Qui dit Belgique dit moules, frites, chocolat, et cie.
Mais dans notre petit pays, on compte également de nombreux auteurs jeunesse de talent. Comme j’ai carte blanche, l’occasion est trop belle et je ne résiste pas à la tentation de vous présenter l’un d’eux, que j’affectionne tout particulièrement. C’est parti…
Bonjour Frank Andriat ! Cet été, sur notre blog collectif « A l’ombre du grand arbre », tous les lundis et les jeudis, nous postons des cartes postales… littéraires à destination de nos lecteurs. La mienne vous est réservée. Je vous laisse le choix de l’illustration du dos. Quelle vue de Belgique aimeriez-vous partager avec nous ? Pour quelle raison ?
Bonjour, Céline. Je vous remercie pour votre attention. Une vue de Belgique qui me fait songer aux vacances ? Une vue de Gaume, évidemment. Quand je ne suis pas à Schaerbeek (1), je file vers les collines douces de la pointe sud de notre petit pays. Les paysages m’apaisent et j’y trouve bien des idées pour mes livres. Je viens d’ailleurs de participer, avec Jean-Luc Geoffroy et Claude Raucy, à un calendrier perpétuel qui chante les beautés de la région…
A propos de moyens de communication, votre titre Je voudr@is que tu… qui traite des dangers d’Internet laisse à penser que vous restez un adepte des bons vieux moyens de communication version papier et que vous privilégiez les rencontres réelles plutôt que virtuelles… Est-ce exact ?
J’utilise Internet quand il le faut pour faire des recherches et pour mon courrier électronique, mais je conserve une tendresse pour la communication papier qui est tellement plus personnelle. Je ne suis pas sur facebook ou sur un autre réseau social et, c’est vrai, rien ne me plaît autant que de voir mes amis, de discuter avec eux autour d’un verre et d’un sourire.
Je voudr@is que tu… est un parfait exemple de titre dans le vent. Avec Tabou, un titre sorti en 2003 qui traite de l’homosexualité et du suicide, vous faisiez figure de pionnier. Dans La remplaçante, vous évoquez les difficultés relationnelles entre l’enseignant et ses élèves, dans le Journal de Jamila, celles d’une jeune fille issue de l’immigration qui tente de concilier deux mondes inconciliables, etc. Récemment, vous avez obtenu un prix des lycéens pour votre recueil de nouvelles, Rose afghane. Est-ce le fait de côtoyer des jeunes dans le cadre de votre profession d’enseignant qui vous amène à parler de sujets qui intéressent au plus près les adolescents ?
J’adore mon boulot de prof et je trouve tellement triste et choquant qu’il soit de plus en plus phagocyté par les pédagogues qui le rendent incompréhensible et qui le transforment en une pseudoscience plutôt qu’en un art où l’humain a l’avantage sur les techniques… Mes élèves et moi avons de merveilleux contacts et c’est vrai, ce qui les passionne, m’intéresse. Lorsque j’écris pour les ados, grâce à mon métier d’enseignant, je trouve des idées que je n’aurais pas autrement. Chaque livre est complètement imaginaire, mais chaque histoire part d’une question posée, d’une émotion vécue.
Sur votre site, vous évoquez le fait que vos deux casquettes, celle d’écrivain et celle d’enseignant, vous sont toutes deux indispensables. Les connexions entre ces deux facettes de votre vie semblent d’ailleurs très nombreuses. A ce propos, il y a une question qui me taraude depuis longtemps ! Un peu à la manière d’Hitchcock qui apparait dans ces films, Monsieur Bonheur, ce professeur de français récurrent dans vos livres, pourrait-il être vous ?
Si je pouvais tous les jours être aussi sympa que mon personnage, Monsieur Bonheur, je serais heureux ! Il est en quelque sorte le prof idéal, celui que j’aimerais être en chaque circonstance, mais ce n’est évidemment pas le cas ! Cependant, pour tout vous avouer, l’idée du livre vient de mes élèves (une fois de plus) qui, entre eux, me surnommaient ainsi. Il paraît que j’ai souvent le sourire et que je râle peu.
Le romancier de Jolie libraire dans la lumière évoque la peur de parler du bonheur dans les livres. Ce n’est visiblement pas votre cas puisque, dans vos titres, vous n’avez de cesse de faire évoluer vos personnages et de les amener à être heureux dans leur vie. Pourquoi ce choix ?
