En mars, depuis 25 ans, la France célèbre la poésie à l’occasion du Printemps des poètes ! Partout en France, dans la rue, dans les écoles, les collèges, les lycées, les médiathèques, les théâtres, sur les parkings ou dans les parcs, si le cœur vous en dit, il vous est possible de faire rimer votre vie avec fantaisie ! C’est cette année l’occasion de concrétiser une idée que nous avions depuis longtemps : vous proposer une sélection de nos livres de poésie préférés destinés à la jeunesse. Et une fois n’est pas coutume, cette sélection sera accompagnée de morceaux choisis, car rien de mieux pour faire vibrer la poésie que de se la mettre en bouche, ici, tout de suite, maintenant !
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Je te sens
Je sens le poids de ton corps
Je sens la dimension de ton corps
Je sens la température de ton corps
Je sens les bruits de ton corps
Je sens les odeurs de ton corps
Je sens la texture de ton corps
Je sens la couleur de ton corps
Je sens le poids de ton corpsJe te sens
Poèmes à murmurer à l’oreille des bébés (de 9 secondes à 9 mois et au delà…), Marcella et Marie Poirier.
Et si on murmurait des poèmes à l’oreille des bébés ? Et oui, on peut goûter la poésie dès le plus jeune âge, les bébés étant particulièrement gourmands de comptines, enfantines et autres guirlandes de rimes que leurs proches peuvent leur glisser à l’oreille parfois même avant leur naissance. C’est le doux projet de Marcella et Marie Poirier avec le très beau recueil Poèmes à murmurer à l’oreille des bébés (de 9 secondes à 9 mois et au delà…) publié aux éditions Les Venterniers.
Retouvez l’avis de Liraloin.
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Mon coeur a des dents
des dentsil mord qui approche dévore ceux qui m’aiment
j’entends les os craquer les hurlements glacés des assassinés
c’est pas appétissant
sage mon cœur sage
es-tu rassasié maintenant
cesse s’il te plaît de grincer
des dentsj’habite un ogre en mon seins
moi qui suis végétarien
c’est un peu
embarrassantje vais l’entourer de fil barbelé planter une pancarte
attention danger
au moins vous serez prévenu
mon cœur minotaure en son labyrinthe
vous attendà pleines dents
Mon cœur a des dents, poèmes sous haute tension, Bernard Friot.
Pour Colette, il est un auteur jeunesse qui manie les mots, l’espace de la page, la ponctuation avec brio pour initier les enfants et les adolescent.e.s à la poésie : c’est le célébrissime Bernard Friot ! Avec ses recueils Mon cœur a des dents ou Attention ça pourrait devenir intéressant…, par exemple. Il se joue du blanc de la page, de l’espace, inventant des architectures improbables pour exprimer tout le potentiel de liberté des mots à qui on lâche la bride ! Le voilà qui a même inventé un outil foisonnant pour qui souhaite s’initier à l’écriture poétique avec son formidable Agenda du (presque) poète illustré avec une énergie folle par Hervé Tullet.
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Tout au plus
Envoie-moi ce ballon que je lui parle,
Il doit avoir au moins un but dans la vie.Envoie-moi ce mot que je lui parle,
Il doit avoir au moins un poème dans sa familleEnvoie-moi ce soleil que je lui parle,
Il doit tendre au moins une oreille dans le feu.Envoie-moi ce rond dans l’eau que je lui parle,
Il doit connaître au moins une lune qui s’est noyée.Envoie-moi ce chemin que je lui parle,
Il doit au moins savoir jeter des pas devant luiEnvoie-moi cette idée que je lui parle,
Elle doit au moins avoir un calicot qui l’attend.Envoie-moi ce demain qui perle sur nos lèvres.
Petits poèmes pour y aller de Carl Norac, illustrations d’Anne Herbauts, Pastel, 2022
Nous n’en parlerons pas, nous changerons un peu,
Nous d’abord, puis le monde, tout au plus.
Dans Petits poèmes pour y aller, Carl Norac nous raconte sa vie de poète. Il nous confie ses poèmes pour mieux apprécier les sensations que la vie peut nous mener à traverser. Que l’on soit plutôt « petit poème pour y aller » ou « petit poème pour ralentir » il y aura bien un moment où il faudra « y aller ou pas ». L’important c’est tout de même de déguster le moment qui fige ce temps. Les illustrations d’Anne Herbauts mettent en scène ce poète parcourant, en totale harmonie, notre monde : « – Et ça mène où, pour finir, la poésie ? – Nulle part, Monsieur, nulle part mais au bout du monde ».
