe cette pluie, elle n’est pas en reste. Carnet à dessin à la main, surtout ne pas laisser passer un paysage, un visage, une rencontre entre deux arrêts de bus ou de train. Quel périple d’efforts si bien récompensés par l’instant présent capté à la pointe du crayon. Au fil de son parcours, Nicolas Jolivot nous invite à filer avec lui sous les volcans de l’île du Soleil levant. Suivre avec lui cette balade entre zone rurale et urbaine nous transporte un peu dans cette vie japonaise qui s’organise, en témoignent les somptueux dessins de ce carnet.

Japon, à pied sous les volcans de Nicolas Jolivot – HongFei, 2018

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Etre une femme au pays du Soleil levant

Sur l’archipel japonaise, du nord au sud et d’est en ouest, 8 femmes vont nous relater leur quotidien. Tsugu la paysanne raconte sa vie au rythme des saisons. Elle est meunière de soba, ces délicieuses pâtes à la farine de sarrasin. Nous croiserons Higasa l’ensableuse qui recouvre, grâce à de grandes pelletées, les corps de sable chaud aux vertus soulageantes.  Intéressons-nous également au destin de Wan Wan, peintre cervoliste, fille et petite-fille de samouraï, un destin oscillant entre tradition et vie d’artiste.

Ce documentaire très attractif est intéressant ludique et éducatif. La lectrice a le plaisir d’apprendre, à travers des métiers traditionnels et originaux, les us et coutumes des japonais. Chaque couleur caractérise une personne : ici le vert pour parler de Ichimizu, bryologue (spécialiste des espèces de mousses poussant sur l’île).  Les illustrations sont composées de petites scénettes et chaque femme est annoncée avec son portrait, son lieu de vie tout comme les deux planches avec traduction en japonais concluent notre rencontre. De plus, le texte apporte des renseignements invitant le lecteur à s’immerger dans chaque portrait. Que c’est bon de voyager !

Yahho Japon ! de Eva Offredo – maison Georges, 2021

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« … des habitations flottaient sinistrement. On sentait la présence de la mort. Yurie prit Moeka dans ses bras et toutes les deux se recroquevillèrent comme si la grande faucheuse les aurait laissées vivre à condition qu’elles se fissent petites. » Lorsqu’un tsunami ravage la gare d’une petite bourgade côtière au Japon, Yurie n’a pas d’autre choix que de protéger Moeka. Toutes deux sont en proie à des démons intérieurs et cet incident va les unir très fortement. Tandis que Yurie s’échappe d’un mari violent, Moeka qui a perdu ses parents et la parole cherche du réconfort. Bientôt dans un gymnase de la ville, elles vont rencontrer une vieille dame qui leur permettra de recommencer leur vie. La maison des égarées deviendra alors leur lieu de vie. Cependant cette habitation va être le témoin de bien étranges évènements et le tsunami n’était que le début des problèmes …

Ponctués de contes liés au folklore nippon, la lectrice va suivre le destin de trois femmes unies dans l’adversité. Je n’ai pas été emballée par la platitude de l’écriture de S. Kashiwaba qui reste vague sur certains détails malgré la richesse de l’histoire. Cependant l’adaptation animée est une bonne surprise et malgré une certaine liberté le scénario reste fidèle au côté fantastique et troublant du roman.

La maison des égarées de Sachiko Kashiwaba – Ynnis éditions, 2023

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Koume adore sa mamie Ume, étant proche de part l’étymologie de leur prénom, elles le sont encore plus dans leur complicité. Laissons Junko Monma présenter ses personnages à travers leurs objets préférés et il y a vraiment des choses surprenantes. Vous les retrouverez tout le long de ces petites saynètes de la vie. Si parfois Koume se fait du souci pour la santé de sa mamie il en va de même pour Ume qui transmet de belles valeurs à sa petite fille. Toutes les deux sont attentives au fait et geste de l’autre. Quoi que de plus adorable que d’être le témoin d’autant d’amour à travers les saisons qui se déploient au Nord de l’île de Honshû.

