@Nathan
C’est l’été. Il fait beau. Il fait chaud. Pour lire, on est mieux à l’ombre du grand arbre. Pour les vacances, des transats ont été dépliés. Quelques piles de livres servent de table basse. Chacun bouquine en silence. Parfois une larme est essuyée au coin de l’œil, un rire fuse, très rarement on entend un soupir de déception. Je m’installe avec un mug rempli de thé. Il me reste une grosse dizaine de pages à lire, de Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier.
Kik : Le thé a refroidi, sans être bu. Le livre est posé sur mes genoux. Je m’interroge. Je relis la quatrième de couverture :
-Quand est-ce que tu avais prévu de nous en parler ? As-tu pensé aux conséquences de ta décision ? As-tu seulement compris que tu vas nous mettre en danger ?
Molly était d’abord restée sans voix, la bouche ouverte, hébétée.
– Un paquet de Noirs se sont fait lyncher, et pour moins que ça, ma petite fille ! avait hurlé sa mère.
Rentrée 1957.
Le plus prestigieux lycée de l’Arkansas ouvre pour la première fois ses portes à des étudiants noirs. Ils sont neufs à tenter l’aventure. Il sont deux mille cinq cents, prêts à tout pour les en empêcher.
Ce livre m’a plu car je ne connaissais pas l’histoire de ces étudiants. Ce livre me perturbe, car tout cela se passait il y a moins de 60 ans, dans le pays de la Statue de la Liberté. Je pose le livre sur le transat, je le laisse là, en espérant que quelqu’un d’autre aura envie de le lire. D’ailleurs, pourquoi cette histoire pourrait intéresser les autres ? Qui ? C’est si proche dans le temps, et pourtant si loin de l’actualité. Les USA ont un président noir, quand même.
Qui ? Pourquoi ?
Je laisse mes question en suspens, en espérant que l’ombre du grand arbre les transmette aux autres lecteurs du collectif…
Pépita : Quel coin tranquille Kik ! Merci pour l’invitation ! Pas de thé pour moi, merci… Parlons donc de ce livre …
Ce n’est sans doute pas un livre que j’aurai lu comme ça…Je commence à en lire des critiques (des bonnes) et je suis contente de l’avoir lu avant, pour me faire ma propre idée. Comme tu le soulignes, c’est un livre qui interpelle : la couverture, déjà, dans l’opposition qu’elle met en scène, on comprend déjà un peu mais un tout petit peu de quoi il s’agit. Et on se dit : ah oui, je vois, sur le racisme… Et puis le titre. Là, ma curiosité a été titillée. Et puis, j’ai lu la quatrième de couverture (je ne peux pas m’en empêcher, réflexe professionnel, alors que toi, je sais que tu ne la lis presque jamais ou à la fin) et là, je suis entrée dedans direct. Comme toi, je ne connaissais absolument pas ce pan de l’histoire des États-Unis, cela m’a semblé très loin tout d’abord puis je me suis posée beaucoup de questions…
Bouma nous a rejointes, s’installe avec sa tasse de thé et nous livre ses impressions…
C’est un livre que j’avais repéré sur un blog à sa sortie et en plus Annelise Heurtier est une auteure que j’ai plaisir à retrouver, donc je ne me suis pas trop posée de questions sur le pourquoi de cette lecture.
Par contre, même si le sujet est explicité dès les premières pages avec un avant-propos, j’ai eu du mal à comprendre où voulait nous emmener l’auteure. Le récit défile assez lentement et nous fait découvrir le quotidien d’une de ces neufs adolescents précurseurs ainsi que celui d’une jeune fille blanche allant au même lycée. Quel est le but final de ce roman ? Démontrer les avancements de la société (notamment américaine) ? Faire réfléchir les lecteurs sur la ségrégation et plus généralement sur le racisme ? Ou bien encore montrer qu’il faut bien un premier homme dans chaque évolution, quitte à ce qu’il se fasse lyncher ?
Pépita : Contrairement à toi, Bouma, je ne me suis pas du tout posée la question de la finalité de ce roman : l’auteure met en lumière un pan de l’histoire américaine très méconnu. A part Rosa Parks ou Martin Luther King, quelle autre lecture avons-nous de ces faits ? Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est le vécu de jeunes en devenir, c’est l’alternance des points de vue entre les deux jeunes filles, l’une noire et l’autre blanche et cela suffit à les opposer, alors qu’elles auraient pu être de très bonnes amies. Elles sont victimes cependant toutes deux d’un système. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis d’emblée attachée à Molly et aux deux figures féminines que sont sa mère et sa grand-mère. En tant que maman de deux lycéens, je me suis demandée quelles auraient été mes réactions, je dis mes, car je me place des deux côtés. Si j’avais été la maman de Molly et celle de Grace. Car ce roman pose avec justesse la question du formatage de l’individu à un système de pensée unique et combien il est difficile de s’en affranchir. Ce qui fait réfléchir aussi, c’est que les années 1960, ce n’est pas si loin : je me dis qu’il y a eu du chemin de parcouru depuis, certes, mais qu’il en reste encore à faire…
A l’ombre du grand arbre, on remplit de nouveau les tasses de thé….
