Lecture commune : Une nuit

À l’ombre du grand arbre, on adore les beaux livres, mais aussi les lectures qui intriguent, font vibrer plusieurs cordes à chaque lecture. Et celles qui parlent de la littérature ! Alors comme en prime, on aime beaucoup Grégoire Solotareff, nous avons trouvé une pépite à partager dans Une nuit, son dernier album pour lequel il s’est associé avec l’illustrateur Julien de Man. Un chouette terrain littéraire pour une lecture commune, comme en témoigne la richesse de nos échanges !

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Isabelle : Connaissiez-vous toutes Grégoire Solotareff et Julien de Man avant de lire cet album ?

Liraloin : Oui, je connaissais Solotareff – son célèbre album Loulou est un incontournable – mais pas Julien De Man.

Lucie : Pareil, je connaissais les albums de Grégoire Solotareff (Loulou, Les garçons et les filles, Les trois sorcières, Le Père Noel et son jumeau…), mais pas du tout Julien De Man.

Colette : Solotareff est un grand auteur qui pourrait donner lieu à une de nos rubriques “Nos classiques préféré.e.s”. Nous avons beaucoup lu les histoires de Loulou notamment avec mes deux garçons et regardé à plusieurs reprises l’adaptation en dessin animé des aventures de ce personnage atypique !

Isabelle : Voilà, c’est un auteur très prolifique de chez L’école des loisirs où il dirige même la collection pour les tout-petits qu’il a créée, Loulou et Compagnie. Il s’associe ici à Julien de Man qui vient du film d’animation.

Blandine : Maintenant que tu le dis, l’influence du film d’animation est bien perceptible dans les jeux de lumières. Je n’ai pas regardé le parcours de Julien de Man que je découvre avec cet album. J’aime beaucoup ce travail en commun. La patte de Grégoire Solotareff est bien reconnaissable mais il n’est pas toujours évident de savoir dans la plupart des illustrations qui a dessiné quoi.

Une nuit | L'école des loisirs, Maison d'Édition Jeunesse
Une nuit, de Grégoire Solotareff et Julien de Man, L’école des loisirs, 2022.

Isabelle : Pour moi, cet album nous a d’abord procuré le plaisir de tenir entre ses mains un bel objet-livre. Qu’en a-t-il été pour vous ? Avez-vous noté quelque chose de particulier ?

Colette : Une reliure en toile bleu nuit, un généreux format à l’italienne : en effet, quel bel objet !

Blandine : Très beau effectivement, et comme toujours, le format à l’italienne confère un truc en plus, comme le dos toilé qui lui donne du cachet.

Lucie : C’est un format de j’aime bien, très immersif et qui convient particulièrement à l’histoire.

Liraloin : Je n’avais pas vu la reliure tissée parce qu’en bibliothèque, les livres sont couverts. C’est la couverture qui m’a intriguée, notamment la lumière qui s’en dégage. On ne sait pas si l’intrigue se passera au lever du soleil ou à son coucher…

Lucie : C’est vrai, cette couverture est très jolie. La lumière est magnifique.

Colette : Et je n’ai pas du tout reconnu le dessin de Solotareff, j’ai été très intriguée du coup.

Lucie : Je rejoins Colette, je n’aurai pas du tout identifié cet album comme une production de Solotareff, il est très éloigné de son style habituel.

Isabelle : C’est vrai. Même si on reconnaît certains protagonistes de ses albums, comme Loulou dans une certaine cabane, mais Julien de Man leur donne un reflet singulier et les décors hyper-fouillés entre ombre et lumière sont tout à fait différents. En tout cas, on voit dans vos réponses que cette belle couverture, ce clair-obscur intrigant en couverture puis ces pages épaisses qui font plaisir à manipuler interpellent. On pourrait déjà se douter qu’on a à faire à un hommage aux livres – on y reviendra ! Est-ce que le titre, particulièrement concis, vous a inspiré quelque chose de particulier ?

Liraloin : C’est une porte ouverte à tous les possibles, la nuit. Il peut s’y passer beaucoup d’aventures, que ce soit en rêve ou simplement dans la réalité. La couverture suggère tout de même que l’aventure va être majeure.

Blandine : Oui, avec l’article “Une”, on se doute qu’il va se passer quelque chose de particulier, d’unique. La nuit favorise l’imaginaire, floute les perceptions. Cela crée du mystère. Le titre et l’illustration de couverture forment un oxymore intéressant.

Isabelle : Oxymore parce qu’il ne fait pas (ou plus ?) tout à fait nuit, à en juger par cette lumière étrange qui se répand près de la maison ?

Blandine : C’est cela. Avec le mot “nuit”, on s’attend à de l’obscurité, qui peut déboucher sur la peur, l’effroi. Or là, il y a beaucoup de lumière. Dans la maisonnette rouge, si petite parmi ses arbres si hauts. Et cette lumière quasi surnaturelle qui vient de la droite… Elle est presque hypnotique.

Colette : « Une nuit », c’est une fenêtre ouverte sur tous les possibles ! Rêves, cauchemars, imaginaire, peurs, angoisses, monstres. Un mot qui renvoie à d’innombrables thématiques classiques du récit d’enfance. Et puis “une nuit” mis en exergue ainsi, c’est aussi souligner dès la couverture qu’il est question d’un point de bascule.

Lucie : Ce titre est intriguant, un peu inquiétant – la nuit, pour les enfants… Et ces ombres qui entourent la maison… Et en même temps ce “une” reste flou. On sent qu’il va se passer quelque chose de particulier, sans savoir vraiment à quoi s’attendre. Ce côté “nuit” est pourtant très efficace pour créer une attente. On le sent bien avec vos réactions au titre ! Et puis on s’identifie à cet enfant, seul (?) la nuit dans une vieille maison, qui entend du bruit et monte au grenier. Cela pourrait être le début d’un film d’épouvante !

Isabelle : Je vous rejoins, une nuit m’a un peu évoqué un début de conte (je ne sais pas pourquoi, ça m’a fait penser à “il était une fois”) mais surtout, comme vous le dites, ce titre place d’emblée l’album sous tension. Je ne sais pas par quels états vous êtes passées en lisant cet album mais pour notre part, nous avons été dès la première page suspendus au suspense instauré par les mots et les illustrations. Avez-vous ressenti la même chose ? Comment l’auteur et l’illustrateur s’y sont-ils pris pour arriver à une telle tension ?

Colette : Je l’ai lu à Nathanaël, 9 ans, lundi au moment des histoires et l’effet dont tu parles a été flagrant : il était vraiment dans l’attente de ce que nous allions découvrir à chaque page, la tension était palpable dans la manière même dont il se tenait à mes côtés. Tout est lié, d’après moi, à la manière dont le récit est structuré. À chaque page, la narration se suspend au moment parfait…

Liraloin : On retrouve les codes du cinéma d’animation : l’éclairage sur le visage de l’enfant dans le lit, le gros plan sur la poignée de la porte pour faire monter la pression, la faible luminosité dans le grenier juste pour nous montrer ce qui est important et faire un peu peur lorsque l’œil tombe sur la silhouette de la poupée. Tout est fait pour embarquer le lecteur dans cette tension construite par la lumière.

Blandine : Pour ma part (et mes garçons avec), je n’ai ressenti aucune tension. Mais de la curiosité, le début de quelque chose de fantastique, une formidable aventure à venir… Mais sans aucune inquiétude. Le texte d’ailleurs rassure immédiatement sur l’origine des bruits. Le petit garçon n’est ni effrayé, ni affolé, il est en confiance. Et nous aussi.

Lucie : Pareil. J’ai été intriguée, vraiment curieuse de découvrir l’univers dans lequel allaient nous entrainer les deux auteurs, mais je n’ai pas ressenti de suspens.

Isabelle : Je me demande comment vous avez fait, Lucie et Blandine, pour résister à cette fameuse phrase au tout début du texte : « Dans ces maisons-là, il se passe parfois des choses extraordinaires. Une nuit, voici ce qu’il m’est arrivé. » On est ensuite presque dans un thriller : cliff-hangers à la fin de chaque double-page dont parlait Colette, zones d’ombres qui laissent galoper l’imagination, plans serrés qui laissent là encore concevoir le pire (ou le plus merveilleux !), pas dans le grenier, et ces coups frappés contre la porte de la maison: “Toc, toc, toc“. J’ai presque eu l’impression d’entrer dans une de ces histoires effrayantes que l’on raconte au coin du feu !

Blandine : Personnellement, j’ai pris ce mot “extraordinaires” pour quelque chose de positif, formidable et fantastique. Aussi parce que sa maison se trouve dans un endroit merveilleux – isolé mais près de la mer, et ce soleil couchant… quel panorama de rêve !

Liraloin : Quelle page magnifique effectivement et cet arbre centenaire qui est un élément essentiel dans l’histoire d’ailleurs !

Isabelle : C’est drôle, j’ai perçu les choses tout à fait différemment. Comme si l’album jouait sur une sorte d’ambiguïté pour mieux nous faire douter – cette ambiance crépusculaire sur la première double-page dont on ne sait pas si on doit attendre quelque chose de terrifiant ou de merveilleux, cette obscurité qui semble presque s’emparer du garçon dans son lit, ces doutes quant à l’origine des bruits (« Ce sont sûrement ces deux loirs. Ou alors… »).

Colette : Comme toi, Isabelle, j’ai eu l’impression que l’ambiguïté était le maître mot de cette narration ! Notre jeune héros m’en a semblé d’autant plus courageux mais n’est-ce pas l’apanage des véritables aventurier.e.s ?

Blandine : Avec mes garçons, nous avons d’emblée remarqué que la maison était différente entre celle de la couverture et celle de la première page, tout comme son environnement. Cela nous a questionnés mais sans nous inquiéter. Nous avons plutôt ressenti une sorte d’excitation : « que va-t-il donc se passer ? » Lorsque l’illustration fait un focus sur la poignée et la clé, elle s’est renforcée. Mon 11 ans a juste dit que ça lui faisait penser à Barbe-Bleue avec cette porte fermée mais avec la clé présente : une tentation…

Isabelle : Barbe-Bleue, moi je ne le trouve pas spécialement rassurant ! C’est drôle les associations différentes que nous avons faites, moi j’ai pensé à Max et les Maximonstres de Sendak au moment où le grenier s’estompe pour faire place à une forêt avec la fameuse maison rouge.

Liraloin : Pourtant tout est sous contrôle, les parents dorment donc présents dans la maison et il y a une clef sur la porte donc on ne peut pas entrer facilement. Comme Lucie et Blandine, je n’ai pas été effrayée car (petite anecdote campagnarde) j’ai connu ça, les loirs dans le grenier… C’est étrange mais j’ai tout de suite pensé à Jack et la grande aventure du cochon de Noel de Rowling et ça ne m’a pas quitté de toute ma lecture. Il y a pas mal de détails qui me rappellent ce roman : les doudous et l’enfance, le fait de se retrouver dans un monde parallèle et complétement dans l’imaginaire avec les personnages du lutin et de la sorcière….

Lucie : C’est vrai qu’il y a du Jack et la grande aventure dans cet album ! J’ai aussi pas mal pensé à Sylvain de Sylvanie. De belles références car elles impliquent un monde merveilleux où la créativité rend absolument tout possible !

Blandine : Moi aussi, j’ai pensé à Jack ! Et au dessin animé Vice-versa avec l’éléphant, à Toy Story pour les jouets que l’on délaisse en grandissant et qui s’en attristent.

Isabelle : C’est vraiment fascinant de voir, encore une fois, la manière dont un même album résonne différemment chez chacune. Mais vous avez raison, il y a quelque chose de l’ambiance de Noël dans ces pages avec ce rouge, cette lueur de bougie et les jouets qui peuplent le monde dont parlait Lucie à l’instant. Avez-vous envie d’en dire un peu plus sur ce qui se passe, donc, cette fameuse nuit ?

