Black History Month

Qu’est-ce que le Black History Month, appelé également African American History Month ?

Le Black History Month est une commémoration annuelle qui dure tout le mois de février. Il a pour but de rappeler l’histoire des Noirs aux Etats-Unis, du commerce triangulaire et de l’esclavage jusqu’à aujourd’hui. Avant d’être célébrée durant tout le mois de février, le Black History Month a d’abord été le « Negro History Week » (1926). En 1976, dans le cadre du bicentenaire des États-Unis, le président Gerald Ford appelle les Américains à « saisir l’opportunité d’honorer les réussites trop souvent ignorées des Noirs américains dans tous les domaines à travers notre histoire ». C’est en 1986 que le Congrès déclare le mois de février « National Black History Month ».
Par le biais de livres, films, documentaires, témoignages, expositions, etc, sont mis en avant des modèles, des traditions, des cultures, des luttes (notamment celle pour les Droits Civiques), des héritages mais aussi les discriminations et revendications qui n’ont pas cessé mais qui ont pu se transformer au fil du temps.

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Esclavage, commerce triangulaire

Un roman-fleuve sur l’esclavage, en trois tomes et en vers libres, cela pique la curiosité ! Kwame Alexander, fervent défenseur de la poésie, a su donner à son texte un rythme tenant du récit oral, un peu comme une mélopée qui épouse parfaitement son propos.
Ce premier tome est composé de deux parties. La première consacrée à la présentation de Kofi : sa famille, son quotidien dans le Haut-Kwanta (libre réinterprétation du Ghana par l’auteur) au milieu du XIXème siècle. Riche en personnages au fort caractère, en couleurs et en lumières, elle rend la seconde partie d’autant plus violente puisqu’elle raconte sa capture et le commerce triangulaire, du point de vue des prisonniers. Un roman qui allie puissance narrative et poétique, à réserver aux lecteurs aguerris.

La porte du non-retour, Kwame Alexander, Albin Michel, 2023.

L’avis de Lucie.

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Autre trilogie sur l’esclavage, dans un genre très différent mais tout aussi poétique : Alma de Timothée de Fombelle. Nous avions fait une lecture commune de ce roman au souffle épique porté par une jeune fille au fort tempérament. Si l’histoire débute dans une vallée enchanteresse (et imaginaire), la famille d’Alma se retrouve rapidement éparpillée aux quatre coins du continent africain, puis de part et d’autre de l’océan Atlantique. L’auteur, marqué dans sa jeunesse par la visite des forts parsemant la côte africaine, s’est considérablement documenté pour rendre justice aux hommes, femmes et enfants arrachés à leur terre, traités et vendus comme du bétail. Mais il a su fait oublier ce travail de recherche pour emporter ses lecteurs dans une fresque historique aussi époustouflante que nuancée. Ce n’est pas peu dire que nous attendons le troisième – et dernier – tome avec impatience !

Les avis d’Isabelle, Lucie et LiraLoin sur le tome 1 et de Lucie sur le tome 2.

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Des sauvages et des hommes contribue à raviver la mémoire d’un phénomène historique terrible, mais longtemps refoulé : celle des zoos humains où des habitants de pays colonisés furent exposés sous couvert d’expositions d’ethnographie coloniale. Attiré par la perspective de voir du pays et la promesse de pouvoir présenter sa culture, Edou quitte la Nouvelle-Calédonie et embarque à bord du navire pour la France. Le groupe déchante rapidement lorsqu’il se retrouve installé dans un enclos affublé d’une pancarte : « CANNIBALES ». Edou est un beau personnage dont on partage les rêves et la curiosité, l’amour de sa mère, la désorientation, la peur, la révolte – bref, l’humanité. Une humanité qui nous renvoie à la sauvagerie des faits dont le roman reste très proche, soulignée par de saisissants documents d’époque insérés au fil des page. L’alternance de points de vue révèle aussi le cynisme méprisant des tenanciers de zoos humains et la curiosité malsaine des visiteurs (plus d’un milliard et demi entre 1810 et 1940 tout de même, nous dit l’historien Pascal Blanchard en post-face). Si les romans d’Annelise Heurtier sont si inspirants, c’est qu’ils évoquent toujours le courage infini de ceux qui osent ouvrir les yeux et s’exposer en première ligne pour repousser les obscurantismes et conquérir de nouveaux droits.

Les avis de Lucie, Isabelle et Liraloin

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Ségrégation

Glaçant, Missié est le récit tragique d’une époque pas si lointaine où la ségrégation avait court dans nombreux états américains. Si l’esclavage y était aboli depuis 1865, le racisme n’en était pas moins violent à l’égard d’une population privée de ses droits élémentaires et tenue responsable de tous les maux. C’est ainsi qu’en dix minutes à peine, Martin fut condamné à mort pour le meurtre de deux fillettes blanches.
Christophe Léon signe un roman, court et terriblement percutant, inspiré de l’histoire vraie de George Junius Stinney Jr., condamné en 1944 à la chaise électrique alors qu’il n’avait que 14 ans. Sans preuves, le jugement fut expédié et l’enfant fut exécuté trois mois plus tard sans avoir même pu revoir ses parents. Il reste aujourd’hui encore le plus jeune condamné à mort de l’histoire des Etats-Unis.
Le texte, écrit à la première personne du singulier, s’adresse directement au lecteur, l’immergeant complètement dans cette terrible époque, rythmé par les « missié » de Martin qui se répètent inlassablement comme une prière, un appel à l’aide qui résonnera encore bien après la lecture. Les illustrations sobres de Barroux viennent appuyer la dureté et la violence de certaines scènes.

Missié de Christophe Léon, illustré par Barroux, D’eux, 2022.

L’avis complet de Linda.

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Née petite dernière d’une fratrie de quatre enfants, Katherine montre très vite des aptitudes hors normes en mathématique. Protégée, aimée et encouragée par sa famille, cette jeune femme modeste ira jusqu’au bout pour y arriver. Elle deviendra cette femme, celle de l’ombre qui jouera un rôle essentiel dans l’avancée des recherches de la conquête spatiale américaine. 
« Je ne suis pas meilleure que les autres, mais les autres ne sont pas meilleurs que moi » telle est la phrase que Katherine Coleman (avant de devenir Johnson) se répètera sans cesse pour lutter contre la ségrégation et enfin accéder à un métier où les femmes restent minoritaires surtout lorsqu‘elles sont de couleur.
Carole Trèbor nous livre un récit très bien documenté avec beaucoup de références sur la vie des Afro-Américains en 1930. La ségrégation, hélas, trop présente dans le système éducatif nord-américain. Les notes en bas de page apportent de l’éclaircissement. D’ailleurs l’histoire est ponctuée de références : « Elle gagnerait 50 dollars par mois. Une telle rémunération lui paraissait énorme ! Et lorsqu’une de ses amies de l’AKA lui avait proposé que l’Etat attribuait 65 dollars mensuels aux enseignantes blanches du comté, Katherine avait balayé cette réticence d’un revers de la main : elle avait pris la résolution de ne pas s’appesantir sur les aspects négatifs. »

Combien de pas jusqu’à la lune de Carole Trébor, Albin Michel – collection Litt, 2020

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Dans Bluebird, Tristan Koëgel met en scène Minnie et son père chanteur itinérant alors qu’ils font escale dans une plantation. Minnie rencontre Elwyn, dont elle tombe amoureuse, mais se voit obligée de fuir dans le Nord suite au passage à tabac de son père par des membres du Ku Klux Klan. Voyage au cœur des Etats Unis du milieu du 20ème siècle, à la fois social et culturel. Le périple de Minnie permet au lecteur de traverser la campagne agricole, mais aussi les villes de plus en plus urbanisées grâce aux descriptions inspirées de l’auteur.
Ce roman aborde donc la ségrégation, mais aussi les débuts du Blues, musique éminemment liée à l’histoire afro-américaine.

