Suite à notre billet aux côtés de la culture confinée, nous avions à cœur de partager avec vous nos premières sorties culturelles après des mois de fermetures et de restrictions.
Nous avons donc fait le choix d’ouvrir nos billets d’été ensemble car la culture se partage et se vit autant qu’elle se raconte. Et que les vacances sont aussi l’occasion de partager des moments culturels en famille ou entre amis.
C’est sur un coup de tête que Linda a réservé deux places pour une visite au Musée de L’Hospice Comtesse de Lille. Au saut du lit ce vendredi 21 mai, soit deux jours après la réouverture des lieux, le besoin de prendre un bain de culture ne pouvait plus attendre. L’ouverture de l’exposition Kaï Wu – Art et Design en Chine fut l’occasion de partager un moment mère-fille autour d’une passion pour la culture chinoise. Redécouvrir ce lieu riche historiquement leur a fait un bien fou au moral. L’exposition en elle-même était un prétexte satisfaisant mais il faut bien reconnaître qu’elles n’ont pas été complètement séduites. Une partie des œuvres donnaient un peu l’impression de circuler dans un magasin de meubles. Il y avait malgré tout une partie de l’expo qui les a vraiment émerveillées par l’originalité et la mise en lumière des œuvres valorisées et valorisant l’espace. Par ailleurs, le contraste entre le lieu et les créations fut une invitation à voyager dans le temps et l’espace donnant un côté magique à cette visite.
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Pour Colette, le retour à la culture s’est fait dès le 22 mai avec le dernier spectacle de son abonnement au TNBA – Théâtre National Bordeaux Aquitaine – dernier et seul spectacle qu’elle ait pu voir au final. Quel bonheur de se glisser, entre amies, dans les fauteuils de velours rouge de la grande salle de spectacle Vitez ! Quel bonheur de scruter les moindres détails du décor incroyable imaginé par Christian Tirole et Jean-François Sivadier ! Quel bonheur de plonger dans cette histoire rocambolesque de scandale sanitaire dans une station thermale de Norvège portée par des comédiennes et des comédiens puissant.e.s ! Et quel plaisir sans nom d’être une fois de plus poussée dans ses retranchements et de se demander avec le personnage principal si préserver la mécanique économique bien huilée d’un système prévaut sur un problème de santé publique que l’on pourra étouffer ? Des questions éminemment actuelles qui ont eu un écho d’une incroyable ironie tragique dans le cœur des spectatrices et des spectateurs masqué.e.s mais enthousiasmé.e.s par tant d’art et d’intelligence !
Un ennemi du peuple, Henrik Ibsen, mise en scène de Jean-François Sivadier.
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Le fils de Lucie s’étant plongé dans la littérature autour de la Seconde Guerre mondiale pendant le premier confinement – un moyen comme un autre de relativiser la situation angoissante que nous traversions – il était prévu de longue date que la première sortie familiale se ferait au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation. Situé dans les anciens locaux de la Gestapo, ce musée propose une exposition permanente intitulée « Lyon dans la guerre, 1939-1945 ». Les documents, les photos et les objets d’époque (le parachute de Jean Moulin !) ainsi que la reconstitution d’une placette, d’un appartement et d’une imprimerie clandestine ont fait de cette visite un moment fort en émotions. Le film sur la libération de Lyon clôturant l’exposition, mêlant archives et témoignages de lyonnais, est d’une rare intensité.
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Pour Liraloin, l’aventure était au rendez-vous avec ce spectacle tout à fait original : Follow Me de la Compagnie Queen Mother.
« Prolongement de nos mains, devenu objet du quotidien, le téléphone portable bouscule notre rapport aux autres. Follow Me s’en empare et embraque le spectateur dans une aventure artistique connecté dans la ville. »
Nous avions rendez-vous à 17h sur une place en plein centre-ville. Les règles étaient simples : répondre aux messages, suivre les consignes. Arrivés en avance, nous avons déambulé dans la ville en nous régalant de textes écrits çà et là parfaitement en harmonie avec ce que l’œil pouvait discerner.
