Cela faisait longtemps que nous souhaitions vous partager nos albums favoris de Gilles Bachelet. Sous le grand arbre, nous sommes particulièrement friandes de son humour et des clins d’oeil qui parsèment ses illustrations. Nous nous étions d’ailleurs régalées en discutant de sa Résidence Beau Séjour.
Plus le propos est fantaisiste, plus le réalisme et le soin apportés aux détails me paraissent indispensables.
GIlles BAchELET, La ReVue Des Livres pour enfants N°301 (juin 2018)
Gilles Bachelet. source : site de son éditeur Seuil Jeunesse.
Si cet auteur illustrateur est surtout connu pour la série d’albums qu’il a consacré à son chat, voici ceux que nous préférons et pourquoi !
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Pour Colette et ses Petits-Pilotes, XOX et OXO est vraiment l’album-remède-en-cas-de-coup-de-mou tellement il est jubilatoire !
Xox et Oxo, Gilles Bachelet, Seuil Jeunesse, 2018.
Et voilà pourquoi :
Pour son titre imprononçable et tellement visuel !
Pour ses personnages extra-terrestres à l’étrange visage bleu, aux yeux transparents comme le verre des billes avec lesquelles hélas on ne joue plus dans les cours de récréation.
Pour sa fascisante double page documentaire sur la machine à Glimouilles et puis oui, tiens d’ailleurs, pour toutes les glimouilles qui rythment cet album réjouissant !
Pour la personnalité de XOX et OXO qui ont trouvé en eux les ressources pour ne plus s’ennuyer sur leur planète où résonne la solitude.
Pour son discours joyeux et enthousiasmant sur la créativité.
Pour son discours tout aussi joyeux et enthousiasmant sur l’inspiration, celle qui vient d’ailleurs, celle qui se nourrit de l’autre, des œuvres du passé, des œuvres contemporaines, cette inspiration que nourrit l’incroyable curiosité de nos protagonistes et que l’on souhaite à tous les enfants qui passeront le seuil de la planète Ö !
Et en parlant d’art, quel plaisir de jouer à « Cherche-et-trouve-des-oeuvres-d’art-célèbres-qui ont-été-glimouillisées » dans l’atelier de XOX et OXO ! Dali, Rodin, Duchamp, De St Phalle, Degas… Nos extra-terrestres ont autant de génie que tous.tes nos artistes humain.e.s réuni.e.s.
Pour le questionnement philosophique qui parcourt le livre jusqu’à la dernière page : mais à quoi sert l’art ? L’art peut-il nous rendre heureux, heureuse ? Faut-il qu’il ait un public pour que l’art soit reconnu ?
Et bien sûr pour l’incroyable humour qui jalonne tout cet album, qui parvient à aborder tant de sujets en quelques pages colorées d’une extrême précision !
Sans parler de l’invitation finale qui nous invite à « mettre le cap sur la constellation du Beignet aux Pommes » pour retrouver XOX et OXO et leur incroyable musée ! En avant toute !
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Le choix de Liraloin s’est porté sur cette épopée qu’est Chevalier de ventre-à-terre. Et pourquoi aime-t-elle autant cette histoire à lire et à raconter ? C’est par ici…
Le chevalier de ventre-à-terre, Gilles Bachelet, Seuil Jeunesse, 2021.
Parce que je parie que vous n’avez jamais assisté à une bataille aussi inattendue qu’imprévisible
Pour cette couverture à faire pâlir plus d’un auteur de saga chevaleresque. Quelle somptueuse armure dont est doté notre Chevalier de Ventre-à-Terre.
Pour cette vie d’escargot-chevalier qui exige une stricte discipline de vie pour autant que l’on y ajoute le bisou baveux. D’ailleurs le lectorat, un tantinet très observateur, remarquera à quelle grande vitesse se prépare un chevalier prêt à en découdre !
Pour toutes les références à la littérature de jeunesse, et il y en a un paquet : comment ça vous n’êtes pas jalouse de cette merveilleuse glacière à l’effigie d’Hello Kitty !! Petit indice : la chambre d’enfants en est truffée.
Pour cette affiche, que personnellement, j’aimerais voir dans ma cuisine « 5 salades et champignons par jour ». N’est-ce pas la base d’une excellente alimentation d’escargot ?
Pour l’illustration représentant le bureau du Chevalier, son équipement tout dernier cri afin de répondre en temps réel sur les réseaux sociaux. Tiens donc Saint-Procrastin a quitté mon foyer pour échouer ici… quel joli clin d’œil à l’auteur lui-même.
Pour cette gigantesque épopée qui se trame sous vos yeux ébahis et qui se retrouvera surement gravé sur un champignon au détour d’un chemin.
Pour ce suspens insoutenable : Chevalier de Ventre-à Terre va-t-il enfin croiser le fer avec ce malotru de voisin baveux grignoteur de fraises : le Chevalier de Corne-Molle ?
Pour ce dénouement parfait et cette chute vertigineuse !
Pour l’humour si particulier de Monsieur Gilles Bachelet. Des albums aux références qui parlent autant aux grands qu’aux petits.
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Le choix de Lucie s’est rapidement porté sur Une histoire d’amour, voici pourquoi :
Une histoire d’amour, Gilles Bachelet, Seuil Jeunesse, 2017.
