Lecture commune : La petite fille au fusil, histoire d’une jeune résistante

Lorsque la BD s’invite sous notre bel arbre, l’envie de faire une lecture commune s’en fait de suite ressentir. Pour ce titre Lucie et Liraloin ont partagé leurs émotions durant la lecture de cette BD. Vous allez voir que Magda, cette petite fille au fusil nous relate un épisode très sombre de l’Histoire de la Lituanie…

La petite fille au fusil, histoire d’une jeune résistante de Marius  MARCINKEVICIUS et illustré par Lina ITAGAKI, 2025

Lucie : J’ai beaucoup vu passer cet album sur les réseaux avant de me lancer et je n’étais pas totalement convaincue sur le papier : d’un côté l’histoire m’intéressait vraiment, de l’autre je trouvais les illustrations très (trop) « enfantines ». As-tu été immédiatement attirée par ce titre de ton côté ?

Liraloin : Je n’avais pas entendu parler de cette BD. C’est en recevant la liste via le blog que le titre m’a interpellé et comme tu étais aussi partante de ton côté, j’ai foncé. Tu évoques les illustrations. Pour ma part, comme je fais partie d’un comité BD et étant grande lectrice d’albums, je passe outre les illustrations. Ce qui m’a attiré : ce passage de l’Histoire qui n’est pas forcément très connu (du moins pour ma part). D’ailleurs, est-ce que tu connaissais l’histoire de la Lituanie durant la seconde Guerre Mondiale? 

Lucie : Pas du tout, c’est précisément ce qui m’a attirée. Et j’avoue avoir été choquée en découvrant les nombreuses vagues d’invasions qui se sont succédées. Les lituaniens ont été en paix beaucoup plus tard que la France, quelle période affreuse ! De mon côté, avec les illustrations c’est quitte ou double, j’ai beaucoup de mal à entrer dans une histoire si les dessins me crispent, surtout dans un roman graphique. Je n’arrive pas à avoir du recul à ce sujet. Mais ici elles vont très bien avec la narratrice, je trouve finalement que l’effet est harmonieux.

Liraloin : Je suis d’accord avec toi. Le choix du découpage qui est complétement la construction d’un roman graphique rend la lecture très fluide et l’illustration a autant son importance que le scénario.

Lucie : On découvre donc l’histoire de la Lituanie à la fin des années 1940 à travers les yeux de Magda qui en est au même point que nous. As-tu envie de présenter notre héroïne ?

Liraloin : Bien sûr !!! Magda n’est pas très âgée mais assez pour se voir confier une mission d’une grande importance. Son père a dû voir en elle cet esprit téméraire. Elle est très débrouillarde car ses parents et son grand-père lui ont enseigné comment se débrouiller avec ce que peut apporter la Nature. Ce qui m’a plu dans le personnage de Magda c’est son caractère très fort qui est à l’inverse de cette esprit de fillette qui est en elle. De par ses choix, elle peut être maladroite comme un enfant de cet âge pourrait l’être finalement. Et toi qu’est-ce qui te plait chez Magda? 

Lucie : Comme toi, cette alternance entre enfance et débrouillardise m’a semblé très juste. D’autant que les talents de Magda sont justifiés : elle sait coudre parce que son grand-père est cordonnier, elle se déplace silencieusement parce qu’elle est passionnée par les indiens… ses qualités ne sortent pas d’un chapeau et j’ai vraiment apprécié ce côté réaliste. D’autant que le lecteur fait sa connaissance dans un moment dramatique puisque son père lui a demandé de se cacher alors que toute sa famille était arrêtée ! Après, sa personnalité très vive est extrêmement attachante, surtout au milieu d’adultes. 

Liraloin : Oui tout à fait. Il y a une page qui montre l’absurdité de cette guerre et les conséquences : les occupations notamment. Dans le cas de la Lituanie, Magda parle des soldats verts qui persécutent le peuple puis l’arrivée des hommes en marron qui ne sont pas mieux : “Ils ont pris les montres de tout le monde, comme s’ils voulaient être les maîtres du temps”. Le ton d’une fillette qui parle en somme. 

