Notre autrice essentielle : Annelise Heurtier

En cette rentrée, nous vous proposons une nouvelle rubrique : nos auteur.e.s essentiel.le.s !
L’idée est de vous y présenter sous des formes variées les œuvres d’un.e auteur.e à l’univers fort, dont nous aimons toutes les œuvres.

Comme c’est en interviewant Annelise Heurtier en avril dernier qu’est née cette envie, il nous a paru logique de commencer par ses romans. Voici donc les œuvres qui nous ont le plus touchées, présentées sous forme de lettre à un personnage, d’abécédaire ou d’une interview.

*

Le choix de Colette

Combien de terre faut-il à un homme ? Annelise Heurtier, Raphaël Urwiller, d’après Tolstoï, Editions Thierry Magnier, 2014.

2 août 2023

Cher Pacôme,

je vous écris depuis le XXIe siècle où votre histoire résonne encore et toujours. TRAGIQUEMENT. Combien de terre faut-il à un homme ? A l’heure où l’humanité a épuisé les ressources renouvelables en un an de la planète, nous pourrions même transformer la question en mettant une majuscule au mot Terre.

Cher Pacôme, vous chez qui j’ai senti l’amour de la terre, celle qui nourrit, qui fleurit, qui enveloppe, qui soutient, pourquoi n’avoir pas su vous réjouir de votre « petit champ balayé par les vents » , de l’odeur du bortsch qui flotte dans l’isba où se réunit toute votre famille à l’heure du déjeuner ? Je vous pose cette question, Pacôme, mais je ne vous blâme pas. Moi aussi, souvent je suis animée de l’irrépressible besoin de posséder. Il faut dire qu’encore plus qu’à votre époque, toute la société dans laquelle je vis m’y encourage. Mais j’ai une bonne nouvelle cependant, mon cher Pacôme, il me semble que des hommes et des femmes, ici ou là, chantent désormais un nouveau refrain, un refrain qui loue la sobriété, l’humilité et la gratitude. Un refrain sans doute semblable aux chants des Bachkirs dont je nous souhaite d’entendre les joyeuses leçons, celles que nous n’avez pas reconnues mais qui grâce à votre histoire parviennent à nos oreilles aujourd’hui. Je nous souhaite comme eux de nous retrouver au son des balalaïkas, des kalimbas et autres târs pour célébrer nos jardins, nos forêts, nos déserts et tous nos « petits champs balayés par les vents ». De là où vous êtes, mon cher Pacôme, j’espère que vous entendrez ce chant.

Colette, collectionneuse de papillons et de jolies histoires.

******

Le choix de Lucie

La fille d’avril, Annelise Heurtier, Casterman, 2018.

Bonjour Izia ! Peux-tu nous expliquer ton rôle dans La fille d’avril ?
Je n’apparais que très peu ! Je suis un peu le catalyseur, l’excuse qui permet à ma grand-mère de raconter sa jeunesse.

Qu’as-tu découvert ?
Tout ! J’adore ma grand-mère, mais je n’avais jamais pris le temps de l’interroger sur sa vie. A travers son histoire j’ai beaucoup appris sur notre famille, son parcours, mais aussi sur la condition des femmes dans les années 60.

Quelles informations t’ont le plus marquée ?
Ce n’est peut-être pas l’essentiel, mais j’ai trouvé que les détails concrets étaient particulièrement signifiants. Le fait qu’il n’existait pas de baskets pour les femmes, l’harnachement nécessaire pour les règles, l’interdiction de porter des pantalons, et cette méconnaissance de la physiologie féminine ! Je savais que cela avait existé mais je n’imaginais pas que ma grand-mère l’avait vécu !

Pour finir, cette discussion a-t-elle changé ton regard sur ta grand-mère ?
A l’amour que je lui porte s’est ajouté une immense admiration pour sa force et sa ténacité. Qu’elle ait partagé son histoire et ses rêves nous a rendu encore plus complices qu’avant. J’adore ça !

*****

Le choix d’Isabelle

Sweet Sixteen, Annelise Heurtier, Casterman, 2013

Chère Molly,

Nous vivons dans des époques et des pays différents mais nous partageons les mêmes rêves : des rêves d’égalité, d’une éducation digne de ce nom.

Hier comme aujourd’hui, cela ne coule pas de source, même quand on a la loi de son côté. Tu en as fait l’amère expérience en 1957, suite à la décision de la cour suprême américaine de mettre fin à la ségrégation dans les écoles publiques américaines. Forte de tes espoirs et confiante en tes capacités, avec huit autres élèves noirs, tu t’es inscrite au lycée le plus prestigieux de Little Rock jusque-là réservé aux Blancs. Réalisais-tu le pas que cela représentait, le courage immense qu’il vous faudrait face à l’hostilité des 2500 autres élèves et à la violence des réactions qui embrasèrent toute la ville, obligeant le président Eisenhower à vous faire protéger par l’armée ? Nulle vexation, humiliation ou intimidation ne vous aura été épargnée. Je n’ose imaginer à quel point cette année, qui devait être celle de tes Sweet Sixteen, a été dure. Personne, et surtout aucun enfant, ne devrait avoir à traverser de telles épreuves. Je voudrais pouvoir les effacer mais je n’en ai pas le pouvoir.