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Marchands d’histoires
– Quand je serai grand,
– Quand je serai grande,
– Je serai marchand,
– Je serai marchande.– Nous serons tous deux
Des marchands d’histoires :– Du dragon sans feu,
– De l’ogre au miroir,
– Du monstre à trois yeux,
– Du fantôme noir.– Quand je serai grand,
J’y suis j’y rêve, Pierre Coran, Les éditions du Rocher, 2005.
– Quand je serai grande,
– Nous serons tous deux
Marchands de légendes.
Pierre Coran sait parler aux enfants. Sa poésie est accessible sans sacrifier à la facilité. Que ce soit dans son recueil J’y suis j’y rêve, ses Jaffabules ou ses comptines (Pour ne pas zozoter, De bouche à oreille) le rythme et l’humour sont à l’honneur. Pour le plaisir des petits et des grands !
L’avis de Lucie sur J’y suis j’y rêve.
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Cendrillon
Vous croyez, j’en suis sûr, connaître cette histoire.
Un conte peut en cacher un autre, de Roald Dahl, illustrations Quentin Blake, Folio cadet, 2017.
Vous vous trompez : la vraie est bien plus noire,
Ou rouge sang, si vous voulez.
La fausse, que vous connaissez,
Fut fabriquée, ou inventée,
Et sans scrupule trafiquée,
Afin que tout y soit mollasson, niaisouillard,
Le genre à faire le soir s’endormir les moutards.
Si le recueil Un conte peut en cacher un autre de Roald Dahl n’apparaît pas dans l’article que nous avons consacré à nos classiques préférés, il a été mentionné dans celui consacré aux contes détournés. Et pour cause ! L’auteur anglais mélange allégrement histoires et personnages, ajoutant encore une couche de cruauté à des figures qui n’en manquaient pas. Le tout en vers, s’il vous plaît. Si nous sommes reconnaissants de ne pas avoir eu à les apprendre par cœur à l’école, cela reste un délice de lecture.
L’avis de Lucie.
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Quand je retourne au pays
Je passe toujours devant chez eux
Et ça chaque fois ça me surprendLe trottoir nu souligne leur absence
Quatre murs seuls qui tournent au gris
Gonflées d’humidité comme s’ils retenaient des larmes
Et une petite cour déserte collée au mur de la maison voisineIl fallait bien du talent pour en faire un paradis
Leur départ
Signe la fin d’un mondeVivre pauvre sans être rustre
Avoir peu et tout offrir
Garder le meilleur pour l’ami ou l’étranger
Reprendre tous les matins le même chemin
Savoir que toute la vie sera ainsi
Et en sourireMoi
J’ai vu Sisyphe heureux de Katerina Apostolopoulou, Bruno Doucey, 2020.
J’ai vu
Sisyphe heureux.
La poésie est voyage et c’est encore plus vrai sous la plume de Katerina Apostolopoulou qui nous raconte, en deux langues, la Grèce de son enfance, avec ses paysages magnifiques, son peuple généreux, sa pauvreté, la richesse des cœurs, ses croyances et ses mythes. L’auteure à la double nationalité écrit de la poésie narrative, c’est à dire des histoires décomposées en plusieurs textes poétiques. Ici pas de traduction mais une écriture en grecque et une écriture en français pour nous raconter avec ses mots trois histoires qui tendent à montrer que l’on peut être heureux dans une vie simple et répétitive. Un recueil savoureux pour les plus grands.
L’avis de Linda.
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Parce qu’un enfant
ça doit jouerParce qu’un enfant
ça doit rêverParce qu’un enfant
peut s’envolerParce qu’un enfant
doit être aimésait sourire
sait respirer
sait fleurirc’est liberté
Immenses sont leurs ailes de Murielle Szac, Bruno Doucey, 2021.