Cette enquête (?) pouvait alors débuter. A la fois intrigués et impatients, nous répondions chacun de notre côté aux premiers messages reçus. Cette connexion avec l’autre, cet(te) inconnu(e) commence par le texto suivant : « Le rideau se lève. Sur notre rencontre. Une sonnerie dans le creux de la main et quelque chose qui change. Sans presque rien ne change… » et cet(te) inconnu(e) te salue, espère que tu le/la nommes pour provoquer un peu plus d’intimité.
Si l’aventure, pour ma part, s’est révélée apaisante et sujet à la rêverie avec la rédaction d’une histoire, pour mon amoureux cette expérience s’est soldée par une course poursuite dans toute la ville !
Ce que je retiens de ce voyage de deux heures (oui pour moi cette aventure est passée en deux secondes) c’est un moment de quiétude et de connexion avec l’inconnu. Un ou une inconnu(e) qui par le biais de simples messages semble te connaître, te faisant passer par des jolis moments d’émotions.
Après tous ces mois de privation, cet évènement m’a apporté de l’oxygène.
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Dans la région allemande où vivent Isabelle et ses moussaillons, les lieux de culture commencent à peine à rouvrir, alors l’attente est longue ! Ils ont d’autant mieux savouré le déconfinement lors d’un petit séjour aux confins du Médoc à la fin du mois de mai. La première sortie les a conduits dans un lieu merveilleux de partages livresques : la librairie de Corinne, à Soulac sur mer.
La Librairie de Corinne, à Soulac sur mer, en Gironde.
Une caverne d’Ali Baba toute bleue et baignée de soleil qui a le charme si particulier des villas soulacaises, un lieu où se mêlent le parfum des embruns et celui des livres neufs, où vibre la passion de lire de l’équipe des libraires. Parce que rien ne vaut l’exploration d’étagères débordant d’albums et de romans, le plaisir d’effleurer les couvertures, de se laisser surprendre par des textes qu’on n’attendait pas et d’échanger ses trouvailles avec d’autres amoureux des livres. Des saveurs sublimées lorsqu’on peut ensuite embarquer son butin pour lire sur la plage !
Il se pourrait que les moussaillons de l’île se soient un peu laissé emporter par leur enthousiasme… Nous en avons eu pour des heures de voyage littéraire qui nous ont permis de tenir jusqu’à ce que le déconfinement permette de sortir de nouveau de notre côté du Rhin. Des lectures dont vous entendrez parler sur L’île aux trésors et bien sûr À l’ombre du grand arbre !
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Blandine attendait avec impatience la levée des restrictions pour enfin retourner à la bibliothèque municipale. Déambuler en toute liberté, flâner entre les bacs, avoir le regard happé par une couverture, un titre ou un nom, pouvoir toucher et feuilleter les livres, choisir de les prendre ou de les reposer. Le bonheur !
Un album en entrainant un autre, une jolie pile s’est constituée. Heureuse coïncidence, tous évoquaient la nature, l’évasion, le partage et la transmission. Depuis, Blandine y est retournée plusieurs fois, repartant toujours les bras chargés… Mais ceci est une autre histoire qui s’écrit déjà sur Vivrelivre et ici!
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Et vous? Quelle a été votre première sortie culturelle? N’hésitez pas à partager votre expérience avec nous.
En cette semaine anniversaire de notre blog collectif, et après plus d’un an de culture confinée, malmenée, non seulement masquée mais muselée, nous avions envie d’échanger autour d’un album jeunesse qui interroge notre capacité à nous engager pour que vive la culture.
Aujourd’hui, nous vous proposons donc une lecture commune de l’album Si j’étais ministre de la culture de Carole Fréchette et Thierry Dedieu publié d’abord au Québec aux éditions d’eux en 2016 puis édité en France par HongFei en 2017. Vous pouvez en savourer la lecture à haute voix par Daniel Pennac sur le site de l’éditeur québécois.
