Billet d’été : des classiques illustrés

L’été, la détente, le farniente et… les listes de livres !

Que l’on ait noté les ouvrages qui nous faisaient envie tout au long de l’année ou que les titres soient suggérés par les enseignants, l’été nous permet d’accorder du temps à des lectures plus exigeantes que le reste de l’année. C’est donc le moment idéal pour (re)découvrir un classique.

Ces textes sont des valeurs sûres et ont l’avantage d’être souvent tombés dans le domaine public. Ce n’est donc pas un hasard si l’on voit paraître de plus en plus de « classiques illustrés ».

Les nouvelles éditions illustrées présentent deux avantages. Tout d’abord, elles désacralisent et dédramatisent le rapport au texte classique, le rendant plus accessible aux jeunes lecteurs. Car il semble plus abordable accompagné d’illustrations. Mais les versions illustrées proposent surtout l’appropriation d’une œuvre par un artiste, qui souvent l’enrichi de précieux détails visuels. Un texte puissant impose à l’illustrateur de se montrer à la hauteur !

Voici une petite sélection. Attention, ces éditions ne comportent pas toujours le texte intégral.

  • Des bandes dessinées
Le premier homme, Albert Camus, illustrations de Jacques Ferrandez, Gallimard Jeunesse, 2017.

Parallèlement à la jeunesse d’Albert Camus, Le premier homme évoque les différentes étapes de la colonisation de l’Algérie, de manière à la fois factuelle et nuancée. Les thèmes sont forts : recherche des origines, amour filial, poids de la pauvreté, éducation, et cette Algérie si chère à Camus.
Les dessins sont efficaces, les couleurs remarquables et les astuces mises en place quand les souvenirs assaillent le narrateur, bien vues.

L’avis de Lucie.

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Harper Lee, illustrations de Fred Fordham, Grasset, 2018.

Grand classique de la littérature américaine, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur raconte le procès d’un homme Noir accusé d’avoir violé une Blanche. Dans l’Alabama des années 1930, la petite communauté de Maycomb est violemment divisée. Le dessin de Fred Fordham est parfaitement adapté à Scout, la jeune narratrice : il est à la fois vif et doux. Certaines planches (la mare, l’incendie…) sont tout simplement somptueuses.

L’avis de Lucie.

Le baron perché, Italo Calvino, illustrations de Claire Martin, Jungle !, 2020.

Cette adaptation du conte philosophique d’Italo Calvino est une réflexion sur la propriété, la nature, l’amour et les conséquences de ses choix, avec une mise en images et en couleurs signée Claire Martin. La taille de l’album, la fraîcheur des illustrations et les couleurs, nous emportent d’arbre en arbre aux côtés de Côme. 

L’avis de Lucie.

  • Des romans graphiques
L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, Robert Louis Stevenson (texte intégral), illustrations de Maurizio A.C. Quarello, Sarbacane, 2018.

Les thèmes de L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde infusent longtemps après avoir tourné la dernière page. La double personnalité, l’acceptation de soi, le rapport aux autres, l’amitié, les pulsions, la perte de contrôle… Et cela tombe bien car les illustrations de Maurizio A.C. Quarello invitent à prendre notre temps pour les contempler : chacune semble être un tableau !

Les avis d’Isabelle et de Linda.

Et parfois ils reviennent… : Histoires de fantômes, Guy de Maupassant, Sheridan Le Fanu, Jerome K. Jerome, Gustavo Adolfo Bécquer, Robert E. Howard, Oscar Wilde, Tcheng Ki-Tong, Edgar Allan Poe (textes intégraux), illustrations de Maurizio A.C. Quarello, Sarbacane, 2020.

Les huit nouvelles choisies sont des classiques, efficaces, à la fois effrayantes et pleines d’humour noir. Chacune d’elle est magnifiée par les illustrations de Maurizio A.C. Quarello, merveille de finesse et vraie valeur ajoutée.

Les avis de Linda et de Lucie.

Dracula, Bram Stoker, illustrations de François Roca, L’école des loisirs, 2020.

Cette adaptation du roman de Bram Stoker conserve la forme originale de l’oeuvre : fragments de journaux intimes, de courriers, de télégrammes et de coupures de presse. François Roca joue sur le classicisme du personnage immortel et multiplie les clairs-obscurs pour accentuer le questionnement sur les limites entre la bête et l’homme, la vie et mort ou le Bien et le Mal.