Lucie : Suite à l’arrestation de sa famille, Magda se retrouve seule. Souhaites-tu parler du groupe de résistants qui la recueille ?

Liraloin : Elle est secourue par son ancien instituteur qui l’amène dans un de ces fameux bunkers. Et là on rencontre d’autres personnages qui eux aussi sont sortis de l’enfance plus tôt que prévu ou ont été blessés… très difficile et réaliste ! D’ailleurs, comment as-tu vu cette nouvelle vie qui arrive très brusquement pour Magda ? 

Lucie : La transition est très bien amenée par le personnage du maître comme tu le disais. Le lecteur est comme Magda, inquiet de l’arrivée cet adulte en uniforme : de quel côté est-il ? comment va-t-elle se débrouiller maintenant qu’elle est seule ? Et en fait son intégration se fait naturellement, on comprendra plus tard pourquoi. J’ai trouvé que l’abri des résistants fonctionnait un peu comme une famille – peut être parce qu’ils sont très jeunes comme tu le disais – avec des personnalités très tranchées mais aussi très attentives les unes aux autres. As-tu un personnage préféré parmi eux ?

Liraloin : Comme tu le dis très bien, c’est une famille qui est recréé pour elle. Je n’arrive pas à savoir si j’ai un personnage qui m’a touché plus que l’autre. Ils sont si différents dans leur caractère et de les voir prendre ces risques au jour le jour me les a tous rendus très attachants. Après, je ne peux pas résister au duo Magda-Pépite ! La vie en dehors des missions s’organise comme une famille et c’est d’autant plus compliqué lorsqu’elle revient chez elle pour y chercher un objet, elle ne reconnaît plus sa maison et son odeur. 

Lucie : Pépite est donc le chien de Magda, personnage à part entière de ce roman graphique et central de différentes péripéties car Magda y est très attachée.

Ce moment dont tu parles du retour à la maison est hyper bien vu. Il montre bien l’étrangeté du conflit qui atteint les recoins les plus intimes. Et en même temps l’humanité de l’ennemi puisqu’une autre famille a été logée là, probablement sans savoir le drame qui lui a permis d’avoir cette maison. Martin explique à Magda : “Ne te mets pas en colère, ce sont peut-être des gens bien. L’homme a perdu sa jambe à la guerre. Le nouveau gouvernement a donné la maison des déportés à d’autres familles… Ce n’est pas facile pour eux…” Cette volonté de nuances m’a énormément plu.

Liraloin : Exactement ! ça me fait rebondir sur cette histoire de territoire vu avec la famille de renard. Magda intervient et fait une énorme bêtise qu’elle veut réparer car finalement elle s’est aperçue qu’elle avait envahi le territoire de chasse de la renarde. J’ai trouvé cela parfait ! Le renard, ce prédateur que tout le monde veut abattre ! 

Lucie : C’est d’ailleurs un passage qui intervient juste après. Ces passages avec les renards pourraient sembler anecdotiques mais ils ne le sont pas du tout, ils montrent la complexité et les conséquences de chaque décision, à la hauteur des renards mais pas seulement évidemment ! On prend une décision qui semble bonne sur le moment, on se rend compte qu’elle a des conséquences qu’on n’avait pas prévu, et essayer de rattraper le coup prend finalement beaucoup d’énergie (ici beaucoup de risques)… J’aime les bons sentiments qui animent toujours les prises de décisions de Magda. 

Liraloin : Justement, cette petite fille si agile et courageuse se remet en question comme tu dis et c’est d’autant plus compliqué qu’elle n’est pas avec ses parents. D’ailleurs, elle se souvient des bêtises commises lorsqu’elle vivait encore avec sa famille. 

Lucie : Et si réparer ses bêtises lui fait prendre des risques énormes en volant dans la cuisine des soldats ennemis, celui lui permet aussi de nourrir les résistants du bunker. Car on n’en a pas beaucoup parlé mais la réalité des difficultés de la guerre n’est pas cachée. Ils ont peur, ils ont faim, ils sont blessés (voire pire), certains sont traumatisés par des événements antérieurs… Magda évolue dans un monde qui n’a rien d’enfantin.

