Les ailes de la Sylphide de Pascale Maret

 Elle s’appelle Lucie. Elle nous embarque dans son monde peuplé d’êtres féériques,  mais dés le premier chapitre on pressent le drame, sans jamais le deviner.

Aussi chamboulées que moi, mes complices, Pépita, Lucie et Carole ont bien voulu se prêter à une lecture commune des Ailes de la Sylphide de Pascale Maret.

Alice : [Retour dans le passé], souvenez-vous de vos premières impressions avant de dévorer ce livre : qu’imaginiez-vous à la vue de la couverture, à la lecture du titre et du résumé?

Pépita : Je m’attendais à un roman en rapport avec la danse, mais beaucoup plus léger qu’il ne l’est en réalité. Et je trouve la couverture superbe !

Bouma : Je m’attendais à un roman fantastique dans la ligne de Maupassant après avoir vu une vidéo de Pascale Maret résumant son roman. Je m’attendais à retrouver la plume délicate et sensible de cette auteure. Je m’attendais à beaucoup de choses et pas forcément à ce que j’ai eu entre les mains.

Carole :  J’ai vu la sublime couverture, et attirée comme un papillon, j’ai pris le roman ! Je connaissais le ballet donc j’ai compris que la danse serait la toile de fond…mais j’étais loin de me douter du reste. Très belle surprise côté style, et évidemment troublée par le sujet.

Alice : En effet, une grosse surprise, ce livre ! Mais puisque Carole l’évoque, quel est le sujet du livre ? Qui se lance dans un petit résumé pour continuer ?

Pépita : C’est l’histoire d’une jeune fille passionnée de danse, un absolu pour elle, une exigence qu’elle s’impose au-delà du raisonnable. Les ailes de la sylphide est SON ballet et elle obtient le rôle principal pour le spectacle du Conservatoire. La concurrence est très rude et le monde de la danse impitoyable. C’est l’histoire d’une souffrance très intime que ce rôle va sortir des limbes de l’inconscient et qui va mener cette jeune fille jusqu’au pouvoir salvateur des mots. C’est une histoire métaphorique remarquablement bien maîtrisée et qui mène le lecteur en apnée dans sa révélation.

Carole : Pas mieux ! C’est sublimement et subtilement dit Pépita !

Bouma : Très bien dit mais pour moi tu occultes toute la partie fantastique du livre (qui représente bien la moitié du récit tout de même).
En effet, la jeune Lucie est tellement faite pour être la Sylphide que des ailes apparaissent sur son dos peu de temps après l’obtention du rôle. Désireuse de savoir si ce qu’elle voit est bien réel, elle se rend au cœur de la forêt bordant la maison familiale et y découvre un monde féerique. Celui-ci n’est pas celui auquel elle s’attendait et elle va même y découvrir un puissant être maléfique qui lui veut du mal…

Alice : Bouma évoque à deux reprises cette incursion du fantastique dans le récit. Pour Pépita et Carole, a priori, ça passe au second plan …. à moins que cela ne se confonde complètement avec la réalité ? Votre avis sur ce mélange des genres ?

Pépita : Je l’ai en effet vu davantage comme un moyen d’échapper au réel. Ce que vit Lucie, là, dans la forêt, c’est le fruit de son imagination pour moi. Le tour de force de l’auteure est de mêler si bien les deux que le lecteur oscille lui aussi entre les deux mondes, comme l’héroïne, dans un va-et-vient permanent. Ce serait de mon point de vue du fantasmagorique et non du fantastique.

Bouma : Moi je trouve qu’on est clairement dans le fantastique. Car avant la fin et l’épilogue, qui nous en explique trop à mon goût (je reviendrai la dessus plus tard), Lucie finit par croire aux sylphides et à l’univers féerique dans lequel elle évolue. Pour elle, c’est la réalité et elle hésite même, à un moment, à fuir dans cet univers.

Carole : Cette discussion prend une tournure qui me plaît beaucoup ! De mon côté, je suis plutôt comme Pépita, j’envisage les éléments extra-ordinaires d’un point de vue fantasmagorique. Lucie se crée des remparts psychologiques très forts pour se protéger, en vain, du moins pour tenter de créer une distance avec sa vie et ses horreurs. C’est une question de survie pour elle. Elle me fait penser à Alice par moments avec cet esprit suffisamment fort pour transcender la réalité et en même temps s’en échapper pour ne pas sombrer. Cela me rappelle cette phrase prononcée par Alice  : “If I had a world of my own, everything would be nonsense. Nothing would be what it is, because everything would be what it isn’t. And contrary wise, what is, it wouldn’t be. And what it wouldn’t be, it would. You see?”

Alice : [Un petit clin d’œil à Alice aux pays des merveilles ? Merci Carole !] Personnellement si Bouma écrit « elle finit par croire aux sylphides », comme l’héroïne, je me suis aussi surprise à douter et à croire à cette existence d’êtres illusoires. Je n’ai pas seulement oscillé comme le dit Pépita, mais je me suis agréablement laissée glisser dans ce trouble, sans une seule seconde imaginer l’épilogue (mais on y reviendra plus tard, comme dirait Bouma !)
Mais que ce soient les éléments merveilleux, la présence des gentils et des méchants, la situation familiale de Lucie (enfant adoptée), le prince charmant amoureux (Théo), n’avez-vous jamais pensé être au milieu d’un conte ?

Pépita : Quand je disais « osciller », c’est pour signifier dans ce récit cette alternance entre l’attirance de la forêt pour Lucie et la réalité de la danse, qu’elle finit du coup par avoir plus que du mal à gérer. Je ne me suis jamais sentie dans un conte mais dans une histoire sublimée au départ, et très vite, je me suis dit qu’elle était la traduction d’une souffrance psychologique très dure à supporter pour cette jeune fille que la préparation du ballet a remonté à la surface. Les ailes de la sylphide ne sont que la partie immergée de l’iceberg : Lucie a besoin de prendre son envol, de rompre les chaines de son silence. S’identifier à la sylphide lui permet de s’affranchir un peu de la réalité mais qui la rattrape et tomber fait mal. Très mal. Son mal-être, son anorexie, ses blessures physiques sont autant de signaux envoyés que l’entourage n’a pas su voir. J’ai trouvé cet aspect-là terrible. Tout comme l’épilogue. Mais j’aimerais qu’on ne le dévoile pas trop à nos lecteurs sinon c’est enlever tout intérêt à la lecture de ce roman !

Bouma : Mais quel débat ! Je suis restée franchement fixée au texte comparée à vous. Je n’ai pas deviné la fin avant de lire l’avant-dernier chapitre (celui juste avant l’épilogue). Mais bon, passons à la suite.

Alice : Avançons donc et abordons enfin cet épilogue qui a déjà été évoqué à plusieurs reprises. Attention, il ne s’agit pas de dévoiler le dénouement et de donner la clé du livre (ce serait dommage), mais plutôt de dire comment vous l’avez « accueilli » ? Vous y attendiez-vous ? Comment l’avez vous vécu ?

Pépita : L’épilogue, je l’ai reçu en plein ventre. Je suis tombée, comme Lucie. Littéralement. Je me doutais qu’une révélation allait expliquer ce refuge dans le surnaturel mais je n’ai absolument pas vu venir, comme toi Bouma. Puis, le choc passé, j’ai eu envie de comprendre. J’ai eu envie d’entendre ce que Lucie avait à dire. Du coup, lorsqu’on apprend sa vérité, on relit le roman d’une autre façon. C’est remarquablement bien mené. Autant la révélation est rude, autant j’ai trouvé que Lucie était bien accompagnée, là, à ce moment crucial pour elle. Elle ne peut plus s’échapper et on l’aide à accoucher d’elle-même à la fois avec tact (la femme policier) et fermeté (l’homme policier). C’est un roman bouleversant à bien des égards.

