Lecture commune : L’enfant des livres

Quoi de mieux que de se plonger dans un album qui célèbre le pouvoir des mots, la force de l’imaginaire et le pouvoir des livres !

Oui, les livres ont un pouvoir…ce n’est pas nous qui dirons le contraire !

Voici donc une lecture commune sur cet album hors du commun.

L’enfant des livres.-Oliver Jeffers et Sam Winston.- Kaléidoscope, 2016

Pépita : Que vous a inspiré le titre de cet album : L’enfant des livres ?

Alice : J’ai découvert le titre en même temps que la couverture : ce livre rouge avec serrure, cette enfant presque invisible assise dessus, comme si elle sortait tout juste des pages de ce gros bouquin. Rapidement, je n’ai imaginé rien d’autre que cette histoire, celle d’une enfant qui serait l’héroïne de toutes les histoires qu’elle liraient. L’enfant des livres, c’est celui qui plonge dans des histoires sans que rien ne puisse gêner ou influencer sa lecture.

Colette : L’enfant des livres… très égoïstement ce ne pouvait être que mon histoire. Je suis une enfant des livres. Cet album là s’offrait à moi comme un miroir.

Sophie : Un peu comme Colette, je me suis sentie directement concernée par ce titre. J’ai toujours eu des livres autour de moi, je ne me souviens même pas du moment où j’ai appris à lire comme si j’avais toujours su (ce qui n’est certainement pas le cas !). Ça signifie aussi ce que je suis encore maintenant, une enfant des livres qui continue de grandir et d’évoluer à chacun que je lis. Et cette couverture, c’est le symbole de la promesse que propose chaque livre : un nouvel univers à découvrir, de nouveaux amis à rencontrer.

Pépita : Tout comme vous, ce titre me parle directement, comme s’il m’était tout spécialement destiné, comme un lien d’intimité très fort (ce qui se joue finalement dans l’acte de lire) et cette présentation comme un écrin précieux, comme un secret qu’on se chuchote et qu’on transmet.
Passons au contenu : quel a été votre tout premier ressenti en découvrant ses pages et la forme surtout du contenu ?

Alice : Dés la page de garde, on est submergé par une abondance de références de textes littéraires, écrites les unes après les autres de manière très hermétiques. On a envie de prendre le temps de lire cette liste pour voir si on connaît ces titres, si on les a lu. Et puis il y a ce porte plume et son encrier et enfin on entre dans le livre. A mon avis, cette mise en scène n’est pas négligeable pour conditionner le contenu qui suit. Tout au long du livre, on retrouve des lignes et des lignes de textes qui participent de l’illustration comme pour nourrir l’imagination de la jeune lectrice. Une idée très intéressante, riche de fantaisie et de symbolisme comme un mariage magique réussit entre l’illustration et la typographie.

Sophie : Déjà j’ai aimé me retrouver dans cette vision de la lecture comme un voyage. Et puis ces illustrations, c’est très intelligent et ça donne en effet envie de se replonger dans les classiques qu’on picore au fil des pages.

Colette : Cet album est d’une infinie poésie, cette manière si délicate de mêler le dessin et le lettrage au fil des pages n’est pas sans me rappeler l’art subtil des Calligrammes d’Apollinaire : quand le mot, dans sa matérialité, devient image alors le voyage littéraire peut commencer et tout est possible. Pour recenser tous ces extraits, les regrouper par thème et les intégrer le mieux possible dans une scène du voyage de l’enfant des livres il en a certainement fallu des heures de recherche ! Quelle ingéniosité !

Pépita : Tout comme vous, je me suis laissée emporter par ce voyage imaginaire mais pas seulement car les extraits de textes donnent corps aux illustrations si en accord avec ce qui est dit. On a le cœur gonflé d’allégresse et on se dit que la rencontre avec la littérature est une si belle chose, la chance que l’on a de pouvoir la vivre au quotidien ! On sent là aussi l’intime de cette rencontre. Et justement, ce texte, une seule phrase par double page, que vous a-t-il inspiré ?