Linda :Si j’étais Ministre de la Culture est à l’origine une lettre ouverte de Carole Fréchette écrite en 2014 lors de campagne électorale québécoise. L’objectif était d’attirer l’attention des candidats et des électeurs à l’importance des enjeux culturels. Quel(s) parallèle(s) y avez-vous vu avec la situation actuelle ?
Colette : Quand j’ai relu ce livre complètement par hasard il y a un mois environ, je me suis dit « non, ce n’est pas possible ! Cet album décrit de manière hypothétique la situation que nous sommes en train de vivre de manière très très réelle ! » Et cette lecture a provoqué en moi une sorte de rire grinçant. Il y a une telle ironie tragique à lire ces pages aujourd’hui : tout était écrit, là, noir sur blanc, de ce que nous vivons aujourd’hui. De ce que nous laissons nos gouvernements nous imposer comme vie aujourd’hui… Une vie sans culture, sans musée, sans théâtre, sans cinéma, sans spectacle de rue, sans danse, sans opéra, sans concert… Dans l’album, ce n’est qu’un un défi proposé par une hypothétique ministre de la culture qui décrèterait des « journées sans culture » pour prouver quelque chose à la classe politique qui l’entoure. La véritable ironie, c’est qu’aujourd’hui en 2021, c’est notre réalité. Et pas qu’un seul jour. Tous les jours depuis un an.
Lucie : Le parallèle que tu proposes avec la situation actuelle m’a aussi sauté aux yeux, cette vision de l’art « non essentiel ». Nous avons vécu ces journées sans culture, nous continuons à les vivre, Colette le dit très bien. Et si finalement les librairies ont rouvert (après avoir bataillé), le reste continue à nous manquer. C’est d’ailleurs un manque très bizarre, lancinant, qui n’est pas aussi criant que je l’aurais cru mais qui pèse sur le moral (ce que Carole Fréchette avait anticipé avec une triste lucidité), chaque jour un peu plus.
Linda : Si ces décisions paraissaient justifiées dans un premier temps, je suis moins convaincue par la fermeture complète de tout ce secteur lors du deuxième confinement à l’automne dernier. Aucun cluster n’était lié aux lieux culturels, tous faisaient des efforts pour respecter les règles de distanciation, les gestes sanitaires ainsi que la mise en place de jauge restreinte. Pourtant lorsqu’il a fallu « confiner » de nouveau, ce sont ces lieux qui ont fermé en premier sans réelles justifications. Comment peut-on justifier le sacrifice d’une partie de la population pour en protéger une autre ? C’est un autre débat mais je m’interroge vraiment sur les conséquences à long terme de ce genre de décisions.
Linda : Le sacrifice de la culture par nos gouvernements en situation de pandémie n’est-il pas le reflet d’un système capitaliste qui condamne ce qui n’est pas rentable, sacrifiant les bienfaits de la culture sur l’homme ? Peut-on encore espérer convaincre nos dirigeants que notre bien-être passe par le confort de l’esprit, bien plus que par un portefeuille bien garni ?
Colette : J’avoue que je ne sais jamais me mettre à la place d’un gouvernement. Mais je comprends complètement ton interprétation. Ce qui me questionne le plus au travers de cet album c’est ce que nous avons fait, nous, citoyens, citoyennes, face à de très longues « journées sans culture ». La première fois que j’ai lu cet album, je pouvais aller au théâtre ou au cinéma comme je le voulais. Cet album m’avait fait sourire. Bien trouvée cette « dystopie » , m’étais-je dit ! Ça n’arrivera jamais ! La deuxième fois que je l’ai lu, c’était il y a un mois, après une année entière sans pouvoir accéder librement à la culture et bien j’ai eu terriblement envie de pleurer : parce que je n’ai rien fait. Et du coup, je me suis demandé : est-ce que je ne suis pas finalement seulement une consommatrice de culture ? Et quand le bien se fait rare, je m’en passe. Qu’en pensez-vous ?