1- Parce que cette histoire d’amour, comme celle de tous les couples heureux, est d’une banalité exemplaire… 2- Jusqu’à ce que l’on découvre ses personnages principaux ! 3- Pour le voyage de noces exotique. 4- Pour cette brosse à ongles – chien, qui compte parmi les meilleures trouvailles. 5- Pour la réplique de Georges : « Des enfants ? Mais… nous avons déjà un chien ! » 6- Et l’illustration de la page suivante mettant en scène des familles d’objets usuels, du papier toilette au sèche cheveux. 7- Parce que Gilles Bachelet réussi le pari de faire vivre ses personnages dans un monde à échelle humaine, au milieu des objets du quotidien à taille réelle. 8- Pour les petits (ou gros) détails hilarants que recèlent les illustrations. 9- Parce que chez Georges et Josette, le partage des tâches semble fonctionner à merveille. 10- Et parce que le couple traditionnel n’est peut-être pas à la pointe de la modernité, mais que (comme le montre le doigt qui leur sert de tête) Georges et Josette s’en moquent.
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Et vous, quel est votre album préféré de cet auteur fantastiquement fantasque ?
Ca y est, l’automne est là. Sous le grand arbre, la grisaille nous donne envie de bouquiner bien au chaud. Mais que lire ? Voici les suggestions inspirées de nos récentes découvertes !
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Beaucoup de lectures enthousiasmantes chez Lucie ce mois-ci. Outres les découvertes dûes aux conseils avisés de ses copinautes déjà évoquées par ici (Combien de Terre faut-il à un homme ?, Pallas, La ville grise…), deux titres ont retenu son attention.
Les goûters philo : La tolérance et l’intolérance pour commencer. A la recherche de titres pouvant servir de support pour aborder les drames de l’actualité, et notamment à la commémoration du 16 octobre, Lucie s’est tournée vers cette collection qui trouve le juste ton entre réponse et invitation à la réflexion personnelle. Cet opus est un modèle du genre et semble particulièrement adapté aux élèves de primaire. Un vrai soutien pour faire face aux questions délicate des enfants !
Les goûters philo : La tolérance et l’intolérance, Brigitte Labbé, illustrations de Pierre-François Dupont-Beurier, Milan, 2019.
Pour une lecture « plaisir » non dénuée de réflexion, le troisième tome des aventures de Jefferson : Jefferson se fâche. La plume de Jean-Claude Mourlevat est toujours aussi délicieuse, mais invite tout de même à réfléchir sur le handicap et l’écologie. Car Jefferson a des raisons de se fâcher : son ami Emile a été renversé par une déneigeuse. A moins que cet accident ne cache une réalité plus complexe ? Quoiqu’il en soit, aidé de son ami Gilbert, le petit hérisson va mener l’enquête. Pour le plus grand plaisir de ses fans !
Jefferson se fâche, Jean-Claude Mourlevat, illustrations de Antoine Ronzon, Gallimard Jeunesse, 2023.
Pour Liraloin, partager les aventures d’Agathe jeune fille pétillante et forte tête n’a été que source d’inspiration ! Lorsque vous entrez au Bloomstone Manor, les codes de la haute société n’existent plus. Libre et considérée, Agathe va découvrir un lieu bien loin de celui qu’elle a toujours connu. Obstinée, la jeune femme, un brin maladroite et ignorante des rudiments de l’Amour, va peu à peu s’épanouir. L’écriture de Mary Orchard nous transporte dans une Angleterre patriarcale, celle qui fait de l’ombre au bon fonctionnement du domaine de Bloomstone. Un roman qui se dévore tant que les personnages sont attachants, sensibles, justes et si actuels !
Sous les étoiles de Bloomstone Manor de Mary Orchard, Casterman, 2023
Reconnaître un bon album pour les tout-petits n’est pas toujours simple. Voici une lecture qui devrait ravir les enfants et les parents par la même occasion. Miracle de la nature, dans ce jardin trois petites tortues sont nées et quelle n’est pas la surprise des autres animaux ! Papillon, grenouille, souris, chat, lapin et oiseau sont drôlement intrigués et se demandent si ces trois-là sont dotés de belles qualités tout comme eux, bien évidemment.
« Mais les trois petites tortues, TAPETI TAPETA marchent à tout petits pas. » et c’est déjà très bien non ? Cette histoire en randonnée est un petit régal à raconter et à observer. Les situations sont amusantes et le rythme invite l’enfant à prendre conscience de la qualité de chaque animal. Le graphisme coloré fait ressortir les éléments qui composent cette généreuse nature et incite l’enfant à compter les trois tulipes et les pétales du trèfle. Nul doute qu’elle ou il s’apercevra de la balade des trois mini chenilles tout le long de la page et de l’histoire.
Tapeti Tapeta de Corinne Dreyfus, Seuil jeunesse, 2023
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Pour Linda, une plongée dans l’Amérique rurale de 1943 fut une découverte des plus jouissive malgré la dureté du monde dans lequel la jeune Annabelle doit faire le dure apprentissage de la vie. Sa maturité et le regard qu’elle pose sur le monde lui donne la force d’affronter ses peurs et de prendre des décisions sans trahir ses convictions. Harcèlement scolaire, traumatismes de guerre et conséquences de nos choix sont des éléments majeurs de ce roman d’apprentissage dans lequel on découvre également la vie de famille et d’une communauté dans l’Amérique profonde des années quarante.
L’année où j’ai appris à mentir de Lauren Wolk, l’école des loisirs, 2021.