Bluebird, Tristan Koëgel, Didier Jeunesse, 2015.

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Ce joli roman graphique fait résonner le souvenir des aventures de Tom Sawyer et de Huckleberry Finn : on y retrouve les rives du Mississippi, des répliques réjouissantes, des affaires louches et surtout des mouflets qui font les 400 coups et que les manigances des adultes laissent perplexes. Ces pages célèbrent la manière dont les amitiés enfantines transcendent les clivages sociaux et raciaux. Si vous craignez les chaleurs de plomb, les mocassins d’eau, les alligators et les bateaux hantés, passez votre chemin ! Mais ne vous y trompez pas, le graphisme rond et les blagues potaches des protagonistes masquent un propos plus grave. L’innocence des enfants agit comme un révélateur de la violence des rapports de classe et de race sudistes. Beau et émouvant.

L’avis d’Isabelle

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Est-il encore besoin de présenter Sweet Sixteen, roman phare d’Anne-Lise Heurtier ?
1957, alors que la Cour Suprême vient de mettre légalement fin à la ségrégation raciale dans les écoles publiques américaines, neuf élèves noirs s’inscrive dans le lycée le plus prestigieux de Little Rock, jusque-là réservé aux Blancs. Il leur faudra faire preuve de courage et de ténacité pour faire face à l’hostilité des 2500 autres élèves et de leurs familles. Pour ce roman, l’auteure s’est inspirée de faits réels pour confronter les points de vues de Molly Costello, l’une des « neuf », à celui de Grace Sanders, jeune fille de bonne famille qui se retrouve dans la même classe. La ségrégation les sépare comme un fossé insurmontable, mais l’une comme l’autre voit l’année qui devait être celle de ses sweet sixteen complètement bouleversée.

Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier, Casterman, 2013.

L’avis d’Isabelle et de Blandine

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Lutte pour les droits civiques

Ce matin-là en classe l’enseignante présente un tableau à ses élèves et leur demande ce qu’ils voient et pensent de cette scène surprenante où l’on voit une petite fille encadrée de quatre adjoints du marshal. Ce tableau s’intitule The problem we all live with et a été peint par Norman Rockwell en 1964 durant le Mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Il représente la petite Ruby Brigdes, protégée par les agents fédéraux, alors qu’elle se rend à l’école. La scène se déroule en Louisiane et dénonce la ségrégation, pourtant abolie, et la violence qui en découle au travers de cette enfant noire qui vient d’être admise dans une école jusqu’ici réservé aux seuls enfants blancs.
S’inspirant de ce tableau et de ce fait, Irène Cohen-Janca raconte l’histoire de la petite Ruby, qui du haut de ses six ans, ne comprend pas la situation qu’elle vit : elle ne sait pas la haine de l’homme blanc, elle ne comprend pas ce que font ces gens devant l’école chaque matin à crier et scander des messages de haine, elle n’a même pas conscience qu’ils sont là contre elle.
Avec pertinence et sensibilité, le message passe à l’enfant qui écoute le récit, l’enfant ne manque pas de s’interroger lui aussi sur cette situation. Qu’a donc bien pu faire cette petite fille pour être ainsi accompagnée à l’école ? Pourquoi ne peut-elle aller à l’école comme tous les autres enfants ? Message de tolérance, le texte est magnifiquement mis en images par Marc Daniau dont les peintures s’inspirent de celle de Rockwell et viennent lui rendre hommage.

Ruby tête haute d’Irène Cohen-Janca & Marc Daniau, Editions des éléphants, 2017.

L’avis de Blandine

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S’il est une figure qui émerge instantanément à l’évocation de l’histoire des Noirs Américains, c’est celle de Martin Luther King. De nombreux livres de la littérature jeunesse le présente, lui et son engagement et lui rendent ainsi hommage.
Cet album se divise en deux parties. La première, biographique et dessinée, raconte en les croisant les parcours de Martin Luther King et de Rosa Parks. La seconde, documentaire, nous immerge dans cette époque par des photographies et des documents pour restituer le contexte historique avec les différences Nord/Sud, les lois Jim Crow, le Ku Klux Klan, les différents combats jusqu’à aujourd’hui (2008), l’hymne du mouvement pour l’égalité des Droits (« We shall overcome »). Un album essentiel !

Martin et Rosa. Raphaële FRIER et Zaü. Rue du Monde, 2013

L’avis de Blandine

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Si Mohamed Ali fut un très grand champion de boxe, il fut aussi une figure de lutte pour les Droits Civiques. L’album reprend donc les grands moments de sa vie sportive comme ses prises de positions. Les mots, tout en rimes, se font poésie, comme un clin d’œil à ceux qu’il récitait inlassablement, pour déstabiliser, sur et hors du ring.

Mohamed Ali. Champion du monde. Jonah WINTER et François ROCA. Albin Michel Jeunesse, 2015

L’avis de Blandine

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Et aujourd’hui ?

Le racisme et les combats pour l’égalité restent, plus que jamais, d’actualité. Pour le Black History month, pourquoi ne pas lire aussi des textes qui présentent le vécu et le point de vue de personnes racisées ?

Ghost, c’est une chouette leçon de vie signée Jason Reynolds. Il y est question de sport, de dépassement et de réalisation de soi, pour celui à qui la société et le sort n’ont pas donné les meilleures cartes. En rencontrant un coach et une équipe d’athlétisme, Ghost découvre que la course pourrait prendre un autre sens que celui de fuir pour sauver sa peau : une motivation puissante, l’intégration dans une équipe et, pourquoi pas, une source de fierté ! Mais l’adolescent parviendra-t-il à laisser derrière lui la violence et à canaliser sa rage pour parvenir à rester dans la course, déjouant ainsi les déterminismes sociaux et raciaux ? Malgré la misère, les stigmas sociaux et le poids du passé, Ghost fait tout ce qu’il peut pour trouver son chemin. Son histoire tient en haleine de bout en bout. L’auteur s’inspire de textes de rap, ses mots claquent et vont droit au cœur.

L’avis complet d’Isabelle

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L’autrice de Signé poète X dédie ce roman en vers libres à ses élèves et aux « petites sœurs qui rêvent de se voir représentées ». Effectivement, Elizabeth Acevedo tend un miroir à celles qui ont trop peu l’occasion de se reconnaître en littérature – et, sans doute, encore moins en poésie. Mais c’est une lecture dont les autres ne devraient surtout pas se priver ! Car ce livre, c’est une fenêtre ouverte sur des mondes qui ne nous sont pas familiers – Harlem et les communautés américaines-dominicaines, le slam, la poésie. Une altérité qui n’empêche en rien de s’identifier à Xiomara, seize ans, qui grandit dans une famille d’immigrés dominicains et se pose de plus en plus de questions sur son corps qui change, sur ce Dieu qui préoccupe tant sa mère, sur la façon dont l’Église et la société traitent les filles, sur les garçons et le désir. Mais ses doutes et ses révoltes grondent en silence, sous une carapace bien verrouillée – qui, de toute façon, s’intéresse à ce qu’elle aurait à dire ? Un jour, cependant, se crée un club de slam dans son lycée. Et puis il y a l’attention d’une professeure, l’amour du frère jumeau, l’amitié de Caridad et la douceur d’Aman… Xiomara range ses bottes de combat, descelle ses lèvres et trouve peu à peu sa voix. L’intensité, les colères et bouleversements adolescents sont dits avec une férocité implacable mais souvent drôle. Mais Xiomara dit aussi et surtout, avec une justesse bouleversante, la libération de pouvoir les exprimer, d’être entendue et de renouer le dialogue. Impossible de ne pas vibrer passionnément pour elle, par la magie des mots, qu’on soit une femme, un.e ado dont le corps devient à la fois trop grand et trop étroit, ou tout simplement humain.