Ce manga se déguste comme une part d’un bon gâteau moelleux réconfortant. Koume est si fusionnelle avec sa mamie qu’on ne peut s’empêcher d’envisager une immense tristesse si elle venait à la perdre un jour. Les illustrations et le découpage des chapitres apportent une atmosphère de bien-être et de nostalgie à la lectrice. La petite cerise c’est les explications données en fin de volume sur les coutumes ou autre de la vie japonaise.

Ma mamie adorée de Junko Honma – Rue de Sèvres, collection : le renard doré, 2024

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En 1949, Simone de Beauvoir nous alertait sur le fait que les droits des femmes peuvent vaciller à cause des crises. En un battement d’aile, ce qui a été gagné par de longues luttes acharnées s’envolent en poussière. Parfois le destin semble tragique et à d’autres moments, il peut se jouer à la manière d’un combat sans répit. A travers sept contes, sept femmes guerrières vont s’illustrer afin d’affronter l’ennemi qui est souvent un samurai avide de sang. Stratèges et malignes, ces femmes sont ancrées dans le folklore japonais malgré le peu de place qu’on leur accorde dans l’Histoire.

Qu’elle soit inscrite ou non dans la culture populaire, Sébastien Pérez leur rend un hommage émouvant mêlant tristesse et résilience. La combativité s’installe dès le plus jeune âge lorsqu’il faut affronter une vie qui peut s’effondrer du jour au lendemain. Les illustrations de Benjamin Lacombe reflètent la détermination et la sensibilité de chaque guerrière.

Cet album est un vrai plaisir pour le touché et la vue de par sa belle reliure et le soin apporté à la mise en page ou chaque conte est introduit par une magnifique pleine page inspirée du folklore japonais.

Histoires de Femmes samurai de Sébastien Perez & illustré par Benjamin Lacombe – Oxymore, collection : Métamorphose, 2023

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Ne pas oublier ses origines …

Suzu se souvient de son oncle et de sa tante qui l’ont si généreusement accueillie. Elle, maman et femme perdue, malheureuse dans son mariage. Mais depuis le décès de son oncle Yasuo, la vie au sein de cette famille a changé ou du moins des choses inévitables éclatent au grand jour. Lorsque l’une prétexte être trop occupée pour se rendre dans la maison de son enfance, l’autre se mure dans un silence inquiétant. Témoin muet de cette valse d’évènements, Shiro le chat de la famille rassure comme il peut tout ce petit monde qui gravite dans la boutique de confiserie familiale…

A la manière d’un roman choral, genre très prisé dans la littérature japonaise, nous allons assister un à un huis clos particulièrement émouvant. La complexité des relations humaines y est magnifiquement bien traitée. La connexion entre les personnages est limpide et profonde. Au fil des saisons, des années et des flashbacks, on aime s’attarder sur les détails qui rythment la vie de ces femmes. Les illustrations marquent cette temporalité si particulière au pays du Soleil Levant. Malgré la tristesse qui émane de cette histoire, on garde une sorte de quiétude contagieuse en soi et pour un bon moment.

Le secret des bonbons pamplemousse de Camille Monceaux et illustré par Virginie Blancher – Robert Laffont, collection : Inari, 2023

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« En vérité, ce n’était pas une question, c’était LA question, LA question qui était partout autour de moi depuis que maman n’était plus. » Elise sait quelque chose et ce sentiment la blesse au plus profond. Elise sait qu’elle est triste, seule et pourtant elle n’a pas le droit de pleurer car dans sa maison il y a des règles à ne pas enfreindre. De sa mère, Elise ne conserve qu’un puzzle qu’elle fait et défait frénétiquement, un refuge en cas d’intempérie. Elise grandit sans trop de connexions avec le monde extérieur et passe son temps libre à faire des puzzles que son père lui offre.