Isabelle et son moussaillon de douze ans se sont laissé happer par la trilogie Black Cloud. Entre récit d’aventures et roman apocalyptique, cette série commence très fort ! Trois frères essaient de survivre alors qu’un mystérieux nuage prive soudainement le monde de jour. Dans un monde où on ne peut plus se fier à personne (pas même au voisin ou à la camarade de classe), la solidarité et la perspicacité de la fratrie va être mise à rude épreuve… Vincent Villeminot sait comme personne passer à la moulinette les dilemmes hobbesiens pour en faire des intrigues palpitantes qui donnent à réfléchir sans en avoir l’air. Quel goût auraient les relations humaines dans une obscurité qui ne serait plus régulée ? Que resterait-il, d’ailleurs, de notre humanité ? Ces questions donnent de la profondeur au roman mais il n’en reste pas moins un récit d’aventures haletant. Comme on ne peut que deviner les menaces tapies dans l’obscurité, notre imagination s’emballe avec celle du narrateur qui nous propulse à la lisière du fantastique. Le tome 2 sort en ce mois de novembre !
Et en album, l’équipage de L’île aux trésors a eu le coup de cœur pour le nouveau titre de Judith Chomel. On y farfouille dans une mystérieuse boîte métallique contenant les carnets d’observation et la correspondance d’un gardien de phare, peuplée d’espions anglais, de naufragées bretonnes ou de graines mystérieuses… On adore se laisser surprendre par cet album épistolaire enchâssé dans l’enquête menée par l’autrice qui a trouvé la fameuse boîte, le tout efficacement mise sous tension par la tempête qui monte à l’horizon (c’est d’actualité !). On ne sait pas trop si on peut croire tout ce qu’écrit Léon. Mais il s’est forcément passé quelque chose de spectaculaire pour que toutes ses lettres se soient retrouvées dans la fameuse boite en fer ! N’auraient-elles pas dû parvenir à leurs destinataires ? On passe de la tendresse à la curiosité, du rire au frisson, tout ça dans une irrésistible atmosphère iodée. Un album qui va faire des vagues !
Blandine et ses garçons se sont régalés à la lecture des 3 Contes Cruels de Perceval Barrier et Matthieu Sylvander.
Dans le potager, il se passe bien plus de choses qu’on pourrait le croire! Et ces trois récits, à la fois indépendants et liés, nous le démontrent. Il y a des poireaux qui s’ennuient et qui voudraient voir le monde. Naïfs, ils se laissent berner. Il y a des carottes moqueuses, mais qui ne font pas mieux. Et si l’Amour, c’est peut-être beau, ça ne protège pas non plus. Spéciale dédicace à Roméo et Juliette ! En même temps, on était prévenu dès le titre: « 3 Contes cruels ». Alors on se régale, et puis, on ne sait pas pour vous, mais nous, on aime bien la macédoine de légumes 😉
3 contes cruels. Perceval BARRIER et Matthieu SYLVANDER. Ecole des Loisirs, 2013
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This is not a love letter… A partir du moment où l’expéditrice de la lettre en question souligne d’un geste rageur que celle-ci n’est pas une lettre d’amour alors immanquablement tous nos sens sont en alerte ! On se doute bien que si, si, ceci est une lettre d’amour ! Mais une lettre d’amour pour qui ? Et quelles sont ces « 10 règles du sexe et du surf » qui ont l’air d’être au cœur de cette correspondance non amoureuse ? Oui, quel peut bien être le lien entre surf et sexe ? Les sensations fortes ? Et bien, non, le récit d’Anouk Filippini est bien plus subtil que le baiser en gros plan sur la couverture ne l’annonce. Dans ce roman là, il est question de surf certes, de sexe aussi, mais surtout d’amitié, de confiance, de mort, de violence, de famille, d’amour et de soutien. Dans ce roman là, c’est la voix d’une adolescente en construction qu’on entend, une adolescente qui doit se battre contre vents et marées pour ne pas sombrer. Et c’est à cet endroit là, à l’endroit où la vague pourrait la submerger, que la symbolique du surf trouve toute sa place. This is not a love letter, c’est vrai, c’est tout autre chose et c’est rudement bien trouvé !
This is not a love letter, Les 10 règles du sexe et du surf, Anouk Filippini, Auzou, 2023.
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Et vous, quelles ont été vos lectures d’octobre? Vous ont-elles autant embarqués que les nôtres?
Cette année, les arbronautes ont envie de vous emmener en voyage !
Les séjours en littératures ont le grand avantage d’être peu couteux, tant économiquement qu’écologiquement. Cela nous laisse donc la possibilité de vous proposer des destinations lointaines, voire même imaginaires.
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C’est Lucie qui inaugure le carnet de voyage du Grand arbre en vous proposant quelques livres pour partir à la découverte de l’Amazonie.
L’Amazonie, pour l’Etat brésilien, c’est le bassin versant de l’Amazone. Soit une immense région de 6,1 millions de km² qui renferme 40% des forêts tropicales de la planète, tout en incluant d’autres écosystèmes : en amont, la haute montagne où pas un arbre ne pousse ; près des cours d’eau, de vastes prairies inondables ; le long de l’Atlantique, une impénétrable mangrove, et au sud, les vastes savanes arborés du Cerrado, déjà en grande partie transformées en culture de soja.
L’Amazone, Fleuve de la biodiversité de Marie Lescroart, illustrations de Catherine Cordasco, Editions du Ricochet, 2021.