L’avis complet d’Isabelle

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Voici l’histoire de Starr Carter, 16 ans, mais aussi de Kahlil, Maverick et Lisa, Seven et Sekani, Kenya, DeVante, Carlos, Maya, Chris, etc. Nous les suivons sur treize semaines, cinq parties et vingt-six chapitres.
Starr a 16 ans, jet est la fille d’un ancien membre respecté de gang, Maverick surnommé Big Mav’ qui tient une épicerie, elle habite à Garden Heights, un quartier ghetto décrépi. Mais elle va dans un lycée de Blancs à 45 mn de chez elle et sort avec un Blanc, Chris.
Alors qu’elle quitte une soirée où il y a eu des coups de feu avec son ami d’enfance Khalil, ils sont arrêtés par un policier. Ce dernier fait feu sur Khalil. Il meurt. Elle est la seule témoin. Starr accepte d’aller faire une déposition mais à aucun moment l’innocence de Khalil ou la culpabilité du policier, matricule cent quinze, ne sont mentionnées, envisagées. Starr va accepter de parler, de témoigner, pour qu’on rendre justice à Khalil, et d’une manière plus large, à la communauté noire, si souvent bafouée.
Le titre de ce roman est un hommage à Tupac Shakur, rappeur noir américain (1971-1996), fils de Black Panthers, et à l’origine de l’acronyme T.H.U.G. L.I.F.E (The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody, soit « la haine qu’on donne aux bébés fout tout le monde en l’air.« ) La « Thug Life » n’est pas une apologie de la violence mais bien une philosophie de vie, un appel à la tolérance, à l’égalité raciale et sociale, en s’élevant soi-même par l’effort, le travail et la résilience, mais aussi avec une action venant du monde politique.
Il y a donc tout ça dans ce roman. La ghettoïsation, le déterminisme social, les préjugés en fonction de la couleur de la peau, la haine raciale, le racisme ordinaire, les gangs, la violence latente, la drogue, l’argent (facile), mais aussi la volonté de changer les choses en agissant à son niveau et avec ses possibles. Il délivre différents messages de Lutte pour les Droits des Noirs et s’inspire d’autres figures historiques. Ainsi, Martin Luther King est à peine évoqué quand Malcom X ou Huey P. Newton (membre fondateur des Black Panther avec Bobby Seale) le sont tout du long.

The Hate U Give – La haine qu’on donne. Angie THOMAS. Nathan, 2018

L’avis de Blandine

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Injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, Amal a été condamné parce qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment. Depuis le centre pénitentiaire, le lycéen maintient son humanité au travers de son art qui s’exprime par la peinture et les mots. Et ce sont les mots qui nous happent ici puisque le texte, écrits en vers libres, nous raconte l’enfance, le procès mais surtout l’emprisonnement de ce jeune homme sensible condamné d’avance à cause de la couleur de sa peau…
Inspiré de l’histoire de Yusef Salaam, l’un de ses auteurs, le récit dénonce les violences raciales et les condamnations abusives contre la communauté afro-américaine, encore bien trop courantes aux Etats-Unis, et fait écho au mouvement Black Lives Matter. La puissance des mots se déverse dans une palette d’émotions qui renvoie à la force moral de son jeune héros qui tente de survivre à l’enfer du monde carcéral et de maintenir son humanité au travers de l’expression artistique qui l’anime. Puissant !

Mes coups seront mes mots d’Ibi Zoboi & Yusef Salaam, Gallimard jeunesse, 2021.

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Connaissez-vous certains de ces titres ? En avez-vous à nous recommander ?

Et si on lisait un western ?

Si le western est un genre cinématographique incontournable sur la conquête de l’Ouest américain, il est moins fréquent en littérature. Pourtant, certaines de nos lectures (plus ou moins) récentes nous ont donné envie de remettre à jour la sélection Indiens et cow-boys publiée il y a presque dix ans. En selle !

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Tout a commencé avec notre lecture commune de La longue marche des dindes. Nous y avons trouvé des marqueurs du western avec le grand trajet à effectuer, les rencontres, les dangers. Et, surtout, cette adaptation en BD du roman de Kathleen Karr par Léonie Bischoff faisait la part belle aux paysages grandioses !
Nous avons adoré suivre le périple de Simon qui mène à bien une idée à priori folle et prend confiance en lui au fil du chemin et des rencontres, mais aussi le contexte historique fort dans lequel l’histoire prend place.

La longue marche des dindes, adapté par Léonie Bischoff à partir du roman de Kathleen Karr, Rue de Sèvres, 2022.

Les avis d’Isabelle, Linda, Blandine et Lucie.

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Roman que nous vous recommandons d’ailleurs pour aller plus loin dans la découverte mais aussi parce que le format se prête idéalement à la lecture à voix haute.
La longue marche des dindes est un récit initiatique original au cours du quel on fait des rencontres parfois surprenantes, parfois problématiques mais qui, toujours, viennent pimenter un récit d’aventure intelligent et bourré d’humour. L’auteur nous entraîne dans une longue marche à travers l’Amérique, à la découverte des turkeyboys, moins connu que les cowboys, et de la difficulté d’un voyage de mille kilomètres avec des volatiles.
Le récit rappelle par certains aspects l’Amérique de Tom Sawyer avec ses chercheurs d’or, ses brigands, l’esclavagisme ou encore les chasseurs de bisons.

La longue marche des dindes de Kathleen Kaar, L’école des loisirs, 2018.

Les avis d’Isabelle et Linda.

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Lucie a aussi eu l’occasion de découvrir Et le ciel se voila de fureur dans le cadre du Prix Vendredi 2022. La vengeance est au cœur de cette histoire, comme de nombreux westerns cinématographiques, et Taï-Marc Le Thanh y a malicieusement glissé un certain nombre de personnages iconiques. Si cette lecture n’a pas tout à fait été le coup de cœur escompté, l’ambiance du western y est bien présente et apporte une réelle épaisseur au récit. D’autant qu’il est agrémenté de magnifiques croquis.

Et le ciel se voila de fureur, Taï-Marc Le Thanh, L’école des loisirs, 2022.

Les avis Lucie et d’Isabelle

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Plus récemment encore, c’est avec une grande curiosité que certaines branches du Grand Arbre se sont penchées sur Pony. Après avoir aimé Wonder, elles avaient très envie de découvrir ce que leur réservait le nouveau roman de R. J. Palacio. Et cela a été un nouveau coup de cœur ! La quête de Silas, parti à la recherche de son père enlevé sous ses yeux par des bandits, l’entraîne à travers les grand espaces américains. Lui aussi fera un certain nombre de rencontres qui l’amèneront à grandir et à en apprendre plus sur ses origines. L’auteure a su mêler paysages, découvertes techniques (notamment en photographie), suspens et une ambiance très particulière qui flotte sur un roman qui ne ressemble à nul autre.

Pony, R. J. Palacio, Gallimard Jeunesse, 2023.

Les avis de Lucie et d’Isabelle.

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Calamity Jane n’a pas toujours été l’héroïne du Wild West Show de Buffalo Bill, alternant performance équestre impressionnant un public peut habitué à voir une femme armée de colts! Calamity Jane veut être maîtresse de son destin : « Très vite, elle adopte l’habit de daim et le pantalon, le colt à la hanche et la cigarette à la bouche. Sous son chapeau de feutre brillent un regard crâne, un esprit farouche, une âme rebelle. » Voilà, il n’y a pas d’autre choix pour gagner cette liberté des grands espaces ancrés en elle. Mais Calamity aime trop et bouscule les codes, veut aider les plus faibles : justicière et généreuse! Cet album relate une histoire, une légende, une ode à la liberté. Cette liberté et la souffrance de cette femme que l’on retrouve dans les mots d’Anne Loyer. Le courage, l’indomptable Calamity-rouge comme l’amour qu’elle porte à sa fille. Cette touche de couleur si vive qui illumine les illustrations de Claire Gaudriot.

