Comme annoncé il y a quinze jours dans l’article que nous avons consacré aux œuvres essentielles d’Isabelle Simler, l’auteure – illustratrice au trait de crayon magique a gentiment accepté de répondre à nos questions. Nous sommes très heureuses de vous partager cet entretien dans lequel il est question de liberté, de partage, de belles collaborations et d’une parution cette semaine !

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Comment est née votre technique de dessin ?
Avec le temps, en tâtonnant. En expérimentant différentes techniques, on finit par trouver ses outils, ceux qui correspondent le mieux à ses envies, à sa façon d’observer et à ce que l’on cherche à faire passer par le dessin.
Justement, touvez-vous que votre style a évolué depuis vos débuts ?
Oui, je m’en rends compte, lorsque je regarde mes albums plus anciens. La façon de dessiner évolue forcement. Rien n’est figé et on a jamais fini d’apprendre à dessiner. J’ai l’impression que mon geste s’est un peu délié et le mouvement est plus marqué.
Avez-vous des supports favoris ?
Le papier, pour sa texture et sa beauté et la tablette graphique, pour sa précision et la liberté d’expérimentation qu’elle offre.
De quelle manière êtes-vous arrivée à la littérature jeunesse ?
Avant de faire des livres, j’étais illustratrice pour la Presse, la Pub, le dessin animé. Durant ces années passées, j’ai toujours travaillé en binôme ou en équipe sur des projets collectifs. En tout premier lieu, ce qui m’a donné envie de me tourner vers le livre, c’est ce plaisir d’être seul maître à bord, de se retrouver dans un projet qui vous appartient. Dès mon premier livre, j’ai eu envie d’être à la fois auteure et illustratrice, d’imaginer le projet dans son entièreté, de jouer avec les idées, les mots et le dessin de façon mêlée. Je crois que ce qui m’a amené vers la littérature jeunesse, c’est l’envie de liberté.
Comment prenez-vous en compte votre lectorat jeune public dans la conception de vos albums ?
Ça me plait beaucoup de m’adresser aux enfants. C’est un public curieux, sans à priori et qui glisse facilement du réel vers l’imaginaire. Mais l’album jeunesse est aussi souvent un livre partagé, entre un enfant et un adulte. Et j’aime l’idée qu’il y ait plusieurs lectures possibles. Je trouve dommage de limiter un livre à une tranche d’âges, je préfère laisser le livre trouver son public, plutôt que de déterminer les choses à l’avance.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Comment choisissez-vous les sujets de vos albums ?
Le grand plaisir dans ce métier est de pouvoir suivre ses envies, ses lubies. La première impulsion vient souvent d’une envie de dessin et plus particulièrement du dessin d’observation. Le point de départ est souvent un détail du réel qui va piquer ma curiosité et que je vais avoir envie d’explorer.
En parlant d’exploration, nous sommes intriguées par la place prépondérante de la nature dans vos ouvrages. Quelle relation particulière entretenez-vous avec cette dernière ?
Elle m’émerveille, elle est un champs d’exploration infini. Il y a une telle diversité de formes, de couleurs, de lumières, de textures, de comportements, de perceptions, … c’est très inspirant. Je dirais que c’est une relation passionnelle, mais à distance, puisque je vis à Paris 🙂
Est-ce que vous travaillez avec des naturalistes, entomologistes ou autres spécialistes des libellules et scarabées ? Et si oui dans quelle mesure ?
Les rencontres font aussi parties des joies de mon métier et j’apprécie particulièrement celles avec des scientifiques. Pour certains albums ou cahiers documentaires, il m’arrive d’illustrer des textes d’auteurs scientifiques. Pour mes propres albums, je demande parfois une relecture, pour avoir un regard scientifique et je me documente beaucoup en amont. Mais si le point de départ est très souvent le réel, j’aime aussi m’en éloigner et prendre des libertés.
Vous êtes à la fois auteure et illustratrice de vos albums, comment s’accordent ces deux « casquettes » ?
J’aime la souplesse qu’offre cette double position. Cela me permet d’aborder un projet par l’angle qui me plait. Parfois, je commence par le dessin, d’autres fois par le texte et souvent par les deux en même temps. Et c’est le mouvement de l’un à l’autre qui est vraiment jubilatoire.
Il arrive aussi que vous illustriez les textes d’autres auteurs, qu’est-ce que cela change dans votre approche ? Comment choisissez-vous ces collaborations ?
Les projets que j’initie sont généralement ceux que je travaille en solo. Alors que les collaborations sont plutôt des commandes ou des propositions que l’on me fait. Ce qui détermine les choix…? l’envie, le désir.
Vous travaillez depuis quelques années avec les éditons Courtes et Longues. Comment vos projets aboutissent-ils ?
J’ai publié il y a 13 ans mon premier album aux éditions courtes et longues et depuis, tous les projets que j’initie, je les confie à cet éditeur. C’est une relation forte, de confiance, de respect, qui est très précieuse et dont j’ai besoin pour travailler en toute liberté. Les projets se construisent dans l’échange.
Pour votre dernier titre publié par cette maison d’édition, vous avez collaboré avec Stéphane Servant, comment est né ce projet ?
Nous nous sommes rencontrés sur un salon du livre, il m’a parlé du texte qu’il était en train d’écrire. Je connaissais déjà son travail, que j’appréciais beaucoup. Quelques mois plus tard, Il m’a envoyé son texte. Je l’ai trouvé merveilleux et j’ai tout de suite eu envie de l’illustrer.
Vos albums sont parfois adaptés en langue étrangère pour être édités dans d’autres pays. Comment cela se passe-t-il ?
Ce sont les éditeurs français, par le biais d’agents qui démarchent les éditeurs étrangers. Parfois il s’agit d’une seule publication, d’autres fois, une fidélité se crée avec un éditeur étranger qui suit alors votre travail et publie plusieurs ouvrages. Il arrive que des liens se créent aussi avec les traducteurs, c’était le cas pour moi en Chine et avec mon traducteur en anglais.
Nous avons appris sur votre site que vous aviez illustré le bibliobus du Grand Paris Sud Est Avenir. Est-ce la collectivité qui vous a sollicitée ?
C’était une très belle expérience. C’est le réseau de lecture publique Grand Paris Sud Est Avenir qui m’a contactée par l’intermédiaire de bibliothécaires. Il y a eu la fabrication du bibliobus, très plaisante mais aussi un peu technique. Puis le Bibliobus a pris la route et je l’ai suivi sur le territoire où il circulait, avec des ateliers et des rencontres.