Ce que je peux faire, c’est te dire que cela n’aura pas été en vain. Tu as écrit une page importante de l’histoire des droits civiques. En t’exposant en première ligne, tu es devenue une pionnière de la conquête de nouveaux droits au respect et à l’éducation. Tu as contribué à repousser l’horizon des possibles pour des milliers de personnes. J’ai été bouleversée par la volonté sans faille que toi et les autres avez opposée à la foule forcenée. Alors certes, les mentalités n’évoluent que lentement et difficilement. Mais les Little Rock Nine et toi avez prouvé que pas à pas, les luttes émancipatrices peuvent faire bouger les lignes.

Pour ton courage et ta contribution à une société plus égalitaire, merci !

Isabelle

******

Le choix de Liraloin

Des sauvages et des hommes, Annelise Heurtier, Casterman, 2022

HOMME

H :  je t’ai vu, au début je n’ai pas osé te regarder, tu es un homme si différent. J’étais certainement impressionné par cet accoutrement tellement loin de ce que je connais car je vis ici et toi là-bas mais quelque chose en moi me pousse à vouloir te connaître.

O : c’est un peu comme cette cage, cet enfermement qui nous rapproche, il n’y a pas de début ni de fin, juste un trait qui se rejoint. Toi, ici, loin de chez toi, moi, ici, chez moi mais en aucune façon libre de choisir ma voie et mon destin.

: comme cette mer que tu as traversé pour venir dans ce lieu d’espoir, d’avenir pour ta famille restée au pays. Une famille qui attend beaucoup de toi, c’est un poids sur les épaules que je ressens également. Héritage infernal, vie toute tracée…

M : comme le mensonge, à toi l’espoir vite brisé par cette gigantesque mascarade. A moi cette honte qui m’envahit en pensant à ce que des hommes peuvent créer et imaginer pour s’enrichir, n’hésitant pas à anéantir ses propres semblables.

: Egalité :  voilà ce que j’écris depuis ce matin, car aujourd’hui ma décision est prise et j’irais là où personne ne m’attend, j’irais contre tous quitte à être chassé, banni et rejeté. Je suis prêt !

*****

Le choix de Blandine

Le carnet rouge. Annelise HEURTIER. Casterman romans, 2011

Lycénne de 16 ans, Marie
Emotions d’adolescence et d’identité

Chercher à connaître malgré les silences de sa mère
Alex, l’ami précieux
Révélations par les pages d’un carnet confié
Népal, pays des origines
Enfant-Déesse Kumari
Traditions hindouistes et bouddhistes

Relations mères-filles à apaiser
Ouvrir, communiquer, grandir, s’émanciper
Un roman aux thématiques entremêlées
Grande sensibilité d’écriture
Et avoir envie d’en découvrir davantage

*****

Et vous, quel roman d’Annelise Heurtier préférez-vous ? Que pensez-vous de cette nouvelle rubrique ?

Entretien avec Annelise Heurtier

Sous le Grand Arbre, nous apprécions beaucoup les romans d’Annelise Heurtier. Ils figurent d’ailleurs régulièrement dans nos coups de cœur ou nos sélections thématiques. Qu’elle nous fasse voyager dans le temps ou dans l’espace, les thématiques qu’elle aborde nous touchent. Et vous aussi, puisqu’elle a reçu le prix ALODGA 2019 catégorie « Belles branches » pour La fille d’Avril !
Aussi, c’est avec un immense plaisir que nous la voyons aujourd’hui répondre à nos questions.

Annelise Heurtier au salon du livre de Tahiti.

***

Pensez-vous qu’il y a des impératifs particuliers ou des écueils à éviter lorsque l’on écrit pour la jeunesse ?

Je crois qu’il faut déjà distinguer deux types de littérature « jeunesse », celle qui s’adresse aux enfants et celle qui est destinée aux ados.
Dans le premier cas, mon processus d’écriture est moins spontané, moins fluide, car je dois m’adapter à mon lecteur. On n’écrit évidemment pas pour un enfant de 8 ans comme pour un ado de 15. Et je trouve d’ailleurs qu’il est bien plus délicat de s’adresser aux enfants (on pense à la fameuse phrase de Janusz Korczak). Il faut maintenir le niveau d’attention, utiliser un vocabulaire adapté – ce qui ne veut pas dire « simplifier », pour moi la lecture est un media essentiel pour enrichir le vocabulaire et la syntaxe – , rester dans l’action. Je crois qu’il est aussi essentiel de ne pas être trop abstrait tant que l’enfant n’a pas acquis la faculté correspondante (autour de 7 ans), sinon il passera complètement à côté.
Sur le fond, je ne pense pas qu’il existe de sujets vraiment interdits. Par contre, le traitement va être adapté. Mais tout est une question de bon sens.

Dans le cas de la littérature ado, je ne vois pas une grande différence avec la littérature générale, en tous cas au niveau de la forme. Après – mais là encore il s’agit d’une opinion personnelle – le seul impératif que je me fixe concerne le fond. Dans un roman pour ado, je crois qu’il faut toujours une dose d’espoir, quel que soit le sujet abordé. Par exemple, si j’avais écrit Refuges en littérature générale, peut-être qu’aucun de mes personnages n’aurait survécu à la traversée. En l’occurrence, dans le dernier chapitre, c’est un enfant à naitre dont on entend la voix, dans le ventre de sa mère.
Nous sommes nombreux, en tant qu’adultes, à être un peu désabusés par le monde dans lequel on vit, et/ou par nous-mêmes. Les ados auront bien le temps de s’en rendre compte, ne les pressons pas sur cette pente-là.