Lucie : Le garçon monte donc au grenier, attiré par des bruits inhabituels. Il y a un moment de bascule, qui est d’ailleurs hyper bien fait, entre le grenier et le passage dans un autre univers.

Blandine : Nous avons été émerveillés par cette transformation. Nous avons fait des allers-retours entre l’illustration du grenier avec la malle, et celle d’après avec la maisonnette rouge dans la forêt, pour observer les changements. Nous n’avons pas cherché de raisons. Ça s’est passé… et nous étions curieux de voir la suite.

Isabelle : Oui, c’est très intéressant ces parallèles entre le grenier et la forêt, la malle et la maisonnette, la forme de la lumière dans les deux décors. C’est quelque chose qui peut s’expliquer par la suite. 

Lucie : Le garçon passe dans un monde étonnant et rencontre Melchior. Je suis d’ailleurs curieuse de savoir comment vous le qualifieriez !

Isabelle : Alors justement, de quoi cet album parle-t-il au fond ? 

Lucie : Ha, c’est la question justement ! Est-ce que c’est juste un rêve que fait l’enfant, est-ce une invitation à écouter son imagination et à se lancer dans l’écriture ? Je pencherais pour la deuxième hypothèse, mais j’aime que l’ambiguïté que vous évoquiez perdure tout au long de l’histoire !

Liraloin : Je penche aussi pour la deuxième hypothèse, c’est tout de même Melchior qui signifie Roi des lumières qui l’invite à se souvenir des choses afin de pouvoir écrire des histoires.

Isabelle : Merci de m’éclairer (c’est le mot !). Je me demandais, pourquoi « Melchior » ?

Colette : Cet album parle des fascinants pouvoirs magiques qui sont ceux de l’enfance quand la nuit tombe ! Des pouvoirs qui nous permettent de passer d’un univers à l’autre avec une incroyable facilité ! Et surtout cet album parle de la fascinante épaisseur des histoires, des récits, des mythes et autres contes dont nous sommes tissés ! Un subtil hommage à la littérature dans toute sa complexité.

Isabelle : Vous en avez parlé toutes les trois, cet album évoque la création littéraire. Et la “fabrication” des histoires, puisque d’après le fameux Melchior, les histoires ne s’écrivent pas, elle se fabriquent ! Qu’avez-vous pensé de cette thèse ?

Lucie : Les auteurs vont même plus loin : les histoires se fabriquent à partir de souvenirs !

Colette : Personnellement, j’ai retrouvé dans l’aventure de notre héros le souvenir de toutes ces nuits où avec ma sœur, on entassait nos peluches dans le lit que nous partagions, nous nous blottissions sous les couvertures entourées de tous nos jouets pour affronter “la tempête”. C’est le nom que nous donnions à ce jeu que nous avons pratiqué maintes fois !

Liraloin : La tempête de Ponti est un de mes albums préférés d’ailleurs. C’est aussi un bel hommage à l’enfance.

Colette : Je n’avais jamais fait le lien entre notre jeu et cet album de Ponti que j’aime tellement !

Blandine : Je crois que nous avons été nombreux à nous entourer de TOUS nos doudous. Cela me conférait un sentiment de sécurité. Mes enfants aussi aimaient tous les mettre dans leur lit, quitte à n’avoir quasi plus de place.

Liraloin : Les histoires se fabriquent de tout ce que l’humain peu glaner, toucher, expérimenter durant sa vie. L’écriture ne sert qu’à coucher sur papier ces sensations justement.

Blandine : Pour moi, cet album parle des histoires que l’on se « fabrique » pour reprendre le terme avant de pouvoir les écrire et les raconter. Il faut les vivre et se les forger en soi. Il y a un rapport intime et sensoriel aux histoires, aux images puis à la verbalisation, aux mots. Il est, à mon sens, question des souvenirs que l’on se forge, de notre mémoire personnelle, que les doudous et objets peuvent nous faire remonter/retrouver. Et de l’inconscient qui sait ce qui est enfoui (et oublié ?). Il y a un rapport au temps, qui passe, qui efface. Une ode à l’enfance, qui hésite entre partir (=grandir) et rester (avec les doudous que l’enfant récupère finalement).

Isabelle : Je te rejoins complètement sur tout ça. L’album montre joliment le trésor que représentent les expériences et souvenirs d’enfance que ce n’est pas facile de retenir. Pour moi aussi, cet album ne parle pas que de la fabrication des histoires, mais de l’enfance. L’imagination galopante, les terreurs nocturnes, le courage immense de tenter des expériences, les doutes et les joies : j’ai eu l’impression de retrouver dans ces pages un condensé de ce qui fait le sel et le charme de l’enfance.

Lucie : J’aime l’idée qu’implique cet “artisanat” de l’auteur qui fabrique, et le fait qu’on a besoin de conserver une part d’enfance. En tout cas c’est clairement préférable pour les auteurs jeunesse !

Colette : Cette idée est très riche me semble-t-il. Cette phrase me fait penser à l’émission “La fabrique de l’Histoire” sur France Inter où il est question d’explorer les liens entre passé et présent à travers toutes sortes de documents. Je trouve cette thèse particulièrement réjouissante, elle “empouvoire” (pour utiliser un néologisme que j’ai découvert récemment et qui me plaît bien, vous savez à quel point j’aime que la langue française soit vivante) le lecteur, la lectrice, car elle suggère que chacun.e porte son lot d’histoires en lui, en elle, grâce à ses expériences, ses souvenirs. « Pour fabriquer des histoires, il faut d’abord se souvenir des choses. Il ne faut rien oublier ». C’est à la fois une ode au littéraire mais aussi à la mémoire et à sa transmission.

Isabelle : Oui, il y a là une belle ode à la littérature ! D’ailleurs, j’ai aimé reconnaître certains personnages de Solotareff derrière la patte de Julien de Man (outre Loulou dont je parlais, il a le crocodile de César, l’éléphant d’un autre album dont je ne retrouve plus le titre…). Et peut-être Max et les Maximonstres dont la maison s’estompait déjà pour laisser place à une forêt. De manière très subtile, l’auteur et l’illustrateur suggèrent peut-être que non seulement les souvenirs vécus mais l’imaginaire et le souvenir laissé par nos lectures peuvent nourrir l’inspiration. C’est un peu comme ça que j’ai vu le parallèle entre le grenier et la forêt. On voit très bien comment la configuration du grenier avec la lumière qui tombe de cette manière sur une malle rouge pourrait inviter à imaginer une telle scène.

Colette : Quelle magnifique page d’ailleurs où on découvre l’intérieur de la maison de Melchior : c’est exactement comme ça que j’ai pu imaginer l’intérieur de nos cerveaux. Des tiroirs, des étagères, des recoins, tous habités d’infimes et précieuses petites choses de notre vie.

Isabelle : Ma préférée, je pense ! J’adore imaginer que notre ciboulot ressemble à un joyeux bazar où toutes sortes de choses semblent s’être accumulées et sédimentées au fil du temps. Avec des jouets et doudous d’enfance, des parties ordonnées comme un bureau, d’autres confortables comme un sofa. Et des livres !

Blandine : Il y a une image intéressante : celle chez la sorcière, lorsque tous les doudous sont attablés devant d’appétissants gâteaux qui semblent beaucoup trop nombreux. Je m’interroge sur sa signification. Il y a un côté sorcière d’Hansel et Gretel. Nourrir pour grossir, mais quoi ? L’imaginaire, la mémoire ? Et en arrière-plan, on pourrait croire qu’il s’agit du tronc, comme une palissade retenue par les racines, mais ce sont des livres, des rayonnages pleins à craquer. Je trouve le symbole et la métaphore très forts. Et on rejoint l’idée de la transmission émise par Colette.

Isabelle : Cette scène nous a aussi taraudés, mes moussaillons et moi. L’album évoque la fabrique des histoires de façon métaphorique et on voit par exemple qu’il n’est pas facile pour le garçon de retenir ce qui a pourtant le potentiel de nourrir de belles histoires. Mais après, le voilà soumis à des épreuves dont nous n’étions pas sûrs de comprendre ce qu’elles symbolisent : cette sorcière qui attire les souvenirs et les assoit, l’air consterné, devant une table débordant de splendides pâtisseries (chapeau à l’illustrateur). Nous nous sommes demandé comment interpréter cette scène.

Liraloin : Je pense que tu as raison Blandine. J’ai vu aussi dans cette page sublime une référence à Hansel et Gretel mais aussi à l’album Un goûter en forêt de Miyakoshi, là aussi les animaux regardent la petite fille de manière hypnotique. Est-ce pour mieux la/le faire traverser définitivement dans ce monde parallèle ?

Lucie : Il m’a semblé que les personnages de Melchior et de la sorcière étaient les parfaits opposés : pendant que l’un ouvre à la créativité, l’autre veut tout garder pour elle de manière égoïste. Il m’a d’ailleurs semblé les reconnaître côte à côte sur la quatrième de couverture. Avez-vous eu la même impression ? 

Blandine : Je (re)découvre la 4e de couverture – j’avoue très peu les lire et regarder. Tu as parfaitement raison, et cela fait parfaitement sens.

Colette : Mais oui Melchior et Abigaël ce sont les deux loirs sur la 4e de couverture ! Ce sont eux qu’on entend marcher la nuit dans le grenier !

Lucie : Pour moi la sorcière est seule et a besoin d’histoires pour vivre (comme nous tous !). Elle dit d’ailleurs clairement qu’elle ne veut pas attirer les doudous mais le garçon, pour qu’il lui raconte des histoires. Cela fait écho à un besoin vital, mais ce faisant elle priverait le garçon de sa liberté (comme la sorcière d’Hansel et Gretel tu as raison Blandine) et l’empêcherait de retourner dans la réalité écrire ses histoires.

Colette : Peut-être est-ce le moment où dans l’enfance on sent qu’on bascule vers un autre temps, un autre âge ? Où on se demande si on va garder ses doudous, si on ne doit pas passer à autre chose ? Aujourd’hui j’ai demandé à Nathanaël pourquoi il ne jouait plus avec ses figures d’animaux dont il était encore friand il y a un an à peine, et il m’a répondu : « je les garde en souvenir ». Je pense que mon petit bonhomme doit avoir le même âge que notre jeune héros, un âge où l’enfance prend une autre tournure mais où on a encore envie d’être entouré de ses jouets, même si on ne joue plus avec.

Isabelle : Je ne suis vraiment pas sûre mais je me suis demandé, face à cette opposition, s’il s’agit d’opposer la créativité, le fait de cultiver son imaginaire aux plaisir rapides et superficiels dont ces gâteaux, certes très appétissants, constituent presque une caricature avec leur saupoudrage de sucre, leur coulis et glaçages. Ces plaisirs faciles sont très tentants, mais ils détournent de quelque chose de plus profond qui pourrait être beaucoup plus épanouissant. Le côté impulsif et égoïste de la sorcière (« J’adore les gâteaux ! Je vais tous les manger ! […] Je veux qu’il m’en raconte ! ») va dans ce sens.

Blandine : Il y a un petit côté triste tout de même, chez cette sorcière qui dit « personne ne me raconte plus d’histoires ! Jamais ! » Pourquoi ? Parce qu’elle a grandi ? Parce que c’est une sorcière ? Cela m’a renvoyée à Peter Pan qui veut une Maman pour (entre autres certes) lui raconter des histoires.

Isabelle : Tu as raison. C’est dommage d’ailleurs, qu’on ait souvent le réflexe de cesser de raconter des histoires aux enfants qui grandissent. Même en tant qu’adulte, j’aime encore qu’on me raconte des histoires.

Blandine : Souvent les parents/adultes disent aux enfants qu’ils peuvent lire seuls puisqu’ils savent et puisqu’ils sont « grands ». C’est « bébéisant » que de se faire raconter des histoires. Et davantage si c’est un album. Format roman, format de grand ! Comme si ça n’allait pas les aider, mais les faire régresser. Je disais souvent à mes enfants (et le fais toujours d’ailleurs), « ce soir, c’est vous qui racontez une histoire à Maman ». Et tant pis s’ils butent sur les mots ou que l’intonation fait défaut.