Pour mieux connaître la région et ses spécificités, l’idéal est de commencer par la lecture d’un documentaire. L’Amazone, Fleuve de la biodiversité de Marie Lescroart a le mérite d’aborder tous les aspects du fleuves, que ce soit son histoire, sa géographie, la faune, la flore, mais aussi les traditions des peuples qui vivent sur ses rives. Un peu à la manière d’un guide de voyage, une présentation riche qui donne les clés de la régions.
L’Amazone, Fleuve de la biodiversité de Marie Lescroart, illustrations de Catherine Cordasco, Editions du Ricochet, 2021.
Une fois les éléments concrets découverts, partons pour une aventure trépidante comme sait si bien en écrire Davide Morosinotto ! La fleur perdue du Chaman de K appartient à la trilogie des romans-fleuve dont nous avons déjà parlé lors d’une lecture commune. S’il commence dans les Andes, une grande partie prend place en Amazonie et utilise à plein sa culture et ses mystères. En plus de nous replonger dans les années 80 et de jouer sur la typographie, l’auteur nous entraine dans une quête passionnante aux côtés de Laila et de El Rato. Un incontournable !
La fleur perdue du chaman de K, Davide Morosinotto, L’école des loisirs, 2021.
Avec La sentinelle, Claire Clément choisit de mettre en lumière un fait peu connu des habitants de métropole : en Guyane française, le taux de suicide des collégiens est dramatique. Ses deux héros sont issus d’un village du Haut Maroni, au cœur de la forêt amazonienne. Le collège étant trop éloigné de leur habitation, ils sont forcés de s’installer en ville dans une famille d’accueil le temps de poursuivre leurs études, et ne peuvent rentrer chez eux que lors des vacances. Cette situation, subie, entraine en déracinement et une perte de repères qui influe fortement sur leur moral. Le rôle des sentinelles est de prévenir les situations pouvant mener au drame.
La sentinelle de Claire Clément, illustrations de Alca, Editions du pourquoi pas, 2023.
La plupart des scientifiques, eux, nomment « Amazonie » la forêt tropicale humide d’Amérique du Sud. Sa superficie […] atteint 7,7 millions de kilomètres carrés, soit la surface de l’Australie !
L’Amazone, Fleuve de la biodiversité de Marie Lescroart, illustrations de Catherine Cordasco, Editions du Ricochet, 2021.
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Enfin, c’est le mystérieux chamanisme (aussi présent dans La fleur perdue du chaman de K, comme son titre l’indique) qui est au cœur de L’enfant-jaguar d’Anne Sibran. Il faut laisser de côté son esprit rationnel et sa culture occidentale pour apprécier cet album aux illustrations envoutantes. Car, comme c’est la tradition dans sa famille, un enfant de huit ans est laissé un mois seul dans la forêt pour apprendre ses secrets et ses ressources.
L’enfant jaguar de Anne Sibran, illustrations de Benjamin Bachelier, Gallimard Jeunesse, 2022.
Pour fêter le onzième anniversaire du Grand Arbre, nous sommes heureuses de vous annoncer le retour du prix ALODGA !
Comme tous les ans, nous vous avons préparé une sélection de trois titres enthousiasmants dans chacune des six catégories : Belles Branches (roman ado) et Grandes Feuilles (roman jeunesse) ; Brindilles (album premier âge) et Petites feuilles (album pour « grands ») ; Branches dessinées (BD) et Racines (documentaires). Chaque semaine à partir d’aujourd’hui, nous vous présenterons les titres retenus dans deux catégories et nous vous invitons à voter pour votre favori. Nous commençons aujourd’hui avec les romans, pour vous laisser la possibilité de découvrir les titres qui vous intéresseraient d’ici la clôture des votes le vendredi 9 juin. À suivre la semaine prochaine avec nos sélections d’albums. D’ici là, bonnes lectures et à vos votes !
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Catégorie Grandes feuilles
Cette catégorie met en avant nos romans jeunesse préférés, triées sur le volet parmi nos lectures de 2022 !
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Vous avez aimé découvrir Jefferson ? Vous allez adorer la suite de ses aventures ! Suite sans l’être d’ailleurs, car les deux romans peuvent se lire indépendamment. Mais quel plaisir nous avons eu à retrouver ce charmant hérisson et ses compagnons Ballardeaux ! Pour cette nouvelle enquête, nous voici entraînés à la recherche de Simone, la lapine esseulée. Nous avons adoré raisonner par déduction avec les protagonistes, rire de leurs frasques, sillonner le pays des animaux, croiser des rappeuses sanglières féministes, une flopée de joueurs de rugby et de sacrés tartuffes. Aventure et humour sont au rendez-vous, mais aussi une réflexion pertinente sur la vulnérabilité des personnes seules. Le tout délicieusement enrobé dans la langue précise de Jean-Claude Mourlevat. Un formidable souffle d’air frais !
Jefferson fait de son mieux, Jean-Claude Mourlevat, Gallimard Jeunesse, 2022.
Si nous l’avons beaucoup aimé, nous avons eu du mal à classer Rosalie. Entre roman et album, il entre dans la catégorie des premiers romans et comporte de ce fait très peu de texte. Cela n’enlève évidemment rien à l’émotion qu’il nous a procurée : nous avons toutes eu un coup de cœur pour cette Méhari vert pomme, membre à part entière d’une famille en pleine reconstruction. L’énergie folle qui se dégage de la figure de la maman, portée par les illustrations vert et fuchsia nous ont séduites. Et nous avons toutes vérifié si l’on trouvait encore des Méharis. Saurez-vous résister à l’attrait de la route ?