Liraloin : En effet, la destruction et l’occupation met ses sentiments à rude épreuve et pourtant l’histoire trouve un juste équilibre en essayant de préserver de temps à autre l’innocence enfantine et cette subtilité est grandement appréciée ! 

Lucie : La subtilité tient jusqu’au drame de la fin, qui n’est montré que par des chaussures. Cela m’a beaucoup fait penser au film Jojo Rabbit. Et, si leurs camps sont opposés, je trouve qu’il y a une vraie filiation entre ces deux œuvres sur l’enfance prise en étau entre réalité horrible et imaginaire de son âge.

Jojo Rabbit réalisé par Taika Waititi, adapté du roman de le Ciel en cage de Christine Leunens, 2019

Liraloin : Merci pour ce titre de film que je ne connaissais pas mais je comprends car n’ayant pas ta référence j’ai été moi-même marqué par cette scène !

Lucie : Malgré mes craintes j’ai finalement trouvé qu’elles avaient un côté un peu enfantin qui allait très bien avec le propos. Et toi, qu’as-tu pensé des illustrations ?

Liraloin : Oui, étonnamment les illustrations soulignent bien la noirceur du propos justement en permettant au lecteur de se réfugier dans un monde plus enfantin. Comme si l’image nous permettait de reprendre un peu de notre souffle. Le choix des couleurs nous invite à comprendre que toute l’intrigue se situera dans la forêt, camouflée par la Nature. Est-ce que tu as apprécié ce choix de palette ? 

Lucie : Je suis tout à fait d’accord avec toi. A la fois les dessins permettent de garder un certain recul, et en même temps elles laissent presque penser que Magda nous raconte son histoire a posteriori, peu de temps après. L’effet est très intéressant. Et ces teintes entre le marron et le gris vont bien avec le contexte : les personnages sont cachés dans la forêt, ne sortent que la nuit… Et en même temps il y a quelque chose de très naturel, pas du tout oppressant (à contrario du rouge qui fait des apparitions de mauvaise augure : le feu, le sang, le danger !). 

Nous en avons un peu parlé au début de cette discussion mais cet ouvrage se termine sur une courte chronologie de la guerre en Lituanie qui m’a fait tomber des nues. Je n’avais aucune idée des difficultés rencontrées par ce pays, ce qui montre bien qu’on est encore très “européens de l’ouest centrés” dans cette Histoire. Qu’as-tu pensé de cette note finale ?

Liraloin : Je trouve que cette note est intéressante pour le jeune lecteur. Elle permet d’éclairer l’histoire de ce pays durant la seconde Guerre Mondiale tout en restant succinct pour ne pas tomber dans le cours d’histoire. Comme toi, j’étais aussi étonnée de cette situation, preuve en est que la littérature soit disant destinée à la jeunesse l’est aussi pour les adultes.  

Lucie : Justement, à qui conseillerais-tu ce roman graphique ? 

Liraloin : Je dirais à partir de 10 ans jusqu’à… aucune limite et toi? 

Lucie : Pareil. Pas trop tôt parce qu’il faut tout de même avoir les références (les étoiles sur les casquettes des militaires, la déportation, la Résistance…). Mais je crains tout de même que les illustrations très enfantines, même si nous sommes d’accord pour dire qu’elles sont appropriées, ne freinent les lecteurs plus âgés. Par exemple, mon fils de 13 ans n’était pas du tout attiré par ce titre à cause d’elles et s’il a fini par le lire et l’apprécier, il n’a pas adhéré au parti pris graphique. C’est vraiment dommage car pour moi cet album est une réussite à tous points de vue !

Liraloin : Et oui, c’est un parti pris un peu risqué mais avec une belle médiation, ce roman graphique peut fonctionner !

*

Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir cette BD et que vous prendrez autant de plaisir que nous à découvrir cette histoire. Merci aux Éditons du Ricochet de nous avoir envoyé ce titre !