Isabelle : Pas évident de conclure une telle aventure : qu’avez-vous pensé du dénouement ?

Liraloin : L’enfant se dirige vers cette porte rouge qui le ramène sans doute et surement dans sa maison, j’adore la cavalcade dans les escaliers, cette précipitation vers un endroit rassurant et protecteur. Tout comme le sont les doudous si précieux doudous.

Isabelle : Oui, c’est vraiment un sentiment libérateur de voir ce garçon si bien entre ses chers doudous. 

Lucie : C’est plus une étape qu’une fin. L’enfant quitte le grenier en disant « À bientôt ! Je reviendrai sûrement vous voir ! » Il sait quels trésors se trouvent au grenier et se laisse l’opportunité de retourner s’y ressourcer.

Isabelle : Pour moi, les deux niveaux de l’histoire – le premier degré et le niveau métaphorique – parviennent à un dénouement heureux. Le garçon parvient à échapper aux pièges qui lui sont tendus, donc métaphoriquement il ne se laisse pas distraire des belles histoires qu’il va fabriquer. Et il se réjouit à l’avance des escapades futures dans son imaginaire et de ce qu’il pourra écrire à partir de là. Il peut donc s’endormir heureux et confiant, « comme quand il était petit ».

Lucie : J’adore quand les enfants disent « quand j’étais petit ». Pour nous ils sont encore petits, mais comme le disait Colette toute à l’heure, il y a un stade où ils sentent qu’ils ont franchi une étape et marquent ainsi l’avant/après. Et cette image de l’enfant endormi au milieu de ses doudous. C’est beau, apaisant. Après cette aventure, qu’elle ait été réelle ou non d’ailleurs, pour l’enfant elle aura eu lieu, il se retrouve à nouveau en sécurité dans son lit.

Blandine : C’est tout à fait ça. Mais je ne dirais pas « en sécurité » : malgré la sorcière, je ne pense pas qu’il ait jamais été en danger. Je dirais « serein », entouré de ses souvenirs. Un petit côté nostalgique et tangible qui fait du bien.

Colette : La nuit se termine sur la promesse que se fait l’enfant à lui-même de raconter… la nuit qu’il vient de vivre ! Et c’est exactement ce qu’il a fait visiblement puisque nous tenons entre nos mains ce livre intitulé “Une nuit”. Pour moi l’album se termine par une mise en abyme de l’histoire annoncée sur la couverture ! Je suis très friande de ce procédé en littérature car c’est vraiment un moyen ingénieux de faire réfléchir au littéraire, à ce qui le constitue, à ce qui le nourrit.

Isabelle : Merci à toutes pour votre enthousiasme pour cet album et pour la richesse de ces échanges !

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Et vous, avez-vous lu Une nuit ? Ou d’autres albums évoquant la nuit, l’enfance qui s’éloigne ou l’écriture d’histoires ? Dites-nous tout !

Lecture commune : L’Apprenti conteur

L’Apprenti conteur de Gaël Aymon, l’école des loisirs, 2022.

Fin janvier, Gaël Aymon répondait à nos questions de curieuses arbronautes. Linda, Lucie et Liraloin se sont empressées de lire son roman l’Apprenti conteur paru dans la collection Neuf aux éditions de l’Ecole des Loisirs en avril 2022 et de partager leurs impressions.

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Linda :  Avant de commencer, j’aurais aimé savoir ce qui vous a poussé à lire ce livre et à le proposer en lecture commune ?

Liraloin : C’est drôle que tu me poses cette question car c’est Colette qui a suggéré de faire une LC du dernier roman de Gaël Aymon, j’ai juste répondu que l’idée était bonne et j’ai lu le roman. C’est aussi simple que cela. Après, j’avais bien aimé son titre Et ta vie m’appartiendra donc c’était l’occasion de lire un autre roman de cet auteur. 

Lucie : C’est effectivement Colette qui a proposé cette lecture commune suite à l’interview de Gaël Aymon. J’avoue que j’aime assez qu’un entretien ne soit pas publié comme ça, mais accompagné soit d’une lecture commune comme nous l’avons fait avec Annie au milieu d’Émilie Chazerand ou un article sur les “classiques” comme pour François Place. Cela nous permet d’explorer l’œuvre de l’auteur de manière plus attentive et de profiter à fond de cette opportunité (que je trouve toujours merveilleuse !) de poser nos questions à un auteur.

Liraloin à Linda: J’ai vu que tu en avais fait une chronique pourquoi as-tu été attirée par ce roman ?

Linda : Je ne connaissais que Silent Boy de Gaël Aymon et suite à son interview, j’étais curieuse de le lire autrement. La couverture, particulièrement sombre m’a interrogée et en lisant le synopsis je pensais lire une réécriture de conte, un format que j’apprécie beaucoup. Je n’ai pas hésité un instant.
Connaissiez-vous déjà l’hypothèse qui veut que les contes de la Mère l’Oye aient été écrits par Pierre Darmancour, le fils de Charles Perrault ?

Lucie : Je ne connaissais pas du tout cette théorie, et je ne sais pas vraiment quoi en penser. Mais dramatiquement, dans le roman, je l’ai trouvée intéressante.

Liraloin : Mais pas du tout ! Ca été une surprise pour moi si bien que je suis allée chercher des informations car je pensais que c’était pure fiction et invention de l’auteur. J’avoue n’être pas très experte en histoire et origines des contes. Finalement j’en lis peu alors que j’adore les écouter ! Et toi, as-tu été surprise également ?

Linda : J’ai aussi fait une recherche sur ce sujet à la fin de ma lecture. Je pensais vraiment que l’auteur s’était amusé à inventer tout ça pour placer son récit dans un cadre mystérieux. Donc oui, une vraie surprise et une lecture qu’on repense autrement après coup. J’ai trouvé toute cette histoire assez fascinante au final, d’autant que le mystère autour de cette affaire ne semble pas complètement résolu.
Gaël Aymon a choisi le versant sombre des contes pour raconter son histoire, mêlant le récit au genre fantastique. Qu’avez-vous pensé de ce choix ? Et quelles émotions vous a procuré la lecture ?

Liraloin : Quelle belle idée ! A travers des chapitres courts et bien rythmés le lecteur se prend au jeu. A chaque instant et durant toute ma lecture je me suis demandée si Pierre ne rêvait pas inlassablement, me procurant un étrange sentiment. L’effet fantastique fonctionne très bien car Gaël Aymon prend le parti de dérouler son histoire dans une atmosphère glauque et toujours de nuit.
Là encore je retrouve les effets cinématographiques dont l’auteur nous parle dans son interview. Le moment le plus fort est celui où Pierre et Mariette entrent dans la forêt brumeuse, j’y ai vu des références à Tim Burton dans Sleepy Hollow. L’émotion y est forte !

Lucie : En effet, les choix de Gaël Aymon sont de l’ordre du fantastique, et parfois assez noirs. Je ne m’attendais pas à ça mais après tout les contes traditionnels sont tout de même très sombres entre abandons d’enfant et méchants qui veulent les dévorer (ogres, loups, sorcières…), il y a quand même beaucoup de noirceur !

Linda :  L’écriture est très visuelle dans ce récit et cela m’a vraiment permis de m’immerger dans l’histoire de Pierre. J’ai donc souvent été surprise, presque perdue quant aux perceptions de ce monde aux contours assez flous. On est en effet en perpétuel questionnement sur les limites du réel. Comme tu le dis, Liraloin, les événements ont toujours lieu la nuit, ce qui renforce l’incrédulité du moment. Pierre rêve-t-il ? mais dormait-il vraiment au début de la scène ? C’est assez déstabilisant, d’autant que lorsqu’il revient dans la réalité, il semble toujours sortir du sommeil mais en même temps son esprit et son corps semblent avoir vécus et ressentis les événements fantastiques… C’est une vraie réussite !

Liraloin : Qu’est-ce qui vous a attiré dans la couverture ? Que pensez-vous des dessins de Siegfried de Turckheim ? Connaissiez-vous cet illustrateur ?

Lucie :  Je ne connaissais pas le travail de Siegfried de Turckheim mais il m’a beaucoup plu et je suis allée chercher ce qu’il avait fait d’autre. Je trouve que son trait correspond parfaitement à l’univers créé par Gaël Aymon, qui a effectivement quelque chose de Tim Burton, en tout cas dans ce roman.

Linda : Je ne connaissais pas non plus Siegfried de Turckheim et, comme Lucie, je suis allée chercher ce qu’il a fait d’autres. Je suis assez curieuse d’écouter sa musique d’ailleurs. Mais pour rester sur le dessin, j’aime beaucoup son style et le choix de se limiter au noir et blanc, ce qui appuie la noirceur du récit et vient aussi renforcer l’effet mystérieux des lieux et personnages dont il ne dévoile à chaque fois que quelques traits. Cela vient, au même titre que le texte, titiller la curiosité et encourager à poursuivre la lecture. J’aime beaucoup l’association de son univers à celui de Gaël Aymon, il y a une forme de cohérence entre les deux qui crée une vraie unité.

Liraloin : Qu’avez-vous pensé du Prologue?

Linda :  J’ai adoré le ton accrocheur de l’auteur qui s’adresse à son lecteur “Toi ! Oui, toi qui viens d’ouvrir ce livre !” avant de nous expliquer où il nous entraîne et comment il compte bien nous perdre entre réalités et mensonges. Ça donne clairement envie de découvrir ce qu’il va nous raconter et si tous ces mystères vont réellement nous faire tourner la tête.

Lucie : Comme Linda, j’ai bien aimé que l’auteur annonce jouer avec la vérité et assume de manipuler son lecteur.
Ces façons d’interpeller le lecteur qui cassent d’une certaine manière le quatrième mur sont risquées, il arrive qu’elles me fassent sortir du roman. Mais quand c’est bien fait, cela peut être un ressort narratif très intéressant.

Liraloin : J’ai trouvé ce prologue intéressant car il plonge le lecteur dans l’histoire, c’est une introduction qui appartient à l’oralité, le conteur prévient le spectateur et l’interpelle sur la dangerosité de l’histoire qui s’ouvre devant lui mais je suis d’accord avec Lucie, il faut savoir le mesurer pour ne pas “gêner” le lecteur.
Revenons sur le caractère fantastique du roman et sur l’enchaînement des évènements :
Je te cite Linda : « L’Apprenti conteur va bien au-delà du conte de fées et flirte avec le fantastique en plongeant son personnage principal dans un monde chimérique qui le fait douter des limites de son imagination, poussant également le lecteur à s’interroger sur la frontière entre le réel et l’imaginaire, et sur l’existence d’une vie après la mort. » Est-ce que vous avez éprouvé ce même sentiment ? Ce sentiment d’osciller entre le rêve et la réalité ? Et où se trouve la réalité justement ?

Linda : Complètement oui. A la lecture j’ai ressenti beaucoup de choses (plus ou moins agréables), mais j’ai vraiment été déstabilisée par cette impression floue qui ne permet jamais de savoir si Pierre est éveillé ou s’il rêve. C’est quelque chose que l’auteur maîtrise parfaitement, nous étions prévenus et il a parfaitement réussi à flouter les limites réalité/rêve. La réalité n’est pas vraiment déterminée, ce qui est certain est que lorsque Pierre est dans la maison de son oncle, lorsqu’il écrit, il est dans la réalité. Pour ce qui est du reste…

Lucie : Heureusement, cela finit par être éclairci au cours du roman. J’avoue qu’au début Gaël Aymon ayant beaucoup situé les passages fantastiques la nuit, j’avais un peu peur que cela tourne au “tout ceci n’était qu’un rêve” qui m’aurait vraiment déçue. Car, comme le dit Linda, les seuls éléments clairement situés dans la réalité sont les interactions de Pierre avec son oncle.
Je vous rejoins sur la frontière floue entre réel et fantastique qui s’avère finalement très maîtrisée !