Rosalie, Ninon Dufrénois, illustrations de Julien Martinière, Voce Verso, 2022.
Skandar est un peu le titre surprise de cette sélection. Ni la couverture ni les licornes ne nous attirait vraiment, et pourtant ! Le premier tome de cette série nous a convaincus. Les licornes sont bien loin des paillettes et des arc-en-ciel attendus : brutales, violentes elles sont particulièrement dangereuses. Mais Skandar rêve depuis toujours d’être sélectionné pour devenir Cavalier et monter sa propre licorne. Pour cela, il devra surmonter des épreuves, suivre des enseignements et se confronter aux autres. Un roman qui n’est pas sans rappeler l’univers d’Harry Potter. L’autrice a su, à sa manière, transposer dans son univers imaginaire des choses que les enfants et les ados reconnaîtront facilement : la quête de soi, les attentes des professeurs et des parents, la difficulté de prendre confiance en soi, la stigmatisation des minorités ou encore les dérives de la désinformation. Un roman addictif, truffé de rebondissements, drôle – de ceux que l’on dévore et que l’on fait découvrir aux copains et copines !
Skandar et le vol de la licorne, A. F. Steadman, Hachette, 2022.
A vous de jouer pour départager ces trois titres !
Quel est votre titre préféré dans la sélection "Grandes feuilles" ?
Rosalie, de Ninon Dufrénois, illustrations de Julien Martinière (Voce Verso) (60%, 73 Votes)
Jefferson fait de son mieux, de Jean-Claude Mourlevat (Gallimard Jeunesse) (37%, 45 Votes)
Skandar et le vol de la licorne, de A. F. Steadman (Hachette) (3%, 4 Votes)
Total Voters: 122
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Catégorie Belles branches
Cette catégorie célèbre nos romans ados préférés (à partir de 12 ans).
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Le jour des vacances de Noël, voilà Oscar envoyé sans plus de cérémonie chez une vieille tante londonienne qu’il n’a jamais vue. Ce ne sont pas tout à fait les vacances qu’il envisageait, d’autant que celle-ci lui a organisé un stage dans un musée ! Mais Oscar ne va pas tarder à découvrir que ce musée cache un secret des plus intriguants. Camille Guénot nous invite à un jeu de piste entre enquête dans le monde de l’art, fantastique et récit initiatique. Elle épingle avec humour les excès des artistes, multiplie les références et croque des personnages très attachants. Et quelle belle idée que de situer son intrigue à la National Gallery !
Oscar Goupil, A London Mystery, Camille Guénot, L’école des loisirs, 2022.
Avec Ma petite bonne, Jean-François Chabas s’empare de la tradition de la kafala, cette forme d’esclavage moderne qui perdure dans certains pays du Moyen-Orient. L’excellente idée de l’auteur est de confier la narration de son histoire à une femme adulte se remémorant de son adolescence libanaise. Cela permet au lecteur à la fois d’être plongé dans le Liban des années 1990 et à la narratrice d’avoir pris suffisamment de recul pour dénoncer les traditions de son pays. Jean-François Chabas signe un titre sensible et percutant, qui interroge sur le pouvoir des hommes dans les sociétés patriarcales, sur la place des femmes et le rôle qu’elles ont à jouer dans leur émancipation, en commençant peut-être par regarder les autres femmes comme leurs égales.
Ma petite bonne, Jean-François Chabas, Talents Hauts, 2022.
Attention, titre inclassable ! Pour bien faire, il aurait fallu créer une catégorie spécialement pour Aux filles du conte. Le texte de Thomas Scotto tient du manifeste et de la poésie en vers libres tandis que les illustrations de Frédérique Bertrand sont à la limite de l’abstraction. Les auteurs nous poussent à nous interroger : si elles vivent dans de beaux chateaux, « se marient et ont beaucoup d’enfants », est-ce vraiment le souhait de ces jeunes filles ? Les références aux contes traditionnels sont subtiles et les montrent accablées d’injonctions, enfermées, malmenées. Nous avons aimé que les « filles du conte » prennent la plume et donnent (enfin !) leur point de vue, évoquent leurs rêves et leurs désirs.
Aux filles du conte, Thomas Scotto, illustrations de Frédérique Bertrand, Editions du pourquoi pas, 2022.
Sous le Grand Arbre, nous apprécions beaucoup les romans d’Annelise Heurtier. Ils figurent d’ailleurs régulièrement dans nos coups de cœur ou nos sélections thématiques. Qu’elle nous fasse voyager dans le temps ou dans l’espace, les thématiques qu’elle aborde nous touchent. Et vous aussi, puisqu’elle a reçu le prix ALODGA 2019 catégorie « Belles branches » pour La fille d’Avril ! Aussi, c’est avec un immense plaisir que nous la voyons aujourd’hui répondre à nos questions.
Annelise Heurtier au salon du livre de Tahiti.
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Pensez-vous qu’il y a des impératifs particuliers ou des écueils à éviter lorsque l’on écrit pour la jeunesse ?