Carole : Sensiblement comme Pépita. Je suis tombée aussi. Je redoutais l’issue, je n’ai pas été déçue. La Sylphide prend alors toute son ampleur symboliquement parlant : sorte d’ange-gardien chargé de protéger les jeunes filles. Elle se rêve légère dans une vie plombée. C’est vraiment un roman qui bouleverse.

Bouma : Allez, bah moi cet épilogue il m’a déçu. Oui, il en fallait un, mais fallait-il tout nous expliquer dans les moindre détails… J’aurais aimé quelque chose de plus léger qui laisse soin aux lecteurs de reconstruire le récit à la lumière de ces révélations. Résultat : j’ai refermé le roman en étant en colère contre cette auteure qui me gâchait une si belle lecture. J’ai été totalement frustrée, comme lorsque qu’on vous donne de quoi réaliser un objet et qu’on le fait à votre place…

Alice : C’est vrai que ce dernier chapitre est un long retour en arrière qui défait tous les nœuds un par un. Il renvoie à des événements racontés précédemment que l’on comprend maintenant différemment. Carole et Pépita, avez-vous aussi vécu tout cela comme un trop plein d’explication, après la surprise du dénouement ?

Carole :  Et bien non pour ma part. Rien de trop. La juste dose d’éclaircissement, la juste dose de pudeur aussi.

Pépita : Pas un trop plein d’explication mais plutôt une réponse à ce que je pressentais : une souffrance incommensurable qui enfin trouve le chemin pour se déverser et offrir à Lucie une renaissance. Et je rejoins Carole dans la pudeur. J’y ajouterais la dignité.

Alice : La dignité ? Que veux-tu dire par là, Pépita ?

Pépita : La dignité parce que le choc passé de l’histoire de Lucie, on ne tombe pas dans le sordide. Du tout. Lucie est accompagnée dans sa parole qui se libère et les dernières pages indiquent que sa reconstruction est possible et qu’elle va pouvoir vivre, enfin. Elle n’est pas jugée, elle est respectée : on ne met pas en doute sa parole, on l’écoute, on l’aide à préciser, et tout s’enclenche alors.

Alice : On a pas mal discuté de ce livre sur son fond et sur sa forme et pourtant je me rend compte que l’on a à peine évoqué les personnages. Lucie, bien sûr, mais aussi son entourage : ses parents, sa cousine, le prof de danse, l’amoureux, …. et leurs rôles auprès de Lucie. Parler de chacun d’entre eux prendrait un temps fou, à votre choix, je vous laisse me parler de qui vous voulez …

Bouma : En grande amatrice de bluettes, je retiendrai l’amoureux, celui qui séduit, qui vous donne envie de connaître de nouveaux endroits, de nouvelles normes, celui pour lequel on doit faire des choix, pas forcément les bons. J’ai trouvé sa relation avec Lucie très ancrée dans la réalité. Il ne tourne pas autour du pot, sait affronter le quotidien d’une relation, sait prendre des décisions. Un personnage qui a son importance tant à la fin il ressemble à une bouée de sauvetage.

Pépita : Les personnages ….Alors, curieusement, je ne m’y suis pas trop attardée sur les autres personnages durant ma lecture. Ses parents sont aimants et protecteurs, maladroits, inquiets, comme peuvent l’être des parents. Sa cousine : un personnage diamétralement opposé qui vit sa vie d’étudiante. Son prof de danse : exigeant mais normal vu son cursus. Ce qui m’a interpellée, c’est qu’aucun des adultes ne perçoit sa souffrance malgré les signaux que Lucie envoie. Il n’ y a que l’amoureux qui lui, l’ancre dans la réalité. Je rejoins Bouma là-dessus. Mais Lucie le refuse, elle n’est pas prête, elle ne peut pas. J’ai même été étonnée qu’elle puisse s’autoriser une histoire d’amour. C’est très déstabilisant pour elle. Je l’ai trouvé formidable ce jeune homme !

Carole : Je retiens aussi la grande maturité de l’amoureux, et sa prise de risque. Il capte quelques signaux, à la différence des adultes comme le souligne Pépita.

Alice : AAAAh Théo ! Tout le monde tombe sous le charme de l’amoureux éconduit mais toujours là.
Je pensais que quelqu’un parlerait de la cousine. Je pense que c’est celle que j’aurais choisie. A la fois si présente et absente.  Celle qui pourrait être la confidente, la copine, la « chaperonne » passe complètement à côté et pourtant j’ai un sentiment qu’elle a toute son importance.  « Un personnage diamétralement opposé. » comme le dit Pépita et qui bouscule la vie réglée de Lucie par son indifférence.  Comment l’avez-vous ressentie Carole et Bouma ?

Bouma : Elles m’ont donné l’impression d’être colocs avant cousines. On retrouve alors dans leur relation l’intimité due à la promiscuité mais une totale absence de partage réel. Elles vivent côte à côte, pas ensemble.

Carole : A bien y réfléchir, je ne suis pas si sûre de l’indifférence affichée par la cousine. Ne serait-ce pas une stratégie d’évitement ? Par là j’entends, un réflexe inconscient qui consiste à se préserver soi-même. Est-elle si aveugle au mal-être de sa petite cousine ? N’a-t-elle vraiment rien vu ? Parfois il est difficile de se confronter aux problèmes de l’autre, parce que ça renvoie à notre propre vie et nos blessures…

Alice : Que de différences d’interprétations suscitées par cette lecture ! Parce que je pense que l’on a bien fait le tour, je finirai en vous demandant à chacune de donner un mot, et un seul. Un mot qui traduise une émotion ressentie à la lecture de ce livre

Pépita : Pas facile comme question …une sorte de peur diffuse.

Carole : J’ai bien réfléchi et je dis la pudeur.

Bouma : Je choisis le doute ( parce que j’ai déjà dit la colère…)

Alice : Et moi je rajoute le piège…

Une lecture riche qui nous a sacrément interpellées. Beaucoup d’interprétations différentes et pas mal de questions en suspens. Pour lever quelques interrogations, Pascale Maret a accepté de répondre à nos questions : ses réponses dans la chronique de demain A l’ombre du grand arbre !

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Et pour aller plus loin, voici nos avis sur nos blogs respectifs :

Pépita – Méli-Mélo de livres

Carole – Blog-3etoiles

Alice – Alireauxpaysdesmerveilles

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Zelda la rouge

Et voici le retour des lectures communes sur notre blog collectif avec un roman haut en couleurs, coup de cœur 2013 de trois d’entre nous :

Zelda la rouge de Martine Pouchain

Aux éditions Sarbacane

Collection EXprim’.

9782848656472FS

Un roman qui a su nous toucher par son franc-parler, par les thématiques fortes qu’il aborde et dont les personnages ne laissent pas indifférent.

Au cours de notre discussion, nous n’avons pas souhaité trop en dévoiler sur l’intrigue…

Céline du blog Qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait Livresse, Sophie de la Littérature de jeunesse de Judith et Sophie, Nathan du Cahier de lecture de Nathan, ont répondu à mes questions (Pépita-Méli-Mélo de livres).

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Pépita : Il y a toujours un petit quelque chose qui nous pousse à lire un livre par rapport à un autre : quel a été pour vous l’élément déclencheur pour vous donner envie de lire celui-là ?

Sophie : Tibo Bérard, le directeur de la collection eXprim’, m’avait parlé de ce livre lors de l’interview que j’ai fait cet été. À la simple mention du nom de l’auteure, Martine Pouchain, j’ai eu envie de le lire. Le premier roman que j’ai lu d’elle m’a beaucoup marqué et depuis, je la suis toujours avec plaisir et je n’ai jamais été déçue.