Nos classiques préféré.e.s : Un regard sur l’enfance avec Helen Oxenbury

Helen Oxenbury est une autrice et une illustratrice incontournable de la littérature jeunesse. Créatrice de la série emblématique Léo et Popi, elle s’illustre dans les albums pour les bébés et les jeunes enfants qui sont les héros aux joues rebondies des histoires qu’elle invente ou illustre pour d’autres auteur.e.s. Nous avons aussi grandi avec ses albums, c’est pourquoi il nous semblait impossible de ne pas l’inviter parmi nos classiques.

Voici une sélection de nos albums préférés.

******

Pour Linda, partir à La chasse à l’ours est une histoire de famille à partager sans limite. Un album qui mérite bien sa place ici pour au moins ces dix raisons…

La chasse à l’ours de Michael Rosen, illustré par Helen Oxenbury, Kaléidoscope, 2001.
  1. Pour la nostalgie que sa lecture procure, nous rappelant l’enfant que l’on a été ou celui/ceux que l’on a/a eu,
  2. Pour l’esprit de famille qui règne au fil des pages, et le partage de ce jeu de chasse à l’ours qui réunit toute la famille,
  3. Pour l’intemporalité de son récit, confirmé par le succès de cet album depuis sa première publication,
  4. Pour la musicalité de son texte qui se répète comme le ferait une comptine ou une ritournelle,
  5. Pour les onomatopées qui viennent plonger le lecteur dans la promenade en pleine nature,
  6. Pour le plaisir que procure l’écoute de la version anglaise interprétée et chantée par son auteur, Michael Rosen,
  7. Pour la tension qui monte crescendo face aux obstacles de plus en plus difficiles à franchir, plus effrayants aussi,
  8. Pour les émotions qui viennent animer la bouille des petits lecteurs, pas si éloigné de celles des personnages,
  9. Pour les illustrations tout en douceur qui alternent la couleur et le noir et blanc,
  10. Pour la chute surprenante qui laisse les plus petits stupéfaits.

******

Pour Isabelle, Helen Oxenbury, c’est notamment les illustrations de 2 petites mains et 2 petits pieds. Il y aurait au moins 10 raisons de penser à cet album qu’elle aime régulièrement offrir aux bébés de son entourage !

  1. Pour les bouilles réjouissantes des bébés célébrés, leurs adorables petites mains, leurs petits pieds. Leur venue au monde n’est-elle pas l’un des plus grands bonheurs qui soit ?
  2. Parce que les bébés aiment voir d’autres bébés dans les livres, les reconnaître au fil des lectures, s’amuser de leurs jeux et de leurs frasques.
  3. Pour la douceur des illustrations, si caractéristiques du style de Helen Oxenbury.
  4. Pour la joie de voyager autour du monde, dans des pays divers et variés, urbains, ruraux, nordiques ou orientaux…
  5. … et de découvrir à quel point les bébés du monde grandissent dans des conditions différentes
  6. Pour la manière dont cet album célèbre ce que tous ces bébés ont malgré tout en commun : « tous ces bébés, tout le monde le sait, ont deux petites mains et deux petits pieds » !
  7. Parce que malgré ce dépaysement, tous nos repères sont là. Grâce à la récurrence des adorables petites mains et petits pieds et de la petite phrase répétitive de l’album qui résonne comme une entraînante petite comptine que toute la famille entonne bientôt avec enthousiasme.
  8. Parce qu’au rythme de cette petite comptine, c’est joli de voir ces bébés grandir et être aimés.
  9. Pour la chute pleine de tendresse.
  10. Pour l’hymne réjouissant à la diversité, à la fraternité et aux câlins !

******

Pour Colette, Helen Oxenbury, c’est l’album créé en partenariat avec Phyllis Root, judicieusement intitulé Quand Big Mama a créé le monde. Un album qui résonne au moins pour 10 raisons !