Alice : Il est à la fois court mais efficace. Chaque phrase mérite que l’on s’y attarde et retentit au fond de chacun d’entre nous. L’emploi de la 1ére personne du singulier, rend le discours très proche : on s’identifie réellement !

Colette : Il y a une sorte de contradiction entre ces paroles si courtes de l’enfant des livres et l’abondance des extraits cités, comme si l’enfant des livres résumait en quelques mots l’immensité des histoires qui nous sont offertes, extrayant ainsi la substantifique universalité de la littérature.

Sophie : Je trouve aussi que ces phrases très courtes résument parfaitement mon ressenti de lectrice. Si on aime les livres, on s’y reconnaît et ça donne envie de le partager.

Pépita : Tout comme vous, je me suis complètement identifiée en tant que lectrice compulsive à ces petites phrases et je pense aussi qu’elles peuvent emporter dans leur tourbillon n’importe quel lecteur. Revenons aux œuvres mises en valeur dans cet album (y compris sur la couverture, la 2éme et la 3éme) : vous y êtes-vous attardées et cela vous a-t-il donné envie soit de lire ou de relire certaines de ces références ?

Alice : Oui, avant de découvrir l’histoire, je me suis déjà attardée sur la 2° de couverture et la liste des références littéraires, en ayant bien sur en tête des envies de re-lecture. Pour ce qui est du cœur de l’album, c’est à une seconde ( voire troisième, quatrième, …) lecture que j’ai pris le temps de lire la totalité des textes. Je m’en suis d’abord tenu aux phrases isolées et ce n’est qu’après que j’ai plongé dans l’intelligente « substantifique moelle » de cet album. Ces extraits ne sont pas choisis au hasard, ils font écho à l’illustration, à la phrase isolée et matérialise complètement ce qui se passe dans l’imagination. Alors oui, bien sûr on a envie de relire ces textes qui sont la part d’enfance qui sommeille en nous …

Sophie : Oui j’ai adoré lire ces petits bouts d’œuvres connues liés au thème de l’illustration. C’est un travail sûrement énorme mais c’est le petit détail vraiment fascinant qui offre une autre lecture.

Pépita : J’ai adoré ce procédé : rattacher ces petites phrases à des œuvres emblématiques, c’est tellement beau ! Oui cela donne envie de les relire mais pas forcément : j’ai aimé l’auréole de mystère que cela induit. Comme si la lecture était un voyage, une mer de possibles infinie. C’est très fort je trouve.

Si vous aviez juste un mot pour définir ce livre, que diriez-vous ?
Vaste pour Alice, Promesses pour Colette, voyages pour Sophie et transmission pour Pépita.

Nos chroniques respectives :

Sophie:  La littérature jeunesse de Judith et Sophie

Pépita MéLi-MéLo de livres

Une Preuve d’amour de Valentine Goby

Lorsque j’ai lu ce roman, j’ai été frappée une fois de plus par la délicatesse et la justesse de l’écriture de Valentine Goby. Aussi ai-je entrainé deux arbronautes, Pépita et Colette, à partager cette lecture (et j’espère qu’il en sera de même pour vous).

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Une preuve d’amour de Valentine Goby
Thierry Magnier, 2017 (2013 pour la première édition)

 

Bouma : Avant d’avoir lu ce roman, quels thèmes pensiez-vous y trouver en vous basant sur la couverture et le titre ?

Pépita: Tout de suite à une histoire d’adoption ou de migrants. Comme quoi, la couverture est explicite !

Colette : J’avoue qu’au seuil de ce texte, j’ai pensé lire une aventure en terre africaine, une aventure dans laquelle les héros devraient faire des sacrifices par amour..

Bouma : Pour moi il s’agissait plutôt de voyage avec cette jeune fille qui regarde au loin et la carte qui dessine les cheveux du visage central.
Et que raconte l’histoire finalement ?

Pépita : Le lecteur est transporté dans une classe, en cours de français, avec le texte des Misérables de Victor Hugo qui est étudié. Le professeur essaie de faire accoucher ces esprits une réflexion sur un personnage en particulier, celui de Fantine qui abandonne Causette. Mauvaise mère ou non ? Le débat est lancé, la discussion est vive… Abdou se lève d’un coup et quitte la classe. Il n’y a que Sonia qui perçoit le malaise du jeune homme et elle décide de l’aider.