Nathan : C’est pour moi aussi le nom de l’auteure qui m’a poussé à le lire, mais aussi tout simplement celui de la collection. Il faut savoir que le premier roman que m’a envoyé Exprim’, c’était un de cette auteure, alors il y a comme un lien un peu particulier qui me lie à elle. De plus, Tibo Bérard nous avait proposé à quelques blogueurs de choisir la couverture du roman, entre deux différentes, alors j’avais hâte de savoir ce que ça allait donner, le texte !

Céline : J’ai été attirée de prime abord par la couverture (c’est celle-là que tu avais choisie Nathan ?) et par le titre qui suggèrent une histoire de guerrière comme je les aime et puis, ai été saisie par l’accroche intrigante de l’éditeur « Une comédie romantique émouvante, abordant le thème de la vengeance et du handicap » et vos commentaires élogieux ont fait le reste…

Pépita : Si vous deviez définir ce roman en trois mots, quels seraient-ils ?

Céline : C’est court trois mots ! Il y a tellement de sentiments qui se bousculent dans ce roman… Amour fraternel, vengeance et pardon…

Nathan : Je trouve les mots de Céline très bien choisis … mais je dirais amour, tout simplement et ajouterais différence et espoir.

Sophie : Amour, c’est incontournable en effet. Handicap parce que ça pose des questions intéressantes sur ce sujet. Et Pardon pour terminer.

Pépita : J’ajouterais famille, solidarité et écoute de l’autre.

Beaucoup de thématiques en effet dans ce roman. Mais seulement six personnages principaux : les deux sœurs, Zelda et Julie, Paul, le voisin âgé, Jojo et Kathy les colocataires, et Baptiste. Lequel vous a le plus touché ?  

Nathan : Chacun d’eux a un petit quelque chose qui m’a touché … et si j’ai failli pencher pour la joie de vivre de Zelda, je choisirais finalement Paul. Il y a beaucoup à dire de ce vieil homme qui vit seul. Cet amour de la solitude. Son chat pour compagnie. Et cet arbre. Cet arbre qu’il peint depuis des années, sans jamais changer de sujet. Ce symbole de force et de stabilité. La vie à l’état pur. Le temps qui passe et ne mourir qu’après des années. Un vieil homme plein de vie et de beauté.

Sophie : J’ai pas mal réfléchi à ta question et ce n’est pas facile. Ce n’est pas très original mais c’est Zelda que j’ai préféré. J’ai trouvé très beau la force qu’elle avait, déjà de vivre avec son handicap et puis aussi d’accepter de ne plus chercher le coupable, pour enfin pouvoir revivre.

Céline : Ils étaient tous attachants, touchants et criants de vérité… J’ai admiré Julie pour l’empathie qu’elle témoigne à ses « petits vieux », été époustouflée par la maturité de Zelda et mon cœur s’est serré pour Paul, ce papy de substitution qui pose sur la vie un regard bienveillant d’artiste et de philosophe. Baptiste ne m’a pas laissée indifférente non plus, loin de là ! Il cherche la rédemption en se lançant dans un métier qui le tue à petit feu et en se confrontant délibérément à sa victime. Même s’il est le « méchant » de l’histoire, il a des circonstances atténuantes et son sort ne peut que nous interpeller. A-t-on tous droit à une seconde chance ?

Pépita : Tout comme vous, j’ai été touchée par chacun des personnages chacun à leur façon. Mais peut-être davantage par ces deux sœurs, très différentes mais ce sont les circonstances de la vie qui ont forgé leur caractère. Julie m’a emballée par son côté garçon manqué et par sa sensibilité à fleur de peau qu’elle cache sous sa carapace. Et que dire de Zelda ? Tout comme toi, Sophie, j’ai été très touchée par son approche de la vie, par sa grande tolérance et par son côté très réaliste, prendre les choses comme elles viennent et par son franc-parler. Elles s’équilibrent ces deux sœurs. Elles se portent mutuellement quand l’une flanche et elles se connaissent si bien. Et Paul ! Quelle bienveillance ! Et Jojo et Kathy, quel bonheur ! C’est un livre qui m’a fait penser à « Ensemble, c’est tout  » d’Anna Gavalda, où on se choisit une famille quand elle fait défaut et où on apprend à vivre avec les autres. Est-ce un aspect du roman qui vous a convaincu(e)s ?

Sophie : Je n’avais pas fait le rapprochement avec « Ensemble, c’est tout » mais en effet, il y a des points communs. J’ai beaucoup aimé ce regroupement familial de toutes ces personnalités si différentes qui ont été en quelque sorte abandonnées par leur famille d’origine. C’est un aspect qui m’a bien plu en tout cas.

Nathan : Je ne dirai pas qu’elle « fait défaut » cette petite famille. Sauf si tu entends par là qu’ils sont tous bien différents et doivent apprendre à s’unir, alors oui, sans doute. Ils sont tous un peu sur des planètes éloignées et pourtant il se trouve finalement qu’ils vont vivre ensemble et, peut-être s’aimer. C’est ça une famille après tout : ensemble contre le reste du monde.

Pépita : Faisons un petit focus sur les deux sœurs : Zelda et Julie. Le roman est tout de même construit sur la presque-alternance de leurs deux voix. Une relation fraternelle très forte façonnée par les aléas de la vie et quels drames elles ont dû affronter ! Qu’auriez-vous à dire de leurs liens : fusion, dépendance, bienveillance, besoin d’émancipation,…?

Sophie : Je trouve ces deux sœurs très complémentaires. L’une est dure et ne rêve que de vengeance. L’autre est pleine de vie et d’une force incroyable. Pour ça, elles ont une relation très proche pas loin d’être fusionnelle, elles ont besoin l’une de l’autre pour « s’équilibrer ». Et pourtant pour les mêmes raisons, elles ont besoin de s’éloigner l’une de l’autre. Julie a besoin de vivre sa vie qu’elle avait mis en parenthèse pour sa sœur et Zelda se sent freinée par la haine de sa sœur pour le responsable de l’accident.
En fait, elles font penser un peu à des jumelles, très proches mais avec un besoin de se forger leurs propres expériences.

Céline : Les circonstances de la vie les ont soudées. L’aînée a dû endosser le rôle de la maman, mettant sa vie entre parenthèses. Zelda, quant à elle, a mûri bien plus vite qu’une autre adolescente de son âge. Ce qui fait que la différence d’âge entre elles deux s’est gommée peu à peu et que, lorsque l’une flanche, l’autre prend le relais. Pour avancer, elles doivent chacune régler leurs conflits internes. Sur ce chemin, Zelda semble plus avancée. C’est à ce prix et avec l’aide des personnes bienveillantes qui les entourent qu’elles vont pouvoir enfin prendre leur envol, s’émanciper et vivre leurs vies de femmes. A ce titre, une phrase du récit me plait tout particulièrement : « L’union de plusieurs impuissances produit parfois des miracles ».

Nathan : Je suis très d’accord avec les deux avis de Sophie et Céline. C’est vrai que sur ce point là, l’auteur est très forte: on n’est pas dans la caricature, dans l’amour fou ou les disputes incessantes, on est dans une justesse de sentiments épatante.

Pépita : En dehors des deux sœurs, la figure de ce jeune homme Baptiste qui arrive dans leur vie dévoile peu à peu ses parts de lumière et d’ombre. Je rebondis sur une question qu’a évoqué Céline plus haut : le droit à une seconde chance et pour aller plus loin, la place du pardon dans nos vies. Et en particulier dans celles de Zelda et Julie, qu’elles n’abordent pas de la même façon. Comment avez-vous trouvé cet aspect-là du roman ? La façon dont le traite l’auteure ? Cette part de voyeurisme qu’elle y a induite ? Car finalement, le lecteur veut savoir lui aussi « Qui a fait ça à Zelda  » ?