Liraloin : Gaël Aymon reprend des éléments que l’on retrouve dans les contes de ma Mère l’Oye, d’après-vous, comment font-ils avancer l’histoire ?

Lucie : Chaque conte correspond à une péripétie. Cela m’a d’ailleurs paru un peu systématique à un moment donné. C’est aussi ludique, comme un jeu de piste dans les contes populaires. J’étais chaque fois curieuse de découvrir auquel Gaël Aymon allait-il faire référence.
Mais heureusement, l’intrigue ne se limite pas à cela et prend ensuite de l’ampleur en se concentre plus sur l’histoire personnelle de Pierre et son rapport à Mariette.

Linda : Il me semble que ces objets, à l’inverse de Mariette, viennent appuyer le basculement dans l’irréalité du moment. Ils jouent d’une certaine façon le rôle de “porte”, permettant de basculer d’un monde à l’autre. Un rôle que je questionne d’ailleurs beaucoup car, j’ai souvent eu l’impression que la maison servait également de passage. 

Liraloin : Vos réponses sont intéressantes et d’ailleurs, j’ai eu les mêmes impressions que vous et j’ai trouvé cet exercice (éléments tirés des contes) bien fait car comme tu le dis Lucie, cela ne dénature pas le récit. N’oublions pas la relation très particulière entre Mariette et Pierre mais nous y reviendrons (sans divulgâcher bien évidemment).

L’Apprenti conteur de Gaël Aymon, l’école des loisirs, 2022.

LiraLoin : Que pensez-vous de la rencontre entre Pierre et Mariette ? Comment leur relation fait évoluer l’histoire ?

Lucie : Pour moi, Mariette est le lien entre la réalité et le monde magique. C’est aussi elle qui fait le lien entre Pierre et les histoires orales. C’est donc un personnage à la fois essentiel et très énigmatique. Si j’ai rapidement compris sa différence, la révélation sur son identité a été une surprise !
J’ai beaucoup aimé qu’ils cherchent à se protéger l’un l’autre et la dynamique de leur relation.

Linda : Mariette se présente à Pierre au cœur de la nuit et dans l’intimité de sa chambre. Ce n’est pas anodin et permet de comprendre qu’elle est “différente”, comme si elle n’était visible que de Pierre. Comme Lucie, j’ai été surprise par la révélation de son identité même si je commençais à penser, dans un petit coin de ma tête, que son attachement à Pierre et sa façon de le protéger la faisait ressembler à ce qu’elle est.
Pensez-vous que la maison fait le lien entre les deux mondes, ainsi qu’entre les deux enfants ? Ou est-ce cet attachement entre Pierre et Mariette, qui donne ce pouvoir à la maison ? 

Lucie : Je n’en ai aucune idée ! Et j’avoue ne pas avoir cherché à comprendre plus que ça. Si l’auteur parvient à m’entraîner dans l’univers qu’il a conçu, j’accepte le fantastique sans me poser de question. Mais comme tu poses la question, j’imagine que la maison a forcément un rôle, sinon Mariette aurait pu rendre visite à Pierre alors qu’il habitait à Paris. Mais Mariette a un rôle central de guide, de passeur malgré tout essentiel. Les deux sont liés, on s’en rend compte rapidement même si on ne sait pas vraiment de quelle manière !

Liraloin : Exactement, les deux mondes sont visibles seulement dans cette maison, vous avez raison. Le lien entre Mariette et Pierre est à la fois amical, amoureux et fraternel. On sent, dès le début, que Mariette est meneuse comme pour faire sortir Pierre de son « exercice d’écriture de poésie ». Je l’ai vu plutôt comme ça pour ma part, elle va le repousser dans ses retranchements et lui apprendre qu’un autre « monde » existe finalement.

Perlin, l’enfant qui faisait tomber la pluie de Siegfried de Turckheim, Seuil jeunesse, 2022.

Linda : Par ailleurs, lorsque l’on comprend qui est Mariette et d’où elle vient, sa présence fait-elle sens ? N’avez-vous pas vu une mise en danger du garçon ? Peut-on dire que la venue de Mariette ne soit motivée que par son désir de rencontrer Pierre ? 

Lucie : C’est une bonne question : Y-a-t-il réellement mise en danger ? Il me semble que c’est explicité à un moment dans l’histoire mais je ne me souviens plus de ce qui est dit. S’il arrive quelque chose à Pierre dans le monde fantastique, y aura-t-il des conséquences dans la réalité ? Mariette joue alors un rôle de passeur mais aussi de protecteur. Elle explique les règles qui régissent ce monde, qui sont étrangères à Pierre et le conseille dans certaines situations.
La présence de Mariette s’explique quand on comprend qui elle est, mais le lien avec le monde fantastique ne m’a pas forcément semblé plus clair. Et ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin que l’on m’explique tout pour être emportée !

Liraloin : Je pense aussi que Mariette emporte Pierre là où il ne serait jamais allé tout seul. Elle est à la fois aventurière et un guide rassurant.

Lucie : C’est finalement en découvrant le lieu où sa mère a grandi qu’e Pierre va en apprendre un peu plus sur elle. Qu’avez-vous pensé de cette idée ?

Linda : Il paraît logique que revenir sur les lieux qui ont vu grandir sa mère permette à Pierre d’en apprendre plus sur elle. Mais c’est la façon dont cela se fait qui est original puisqu’à aucun moment il ne va entrer en contact direct avec le souvenir de ce qu’elle fut lorsqu’elle vivait là. Il ne découvre pas qui elle était au travers de sa famille mais par le biais du fantastique.

Liraloin : Je dirais que la boucle est bouclée et que finalement Gaël Aymon sait entretenir le suspense jusqu’au bout de son histoire en ne perdant jamais l’essence même du fantastique.

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Les avis de LiraLoin, Isabelle, Linda et Lucie.

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Nous espérons que cette lecture commune vous aura donné envie de vous procurer ce titre. Si vous appréciez le fantastique et les contes il vous plaira certainement. N’oubliez pas de nous dire en commentaire si vous l’avez aimé !


Lecture commune : Le Nuage de Louise

Certaines lectures se lisent et se relisent à l’infini parce qu’elles sont si riches, si pleines de détails et de sens, qu’il nous reste toujours quelque chose à découvrir. Ces livres-là offrent toujours un support particulièrement stimulant pour un échange avec d’autres lecteurs chez qui leurs pages auront souvent résonné différemment. C’est ce que s’est dit Isabelle en lisant le dernier titre des frères Fan. Ces auteurs-illustrateurs canadiens ont décidément le secret pour déployer un univers un peu magique qui ne semble appartenir qu’à eux où se jouent de fabuleuses histoires qui provoquent, de façon très subtile, des questionnements philosophiques. Leur dernier titre, Le Nuage de Louise, raconte l’adoption… d’un nuage. Nous avons eu envie d’échanger nos impressions. Nous espérons que l’intensité de nos échanges témoigne de la richesse de cet album !

Le Nuage de Louise - Little Urban
Le nuage de Louise, The Fan Brothers, Little Urban, 2022.

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Isabelle : À la maison, chaque année, nous ne faisons ni une ni deux quand sort le nouvel album des Frères Fan. Il faut croire que nous sommes… fan ! Et vous, aviez-vous déjà eu l’occasion de lire ces artistes canadiens ?

Lucie : Pas du tout, je les découvre grâce à toi. Et j’aime ! Leur univers graphique (en tout cas ce que j’avais pu en voir sur internet) m’attire beaucoup.

Blandine : J’avais beaucoup entendu parler de leurs albums, mais sans en avoir lus jusqu’à présent. Alors que je savais que tout était réuni pour me plaire : les thèmes, les illustrations, les objets-livres.

Colette : Pour ma part, je connaissais leur travail grâce à mes arbronautes préférées ! En effet suite à ton article, Isabelle, sur Le Projet Barnabus, je l’avais offert à mon Petit-Pilote-de-Trottinette pour un de ses mois-siversaires ! Il avait adoré cet univers étrange et foisonnant, peuplé de créatures fantastiques.

Isabelle : Cet album nous plonge dans une atmosphère très particulière. Comment la décririez-vous ?

Colette : Dès la deuxième de couverture, nous faisons un saut dans le passé avec ce mur tapissé de jolis cadres dorés aux formes variés et ces photos en noir et blanc. Et nous sommes tout de suite interpellés par ces portraits d’animaux, de fleurs ou de… nuages !

Isabelle : Je suis contente que tu parles de cette couverture intérieure, Colette : c’est quelque chose qui donne tout de suite le ton, je trouve. Un décor à l’ancienne, victorien peut-être, mais aussi plein de fantaisie et de poésie avec les motifs que tu évoques : crocodile, baleine, nuage !

Lucie : On retrouve effectivement quelque chose de « passé » dès la page suivante avec des montgolfières, un orgue de barbarie, un théâtre de guignol… Il est difficile de déterminer l’époque à laquelle se déroule cette histoire.

Colette : L’album semble se situer dans un entre-deux, entre réel et imaginaire.

Blandine : Tout à fait d’accord. Entre passé et présent aussi.

Lucie : J’ai trouvé les couleurs, les dessins – et donc l’atmosphère – très doux. C’est l’utilisation des couleurs qui m’a le plus interpellée.

Blandine : C’est beau ! Les dessins, en différents ton de gris, sont sublimes. Ils ont un indéniable charme désuet, entretenu par les différents éléments qui nous transportent dans l’époque mal définie dont vous parliez, avec la Rolls-Royce, le grand-Bi, les devantures des magasins aux métiers d’antan, le charme du parc avec son carrousel… Et ce jaune, disséminé çà et là, par petites touches, qui questionne. Le jaune est pour moi une couleur “triste”, ou plutôt faussement joyeuse, surtout lorsqu’elle est associée, comme ici, avec du gris. Je ne trouve pas la petite Louise heureuse. C’est donc un sentiment de mélancolie (ou plus) qui m’étreint.

Isabelle : La première page de l’histoire s’ouvre justement sur un portrait de Louise dont tu viens de parler, Blandine. Comment la décririez-vous ?

Blandine : C’est une fillette de 6-7 ans, qui semble discrète, réservée, avec un sourire timide, que le jaune des bottes pourrait peut-être contredire. Notre regard est attiré par elles, que Louise s’applique à mettre. On suppose qu’elle s’apprête donc à sortir et qu’il pleut.

Lucie : Elle a un visage assez neutre. Ce sont surtout ses cheveux qui la distinguent d’autres personnages. Cette masse de boucles est adorable et fait (déjà) penser à un nuage.

Colette : Oui, une petite fille à la chevelure nuageuse et aux joues roses !

Blandine : C’est vrai pour les cheveux. Mais ça la vieillit, je trouve. Elle a un doux visage de Mamie, impression renforcée par son manteau et son prénom. Seul l’ourson en peluche sur son lit semble indiquer que nous sommes dans sa chambre, car le reste, le papier peint, et surtout les plantes et fleurs, ça ne fait pas très enfantin. Mais elles dénotent une grande sensibilité, d’autant qu’il y en a beaucoup et de multiples sortes.

Isabelle : Le décor désuet découle de l’époque choisie, peut-être l’époque victorienne ? À cette époque, les chambres d’enfant étaient différentes de celles d’aujourd’hui. Cette impression d’ancienneté est renforcée par le recours au noir et blanc. 

Blandine : Différentes certes, car il y avait beaucoup de nursery, surtout si on reste dans cette impression d’époque victorienne, mais elles étaient tout de même “enfantines”. Cette chambre me renvoie à celle de Miss Charity (livre de Marie-Aude Murail) et ces plantes montrent combien Louise est sensible et aime prendre soin de l’Autre. L’adoption du nuage est en ce sens logique. 