L’avis d’Isabelle.

Des souris et des hommes, John Steinbeck (texte intégral), illustrations de Rebecca Dautremer, Tishina, 2020.

Dans cet autre incontournable de la littérateur américaine, John Steinbeck broie le rêve américain en même temps que ses personnages sous le poids du déterminisme. Incroyable travail de Rebecca Dautremer qui fait de chaque page de cet imposant ouvrage une oeuvre d’art. Elle varie les styles et les points de vue, les couleurs et les échelles de plan. Mieux encore, elle joue avec l’imagerie des années 1930 pour dénoncer la face obscure de la société de consommation. Incontournable.

L’avis d’Isabelle.

Pour découvrir d’autres titres en attendant le billet du 23 août consacré aux romans de Jane Austen illustrés par Margaux Motin, explorez les Grands classiques illustrés chez Sarbacane, les Illustres classiques de L’école des loisirs (versions abrégées), les Romans illustrés par Quentin Gréban chez Mijade ou encore les magnifiques Classiques illustrés par MinaLima chez Flammarion.

Bel été illustré !

Lecture commune autour de deux titres d’Eva Kavian, une auteure belge qui n’a pas sa langue dans sa poche…

 

3, 2 , 1…  pour cette lecture commune inédite.
3 lectrices qui confrontent leurs points de vue : Pépita – Méli-Mélo de livres, Céline alias Alice – A lire aux pays des merveilles et Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse.
2 titres, 2 récits de vie, avec 2 narrateurs qui se connaissent, un garçon, une fille, une famille (décomposée, recomposée, …), des amis, des amours, des emmerdes…
1 auteure belge coutumière des thèmes qui touchent de près les ados d’aujourd’hui…

Si le premier titre, Premier chagrin, a moins fait débat, ce fut moins le cas du second, La conséquence de mes actes…  Jugez plutôt.

Céline : Peut-on affirmer que Premier chagrin et La conséquence de mes actes abordent des thématiques plutôt inédites en littérature jeunesse ?

Pépita : Je répondrais par l’affirmative pour Premier chagrin : plutôt rare en jeunesse d’aborder la fin de vie, à ma connaissance. Pour le second, la thématique est moins originale. C’est la façon dont elle est abordée qui l’est davantage.

Alice : J’ai beau réfléchir mais je me dis qu’en effet, je n’ai pas lu d’autres livres concernant l’accompagnement de fin de vie . Quand à La conséquence de mes actes, je suis d’accord avec Pépita, ce n’est pas tant le contenu (quoique certains événements m’ont laissée sans voix) que la mise en perspective qui est inhabituelle et déconcerte.

Céline : Vous avez bien circonscrit le thème délicat abordé par Premier chagrin. Vous restez plus vagues en ce qui concerne celui du tome suivant… Quelques précisions sur le thème peut-être ainsi que ces événements qui laissent sans voix? Et puis, en quoi l’approche de l’auteure est-elle originale selon vous ? 

Pépita : Dans La conséquence de mes actes, on fait la connaissance d’un jeune garçon dont les parents se séparent et c’est une source de souffrance immense pour lui. Sa mère révèle sa véritable orientation sexuelle, et son père, après un lourd moment d’abattement, convole avec une jeune femme qui n’est autre que son orthodontiste ! Et pour couronner le tout, on l’isole, lui : il doit passer ses vacances chez les parents de la petite amie de son père, avec la tribu de leurs petits-enfants, sans les connaitre, dans un trou perdu sans internet. Lui qui est accro à Twitter ! En plus, suite à son année scolaire catastrophique (étonnant, non ?), sa prof de français et son père se sont mis d’accord pour qu’il rédige un long devoir sur… la conséquence de ses actes. Ça fait quasiment quatre punitions ! Quatre raisons d’en vouloir à la terre entière pour un ado en pleine poussée d’hormones et finalement normalement constitué ! Je ne dévoilerai pas plus sur la fin sinon c’est tout dire…  Juste que ce roman s’apparente à des poupées russes. Et que les rôles sont bien inversés. C’est ça pour toi les événements qui t’ont laissée sans voix Alice ?