Lucie : Je suis d’accord avec toi Colette, la situation était inédite et critique. Comment juger des décisions du gouvernement visant à protéger ? Un an après, je découvre ce texte grâce à vous. Et je me dis que si je l’avais lu avant j’aurais souri, trouvé l’idée pertinente et que le lien avec l’oxygène était une jolie métaphore. Sauf que ce n’est pas une métaphore. « L’équilibre des âmes », c’est vraiment ça. On entend bien les baisses de moral et d’énergie autour de nous. Pour moi elles sont directement liées à ce manque de culture. Je le vis comme quelque chose de plus en plus oppressant. Qu’aurais-tu pu faire que tu n’as pas fait, Colette ? Tu as continué à faire découvrir des œuvres à tes élèves, à leur donner le goût pour cette culture, avec l’envie et l’énergie qui te caractérisent. Tu as continué à partager tes découvertes et tes coups de cœur sur tes blogs, et tu as continué à lire écouter regarder malgré tout. Qu’aurait-on pu faire de plus avec une année de recul ? Je ne trouve pas que l’on se soit résignées.
Linda : Ne sommes-nous pas tous, plus ou moins, consommateur de culture ? Après tout, en tant que grandes lectrices, nous sommes déjà dans un schéma de consommation assumée. Mais c’est aussi la consommation qui fait vivre la culture donc d’une certaine manière consommer revient à aider la culture. Aujourd’hui, nous pouvons aussi rejoindre les artistes qui occupent les théâtres et autres lieux culturels dans leurs actions pour la défense des intermittents et la réouverture des lieux culturels. Chez nous, à Lille, il y a eu des rassemblements autorisés en mars dernier et tout le monde était invité à participer, à montrer son engagement. C’était chaleureux et convivial, en musique et en danse ! C’est certes peu mais que peut-on faire de plus que de montrer notre soutien lorsque même la Ministre de la Culture appuie les décisions du gouvernement?
Lucie : La difficulté de notre situation c’est que quand il est écrit « il faut privilégier les vraies urgences », ici c’est pour protéger la santé de nos concitoyens que nous avons été privés de culture. Du coup il y a presque une culpabilité à se plaindre. La vraie urgence était effectivement la santé. Mais la privatisation à long terme nous ont fait réaliser que la culture est aussi indispensable à notre équilibre. Au delà de notre situation exceptionnelle, je trouve très maline la réaction de la ministre : la culture n’est pas une urgence? Interdisons-la quelques jours et voyons. Vous qui l’avez lu avant de le vivre, vous souvenez-vous de ce que vous avez pensé de ce ressort narratif ?
Linda : Je ne l’ai découvert que sur les conseils de Colette il y a quelques semaines donc déjà en pleine restriction. La réalité de ce que l’on vit est à l’image de la fiction. L’auteure a une analyse très fine du poids de la culture sur notre santé.
Colette : Lucie, tu fais bien de rappeler ce ressort narratif car c’est ce que j’ai trouvé le plus ingénieux dans cet album ! Cela m’a clairement fait penser au virage à 180 degrés proposé par la psychothérapeute Emmanuelle Piquet dans ses livres destinés à la jeunesse « Je me défends du sexisme », « Je me défends du harcèlement » ou encore « Je combats ce qui m’empêche d’apprendre ». Face au problème rencontré, elle invite la personne en souffrance à faire le contraire de ce qu’elle aurait tendance à faire spontanément. Mon rapprochement est un peu hasardeux mais j’y vois ici la même technique : vous n’écoutez pas ce que j’ai à dire sur l’importance de la culture, alors vivons sans culture. A la place des mots, des actions. Voilà bien l’essence même de l’activisme politique et c’est génial que dans ce livre ce soit une femme politique qui opte pour cette option militante, cela permet de donner une image positive de la politique, de montrer qu’une personne dans un gouvernement peut aussi changer les choses.
Linda : Thierry Dedieu utilise un dessin caricatural qui vient appuyer les arguments très imagés de l’auteure. Je trouve le style graphique particulièrement saisissant ! L’expressivité des personnages reflètent, à mon sens, parfaitement le vide laissé par le manque de culture dans nos vies. Qu’en pensez-vous?