Je crois qu’il faut déjà distinguer deux types de littérature « jeunesse », celle qui s’adresse aux enfants et celle qui est destinée aux ados. Dans le premier cas, mon processus d’écriture est moins spontané, moins fluide, car je dois m’adapter à mon lecteur. On n’écrit évidemment pas pour un enfant de 8 ans comme pour un ado de 15. Et je trouve d’ailleurs qu’il est bien plus délicat de s’adresser aux enfants (on pense à la fameuse phrase de Janusz Korczak). Il faut maintenir le niveau d’attention, utiliser un vocabulaire adapté – ce qui ne veut pas dire « simplifier », pour moi la lecture est un media essentiel pour enrichir le vocabulaire et la syntaxe – , rester dans l’action. Je crois qu’il est aussi essentiel de ne pas être trop abstrait tant que l’enfant n’a pas acquis la faculté correspondante (autour de 7 ans), sinon il passera complètement à côté. Sur le fond, je ne pense pas qu’il existe de sujets vraiment interdits. Par contre, le traitement va être adapté. Mais tout est une question de bon sens.
Dans le cas de la littérature ado, je ne vois pas une grande différence avec la littérature générale, en tous cas au niveau de la forme. Après – mais là encore il s’agit d’une opinion personnelle – le seul impératif que je me fixe concerne le fond. Dans un roman pour ado, je crois qu’il faut toujours une dose d’espoir, quel que soit le sujet abordé. Par exemple, si j’avais écrit Refuges en littérature générale, peut-être qu’aucun de mes personnages n’aurait survécu à la traversée. En l’occurrence, dans le dernier chapitre, c’est un enfant à naitre dont on entend la voix, dans le ventre de sa mère. Nous sommes nombreux, en tant qu’adultes, à être un peu désabusés par le monde dans lequel on vit, et/ou par nous-mêmes. Les ados auront bien le temps de s’en rendre compte, ne les pressons pas sur cette pente-là.
Refuges, Annelise Heurtier, Casterman, 2015.
Vos romans intègrent souvent des éléments historiques ou géographiques très précis. Ces éléments découlent-ils de l’histoire, ou l’intrigue peut-elle survenir de l’envie d’aborder un fait historique ou une région du monde ?
Plutôt la deuxième option ! En général, l’idée débute avec un fait (c’est le cas pour Des sauvages et des hommes, Le carnet rouge, Chère Fubuki Katana, La fille d’avril) ou une région du monde / une période en particulier (Là où naissent les nuages, Sweet Sixteen) qui m’interpellent en tant que personne. C’est toujours de cette façon que cela commence pour moi : une émotion.
Là où naissent les nuages, Annelise Heurtier, Casterman, 2015. Le carnet rouge, Annelise Heurtier, Casterman, 2017.
Une fois l’émotion transformée en projet d’écriture, comment travaillez-vous sur de tels faits ? Laissez-vous libre cours à votre imagination ou vous appuyez-vous sur des recherches ?
Proposer ce genre de romans implique nécessairement un lourd travail de documentation, qu’il s’agisse de témoigner d’une histoire ayant vraiment eu lieu (Sweet Sixteen, Des sauvages et des hommes) ou de simplement de s’inspirer d’un endroit, d’un fait existant (par exemple les agences de location et les Burakumin du Japon pour Chère Fubuki Katana ou l’interdiction de faire de la course à pied pour les femmes des années 60 pour La fille d’avril). Le deuxième cas est plus confortable que le premier, car il n’y a pas la crainte de trahir involontairement la réalité. Ce devoir d’honnêteté envers le lecteur est primordial pour moi, il faut que je puisse lui apporter l’assurance que les écarts romanesques que je prends ne sont finalement « qu’anecdotiques ». Ce que je veux pouvoir garantir, c’est que l’histoire aurait pu se dérouler de cette façon, car le contexte, les modes de pensées sont fidèles à la réalité. Au-delà de destinées particulières, je dépeins des époques, des modes de vie, des systèmes de pensée parfois très éloignés des nôtres, et ce sont précisément ces confrontations que je trouve intéressantes. Cette phase de recherches peut durer jusqu’à plusieurs années et se base sur l’exploitation de ressources multiples : romans, essais, films, documentaires, carnet de voyage. Quand cela est possible je réalise des interviews. Cela s’apparente un peu à un travail de journaliste, finalement. Et cela me passionne !
La fille d’Avril, Annelise Heurtier, Casterman, 2018. Chère Fubuki Katana, Annelise Heurtier, Casterman, 2022.
Vos romans sur les « Little Rock Nine » ou les néocalédoniens exposés dans des zoos humains en France au XXe siècle adoptent la perspective de minorités auxquelles vous n’appartenez pas. Que pensez-vous des débats autour de l’idée d’appropriation culturelle ?