Quand Big Mama a créé le monde…, Phyllis Root, Helen Oxenbury, Père Castor, 2002.
  1. Tout d’abord, voilà un album dont le titre résonne à la fois comme un pied de nez et un hommage aux forces démiurgiques, car oui, ce livre là n’est rien moins qu’une réécriture d’un des textes fondateurs de notre culture judéo-chrétienne puisque qu’il s’agit pour les deux artistes de revisiter le premier texte de la Bible : le livre de la Genèse.
  2. Mais voilà que dès les premières pages, on découvre un vibrant hommage au pouvoir incommensurable des mères qui sont des divinités à part entière car elles parviennent à créer des mondes tout en s’occupant de leur progéniture.
  3. Et cet hommage prend les traits d’une femme aux formes généreuses, comme sait si bien les dessiner Helen Oxenbury, aussi bien quand elle croque les bouilles des bébés que les belles hanches et la poitrine gourmande de notre Big Mama.
  4. Cet album est aussi un ravissement d’oralité, on y retrouve le rythme du texte d’origine, mais comme enrichi de l’expressivité de notre généreuse divinité : onomatopées, points d’exclamations et ce refrain qui sans cesse vient ponctuer la parole de Big Mama : « Beau travail, Beau travail, ma foi ! » Un album tout en optimisme, quoi !
  5. Et comme un écrin précieux à ce texte qui raconte tout de même comment notre monde fut créé, les illustrations d’Helen Oxenbury font la part belle aux couleurs : du bleu, puis du blanc, puis du noir, du jaune, du vert et peu à peu les couleurs se complexifient au fur et à mesure que de nouvelles créatures viennent habiter auprès de Big Mama.
  6. Cet album c’est aussi un hymne lumineux à la nature, aux animaux, et aux humains, un appel à regarder le monde avec tendresse et émerveillement.
  7. C’est aussi un bel hommage à ce qui fonde notre humanité – et qui nous est si cher à l’ombre du grand arbre : notre capacité à raconter des histoires pour nous tenir compagnie. Car oui quand Big Mama a été bien fatiguée au matin du sixième jour, elle a choisi de modeler des « gens ». « Et chacun avait une histoire à raconter à Big Mama. »
  8. Parce que vraiment quelle idée malicieuse de mêler les corvées de lessive et les ateliers pâtisseries à ce grand récit fondateur, une manière de redonner avec humour leur place aux femmes, aux mères en particulier, à toutes celles qui ont été effacées des récits de création.Une manière de répondre à cette question que je me suis souvent posée : pourquoi Dieu ne serait-il pas une figure féminine ?
  9. Parce qu’au final cet album invite à penser certaines questions philosophiques que les enfants ne manqueront pas de se poser : d’où venons-nous ? où allons-nous ? Quelle est l’origine du monde ?
  10. Un album tout en joie, qui invite à voir autrement les questions spirituelles, c’était un pari osé, ici parfaitement réussi !

******

Pour Liraloin, quel joie de relire cet album haut en couleur et en bonheur. Voici les dix raisons d’aimer cette histoire !

Très très fort ! de Trish Cooke & Helen Oxenbury, Père Castor, 1995
  1. Pour cette histoire en randonnée où le héros qui est au centre de toute l’attention est un tout-petit.
  2. Pour cet amour que les adultes et les jeunes enfants donnent à ce p’tit bonhomme !
  3. Pour le mouvement qui est donné par les illustrations d’Helen Oxenbury, les personnages ont une joie de vivre communicative, ils dansent presque…
  4. Pour ce défilé où tous les personnages ont un look particulier que la plupart de vos arbonautes ont connu : les couleurs vives des années 90’
  5. Pour la construction du texte : comme cette impression de lire une chanson, une ritournelle du bonheur qui donne envie de bouger et de s’émerveiller !
  6. Pour ces moments de respiration lorsque les personnages « ne font rien de spécial » à part attendre tranquillement. Chacun reprend son souffle.
  7. Pour ce véritable Vaudeville, cette porte qui ne cesse de s’ouvrir sur une tante, un cousin fou d’amour pour ce bébé.
  8. Pour cette couverture :  en 1994 (date de la première publication en Grande-Bretagne), c’est assez rare de voir un papa et son enfant.
  9. … comme il n’est pas banal de voir une famille à la peau noire héroïne d’un album jeunesse.
  10. Car lire cette histoire et faire défiler les superbes illustrations d’Helen Oxenbury nous donne une énergie folle !