Colette : Je suis tout à fait d’accord avec toi, connaissant en plus la multiplicité des styles graphiques de Dedieu, le style choisi ici est vraiment percutant ! Ce qui m’a le plus saisie, c’est la solitude : la solitude de la ministre de la culture, la solitude des musiciens, la solitude des danseuses, la solitude du clown, etc. sur ces grandes pages de couleur. Les artistes sont seuls. Abandonnés. Le public est seul. Il n’existe même plus. Il n’y a plus de public. Chacun est isolé de son côté. Et ça je l’ai vraiment ressenti quand au premier confinement il y a eu profusion de ressources culturelles partagées sur le net : c’était un geste honorable, mais à quoi bon ? Regarder une pièce de théâtre, seule dans mon salon, ça n’a pas de goût. Écouter un concert sur Facebook en live : ça ne fait pas battre mon cœur. M’installer avec des popcorns dans mon canapé pour regarder un film d’auteur.e : ça ne me fait pas vibrer.
Lucie : Cette mise à l’écart de la ministre puis la solitude des artistes et des gens est en effet très bien rendue graphiquement. Et elle renvoie elle aussi à notre solitude imposée depuis un an. Je te rejoins sur le spectacle vivant, Colette : regarder du théâtre ou de la danse sur YouTube et même visiter un musée virtuellement ne m’intéresse pas. En revanche je crois sincèrement que ma bibliothèque et ma dvdthèque bien remplies (ainsi que la réouverture des bibliothèques municipales) m’ont empêché de sombrer. Parce que cette culture-là existe toujours, qu’on en profite de la même manière qu’avant, et que c’est à la fois un élément qui n’a pas été touché et « mieux que rien ». D’autant que les films et les livres permettent des discussions réjouissantes, notamment par ici ! Dans le livre, toute culture, même la plus quotidienne est interdite. Cela permet aussi de monter qu’il y a une forme d’art à laquelle nous ne faisons presque plus attention : les arts appliqués comme le design ou la mode par exemple.
Linda : Je ne suis pas complètement d’accord quand tu dis que les bibliothèques n’ont pas été touchées car leurs services ne se limitent pas qu’aux prêts. Je regrette les ateliers ou animations qu’elles peuvent proposer en temps normal et qui permettent des échanges entre le personnel et le public. Mais c’est là aussi qu’on voit vraiment que c’est l’interaction sociale qui est limitée aujourd’hui plus que le reste. Ça fait sens par rapport à la pandémie mais, humainement, ce n’est pas viable sur une si longue période. Comme tu le disais plus haut, les baisses de moral viennent de là car oui, la culture et le lien social vont de pair et nous avons besoin pour vivre.
Colette : J’adhère complètement à ce que dit Linda sur ce qu’ont révélé les restrictions culturelles en terme de sociabilité, d’humanité, d’humanisme. Certes je peux lire, écouter de la musique et regarder des films chez moi – et c’est vrai que c’est ce qui nous « sauve » en partie ! – mais le fait de ne pas pouvoir se retrouver avec d’autres, des inconnus, des étrangers, « nos frères pourtant », ces gens que je ne cherche pas à voir, à sentir, à toucher mais que le hasard de nos goûts artistiques communs met sur ma route l’espace d’un instant, et bien ce vide là, je ne m’y attendais pas, est immense. Ce vide là, j’en ai bien peur, est en train de défaire les liens qui nous lient.
Lucie : Et que pensez-vous du fait que cette ministre de la culture soit une femme ? Pour ma part, j’ai d’abord pensé qu’elle représentait Carole Fréchette, mais j’avoue que de la voir opposée seulement à des hommes, et assez âgés qui plus est, m’a fait m’interroger sur un message sous-jacent.
Colette : Bizarrement pour moi qui suis très sensible à la cause féministe, je n’y avais pas fait attention. Mais tu as raison de le souligner, Lucie. C’est très intéressant comme choix… On laisse le « non-essentiel » à une femme 😉 On peut à la fois le lire comme un autre choix engagé ou un triste clin d’œil à une répartition des portefeuilles encore particulièrement sexiste dans de nombreux gouvernements.