Alice : Un événement qui m’a laissée perplexe, c’est la mort du chien Léon. Je n’en ai pas compris l’utilité, et en plus j’ai trouvé ça violent. Comment l’avez vous compris, vous ?
Pour moi le thème de ce livre, c’est que la vie est ce que l’on en fait. On peut passer son temps à subir les événements et se lamenter sur son sort, jusqu’au jour où on rebondit, on s’ouvre aux autres, on communique, on accepte le destin et le cours des choses en est changé.

Céline : Comme toi Alice, je pense que ce titre parle effectivement de la nécessité de renouer le dialogue avec les autres. L’ado de La conséquence de mes actes s’est enfermé dans sa bulle et observe la réalité qui l’entoure à travers elle. Celle-ci lui apparaît déformée, dramatisée… C’est le cas de cet épisode avec le chien qu’il nous décrit à la manière d’un film d’horreur. Ce n’est qu’en nouant le dialogue avec la grand-mère chez qui il séjourne qu’il va pouvoir lever le voile sur ces apparences trompeuses. De mon côté, je trouve que cet épisode révèle bien cette propension qu’on les ados à amplifier, parfois à l’extrême, tout ce qui leur arrive… De manière plus générale, l’auteure s’amuse quelque peu à perdre le lecteur ! Cette façon de faire vous a-t-elle plu ? déplu ?

Alice : Autant j’ai avalé Premier chagrin, autant j’ai ramé sur La conséquences de mes actes. En effet, l’auteur joue à nous perdre, mais autant dans Premier chagrin, elle ne nous perd pas longtemps et on sait vite où on va. Du coup on se laisse entraîner dans le flot de la vie et des émotions. Autant dans La conséquence de mes actes, j’ai eu du mal à cerner l’imbrication des problématiques et j’ai parfois été perdue. Moins d’évidences.

Pépita : Les deux romans parlent de la nécessité de renouer le dialogue avec les autres… N’est-ce pas le cas de Mouche à l’aube de la mort qui essaie de retendre les fils avec ses petits-enfants et enfants ? N’avez-vous pas été mal à l’aise au début ? J’ai presque eu le sentiment qu’elle « utilisait » Sophie quand même…  mais non, finalement, son objectif apparaît plus louable que cela : la réconciliation. Et c’est aussi la thématique de La conséquence de mes actes. Traitée d’une manière différente. Pour moi, cet ado est certes égocentrique mais sacrément déboussolé. La fin m’a sur le coup un peu déstabilisée : je me suis demandée ce que j’étais en train de lire ! J’ai beaucoup aimé le style d’écriture des deux romans : beaucoup plus en retenue pour le premier et brut de décoffrage pour le second.

Céline : Tu as raison de le signaler Pépita ! La nécessité de recréer des liens est sans conteste la clé de voûte des deux livres. Comme toi, j’ai été surprise par le faux-semblant à l’origine de la rencontre entre Mouche et Sophie dans Premier chagrin, comme je l’ai été également par cette mise en abyme dans l’écriture de La conséquence de mes actes… Mais, au final, tous les personnages sont gagnants et tous évoluent dans le bon sens. Cette vision optimiste m’a beaucoup plu. Comme le franc-parler des deux héros. Tous deux présentent les choses de la vie et de la mort sans fioriture inutile ni pudeur exagérée. Le tout saupoudré d’humour et d’un zeste bienvenu de spontanéité, d’insolence voire de provocation… Je pense par exemple à la liste de Sophie concernant les formules funéraires… Un style « djeune » qui fait du bien et contrebalance des sujets difficiles !!!!
Tu partages cet avis Alice ?

Alice : Comme cela se sent déjà dans ce que j’ai pu dire, j’ai eu beaucoup de mal avec La conséquence de mes actes. 10 jours au compteur pour arriver au bout !
[Alors que j’ai pleuré comme une madeleine pour Premier chagrin et que je l’ai dévoré en une soirée.] Je n’y ai pas du tout senti l’humour que vous décrivez, j’ai pas accroché sur le héros dont je n’ai pas compris les attitudes, j’ai croulé sous la multiplication des personnages sans que chacun soit réellement exploité, j’ai pas compris pourquoi il y avait ces annotations en pied de page concernant Twitter : ce livre est censé être lu par des ados qui connaissent parfaitement le fonctionnement de Twitter…
Je ne dirais pas qu’il m’a déplu, le mot exact est plutôt : il m’a perdu. Je n’en ai compris le sens qu’à la deuxième lecture. Alors, oui, je suis d’accord avec vous et je l’ai déjà dit, tout cela parle de communication, d’acceptation et d’optimisme. Au lieu de subir, relevons nous les manches, car la vie est semée d’embûches qu’il faut savoir affronter pour mieux se construire et avancer.