Refuges, Annelise Heurtier, Casterman, 2015.

Vos romans intègrent souvent des éléments historiques ou géographiques très précis. Ces éléments découlent-ils de l’histoire, ou l’intrigue peut-elle survenir de l’envie d’aborder un fait historique ou une région du monde ?

Plutôt la deuxième option ! En général, l’idée débute avec un fait (c’est le cas pour Des sauvages et des hommes, Le carnet rouge, Chère Fubuki Katana, La fille d’avril) ou une région du monde / une période en particulier (Là où naissent les nuages, Sweet Sixteen) qui m’interpellent en tant que personne. C’est toujours de cette façon que cela commence pour moi : une émotion.

Une fois l’émotion transformée en projet d’écriture, comment travaillez-vous sur de tels faits ? Laissez-vous libre cours à votre imagination ou vous appuyez-vous sur des recherches ?

Proposer ce genre de romans implique nécessairement un lourd travail de documentation, qu’il s’agisse de témoigner d’une histoire ayant vraiment eu lieu (Sweet Sixteen, Des sauvages et des hommes) ou de simplement de s’inspirer d’un endroit, d’un fait existant (par exemple les agences de location et les Burakumin du Japon pour Chère Fubuki Katana ou l’interdiction de faire de la course à pied pour les femmes des années 60 pour La fille d’avril).
Le deuxième cas est plus confortable que le premier, car il n’y a pas la crainte de trahir involontairement la réalité. Ce devoir d’honnêteté envers le lecteur est primordial pour moi, il faut que je puisse lui apporter l’assurance que les écarts romanesques que je prends ne sont finalement « qu’anecdotiques ». Ce que je veux pouvoir garantir, c’est que l’histoire aurait pu se dérouler de cette façon, car le contexte, les modes de pensées sont fidèles à la réalité. Au-delà de destinées particulières, je dépeins des époques, des modes de vie, des systèmes de pensée parfois très éloignés des nôtres, et ce sont précisément ces confrontations que je trouve intéressantes.
Cette phase de recherches peut durer jusqu’à plusieurs années et se base sur l’exploitation de ressources multiples : romans, essais, films, documentaires, carnet de voyage. Quand cela est possible je réalise des interviews. Cela s’apparente un peu à un travail de journaliste, finalement. Et cela me passionne !

Vos romans sur les « Little Rock Nine » ou les néocalédoniens exposés dans des zoos humains en France au XXe siècle adoptent la perspective de minorités auxquelles vous n’appartenez pas. Que pensez-vous des débats autour de l’idée d’appropriation culturelle ?

J’aime à penser que tous les avis sont légitimes tant qu’ils sont exprimés dans le respect, la bienveillance et la bonne foi, or j’ai l’impression que ce n’est pas toujours le cas. Cela m’attriste d’autant que je comprends et je respecte cette envie d’aller vers davantage de représentativité.
En ce qui concerne les deux romans que vous citez, j’ai pu lire quelques chroniques qui sont plus dans l’agression que dans la discussion et la progression. Et puis je relève parfois ce que je considère comme des non-sens.
On me reproche par exemple le « white-saviorism » dont feraient montre ces romans.
J’ai expliqué plus haut que je me fixe pour objectif de dépeindre une époque et un contexte avec le plus de fidélité possible. Or justement, pour ces deux romans, malheureusement, l’oppression et le système étaient tels que cela pouvait difficilement se passer autrement que comme je le décris. Les kanaks de Des sauvages et des hommes auraient difficilement pu s’en tirer seuls. Ils n’avaient aucune latitude d’action. On les a manipulés, on leur a fait peur, en leur rappelant qu’ils n’étaient pas citoyens et qu’ils n’avaient aucun droit. Et que s’ils protestaient de quelque façon que ce soit, ils couraient le risque d’être emprisonnés et de ne jamais revoir leur ile…Sans compter le fait que c’était la première fois qu’ils quittaient la Calédonie et qu’ils se retrouvaient propulsés dans cette immense capitale où tout leur était absolument étranger.  
Au final, je trouve que reprocher ce « white- saviorism » serait comme reprocher à un roman qui se déroule dans les années 50 d’être patriarcal…C’est à l’époque, à l’Histoire qu’on peut reprocher quelque chose. Pas aux romans qui le dénoncent.
 On m’accuse également d’ « empêcher les personnes concernées de parler ». Je n’empêche personne de s’exprimer sur quelque sujet que ce soit. Même si je le souhaitais, comment le pourrais-je ? Il y a de la place pour tout le monde. Tout le monde peut écrire et envoyer son manuscrit, d’autant qu’il existe aujourd’hui une réelle volonté de la part des éditeurs de donner la parole à des minorités sous-représentées.  
Par ailleurs, que signifie ce mot, « concerné » ?
Pour Sweet Sixteen, les seules personnes réellement concernées sont les Neuf de Little Rock, et certains ont écrit leur biographie. Il existe par ailleurs un très grand nombre de livres ou d’essais (en langue anglaise) sur le sujet. Je n’ai donc rien empêché du tout, et je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose que d’avoir voulu faire connaître cette histoire de ce coté de l’Atlantique. On a toujours à apprendre du passé, ne serait-ce que pour analyser le présent à la lumière de ce qui s’est produit avant.
Par ailleurs, cette notion d’être « concerné » ou pas me semble dangereuse. En compartimentant, en séparant, elle me semble recréer ce contre quoi elle veut lutter.
Tout cela me peine, car personnellement c’est en tant qu’être humain que je me sens concernée.
Je me sens concernée par ce qui ne tourne pas rond dans ce monde et je ne crois pas que quelque caractéristique que ce soit m’empêche d’être en empathie avec ceux qui souffrent. Je ne prétendrai jamais ressentir toutes ces souffrances car je ne les vis pas, mais j’ai le droit de dire qu’elles me font mal. Je suis consciente d’être privilégiée alors que je n’ai rien fait pour cela (connaissez vous la sublime chanson de Clarika, Tu l’as bien mérité ?) et ma manière à moi de lutter contre cette culpabilité est sûrement de faire ce que je peux, avec mes moyens à moi.
Je crois que si on veut défendre les minorités oppressées, il serait plus judicieux de s’attaquer aux oppresseurs… et pas à ceux qui essayent, imparfaitement ou maladroitement peut-être, de les défendre. A fortiori quand ces minorités n’ont même pas la possibilité de s’exprimer ! En attendant qu’elles le puissent, ou pour qu’elles le puissent un jour, il est sûrement heureux que d’autres les aident en faisant connaître ce qu’elles subissent.