Calamity Jane, Anne Loyer & Claire Gaudriot, A pas de loup, 2019

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Ab Stenson est libre, libre d’avoir choisi son destin, du moins celui qu’on lui a imposé dès son plus jeune âge. Sauvage? Dur et solitaire? Ab Stenson s’habille comme un homme, s’agite comme eux. Elle vit, vol les banques… jusqu’au jour où elle croise la route du jeune Garett qu’elle prend en otage un matin comme un autre pour celle dont la tête est mise à prix. Bien vite Garett est fasciné par cette femme « sans foi ni loi » et découvrira des sentiments qu’il n’a jamais connu : l’amour et la liberté : « Je n’ai jamais été amoureux d’Abigaïl Stenson. La fascination qu’elle exerçait sur moi était d’un autre ordre. Peut-être que j’aurais aimé lui ressembler, peut-être qu’elle incarnait tout ce qu’on m’avait appris à détester. Je ne sais toujours pas exactement. »

Marion Brunet revient sur une période où l’homme connaît toute domination. A travers son personnage d’Abigaïl Stenson, elle donne la parole à toutes les femmes libres et conquérantes. Etre sans foi, ni loi pour tenir, pour survivre, pour ne pas trop aimer et se protéger. Le personnage de Garett la rend plus forte et indomptable. Le lecteur ne s’émeut jamais pour elle, elle n’en a pas besoin. En revanche, un peu comme Ab, le lecteur prend Garett sous son aile pour lui faire oublier son passé et faire de lui un homme loyal et aimant.

Sans foi ni loi, Marion Brunet, Pocket jeunesse, 2019

L’avis d’Isabelle

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Celle qui venait des plaines, c’est Winona. Si Charlotte Bousquet nous invite à suivre Virgil Wyatt dans sa quête de vérité, elle est la figure centrale de cette histoire. Et quelle figure ! Fille d’une soldat et de la sœur de Crazy Horse, elle a été à la fois l’amante et l’ennemie jurée du père de Wyatt, a survécu aux sévices du pensionnat, côtoyé hors-la-loi et U.S. marshals, appris à leurs côtés à soigner et à tuer… Tout comme Virgil, le lecteur se retrouve envoûté par la fameuse Vipère de l’Oklahoma. Mais raconte-t-elle la vérité ?
« On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende ! »
Charlotte Bousquet propose une réflexion sur la vérité et le mythe (un peu à la manière de « L’homme qui tua Liberty Valance » de John Ford, d’où est tirée cette citation), mais s’appuie aussi sur des faits historiques pour évoquer la place des femmes au Far West et les atrocités commises dans les pensionnats où étaient retenus de force les enfants indiens jusque dans les années 80.

Celle qui venait des plaines, Charlotte Bousquet, Gulf Stream éditeur, 2017.

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L’époustouflante couverture des contrées salées annonce la couleur : celle de la rencontre du western et de la magie. Ce roman graphique semble d’abord s’inscrire dans un registre historique ancré dans l’Oklahoma de 1919. Depuis qu’Elber est rentré des tranchées, sa petite sœur Vonceil ne le reconnaît plus. Moins insouciant, plus adulte, voilà qu’il se met en ménage avec l’insipide Amelia. Mais un jour débarque une envoutante dame blanche qui exige qu’Elber la suive. Furieuse de son refus, elle empoisonne la seule source d’eau potable des environs. Pour lever le sort, Vonceil n’hésite pas à se lancer tête baissée vers les contrées salées. Ses aventures nous font brusquement basculer dans une autre dimension… Entre enquête, épopée et fantasy carrollienne, cet album ne cesse de nous prendre de court. L’intrigue merveilleuse et le contexte historique se nourrissent réciproquement dans une symbiose étonnante. L’épopée s’appuie par exemple sur des éléments historiques comme les difficultés des fermiers américains, les traumatismes des survivants de la guerre ou la prohibition. Étonnant !

Les contrées salées, de Hope Larson et Rebecca Mock (Rue de Sèvres, 2022)

L’avis complet d’Isabelle

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Conquête de l’ouest, vengeance, voyage initiatique et quête d’identité sont les thèmes centraux de ce western qui nous entraîne dans un Far West digne des meilleurs films du genre. Porté par des personnages attachants, le récit alterne les scènes violentes et d’autres plus contemplatives. Ces dernières permettent de découvrir les personnages, leur histoire et de vraiment saisir la complexité d’appartenir à deux cultures différentes, à deux mondes qui s’opposent, surtout quand l’une est persuadée d’être dans son bon droit en faisant disparaître l’autre. Natifs américains et irlandais puisent leur force dans le désir de garder leur identité et de sauver ce qu’il leur reste d’humanité.
Avec des thématiques très actuelles, ce roman graphique s’inscrit dans l’actualité en interrogeant notre rapport aux autres et à la nature. Par ces personnages attachants, il interroge nos actions et notre Histoire, car s’identifier à un personnage et vibrer avec lui, c’est aussi apprendre à se mettre à la place de l’autre.

Hoka Hey ! de NEYEF, Label 619, 2022.

L’avis complet de Linda.

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C’est aussi le point de vue des natifs qu’adopte Nathalie Bernard dans Le dernier sur la plaine. S’inspirant de personnes et de faits réels, l’auteure nous emporte dans la seconde moitié du 19ème siècle, ce moment de bascule où les rangers traquent les dernières tribus refusant de se faire enfermer dans des réserves.
A travers le point de vue de Quanah Parker, dernier chef Comanche, elle montre le combat qu’il mena toute sa vie pour tenter de sauver la culture, les croyances et les terres de son peuple. Ce personnage est magnifique, sensible et solide, d’une humanité désarmante et bouleversante. Et le contexte historique n’est pas en reste : on voit sous nos yeux le paysage transformé par le développement des lignes de chemin de fer et de l’agriculture ; le quotidien des amérindiens qui vivent, survivent, tentent de s’adapter ; la condition des femmes, dans les deux camps ; la nature façonnée par le rythme des saisons et la guerre.

Le dernier sur la plaine, Nathalie Bernard, Editions Thierry Magnier, 2019.

Les avis d’Isabelle et de Lucie.

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Cela fait déjà dix ans que Blandine a lu Western Girl d’Anne Percin et son souvenir de lecture demeure intact et toujours aussi bon! Présentation :
Ce roman nous transporte dans le Middle West américain, au cœur d’un groupe de 12 « frenchies », cinq garçons et sept filles, partis trois semaines en stage dans un ranch au milieu d’un élevage de races [de chevaux] américaines, et principalement auprès d’Elise Bonnel, rousse flamboyante de 16 ans qui adore western et country depuis ses 6 ans, allant même jusqu’à prendre des cours d’équitation.
Le roman est très bien écrit et propose, en alternance avec les déboires relationnels (plutôt classiques) de la jeune fille, une description géographique, une analyse historique et sociologique des Etats-Unis. On découvre une Réserve, de hauts lieux de batailles, nous roulons sur les immenses Interstate, ces routes linéaires presque sans fin du centre des Etats-Unis, on écoute de la musique dans un snack diffusé par un juke-box, etc. Il est aussi question du préjugé, de la différence, du racisme, notamment avec Derek B. Johnson, un jeune Noir venu de Philadelphie.

Un roman exaltant qui donne envie d’écouter de la country, de faire du rodéo et de boire des ginger beers!

Western girl. Anne PERCIN. Editions du Rouergue,

L’avis de Blandine.