Nathan : Pour le « Qui a fait ça à Zelda », je n’appellerais pas ça du voyeurisme. On est une présence insaisissable pour nos deux soeurs mais pourtant on vit avec elle, on est pris d’affection et l’auteure fait planer un suspense autour de cette question qui revient souvent alors forcément, on a envie de savoir aussi.
Quant au pardon, j’ai trouvé cela assez marquant. Zelda est passée à autre chose, elle. Elle n’a peut-être pas pardonné, mais elle continue à vivre, se bat. Julie, elle, est détruite par l’infirmité de sa sœur, elle ne peut pas oublier, elle ne peut pas passer à autre chose. Elle y repense à chaque regard posé sur Zelda. On rejoint sans doute là la question précédente. Il faudrait que Julie prenne du recul et s’éloigne un peu de sa sœur, pour laisser le temps à son cœur d’oublier un peu. Je garde un souvenir un peu confus de la fin, peut-être cela vient-il du livre, mais pourtant, j’en garde un sentiment de forte émotion. Je vous laisse la découvrir …

Céline : C’est pour moi un des thèmes porteurs de l’histoire. Toutes proportions gardées, cela me fait penser à la chanson de Goldman « Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt ». Plutôt que de porter des jugements, le lecteur s’interroge : comment aurais-je réagi à la place de Baptiste, de ses parents, de Zelda et de sa sœur ?. Les réponses sont loin d’être simples, la question ne l’est pas non plus. Ce n’est que confronté à la situation qu’on peut vraiment voir ce qu’on a dans nos ventres !

Pépita : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi Nathan sur le « voyeurisme » : j’ai trouvé l’auteur très forte sur ce point-là. Elle arrive à mener le lecteur vers une sorte de compassion, non pas pour Zelda (qui a acquis une maturité hors du commun face à son handicap), mais pour Julie ! La fin du roman est tout même très forte dans le suspense ! Le lecteur retient son souffle, se demande si Julie ne va pas aller au bout de son délire, j’avoue avoir eu de l’empathie pour elle, cette colère rentrée depuis des années qui ressort enfin. Elle le tient « son » meurtrier parce que c’est le sien, c’est entre lui et elle, c’est lui ou c’est elle. Au paroxysme de la fin, on en est là et le lecteur en est tout pantelant d’émotions, non ? Et tout comme dans une des nouvelles de Jean-Claude Mourlevat dans « Silhouette », j’avoue m’être surprise moi-même à vouloir l’y aider, …mais est-ce la solution ? Je te rejoins dans ton analyse Céline. Qu’aurions-nous fait à sa place ? On n’est jamais totalement à la place de, et plus que le handicap, ce roman parle bel et bien de Pardon d’une manière magnifique.

Nathan : Alors peut-être ne réagissons pas tous de la même manière. Après tout, là est la beauté de la lecture non ? Moi j’étais un peu entre deux positions, à la fois compatissant et en même temps un peu effrayé par sa réaction …

Sophie : Le pardon est une question importante dans ce roman. Il y a Julie qui ne pardonne pas et Zelda, qui sans pardonner, choisit un peu d’occulter le chauffard de sa vie pour pouvoir la poursuivre sans la haine qu’elle voit au quotidien dans le regard de sa sœur. On peut en effet voir une part de voyeurisme dans la présence de Baptiste au sein de la famille. Il a connaissance d’évènement qu’il cache volontairement et regarde la détresse de Julie sans jamais se manifester. Forcément, à un moment donné, on se dit « Mais quel lâche ! ». Rapidement, on peut aussi comprendre sa position : la culpabilité, la peur, la maladresse peut-être tout simplement, mais une forme de courage aussi car il aurait pu rester chez lui avec ses remords et ne jamais se confronter à ses responsabilités.

Pépita : Personnellement, j’ai été littéralement embarquée par le style d’écriture très direct de Martine Pouchain. Est-ce aussi votre cas ? Vous connaissiez cette auteure ?

Nathan : De mon côté, j’avais déjà lu « Traverser la nuit », et le style de « Zelda la rouge », bien que beau et touchant, est loin d’être aussi puissant que celui, renversant, passionnel, de cet autre roman qui m’a sacrément secoué ! A lire donc !

Céline : Même ressenti de mon côté. J’ai plus particulièrement été touchée par les mots de son héroïne qui analyse froidement la manière dont on traite nos ainés. Non, je ne la connaissais pas mais si vous avez d’autres titres à me proposer, je suis preneuse… Je note déjà celui proposé par Nathan !

Sophie : J’avais déjà lu plusieurs livres de cette auteure dont un m’avait particulièrement bouleversé. À chaque fois, j’ai été totalement captivé par son style et ses histoires. Elle amène toujours à se questionner, à se mettre à la place des personnages et elle le fait remarquablement bien.

Pépita : Est-ce pour vous un roman plutôt optimiste ou pessimiste ? Une dernière impression ?

Sophie : Pour moi, c’est sans aucun doute un roman optimiste, au moins pour Zelda. Elle a réussi à passer au-dessus de son handicap, à vivre sa vie pleinement, c’est une belle leçon de courage. Pour Julie et Baptiste, c’est plus partagé, ils ont atteint le pardon mais ça ne s’est pas fait sans peine loin de là, puisqu’on a largement dépassé le parcours le plus court vers celui-ci. Ce que je veux dire, c’est qu’en plus de l’accident qui les avait brisé, cette quête du pardon les a aussi amené vers d’autres blessures.

Nathan : Optimiste ! Un roman qui invite à se battre. Parce que si la vie nous met parfois des obstacles en travers de notre chemin, et à certains plus qu’à d’autres, il n’y a qu’une seule chose à faire : se battre. Pour surmonter les obstacles, pour aller mieux, pour avoir ce qu’on veut, pour bien se comporter, pour être une « bonne » personne. Pour vivre comme on l’entend.

J’aimerais pour ma part finir sur une citation d’un autre Exprim’, le superbe « Frangine » de Marion Brunet:  « Quand on a une vie différente, on prend ces risques-là : rejets, ruptures, critiques. On peut regretter, se cacher dans un trou. Ou alors on décide d’être bien, on se bat, on mène la vie qu’on veut, la vie comme on l’aime. »

 En espérant que notre échange vous donnera envie de le lire à votre tour…

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Nos chroniques respectives :

Céline-Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait Livresse

Sophie-La littérature de Judith et Sophie

Nathan-Le cahier de lecture de Nathan

Pépita-Méli-Mélo de livres

Lecture commune autour de deux titres d’Eva Kavian, une auteure belge qui n’a pas sa langue dans sa poche…

 

3, 2 , 1…  pour cette lecture commune inédite.
3 lectrices qui confrontent leurs points de vue : Pépita – Méli-Mélo de livres, Céline alias Alice – A lire aux pays des merveilles et Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse.
2 titres, 2 récits de vie, avec 2 narrateurs qui se connaissent, un garçon, une fille, une famille (décomposée, recomposée, …), des amis, des amours, des emmerdes…
1 auteure belge coutumière des thèmes qui touchent de près les ados d’aujourd’hui…

Si le premier titre, Premier chagrin, a moins fait débat, ce fut moins le cas du second, La conséquence de mes actes…  Jugez plutôt.

Céline : Peut-on affirmer que Premier chagrin et La conséquence de mes actes abordent des thématiques plutôt inédites en littérature jeunesse ?

Pépita : Je répondrais par l’affirmative pour Premier chagrin : plutôt rare en jeunesse d’aborder la fin de vie, à ma connaissance. Pour le second, la thématique est moins originale. C’est la façon dont elle est abordée qui l’est davantage.