J’aime parler de la lumière, de la tendresse, de l’amour et du bonheur parce que je crois qu’on n’en parle pas assez. Voyez les infos à la télé, lisez les journaux. Lorsqu’un malheur arrive, la presse est aux abois, mais les petits bonheurs simples du quotidien n’intéressent personne et ce sont pourtant eux qui construisent nos vies. Un de mes auteurs préférés est Christian Bobin ; au fil de ses livres, il m’a appris à regarder le monde en beau et j’ai envie de partager cela avec mes lecteurs.
Dans l’un de vos derniers titres, le premier tome de la série policière Les Aventures de Bob Tarlouze, vous nous rappelez qu’il ne faut pas juger sur les apparences… Cette thématique d’ouverture à l’autre, peu importe ses différences, vous tient-elle particulièrement à cœur ? Pourquoi ?
Cette thématique est un des fils conducteurs de mes livres. Oui, elle me tient à cœur et je dois sans doute cela à Schaerbeek, ma commune multiculturelle, qui m’apprend, chaque jour, à côtoyer les différences. Schaerbeek a vécu des années noires quand un bourgmestre flirtait avec l’extrême-droite. Je ne peux pas admettre cela et, à l’époque, j’ai écrit le Journal de Jamila.
Celles et ceux qui sont différents sont souvent fragilisés dans une société où tout doit être de plus en plus lisse : mon cœur me porte sans cesse vers les plus faibles.
Comme votre jolie libraire, éprouvez-vous une tendresse particulière pour les gens qui lisent ?
Oui, j’aime beaucoup les gens qui lisent, car ils s’offrent des pauses dans leur vie. Lire, c’est s’ouvrir au monde et prendre le temps de le faire. Lire un livre, c’est aussi pouvoir le déposer et rêver. C’est un luxe que beaucoup de nos contemporains ne s’offrent plus. Lire, c’est voyager, prendre de la distance et réfléchir. Vraiment autre chose que de s’abrutir devant une série insipide ou devant un jeu vidéo.
Vous avez édité de nombreux titres avec vos élèves. Vous-même avez été encouragé à écrire par l’un de vos professeurs, lui-même écrivain. En tant que professeur de français, quels sont vos trucs et astuces pour amener les jeunes à la lecture et à l’écriture ?
Ce qui est merveilleux dans le métier d’enseignant, c’est que nous devons sans arrêt nous remettre en question. Chaque classe est différente et j’essaie de « sentir » les élèves avec qui je vais faire un bout de chemin avant de leur proposer un projet d’écriture. Ce sont souvent les hasards de la vie qui nous font des cadeaux. Quant à des trucs, il n’y en a pas vraiment. Je connais quelques titres qui fonctionnent bien et, en partant de ceux-ci et en fonction du groupe avec lequel je travaille, j’essaie d’aller plus loin. Il faut demeurer humble, savoir qu’il y aura des ratés et quelques succès. L’amour et le plaisir de la lecture et de l’écriture ne sont pas une affaire de techniques pendues à un arbre de compétences. C’est avant tout une affaire de cœur, de justesse. Je parle à mes élèves de mon bonheur de lire, de ce que je découvre comme liberté dans la lecture et je leur dis aussi ma passion d’inventer des histoires.
Quels auteurs leur proposez-vous, dans les classiques comme dans la littérature jeunesse contemporaine ?
J’ai en général des 4è. Ils lisent Maupassant, Hugo, Camus pour citer quelques classiques et des extraits d’œuvres de Balzac, de Zola, de Stendhal, de Rousseau, de Ionesco, de Proust… En littérature jeunesse, Jean Molla, Nicolas Keszei fonctionnent très bien, mais j’essaie chaque année de partager mes coups de cœur avec eux : l’an dernier, nous avons découvert une jeune auteure afghane, Chabname Zariâb. Cette année, j’ai envie de leur faire découvrir un roman terrible, mais génial : Max de Sarah Cohen-Scali.
Et vous, quelles étaient vos lectures d’enfant, d’ado ?
Il n’y avait pas grand-chose en littérature jeunesse à l’époque. Je lisais les aventures de Bob Morane avec gourmandise, des contes fantastiques (Jean Ray, Thomas Owen, Jean Muno) et des classiques, bien entendu : Malraux, Balzac, Hugo. Et, ensuite, je me suis nourri pendant des années de littérature belge : j’animais une revue à l’athénée Fernand Blum et cela m’a permis de rencontrer de nombreux écrivains.
Nos lecteurs sont peut-être en train de préparer leurs bagages. Parmi vos titres, lesquels leur proposeriez-vous d’emporter ?