Céline : Concernant Twitter, selon une étude récente, même si 89% de la population connait Twitter, il n’y a que 5% d’utilisateurs actifs.  D’où ces notes sont loin d’être superflues à mon sens. Pour le reste, c’est vrai, La conséquence de mes actes est déroutant et, je l’avoue, ma préférence va aussi à Premier chagrin. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de mes élèves par exemple qui se disent plus proches de ce que vit le héros du premier titre… L’intérêt réside également dans le fait que, pour une fois, il s’agit d’un ado et non d’une adolescente qui raconte, comme c’est souvent le cas dans les récits de vie.

Pépita : C’est curieux, parce que, à ma lecture, je suis passée au-dessus de tout ça… internet, twitter, …  Autant j’ai eu la larme à l’œil et le cœur très serré pour le premier autant j’ai beaucoup ri (le passage avec les herbes comme PQ) au second et approuvé certaines phrases bien envoyées.

AliceAvez vous lu d’autres livres d’Eva Kavian ? 
Pour moi, sous un style d’écriture a priori accessible, elle aborde généralement des thèmes très durs et difficiles. Qu’en pensez-vous ?

Céline : J’ai également lu en son temps La Dernière licorne où elle évoque les sujets graves que sont l’euthanasie et l’univers psychiatrique. Le choix de ces thématiques « dures » est sans doute lié à sa formation initiale d’ergothérapeute, à son travail durant plusieurs années en hôpital psychiatrique et au fait aussi, qu’en Belgique, ces sujets sont moins sujets à polémique puisque, depuis quelques années déjà, réglés par la loi. A propos de ses thèmes, Eva Kavian s’explique elle-même :

« Si mes romans sont de pures fictions, ils sont cependant suscités par une émotion profonde, et, nourris, d’éléments vécus. Les thèmes : amour, désir, relation dans la fratrie et parents-enfants, familles monoparentales, deuils violents, solidarité, l’action comme outil face au désarroi. » (citation extraite du Répertoire des Auteurs et Illustrateurs de Livres pour l’Enfance et la Jeunesse en Wallonie et à Bruxelles).

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En complément de cette citation, nous avons voulu approfondir l’univers d’Eva Kavian en lui posant quelques questions, et c’est avec gentillesse qu’elle s’est prêtée au jeu.

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Les voix narratives que vous créez sonnent particulièrement justes.  Où puisez-vous cette connaissance pointue des ados ?
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J’ai trois filles adolescentes qui me parlent beaucoup, je suis baignée dans leur adolescence et je vis de près leurs drames, leur tourments, leurs rêves. Je pense que ceci explique cela. Mais aussi, pour écrire des romans, ils faut regarder le monde à travers les yeux de ses personnages. De roman en roman, j’apprends à le faire…
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– Pour Frank Andriat [interrogé cet été A l’ombre du grand arbre], malgré des thématiques différentes l’un et l’autre,  c’est l’humain qui guide vos plumes.  Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?

J’explore l’humain et ses questions, en effet. En écrivant un roman, j’explore des questions, je cherche comment l’humain se débrouille avec la vie, au travers de personnages fictifs mis en situation problématique.
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– Dans vos titres, vous n’hésitez pas à aborder des sujets de société parfois brûlants d’actualité.  Peut-on parler de romans « engagés » ?

Je suis une personne engagée, et donc il est possible que mes romans le soient. Mais au départ, il n’y a pas une quête ou une cause. Ce sont les personnages, face à leurs drames, qui me guident, et probablement ma vision du monde, mon propre rapport au monde, qui nourrit l’ensemble et en donne la couleur, sans intention bien consciente au départ de « défendre une cause ». En général tout au moins.

Il est rare d’aborder la thématique du deuil en littérature de jeunesse comme dans votre roman « Premier Chagrin »: quelle est l’origine de cette histoire ?