Alice : J’ai beau réfléchir mais je me dis qu’en effet, je n’ai pas lu d’autres livres concernant l’accompagnement de fin de vie . Quand à La conséquence de mes actes, je suis d’accord avec Pépita, ce n’est pas tant le contenu (quoique certains événements m’ont laissée sans voix) que la mise en perspective qui est inhabituelle et déconcerte.

Céline : Vous avez bien circonscrit le thème délicat abordé par Premier chagrin. Vous restez plus vagues en ce qui concerne celui du tome suivant… Quelques précisions sur le thème peut-être ainsi que ces événements qui laissent sans voix? Et puis, en quoi l’approche de l’auteure est-elle originale selon vous ? 

Pépita : Dans La conséquence de mes actes, on fait la connaissance d’un jeune garçon dont les parents se séparent et c’est une source de souffrance immense pour lui. Sa mère révèle sa véritable orientation sexuelle, et son père, après un lourd moment d’abattement, convole avec une jeune femme qui n’est autre que son orthodontiste ! Et pour couronner le tout, on l’isole, lui : il doit passer ses vacances chez les parents de la petite amie de son père, avec la tribu de leurs petits-enfants, sans les connaitre, dans un trou perdu sans internet. Lui qui est accro à Twitter ! En plus, suite à son année scolaire catastrophique (étonnant, non ?), sa prof de français et son père se sont mis d’accord pour qu’il rédige un long devoir sur… la conséquence de ses actes. Ça fait quasiment quatre punitions ! Quatre raisons d’en vouloir à la terre entière pour un ado en pleine poussée d’hormones et finalement normalement constitué ! Je ne dévoilerai pas plus sur la fin sinon c’est tout dire…  Juste que ce roman s’apparente à des poupées russes. Et que les rôles sont bien inversés. C’est ça pour toi les événements qui t’ont laissée sans voix Alice ?

Alice : Un événement qui m’a laissée perplexe, c’est la mort du chien Léon. Je n’en ai pas compris l’utilité, et en plus j’ai trouvé ça violent. Comment l’avez vous compris, vous ?
Pour moi le thème de ce livre, c’est que la vie est ce que l’on en fait. On peut passer son temps à subir les événements et se lamenter sur son sort, jusqu’au jour où on rebondit, on s’ouvre aux autres, on communique, on accepte le destin et le cours des choses en est changé.

Céline : Comme toi Alice, je pense que ce titre parle effectivement de la nécessité de renouer le dialogue avec les autres. L’ado de La conséquence de mes actes s’est enfermé dans sa bulle et observe la réalité qui l’entoure à travers elle. Celle-ci lui apparaît déformée, dramatisée… C’est le cas de cet épisode avec le chien qu’il nous décrit à la manière d’un film d’horreur. Ce n’est qu’en nouant le dialogue avec la grand-mère chez qui il séjourne qu’il va pouvoir lever le voile sur ces apparences trompeuses. De mon côté, je trouve que cet épisode révèle bien cette propension qu’on les ados à amplifier, parfois à l’extrême, tout ce qui leur arrive… De manière plus générale, l’auteure s’amuse quelque peu à perdre le lecteur ! Cette façon de faire vous a-t-elle plu ? déplu ?

Alice : Autant j’ai avalé Premier chagrin, autant j’ai ramé sur La conséquences de mes actes. En effet, l’auteur joue à nous perdre, mais autant dans Premier chagrin, elle ne nous perd pas longtemps et on sait vite où on va. Du coup on se laisse entraîner dans le flot de la vie et des émotions. Autant dans La conséquence de mes actes, j’ai eu du mal à cerner l’imbrication des problématiques et j’ai parfois été perdue. Moins d’évidences.

Pépita : Les deux romans parlent de la nécessité de renouer le dialogue avec les autres… N’est-ce pas le cas de Mouche à l’aube de la mort qui essaie de retendre les fils avec ses petits-enfants et enfants ? N’avez-vous pas été mal à l’aise au début ? J’ai presque eu le sentiment qu’elle « utilisait » Sophie quand même…  mais non, finalement, son objectif apparaît plus louable que cela : la réconciliation. Et c’est aussi la thématique de La conséquence de mes actes. Traitée d’une manière différente. Pour moi, cet ado est certes égocentrique mais sacrément déboussolé. La fin m’a sur le coup un peu déstabilisée : je me suis demandée ce que j’étais en train de lire ! J’ai beaucoup aimé le style d’écriture des deux romans : beaucoup plus en retenue pour le premier et brut de décoffrage pour le second.

Céline : Tu as raison de le signaler Pépita ! La nécessité de recréer des liens est sans conteste la clé de voûte des deux livres. Comme toi, j’ai été surprise par le faux-semblant à l’origine de la rencontre entre Mouche et Sophie dans Premier chagrin, comme je l’ai été également par cette mise en abyme dans l’écriture de La conséquence de mes actes… Mais, au final, tous les personnages sont gagnants et tous évoluent dans le bon sens. Cette vision optimiste m’a beaucoup plu. Comme le franc-parler des deux héros. Tous deux présentent les choses de la vie et de la mort sans fioriture inutile ni pudeur exagérée. Le tout saupoudré d’humour et d’un zeste bienvenu de spontanéité, d’insolence voire de provocation… Je pense par exemple à la liste de Sophie concernant les formules funéraires… Un style « djeune » qui fait du bien et contrebalance des sujets difficiles !!!!
Tu partages cet avis Alice ?

Alice : Comme cela se sent déjà dans ce que j’ai pu dire, j’ai eu beaucoup de mal avec La conséquence de mes actes. 10 jours au compteur pour arriver au bout !
[Alors que j’ai pleuré comme une madeleine pour Premier chagrin et que je l’ai dévoré en une soirée.] Je n’y ai pas du tout senti l’humour que vous décrivez, j’ai pas accroché sur le héros dont je n’ai pas compris les attitudes, j’ai croulé sous la multiplication des personnages sans que chacun soit réellement exploité, j’ai pas compris pourquoi il y avait ces annotations en pied de page concernant Twitter : ce livre est censé être lu par des ados qui connaissent parfaitement le fonctionnement de Twitter…
Je ne dirais pas qu’il m’a déplu, le mot exact est plutôt : il m’a perdu. Je n’en ai compris le sens qu’à la deuxième lecture. Alors, oui, je suis d’accord avec vous et je l’ai déjà dit, tout cela parle de communication, d’acceptation et d’optimisme. Au lieu de subir, relevons nous les manches, car la vie est semée d’embûches qu’il faut savoir affronter pour mieux se construire et avancer.

Céline : Concernant Twitter, selon une étude récente, même si 89% de la population connait Twitter, il n’y a que 5% d’utilisateurs actifs.  D’où ces notes sont loin d’être superflues à mon sens. Pour le reste, c’est vrai, La conséquence de mes actes est déroutant et, je l’avoue, ma préférence va aussi à Premier chagrin. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de mes élèves par exemple qui se disent plus proches de ce que vit le héros du premier titre… L’intérêt réside également dans le fait que, pour une fois, il s’agit d’un ado et non d’une adolescente qui raconte, comme c’est souvent le cas dans les récits de vie.

Pépita : C’est curieux, parce que, à ma lecture, je suis passée au-dessus de tout ça… internet, twitter, …  Autant j’ai eu la larme à l’œil et le cœur très serré pour le premier autant j’ai beaucoup ri (le passage avec les herbes comme PQ) au second et approuvé certaines phrases bien envoyées.

AliceAvez vous lu d’autres livres d’Eva Kavian ? 
Pour moi, sous un style d’écriture a priori accessible, elle aborde généralement des thèmes très durs et difficiles. Qu’en pensez-vous ?