Isabelle : Je ne dirais pas qu’elle paraît vieille. C’est une petite fille aérienne, calme et sérieuse, certainement un peu timide comme vous l’avez dit. Je me suis dit que l’aspect mousseux de sa chevelure pouvait être le reflet de la personnalité de Louise qui a littéralement la tête dans les nuages… 

Colette : Comme Blandine, je parlerai de nostalgie pour décrire son visage, son regard qui regarde le ciel et son petit poing serré. Et c’est surtout l’absence de sourire qui me touche.

Isabelle : Avez-vous envie de raconter ce qui lui arrive ?

Colette : C’est un samedi comme les autres en apparences : Louise se prépare à faire une promenade avec ses parents.

Lucie : En arrivant au parc, elle se rend immédiatement vers le marchand de nuages. Et on bascule avec elle dans le merveilleux. Car avec Louise, on peut acheter des nuages comme d’autres des ballons !

Isabelle : Voilà, on retrouve l’incursion du merveilleux dans l’ambiance à la Mary Poppins dont nous parlions. Cet amas de nuages qui flotte au milieu nous a beaucoup plu. Je pense que c’est quelque chose qui parlera aux enfants qui ont souvent envie de voir des formes dans les nuages.

Lucie : Ils sont extra ces nuages ! Je ne sais pas comment les frères Fan ont fait mais ils sont incroyables de réalisme. Ce qui est essentiel pour la suite de l’album d’ailleurs.

Colette : Ces nuages en grappe, c’est un savant mélange de ballons gonflés à l’hélium comme ceux que l’on voit dans les fêtes foraines et de l’incroyable bestiaire que les enfants imaginent en regardant le ciel, allongés dans l’herbe en été ! Et ce marchand qui porte un parapluie en guise de chapeau et qui a laissé son haut de forme au sol pour l’argent de ses jeunes client.e.s, il a tout d’un étrange magicien !

Isabelle : J’ai trouvé aussi qu’il y a quelque chose de véritablement magique au moment où Louise fait l’acquisition de son nuage. Les personnages semblent flotter dans une dimension surréaliste, la double-page est presque cinématographique : les pièces tombent dans le haut de forme, quelque chose bascule au moment où le marchand tend à Louise la ficelle de son nuage puis elle le contemple avec un sentiment de félicité qui déploie un bel arc en ciel au-dessus d’elle. C’est beau.

Blandine : L’achat de nuages semble être quelque chose de commun, mais passé de mode, comme on l’apprend. Comme si c’était normal, banal. C’est pour nous que c’est merveilleux.

Colette : Si le marchand a des nuages aux formes fantastiques, ce que veut Louise, c’est un nuage ordinaire. Un nuage à apprivoiser et à aimer.

Blandine : Le terme “ordinaire” pour qualifier le nuage que désire Louise me semble vraiment important et révélateur quant à Louise et son environnement.

Isabelle : Tu m’intrigues Blandine, qu’est-ce que cela révèle d’après toi ?

Blandine : Quel enfant veut de l’ordinaire ? On les voit qui s’inventent des histoires merveilleuses, pleines d’aventures et de périples, entre amis réels ou imaginaires, qui s’enthousiasment de récits magiques, de contes, de fantaisies… On devine que le niveau social de la famille est assez élevé pour qu’elle puisse en théorie avoir accès à tout cela par des livres, des jeux, des sorties, etc. Mais pourtant, cela ne semble pas être le cas. Est-ce que la vie de Louise est trop “originale” (sa maman porte dans son sac des fleurs comme nous nos livres), la voudrait-elle donc plus banale ? Ou son mal-être est si banal qu’elle ne veut que de l’”ordinaire” ? Ce choix de mot ne peut pas être anodin.

Le nuage de Louise, des frères Fan (Little Urban, 2022) – L'île aux trésors  – Lectures et aventures du soir

Isabelle : Prendre soin d’un nuage domestique, cela s’avère plus complexe qu’il y paraît à première vue, n’est-ce pas ?

Lucie : Oh oui ! J’adore le document des conseils pour prendre soin de son nuage. Notamment la décharge en cas de dégât des eaux ! Dans cet album, non seulement tu peux acheter un nuage, mais en plus tu peux en quelque sorte l’apprivoiser. J’aime beaucoup cette idée.

Colette : J’ai moi aussi adoré ce moment où on passe en vision subjective dans l’album ! Cette grande feuille jaune et cette liste de recommandations fantaisistes jouent de l’animalisation de cet étrange compagnon. Un compagnon dont il faut prendre grand soin car visiblement ses réactions peuvent être surprenantes !

Isabelle : Ça n’a pas l’air évident, ce petit nuage, il va falloir l’aimer et le choyer, mais prendre garde à ne pas l’opprimer.

Blandine : Cette liste de recommandation/mode d’emploi est géniale car elle révèle qu’il s’agit d’un « être vivant » – on comprend qu’il a des émotions – et dont il faut prendre soin. J’aime beaucoup les nuages qui y sont dessinés, des nuages venus d’ailleurs (peut-être d’Asie ?). Cela explique la nécessité de cette notice et la remarque selon laquelle les nuages seraient « un peu passé de mode ».

Isabelle : Je suis contente que tu en parles, Blandine, parce que ça m’a interpellée aussi. On a l’impression que le nuage est un être vivant qui demande des soins mais en même temps, le « passé de mode » évoquerait plutôt une marchandise. J’y ai vu un parallèle avec les animaux sauvages ou de compagnie qui font l’objet de commerces et sont malheureusement trop souvent traités comme des choses qui peuvent être « à la mode » ou « passées de mode ». Quoiqu’il en soit, on comprend que Louise est animée des meilleures intentions et qu’elle prend ces recommandations très au sérieux ! 

Qu’avez-vous ressenti en voyant la petite fille s’occuper de son nuage ?

Blandine : Elle est très appliquée. Elle suit bien les recommandations et on sent qu’elle aime son nuage. 

Lucie : Oui, elle prend son rôle très au sérieux, comme elle le ferait pour un animal domestique. Elle a à coeur de bien faire et ses bons soins vont permettre au nuage de s’épanouir et de grossir. Milo devient un membre à part entière de la famille, il a d’ailleurs son portrait sur le mur.

Blandine : Comme les autres membres de la famille, ainsi qu’un crocodile – un clin d’œil au caïman de María Eugenia Manrique ? – album découvert grâce à toi Isabelle ! – D’ailleurs, ce crocodile, on ne le voit pas dans les pages. Était-il le précédent animal domestique, pour revenir sur ton propos très intéressant sur la commercialisation des êtres vivants, Isabelle ? Louise est-elle triste suite à son décès ?

Isabelle : J’ai eu l’impression que Louise changeait au contact de son nuage. Elle semble s’épanouir en prenant soin de lui, puis les choses deviennent plus compliquées mais elle semble grandir sous le poids des responsabilités.

Colette : J’ai vraiment perçu ses attentions comme celles d’une enfant qui a la responsabilité de s’occuper d’un animal : le nourrir, le sortir, l’emmener en vacances. Jusqu’au jour où l’animal devient trop envahissant et empêche l’enfant de vivre normalement.

Blandine : Je trouve à Louise un air apaisé, puis désemparé lorsque le nuage ne va pas bien. Elle s’inquiète réellement et cherche la solution pour l’aider. Et même après le “dégât”, elle ne lui en veut pas. Dans le paragraphe qui explique cela, le mot “remords” apparaît deux fois. C’est un mot lourd de sens. Louise est responsable au sens positif du terme !

Colette : J’ai eu l’impression que Louise ressentait plus de choses, que sa sensibilité se développait au contact de Milo, qu’elle était désormais capable d’apprécier “l’arc-en-ciel” des émotions !

Blandine : Cette couleur rosée, comme une aube naissante, qui colore les dernières pages de l’album est aussi belle que symbolique. Comme ce pigeon/colombe qui s’envole en même temps que le nuage. Louise semble faire la paix avec elle-même.

Colette : Ces pages où la couleur rose envahit le ciel sont surprenantes. On y sent la portée symbolique mais sans complètement la comprendre. Pour une fois, Louise est entourée par le ciel, par la couleur, l’angle de vue change au fil des pages, “la caméra” s’éloigne de Louise pour embrasser les toits de cette ville coincée entre deux époques, et l’enfant fait partie du paysage, elle n’est plus au premier plan comme si elle faisait enfin partie du monde, qu’elle y avait trouvé sa place.

Blandine : J’ai eu ce même sentiment. Comme une renaissance, un regard nouveau sur le monde et elle-même.

Isabelle : L’histoire de Louise semble lourde de symboles mais elle m’a semblé polysémique. Comment l’avez-vous interprétée ? De quoi nous parle-t-elle d’après vous ?

Lucie : Pour moi cette histoire parle d’amour. L’amour que l’on a pour ses proches, pour ses enfants, qui nécessite de leur laisser de la liberté, de l’espace, et la possibilité de prendre leur envol. Elle m’a fait penser à L’amour lapin de Marie-France Zerolo, qui aborde le sujet de manière similaire.

Colette : Il est certain que cette histoire parle de liens, de liens que l’on peut tisser enfant avec un autre que nous : cet autre peut être un animal, notre imaginaire, notre désir d’évasion, un rêve… Quelque chose que l’on doit entretenir chaque jour pour qu’il se réalise. Sans avoir besoin de parler. C’est un des aspects du lien entre Louise et son nuage qui m’a le plus touchée : ils ne se parlent pas.

Blandine : C’est exactement cela. Louise est sensible, mais elle est surtout empathique. Elle sait, comprend, agit.

Lucie : Et elle est donc capable de créer un lien même sans parler. Un lien d’amour qui lui permet de s’épanouir et de grandir en même temps que son nuage.

Isabelle : J’aime aussi cette lecture-là ! Le petit nuage pourrait être un compagnon ou un monde imaginaire comme ceux dont on a tant besoin enfant. En grandissant, on se confronte à certaines réalités et cela nous force à lâcher prise sur une partie de cette vie imaginaire. Cela peut nous laisser un ressenti doux-amer comme celui qui est décrit dans l’album.

Colette : J’aime bien l’idée que c’est son enfance que Louise laisse partir avec Milo… Enfance à laquelle elle repense avec tendresse, et qu’elle salue “juste au cas où”.

Lucie : J’aime aussi beaucoup cette interprétation.

Blandine : Pour moi, dès le début, il est question de dépression. Le terme est peut-être un peu fort ici – même si les enfants peuvent malheureusement en être atteints. Ce nuage, c’est la concrétisation, l’allégorie de ce mal-être disons, à la fois, banal, « ordinaire », et si intime, si terrible. Cette impression est renforcée par le choix des couleurs, les expressions faciales, l’absence des parents tout du long de l’album.

Lucie : Je n’ai pas du tout vu ça comme ça. C’est une idée intéressante ! Est-ce que vous aviez vu la même chose, Isabelle et Colette ?

Colette : Cet album m’a rappelé Marcel et le nuage d’Anthony Browne dont vous savez que j’adore le travail métaphorique. Et dans cet album, le célèbre singe d’Anthony Browne est bien malheureux ! Mais contrairement à Louise, il n’a pas choisi d’être poursuivi par son nuage… C’est ce qui me gêne par conséquent dans l’interprétation du nuage allégorie de la dépression, car choisit-on sa dépression ?

Blandine : Je ne dirais pas que Louise choisit sa dépression. Bien au contraire ! Elle n’est pas poursuivie par un nuage, elle va le chercher. Par contre, elle apprend à l’apprivoiser, à le connaître, pour mieux lui dire au revoir et par conséquent, se connaître elle-même. S’accepter elle-même. Cette notice fournie avec le nuage pourrait être une notice d’elle-même, pour aller mieux même s’il peut y avoir des phases de moins bien (voir les points 4 et 5), pour ne pas se replier sur elle-même (voir le point 6). C’est ainsi que l’on “se libère” d’une dépression, en identifiant les maux, en les transformant en force.