L’origine de cette histoire est un souvenir personnel, que je prête à Mouche. Celui de la perte de ma grand-mère (mon premier chagrin), pour laquelle j’ai été livrée à moi-même, j’avais six ans. J’ai démarré l’histoire avec l’idée qu’aujourd’hui, on ne ferait plus cela à un enfant. Même si chacun reste seul, in fine, dans la souffrance. Cela dit, il n’y a aucun tabou pour moi, aucune censure, quand j’écris.  La littérature est un lieu privilégié pour se confronter à notre condition humaine, et ainsi avancer vers nous-mêmes. Il n’y a aucune raison de ne pas aborder le deuil, la perte, puisqu’ils font partie de notre vie. Selon moi, Premier chagrin est un livre sur la vie, plus que sur la mort. Mais la vie n’a de sens et de prix que parce que la mort existe.

Les héros de Premier chagrin et de La conséquence de mes actes sont liés.  Pourquoi Sophie est – elle si peu présentée dans La Conséquence de mes actes ? Serait-il possible qu’ils se retrouvent dans un même livre et vivent une aventure commune ?

Ouiiiii (voir le troisième tome de la trilogie, à paraître en mars !)
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Quand vous rencontrez des adolescents qui ont lu ces deux romans, que vous en disent- ils spontanément ?

Qu’ils ont aimé, qu’ils ont pleuré. Qu’ils ont pris goût à la lecture, pour certains. Ils disent que c’est une histoire triste (Premier chagrin), et quand je leur réponds que c’est un livre sur la vie, ils le regardent autrement… Les lecteurs sont tristes de la mort de Mouche. Je n’ai pas encore beaucoup d’échos de lecteurs de La conséquence de mes actes…Je pense qu’ils devraient trouver ce livre drôle, en fait.
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Quels sont vos projets littéraires ?
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En mars 2013, chez Mijade, « Tout va bien », dernier volet de la trilogie entamée avec Premier chagrin. Sophie et Gauthier sont amoureux, s’organisent pour faire un séjour linguistique ensemble. Rien ne se passe comme prévu. Gauthier se retrouve à Rome, Sophie accueille un américain. Ils s’écrivent et se sont promis de terminer leurs courriels par « tout va bien », pour ne pas inquiéter l’autre. Mais tout ne va pas si bien que cela, et ils en viennent à se demander si c’est bien ça, l’amour. Roman drôle et léger, qui aborde pourtant des sujets comme l’amour, le vrai, quand on est très jeune, mais aussi le rejet, le désir, les a-priori.
Toujours en mars: « On ne parle pas de ça », chez Oskar. Pour grands ados et jeunes adultes. C’est un livre dur, secouant. Quatre jeunes meurent, pour des raisons différentes, à des moments différents. Un concours de circonstances va réunir les quatre mères, qui font ce qu’elles peuvent, pour vivre cette peine innommable (d’ailleurs la langue française n’a pas de mot, pour nommer un parent qui a perdu son enfant). Si le sujet est grave et effroyable, il me semble nécessaire d’offrir un espace de parole sur la mort des jeunes, aujourd’hui. De ne pas en faire un tabou. Parce que quand cela arrive dans le réel, il n’y a pas de mot. Sujet grave, mais écriture rythmée, presque légère, parfois drôle. On n’est pas dans le pathos, mais dans la vie.
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De belles lectures en perspectives pour ce printemps, merci Eva Kavian !
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Retrouvez nos avis détaillés :

Une carte postale de Belgique de Frank Andriat, Monsieur Bonheur !

Qui dit Belgique dit moules, frites, chocolat, et cie.

Mais dans notre petit pays, on compte également de nombreux auteurs jeunesse de talent.  Comme j’ai carte blanche, l’occasion est trop belle et je ne résiste pas à la tentation de vous présenter l’un d’eux, que j’affectionne tout particulièrement.  C’est parti…

« Les petits bonheurs simples du quotidien n’intéressent personne et ce sont pourtant eux qui construisent nos vies. »

Bonjour Frank Andriat ! Cet été, sur notre blog collectif « A l’ombre du grand arbre », tous les lundis et les jeudis, nous postons des cartes postales… littéraires à destination de nos lecteurs. La mienne vous est réservée. Je vous laisse le choix de l’illustration du dos. Quelle vue de Belgique aimeriez-vous partager avec nous ? Pour quelle raison ?