Je finirai en évoquant deux beaux souvenirs.   
D’abord avec Des sauvages et des hommes. Lors d’un récent voyage en Polynésie, une jeune fille kanak est venue me voir pour me remercier de l’avoir écrit. Elle était touchée que quelqu’un s’intéresse à l’histoire de son peuple et dénonce ce que l’état colonial y a fait. Elle était également heureuse que l’on parle de son île de cette façon-là, en en montrant la richesse et la complexité de la culture.
Pour Sweet Sixteen ensuite. Il y a quelques années, une jeune fille a expliqué à la fin d’une rencontre scolaire que ce livre avait changé sa vie. Parce qu’elle avait grandi dans un milieu raciste et qu’elle, « naturellement », avait embrassé les idées de sa famille. Mais que ce roman avait fait voler en éclats ces certitudes. Et qu’elle savait que désormais, elle ne serait plus jamais raciste de toute sa vie.
N’est ce pas incroyable ? Si ce livre a pu changer le parcours d’une seule personne, je suis heureuse de l’avoir écrit.
Mais il est clair que ces accusations me peinent. Si je veux voir le côté positif, elles me permettent également d’apprendre en me faisant me poser des questions.

Vous avez également pris l’initiative d’adapter sous forme d’albums illustrés des textes classiques de Guy de Maupassant (La Parure) ou de Léon Tolstoï (Combien de terre faut-il à un homme ?) Quelle idée originale ! Comment vous est-elle venue ?

J’adore ce genre de littérature, surtout les romans et nouvelles réalistes du 19e. Je crois qu’aujourd’hui encore c’est la littérature que je préfère, et c’est peut-être la raison pour laquelle mes romans sont de facture assez classique.
Il y a quelques années, quand j’ai découvert Combien de terre faut-il à un homme, je me suis dit qu’il était trop dommage que l’objet- livre soit si austère (police minuscule, papier très fin, recueil comprenant beaucoup de nouvelles). J’ai donc pensé à l’adapter en album.
Deux ans plus tard, la même nouvelle est sortie en version BD, rayon littérature générale. Le succès a été fulgurant. Je me rappelle avoir été navrée du fait que dans les médias, les journalistes s’accordent tous à saluer l’auteur pour avoir eu l’idée géniale de sortir cette nouvelle de son triste habit… alors que nous l’avions fait 2 ou 3 ans auparavant. Mais c’est souvent ainsi, la littérature dite de jeunesse est encore trop méprisée, et peut-être encore davantage dans le milieu littéraire lui-même (mais cela change un peu !).

A propos de la littérature justement, nous serions très curieuses d’en savoir plus sur la manière dont vous travaillez concrètement. Avez-vous des rituels d’écriture ? Des horaires définis ? Travaillez-vous généralement sur un seul projet ou vous arrive-t-il d’en développer plusieurs en même temps ?

Je n’ai pas vraiment de rituel et je passe souvent de longs mois sans rien écrire. Je mène un seul projet de roman à la fois, entre les recherches documentaires et l’impact psychologique qu’ont les personnages sur moi, je ne peux pas faire autrement. Par contre, si les projets sont moins engageants (albums ou romans première lecture), je peux en mener plusieurs de front.
J’ai souvent l’impression que je suis moins productive que d’autres mais je ne me sens pas capable d’écrire davantage. Et j’ai besoin de faire d’autres activités, ce qui n’arrange pas ce syndrome de l’imposteur : du yoga, de la cuisine, de la course à pied…

Travaillez-vous avec un plan de votre roman ?

Je ne commence jamais à me lancer dans l’écriture si je n’ai pas l’architecture de mon texte. Ce n’est pas un plan détaillé, d’ailleurs souvent il n’est même pas rédigé, mais il faut qu’il existe dans ma tête. Je sais d’où je pars, je sais où je dois arriver, ce que je veux « résoudre », ce dont je veux parler. Je connais aussi la personnalité des protagonistes avant de commencer. Pour moi c’est indispensable, car à chaque fois que je dois commencer un nouveau roman, je suis très inquiète à l’idée de ne pas y parvenir. Avoir un fil conducteur est primordial, c’est une sorte de fil d’Ariane.