Isabelle : On voit dans vos réponses que le message de l’album est très subtil et peut résonner différemment selon les lecteurs. C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Je l’ai relu plusieurs fois et il a fait vibrer différentes cordes à chaque fois. J’ai d’abord pensé aux animaux, surtout les animaux sauvages qui ne peuvent pas vraiment être domestiqués mais sont tout de même adoptés par des personnes qui les trouvent mignons : peut-on tout posséder ? La place d’un nuage est-elle vraiment aux côtés d’un enfant ? Ensuite, j’ai fait le parallèle avec le fait d’élever un enfant : comme le nuage, ce petit être a besoin d’être choyé mais aussi qu’un jour, on accepte qu’il vole de ses propres ailes. L’album pourrait être lu comme un livre sur la liberté. Je n’ai pas pensé au thème de la dépression dont tu parlais tout à l’heure Blandine mais en re-feuilletant l’album, cette interprétation me semble tout à fait plausible. Dans tous les cas, vue cette subtilité, ce n’est pas un album moralisateur. Il nous interroge et on peut saisir cette perche un peu selon sa sensibilité.

Colette : Il est certain qu’il est ici question de liberté entre le début de l’album et la fin. Mais de quelle liberté ? En effet l’album reste complètement ouvert aux interprétations ! C’est à la fois vertigineux et enthousiasmant !

Blandine : La liberté est effectivement le thème central, mais abordé subtilement selon plusieurs interprétations et niveaux de lectures et résonnances, sans pour autant que l’un invalide l’autre. C’est magnifique !

Isabelle : J’ai été intriguée à la lecture par le jeu sur les couleurs qui font intrusion ici et là dans le décor en nuances de gris, parfois généreusement, parfois seulement par touches. Cela m’a semblé esthétiquement très beau mais je me suis demandé : ces touches de couleur symbolisent-elles quelque chose ?

Colette : C’est une question qui m’intrigue aussi : j’ai essayé de trouver une régularité dans l’usage des couleurs mais je n’en trouve pas ! Cette couleur jaune qui revient comme une note de musique semble rythmer la narration, mais dans quel but ? Je n’ai pas trouvé d’interprétation. Il me tarde de lire les vôtres !

Lucie : Je me suis fait la même réflexion, et j’ai cherché sans succès.

Isabelle : Ce n’est pas évident. Je ne suis pas sûre non plus mais ce qui est sûr, c’est que chaque double-page a son propre dosage entre le noir et blanc qui fait penser aux vieilles photos ou gravures, mais donne aussi une touche mélancolique à l’ensemble, et des notes colorées qui peuvent être très présentes ou appliquées par toutes petites touches. Je me suis demandé si les couleurs viennent souligner ce qui retient l’attention de Louise. Les enfants sont comme ça, le monde les entoure mais ils ont une aptitude extraordinaire à filtrer et à se concentrer sur ce qui les intéresse. Donc tout au parc du début, puis la liste d’instructions… Sinon j’ai eu l’impression que le monde se colorait lorsque la relation de Louise et du nuage sont au beau fixe (la balade en ville en famille par exemple) et se décolorait quand les choses étaient plus difficiles. Et prend, comme vous l’avez dit, une teinte rosée plutôt paisible à la fin.

Blandine : Je parlais plus tôt du jaune, couleur faussement joyeuse, qui égaie tout de même ces pages en nuances de gris mais qui apportent aussi un côté précieux (par exemple au niveau des cadres de portraits) puisque seuls quelques objets sont colorisés. Et puis ce contraste avec l’extérieur de la maison, le parc est une explosion de couleurs ! Elles sont la vie. Seuls les parents de Louise sont en gris mine de plomb. Puis le jaune se fait nuances, sur d’autres objets extérieurs, puis d’autres couleurs arrivent, comme si elle les voyait/allait mieux, alors que Milo va moins bien. Et enfin ce rose dont on a parlé. Les couleurs participent à l’émancipation de Louise, par petites touches, à sa libération émotionnelle. Sa maturité si on voit l’album sous l’angle de l’enfant qui grandit et qui sait laisser partir celui qu’il aime pour son bien.

Isabelle : Mais oui, tu as raison Blandine ! Je me suis demandé pourquoi le parc était si coloré. C’est un contraste avec la maison et la sphère familiale qui sont essentiellement… grises. Les parents ne respirent pas non plus la gaieté. Ce que vous dites me conforte dans l’idée que les couleurs sont une sorte de métaphore des émotions que Louise apprivoise et auxquelles elle apprend à laisser libre-cours.

Colette : Sur l’utilisation de la couleur, je trouve que ton interprétation Isabelle est très intéressante : et c’est Milo qui apporte la couleur dans la vie de Louise notamment dans cette belle double page où « en échange » des soins que Louise lui prodigue, Milo arrose les plantes de la petite fille avec ce bel arc-en-ciel que l’on retrouve dès le début à proximité du nuage.

Lucie : D’ailleurs, la première touche de couleur est le jaune des bottes, qu’elle met probablement dans l’idée d’aller acheter un nuage puisqu’il fait beau dehors.

Colette : Bien vu, Lucie, et ce que j’ai trouvé bizarre c’est que les parents de Louise aussi avaient prévu « le coup » car sa mère va au parc abritée sous un parapluie, alors qu’il fait un temps magnifique. Contrairement à ce que vous avez pu dire au cours de l’échange, j’ai l’impression que les parents de Louise sont très présents, l’écoutent, la comprennent, l’accompagnent sur le chemin qu’elle a choisi. Jusqu’au jour où elle vit sa propre expérience solitaire de la colère de Milo et décide de le libérer. Ça, elle le fait toute seule.

Lucie : Je suis d’accord avec toi, d’autant que cela rejoint l’interprétation de Blandine selon laquelle ce nuage remplace un autre animal de compagnie (le crocodile). Pour ma part, j’ai trouvé les parents en retrait mais présents, comme s’ils laissaient la place de grandir à leur fille.

Colette : J’aime bien leur présence, discrète mais infaillible. Présents, derrière leur fille. “On est derrière toi, vas-y” semblent-ils suggérer.

Blandine : On peut aussi le voir ainsi. Je me suis dit la même chose sur ce parapluie emporté par sa maman. Mais soit ils laissent leur fille faire ses expériences par elle-même pour comprendre la vie, soit ils s’en “désintéressent”. Au final, elle est et reste seule ! Ainsi, elle comprend qu’elle n’a pas besoin des autres pour être bien, pour faire des choix. Chose pas évidente pour les empathiques.

Isabelle : Avez-vous envie de partager cet album ou de le proposer à lire ? À qui ?

Lucie : Avec tout ce que nous en avons dit, je trouve cet album approprié à partir de l’âge de raison, celui où l’on peut se projeter dans cette expérience de Louise. Cette responsabilité d’un autre être vivant, la découverte des émotions complexes, de la liberté de l’être aimé… Mais les dessins tout doux me donnent aussi envie de le lire à mes nièces de deux et trois ans !

Blandine : Nous l’avons lu avec mes garçons (11 et 13 ans) et ils ont été d’emblée saisis par le jeu des couleurs (ce fameux jaune dont on a parlé) et les nombreux détails « d’un autre temps ». Du coup, nous avons passé beaucoup de temps à « lire » et explorer les dessins, davantage que les mots. Ils ont été sensibles à la notion de liberté et au fait de laisser partir. Mon 11 ans est davantage réceptif à ce genre d’album philosophique à interprétation multiple, que son frère, plus cartésien. Il sera intéressant de le relire dans quelque temps.

Colette : Personnellement, au départ je pensais offrir Le Nuage de Louise à la fille d’une amie chère à mon cœur qui se nomme justement Louise. Mais maintenant, j’ai envie de le proposer en initiation au débat philosophique à mes élèves de 6e ! Je trouve que la pluralité des lectures permet de s’interroger sur ce que signifie grandir. Une question clé de l’adolescence ! J’ai d’ailleurs un petit élève de 11 ans qui m’a demandé la semaine dernière pourquoi on devait renoncer à la magie en grandissant. C’est un jeune homme complètement animé par les films de Walt Disney et l’univers d’Harry Potter. Il a beaucoup de mal avec le collège et retourne très souvent à l’école juste à côté pour revoir son enseignante de CM2. Je trouve que l’histoire de Louise serait une belle métaphore pour l’inciter à grandir sans renoncer à guetter la magie dans le ciel.

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Et vous, avez-vous lu Le Nuage de Louise et comment l’avez-vous interprété ? Connaissez-vous les livres des Frères Fan, lesquels avez-vous aimés ?

Lecture commune : L’honneur de Zakarya

Chaque année, nous mettons nos forces en commun et lisons toute la sélection du Prix Vendredi, équivalent du Goncourt en littérature adolescente. C’est toujours un exercice particulièrement intéressant : certains titres font l’unanimité parmi nous (généralement en bien !), d’autres provoquent des réactions contrastées autour desquelles nous aimons particulièrement échanger. Cette année, par exemple, il y avait un roman que nous étions plusieurs à avoir envie de lire mais qui a résonné de manière très différente chez chacune, provoquant chez l’une la curiosité et l’émotion, chez d’autres le malaise. Ce texte intitulé L’honneur de Zakarya nous entraîne au cœur d’un procès d’assises chargé de juger un jeune homme mutique dans le cadre d’une affaire de meurtre. Nous avons eu envie d’en parler !

L’honneur de Zakarya, d’Isabelle Panzazopoulos, Gallimard Jeunesse, 2022.

Isabelle : Comment L’honneur de Zakarya est-il arrivé dans votre bibliothèque ? Aviez-vous déjà lu l’autrice ? Ou ce roman vous-a-t-il été recommandé ? Ou peut-être aviez-vous un intérêt particulier pour le sujet du roman ?

Liraloin : Je n’ai jamais rien lu de cette autrice et pourtant elle est très active ! J’ai commandé quelques titres de la sélection du Prix Vendredi pour la médiathèque où je travaille. Le sujet m’a beaucoup intéressée, je suis toujours à la recherche de romans sociaux qui pourraient parler aux jeunes ados qui fréquentent l’établissement. J’ai vraiment été emballée par le résumé et la chronique qui en a été faite dans Télérama en mai 2022.

Linda : Je ne sais plus vraiment comment j’ai découvert ce titre. Je crois qu’au moment de sa sortie, il apparaissait souvent sur la page de suivi des amis sur Babelio, ce qui a forcément attiré mon attention. En lisant la présentation de l’éditeur et les critiques, je me souviens m’être dit que ça pouvait me plaire. Pourtant, je l’ai laissé de côté et ce n’est que récemment, avec notre volonté de lire la sélection du Prix Vendredi, que j’ai eu envie de le ressortir.

Colette : J’ai découvert L’honneur de Zakarya grâce à vous, pour notre article sur la sélection du prix Vendredi. J’avais déjà lu un livre de l’autrice, La Décision, qui m’avait beaucoup marquée à la fois par la complexité du sujet abordé et par l’écriture particulièrement froide et incisive de l’autrice.

Isabelle : Moi aussi, j’étais passée à côté de ce roman jusqu’à ce qu’il soit retenu dans la sélection du Prix Vendredi. La couverture est certes assez sobre avec ce beau visage de jeune homme qui nous regarde dans les yeux. J’aurais dû percevoir le mystère qui émane de ses lèvres serrées et de l’ombre qui tombe sur toute une partie du visage. Et vous, quel effet vous a fait cette couverture ? Qu’attendiez-vous en ouvrant ce roman ?

Liraloin : La couverture est très mystique. Est-ce un choix de l’autrice ? J’ai vu qu’elle écrivait beaucoup autour de la mythologie et ce jeune homme m’y a fait fortement penser. Héros au regard droit et fragile.

Linda : Ce choix de la photographie pour la couverture n’est-il pas surprenant ? Elle n’est plus très utilisée aujourd’hui, alors qu’elle était plus courante il y a cinq ans. C’est un choix que je trouve souvent risqué car cela donne un visage à un personnage et laisse donc moins de place à l’imagination. Dans ce cas précis, on se rend vite compte à la lecture que le jeune homme a été parfaitement choisi et vu la thématique, le sujet, c’est finalement un choix parfaitement adapté qui vient appuyer le réalisme et l’ancrer dans notre réalité. Par ailleurs, je trouve que ce jeune homme a un beau visage et j’ai été intriguée par la surprise que dégagent ses traits, et bien plus encore par le mystère que vient intensifier l’ombre qui lui cache la moitié du visage.