photo : site de la Maison du Tourisme de Gaume : http://www.soleildegaume.be/

Bonjour, Céline. Je vous remercie pour votre attention. Une vue de Belgique qui me fait songer aux vacances ? Une vue de Gaume, évidemment. Quand je ne suis pas à Schaerbeek (1), je file vers les collines douces de la pointe sud de notre petit pays. Les paysages m’apaisent et j’y trouve bien des idées pour mes livres. Je viens d’ailleurs de participer, avec Jean-Luc Geoffroy et Claude Raucy, à un calendrier perpétuel qui chante les beautés de la région…

A propos de moyens de communication, votre titre Je voudr@is que tu… qui traite des dangers d’Internet laisse à penser que vous restez un adepte des bons vieux moyens de communication version papier et que vous privilégiez les rencontres réelles plutôt que virtuelles… Est-ce exact ?

JE VOUDR@IS QUE TU…, Grasset, Paris, 2011.

J’utilise Internet quand il le faut pour faire des recherches et pour mon courrier électronique, mais je conserve une tendresse pour la communication papier qui est tellement plus personnelle. Je ne suis pas sur facebook ou sur un autre réseau social et, c’est vrai, rien ne me plaît autant que de voir mes amis, de discuter avec eux autour d’un verre et d’un sourire.

Je voudr@is que tu… est un parfait exemple de titre dans le vent. Avec Tabou, un titre sorti en 2003 qui traite de l’homosexualité et du suicide, vous faisiez figure de pionnier. Dans La remplaçante, vous évoquez les difficultés relationnelles entre l’enseignant et ses élèves, dans le Journal de Jamila, celles d’une jeune fille issue de l’immigration qui tente de concilier deux mondes inconciliables, etc. Récemment, vous avez obtenu un prix des lycéens pour votre recueil de nouvelles, Rose afghane. Est-ce le fait de côtoyer des jeunes dans le cadre de votre profession d’enseignant qui vous amène à parler de sujets qui intéressent au plus près les adolescents ?

J’adore mon boulot de prof et je trouve tellement triste et choquant qu’il soit de plus en plus phagocyté par les pédagogues qui le rendent incompréhensible et qui le transforment en une pseudoscience plutôt qu’en un art où l’humain a l’avantage sur les techniques… Mes élèves et moi avons de merveilleux contacts et c’est vrai, ce qui les passionne, m’intéresse. Lorsque j’écris pour les ados, grâce à mon métier d’enseignant, je trouve des idées que je n’aurais pas autrement. Chaque livre est complètement imaginaire, mais chaque histoire part d’une question posée, d’une émotion vécue.

MONSIEUR BONHEUR, Memor, Bruxelles, 2003.
Réédition chez Mijade, Namur, 2007.

Sur votre site, vous évoquez le fait que vos deux casquettes, celle d’écrivain et celle d’enseignant, vous sont toutes deux indispensables. Les connexions entre ces deux facettes de votre vie semblent d’ailleurs très nombreuses. A ce propos, il y a une question qui me taraude depuis longtemps ! Un peu à la manière d’Hitchcock qui apparait dans ces films, Monsieur Bonheur, ce professeur de français récurrent dans vos livres, pourrait-il être vous ?

Si je pouvais tous les jours être aussi sympa que mon personnage, Monsieur Bonheur, je serais heureux ! Il est en quelque sorte le prof idéal, celui que j’aimerais être en chaque circonstance, mais ce n’est évidemment pas le cas ! Cependant, pour tout vous avouer, l’idée du livre vient de mes élèves (une fois de plus) qui, entre eux, me surnommaient ainsi. Il paraît que j’ai souvent le sourire et que je râle peu.

JOLIE LIBRAIRE DANS LA LUMIÈRE, Desclée De Brouwer, Paris, 2012.
Editions de La Loupe, Guérande, 2012. (Edition en grands caractères)
Sélection au Prix des Lycéens de la Ville de Gujan-Mestras 2013.

Le romancier de Jolie libraire dans la lumière évoque la peur de parler du bonheur dans les livres. Ce n’est visiblement pas votre cas puisque, dans vos titres, vous n’avez de cesse de faire évoluer vos personnages et de les amener à être heureux dans leur vie. Pourquoi ce choix ?

J’aime parler de la lumière, de la tendresse, de l’amour et du bonheur parce que je crois qu’on n’en parle pas assez. Voyez les infos à la télé, lisez les journaux. Lorsqu’un malheur arrive, la presse est aux abois, mais les petits bonheurs simples du quotidien n’intéressent personne et ce sont pourtant eux qui construisent nos vies. Un de mes auteurs préférés est Christian Bobin ; au fil de ses livres, il m’a appris à regarder le monde en beau et j’ai envie de partager cela avec mes lecteurs.