Peut-être est-ce grâce à ce fil d’Ariane, mais nous trouvons que vous avez toujours le ton juste entre le sujet abordé et la manière dont vous le traitez. Comment arrivez-vous à cet équilibre ?

Merci beaucoup ! Mais je n’en sais rien du tout 😊

Vous collaborez avec différents éditeurs. Savez-vous dès l’écriture que votre roman conviendra plus à l’un ou à l’autre ? Vous arrive-t-il de répondre à des commandes de leur part ?

C’est plutôt une question de genre, finalement. Par exemple, pour l’instant en tous cas, je ne vais pas publier des romans ado chez deux éditeurs différents. Au niveau des albums mes éditeurs sont en effet plus variés, même si j’essaie de limiter l’éparpillement. Par contre il est clair que certaines maisons ont des lignes éditoriales bien spécifiques, et que tous les textes ne conviennent pas à toutes. Je ne réponds pas souvent aux commandes, à part pour la presse. J’ai besoin d’être passionnée par un sujet pour m’en  emparer, d’avoir été émue ou puissamment interpellée. S’il ne vient pas de moi, c’est compliqué.

Lisez-vous les critiques de vos romans ? Êtes-vous plus attentive aux retours de la presse ou à ceux des lecteurs ?

Oui, je les lis, cela m’intéresse d’avoir les retours des lecteurs. Pour moi tous les avis sont légitimes, car on a tous des vécus, des personnalités, des goûts différents qui font que l’on va aimer un texte ou non. Et je trouve ce façonnage très intéressant.
Je ne prends jamais ombrage des avis négatifs, tant qu’ils ne sont pas de mauvaise foi et qu’ils se basent sur une lecture effective (il y a parfois des personnes qui commentent sans avoir lu le livre). A l’inverse, ils me font avancer sur mon propre chemin et ma connaissance de l’autre.

Avez-vous un droit de regard sur vos couvertures ?

Cela dépend des éditeurs. Certains vous y associent vraiment, d’autres moins ou même pas du tout. Je me souviens en particulier d’une couverture que je n’avais pas aimée, mais que je n’ai pas pu faire changer. C’est difficile à accepter, car la couverture est primordiale, c’est ce que l’on voit en premier de l’objet-livre… et quand elle ne vous semble pas adaptée à ce qu’il y a à l’intérieur, c’est un peu rageant et frustrant.
Il y a aussi les quatrièmes de couverture qui à elles seules peuvent faire plonger un roman ! Pour moi, ces aspects marketing ne sont pas vulgaires et j’aime en discuter avec les élèves que je rencontre. Ils sont toujours très intéressés quand je leur montre les couvertures de mes romans traduits. Elles nous permettent de nous interroger sur les différents choix éditoriaux qu’il est possible de faire et ce qu’ils révèlent d’une culture, par exemple.

***

Un grand merci à Annelise Heurtier pour sa gentillesse et sa disponibilité ! Nous espérons vous avoir donné envie de (re)découvrir ses romans.
En attendant, vous pouvez retrouver son blog ICI et les différents articles où nous avons évoqué son travail LA.

Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier

@Nathan


C’est l’été. Il fait beau. Il fait chaud. Pour lire, on est mieux à l’ombre du grand arbre. Pour les vacances, des transats ont été dépliés. Quelques piles de livres servent de table basse. Chacun bouquine en silence. Parfois une larme est essuyée au coin de l’œil, un rire fuse, très rarement on entend un soupir de déception. Je m’installe avec un mug rempli de thé. Il me reste une grosse dizaine de pages à lire, de Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier.

Kik : Le thé a refroidi, sans être bu. Le livre est posé sur mes genoux. Je m’interroge. Je relis la quatrième de couverture :

-Quand est-ce que tu avais prévu de nous en parler ? As-tu pensé aux conséquences de ta décision ? As-tu seulement compris que tu vas nous mettre en danger ?
Molly était d’abord restée sans voix, la bouche ouverte, hébétée.
– Un paquet de Noirs se sont fait lyncher, et pour moins que ça, ma petite fille ! avait hurlé sa mère.
Rentrée 1957.
Le plus prestigieux lycée de l’Arkansas ouvre pour la première fois ses portes à des étudiants noirs. Ils sont neufs à tenter l’aventure. Il sont deux mille cinq cents, prêts à tout pour les en empêcher.

Ce livre m’a plu car je ne connaissais pas l’histoire de ces étudiants. Ce livre me perturbe, car tout cela se passait il y a moins de 60 ans, dans le pays de la Statue de la Liberté. Je pose le livre sur le transat, je le laisse là, en espérant que quelqu’un d’autre aura envie de le lire. D’ailleurs, pourquoi cette histoire pourrait intéresser les autres ? Qui ? C’est si proche dans le temps, et pourtant si loin de l’actualité. Les USA ont un président noir, quand même.
Qui ? Pourquoi ?