******

Et vous, quel est votre album préféré d’Helen Oxenbury ?

Lecture en duo : Capitaine Rosalie

Hier le monde s’est souvenu de la fin de la Grande guerre. Il y a 100 ans l’armistice était signé. Il n’y a pas une famille qui ait été épargnée par ce conflit.

C’est un des thèmes de ce sublime album de Timothée de Fombelle au texte et Isabelle Arsenault aux illustrations, publié chez Gallimard jeunesse.

CAPITAINE ROSALIE  : Alors que son père est à la guerre, Rosalie se lance dans une mission secrète.

Nous sommes deux à l’avoir lu sous le Grand Arbre (pour l’instant !) et nous avons eu envie d’échanger sur notre ressenti, Céline et moi-même, avec une pensée émue pour nos aïeuls qui ont combattu ainsi que pour tous ceux qui ne sont pas revenus.

Des photos de l’album vont illustrer nos propos et à la fin, une lecture d’un passage à voix haute.

***************

Pépita : Qu’est-ce qui t’a donné envie de te plonger dans cet album ?

Céline : Déjà, je suis une grande fan de Timothée de Fombelle. J’aime ses histoires, sa façon d’écrire et sa sensibilité. J’ai eu l’occasion de l’entendre parler de cet album et il a su, comme à chaque fois, me toucher. Il m’a complètement conquise avant de l’avoir en main. Et toi ?

Pépita : Comme toi, je suis une grande fan de cet auteur que j’ai découvert grâce à la passion d’un des membres de ce blog ! Pour celui-ci, je l’ai acheté les yeux fermés et waouh ! Quelle émotion ! Je connaissais son illustratrice aussi pour d’autres albums et je me suis dit que ce devait être une pépite !
Qu’est-ce que ce titre a d’emblée évoqué pour toi ? Il est vrai que le sous-titre éclaire un peu non ?

Céline : Le titre m’a évoquée la notion de combat, nécessairement. Mais en même temps, il m’a rendue très curieuse de connaître l’histoire de cette petite fille. Comment pouvait-elle être impliquée aussi jeune dans ce conflit ? Et surtout, quelle pouvait bien être sa mission secrète ? Mais je me suis surtout dit que c’était un joli titre plein de promesses, connaissant TDF.
Les illustrations occupent une place importante, qu’en as-tu pensé ?

Pépita : Oui et tant mieux ! J’ai beaucoup aimé leur résonance avec le texte et leur symbolisme : grisaille, bleu des lettres et flamboyance de l’orange dans les cheveux de Rosalie. Les double pages arrivent à point comme une respiration nécessaire à ce texte lourd de sens.
Un texte dont on ne peut dévoiler le mystère qui plane : cette mission que s’assigne Rosalie n’est-ce pas ?

Céline : Impossible d’en dire trop effectivement car j’avoue que si j’avais eu le fin mot de l’histoire avant, je n’aurais pas eu la même émotion… T’es-tu doutée de quelque chose durant ta lecture? Car honnêtement, pas moi. Pas un instant. Je me suis juste laissée portée par le texte et par l’ambiance… Aveugle aux indices.

Pépita : Je me suis doutée de quelque chose mais je n’ai pas voulu m’y attarder. J’ai laissé le texte se dérouler et faire son oeuvre émotionnelle. Et puis quand j’ai réalisé réellement de quoi il s’agissait comme mission, j’ai trouvé cela terrible, presque même plus que la guerre et ses conséquences car concernant son papa, je n’étais guère positive quant à l’issue. TDF aborde là un sujet grave : la guerre vue par les enfants, même si elle est loin et donc moins présente. Elle est présente à travers les lettres du papa. Il aborde la vérité qu’on doit aux enfants. Mais en même temps, on ne peut s’empêcher de se dire : qu’aurais-je fait à la place de la maman ? Il arrive aussi à introduire du merveilleux à travers plein de petites choses à première vue anodine. Il est vraiment très fort pour ça.