Vous réalisez aussi énormément d’affiches pour différentes manifestations culturelles dont des salons du livre. Comment vous organisez-vous ? Est-ce que l’on vous donne carte blanche ?
La création d’affiche est un exercice que j’aime beaucoup. Généralement, c’est assez libre mais il arrive qu’il y ait certaines contraintes. Je soumets un premier jet esquissé puis dans un second temps, je finalise l’illustration.
Avez-vous un livre de chevet ?
Un seul, c’est difficile… alors je vais en citer un avec lequel j’ai passé beaucoup de temps dernièrement. Il s’agit de Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll que j’ai eu le plaisir d’illustrer et qui sortira le 12 septembre prochain.

Avez-vous un lecteur idéal en tête lorsque vous écrivez ?
Je ne crois pas. La lecture idéale d’un album, pour moi, est une lecture partagée entre plusieurs générations.
Vous donnez à voir, aussi bien le concret que l’abstrait, quel retour avez-vous des enfants, des adolescents qui lisent vos livres ?
J’ai plus souvent des retours d’enfants et d’adultes, moins d’adolescents (dommage). Le dessin est au coeur de mon travail et nous choisissons, avec mon éditeur, des papiers qui mettent en valeur les traits du dessin, les détails, le rendu parfois esquissé. Il me semble que les lecteurs sont sensibles à cette proximité avec le dessin.
Lors de la fête du livre de Villeurbanne, vous avez animé différents ateliers dans des classes. Appréciez-vous cet exercice ? Avez-vous le souvenir d’une rencontre particulière à nous faire partager ?
J’apprécie beaucoup les rencontres et les ateliers avec le public. Et j’aime particulièrement les projets longs, comme celui de Villeurbanne. Les enfants ont parfois du mal à imaginer qu’il faille beaucoup de temps pour dessiner, chercher, rater, avant d’arriver à ce que l’on veut. Et ce type de résidence, où je revois les enfants plusieurs fois durant l’année, permet de ne pas être dans l’immédiateté d’un résultat mais d’expérimenter le dessin sur un temps plus long. Toutes ces rencontres nourrissent mon travail et déclenchent parfois des projets de livre. Par exemple, l’envie de dessiner l’album « Les idées sont de drôles de bestioles » m’est venue d’une discussion avec des élèves de primaire sur la question des idées, de l’inspiration et de ce qui se passe dans la tête d’un auteur lorsqu’une idée lui vient.
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Mille mercis à Isabelle Simler d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous espérons que cet entretien vous a donné envie de poursuivre la découverte de son travail et que, comme nous, vous êtes pressés de voir de quelle manière elle a donné vie aux personnages d’Alice au Pays des Merveilles !