Céline : J’ai également lu en son temps La Dernière licorne où elle évoque les sujets graves que sont l’euthanasie et l’univers psychiatrique. Le choix de ces thématiques « dures » est sans doute lié à sa formation initiale d’ergothérapeute, à son travail durant plusieurs années en hôpital psychiatrique et au fait aussi, qu’en Belgique, ces sujets sont moins sujets à polémique puisque, depuis quelques années déjà, réglés par la loi. A propos de ses thèmes, Eva Kavian s’explique elle-même :

« Si mes romans sont de pures fictions, ils sont cependant suscités par une émotion profonde, et, nourris, d’éléments vécus. Les thèmes : amour, désir, relation dans la fratrie et parents-enfants, familles monoparentales, deuils violents, solidarité, l’action comme outil face au désarroi. » (citation extraite du Répertoire des Auteurs et Illustrateurs de Livres pour l’Enfance et la Jeunesse en Wallonie et à Bruxelles).

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En complément de cette citation, nous avons voulu approfondir l’univers d’Eva Kavian en lui posant quelques questions, et c’est avec gentillesse qu’elle s’est prêtée au jeu.

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Les voix narratives que vous créez sonnent particulièrement justes.  Où puisez-vous cette connaissance pointue des ados ?
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J’ai trois filles adolescentes qui me parlent beaucoup, je suis baignée dans leur adolescence et je vis de près leurs drames, leur tourments, leurs rêves. Je pense que ceci explique cela. Mais aussi, pour écrire des romans, ils faut regarder le monde à travers les yeux de ses personnages. De roman en roman, j’apprends à le faire…
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– Pour Frank Andriat [interrogé cet été A l’ombre du grand arbre], malgré des thématiques différentes l’un et l’autre,  c’est l’humain qui guide vos plumes.  Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?

J’explore l’humain et ses questions, en effet. En écrivant un roman, j’explore des questions, je cherche comment l’humain se débrouille avec la vie, au travers de personnages fictifs mis en situation problématique.
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– Dans vos titres, vous n’hésitez pas à aborder des sujets de société parfois brûlants d’actualité.  Peut-on parler de romans « engagés » ?

Je suis une personne engagée, et donc il est possible que mes romans le soient. Mais au départ, il n’y a pas une quête ou une cause. Ce sont les personnages, face à leurs drames, qui me guident, et probablement ma vision du monde, mon propre rapport au monde, qui nourrit l’ensemble et en donne la couleur, sans intention bien consciente au départ de « défendre une cause ». En général tout au moins.

Il est rare d’aborder la thématique du deuil en littérature de jeunesse comme dans votre roman « Premier Chagrin »: quelle est l’origine de cette histoire ?

L’origine de cette histoire est un souvenir personnel, que je prête à Mouche. Celui de la perte de ma grand-mère (mon premier chagrin), pour laquelle j’ai été livrée à moi-même, j’avais six ans. J’ai démarré l’histoire avec l’idée qu’aujourd’hui, on ne ferait plus cela à un enfant. Même si chacun reste seul, in fine, dans la souffrance. Cela dit, il n’y a aucun tabou pour moi, aucune censure, quand j’écris.  La littérature est un lieu privilégié pour se confronter à notre condition humaine, et ainsi avancer vers nous-mêmes. Il n’y a aucune raison de ne pas aborder le deuil, la perte, puisqu’ils font partie de notre vie. Selon moi, Premier chagrin est un livre sur la vie, plus que sur la mort. Mais la vie n’a de sens et de prix que parce que la mort existe.

Les héros de Premier chagrin et de La conséquence de mes actes sont liés.  Pourquoi Sophie est – elle si peu présentée dans La Conséquence de mes actes ? Serait-il possible qu’ils se retrouvent dans un même livre et vivent une aventure commune ?

Ouiiiii (voir le troisième tome de la trilogie, à paraître en mars !)
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Quand vous rencontrez des adolescents qui ont lu ces deux romans, que vous en disent- ils spontanément ?

Qu’ils ont aimé, qu’ils ont pleuré. Qu’ils ont pris goût à la lecture, pour certains. Ils disent que c’est une histoire triste (Premier chagrin), et quand je leur réponds que c’est un livre sur la vie, ils le regardent autrement… Les lecteurs sont tristes de la mort de Mouche. Je n’ai pas encore beaucoup d’échos de lecteurs de La conséquence de mes actes…Je pense qu’ils devraient trouver ce livre drôle, en fait.
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Quels sont vos projets littéraires ?
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En mars 2013, chez Mijade, « Tout va bien », dernier volet de la trilogie entamée avec Premier chagrin. Sophie et Gauthier sont amoureux, s’organisent pour faire un séjour linguistique ensemble. Rien ne se passe comme prévu. Gauthier se retrouve à Rome, Sophie accueille un américain. Ils s’écrivent et se sont promis de terminer leurs courriels par « tout va bien », pour ne pas inquiéter l’autre. Mais tout ne va pas si bien que cela, et ils en viennent à se demander si c’est bien ça, l’amour. Roman drôle et léger, qui aborde pourtant des sujets comme l’amour, le vrai, quand on est très jeune, mais aussi le rejet, le désir, les a-priori.
Toujours en mars: « On ne parle pas de ça », chez Oskar. Pour grands ados et jeunes adultes. C’est un livre dur, secouant. Quatre jeunes meurent, pour des raisons différentes, à des moments différents. Un concours de circonstances va réunir les quatre mères, qui font ce qu’elles peuvent, pour vivre cette peine innommable (d’ailleurs la langue française n’a pas de mot, pour nommer un parent qui a perdu son enfant). Si le sujet est grave et effroyable, il me semble nécessaire d’offrir un espace de parole sur la mort des jeunes, aujourd’hui. De ne pas en faire un tabou. Parce que quand cela arrive dans le réel, il n’y a pas de mot. Sujet grave, mais écriture rythmée, presque légère, parfois drôle. On n’est pas dans le pathos, mais dans la vie.
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De belles lectures en perspectives pour ce printemps, merci Eva Kavian !
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Retrouvez nos avis détaillés :

Ana Ana

Pour cette lecture commune, l’envie nous est venue d’aborder un genre différent : la bande dessinée pour jeunes enfants !

Et je suis tombée « par hasard » sur celle-ci : Ana Ana, la petite sœur de Pico Bogue, publiée par Dargaud en 2012.

Et vous allez voir : c’est malicieux, gai et enlevé à l’image des deux couvertures !

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Sophie de La Littérature de jeunesse de Judith et Sophie, Céline du Tiroir à histoires et  Bouma de Un petit Bout de (Bib)liothèque ont répondu aux questions de Pépita-Méli-Mélo de livres.

Pépita : Deux tomes pour ces histoires : Douce nuit et Déluge de chocolat, aux titres évocateurs. Pour ma part, j’ai beaucoup ri et passé un excellent moment de lecture ! Est-ce le cas pour vous aussi ?

Céline : C’est frais, léger, drôle, j’ai l’impression de retrouver mon âme d’enfant en les lisant ! Tendres et facétieuses, les aventures d’Ana Ana et sa ribambelle de doudous fripons et rigolos m’ont détendue, enchantée, et je me suis régalée des illustrations savoureuses. Le ton est beaucoup moins acide que celui des BD de son préado de frère Pico Bogue, c’est plus candide, plus mignon, mais j’ai beaucoup ri !

Sophie : J’ai aussi beaucoup aimé. C’est drôle, pétillant, plein de candeur et ce personnage seul avec ses doudous, c’est un régal pour les enfants à mon avis.