Je laisse mes question en suspens, en espérant que l’ombre du grand arbre les transmette aux autres lecteurs du collectif…

Pépita : Quel coin tranquille Kik ! Merci pour l’invitation ! Pas de thé pour moi, merci… Parlons donc de ce livre …

Ce n’est sans doute pas un livre que j’aurai lu comme ça…Je commence à en lire des critiques (des bonnes) et je suis contente de l’avoir lu avant, pour me faire ma propre idée. Comme tu le soulignes, c’est un livre qui interpelle : la couverture, déjà, dans l’opposition qu’elle met en scène, on comprend déjà un peu mais un tout petit peu de quoi il s’agit. Et on se dit : ah oui, je vois, sur le racisme… Et puis le titre. Là, ma curiosité a été titillée. Et puis, j’ai lu la quatrième de couverture (je ne peux pas m’en empêcher, réflexe professionnel, alors que toi, je sais que tu ne la lis presque jamais ou à la fin) et là, je suis entrée dedans direct. Comme toi, je ne connaissais absolument pas ce pan de l’histoire des États-Unis, cela m’a semblé très loin tout d’abord puis je me suis posée beaucoup de questions…

Bouma nous a rejointes, s’installe avec sa tasse de thé et nous livre ses impressions…

C’est un livre que j’avais repéré sur un blog à sa sortie et en plus Annelise Heurtier est une auteure que j’ai plaisir à retrouver, donc je ne me suis pas trop posée de questions sur le pourquoi de cette lecture.
Par contre, même si le sujet est explicité dès les premières pages avec un avant-propos, j’ai eu du mal à comprendre où voulait nous emmener l’auteure. Le récit défile assez lentement et nous fait découvrir le quotidien d’une de ces neufs adolescents précurseurs ainsi que celui d’une jeune fille blanche allant au même lycée. Quel est le but final de ce roman ? Démontrer les avancements de la société (notamment américaine) ? Faire réfléchir les lecteurs sur la ségrégation et plus généralement sur le racisme ? Ou bien encore montrer qu’il faut bien un premier homme dans chaque évolution, quitte à ce qu’il se fasse lyncher ?

Pépita : Contrairement à toi, Bouma, je ne me suis pas du tout posée la question de la finalité de ce roman : l’auteure met en lumière un pan de l’histoire américaine très méconnu. A part Rosa Parks ou Martin Luther King, quelle autre lecture avons-nous de ces faits ? Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est le vécu de jeunes en devenir, c’est l’alternance des points de vue entre les deux jeunes filles, l’une noire et l’autre blanche et cela suffit à les opposer, alors qu’elles auraient pu être de très bonnes amies. Elles sont victimes cependant toutes deux d’un système. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis d’emblée attachée à Molly et aux deux figures féminines que sont sa mère et sa grand-mère. En tant que maman de deux lycéens, je me suis demandée quelles auraient été mes réactions, je dis mes, car je me place des deux côtés. Si j’avais été la maman de Molly et celle de Grace. Car ce roman pose avec justesse la question du formatage de l’individu à un système de pensée unique et combien il est difficile de s’en affranchir. Ce qui fait réfléchir aussi, c’est que les années 1960, ce n’est pas si loin : je me dis qu’il y a eu du chemin de parcouru depuis, certes, mais qu’il en reste encore à faire…

A l’ombre du grand arbre, on remplit de nouveau les tasses de thé….

Céline (Le Tiroir à histoires) parle de sa lecture qu’elle vient de finir. Une impression partagée…

Alors c’est paradoxal, parce que j’avais hâte d’en finir, non pas que le roman soit mauvais, mais l’histoire est pénible, ce harcèlement continuel et cette atmosphère malsaine et étouffante qui s’épaissit… La cruauté et la bêtise crasse de ce petit monde factice qu’est le lycée est aussi oppressante que la tension du contexte historique. Et en même temps, je trouve que Sweet Sixteen est trop court. Trop court dans le sens où les personnages ne sont pas assez creusés, on n’a pas vraiment le temps de s’y attacher. Par exemple, Grace qui est un personnage caricatural pendant les trois quart du roman devient presque trop subitement un être pensant. Du coup, le lecteur (enfin, moi en l’occurrence) reste sceptique.
Quant aux personnages secondaires, ils n’apparaissent que furtivement, et c’est très frustrant, car j’aurais voulu mieux connaitre la mère et la grand mère de Molly (il y a ici matière à faire de beaux personnages), Vince, les parents de Grace, Minnie. Personnellement, ça m’a manqué, et du coup je trouve que ça donne au roman quelque chose de trop abrupt et de presque un peu froid. C’est bien documenté et contextualisé, mais du coup ça vire presque à la petite leçon d’Histoire (très claire et très bien illustrée), alors qu’il pourrait y avoir une dimension plus romanesque, avec une galerie de personnages mieux construits et plus humains.
Bon, il ressort de ce que je viens d’écrire surtout du négatif, alors que mon impression est plutôt positive. C’était juste des premières remarques à chaud.

Kik : Dans la deuxième moitié j’ai également ressenti cette tension dérangeante. Je l’ai ressentie chez les deux jeunes filles. Il est impressionnant de sentir la pression familiale. Comment sortir de la pensée commune des Blancs, quand son entourage répète à longueur de journée que les Noirs ne sont que des animaux.
Selon moi l’auteure a voulu exposer, transmettre, mettre en avant, parler de cette épisode de l’Histoire de la ségrégation raciale aux USA.

Pépita : Effectivement, la tension monte crescendo au fil du roman, il faut aussi essayer de se mettre dans le contexte de l’époque, dans une mentalité ancrée dans les gènes presque…Comme Kik, je pense que l’auteure a voulu faire connaître cet épisode mais au travers des yeux de deux adolescentes, la nouvelle génération. Sans doute est-ce pour cela qu’elle n’a pas appuyé sur les autres personnages, comme tu le remarques Céline. Et finalement, si c’était Grace le personnage principal, et non pas Molly ? Si c’était justement ce changement que l’auteure a voulu réellement démontrer ?