Céline : Qu’as-tu pensé de Rosalie? L’as-tu prise au sérieux, elle mais également cette mission secrète ?

Pépita : oui totalement. C’est une petite fille de 5 ans et demi et on se doit de faire confiance à l’enfance dans ce qu’elle se donne comme but absolu. J’ai beaucoup aimé cet aspect-là : ce respect de l’enfant. Car si on ne respecte plus l’enfant, que reste-t-il ? TDF, c’est l’auteur de l’enfance. Car dans l’histoire, le maître semble l’oublier au fond de la classe, tous l’oublie sauf Edgar le cancre, tous ne savent même pas la nommer sauf quand elle est en danger. L’appeler par son prénom, c’est la prendre au sérieux, pour un être humain.

Céline : Bizarrement, je crois que je me suis vraiment positionnée du côté de Rosalie. Je me suis glissée, le temps de quelques pages dans sa peau. Et en réalité, un peu comme elle, je pressentais les drames, les non-dits et les mensonges qui arrangent tout le monde, sans trop vouloir m’y attarder, concentrée sur la mission secrète. Du coup, j’ai foncé droit dans le mur et je me suis pris la réalité en face, un peu durement. J’avais bien compris certaines choses mais pas l’essentiel. Et l’émotion a été très forte. Il m’a fallu lire, et relire cet album avec la connaissance du secret de Rosalie. Et j’ai vu toutes les choses que j’avais manquées. L’as-tu relu ? As-tu eu besoin, comme moi, de le relire? Comment l’as-tu perçu ?

Pépita : Oui je comprends ce que tu veux dire. En fait, j’ai eu une première lecture silencieuse seule et submergée par l’émotion , j’ai eu envie de le lire à haute voix de suite car j’entendais la voix de l’auteur le lire. Très troublant. Puis je l’ai fait lire à mes filles qui ont fondu en larmes, et à mon mari, idem. Plus tard, je leur ai lu à haute voix et ce texte est d’une telle fluidité ! Les illustrations sont parfaites aussi. Il m’a été difficile de mettre des mots dessus. Et puis TDF a le chic de mettre de la poésie là où ne s’y attend pas au détour de petites phrases courtes mais qui en disent tant ! Elles sont comme des marches sur lesquelles s’appuyer pour ne pas trop sombrer dans l’émotion. Comme celle-ci : « Elle a le visage que j’aime. Celui des jours fragiles. »

Céline : Les adultes sont assez distants vis-à-vis d’elle et cela m’a fait mal au cœur tout du long… En même temps, le contexte de l’époque explique aussi que l’esprit des hommes et des femmes de l’époque soit occupé par une seule chose :la guerre. En tout cas, moi aussi bien sûr je l’ai prise au sérieux. Et même si sa mission avait été moins importante, étant aussi cruciale pour Rosalie, elle était quoi qu’il arrive à prendre en compte. Il est clair que TDF sait nous parler des enfants, sait nous rappeler ce que c’est qu’avoir cinq ans et demi. Elle est très touchante. Elle donne envie d’être protégée et en même temps, elle est très déterminée. C’est une grande héroïne !
J’ai trouvé ce passage la concernant tout simplement magnifique : « Les taches de rousseur sous mes yeux, les animaux que je dessine sur la page, les grandes chaussettes jusqu’aux genoux, tout cela n’est que du camouflage. On m’a dit que les soldats se cachent avec des fougères cousues sur leur uniforme. Moi, mes fougères sont des croûtes aux genoux, des regards rêveurs, des petits airs que je fredonne pour avoir l’air d’une petite fille. » 

Pépita : Toi qui t’es identifiée de suite à elle, as-tu eu peur pour Rosalie ? De ce qu’elle allait découvrir ?