Colette : Ayant lu ce roman en format numérique, je n’ai pas prêté attention à la couverture ! Et ça me fait un argument en faveur de l’objet-livre cette observation ! Quand on prend le livre en main, qu’on le pose sur sa table de chevet ou qu’on le glisse dans son sac, l’image de couverture va s’imprimer en nous à chaque passage. Visiblement, ce n’est pas le cas quand le livre se cache dans les dossiers de votre téléphone.

Isabelle :  Et qu’avez-vous découvert en vous plongeant dans le texte ? 

Linda :  Un jeune homme blessé par une vie de famille compliquée, rejeté par un père qui ne l’a pas reconnu, surprotégé par une mère fragile dont il se sent responsable. Un jeune homme perdu qui a fait de mauvais choix et se retrouve pris au piège de ses actions, sur le point d’être puni pour un crime qu’il crie ne pas être le sien. Mais également un jeune homme intelligent et sensible, inquiet pour sa mère bien plus que pour lui. Je le trouve très attachant dans toute sa complexité. 

Liraloin : Il y a une empathie mais assez dissolue pour Zakarya. Je m’explique : Isabelle Pandazopoulos protège son personnage par son écriture très enveloppante et pourtant page après page, détail après détail elle fait du lecteur (ou de la lectrice) un juré très spécial. J’ai vraiment beaucoup aimé cette écriture-là.

Isabelle :  Cette complexité est quelque chose qui m’a marquée aussi. L’autrice la brosse à petites touches, par des flashbacks successifs qui éclairent différents aspects de la personnalité de Zakarya. Et plus on le découvre, plus on se dit que la tâche du tribunal est ardue, plus on se dit qu’ils sont presque voués à passer à côté de ce qui s’est passé. Linda, tu dis qu’il crie son innocence, mais en réalité, au moment du roman, Zakarya reste mutique. J’ai trouvé que cela faisait terriblement monter la tension du récit du tribunal, je me demandais sans cesse : mais quand va-t-il enfin parler ? J’ai trouvé que cette construction avec d’un côté les flashbacks et de l’autre le récit éprouvant du procès était très réussie de ce point de vue. Qu’en avez-vous pensé ? 

Liraloin : Je suis d’accord avec toi. L’alternance entre les flashbacks et le récit du procès est très intense. Nous sommes à l’affût du détail qui permet de comprendre le mutisme de Zakarya. Il dit l’essentiel, il ne cherche pas à « amadouer » les jurés. Il y a des comportements qui ne s’expliquent qu’après coup, quand on lit l’enfance de Zakarya. Encore une fois, l’autrice ne cherche pas à en faire une circonstance atténuante. Le lecteur est juré. C’est fort !

Colette : J’ai trouvé tout l’intérêt du récit dans cette construction qui alterne le passé et le présent à un rythme particulièrement perturbant : les chapitres consacrés au passé de notre héros sont denses, intenses et ceux consacrés à son présent sont remplis du silence de Zakarya, presque vides me semblait-il. Par conséquent reconstruire le fil de sa personnalité semble une tâche particulièrement ardue pour le lecteur ou la lectrice, comme elle l’a été pour son avocate. Et je trouve ce dispositif particulièrement ingénieux même s’il a quelque chose de frustrant, de laborieux, de difficile. On soupçonne constamment quelque chose de beau sous le silence mais on ne l’effleure jamais qu’un tout petit peu au fil des pages.

Linda : Pour ma part, je n’ai pas réussi à finir ce roman précisément parce que j’ai beaucoup de mal avec les aller-retours dans le temps. Ça me déstabilise complètement et m’éloigne du personnage alors que j’avais espéré m’y attacher. Je comprends que ces flashbacks sont là pour nourrir notre perception de Zakarya mais je trouve que l’écriture maintient le lecteur à distance et n’en fait qu’un simple spectateur. J’aurais aimé une écriture plus sensible, plus empathique…

Isabelle : Avez-vous perçu un message, une réflexion particulière dans ces aller-retours ?

Colette : Ce dispositif mime celui de l’enquête qu’elle soit policière ou psychanalytique. On regarde en arrière pour expliquer le présent. Mais au cœur de ce dispositif, il y a l’amour qui fait grincer tous les rouages : l’absence d’amour paternel, l’amour débordant d’une mère, l’amour impossible pour Aïssatou. Et c’est l’amour qui empêche l’enquête d’avancer. L’amour semble ne pas pouvoir (vouloir) être sondé, psychanalysé, enquêté. L’amour ne se résout pas !

Isabelle :  Je suis d’accord avec toi, ces aller-retours soulignent à quel point les tentatives de comprendre Zakarya dans le cadre du procès sont vaines. Son histoire est brossée par petites touches, au fil des flash-backs, qui ajoutent des touches de complexité supplémentaires qui nous amènent à reconsidérer le jeune homme : ado impulsif insuffisamment cadré par sa mère ? Petite frappe ? Rebelle à la rage brûlante ? Garçon solaire, déterminé à tenir la dragée haute aux préjugés ? Manipulateur hors-pair ? Ou abîme de fragilité ? On voit bien comment la tentation de plaquer des idées toutes faites peut nous induire en erreur. Les gens entrent rarement dans une case. La tâche des membres du jury est immense, presque impossible.

Liraloin : Comment avez-vous ressenti la relation entre Zakarya et sa mère ? Et surtout celle avec son père ?

Linda : Je n’appellerai pas relation la violence qui existe entre ce jeune et son géniteur. Ce type est juste odieux, répugnant. On dirait qu’il prend plaisir à punir cet enfant juste parce qu’il existe. En ce qui concerne la mère, elle aime son fils mais ne semble pas capable de le protéger. Elle a déjà tant de mal à prendre soin d’elle. Zakarya se trouve être le fruit d’une relation adultère qui se rappelle aux parents quand ils le regardent. La père semblant le voir comme le résultat d’une erreur et la mère le percevant plutôt comme le souvenir de jours meilleurs. Au final, n’est-il pas le plus mature des trois ?

Liraloin : Je suis du même avis que Linda. Cette femme se sauve car elle ne peut plus vivre éternellement pour un homme qui ne la considère pas mais trop tard, le mal est fait. Les passages sur l’histoire de Zakarya sont tellement difficiles, cette innocence que l’on ressent en tant que lectrice, ce géniteur qui n’a aucun regard aimant pour son fils. Au départ pourtant avec ce déménagement, on se dit que OUI tout va aller mieux, comme un faux espoir, alors que l’on sait que tout est fichu. Finalement, ce jeune homme a sans doute une mère qui l’aime mais pas assez ou trop difficilement.

Colette :  Je ne sais pas si c’est lié au fait que je viens de finir un autre roman de l’autrice, mais j’ai l’impression qu’elle aime à observer un certain type de modèle parental, un modèle défaillant qui oblige l’enfant ou l’adolescent.e à une inversion des rôles. Ici notre héros se retrouve à protéger sa mère d’elle-même, de lui-même, de sa différence, de ses questions, de ses écarts. Il semble tellement conscient de la fragilité de sa mère…

Isabelle :  Oui, cette relation très particulière aux parents est fondatrice. C’est d’ailleurs une scène emblématique de l’enfance de Zakarya qui se trouve au cœur du premier chapitre ! On a d’un côté une mère aimante mais très inquiète, que Zakarya semble vouloir protéger ; de l’autre un père qui n’a pas tenu ses promesses et auquel Zakarya s’est juré de ne pas ressembler, ce qui joue un rôle important dans le roman. D’ailleurs, le roman s’ouvre sur une citation de Hannah Arendt sur les promesses. Cette citation m’a interpellée parce que les promesses (électorales, en l’occurrence), c’est mon sujet principal de recherche. Avez-vous remarqué cette citation ? A-t-elle orienté votre lecture ? 

Linda :  Je t’avouerai que je n’y ai pas spécialement prêté attention. Je l’ai lue mais je n’ai pas cherché à l’associer à ma lecture… peut-être si j’avais su finir le roman, mais en l’occurrence ce n’est pas le cas.

Liraloin : Je n’y ai pas non plus prêté attention !

Isabelle : Ce n’est pas crucial, je dirais. Mais cela cadre un peu ce qui suit, entre la citation en incipit relative aux promesses et cette première scène qui montre la souffrance causée par un père qui ne tient pas ces promesses, je pense que l’autrice a voulu nous dire que cette expérience est vraiment fondatrice pour Zakarya. Lui est prêt à tout sacrifier pour tenir sa parole. C’est peut-être difficile d’en parler sans trop en dévoiler, mais avez-vous été convaincues par la résolution de l’intrigue ? L’essentiel est-il là ?

Liraloin : Je ne m’attendais pas à cette fin et en même temps, comme tu le demandes, l’essentiel est-il là ? Pour moi non justement, l’essentiel est dans le fait que Zakarya soit honnête avec lui-même, je pense que c’est un peu « la leçon » que nous donne ce livre.

Colette : Il me semble me souvenir que la fin du roman est un peu décevante, dans le sens où l’intrigue n’y trouve pas d’élément de résolution. Mais Zakarya reste fidèle à lui-même coûte que coûte et ça, c’est éminemment romanesque. Une intégrité exemplaire qui a valeur de morale peut-être.

Isabelle : Je n’ai pas trouvé la fin décevante – nous avons le fin mot de l’affaire et connaissons les faits – mais elle est profondément dérangeante. Isabelle Pandazopoulos nous confronte à la difficulté de la justice, malgré tous ses gages d’apparence, de respectabilité et d’expertise, de prendre les décisions justes. Les gens entrent rarement dans une case, c’est troublant d’en peser les implications mais encore plus de prendre conscience que des jugements, justes ou pas, tombent tous les jours.

Lecture commune : Jack et la grande aventure du Cochon de Noël

Cette année, pour Noël, nous avons eu envie de nous retrouver pour discuter de Jack et la grande aventure du Cochon de Noël de la grande J. K. Rowling. Un conte qui, par ses thématiques, rejoint notre envie d’un Noël généreux présenté lors de la sélection de la semaine dernière !

Jack et la grande aventure du Cochon de Noël, J. K. Rowling, Gallimard Jeunesse, 2021.

Blandine : L’an passé, quelle a été votre réaction première à l’annonce du nouveau roman à paraître de J. K. Rowling ?

Lucie : Youpi ! Bien sûr, pour commencer. Nous sortions juste de l’Ikabog que nous avions adoré et j’avais hâte de me laisser entraîner dans un nouvel univers par cette auteure fabuleuse.

Isabelle : Tout comme Lucie ! Nous n’allions pas manquer ça, je n’ai même pas regardé le résumé avant de l’acheter.

Linda : A ce moment-là je crois que je pensais surtout qu’il plairait à mes filles, mais je ne me souviens plus vraiment ce que j’ai pu ressentir à l’annonce. J’ai sans doute dû me dire : “Tiens, un nouveau J. K. Rowling”… Pour cette auteure, je ne me pose pas trop de question. Je me souviens juste que je ne me suis pas précipitée, j’ai attendu le moment propice pour me le procurer et l’Avent s’est révélé être ce moment-là !

Blandine : Que pensez-vous du titre et de la couverture ? Quelles sont les idées, thématiques qui vous sont venues à leur découverte ?

Isabelle : C’est une couverture qui joue sur le kitsch de Noël, avec ses branches de sapin et ses couleurs rouges et dorées. Je pense que je n’aurai pas été la seule à penser spontanément au film Toy Story en la découvrant ! Je ne suis pas forcément hyper fan de ce type de graphisme digital dans les livres mais qu’importe : mes moussaillons et moi avons aimé que le titre promette de l’aventure et depuis Harry Potter, nous lisons tout ce que publie J. K. Rowling.