Colette : Cette histoire est celle d’un amour naissant, un amour qui se tisse autour d’un mystère que le lecteur devra déchiffrer sur les pas du personnage principal, un amour courageux…

Bouma : Quel personnage vous a le plus touché et pourquoi ?

Pépita: et bien, je ne sais pas ! Bien sûr on s’attache d’emblée à Abdou et Sonia, c’est inévitable ! J’ai particulièrement apprécié les adultes dans cette histoire : le prof de français mais surtout le père de Sonia.

Colette : sans hésiter mon personnage préféré est celui du père de Sonia : quel  adulte bienveillant, respectueux, attentif, impliqué ! J’ai toujours eu une tendresse particulière pour ces papas qui s’occupent seuls de leurs enfants ! Pas de misérabilisme dans cette parentalité solitaire, mais des preuves d’amour en veux-tu en voilà !

Bouma : Je rebondis sur ta formulation Colette, non pas UNE mais DES preuves d’amour selon toi. D’amour maternel avec la mère d’Abdou, d’amour paternel avec le père de Sonia, d’accord. Mais n’y a-t-il pas aussi quelques preuves d’amour de la part de ces personnages adolescents ?
PS. Moi c’est le personnage d’Abdou qui m’a touché par sa sensibilité et sa relation au monde. Il dégage une présence même à travers les pages d’un livre.

Que pensez-vous des références à Victor Hugo ? Cela peut-il faire écho même chez des lecteurs qui ne l’ont pas lu ?

Pépita :J’ai trouvé ce procédé particulièrement intelligent, comme quoi les grandes œuvres traversent les siècles sans une ride ! Effectivement, soit on ne l’a pas lu mais je ne pense pas que cela gêne la compréhension de l’histoire (qui est très bien posée par rapport au contexte et à la référence) ou au plus, cela peut donner envie de lire ces pages. J’ai aimé aussi l’attitude de l’enseignant qui ne lâche rien, qui veut mener ces ados dans les derniers retranchements de leur réflexion. J’aurais du coup aimé le connaitre un peu plus aussi. Comme quoi les grandes œuvres ont toujours une résonance et que chacun peut s’identifier aux personnages à l’aune de sa propre vie. C’est aussi un roman sur la force de la littérature.

Colette : Absolument car oui j’ai honte  mais je n’ai jamais lu Les Misérables et j’ai parfaitement saisi à quel point cette référence était précieuse pour délier les nœuds en boule dans le cœur d’Abdou et Sonia. C’est un des miracles de la littérature : son précieux pouvoir cathartique ! Et puis je ne peux qu’apprécier un roman qui commence par une lecture analytique en cours de Français.

Bouma : Aviez-vous déjà lu d’autres romans de Valentine Goby ? Comment décririez-vous sa plume ?

Colette : J’avais lu Kinderzimmer offert par notre Carole lors de mon premier swap de Noël à vos côtés mes arbronautes et j’avais été bouleversée… Pour de nombreuses raisons, parce que c’est un roman essentiel sur la femme, son corps, la maternité quand tout vous prive de cette féminité, de ce corps, de cette maternité puisque l’histoire se déroule en grande partie à Ravensbrück… Je n’ai pas retrouvé le même style dans Une Preuve d’amour. Je ne saurais trop expliquer pourquoi. Parce que les choses n’y sont pas aussi complexes sans doute, parce que tout va très vite dans Une Preuve d’amour, le rythme de la narration est beaucoup plus basé sur le déroulé des évènements (comme souvent dans la littérature ado, me semble-t-il) que sur l’exploration des abysses de l’esprit humain !

Pépita : Je n’ai rien lu d’autre d’elle en jeunesse. Celui que tu cites Colette me tente depuis longtemps mais je n’ai pas encore eu l’occasion de le lire. Par contre, je l’ai lue en littérature adulte et j’ai notamment été embarquée par Un paquebot dans les arbres chez Actes sud. C’est une auteure qui a le don des personnages je trouve. Elle leur donne, malgré les situations qu’ils vivent souvent difficiles, une sorte d’élan de vie qui bouscule.