J’aime à penser que tous les avis sont légitimes tant qu’ils sont exprimés dans le respect, la bienveillance et la bonne foi, or j’ai l’impression que ce n’est pas toujours le cas. Cela m’attriste d’autant que je comprends et je respecte cette envie d’aller vers davantage de représentativité. En ce qui concerne les deux romans que vous citez, j’ai pu lire quelques chroniques qui sont plus dans l’agression que dans la discussion et la progression. Et puis je relève parfois ce que je considère comme des non-sens. On me reproche par exemple le « white-saviorism » dont feraient montre ces romans. J’ai expliqué plus haut que je me fixe pour objectif de dépeindre une époque et un contexte avec le plus de fidélité possible. Or justement, pour ces deux romans, malheureusement, l’oppression et le système étaient tels que cela pouvait difficilement se passer autrement que comme je le décris. Les kanaks de Des sauvages et des hommes auraient difficilement pu s’en tirer seuls. Ils n’avaient aucune latitude d’action. On les a manipulés, on leur a fait peur, en leur rappelant qu’ils n’étaient pas citoyens et qu’ils n’avaient aucun droit. Et que s’ils protestaient de quelque façon que ce soit, ils couraient le risque d’être emprisonnés et de ne jamais revoir leur ile…Sans compter le fait que c’était la première fois qu’ils quittaient la Calédonie et qu’ils se retrouvaient propulsés dans cette immense capitale où tout leur était absolument étranger. Au final, je trouve que reprocher ce « white- saviorism » serait comme reprocher à un roman qui se déroule dans les années 50 d’être patriarcal…C’est à l’époque, à l’Histoire qu’on peut reprocher quelque chose. Pas aux romans qui le dénoncent. On m’accuse également d’ « empêcher les personnes concernées de parler ». Je n’empêche personne de s’exprimer sur quelque sujet que ce soit. Même si je le souhaitais, comment le pourrais-je ? Il y a de la place pour tout le monde. Tout le monde peut écrire et envoyer son manuscrit, d’autant qu’il existe aujourd’hui une réelle volonté de la part des éditeurs de donner la parole à des minorités sous-représentées. Par ailleurs, que signifie ce mot, « concerné » ? Pour Sweet Sixteen, les seules personnes réellement concernées sont les Neuf de Little Rock, et certains ont écrit leur biographie. Il existe par ailleurs un très grand nombre de livres ou d’essais (en langue anglaise) sur le sujet. Je n’ai donc rien empêché du tout, et je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose que d’avoir voulu faire connaître cette histoire de ce coté de l’Atlantique. On a toujours à apprendre du passé, ne serait-ce que pour analyser le présent à la lumière de ce qui s’est produit avant. Par ailleurs, cette notion d’être « concerné » ou pas me semble dangereuse. En compartimentant, en séparant, elle me semble recréer ce contre quoi elle veut lutter. Tout cela me peine, car personnellement c’est en tant qu’être humain que je me sens concernée. Je me sens concernée par ce qui ne tourne pas rond dans ce monde et je ne crois pas que quelque caractéristique que ce soit m’empêche d’être en empathie avec ceux qui souffrent. Je ne prétendrai jamais ressentir toutes ces souffrances car je ne les vis pas, mais j’ai le droit de dire qu’elles me font mal. Je suis consciente d’être privilégiée alors que je n’ai rien fait pour cela (connaissez vous la sublime chanson de Clarika, Tu l’as bien mérité ?) et ma manière à moi de lutter contre cette culpabilité est sûrement de faire ce que je peux, avec mes moyens à moi. Je crois que si on veut défendre les minorités oppressées, il serait plus judicieux de s’attaquer aux oppresseurs… et pas à ceux qui essayent, imparfaitement ou maladroitement peut-être, de les défendre. A fortiori quand ces minorités n’ont même pas la possibilité de s’exprimer ! En attendant qu’elles le puissent, ou pour qu’elles le puissent un jour, il est sûrement heureux que d’autres les aident en faisant connaître ce qu’elles subissent.
Je finirai en évoquant deux beaux souvenirs. D’abord avec Des sauvages et des hommes. Lors d’un récent voyage en Polynésie, une jeune fille kanak est venue me voir pour me remercier de l’avoir écrit. Elle était touchée que quelqu’un s’intéresse à l’histoire de son peuple et dénonce ce que l’état colonial y a fait. Elle était également heureuse que l’on parle de son île de cette façon-là, en en montrant la richesse et la complexité de la culture. Pour Sweet Sixteen ensuite. Il y a quelques années, une jeune fille a expliqué à la fin d’une rencontre scolaire que ce livre avait changé sa vie. Parce qu’elle avait grandi dans un milieu raciste et qu’elle, « naturellement », avait embrassé les idées de sa famille. Mais que ce roman avait fait voler en éclats ces certitudes. Et qu’elle savait que désormais, elle ne serait plus jamais raciste de toute sa vie. N’est ce pas incroyable ? Si ce livre a pu changer le parcours d’une seule personne, je suis heureuse de l’avoir écrit. Mais il est clair que ces accusations me peinent. Si je veux voir le côté positif, elles me permettent également d’apprendre en me faisant me poser des questions.
Sweet Sixteen, Annelise Heurtier, Casterman, 2014. Des sauvages et des hommes, Annelise Heurtier, Casterman, 2022.
Vous avez également pris l’initiative d’adapter sous forme d’albums illustrés des textes classiques de Guy de Maupassant (La Parure) ou de Léon Tolstoï (Combien de terre faut-il à un homme ?) Quelle idée originale ! Comment vous est-elle venue ?
J’adore ce genre de littérature, surtout les romans et nouvelles réalistes du 19e. Je crois qu’aujourd’hui encore c’est la littérature que je préfère, et c’est peut-être la raison pour laquelle mes romans sont de facture assez classique. Il y a quelques années, quand j’ai découvert Combien de terre faut-il à un homme, je me suis dit qu’il était trop dommage que l’objet- livre soit si austère (police minuscule, papier très fin, recueil comprenant beaucoup de nouvelles). J’ai donc pensé à l’adapter en album. Deux ans plus tard, la même nouvelle est sortie en version BD, rayon littérature générale. Le succès a été fulgurant. Je me rappelle avoir été navrée du fait que dans les médias, les journalistes s’accordent tous à saluer l’auteur pour avoir eu l’idée géniale de sortir cette nouvelle de son triste habit… alors que nous l’avions fait 2 ou 3 ans auparavant. Mais c’est souvent ainsi, la littérature dite de jeunesse est encore trop méprisée, et peut-être encore davantage dans le milieu littéraire lui-même (mais cela change un peu !).