Je choisis la facilité en vous proposant trois de mes derniers livres : Bart chez les Flamands (Renaissance du Livre) pour son côté belge et déjanté qui fera sourire les adultes, Les aventures de Bob Tarlouze (Ker éditions) pour son humour décalé (il devrait amuser ados et adultes)
et Rose afghane (Mijade) parce qu’écrire sur l’Afghanistan et particulièrement sur les jeunes filles de ce pays a été une expérience très émouvante. Ce livre est une aventure humaine faite d’amitié et de rencontres, avec Hadja Lahbib et Chekeba Hachemi notamment.
Et vous, Frank Andriat, quel(s) livre(s) emporterez-vous cet été ? A moins que vous ne profitiez de ces congés pour écrire votre prochain roman ! Si c’est le cas, peut-on avoir la primeur du thème ?
Je vous ai déjà parlé de Max que je vais relire pour préparer un cours à son sujet. Lors d’un salon du livre en France, j’ai rencontré un auteur argentin, Eduardo Berti. Une écriture tout en délicatesse. Ses romans sont édités en français chez Actes Sud. Les deux derniers romans d’Eva Kavian publiés chez Mijade aussi. J’ai beaucoup de retard dans mes lectures… parce que j’écris trop ! Je m’occupe pour le moment de la correction des épreuves d’un livre où je dis tout le mal que je pense des multiples réformes et des pédagogues qui détruisent notre beau métier de prof. Le livre s’intitule Les profs au feu et l’école au milieu et il sort fin août à la Renaissance du Livre. En octobre, Mijade publie une nouvelle version de La forêt plénitude. Et je travaille à un roman sur le thème des jeunes qui sont partis combattre en Syrie. Un sujet délicat qui me touche beaucoup, car deux de mes élèves se sont retrouvés parmi eux.
Déjà une idée de titre ?
Les titres vont et viennent au fil de l’écriture, mais, oui, j’ai une idée et la voici : «Je t’enverrai des fleurs de Damas». Je ne vous en dis pas plus, car je ne sais pas encore comment se termine le roman !
Il ne nous reste plus qu’à patienter… Dans vos bagages d’été, les deux derniers titres d’Eva Kavian, une auteure que nous aimons beaucoup également A l’ombre du grand arbre… Peut-on dire que cette auteure est votre pendant féminin en matière de littérature jeunesse made in Belgique ? Y a-t-il d’autres auteurs belges que vous conseilleriez à nos jeunes lecteurs ?
Eva écrit très bien et ses livres sont émouvants, humains et vraiment bien construits. Je ne sais pas si l’on peut affirmer qu’elle est mon pendant féminin, car nos univers sont très différents, même si c’est l’humain qui guide nos plumes. Je lis tous les romans jeunesse publiés chez Mijade et j’aime les auteurs (souvent belges) que cette maison merveilleuse me permet de découvrir. Nicolas Keszei est un ami et j’aime ce qu’il écrit. Claude Raucy a aussi écrit de beaux romans destinés aux ados. Comme Patrick Delperdange et tant d’autres !
Encore merci pour votre disponibilité, votre confiance et toutes ces idées de lecture ! Je vous souhaite un bel été… peut-être à l’ombre d’un grand arbre de Gaume…
Pour en savoir plus sur cet auteur plein de sensibilité, consultez son site officiel.
Des avis sur quelques-uns de ses titres, à lire sur Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse :
- Ado blues (2002)
- Tabou (2003-2008)
- Le coupable rêvé, avec André-Paul Duchâteau (2007)
- Rose bonbon, noir goudron (2009)
- Je voudr@is que tu… (2011)
- Jolie libraire dans la lumière (2012)
- Rose afghane (2012)
- Arrête ton baratin, Les aventures de Bob Tarlouze, tome 1 (2013)
Quelques auteurs/titres cités par Frank Andriat que nous avons lus :
- La revanche de l’ombre rouge de Jean Molla (Sophie hérisson-Délivrer des livres)
- Max de Sarah Cohen-Scali (Kik-Les lectures de Kik & Dorota-Les livres de Dorot’)
- Premier chagrin d’Eva Kavian (Kik-Les lectures de Kik, Céline-Qu’importe le flacon…, Sophie hérisson-Délivrer des livres, Pépita-Méli-Mélo de livres)
- La dernière licorne d’Eva Kavian (Alice-A lire aux pays des merveilles)
Pour en savoir plus sur les auteurs et les illustrateurs en Wallonie et à Bruxelles : http://www.litteraturedejeunesse.be/
(1) commune de Bruxelles-capitale