Céline (Le Tiroir à histoires) parle de sa lecture qu’elle vient de finir. Une impression partagée…
Alors c’est paradoxal, parce que j’avais hâte d’en finir, non pas que le roman soit mauvais, mais l’histoire est pénible, ce harcèlement continuel et cette atmosphère malsaine et étouffante qui s’épaissit… La cruauté et la bêtise crasse de ce petit monde factice qu’est le lycée est aussi oppressante que la tension du contexte historique. Et en même temps, je trouve que Sweet Sixteen est trop court. Trop court dans le sens où les personnages ne sont pas assez creusés, on n’a pas vraiment le temps de s’y attacher. Par exemple, Grace qui est un personnage caricatural pendant les trois quart du roman devient presque trop subitement un être pensant. Du coup, le lecteur (enfin, moi en l’occurrence) reste sceptique.
Quant aux personnages secondaires, ils n’apparaissent que furtivement, et c’est très frustrant, car j’aurais voulu mieux connaitre la mère et la grand mère de Molly (il y a ici matière à faire de beaux personnages), Vince, les parents de Grace, Minnie. Personnellement, ça m’a manqué, et du coup je trouve que ça donne au roman quelque chose de trop abrupt et de presque un peu froid. C’est bien documenté et contextualisé, mais du coup ça vire presque à la petite leçon d’Histoire (très claire et très bien illustrée), alors qu’il pourrait y avoir une dimension plus romanesque, avec une galerie de personnages mieux construits et plus humains.
Bon, il ressort de ce que je viens d’écrire surtout du négatif, alors que mon impression est plutôt positive. C’était juste des premières remarques à chaud.
Kik : Dans la deuxième moitié j’ai également ressenti cette tension dérangeante. Je l’ai ressentie chez les deux jeunes filles. Il est impressionnant de sentir la pression familiale. Comment sortir de la pensée commune des Blancs, quand son entourage répète à longueur de journée que les Noirs ne sont que des animaux.
Selon moi l’auteure a voulu exposer, transmettre, mettre en avant, parler de cette épisode de l’Histoire de la ségrégation raciale aux USA.
Pépita : Effectivement, la tension monte crescendo au fil du roman, il faut aussi essayer de se mettre dans le contexte de l’époque, dans une mentalité ancrée dans les gènes presque…Comme Kik, je pense que l’auteure a voulu faire connaître cet épisode mais au travers des yeux de deux adolescentes, la nouvelle génération. Sans doute est-ce pour cela qu’elle n’a pas appuyé sur les autres personnages, comme tu le remarques Céline. Et finalement, si c’était Grace le personnage principal, et non pas Molly ? Si c’était justement ce changement que l’auteure a voulu réellement démontrer ?
Céline : Je suis d’accord avec Pépita, je pense que c’est effectivement Grace le personnage principal, ou en tout cas le personnage clé, puisqu’il s’agit de sa prise de conscience à elle. Oui, après coup, je vous rejoins et je pense que l’auteure a volontairement fait le choix de « gommer » son histoire personnelle, familiale, et d’en faire une adolescente américaine archétypale pour mieux faire comprendre au lecteur ce contexte et ce conditionnement social dont on a du mal à réaliser qu’il soit si récent, comme le disait Kik.
Sinon, je ne sais pas si vous aviez lu La Couleur des Sentiments, de Katherine Stockett, mais il me semble qu’Annelise Heurtier y fait plusieurs clins d’œil dans les quelques scènes où interviennent les bonnes Martha et Minnie (homonyme d’un des personnages les plus attachants du roman de Stockett).
Bouma : Effectivement, j’ai trouvé le personnage de Grace d’une importance centrale. Elle permet de comprendre que sans une évolution des mentalités du côté des « blancs » rien n’aurait été possible, encore moins un Président noir.
Sinon pour en revenir au roman, et à son style, j’ai vraiment beaucoup aimé l’intensité des derniers chapitres, le stress qui monte autour de la remise des diplômes, et la violence de certains évènements. Avec cette montée crescendo, j’ai presque été un peu déçue de la fin, abrupte. J’aurais bien suivi le destin de ses deux jeunes filles pour quelques années supplémentaires.