Combien de terre faut-il à un homme ?, Annelise Heurtier et Raphael Uhrweiller d’après Léon Tolstoï, Thierry Magnier, 2014. La Parure, Annelise Heurtier d’après Guy de Maupassant, illustrations de Delphine Jacquot, Thierry Magnier 2022.
A propos de la littérature justement, nous serions très curieuses d’en savoir plus sur la manière dont vous travaillez concrètement. Avez-vous des rituels d’écriture ? Des horaires définis ? Travaillez-vous généralement sur un seul projet ou vous arrive-t-il d’en développer plusieurs en même temps ?
Je n’ai pas vraiment de rituel et je passe souvent de longs mois sans rien écrire. Je mène un seul projet de roman à la fois, entre les recherches documentaires et l’impact psychologique qu’ont les personnages sur moi, je ne peux pas faire autrement. Par contre, si les projets sont moins engageants (albums ou romans première lecture), je peux en mener plusieurs de front. J’ai souvent l’impression que je suis moins productive que d’autres mais je ne me sens pas capable d’écrire davantage. Et j’ai besoin de faire d’autres activités, ce qui n’arrange pas ce syndrome de l’imposteur : du yoga, de la cuisine, de la course à pied…
Travaillez-vous avec un plan de votre roman ?
Je ne commence jamais à me lancer dans l’écriture si je n’ai pas l’architecture de mon texte. Ce n’est pas un plan détaillé, d’ailleurs souvent il n’est même pas rédigé, mais il faut qu’il existe dans ma tête. Je sais d’où je pars, je sais où je dois arriver, ce que je veux « résoudre », ce dont je veux parler. Je connais aussi la personnalité des protagonistes avant de commencer. Pour moi c’est indispensable, car à chaque fois que je dois commencer un nouveau roman, je suis très inquiète à l’idée de ne pas y parvenir. Avoir un fil conducteur est primordial, c’est une sorte de fil d’Ariane.
Peut-être est-ce grâce à ce fil d’Ariane, mais nous trouvons que vous avez toujours le ton juste entre le sujet abordé et la manière dont vous le traitez. Comment arrivez-vous à cet équilibre ?
Merci beaucoup ! Mais je n’en sais rien du tout 😊
Vous collaborez avec différents éditeurs. Savez-vous dès l’écriture que votre roman conviendra plus à l’un ou à l’autre ? Vous arrive-t-il de répondre à des commandes de leur part ?
C’est plutôt une question de genre, finalement. Par exemple, pour l’instant en tous cas, je ne vais pas publier des romans ado chez deux éditeurs différents. Au niveau des albums mes éditeurs sont en effet plus variés, même si j’essaie de limiter l’éparpillement. Par contre il est clair que certaines maisons ont des lignes éditoriales bien spécifiques, et que tous les textes ne conviennent pas à toutes. Je ne réponds pas souvent aux commandes, à part pour la presse. J’ai besoin d’être passionnée par un sujet pour m’en emparer, d’avoir été émue ou puissamment interpellée. S’il ne vient pas de moi, c’est compliqué.
Lisez-vous les critiques de vos romans ? Êtes-vous plus attentive aux retours de la presse ou à ceux des lecteurs ?
Oui, je les lis, cela m’intéresse d’avoir les retours des lecteurs. Pour moi tous les avis sont légitimes, car on a tous des vécus, des personnalités, des goûts différents qui font que l’on va aimer un texte ou non. Et je trouve ce façonnage très intéressant. Je ne prends jamais ombrage des avis négatifs, tant qu’ils ne sont pas de mauvaise foi et qu’ils se basent sur une lecture effective (il y a parfois des personnes qui commentent sans avoir lu le livre). A l’inverse, ils me font avancer sur mon propre chemin et ma connaissance de l’autre.
Avez-vous un droit de regard sur vos couvertures ?
Cela dépend des éditeurs. Certains vous y associent vraiment, d’autres moins ou même pas du tout. Je me souviens en particulier d’une couverture que je n’avais pas aimée, mais que je n’ai pas pu faire changer. C’est difficile à accepter, car la couverture est primordiale, c’est ce que l’on voit en premier de l’objet-livre… et quand elle ne vous semble pas adaptée à ce qu’il y a à l’intérieur, c’est un peu rageant et frustrant. Il y a aussi les quatrièmes de couverture qui à elles seules peuvent faire plonger un roman ! Pour moi, ces aspects marketing ne sont pas vulgaires et j’aime en discuter avec les élèves que je rencontre. Ils sont toujours très intéressés quand je leur montre les couvertures de mes romans traduits. Elles nous permettent de nous interroger sur les différents choix éditoriaux qu’il est possible de faire et ce qu’ils révèlent d’une culture, par exemple.
En coréenEn espagnolEn italienEn brésilienUn aperçu des différentes traductions de Sweet Sixteen.
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Un grand merci à Annelise Heurtier pour sa gentillesse et sa disponibilité ! Nous espérons vous avoir donné envie de (re)découvrir ses romans. En attendant, vous pouvez retrouver son blog ICI et les différents articles où nous avons évoqué son travail LA.