Bouma : Moi j’avais déjà lu Le Voyage immobile dans la collection d’Une seule voix chez Actes Sud Junior. Un texte très court encore plus que celui-ci, sur le handicap et la différence, qui avait su me toucher.
Pour Une preuve d’amour, certes les évènements conduisent la marche mais je trouve que la plume de Goby sait questionner le lecteur, l’interroger sur sa place dans le monde et dans la société.

 

Au final, Valentine Goby livre un roman plein de sens où littérature et réalité se font échos dans la quête de sens et la recherche identitaire.

Pour aller plus loin, retrouvez nos avis sur ce roman :

Colette

Pépita

Bouma

 

Coeur de bois de R. Lejonc et H. Meunier

Il est de ces livres qui nous fascinent par leur singularité, leur beauté et leur qualité. 

Tel est le cas, aux editions Notari,  de Coeur de Bois de Régis Lejonc et Henri Meunier, un album vers lequel on on se sent irrémédiablement attiré et qui tient les promesses espérées.

AliceJ’ai envie que l’on tourne les pages de cet album les unes après les autres,qu’on le découvre tranquillement sous ses divers aspects, c’est un peu l’effet souhaité par les auteurs vous ne pensez pas ?

Pepita – Oui c’est vrai, il émane de cet album un tel mystère ! On a vraiment le sentiment d’emblée de toucher et de voir là quelque chose de rare.

Bouma – Je le trouve très cinématographique dans sa conception. Impossible d’en oublier la linéarité, la fluidité.

Colette -Les premières pages sont en effet particulièrement bien construites comme le début d’un très bon film pour reprendre la comparaison de Bouma : plan panoramique, plan moyen, plan général… Les auteurs construisent le cadre de la narration de manière très visuelle, en douceur, dans des couleurs automnales, à la fois généreuses et mystérieuses. Et nous projette déjà dans le mouvement, le mouvement d’Aurore, un mouvement … cathartique, pourrait-on dire…

AliceIl ya cette illustration en double page, ce village dans son ambiance un peu énigmatique…
Et puis l’on découvre Aurore, seule face à son miroir, décrite avec soin par l’auteur. Que vous a-t-elle inspiré ?

Pépita – Un grand sentiment de liberté et de détermination mélangée à une part de mystère : elle m’a intriguée d’emblée.

Bouma – Je ne sais pas pourquoi mais elle m’a tout de suite fait pensé aux contes classiques. Peut-être le mélange entre son prénom (Aurore comme la Belle au bois dormant), le reflet dans le miroir (comme Blanche-Neige) et son air de femme fatale, déterminée, héroïque.

Colette – Alors pour moi Aurore est vraiment une sorte d’icône féminine et les mots qui accompagnent son reflet au tout début du livre m’ont tout de suite mis la puce à l’oreille : là je n’avais pas n’importe quel livre entre les mains, un livre avec des images oui, mais un livre tissé de mots d’adulte, de mots de grand, de mots d’amoureux oserai-je même dire !

Pépita – oui c’est vrai : il y a quelque chose de très sensuel dès les premières pages.

Alice – Des collègues-lectrices-adultes y ont vu une ressemblance flagrante avec Brigitte Bardot. Le descriptif que vous en faites y correspond complètement, mais y avez vous vu cette référence ?

Pépita – Absolument pas ! je n’y ai vu aucune ressemblance, si ce n’est une sorte de personnage concentré des contes de fées à la sauce moderne.

Colette –  Pas à Brigitte Bardot en particulier mais c’est vrai que tout en elle évoque une certaine époque, les années 60, en effet : son joli carré, sa jupe, son petit béret, cette revendication de femme libre… Il y a un peu de tout ça qui se dessine dans sa svelte silhouette.