Céline : Je suis d’accord avec Pépita, je pense que c’est effectivement Grace le personnage principal, ou en tout cas le personnage clé, puisqu’il s’agit de sa prise de conscience à elle. Oui, après coup, je vous rejoins et je pense que l’auteure a volontairement fait le choix de « gommer » son histoire personnelle, familiale, et d’en faire une adolescente américaine archétypale pour mieux faire comprendre au lecteur ce contexte et ce conditionnement social dont on a du mal à réaliser qu’il soit si récent, comme le disait Kik.
Sinon, je ne sais pas si vous aviez lu La Couleur des Sentiments, de Katherine Stockett, mais il me semble qu’Annelise Heurtier y fait plusieurs clins d’œil dans les quelques scènes où interviennent les bonnes Martha et Minnie (homonyme d’un des personnages les plus attachants du roman de Stockett).

Bouma : Effectivement, j’ai trouvé le personnage de Grace d’une importance centrale. Elle permet de comprendre que sans une évolution des mentalités du côté des « blancs » rien n’aurait été possible, encore moins un Président noir.
Sinon pour en revenir au roman, et à son style, j’ai vraiment beaucoup aimé l’intensité des derniers chapitres, le stress qui monte autour de la remise des diplômes, et la violence de certains évènements. Avec cette montée crescendo, j’ai presque été un peu déçue de la fin, abrupte. J’aurais bien suivi le destin de ses deux jeunes filles pour quelques années supplémentaires.
Puis-je ravoir un peu de thé ?

Le groupe s’étoffe petit à petit au pied de l’arbre…

Alice : Tiens un transat de libre au pied du Grand Arbre !!! Coucou les copinautes ! HUUUUM, ça sent bon le thé, je me sers une tasse et attrape Sweet Sixteen dans mon sac pour ce RDV lecture.

Carole : tiens, tiens me revoilà sous l’arbre auprès de mes copinautes !

Sweet sixteen, lu dans le train du retour de vacances, me rappelle que cette semaine aux USA on fête l’anniversaire du discours de Martin Luther King et sa célèbre phrase  » I have a dream.. » 50 ans après, où en est-on ? Certes Barack Obama est un président noir, mais dans la société moderne où en sont les mentalités ? Je m’interroge… En attendant, je trouve la couverture du roman d’Annelise Heurtier sublime, et que j’aime ce titre !

Kik : D’ailleurs c’est vrai cette histoire d’anniversaire des 16 ans? « Sweet Sixteen ». C’est un événement important aux USA d’avoir 16 ans ?

Céline : Oui, mais au Royaume-Uni aussi d’ailleurs. Il y a aussi un film de Ken Loach (que je vous conseille absolument si vous ne l’avez pas vu !) intitulé Sweet Sixteen, avec une ironie un peu amère, car le héros de 16 ans est loin de la jeunesse insouciante où tout parait possible.

Carole : oui ça l’est, et au Canada aussi. Cela se traduit généralement par une fête où l’on célèbre le passage à l’âge adulte. C’est assez exubérant, en fonction du niveau social, et il y a des rituels. Enfin, comme dans pas mal de mariages on retrouve souvent lors de la fête une diffusion de vidéo photo montage retraçant la vie de la jeune femme dont on fête l’anniversaire avec des photos allant de sa naissance à ses 16 printemps !

Kik : Au fait, vous avez lu d’autres livres en lien avec la ségrégation raciale aux USA post-seconde guerre mondiale ? Comme le souligne Carole, cela fait aujourd’hui 50 ans que Martin Luther King a prononcé son discours I have a dream.

Céline : Oui, plein ! Je suis angliciste et je me suis intéressée aux représentations raciales dans la littérature et au cinéma aux USA pendant mes études (mais ça commence à remonter à loin…). Chaque moi de juin, je fais avec mes 3 ème une séquence sur la ségrégation aux Etats Unis, Rosa Parks, et le tableau de Norman Rockwell.rockwell-biggov-20110901Sinon, je lis toujours beaucoup de littérature Américaine, pas forcément jeunesse, (mais après tout, y-a-t-il vraiment une frontière ?)
Quelques titres de romans marquants me viennent à l’esprit : Black Boy, de Richard Wright, L’Homme Invisible de Ralph Ellison, et bien sûr le dernier roman de Toni Morrison : Home.

Carole : Il y a l’arbre aux fruits amers d’Isabelle Wlodarczyk, chez Oskar éditeur, un coup de cœur de juillet pour moi.

Alice : Je pense aussi a un livre Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee. Ça se passe avant la Seconde Guerre Mondiale mais je sais que c’est un titre aussi étudié par les lycéens. De quoi sensibiliser les jeunes esprits à la ségrégation raciale.

Vous avez remarqué comme ce livre multiplie les beaux personnages de femmes : Molly, sa mère, sa grand-mère, Grâce… Des femmes fortes, décidées, qui se battent et maintiennent leurs convictions envers et contre tous. Personnages principaux ou secondaires, elles se soutiennent et sont unies. C’est pas la première fois que je remarque ça en littérature jeunesse : l’investissement et la lutte des femmes pour l’égalité et la reconnaissance de tous. (Alodga Power, Woman Power !)