Céline : J’avais peur mais en même temps, j’avais quand même le sentiment qu’elle n’était pas dupe et qu’elle cherchait justement le moyen de découvrir ce qu’on lui cachait depuis un moment. Les enfants sont malins, sensibles et on les met parfois à l’écart pour les protéger. C’est sans doute une erreur de vouloir penser qu’ils ne verront rien… Je pense au passage où sa maman lui lit les lettres de son père parti au combat… C’est assez parlant, non ?

Pépita : Oui je suis d’accord avec toi.Rosalie veut la vérité, elle ne pense pas à ce qu’elle va lui révéler, elle veut juste la vérité qu’elle pressent bien différente de ce qu’on lui sert.

Céline : Quel regard portes-tu sur les autres personnages de ce récit ?

Pépita : J’ai été très touchée par Edgar le cancre qui lui semble percevoir le côté déterminé de cette petite personne. Par le maître aussi qui même s’il reste dans son rôle est tout aussi surpris par cette détermination. Par la maman bien sûr car c’est une maman et comme toutes les mamans, elle fait ce qu’elle peut. Le passage de la neige d’anniversaire (neige d’anniversaire ! si on n’est pas dans l’enfance là !) est magnifique dans ce qu’il révèle de leur relation, de ce que cette relation devrait être s’il n’y avait pas la guerre. Et toi ?

Céline : Effectivement, ce sont les trois personnages qui se détachent du récit. La maman m’a beaucoup touchée. On la sent désemparée mais voulant bien faire. Elle est fatiguée, par son travail, par ce quotidien qu’elle vit seule et par la guerre… Lors de ma deuxième lecture, je me suis penchée sur le cas des autres personnages. Comment tous ces hommes et femmes ont trouvé le courage de faire face à la guerre ? Il le fallait, certes pour nous, c’est difficile à imaginer. Cela remet les idées en place et fait relativiser…

Pépita : La guerre c’est terrible, on ressent vraiment ce désarroi chez les personnages mais là elle est loin, presque irréelle, elle est ressentie par l’absence, par les stigmates dans les corps (le maître d’école), par les usines d’obus, par les privations (peu de nourriture),…Je trouve que c’est une façon de parler de la guerre qui est moins violente à première vue mais si insidieuse qu’elle en est tout autant violente dans ses symboles.

Mes filles m’ont dit : mais maman, on ne peut pas lire cette histoire à des enfants ! J’ai été surprise par leur remarque mais en même temps…J’ai une amie qui hésitait aussi à la lire à sa fille de 9 ans. Tu en penses quoi ?

Céline : Je me suis aussi posée la question de l’âge. Gallimard le propose à partir de 7 ans. Clairement, je trouve ça un peu tôt. Même si on adopte le point de vue d’un enfant et que certaines choses nous sont cachées, cela ne reste pas moins une histoire dans un contexte qui sera peut-être difficile à faire comprendre à des enfants trop jeunes. Après, c’est aussi un album qui s’accompagne d’explications sur un sujet qui se discute et un thème qu’il faut aborder. Alors je suis assez partagée. Et toi ?

Pépita : C’est toujours compliqué l’âge mais je pense que c’est un livre que les enfants peuvent comprendre car on est dans l’enfance. On projette souvent trop des impressions d’adultes dans cette question. Il faut faire confiance aux enfants…

Si tu devais définir cet album (j’ai vu roman graphique mais non, pour moi, c’est un album) en un SEUL mot, quel serait-il et qu’aimerais-tu dire à son auteur et à son illustratrice si tu les rencontrais ?

Céline : Un seul mot : émotion. Et je crois que j’aurais envie de les serrer dans mes bras et de leur dire merci pour cet album qui m’a profondément bouleversée. Capitaine Rosalie va me rester longtemps à l’esprit. Et toi ?

Pépita : Le même mot que toi et je leur dirais juste merci pour cet album d’une sensibilité si rare. Je n’ai pas réussi à me résoudre à le ranger dans ma bibliothèque…

La lecture du passage : le début du livre

  • Nos chroniques respectives :

Pépita Méli-Mélo de livres

Céline HashtagCéline