Linda : J’avoue avoir vu l’auteure dans le rôle de la ministre et ne pas avoir cherché un autre message. On a tendance à voir un engagement féministe partout sans que ce soit forcément le cas, surtout en temps que femme. C’est une réflexion qui ne manque pas de sens mais je crois que je préfère me dire qu’il s’agit ici d’un simple choix lié à l’auteure.
Lucie : Je vois trois parties dans les illustrations de l’album : la ministre qui essaie de convaincre ses collègues, puis les effets de sa décision tout d’abord sur les artistes (ou employés dans le milieu culturel, comme le gardien de musée), et enfin sur la population qui obéit mais ne se résigne pas totalement (comme la vieille dame qui soulève un drap recouvrant une statue dans le parc). Après, avec le côté « strictement fonctionnel » des modèles imposés de vêtements et de voitures, on se rapproche même d’une forme de dictature. Y avez-vous pensé aussi ?
Colette : Complètement Lucie : une vraie dictature qui commence par interdire les différentes formes de culture puis qui retourne les tableaux dans les musées, drape les monuments, et enfin uniformise nos vêtements et nos voitures. On y lit une progression, l’installation d’un modèle de pensée unique. C’est le fonctionnement même du totalitarisme. Et c’est sans doute ce pressentiment qui nous étouffe aujourd’hui. Combien de fois avons-nous eu l’impression que notre quotidien prenait l’étrange tournure d’un roman dystopique ? Rien que les affiches placardées à l’entrée des écoles, avec ce visage sans regard masqué, et ce slogan « Protégeons-nous les uns les autres » (à une lettre près, on pourrait lire « Protégeons-nous les uns des autres »…).
Linda : Oui je vous rejoins complètement. La question de l’uniformité vestimentaire m’a d’ailleurs fait penser au 1984 d’Orwell qui dépeint un état totalitaire. Cela fait un peu plus d’un an que nos libertés sont retreintes sous couvert de se protéger et de protéger les autres. Ces mesures liberticides créent un malaise et nous font craindre l’installation permanente de restrictions qui tendent vers la dictature. C’est effrayant !
Lucie : On commence à voir le bout du tunnel, les effets de tant de sacrifices. Un peu d’espoir : quel est le premier endroit où vous irez / retournerez quand les lieux culturels auront rouvert?
Linda : J’ai terriblement envie de m’asseoir dans l’Auditorium et d’écouter l’Orchestre Nationale de Lille jouer. Mais nous commencerons par le musée d’arts et d’industrie La Piscine de Roubaix. Nos billets sont déjà réservés.
Colette : On ira à Capsciences à Bordeaux ! Il y a une nouvelle exposition qui s’intitule « Esprit critique – Détrompez-vous ! ». Il me semble qu’elle tombe fort à propos, cette expo ! Pour conclure sur l’invitation donnée par le titre « et vous si vous étiez ministre de la culture », que feriez-vous ?
Linda : Question difficile ! Après une proposition telle que celle que nous venons de lire, comment proposer quelque chose de plus pertinent ? De plus efficace pour convaincre ? Une réforme complète du système politique serait peut-être nécessaire pour que chaque ministère ait autant de poids qu’un autre…
Lucie : Je ne serai jamais ministre de la culture, donc je peux avoir des projets irréalisables : Ce que je souhaiterais, c’est la gratuité de la culture ! Pas via le téléchargement (qui est bien souvent du vol et non de la gratuité) mais par des subventions, des pass culture ou autre pour quelle soit accessible à tous. Et que chacun ait son content de beauté et d’émotion pour mieux respirer et vivre !
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Nous souhaitions, en tant que blogueuses culturelles, montrer notre engagement envers la culture en apposant une pastille sur le blog. Nous remercions chaleureusement Carole, ancienne branche, et son époux pour la réalisation de ce logo.