Alice – Aurore file dans sa petite voiture rouge (un détail finalement peu anodin, non ?) et s’enfonce dans la forêt, laissant sa pensée se laisser envahir par l’organisation matérielle de son quotidien et la contemplation sereine de la nature. L’album se construit et pourtant parait de plus en plus énigmatique . Où tout cela nous mène -t-il ?

Entre inquiétude et apaisement, comment avez vous ressenti ces 4 pages où le voile mystérieux ne semble pas se lever ?  

Bouma -Plus que mystérieuses, ces pages ont fait monter l’angoisse chez moi. Je n’y ai pas vu de quiétude mais une confiance en soi, une maîtrise de l’environnement qui me faisait peur. Car pourquoi une jeune femme si apprêtée aurait besoin d’une balade dans les bois ? Je me suis sentie comme dans les premières pages d’un bon thriller.

Colette – Mystérieuses ces pages en effet, du coup je les ai dévorées pour en savoir un peu plus : où va Aurore ? Elle ne semble pas se rendre à un quelconque travail elle semble bien au dessus de ce genre de trivialités, et je me suis complètement laissée surprendre par sa destination !

Pepita– Oui bien mystérieuse destination ! Des indices semés ça et là mais sans lien apparent. L’étau se resserre peu à peu, c’est même assez angoissant ce contraste entre sa liberté de femme libre, sa sérénité dans le monde sombre de la forêt, et l’arrivée dans cette maison délabrée, le fait qu’elle parle à quelqu’un qu’on ne voit pas et qu’elle se mette à son service avec tranquillité comme si tout ça était normal, dans l’ordre de l’habitude. On se dit : une grand-mère ? Un ermite ? Une amie d’enfance ? On se laisse porter par le mystère.

Alice -Oui c’est ça, elle entre dans cette maison avec une attitude plutôt bienveillante et attendrissante. Des indices nous disent que même si elle prend le balai, elle n’est pas l’aide a domicile, que la maison n’est pas en bon état mais que le service à thé est parfait et que le vieillard est plutôt heureux de sa compagnie. Et la… le choc, on tourne la page et on découvre qui IL est vraiment. Terrible cette page !

Prenons là seule, dans sa globalité, juste deux phrases et une illustration à couper le souffle. J’en reste sans voix, pas vous ? L’aviez vous présagé ? Mais pour autant avez vous tout compris de l’histoire ou a t-il encore fallu découvrir les pages suivantes ?

Bouma– Effectivement, cette page est un pivot dans l’histoire. Pour moi elle a mis fin au suspens tout en apportant une nouvelle tension, de nouvelles questions renfermées dans ce « Oui toujours » quand on demande au personnage s’il a faim. Présage ? Reflet d’autrefois ? Et tant de pages à lire encore pour essayer de deviner.

Pepita – Le choc oui …une surprise de taille que l’identité de celui à qui elle s’adresse. Dans la tête du lecteur s’opère alors un renversement de situation puisqu’il comprend alors l’enjeu de cette histoire. Juste en image. Ensuite viennent les mots et là on creuse encore. On va au bout de l’idée et de ce qu’elle révèle en profondeur. C’est vraiment très fort dans tous les sens du terme. Même la couverture, on la lit différemment du coup.

Colette– J’ai très fortement ressenti la tension qui montait jusqu’à ce portrait de l’interlocuteur d’Aurore que l’on prend en plein coeur ! On le reconnait tellement, on se reconnaît tellement dans cette page là, il y a tout un monde qui se joue dans cette image, le monde d’Aurore mais aussi notre monde, celui que nous nous sommes construits dans l’enfance et qui comme l’interlocuteur d’Aurore a pris un sacré coup de vieux… Ce portrait est un véritable pivot dans l’album, il nous fait basculer dans une lecture bien différente de celle que nous croyions mener jusque là…

Pépita -oui exactement Colette ! On se dit que jamais on aurait pu penser voir les personnages de conte vieillir et que les proies de leur jeunesse puissent les mettre devant leurs responsabilités à ce point ! du coup, est-ce encore un album pour enfants?