Bouma : Petites BD bien sympathiques pour une première approche du 9ème art dès le plus jeune âge. La trombine de cette petite fille, avec ses bouclettes blondes et son nez retroussé, et les peluches hautes en couleurs donnent envie d’en découvrir le contenu.

Pépita : Un petit topo rapide sur chacun des titres, juste pour donner envie à nos petits et grands lecteurs ?

Céline : Dans Douce Nuit, Ana Ana lis un livre captivant, laissant la lumière allumée alors que tous ses doudous veulent dormir. Alors, quand à son tour elle tombe de sommeil, ils ne l’entendent pas de cette oreille ! Comment dormir avec six zigotos à poils bien décidés à faire la java ?
Dans Déluge de chocolat, on prend les mêmes et on les met dans la cuisine : mission gâteau au chocolat !
Avec une bande de doudous facétieux comme ça, on ne s’ennuie pas les mercredis, c’est moi qui vous le dit !

Pépita : Pour ma part aussi, j’ai beaucoup aimé l’approche : en particulier cette façon d’entrer dans l’imaginaire des enfants. Et la spontanéité qui s’en dégage. Le renversement des rôles aussi. Tout le monde peut s’y retrouver : les enfants et les parents. Du vécu quoi !

Et les illustrations ? Vous ont-elles convaincues ? Leur mise en page, leur colorisation, le rapport avec le texte ?

Sophie : J’ai bien aimé le format à l’italienne et d’ailleurs ça m’a fait pensé que c’était des petites histoires à l’intérieur, je ne m’attendais pas à en avoir une seule. Mais pas déçue pour autant. Le style des illustrations m’a bien plu, c’est dynamique, tout ce que j’aime. Le texte est assez court et l’illustration complète très bien et ajoute encore à l’humour des situations.

Bouma : Pas du tout surprise par le format et son contenu car j’ai déjà lu P’tit Boule et Bill sur le même format. Chaque livre présente l’équivalent d’une planche (cela vaut pour les deux titres) donc de grandes cases organisées de manière linéaire unilatérale. On est loin de la gymnastique intellectuelle que peuvent parfois représenter pour les enfants les bandes-dessinées.

Céline : Les illustrations sont irrésistibles, gracieuses, fraiches, avec des petits détails vraiment comiques, un un talent très BD sur les mimiques, expressions de visage, et le mouvement.

Pépita : Derrière l’humour de ces deux tomes de Ana Ana se « cachent » aussi des petits messages éducatifs : pour ma part, ça m’a bien plu parce que c’est fait d’une manière positive. Est-ce aussi votre avis ?

Sophie : Oui, ces petits messages sont intégrés sans la présence moralisatrice de l’adulte. L’idée est plus de faire prendre conscience aux enfants, de les aider à se construire par eux-mêmes. Et puis la place des doudous est un soutien pour ces messages à la hauteur de l’enfant.

Bouma : Je vous rejoins sur ce point. Les messages éducatifs sont appris par l’expérience d’Ana Ana et comme dans la réalité certaines choses sont mieux retenues après les avoir expérimentées…

Pépita : Parlons maintenant du genre : Dargaud est un éditeur de bandes dessinées. Ce livre se situe pour moi entre l’album et la BD. Etes-vous de cet avis ?

Céline : Entre l’album et la BD ? Je ne sais pas, moi je vois là une BD à proprement parler, avec ses codes et son esthétique, simplement accessible à des plus jeunes que le public BD classique. Le texte est en bulles, il y a dans le scénario et les vignettes une forme très « sketch » qui est pleinement dans l’esprit BD je trouve.

Bouma : Rien à rajouter car je suis totalement d’accord avec Céline.

Pépita : Effectivement, ce genre de BD constitue une initiation au genre, une immersion disons.

La production éditoriale en ce sens abonde : il existe maintenant pas mal de séries de BD pour la tranche d’âge des 3 à 6 ans. Qu’en pensez-vous ?

Sophie : C’est vrai que ce type de BD se développe beaucoup. Je n’ai rien contre, c’est un style différent et ce qui se fait est plutôt de bonne qualité donc tant mieux. Après il faudrait savoir si au niveau de l’acquisition de la lecture, cette forme est adaptée ou non.

Bouma : Personnellement je ne considère pas ce genre de bd pour les 3/6 ans mais plutôt pour les 6/8 ans en ce qui concerne l’acquisition de la lecture. Elles font parties de ces « premiers » livres que les lecteurs débutants vont pouvoir lire et finir complètement seuls. L’attrait de la bd dans ce que le genre apporte est surtout du (selon moi) à une envie de « faire comme les grands » (grands étant les enfants un peu plus âgés et maîtrisant un minimum la lecture). Parce que pour moi la bande dessinée est loin d’être réservée aux « non-lecteurs » ou aux « mauvais lecteurs », au contraire elle nécessite une double lecture pas si évidente celle du texte et celle de l’image. En cela, je conseillerais plutôt Ana Ana en début d’école élémentaire.

Pépita : Avez-vous eu l’occasion de lire ces BD avec des enfants ? Si oui, leurs réactions à chaud ?

Céline : Oui ! ça rigole, et pour le message caché éducatif, ça fait mouche effectivement. Aucun adulte n’intervient pour remettre les pendules à l’heure, du coup, le petit lecteur le fait lui-même (solidarité avec les doudous qui veulent dormir, air presque scandalisé en voyant l’état de la cuisine pleine de chocolat), etc ) Mais justement, c’est parfait, suffisamment léger pour que ça reste drôle et pas moralisateur. Grand succès lu à voix haute à des enfants non lecteurs !

On vous avait prévenu…Il n’est pas trop tard pour vous régaler de cette lecture !

Pour en savoir plus, voici nos avis sur nos blogs respectifs :

Sophie-La littérature de jeunesse de Judith et Sophie

Céline- Le Tiroir à histoires

Bouma-Un  petit bout de (Bib)liothèque

Pépita-Méli-Mélo de livres

Troubles par Claudine Desmarteaux

Troubles de Claudine Desmarteaux
Albin Michel Jeunesse – Wiz, 2012

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Une Lecture Commune avec Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on est livresse, proposée par Bouma – Un Petit Bout de Bib

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Bouma : Aujourd’hui nous vous présentons une lecture commune autour de mon gros coup de cœur du mois de janvier, un roman ado, troublant, comme son titre l’indique. Un sujet inquiétant, une manière d’écrire qui m’a captée, pourtant le sujet de ce roman peut porter à polémique. Aujourd’hui nous parlons du genre de roman que vous n’oublierez pas.

Première question : Comment résumerais-tu ce roman ?

Céline : Sous la forme d’un synopsis, clin-d’œil au cinéma, troisième homme de ce récit :
Paris. Camille et Fred, deux ados, deux amis d’enfance. Tous deux sur le fil, tous deux victimes collatérales de drames familiaux. Chacun sa came. Le cinéma pour Camille. L’alcool, les joints et plus si affinités, pour Fred. Soirée après soirée, voyage au bout de la nuit. Lassitude. Dégoût. Drame.

Bouma : Tu as écrit un résumé qui ressemble vraiment beaucoup à ce roman. Les chapitres sont courts, voire très courts, amenant un rythme effréné, une tension à l’histoire. Cette tension, l’as-tu ressentie comme moi ? Cela a-t-il gêné ta lecture ?

Céline : Oui, cette tension est palpable dès les premiers mots et s’accentuent au fil des pages. On sent dès le départ qu’un drame est en préparation ! Une fois l’effet de surprise passé, ce rythme effréné et ce style saccadé m’ont plutôt donné envie de continuer ! L’écriture et la référence au cinéma contribuent d’ailleurs, pour ma part, au succès de ce titre. Et de ton côté, quels sont les aspects qui t’ont particulièrement plu ?