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États-Unis, 1884. Les bisons sont en voie d’extinction. Un grand musée d’histoire naturelle dépêche un jeune taxidermiste pour ramener des cornes, des sabots et des peaux avant que l’espèce ne disparaisse. Ce dernier ne se doute pas qu’il va vivre un moment de grâce, l’une de ces expériences qui marquent à jamais et donnent un sens à notre existence… Rascal et Louis Joos abordent le drame du massacre de millions de bisons par les colons venus d’Europe sous l’angle lumineux de l’initiation d’un homme qui trouve bonheur et sens au contact de la nature. Le texte lyrique et les illustrations à l’encre et à l’aquarelle subliment la beauté des grandes plaines, du soleil couchant et de la nuit qui s’empare de la forêt, où les humains et leurs machines industrielles semblent des intrus. Et pourtant, on assiste dans cet album à une communion bouleversante entre l’homme et la nature. On aime retrouver des saveurs qui nous avaient transportées dans Le voyage d’Oregon : celle du voyage (ici de New-York vers le Kansas puis le Canada) et surtout celle de la liberté. Un immense bol d’air, cet album !

Buffalo Kid, de Rascal, illustré par Louis Joos (Pastel, 2023)

L’avis complet d’Isabelle

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Et si on allait toujours plus à l’Ouest? Alors à l’Ouest, que se passe-t-il ? Eh bien, comme nous le dit le titre, rien de bien nouveau à l’ombre des cactus ! Au Far West, on rencontre toujours les mêmes personnages : shérif, danseuse de cancan, Indiens comme cowboys qui se font toujours la guerre à base d’or convoité, de passage au saloon, de poursuite dans le désert… Mais à l’Ouest, il y a quand même du nouveau ! Car Anne-Sophie Tilly a glissé dans son texte autant de rebondissements et de situations cocasses que de nombreuses références et multiples clins d’œil qui raviront les petits comme les grands lecteurs!

A l’Ouest, rien de nouveau. Anne-Sophie TILLY et Fabienne BRUNNER. Frimousse, 2016

L’avis de Blandine

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Et pour terminer, un indémodable: Billy, un hamster!

Un papa hamster, bandit de métier, aimerait bien que son fils le soit aussi. Mais il se rend bien compte que Billy est bien trop gentil pour le devenir. Il décide néanmoins de lui offrir sa première, et plus importante, leçon ! A savoir, brandir son arme devant un animal et tonner d’une voix forte : « Haut les pattes ! » Billy s’en va…Et bien sûr, rien ne se passe comme son père l’avait prévu. Mais c’est peut-être mieux ainsi?!
Derrière son décor de Far West (où tout y est!), cet album aborde les désirs paternels pour le fils, l’amitié, l’entraide et la fierté ! Une réussite!

Hauts les pattes de Catharina Valckx. Ecole des Loisirs, 2010

L’avis de Blandine

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Et vous, aimez-vous les westerns ? En avez-vous déjà lu ? Lesquels nous recommanderiez-vous ?

Des livres qui se lisent dans tous les sens !

Un livre, c’est une couverture qui ouvre sur tout un monde à découvrir.
Mais certains auteurs décident de jouer avec ce support et d’en changer le sens de lecture. Dans cet article, nous vous proposons de partir à le découverte de ces drôles de livres, qui – à la manière d’un palindrome – peuvent se lire dans un sens ou dans l’autre, voire comme une boucle infinie.

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D’un côté il y a Léo. Il vit dans une ville près d’un port où les bateaux vont et viennent.
De l’autre il y a Phara, elle vit sur une île où nagent des poissons aux mille couleurs.
De l’autre coté de la mer, c’est la vision de l’un qui, en traversant l’étendue qui les sépare pousse le lecteur à se rendre compte que les choix des uns influent sur le quotidien des autres. Tout est étroitement lié, par la mer et les océans. Il est urgent d’en prendre conscience et d’adpater notre manière de consommer !

Les avis d’Isabelle, Lucie et Liraloin

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Ah la sacro-sainte histoire du soir ! Le rituel immuable tant attendu ! Voici un classique du Père Castor qui renverra petits et grands à la répétition de ce moment privilégié avec beaucoup d’humour. Car si Martin Lapin raconte à ses enfants l’histoire de Florent Eléphant, que celui-ci raconte celle de Paolo Manchot, pendant que Louis Perroquet raconte celle de d’Eloi Dauphin, que va raconter ce dernier à ses bébés ?

L’histoire du soir, Laurence Gillot et Philippe Thomine, Flammarion, Père Castor, 2008.

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Les Editions du pourquoi pas ? proposent les collections « Faire Société » et « Faire humanité » composées de textes narratifs ​et d’illustrations contemporaines, pour amener le lecteur à réfléchir sur le vivre ensemble. La plupart des titres sont composés de deux textes en recto-verso, deux regards croisés sur une même thématique.
Les livres peuvent se lire indépendamment dans un sens ou dans l’autre. Les deux parties se complètent ou se répondent. Elles invitent à multiplier les points de vues et aiguisent l’esprit critique.

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Peu importe si nous prenons l’album par le début ou la fin, il y a LA question que vont se poser les ours de cette aventure : « Qu’est-ce qu’il y a derrière ce mur ? ». Le jeu de la première et quatrième de couverture peut éventuellement donner un petit indice. Cette histoire tient sur le suspens : d’un côté un ours solitaire aperçoit un trou dissimulé dans le mur puis un ballon bleu flottant au-dessus de ce dernier. D’observation en exploration l’ours va faire une jolie découverte. A vous de deviner laquelle ? De l’autre côté, deux ours peureux vont tomber sur un œil les observant par un trou dissimuler dans le mur. A partir de là, ils vont imaginer le pire… « Au secours ! Il arrive ! C’est un très très grand monstre ! »

Un album pour les petits qui se régaleront, eux aussi, à se faire peur !

D’un côté…et de l’autre de Gwendoline Raisson et Ella Charbon – Ecole des Loisirs, collection : Loulou et Cie, 20

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Les livres de « couleurs » d’Hervé Tullet utilisent cette particularité! Leur auteur aime le jeu, le contact et l’espièglerie, ce qu’il glisse dans ses albums que les enfants sont invités à manipuler, tourner, secouer, à souffler ou appuyer dessus… et quand la dernière page est tournée, on renverse le livre et on recommence! Des albums colorés et joyeux pour des moments d’échanges, de rires et de partages garantis!

Présentation de Blandine ici.

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Les éditions « Le port a jauni » proposent des albums de poésie illustrée pour la jeunesse tous bilingues, en français et en arabe. Les textes écris en français sont traduits vers l’arabe mais aucun sens de lecture n’a plus de valeur que l’autre ni même de sens. Les illustrations sont d’ailleurs très bien agencées, de façons à convenir à la lecture dans les deux sens.

Tisser un projet éditorial en deux langues, sans se soucier des cartes d’identités, en cherchant une résonance dans les thèmes poétiques. Donner à voir et à entendre les deux langues ensemble dans un contexte artistique, loin des poncifs idéologiques attendus. C’est proposer un autre accès au monde, c’est entrer en poésie…

lE PORT A JAUNI

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S’il y a bien une artiste dont nous adorons le travail destiné à la petite enfance, c’est Lucie Felix ! Que de malice, d’ingéniosité, d’espièglerie dans ses albums à manipuler dans tous les sens ! Avec Prendre & donner, l’artiste réinvente l’imagier pour égrener des verbes qui prennent corps grâce à la matérialité du livre. L’enfant est invité à saisir des formes dans la chair même de la page et à les déplacer au fil de mots qui s’opposent. Et à la fin, surprise : on peut faire le chemin en sens inverse !

Prendre & donner, Lucie Felix, Les Grandes personnes, 2014.

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En 1980, paraît aux Etats-Unis The turn about, think about, look about book. Il faudra attendre 2022 et l’audace des éditions Les Grandes personnes, pour que cet album cartonné de Beau Gardner soit enfin publié en Français.

Tourne, pense, regarde, Beau Gardner, Editions Les Grandes personnes, 2022.