Puis-je ravoir un peu de thé ?
Le groupe s’étoffe petit à petit au pied de l’arbre…
Alice : Tiens un transat de libre au pied du Grand Arbre !!! Coucou les copinautes ! HUUUUM, ça sent bon le thé, je me sers une tasse et attrape Sweet Sixteen dans mon sac pour ce RDV lecture.
Carole : tiens, tiens me revoilà sous l’arbre auprès de mes copinautes !
Sweet sixteen, lu dans le train du retour de vacances, me rappelle que cette semaine aux USA on fête l’anniversaire du discours de Martin Luther King et sa célèbre phrase » I have a dream.. » 50 ans après, où en est-on ? Certes Barack Obama est un président noir, mais dans la société moderne où en sont les mentalités ? Je m’interroge… En attendant, je trouve la couverture du roman d’Annelise Heurtier sublime, et que j’aime ce titre !
Kik : D’ailleurs c’est vrai cette histoire d’anniversaire des 16 ans? « Sweet Sixteen ». C’est un événement important aux USA d’avoir 16 ans ?
Céline : Oui, mais au Royaume-Uni aussi d’ailleurs. Il y a aussi un film de Ken Loach (que je vous conseille absolument si vous ne l’avez pas vu !) intitulé Sweet Sixteen, avec une ironie un peu amère, car le héros de 16 ans est loin de la jeunesse insouciante où tout parait possible.
Carole : oui ça l’est, et au Canada aussi. Cela se traduit généralement par une fête où l’on célèbre le passage à l’âge adulte. C’est assez exubérant, en fonction du niveau social, et il y a des rituels. Enfin, comme dans pas mal de mariages on retrouve souvent lors de la fête une diffusion de vidéo photo montage retraçant la vie de la jeune femme dont on fête l’anniversaire avec des photos allant de sa naissance à ses 16 printemps !
Kik : Au fait, vous avez lu d’autres livres en lien avec la ségrégation raciale aux USA post-seconde guerre mondiale ? Comme le souligne Carole, cela fait aujourd’hui 50 ans que Martin Luther King a prononcé son discours I have a dream.
Céline : Oui, plein ! Je suis angliciste et je me suis intéressée aux représentations raciales dans la littérature et au cinéma aux USA pendant mes études (mais ça commence à remonter à loin…). Chaque moi de juin, je fais avec mes 3 ème une séquence sur la ségrégation aux Etats Unis, Rosa Parks, et le tableau de Norman Rockwell.Sinon, je lis toujours beaucoup de littérature Américaine, pas forcément jeunesse, (mais après tout, y-a-t-il vraiment une frontière ?)
Quelques titres de romans marquants me viennent à l’esprit : Black Boy, de Richard Wright, L’Homme Invisible de Ralph Ellison, et bien sûr le dernier roman de Toni Morrison : Home.
Carole : Il y a l’arbre aux fruits amers d’Isabelle Wlodarczyk, chez Oskar éditeur, un coup de cœur de juillet pour moi.
Alice : Je pense aussi a un livre Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee. Ça se passe avant la Seconde Guerre Mondiale mais je sais que c’est un titre aussi étudié par les lycéens. De quoi sensibiliser les jeunes esprits à la ségrégation raciale.
Vous avez remarqué comme ce livre multiplie les beaux personnages de femmes : Molly, sa mère, sa grand-mère, Grâce… Des femmes fortes, décidées, qui se battent et maintiennent leurs convictions envers et contre tous. Personnages principaux ou secondaires, elles se soutiennent et sont unies. C’est pas la première fois que je remarque ça en littérature jeunesse : l’investissement et la lutte des femmes pour l’égalité et la reconnaissance de tous. (Alodga Power, Woman Power !)
Pépita : Oui, je rebondis sur ces visages de femmes : comme vous, elles m’ont insufflée une force d’âme ces trois générations de femmes noires dans leur combat quotidien. Tout comme d’ailleurs le collectif de femmes blanches qui défend ses idéaux coûte que coûte ! On dirait une armée de coqs ! Et je suis d’accord avec toi, Bouma, j’aurai aimé un roman un peu plus long…
Avez-vous remarqué combien le combat politique était passionné ? Les femmes sur le terrain, les hommes du côté de la sphère juridique ?
Carole : les personnages féminins me font penser à cette citation de Sören Kierkegaard : « La nature féminine est un abandon sous forme de résistance ». Plusieurs générations de femmes qui se battent, qui luttent, pour leurs droits et ceux des générations futures. Personnellement, j’y suis sensible. Quant au combat politique comme le souligne Pépita, « A cœur vaillant, rien d’impossible » !