Alice – Comme le dit Colette, notre lecture bascule d’un coup et l’on découvre alors les motivations d’Aurore en entrant dans la psychanalyse pure et dure ! Aurore est là comme pour nous rappeler que les épreuves ne s’effacent pas mais marquent notre vie à jamais.
Dans un long monologue Aurore nous parle de sa resilience, elle semble très affirmative … et pourtant… Pensez-vous qu’Aurore est aussi forte qu’elle se décrit ?

Bouma – Comme tu le soulignes, Aurore se décrit. Peut-être se donne-t-elle la force d’avancer par delà le passé ? Peut-être est-ce pour se donner du courage ? Peut-être est-ce la vérité ? C’est le doute qui est pour moi intéressant.

Colette –  Aurore est-elle aussi forte qu’elle se décrit ? Nous ne pouvons véritablement le savoir car nous ne vivons à ses côtés qu’une seule journée, je pense que nous ne pourrions témoigner de sa force réelle que si nous la suivions sur plusieurs semaines, sur plusieurs années, être avec elle quand elle retrouve ses enfants, écouter ce qu’elle leur dit, ce qu’elle leur raconte le soir avant d’aller dormir… Mais une chose est sûre, elle a beaucoup réfléchi, analysé ses souffrances et semble avoir trouvé dans cette étrange relation qu’elle a créée avec son bourreau une forme de résilience comme tu le dis si bien. Et pour cela il faut avoir beaucoup de courage.

Pépita – Ah si pour moi elle est forte, immensément forte ! Qui oserait aller rendre visite régulièrement à quelqu’un qui vous a fait mal alors que vous avez réussi à construire votre vie malgré tout ?…Je pense que cela la conforte dans sa force de caractère, voire même dans le fait qu’elle soit si vivante, y compris dans les gestes anodins du quotidien ( conduire sa voiture librement, manger un croissant, se regarder dans le miroir,…). Car affronter ses peurs, ce n’est pas oublier, ce n’est pas pardonner, c’est avancer. J’ai particulièrement aimé ces dialogues que vous citez car la parole libére les mots, pansent les plaies. Ils ont tous les deux besoin pour moi de se situer là où ils en sont dans leurs vies respectives avec infiniment de bienveillance. Cette bienveillance m’a énormément touchée. Elle est comme une sorte d’espoir. Que tout est possible malgré tout.

AliceEn filigrane, on a vu s’écrire une histoire, tout droit sorti d’un conte de l’enfance. Un jeu d’inversion de rôle que nous avions même pas pu envisager. Qu’est ce que cela vous a évoqué ?

Bouma – Un sacré coup de vieux ! Quand on se rappelle des contes de son enfance, il y a forcément le temps qui passe en filigrane même si ceux-ci sont si intemporels qu’ils en paraissent immortels.

Colette-Ce n’est pas nouveau d’inverser les contes classiques, de les détourner, de les malmener. Ici c’est bien plus subtil d’après moi, il ne s’agit pas vraiment d’inverser les rôles, chacun est resté le personnage qu’il a été jadis, « il était une fois », mais le temps a fait son œuvre, et les personnages ont changé. C’est ce qui est absolument génial ici, nous quittons la sphère atemporelle du conte (sans complètement la délaisser) pour intégrer le réel et sa matérielle finitude. « Humains, trop humains », ces personnages là nous ressemblent tellement !

Pépita – En fait, cela m’a ébranlée. Je n’avais jamais vraiment imaginé enfant que les personnages de conte puissent devenir adultes et vieillir. Même si beaucoup d’adaptations existent, de contes détournés,…je trouve que cet album franchit un cap énorme : celui de la modernité dans ce renversement de situation. Mais avec une belle dignité. Sans rabaisser. Le conte y est pour ainsi dire sublimé dans une forme novatrice avec des références implicites à d’autres contes en mettant en avant le conte le plus lu, le plus connu, le plus adapté, le plus détourné. Rien n’y est laissé au hasard, tout est pesé, tout peut se lire. Il s’adresse pour moi d’abord aux adultes, sans aucun doute. Mais qu’il soit publié en jeunesse, je trouve que c’est un signe fort aussi de ce que les enfants sont capables de décrypter aussi à leur niveau.