Et quel plaisir de découvrir le travail de cet artiste qui nous invite à travers un éventail de formes épurées à changer de point de vue au fil des quatre côté de la page. Rien de mieux pour comprendre le fonctionnement de ce petit bijou que les mots du préambule :

« Tu peux lire ce livre de plusieurs façons. Comme son titre l’indique, plus tu le tournes, plus il y a de choses à voir. Tiens-le à l’endroit, et tu verras une image… tourne le livre sur le côté, à l’envers, à gauche, à droite et la même image sera complètement différente ! Tu peux donc regarder chaque illustration de quatre points de vue… ou faire appel à ton imagination et voir encore autre chose. »

Voilà un album qui agit sur le regard à la manière d’une baguette magique !

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Aimez-vous ce genre de livres ? Avez-vous des titres préférés ?

Pour un Noël décalé

Cette année, nous vous proposons une sélection de Noël avec des titres, des personnages ou des points de vues inattendus. Parce que le Père Noël et les lutins, c’est sympa mais heureusement les auteurs de littérature jeunesse fourmillent d’idées qui sortent des chemins battus. Voici nos préférés !

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Nous en avons déjà fait une lecture commune l’année dernière, mais Jack et la grande aventure du cochon de Noël entre évidemment dans cette sélection. Car si Jack profite de la magie de la nuit de Noël pour s’introduire dans le pays des objets perdus, il n’est nullement question du Père Noël dans ce roman. Qui propose au passage une vraie réflexion sur la valeur que nous accordons aux objets.

Jack et la grande aventure du Cochon de Noël, J. K. Rowling, Gallimard Jeunesse, 2021.

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Michael Morpurgo aussi s’est prêté au jeu de réinventer un conte de Noël avec son Bonhomme de neige, inspiré par le classique de Raymond Briggs. Il est une nouvelle fois question de la magie de la nuit de Noël, mais c’est un bonhomme de neige qui prend vie pour entraîner James, petit garçon solitaire qui peine à s’exprimer, à la découverte de son univers. Un voyage qui changera sa vie.

Le bonhomme de neige, Michael Morpurgo, Gallimard Jeunesse, 2019.

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La petite souris s’interroge, que de changements dans la ville ce matin ! Des lumières, des odeurs, des objets sont sortis de nulle part et transforment totalement son environnement. Quel mystère se cache derrière tout cela ? Noël approche est un album qui enchante les petits car eux savent bien à quoi correspondent ces changements. Et quel plaisir de découvrir avec la petite souris toutes les merveilles qui permettent d’attendre Noël !

Noël approche, Andréa Leonelli, illustrations de Philippe Carme, Callicéphale, 2001.

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Ici le Père Noël s’est carapaté, envolé, piuffffffffffff (alerte FBI porté disparu)… et lorsque Noël approche c’est un peu la panique à bord. Heureusement que l’élégant Professeur Goupil n’a pas froid aux yeux et accepte de remplacer le gros bonhomme à la barbe blanche. Est-ce que nous sommes réellement certain(e)s que Mister Santa Claus a réellement rendu son tablier? Cet album est un formidable cherche-trouve et nous sommes heureuses-heureux de retrouver notre héros Professeur Goupil. Quel régal que de parcourir toutes ces immenses pages qui regorgent de mille détails et de clins d’œil destinés au plus grands (si si les parents soyez un peu attentifs s’il vous plaît). Bravo Anne Montel pour ce beau et long travail, car cet album nous réconcilie avec la magie de Noël et puis le puzzle doit être bien amusant à faire également !

A la recherche du Père Noël de Loïc Clément et Anne Montel – Little Urban, 2022

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Pour un Noël décalé, rien de mieux que les albums de Thierry Dedieu, un auteur que nous chérissons à l’ombre du grand arbre pour sa créativité et son engagement.

Dans la foisonnante collection d’immenses albums consacrés à cette période festive créés par l’auteur, il en est un où Noël est littéralement dé-ca-lé : en effet nos cinq comparses, la chouette, le rouge gorge, la souris, l’écureuil et le hérisson adorent « l’ambiance féérique, les promesses de cadeaux et les batailles de boules de neige… » mais voilà qu’à l’approche de Novembre, l’un des leurs doit partir hiberner. Après plusieurs tentatives pour célébrer Noël avec leur ami le hérisson coute que coute, la petite troupe doit se résoudre à l’évidence : l’hiver, leur ami hérisson n’est pas disponible.

Alors un matin enneigé, les amis ont une idée :

 » Et si on décidait de fêter Noël au printemps ? Nous serions tous enfin réunis ! « 

Et voilà comment Noël fut littéralement décalé !

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Inspiré d’un conte de Noël de Tove Jansson, Noël dans la vallée des Moomins est parfaitement décalé puisqu’on y suit une famille qui ignore tout de ce jour et de cette fête de Noël. Espèce hibernant, le Moomin n’a pas l’habitude de sortir de son lit à cette époque de l’année mais, fait exceptionnel, cette année un de leur voisin a décidé qu’il serait trop triste qu’ils passent à côté de ce grand jour. Mais alors que chacun se prépare activement, les Moomins décident de suivre le mouvement comme s’ils s’apprêtaient à affronter quelque créature terrifiante. Quiproquos et situations insolites font de cet album un récit drôle et amusant qui interroge sur le sens de Noël.

Noël dans la Vallée des Moomins de Cecilia Davidsson & Alex Haridi, illustré par Filippa Widlund, Cambourakis, 2018.

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Lorsque Tolkien s’empare de Noël, ce n’est pas pour nous raconter une histoire ordinaire et classique du vieux bonhomme rouge. Ecrite sur une vingtaines d’années au travers d’une correspondance mise en place pour ses enfants, il se met dans la peau du Père Noël pour raconter ses aventures empruntes de magie et du fantastique si cher à l’auteur. Tradition familiale, histoire originale richement illustrée, Les lettres du Père Noël nous entraîne au Pole Nord où vit le vieil homme et son ami Ours Polaire. D’une année sur l’autre l’histoire évolue et prend différentes formes, il n’est parfois question que de la préparation des cadeaux mais certaines années seront marqués par l’effondrement d’un toit et un déménagement précité ou encore d’une guerre avec les gobelins des cavernes. Chaque Noël dans la famille Tolkien est une fête et un événement unique.

Les lettres du Père Noël de JRR Tolkien, Christian Bourgois éditions, 2022.

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Une ville enneigée, un Monsieur en costume qui avance tant bien que mal, et des exclamations deci-delà. « Il est arrivé », « Il est arrivé »… D’accord, mais qui donc est arrivé? Un album tout en hauteur et perspectives pour le découvrir ! C’est astucieux, foisonnant, et très cocasse !

Il est arrivé! Christophe PERNAUDET et Sébastien CHEBRET. La Joie de Lire, 2019

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Et si l’on regardait un peu du côté de l’Italie? Là-bas, Noël se fête au passage de la Befana. Une sorcière qui vient, dans la nuit du 5 au 6 janvier, apporter des présents ou du charbon noir. En France, on trouve peu d’albums sur Elle, en voici deux qui se complètent parfaitement, entre vision traditionnelle et vision plus contemporaine. De quoi donner envie de prolonger les Fêtes jusqu’à cette date!

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On connaît Olivier Tallec pour son trait inimitable et son humour noir. Il va de soi que son album de Noël est résolument décalé ! Décalé car l’histoire de Sapi, le sapin qui rêvait de devenir un arbre de Noël révèle les facettes sombres de cette fête. On aime y voir un tourbillon de flocons, de lumière et d’amour, la destinée de Sapi pointe les travers consuméristes de cette fête. L’adorable Sapi, qui a extrait ses racines du sol pour échapper à la perspective de fournir le bois des meubles IKEA ou de cercueils, est pris de court par la brièveté et l’hystérie du moment. Rapidement délaissé une fois le fameux déballage des cadeaux passé, l’arbre se retrouve planté dans la cour où il attend le retour de la saison des guirlandes. Il ne verra que l’arrivée d’un nouveau sapin, planté à ses côtés. Un album qui a sa place dans les lectures de Noël pour décaler un peu notre regard et réfléchir à ce que nous souhaitons faire de cette fête. Nous vous souhaitons de chaleureux moments de partage avec vos proches !