Bouma : Pour revenir à ce que tu disais, je n’ai pas senti le drame venir. Je me le suis pris en pleine tête, comme les protagonistes. Par contre, j’ai aimé que la trame ne s’arrête pas là, que l’auteur montre que le film comme la vie continue.  J’ai aussi aimé cette description très réaliste (à mon sens) de la réalité quotidienne des adolescents. C’est une période de doutes, de choix et d’affirmations. Ce n’est pas une époque facile et les adultes ont tendance à trop souvent l’oublier à mon sens. D’ailleurs, dans le texte, Camille doute de sa sexualité. Mais Camille est un prénom mixte. Est-ce un garçon amoureux de son meilleur pote ? Une fille attirée par d’autres filles ? Qu’en penses-tu ?

Céline : Je pencherais plus pour un « il »… Il me semble que cette identité collerait davantage avec le titre et les sentiments ambigus que Camille éprouve pour son ami d’enfance. Mais je n’en suis vraiment pas certaine. Quoi qu’il en soit, tu as raison, l’auteure nous laisse K.O. certes mais avec néanmoins une note d’espoir :

« Quand les plaies seront refermées, les blessures cicatrisées, viendra le temps des bourgeons et des promesses. »

Ce qui m’a surprise cependant c’est l’attitude attentiste des adultes ! Tout le long de ma lecture, j’ai eu envie de crier : « Mais bon dieu, quand allez-vous réagir ? ». Et toi, ce manque de réaction t’a-t-il également interpellée ?

Bouma : Je n’ai pas franchement été interpellée par cette absence, ou en tout cas cette « non intrusion » des adultes dans le récit. Claudine Desmarteaux déroule son histoire du point de vue de Camille, un(e) adolescent(e) (parce que moi je voyais plutôt une fille en Camille mais bon bref, passons) et nous montre donc SA VISION de l’histoire. Elle est auto-centrée, et ça ne m’a pas plus étonnée que ça que pour elle/lui les adultes n’aient aucun rôle à jouer dans son quotidien outre celui de réfrigérateur et de distributeur.
Un dernier mot pour la fin ?

Céline : Nos hésitations et interrogations sont symptomatiques je trouve. (L’auteure pourra peut-être en lever certaines ?) Cette lecture est de celles qui remuent, vous emmènent au-delà des conventions, des apparences, des jugements trop rapides… Claudine Desmarteaux apporte un certain éclairage sur une jeunesse désabusée et pourtant pleine d’espoir ! Un paradoxe qui interpelle et rend ce texte particulièrement fort ! Un de ceux qu’on n’oublie pas…

Bouma : Exactement. Un texte troublant dont je suis ressortie chamboulée par tant de beauté dans l’écriture de l’indescriptible.

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Et pour en savoir toujours plus, voici nos avis sur nos blogs : Qu’importe le flacon et Un Petit Bout de Bib.

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Cette lecture commune a soulevé nombre de questions comme vous avez pu le lire, et nous remercions chaleureusement Claudine Desmarteaux d’avoir pris le temps d’y répondre (ainsi que son éditeur Albin Michel Jeunesse pour la mise en relation).

1. Comment vous est venue l’idée de Troubles ? Vous êtes-vous inspirée de faits réels ou d’une situation dans votre entourage ?

CD : Après Teen Song, j’ai eu envie d’écrire encore sur l’adolescence, une période à hauts risques, faite d’exaltations, de découvertes, mais aussi d’une certaine errance, voire d’ennui, parce que la réalité est rarement à la hauteur des attentes immenses qu’on a quand on est ado. On zone, de fêtes en soirées. On se cherche, on cherche l’amour… C’est douloureux, de sortir de l’enfance, on éprouve un sentiment de vide, de perte, d’angoisse morbide, parfois.
Ce texte est une fiction qui s’est nourrie de mon imagination, de bribes de mon expérience personnelle, de celle de mes enfants (j’ai une fille de 19 ans à qui je fais lire tous mes textes en cours d’écriture), de films que j’ai vus et aimés… Il est parti aussi d’une envie de décrire des scènes de cinéma.

2. Ce roman parle en partie de harcèlement. Est-ce un thème qui vous touche particulièrement ?

CD : C’est un thème qui touche chacun d’entre nous. Depuis la première cour de récré jusque dans le monde de l’entreprise, on est confronté à des situations de harcèlement, plus ou moins graves, plus ou moins féroces, qu’on subit ou qu’on inflige (parfois avec une certaine lâcheté, ou de l’inconscience). Ça fait partie du jeu social. En bande, parfois la cruauté peut se déchaîner.

3. Dans cette histoire, les adultes sont plutôt inexistants voire démissionnaires. Est-ce un constat que vous tirez de la vie réelle ?

CD : Non, ce n’est pas un constat et je ne juge personne. Ni les ados, ni leurs parents. S’ils sont défaillants, c’est parce qu’ils ont du mal à faire face à leurs propres problèmes, mais aussi parce que les adolescents s’éloignent d’eux, ne leur confient plus rien. En grandissant, les enfants veulent s’affranchir, couper le cordon, et c’est bien normal. Les parents sont souvent les derniers informés. Ils idéalisent leurs enfants et font parfois preuve de naïveté, ou d’aveuglement.
Dans Troubles, pour se protéger d’une situation pourrissante (ses parents ne s’entendent plus mais sont forcés de cohabiter pour des raisons économiques), Camille prend ses distances. Les parents font ce qu’ils peuvent. Ils sont toujours trop absents, ou trop étouffants… Les parents parfaits, c’est comme la licorne, ça n’existe pas.

4. Aviez-vous l’intention d’écrire pour le public adolescent dès le départ de cette intrigue ?

CD : Pas forcément. Dans tous mes livres jeunesse, je m’adresse aussi aux adultes. Mais je suis heureuse d’avoir publié ce livre en roman ado, j’ai fait de très belles rencontres avec des lycéens sur Troubles.

5. Avez-vous visionné l’intégralité de la filmographie de Camille ? Comment avez-vous choisi ces films ?

CD : J’ai choisi des films que j’ai aimés et qui m’ont marquée. Ils ont tous un lien avec le désir, l’amour, les pulsions… Je les ai visionnés parfois plusieurs fois, pour choisir les scènes, les décrire… Tous ces « morceaux de cinéma » disent à quel point c’est complexe, tout ça, et à quel point cela échappe à notre contrôle. Camille est quelqu’un d’assez introverti, toujours en retrait, qui observe la vie un peu comme un film. Camille décrit avec précisions des plans, des scènes, mais ne dit rien sur ses propres désirs.

6. Pouvez-vous lever l’ambiguïté concernant le sexe de Camille ?

CD : Camille est un prénom mixte. C’est au lecteur de faire son choix. Cette ambiguïté participe au trouble.
Mais si vous tenez à savoir si pour moi, Camille est une fille ou un garçon, je répondrai : un garçon (qui refuse de s’avouer les sentiments amoureux qu’il éprouve pour son meilleur ami Fred).

7. et enfin… avez-vous un autre roman pour les adolescents en préparation ?

Un nouvel opus de la série du petit Gus, Le petit Gus au collège, sort en août 2013. C’est un roman illustré qui s’adresse à tous, et plus spécialement aux 9-13 ans.
Je n’ai pas commencé à travailler sur un autre texte pour l’instant, mais j’écrirai encore pour les adolescents. J’aime ce public, ouvert, fragile et touchant. L’adolescence est une période de la vie riche et complexe, dont on ne sort pas indemne mais qui construit l’adulte qu’on deviendra.

[Cette interview a été réalisée au début de l’été.]

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Nous espérons que cette lecture commune vous aura fortement donné envie de lire ce titre. Bonne lecture.