Dans l’un de vos derniers titres, le premier tome de la série policière Les Aventures de Bob Tarlouze, vous nous rappelez qu’il ne faut pas juger sur les apparences… Cette thématique d’ouverture à l’autre, peu importe ses différences, vous tient-elle particulièrement à cœur ? Pourquoi ?

Cette thématique est un  des fils conducteurs de mes livres. Oui, elle me tient à cœur et je dois sans doute cela à Schaerbeek, ma commune multiculturelle, qui m’apprend, chaque jour, à côtoyer les différences. Schaerbeek a vécu des années noires quand un bourgmestre flirtait avec l’extrême-droite. Je ne peux pas admettre cela et, à l’époque, j’ai écrit le Journal de Jamila.

JOURNAL DE JAMILA, Le Cri, Bruxelles, 1986.
Réédition en 1992.
Nouvelle édition chez Labor, Bruxelles, Collection Espace Nord Zone J, 2000.
Mijade, Namur, 2008.

Celles et ceux qui sont différents sont souvent fragilisés dans une société où tout doit être de plus en plus lisse : mon cœur me porte sans cesse vers les plus faibles.

Comme votre jolie libraire, éprouvez-vous une tendresse particulière pour les gens qui lisent ?

Oui, j’aime beaucoup les gens qui lisent, car ils s’offrent des pauses dans leur vie. Lire, c’est s’ouvrir au monde et prendre le temps de le faire. Lire un livre, c’est aussi pouvoir le déposer et rêver. C’est un luxe que beaucoup de nos contemporains ne s’offrent plus. Lire, c’est voyager, prendre de la distance et réfléchir. Vraiment autre chose que de s’abrutir devant une série insipide ou devant un jeu vidéo.

Vous avez édité de nombreux titres avec vos élèves. Vous-même avez été encouragé à écrire par l’un de vos professeurs, lui-même écrivain. En tant que professeur de français, quels sont vos trucs et astuces pour amener les jeunes à la lecture et à l’écriture ?

Ce qui est merveilleux dans le métier d’enseignant, c’est que nous devons sans arrêt nous remettre en question. Chaque classe est différente et j’essaie de « sentir » les élèves avec qui je vais faire un bout de chemin avant de leur proposer un projet d’écriture. Ce sont souvent les hasards de la vie qui nous font des cadeaux. Quant à des trucs, il n’y en a pas vraiment. Je connais quelques titres qui fonctionnent bien et, en partant de ceux-ci et en fonction du groupe avec lequel je travaille, j’essaie d’aller plus loin. Il faut demeurer humble, savoir qu’il y aura des ratés et quelques succès. L’amour et le plaisir de la lecture et de l’écriture ne sont pas une affaire de techniques pendues à un arbre de compétences. C’est avant tout une affaire de cœur, de justesse. Je parle à mes élèves de mon bonheur de lire, de ce que je découvre comme liberté dans la lecture et je leur dis aussi ma passion d’inventer des histoires.

Quels auteurs leur proposez-vous, dans les classiques comme dans la littérature jeunesse contemporaine ?

J’ai en général des 4è. Ils lisent Maupassant, Hugo, Camus pour citer quelques classiques et des extraits d’œuvres de Balzac, de Zola, de Stendhal, de Rousseau, de Ionesco, de Proust… En littérature jeunesse, Jean Molla, Nicolas Keszei fonctionnent très bien, mais j’essaie chaque année de partager mes coups de cœur avec eux : l’an dernier, nous avons découvert une jeune auteure afghane, Chabname Zariâb. Cette année, j’ai envie de leur faire découvrir un roman terrible, mais génial : Max de Sarah Cohen-Scali.

Et vous, quelles étaient vos lectures d’enfant, d’ado ?

Il n’y avait pas grand-chose en littérature jeunesse à l’époque. Je lisais les aventures de Bob Morane avec gourmandise, des contes fantastiques (Jean Ray, Thomas Owen, Jean Muno) et des classiques, bien entendu : Malraux, Balzac, Hugo. Et, ensuite, je me suis nourri pendant des années de littérature belge : j’animais une revue à l’athénée Fernand Blum et cela m’a permis de rencontrer de nombreux écrivains.