Sapin le sapin, d’Olivier Tallec. L’école des loisirs, 2023.

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Et vous, quelles histoires de Noël décalé préférez-vous ?

Le Prix Vendredi, édition 2023 !

Comme les années précédentes, nous avons lu les titres de la sélection du Prix Vendredi – 7ème édition. Alors que le Lauréat sera annoncé dans la journée, nous vous proposons de découvrir nos avis sur ces romans destinés aux adolescents.

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Au nom de Chris de Claudine Desmarteau, Gallimard Jeunesse (Scripto), 2023.

La vie n’est pas tendre avec Adrien. Alors quand le soir tombe, il se débat avec des idées noires, cherche en vain le sommeil et finit par sortir marcher seul dans l’obscurité. Une nuit surgit une voix des ténèbres. Cette voix qui fait irruption sans guillemets ni description pour nous donner un peu à voir à qui elle appartient glace d’emblée. Un peu comme dans ces films d’horreur qui ne nous laissent qu’imaginer ce qui se tapit derrière la porte. C’est intrigant et magnétique : impossible de reposer ce thriller. On parcourt ces pages le souffle coupé, redoutant le drame à chaque instant. Les chapitres donnent, à petites touches, une consistance au mal-être d’Adrien, évoquent les affres du harcèlement, l’installation d’une emprise dont sa mère, aimante mais maladroitement anxieuse, peine à le protéger. Il s’agit aussi de la quête de soi qui caractérise l’adolescence et qui ressemble parfois à un exercice de funambulisme.
Les saisons passent au rythme de la voix de Chris, tour à tour galvanisante et berçante, charmante et autoritaire. Les contours de l’homme, eux, ne se précisent guère : qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Quel âge a-t-il ? Est-il dangereux ? La narration à la première personne nous place au plus près des expériences d’Adrien, un peu comme si on lisait ses pensées ou des vers libres jetées dans son journal : des phrases sans ponctuation surgissent parfois à un rythme rapide dans la narration, rendant la détresse du garçon presque palpable. Un livre sombre, mais hypnotique et initiatique.

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Dix-huit ans, pas trop con de Quentin Leseigneur, Sarbacane (Beau&Court), 2023.

Le narrateur garde sa cagoule mais sa voix s’impose d’emblée, franche et directe : celle d’un jeune homme au seuil de l’âge adulte embarqué (provisoirement) dans un commerce lucratif mais risqué. Dès que le charbon et les clients qui défilent lui en laissent le temps, il nous explique sans façon la marchandise et les stratégies commerciales, le recrutement des petits pour fouiller les étages et organiser le ravitaillement et les grands qui embauchent « sans discrimination » mais avec lesquels on ne plaisante pas. Sans jugement, ce roman met en lumière la brutalité du monde des tours et de la drogue, les dilemmes des jeunes qui y vivent et les illusions dans lesquelles il est si risqué pour eux de se bercer. Les mots de ce court roman percutent et bousculent. Quentin Leseigneur compose une voix lucide et sincère, tour à tour gagnée par l’espoir, les doutes et la peur. Mais cette langue scandée qui rend hommage à l’argot, au verlan et aux langues des cités sonne juste comme les dialogues des séries The Wire et Validé. Sa puissance, combinée à la densité de l’intrigue, concentrée en un midi-minuit, laissent le lecteur estomaqué. Un roman coup de poing !

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Premier rôle de Mikaël Ollivier, Thierry Magnier, 2023.

Ce roman, truffé de citations, clins d’œil et autres références au cinéma, est un bonheur de cinéphile. Il donne envie de voir ou de revoir quantité de films. La culture transmise par Nino à sa petite fille est un véritable plaisir à lire. Tout comme sa vision d’un art dont la raison d’être et l’économie sont fortement remises en question en ce moment.
Mais Mickaël Ollivier propose aussi de beaux portraits de femmes. Portrait d’une adolescente qui s’essaye à l’écriture (puisque ce texte est présenté comme sa première tentative d’écriture), de sa grand-mère qui l’a élevée malgré son besoin d’indépendance, et de sa mère qui a préféré vivre loin de toute entrave familiale. Trois femmes aux visions de la vie très différentes, qui en viennent à cohabiter pendant le premier confinement. Car la covid tient une place prépondérante dans la dramaturgie de l’histoire dont la résolution pousse le lecteur dans ses retranchements et l’oblige à bousculer ses convictions.

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Le Souffle du Puma de Laurine Roux, l’école des loisirs (Médium +), 2023.

Laurine Roux s’inspire d’une histoire vraie pour construire le récit des Enfants du Llullaillaco, deux enfants découverts morts en 1999 au sommet d’un volcan argentin, momifiés et parfaitement conservés par le froid. L’histoire s’inscrit dans deux époques, la notre auprès de scientifiques qui tentent de faire parler les corps, et cinq cents ans plus tôt, dans les pas des enfants. Les deux époques tressent une histoire emprunte de magie et de spiritisme cherchant une interprétation dans l’étude scientifique et avançant vers le destin inéluctable et tragique de ces deux enfants morts pour des croyances fortes. Le souffle du Puma est un récit fort et hyper intéressant parce qu’il prend corps dans notre réalité et met en avant un rite spirituel dont les victimes étaient des enfants. Porté par une héroïne au caractère fort, il livre un magnifique message sur le besoin, le désir de liberté.

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De larmes et d’écume de Stéphane Michaka, Pocket Jeunesse, 2023.

1872, une goélette, baptisée la Mary Celeste a été retrouvée chavirant sans plus personne à son bord mais avec son chargement intact. Tout avait été laissé tel quel comme si ses navigants étaient partis sur l’instant, mais avec l’idée de revenir… La Mary Celeste a été retrouvée mais jamais aucun de ses naufragés. Un mystère.
Douze ans plus tard, ce célèbre et énigmatique naufrage refait parler de lui lorsqu’un vieux loup de mer arrive à Londres dans la compagnie d’assurances de la Mary Celeste avec une vieille bouteille contenant un manuscrit qui permettrait de connaître la vérité. « Spotty  » Finch, 17 ans, qui seconde Basil Huntley, un passionné des naufrages, va comprendre peu à peu pourquoi son supérieur est particulièrement intéressé par cette histoire à laquelle il semble lié, et pourquoi en dépit de sa sécurité, il va tout faire pour découvrri ce qu’il s’est passé.
C’est ainsi qu’en se lançant dans les bas-fonds de l’East End, dont est originaire Spotty, Basil va remonter le fil de ses souvenirs jusqu’à son adolescence à Liverpool et sa rencontre avec une jeune fille d’un autre rang social, dont la fortune du beau-père est issue du commerce du « bois d’ébène ».
Ce roman entremêle trois fils narratifs avec une grande fluidité nous faisant ressentir les beautés et dangers de chacune des situations, faits de decisions délicates et malheureux coups du sort. A bord de la Mary Céleste sur laquelle la jeune Elsie consigne ses journées et observations dans son journal, tant sur la navigation que sur les attitudes des membres de l’équipage, entre eux, vis-à-vis d’elle, ou encore du Capitaine.
Ces passages sont immersifs et nous donnent à ressentir la houle, les embruns, les manoeuvres, les différentes tensions.
Dans Londres avec la terrible condition des enfants des rues et ce qu’il leur faut faire pour survivre, et contre qui Basil et Spotty se retrouvent.
A Liverpool où le jeune Basil vit un amour réciproque mais clandestin avec une jeune fille indépendante et vive, mais sur qui le beau-père tente d exercer une emprise terrible, l’isolant de sa famille.
Bien que l’insertion d’un personnage ne soit pas utile et que Spotty soit d’une grande maturité et culture au vu de ses origines et âge, ce roman d’aventures inspiré d’une histoire vraie est happant. Par son écriture immersive et visuelle, Stéphane Michalak nous emporte par des thématiques fortes, (émancipation féminine, emprise psychologique, amour, amitié et respect) et des personnages bien campés, confrontés à des situations intenses et périlleuses

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This is (not) a love letter d’Anouk Filippini, Auzou, 2023.