Ça papote toujours à l’ombre du grand arbre. On s’éloigne peu à peu du sujet, mais le roman est toujours posé là entre nous. Un groupe de femmes qui parlent des femmes du roman. Et puis arrive Nathan… Le teint foncé par toutes les journées passées à la plage cet été. Il semble sortir d’un songe. « Ah mais, vous l’avez déjà toutes lu Sweet Sixteen ? »
Il l’avait emmené dans son sac à dos. Il s’est assis là. Il sentait bien qu’il arrivait à la fumée des cierges, mais peu importe, il avait envie de partager ses sentiments sur ce roman …
Nathan : Coucou tout le monde ! Je m’incruste dans le groupe, sors de ma rêverie, regagne le sol, l’herbe et les feuilles qui bruissent dans le vent. Retour à la réalité, c’est bientôt la rentrée, finie la rêverie !
Et pour une rêverie, c’en était une ! Gagné par le soleil j’ai oublié Sweet Sixteen au fond de ma bibliothèque, il n’a pas vu le soleil…
Et pour une rentrée, c’en est une ! Là entre vous toutes, je saisis le livre et me laisse gagner par les mots. Les mots qui traitent d’une rentrée bien particulière…
Après tout, un avis masculin sur tous ces personnages féminins, ça pourrait être intéressant ?
Je suis sous le charme de l’art de la narration dont semble naturellement dotée l’auteure, je suis sous le charme de cette enfant touchante, Molly, qui aimerait bien que les choses changent. Et si je rejoins Pépita sur le fait que cette période de l’histoire me semble peu connue, je n’ai pas pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec l’actualité. Peut-être que je rapporte trop ce que je lis parfois à ces événements qui me marquent en tant qu’adolescent, mais voir ces Noirs discriminés souvent avec une violence inouïe (qui heureusement n’existe plus aussi facilement aujourd’hui, du moins en France …) m’a forcément rappelé tous ces homosexuels qui ne demandent que le droit d’aimer comme ils l’entendent.
La longueur du roman ne m’a pas particulièrement gêné. J’ai même trouvé le début un peu long. On suit l’avancée du programme qui va avoir lieu, puis est annulé, puis reprend … Annelise Heurtier semble avoir voulu respecter une certaine rigueur historique, mais ça n’était peut-être pas la peine.
A part cela, j’ai facilement accroché à l’histoire et bien que le personnage de Grace m’ait particulièrement agacé, j’ai trouvé son évolution intéressante. Je suis assez d’accord pour dire que c’est peut-être elle le personnage principal et non Molly qui va se mettre tout le monde, jusqu’aux siens, à dos et qui par son courage et sa grandeur d’âme va (peut-être) faire évoluer les choses.
Je n’ai pas lu d’autres romans sur la ségrégation raciale, en revanche j’ai vu le très beau film La couleur des sentiments et ai à mon tour retrouvé les allusions dont parlait Céline du Tiroir. Ces femmes fortes qui se battent pour leurs causes que ça soit du côté raciste ou de l’autre. Ce sexisme encore apparent en fond.
Pour conclure, Sweet sixteen est pour moi un roman court et facile d’accès pour en apprendre plus sur cette période historique importante pour rappeler qu’avoir un président des Etat-Unis noir, ça n’a pas été facile. Et si les choses ne sont pas encore parfaites, les choses et les mentalités ont déjà beaucoup évolué. Une belle leçon d’histoire pour les évènements actuels ?
Sweet sixteen : La fête tourne ainsi autour du chiffre 16 que l’on retrouve dans des jeux, dans la musique ou encore les boissons. Une autre tradition importante est la composition du gâteau d’anniversaire dont les 16 bougies ont une signification bien particulière :
La première bougie représente les parents
La seconde est en l’honneur des grands parents
La troisième évoque généralement les frères et sœurs
Les bougies 4, 5, 6, et 7 sont pour le reste de la famille
Tandis que les bougies 8, 9, 10, 11, 12, 13, et 14 mettent à l’honneur les amis !
La bougie numéro 15 est réservé à la meilleure amie.
Et la 16è pour le ou la petite amie.
Le temps a filé, la théière s’est vidée, un moment riche de partage comme on en vit sous notre grand arbre, d’autres livres se sont échangés entre nous pour d’autres lectures communes…
Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier, publié par Casterman en 2013.
Pour aller plus loin, nos billets sur nos blogs :
–Les lectures de kik
–3 étoiles
– Un petit bout de (bib)
– Maman Baobab et son interview de l’auteure
– A lire aux pays des merveilles
– Méli-Mélo de livres
– Le tiroir à histoires