Le voyage n’est pourtant pas toujours facile. Murielle Szac nous raconte les enfants de Syrie, dans ce long poème narratif, des enfants qui aiment jouer, danser, chanter, courir ; des enfants dont la lumière dans les yeux s’est éteinte quand les bombes ont rasé un village, une école, une maison et qu’il a fallu partir et tout laisser derrière. Les visages de ces enfants, peints par Nathalie Novi, sont autant de portraits qui nous regardent intensément et nous disent la douleur d’avoir tout quitter et l’espoir que leurs rêves se réalisent. Tout simplement bouleversant d’émotions. La collection Poés’Histoires s’adresse aux enfants et souhaite leur offrir de la poésie qui les prenne au sérieux en abordant des sujets peu présents en jeunesse.
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Entre nous et le ciel parfois
L’urgence d’une comète
Puis le malheur plongeant à tire-d’aile
Puis juste le ciel à nouveau
Perdu dans le silenceEntre nous et le ciel maintenant
Le vent
L’ombre d’un nuage
Peut-être un ange
Ou pasPuis plus rien
Juste le ciel et nous d’Annie Agoplan, Le port a jauni, 2022.
Plus qu’un recueil, Juste le ciel et nous est un long poème qui défile d’un bout à l’autre amenant une réflexion philosophique, un questionnement sur l’existence, sur le rapport de l’humain à l’univers, à la nature. En nous donnant le rôle d’observateur du ciel, simplement rattachés au sol par nos pieds, Annie Agopian nous invite à repenser la brièveté d’une vie humaine comparée à celle de la nature qui se répète dans le cycle infini des saisons. Mais son texte invite aussi à repenser le monde sans limites, sans frontière, aussi infini que le ciel. Les bilingues pourront relire le livre dans l’autre sens, dans la langue arabe (texte traduit) ; les deux textes se font miroir et se partagent un même espace, une même illustration de Carole Chaix qui a su si parfaitement restituer les mots de l’auteure et les sublimer.
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Si la musicalité de la poésie parle souvent aux enfants, ce genre littéraire n’est pas forcément le plus facile d’accès. C’est pourquoi le parti-pris des albums de la collection « petit livre, grand texte » des excellentes Éditions courtes et longues est si intéressant : présenter des textes de grands auteurs, mais sous la forme d’albums illustrés par un(e) artiste contemporain(e). Le trait nous invite, nous accompagne dans le cheminement du poème et en décuple encore l’émotion. C’est magique et Isabelle a été ravie de pouvoir ainsi faire découvrir à ses moussaillons Baudelaire, La Fontaine, Rimbaud ou Victor Hugo.
« Le Poète est semblable au prince des nuées
L’albatros, de Charles Baudelaire, illustré par Mathilde Magnan. Éditions courtes et longues, 2016.
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
L’albatros est certainement l’album de cette collection qui a le plus ému l’équipage de L’île aux trésors. On ne présente plus ce texte magnifique sur la solitude douloureuse du poète, incompris et maltraité, qui tel un grand oiseau libre, tutoie les nuages. Ses alexandrins se déploient ici lentement, un ou deux par double-page, laissant aux mots le temps de faire leur effet. Les aquarelles aériennes de Mathilde Magnan soutiennent le texte, l’incarnent, le prolongent voire en prennent le relai. C’est de toute beauté et bouleversant.
L’avis d’Isabelle
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Et dans la même collection, ne manquez surtout pas Les animaux malades de la peste, de Jean de La Fontaine !
Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,
Les animaux malades de la peste, Jean de La Fontaine
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J’ai dévoré force moutons.
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense ;
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce.
Est-ce un péché ? Non non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant beaucoup d’honneur;
Et quant au berger, l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire. »
L’album illustré par Olivier Morel souligne le potentiel subversif des fables de La Fontaine. Langue corrosive, vers réjouissants, férocité de la dénonciation de la justice à géométrie variable exercée par les puissants. Vous savez bien, il s’agit de cette fable où l’on cherche un responsable du fléau de la peste. Si chaque animal bat sa coulpe, on ne peut pas vraiment dire que chacun soit logé à la même enseigne… Olivier Morel ne touche pas un mot au texte mais joue sur la typographie pour mettre en relief certains d’entre eux. Fractionné avec un ou deux vers par double-page, le texte prend tout son sens. Et surtout, l’idée géniale est de lui juxtaposer des gravures modernes dans l’esprit du street art qui révèlent sa portée évidente pour éclairer la société d’aujourd’hui. C’est puissant, hyper contemporain et plein de clins d’œil artistiques et sociétaux.
L’avis complet d’Isabelle
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Et vous, quels poèmes allez-vous lire en ce printemps 2023 ?