Pépita : Oui, je rebondis sur ces visages de femmes : comme vous, elles m’ont insufflée une force d’âme ces trois générations de femmes noires dans leur combat quotidien. Tout comme d’ailleurs le collectif de femmes blanches qui défend ses idéaux coûte que coûte ! On dirait une armée de coqs ! Et je suis d’accord avec toi, Bouma, j’aurai aimé un roman un peu plus long…
Avez-vous remarqué combien le combat politique était passionné ? Les femmes sur le terrain, les hommes du côté de la sphère juridique ?

Carole : les personnages féminins me font penser à cette citation de Sören Kierkegaard : « La nature féminine est un abandon sous forme de résistance ». Plusieurs générations de femmes qui se battent, qui luttent, pour leurs droits et ceux des générations futures. Personnellement, j’y suis sensible. Quant au combat politique comme le souligne Pépita, « A cœur vaillant, rien d’impossible  » !

Ça papote toujours à l’ombre du grand arbre. On s’éloigne peu à peu du sujet, mais le roman est toujours posé là entre nous. Un groupe de femmes qui parlent des femmes du roman. Et puis arrive Nathan… Le teint foncé par toutes les journées passées à la plage cet été. Il semble sortir d’un songe. « Ah mais, vous l’avez déjà toutes lu Sweet Sixteen ? »
Il l’avait emmené dans son sac à dos. Il s’est assis là. Il sentait bien qu’il arrivait à la fumée des cierges, mais peu importe, il avait envie de partager ses sentiments sur ce roman …

Nathan : Coucou tout le monde ! Je m’incruste dans le groupe, sors de ma rêverie, regagne le sol, l’herbe et les feuilles qui bruissent dans le vent. Retour à la réalité, c’est bientôt la rentrée, finie la rêverie !
Et pour une rêverie, c’en était une ! Gagné par le soleil j’ai oublié Sweet Sixteen au fond de ma bibliothèque, il n’a pas vu le soleil…
Et pour une rentrée, c’en est une ! Là entre vous toutes, je saisis le livre et me laisse gagner par les mots. Les mots qui traitent d’une rentrée bien particulière…
Après tout, un avis masculin sur tous ces personnages féminins, ça pourrait être intéressant ?

Je suis sous le charme de l’art de la narration dont semble naturellement dotée l’auteure, je suis sous le charme de cette enfant touchante, Molly, qui aimerait bien que les choses changent. Et si je rejoins Pépita sur le fait que cette période de l’histoire me semble peu connue, je n’ai pas pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec l’actualité. Peut-être que je rapporte trop ce que je lis parfois à ces événements qui me marquent en tant qu’adolescent, mais voir ces Noirs discriminés souvent avec une violence inouïe (qui heureusement n’existe plus aussi facilement aujourd’hui, du moins en France …) m’a forcément rappelé tous ces homosexuels qui ne demandent que le droit d’aimer comme ils l’entendent.
La longueur du roman ne m’a pas particulièrement gêné. J’ai même trouvé le début un peu long. On suit l’avancée du programme qui va avoir lieu, puis est annulé, puis reprend … Annelise Heurtier semble avoir voulu respecter une certaine rigueur historique, mais ça n’était peut-être pas la peine.
A part cela, j’ai facilement accroché à l’histoire et bien que le personnage de Grace m’ait particulièrement agacé, j’ai trouvé son évolution intéressante. Je suis assez d’accord pour dire que c’est peut-être elle le personnage principal et non Molly qui va se mettre tout le monde, jusqu’aux siens, à dos et qui par son courage et sa grandeur d’âme va (peut-être) faire évoluer les choses.
Je n’ai pas lu d’autres romans sur la ségrégation raciale, en revanche j’ai vu le très beau film La couleur des sentiments et ai à mon tour retrouvé les allusions dont parlait Céline du Tiroir. Ces femmes fortes qui se battent pour leurs causes que ça soit du côté raciste ou de l’autre. Ce sexisme encore apparent en fond.
Pour conclure, Sweet sixteen est pour moi un roman court et facile d’accès pour en apprendre plus sur cette période historique importante pour rappeler qu’avoir un président des Etat-Unis noir, ça n’a pas été facile. Et si les choses ne sont pas encore parfaites, les choses et les mentalités ont déjà beaucoup évolué. Une belle leçon d’histoire pour les évènements actuels ?

Sweet sixteen : La fête tourne ainsi autour du chiffre 16 que l’on retrouve dans des jeux, dans la musique ou encore les boissons. Une autre tradition importante est la composition du gâteau d’anniversaire dont les 16 bougies ont une signification bien particulière :

La première bougie représente les parents
La seconde est en l’honneur des grands parents
La troisième évoque généralement les frères et sœurs
Les bougies 4, 5, 6, et 7 sont pour le reste de la famille
Tandis que les bougies 8, 9, 10, 11, 12, 13, et 14 mettent à l’honneur les amis !
La bougie numéro 15 est réservé à la meilleure amie.
Et la 16è pour le ou la petite amie.

 

Le temps a filé, la théière s’est vidée, un moment riche de partage comme on en vit sous notre grand arbre, d’autres livres se sont échangés entre nous pour d’autres lectures communes…

Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier, publié par Casterman en 2013.

Pour aller plus loin, nos billets sur nos blogs :

Les lectures de kik
3 étoiles
 Un petit bout de (bib)
– 
Maman Baobab et son interview de l’auteure
– A lire aux pays des merveilles
– Méli-Mélo de livres
– Le tiroir à histoires