Linda : La couverture et son titre sont pleins de promesses d’une aventure merveilleuse au cœur de la magie de Noël. Bien sûr, comme Isabelle, j’ai aussi pensé à Toy Story avec ce jouet qui s’anime. Je suis très fan de ce cochon qui semble entrainer Jack sous le sapin. Regardez son regard pétillant, son bras tendu vers ce qui semble être quelque chose d’extraordinaire. Il nous invite nous aussi à venir découvrir ce qui se cache sous ce sapin en tournant la couverture.

Lucie : Le titre m’a étonnée. Je ne voyais pas bien le lien entre un cochon et Noël. Du coup, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Et c’est aussi bien ! Comme Isabelle je ne suis pas hyper fan de la couverture. Cela fait très film d’animation, et pas le genre que j’aime.
Et toi Blandine, te souviens-tu de tes premières impressions ?

Blandine : Un nouveau J. K. Rowling = je le veux. Elle fait partie de ces auteurs pour lesquels je ne me pose même pas la question du sujet. Et puis, il y avait “Noël” dans le titre. Cela ne pouvait être que merveilleux ! !
Comme Linda, je me suis questionnée sur ce cochon tout rose “de Noël” qui est écrit bien en gros sur la couverture et qui figure au premier plan, bien devant Jack. On devine de suite que c’est lui le véritable héros de cette aventure. Au-delà, il me semble que c’est un joli pied-de-nez à certaines traditions alimentaires de Noël qui servent encore du porc rôti lors de ce repas festif. Ici, le cochon est bien vivant et actif ! La couverture m’a immédiatement attirée avec ses couleurs et ce cochon qui nous tend la patte, comme pour nous rejoindre, ou nous appeler à l’aide. Côté graphisme, j’aime beaucoup ! Et bien sûr, le parallèle avec Toy Story (que j’aime beaucoup aussi) a été instantané.

Linda : Je n’avais pas du tout pensé au côté “alimentaire” du cochon, peut-être parce que je ne mange pas de viande et que je ne perçois plus les animaux comme tels depuis longtemps. Mais c’est peut-être tout simplement parce que je suis restée dans le côté fantastique avec le jouet qui prend vie. C’est cependant une réflexion intéressante et j’aimerais bien savoir ce qu’en pensent Isabelle et Lucie ?

Lucie : Je n’y ai pas pensé non plus. Pour moi il a tout de suite été évident que ce cochon était un jouet, alors je ne me suis pas posé la question. Mais c’est une remarque pertinente, et vu l’expérience de J. K. Rowling je pense que le choix de cet animal n’est pas anodin.

Isabelle : Moi non plus, ça ne pas traversé l’esprit d’imaginer que ce cochon aurait pu être sur la table !

Blandine : Je trouve intéressant, intriguant, que ce soit le cochon qui soit mis en avant, avant l’humain (même s’il est vrai qu’on va beaucoup suivre Jack).

Lucie : Avant d’être plongés dans le merveilleux avec le Pays des choses perdues, nous rencontrons Jack et sa famille. Il me semble que c’est la première fois que J. K. Rowling décrit une famille si “normale” et contemporaine, telle que nous en connaissons tous. 
Qu’avez-vous pensé d’eux et de leurs relations ?

Linda : Normale et contemporaine dans le sens “famille recomposée” ? Elle est en effet à l’image des familles d’aujourd’hui, une famille à l’image de celle de J. K. Rowling elle-même d’ailleurs. Je pense que c’est avant tout une famille qui cherche son équilibre et que cela passe par celui des enfants. Holly étant à cet âge où le besoin de s’affirmer se développe, elle devient l’élément perturbateur, l’épine dans le pied de cette famille. De plus, elle ne vit avec eux qu’un week-end sur deux ce qui fait qu’elle a, je suppose, besoin de plus de temps pour s’adapter à cette nouvelle vie. Sa relation à Jack est clairement dictée par la jalousie de partager un père qu’elle aimerait voir plus souvent. Tout cela me semble plutôt crédible… Maintenant, je perçois la famille de Jack comme une façon d’asseoir l’histoire et son contexte, pas comme élément essentielle à l’histoire donc je ne me suis pas trop attardée sur ce point du livre. J’avoue par-ailleurs que, grande romantique et mère de famille nombreuse, je me sens plus proche, dans l’univers de cette auteure, de la famille Weasley…

Isabelle : D’accord avec toi, Linda. C’est une famille comme il y en a tant, ni parfaite, ni horrible comme celle de Harry Potter. Elle illustre à quel point, même quand on a des parents aimants qui font de leur mieux, la vie et l’enfance peuvent présenter des passages difficiles, liés dans l’histoire au divorce des parents suivis d’un déménagement et d’une cohabitation compliquée avec la famille du nouveau conjoint de la mère. Du point de vue narratif, cela permet d’introduire le cochon de Jack, qu’il aime tant même s’il est délavé et rapiécé. Cela parlera à tous ceux qui, comme mon moussaillon cadet, sont irrémédiablement attachés à un animal en peluche élimé ou à certaines reliques de tranches de vie dont il est hors de question de se séparer. Cet attachement est d’autant plus fort chez Jack qu’il a l’impression que son existence tombe en lambeaux. Il est évident que lorsque le cochon disparaît, Jack est prêt à aller jusqu’au pays des Choses perdues pour le retrouver.

Blandine : Dans cette grande aventure promise par le titre, nos héros passent par différents mondes, tour à tour merveilleux et terrifiants. Comment avez-vous trouvé leurs enchaînements et descriptions ?

Linda : J’ai aimé la façon de pénétrer chaque nouveau monde par des “portes” différentes qui confrontent les héros à différentes difficultés. J.K. Rowling est assez méticuleuse dans son travail de création et ça se ressent vraiment à la lecture. Rien n’est jamais laissé au hasard, elle donne un maximum d’informations pour qu’à la lecture on puisse visualiser l’univers qu’elle a créé. Son écriture est très visuelle et immersive. De même, la succession de ces mondes semble rythmer vers la fin de vie d’un produit : de la perte à la destruction en passant par les différentes étapes de l’oubli. J’ai trouvé cela très intéressant car cela questionne réellement notre rapport aux objets et met en relief les effets de l’obsolescence programmé d’un point de vue économique et écologique.

Lucie : Je te rejoins Linda, ces différents “mondes” m’ont surtout intéressée pour ce qu’ils disent de notre rapport aux objets. La salle des Egarés dans laquelle les objets attendent dans l’espoir d’être retrouvés, puis ce tri entre les différents objets selon leur valeur pécuniaire mais aussi affective.
J’ai beaucoup aimé cette nuance qui montre bien qu’un objet peut avoir une valeur affective énorme en dépit de son faible coût. Le fait que les objets chers comme les bijoux se croient supérieurs aux autres aussi… Tout cet aspect est vraiment traité de manière très fine.

Isabelle : Effectivement, ce pays des Choses Perdues, c’est une idée géniale pour nous donner à réfléchir à tout ce qui peut se perdre ! Des objets utiles ou superflus, ceux qui ont une valeur surtout sentimentale comme tu le dis Lucie ou absolument vitale. En imaginant un univers où toutes ces choses prendraient vie, J. K. Rowling nous interroge sur le consumérisme ambiant. Les différents mondes dont tu parles, Blandine, soulignent l’ampleur de ce qu’on peut perdre (et remplacer en un clin d’oeil) au quotidien, les Objets Sans Valeur, les affaires égarées de Zutcéouça, les Regrettés… Alors, le procédé peut avoir quelque chose de répétitif, on passe d’un monde à l’autre, il y a chaque fois de belles rencontres, des dangers et des péripéties jusqu’au passage vers la contrée suivante et on se doute bien qu’elles seront toutes explorées. Mais l’autrice réalise la prouesse de susciter l’attachement vers des objets, mon moussaillon s’est passionné pour le destin d’un ange fabriqué en papier toilette. On voit, au passage, que les Objets “gentils” sont ceux qui ont été perdus par inadvertance et regrettés (Ange brisé, Boussole, Poésie ou Lapin bleu), alors que les “méchants” comme par exemple Râpe-Fromage ont été abandonnés à dessein. Après, l’autrice s’amuse en réfléchissant à la perte de choses plus abstraites, comme les principes, les ambitions ou l’inspiration. C’est hyper malin et amusant.

Blandine : J’ai moi aussi beaucoup aimé ces portes qui permettent de passer d’un monde à l’autre, comme des sas de décompression, pour avancer dans notre réflexion quant aux objets, leur utilité, leur valeur émotionnelle et pécuniaire.
J. K. Rowling use de beaucoup de jeux de mots dans ses romans, cela semble enfantin, presque trop facile. Et pourtant cela a un impact à la fois amusant et percutant. 
Aimez-vous ce genre d’écriture ? Pensez-vous que cela soit percutant ou au contraire préjudiciable ?

Lucie : J’adore les inventions de J. K. Rowling. Son travail sur le vocabulaire est génial. En revanche, je pense toujours au traducteur avec compassion !
Quand c’est bien fait (ce qui est toujours le cas chez cette auteure) ces trouvailles sont très ludiques. J’aime bien chercher ce qui a servi à composer le mot, le sens qu’elle a voulu y mettre en plus des mots originaux. Comme les univers qu’elle crée sont très créatifs, pour moi la forme rejoint “simplement” le fond.

Linda : Je suis d’accord avec Lucie. Ces jeux de mots sont un peu la marque de fabrique de J. K. Rowling et je trouve que cela apporte une certaine richesse à ses textes ainsi qu’à ses univers. Cela donne aussi du sens à ses créations et permet parfois un double niveau de lecture qui permet de toucher un public plus large. Quelque part je trouve que son écriture est fédératrice de lien entre les parents et leurs enfants.

Isabelle : Qu’avez-vous pensé du dénouement du roman ? Trouvez-vous aussi qu’il s’agit d’un roman initiatique et, le cas échéant, qu’auriez-vous retiré de cette initiation ?

Linda : La fin de l’histoire est l’aboutissement de ce voyage initiatique au cours duquel Jack a appris que la perte fait partie des étapes de la vie et que les accepter nous fait grandir. La perte est un thème récurent dans la bibliographie de J. K. Rowling et elle est généralement associée à un changement important dans l’évolution, la construction de ses personnages. Ici la fin apporte la lumière et l’espoir dont avaient besoin Jack et Cochon de Noël dans leur vie, mais c’est aussi une fin lumineuse pour Lo Cochon, et je trouve que c’est vraiment fort de la part de l’auteure de finir son récit de cette façon si lumineuse.

Lucie : Je qualifierais cette fin de douce-amère. Elle est à la fois apaisée, car effectivement Jack est prêt à laisser cette part de son histoire derrière lui, il accepte de grandir et d’avancer. Mais je crois beaucoup à la conservation de la part d’enfance, et je suis sûre que vous êtes d’accord avec ça ! Alors j’avoue avoir tout de même été peinée de cette séparation. Séparation inenvisageable pour mon loulou, qui a tout bonnement refusé de lire ce roman à cause de la fin.

Linda : Il est certain que la séparation est difficile mais on ne peut nier que cela fait partie de la construction de l’enfant (et de l’adulte) et qu’elle nous fait avancer, grandir.

Isabelle : Je vous rejoins toutes les deux. Comme ton loulou, Lucie, mon moussaillon a eu une réaction très forte face à la séparation que tu évoques. Mais comme tu le soulignes, Linda, ce dénouement n’est pas triste – et in fine, mon fils a vraiment adoré lire (et terminer) ce roman. Jack a traversé énormément d’épreuves au pays des Choses perdues, il a grandi et s’est affirmé comme un jeune héros courageux qui apprend à lâcher prise et finit par faire son deuil.

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Merci à Blandine d’avoir initié cette lecture commune ! Et vous, avez-vous lu Jack et la grande aventure du Cochon de Noël ? Qu’en avez-vous pensé ?