Nos lecteurs sont peut-être en train de préparer leurs bagages. Parmi vos titres, lesquels leur proposeriez-vous d’emporter ?

Je choisis la facilité en vous proposant trois de mes derniers livres : Bart chez les Flamands (Renaissance du Livre) pour son côté belge et déjanté qui fera sourire les adultes, Les aventures de Bob Tarlouze (Ker éditions) pour son humour décalé (il devrait amuser ados et adultes)

ARRÊTE TON BARATIN, LES AVENTURES DE BOB TARLOUZE, TOME 1, Ker éditions, Rosières, 2013.

et Rose afghane (Mijade) parce qu’écrire sur l’Afghanistan et particulièrement sur les jeunes filles de ce pays a été une expérience très émouvante. Ce livre est une aventure humaine faite d’amitié et de rencontres, avec Hadja Lahbib et Chekeba Hachemi notamment.

ROSE AFGHANE, Mijade, Namur, 2012.
Prix des Lycéens de Villeneuve-sur-Lot 2013.
Les droits d’auteur de ce livre sont versés à l’association AFGHANISTAN LIBRE de Chékéba Hachemi : www.afghanistan-libre.org

Et vous, Frank Andriat, quel(s) livre(s) emporterez-vous cet été ? A moins que vous ne profitiez de ces congés pour écrire votre prochain roman ! Si c’est le cas, peut-on avoir la primeur du thème ?

Je vous ai déjà parlé de Max que je vais relire pour préparer un cours à son sujet. Lors d’un salon du livre en France, j’ai rencontré un auteur argentin, Eduardo Berti. Une écriture tout en délicatesse. Ses romans sont édités en français chez Actes Sud. Les deux derniers romans d’Eva Kavian publiés chez Mijade aussi. J’ai beaucoup de retard dans mes lectures… parce que j’écris trop ! Je m’occupe pour le moment de la correction des épreuves d’un livre où je dis tout le mal que je pense des multiples réformes et des pédagogues qui détruisent notre beau métier de prof. Le livre s’intitule Les profs au feu et l’école au milieu et il sort fin août à la Renaissance du Livre. En octobre, Mijade publie une nouvelle version de La forêt plénitude. Et je travaille à un roman sur le thème des jeunes qui sont partis combattre en Syrie. Un sujet délicat qui me touche beaucoup, car deux de mes élèves se sont retrouvés parmi eux.

Déjà une idée de titre ?

Les titres vont et viennent au fil de l’écriture, mais, oui, j’ai une idée et la voici : «Je t’enverrai des fleurs de Damas».  Je ne vous en dis pas plus, car je ne sais pas encore comment se termine le roman !

Il ne nous reste plus qu’à patienter…  Dans vos bagages d’été, les deux derniers titres d’Eva Kavian, une auteure que nous aimons beaucoup également  A l’ombre du grand arbre…   Peut-on dire que cette auteure est votre pendant féminin en matière de littérature jeunesse made in Belgique ?  Y a-t-il d’autres auteurs belges que vous conseilleriez à nos jeunes lecteurs ?

Eva écrit très bien et ses livres sont émouvants, humains et vraiment bien construits.  Je ne sais pas si l’on peut affirmer qu’elle est mon pendant féminin, car nos univers sont très différents, même si c’est l’humain qui guide nos plumes.  Je lis tous les romans jeunesse publiés chez Mijade et j’aime les auteurs (souvent belges) que cette maison merveilleuse me permet de découvrir. Nicolas Keszei est un ami et j’aime ce qu’il écrit.  Claude Raucy a aussi écrit de beaux romans destinés aux ados. Comme Patrick Delperdange et tant d’autres !

Encore merci pour votre disponibilité, votre confiance et toutes ces idées de lecture !  Je vous souhaite un bel été…  peut-être à l’ombre d’un grand arbre de Gaume…

Pour en savoir plus sur cet auteur plein de sensibilité, consultez son site officiel.
Des avis sur quelques-uns de ses titres, à lire sur Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse :

Quelques auteurs/titres cités par Frank Andriat que nous avons lus :

Pour en savoir plus sur les auteurs et les illustrateurs en Wallonie et à Bruxelles : http://www.litteraturedejeunesse.be/

(1) commune de Bruxelles-capitale