Elise sait aussi que son père s’est crée une carapace digne du plus noir des personnages de Naruto : Orochimaru. Elle l’a enfin compris en passant ses lundis après-midi à regarder l’animé en compagnie de son amie Stella, une jeune demoiselle de sa classe légèrement « zinzin ». Peu à peu Elise s’ouvre et lorsqu’elle apprend que sa grand-mère du Japon débarque chez elle pour 15 jours, elle entre dans une immense joie mais redoute la réaction de son père…

Pourquoi ne dit-on pas sayonara ? car la signification de cet au revoir n’est pas vraiment compatible avec ce que va ressentir la lectrice. Elise et son étoile Stella :  celle qui va l’accompagner, la faire réfléchir sans brusquer, tout en étant respectueuse.  Elise et sa grand-mère Sonoka celle qui va enfin prononcer le prénom d’une maman disparue, celle qui va honorer sa mémoire.  Des rencontres qui font changer, évoluer et enfin peut-être accepter l’inacceptable. Tout ce petit monde va graviter, se connecter autour d’Elise et c’est un bonheur dans faille qui en restera.

On ne dit pas sayonara d’Antonio Carmona, Gallimard jeunesse, 2023

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Osamu est un petit garçon dont l’imagination débordante lui inspire des échanges quotidiens avec des Yôkaï, ces êtres magiques et étranges nés du folklore japonais. Il vit avec sa grande sœur Akiko, une influenceuse à ses heures perdues et sa grand-mère. Mais lorsque cette dernière décède, Osamu se promet d’aller porter les cendres de la défunte auprès du grand-père dans une région dévastée par la catastrophe naturelle de Fukushima. Osamu devra faire preuve de courage pour faite comprendre son attention aux adultes de son entourage…

La détermination d’Osamu s’accompagne de la protection qu’Akiko met en œuvre afin d’aider au mieux son petit frère. Le lien familial est au cœur de ce récit et nous éloigne du danger permanent qui plane sur le jeune garçon. Cette BD est une belle réussite entre quête initiatique et récit fantastique. Rien n’est exagéré, l’empathie est réellement mesurée et on se prend vite d’affection pour les personnages d’Osamu, Akiko et Natsuo.

Retour à Tomioka de Laurent Galandon, scénario & Michaël Crozat, illustrations – Jungle, 2024

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« Ces évènements ont pu se dérouler il y a fort longtemps, ou bien allaient-ils se produire dans un lointain futur ? Plus personne ne le sait vraiment. » Sur une terre aride la force humaine est mise à rude épreuve, les récoltes ne sont que désolation. Ici vit Shuna, jeune prince héritier de la couronne qui, au détour d’un chemin, recueille un étranger : un vieillard à l’article de la mort. Usant ses dernières forces, ce dernier lui narre son épuisant périple à la recherche d’un trésor inestimable. Une richesse qui pourrait sauver les habitants de toutes les contrées. Intrigué et téméraire, Shuna décide de partir à la poursuite de ce trésor…

Publié en 1983, le voyage de Shuna est le seul emonogatori (ce que les japonais appellent un récit illustré – voir la postface) écrit et dessiné par l’immense réalisateur Miyazaki. Nul besoin de connaître les animés et si vous êtes fan, il y a un tas de références qui vous feront écho. Ce récit est un conte fantastique qui nous emmène loin dans les paysages souvent hostiles où fourmillent une vie extraordinaire. Véritable quête initiatique, Shuna se retrouvera plus d’une fois à prendre des décisions qui bouleverseront ses convictions en son for intérieur. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y trouver une résonnance avec le fabuleux roman de Damasio : La Horde du Contrevent. Les éléments de la nature, le vent, le sable ne sont que douleurs pour les personnages, les poussant au bout de leurs forces physiques et psychologiques.  Le chemin est infini…

Le voyage de Shuna de Hayao Miyazaki – Sarbacane, 2023

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En espérant que ce premier billet de l’été vous a transporté ailleurs… La semaine prochaine un tout autre voyage vous attend et c’est Lucie qui sera votre guide.