Un été – peut-être plus – sur la côte basque. Loue, son frère, sa mère, sa grand-mère. Et dans le jardin de la maison familiale une tiny house occupée par une romancière, Graziella, et son fils, Inigo. Loue est passionnée de surf, et elle est vraiment douée. Mais cette année, elle surfe en solitaire, à l’heure où le soleil se lève. Cette année pas question de retrouver la bande de copains, Ben, Cannelle, Moussa, Bixente. Cette année, Loue traîne dans son sillon un parfum d’amertume, de nostalgie, de chagrin. Et tout le roman sera l’occasion de démêler ce qui a creusé ce profond sillon derrière elle, avec l’aide d’Inigo, lumineux personnage, qui au fil des cours de surf qu’il prendra auprès de Loue, lui permettra d’accepter sa vérité et de renouer avec la vie qui palpite malgré tout, là, sous la combi !

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Romance, tome 3. Octave d’Arnaud Cathrine, Robert Laffont, 2022.

Après Romance et les Nouvelles Vagues, c’est avec grande fébrilité que nous retrouvons les mêmes personnages reflet d’une époque, d’une société parisienne très actuelle. Octave et Vicente (Vince) ont été amants et ce dernier supporte mal la brutale séparation orchestrée par Octave qui a préféré sans doute fuir un amour trop fort. Alors Vince qui souhaite (réellement ?) tourner la page se réfugie dans un fantasme : celui d’aimer un de ses profs. Tandis que son amie Marylin se « répare » elle aussi de sa rupture avec Octave en continuant de dessiner et espérer un jour rencontrer son héroïne-peintre Elizabeth Peyton, Titus et Lilian survivent à leur manière, l’un en aimant secrètement… l’autre en avalant des pilules pour oublier sa condition.

Tous vont se croiser, s’évoquer, se confier l’un à l’autre portant d’une seule voix cette génération d’étudiants durant le confinement. Une vie qui continue même si la situation n’invite pas à rencontrer de nouvelles personnes. Est-ce que finalement cet enfermement n’est pas le moment de prêter encore plus attention à l’autre et à son état psychique ? Dans ce roman choral qui s’organise en différentes phases allant du confinement au déconfinement les lectrices et lecteurs vont être les témoins des sentiments les plus profonds se jouant dans un groupe de jeunes adultes. Sans exagérer sur la place proéminente des réseaux sociaux, Arnaud Cathrine utilise les codes d’une jeunesse afin d’illustrer le rythme de l’histoire d’une douceur magnétique.

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La Dernière Saison de Selim de Pascale Quiviger, Rouergue (épik), 2023.

Dans une oasis imaginaire, Pascale Quiviger dresse une société où les femmes sont investies d’un grand pouvoir religieux. Et pour cause : le panthérisme, leur religion monothéiste, a pour objet une déesse. Ce « matriarcat » (en réalité simple contre-pouvoir face au Sultan) ne rend pas la société plus égalitaire, loin s’en faut : il est dirigé par une Infinie qui parle en prenant exemple sur Maître Yoda, la sagesse en moins.
L’ambiance « Mille et une nuit », les coutumes et croyances millénaires créées par l’auteure sont très prenantes. Et, pour les lecteurs du Royaume de Pierre d’Angle, quel plaisir de retrouver Esmée et Mercenaire ! C’est d’ailleurs l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire de ce personnage mystérieux. Le lecteur s’attache vite et durablement aux personnages, qui ont tous une histoire singulière. C’est l’un des grands talents de cette auteure : créer des figures romanesques et nuancées dont on a plaisir à suivre les aventures.

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Tous nos rêves ordinaires d’Elodie Chan, Sarbacane, 2023.

Nous voici à l’aune de l’an 2000 dans une banlieue pavillonnaire ordinaire, à Val-de-Seine, en Normandie. C’est l’été, il fait chaud, et le temps s’écoule lentement. Romane, flamboyante rousse, est du genre réservée mais extravertie lorsque sa meilleure amie Lola, jolie blonde « parfaite » est à ses côtés. Ensemble, en rollers, petit short et rires, elles font tourner les têtes et les cœurs. Cyrus d’ailleurs, aimerait bien que Romane lui accorde davantage d’attentions, pour le plus grand dam de Chloé, son amie de toujours, dont il découvre un jour de fête, et donc trop tard, qu’elle est « une fille ». Lola, elle, rêve de paillettes et célébrité, enfin, elle veut surtout échapper à l’aura de sa mère, ancienne « Miss Normandie » qui lui serine sa perfection. Alors elle participe à un casting pour devenir chanteuse, mais derrière ses airs bravaches de fille qui se la joue femme (et qui fait comme si elle savait), innocence et naïveté sont toujours là. Gabriel lui ne veut surtout pas s’attacher pour ne pas reproduire le schéma parental, alors il passe de fille en fille, fume autant qu’il peut car ça évite de se souvenir, donc de souffrir. C’est tellement plus facile d’être le bourreau des cœurs, il n’avait juste pas prévu, pas voulu, pas imaginé, succomber. Et puis il y a Serge, un père de famille qui voit sa fille grandir, devenir femme, et ça il ne supporte pas, ça le renvoie à son âge, à sa condition, ça le met minable, alors il cogne. Violence ordinaire qui se devine derrière les fenêtres mais qu’on ne veut surtout pas entendre, savoir…
Cet été-là va changer beaucoup de choses pour eux tous, leur permettre de grandir, prendre conscience, s’émanciper, reproduire des schémas ou justement s’en échapper. Et si les époques changent avec notamment les modes de communication, certaines choses demeurent… entre adolescence, premières fois, apparences et émotions. Chaque génération voudrait s’inventer, s’affranchir de la précédente tout en poursuivant des modèles et une certaine forme de normalité. Les sentiments demeurent, seuls les moyens changent (et les références musicales aussi!!). Un roman dans la prolongement de Tom Sawyer/Huckleberry Finn et qui fait référence au « Normal People » de Sally Rooney.

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Griffes de Malika Ferdjoukh, l’école des loisirs (Medium +), 2023.

C’est une enquête fort alambiquée à laquelle Malika Ferdjoukh convie ses lecteurs ! Alors qu’un hiver glacial s’abat sur Morgan’s Moor, de violents tourments bouillonnent sous la chape de gel : un drame ancien, une vision funestement prémonitoire, une griffe qui se lève pour frapper…
Quel bonheur de s’immerger dans ce 19ème siècle plus vrai que nature où l’on voyage en diligence et porte le tweed ou la dentelle sous l’oeil d’animaux empaillés ! Cette enquête rend magnifiquement hommage à Conan Doyle, mais aussi à Charles Dickens, Jane Austen et Bram Stoker. On pense aussi évidemment au mystère de la chambre jaune face à ce meurtre commis dans une chambre hermétiquement close.
Évidemment, chacun semble avoir quelque chose à cacher et le duo dépêché par Scotland Yard va avoir fort à faire. Ils seront secondés un peu malgré eux par la fille de l’aubergiste – ouïe fine, langue bien pendue et un aplomb déconcertant – qui se rêve de seconder en Sherlock Holmes.
Les personnages sont hauts en couleur, entre ce détective fan de Dickens, de shortbreads et de whisky gallois qui ne jure que par les siestes (dont il dit qu’elles « déploient le meilleur de ses intuitions »), cet auxiliaire timide mais fougueux, et cette ribambelle de témoins déroutants. Leurs dialogues pleins de verve sont réjouissants (« J’ai longtemps dormi avec un grand frère qui gagnait des tournois de cricket pendant ses crises de somnambulisme. »).

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Avez-vous lu certains de ces titres ? Lequel a votre préférence ?