Alice– On aurait pu le deviner, nous avons dans les mains un album pour adulte averti. Un récit fort qui prend de l’épaisseur de scène en scène et qui se laisse porter par des illustrations parfois inquiétantes mais tellement magnifiques. Que rajouteriez vous que nous aurions oublié et qui vous tient à coeur ?

Bouma – Moi je citerai le texte vrai et percutant :
« J’étais fort autrefois », soupira-t-il.
« Non. Non, vous n’avez jamais été fort. Vous étiez puissant. C’est autre chose » répliqua Aurore.

Colette – « Je veux croire qu’il est possible de devenir grand sans devenir méchant » : cette phrase résonne étrangement à chaque fois que je la lis, elle évoque pour moi tous ces enfants qui ont souffert de la violence des autres et qui doivent pourtant continuer à s’élever. La réponse qu’Aurore trouve pour accepter ses blessures d’enfance est une réponse profondément humaniste et généreuse que je souhaiterais possible pour tous les petits humains qui croisent des coeurs de pierre, des coeurs de bois sur leur chemin…

Pépita – La couverture : je l’ai vue différemment après lecture. Elle est vraiment symbolique de ce qui se joue à l’intérieur : une voiture rouge qui trace sa route dans une forêt. Rien de plus anodin ? Et pourtant…..quelle métaphore ! Elle résonne en moi comme comme la singularité de tout un chacun sur le chemin de la vie.

AliceFinalement nous n’avons rien a redire sur cet album : texte impeccable, rythme étudié, illustrations soignées, intrigue recherchée… cet album n’est il pas presque trop parfait ?

Pépita – Il atteint une forme de perfection dans l’articulation fond/forme, c’est certain. Après, la question qui se pose est : est-ce encore un album pour enfants ? Dans le sens où il contient beaucoup de références pour public averti, sans prétention aucune. Je me suis aperçue aussi qu’on n’a pas évoqué le titre : Cœur de bois. Très symbolique aussi. C’est un album à signes et à sens.

Bouma-Un livre peut-il être parfait ? Je ne pense pas car la lecture reste subjective. Après, comme Pépita, et comme nombre de prescripteurs, peut-être relèverais-je effectivement le problème du public cible. Qui est-il ? Peut-on encore parler de littérature de jeunesse ? Je ne sais pas et me garderai bien d’avoir un avis tranché sur la question.

Colette-Je ne pense pas avoir la compétence de juger de la perfection de quoi que ce soit en ce monde, mais en tout cas c’est un album particulièrement riche, qui bouscule aussi bien l’intelligence que le coeur. Et en ce sens c’est un album particulièrement précieux. Qu’en comprendront les enfants, qui trouveront-ils ? Et bien il faudra leur poser la question !

Alice-Pour se quitter, peut- être pourrions nous proposer à nos lecteurs d’aller un peu plus loin et de lire d’autres livres de ces auteurs ? Lequel(s) conseilleriez vous et pourquoi ?

Pepita – Cent grillons d’Henri Meunier au Rouergue : des contes détournés avec des jeux linguistiques. Drôlement bien fait !

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Dans un autre registre, j’aime beaucoup Bientôt en petite enfance du même auteur chez le même éditeur : une bien belle balade à observer, très colorée.

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Et de Régis Lejonc, le magnifique Kodhja

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Les éditions Sarbacane sorte en septembre un album avec Marcus Malte au texte et dont les illustrations sont dans la même veine. Splendeur !

Bouma– Le magnifique Kohja qui parlera à tous, petits et grands pour son intemporalité.

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Colette – Alors mon chouchou d’amour de ces auteurs c’est La Môme aux oiseaux publié aux éditions du Rouergue en 2003 qui signe mon entrée en littérature jeunesse et à la sortie duquel j’ai eu la chance de rencontrer ces deux artistes qui vivent tous les deux près de chez nous j’aime beaucoup également le très poétique La mer et lui au Rouergue également. Tous les livres écrits par ce duo en fait ont ravi mon cœur de lectrice, il se dégage toujours une poésie infinie de l’alliance des images de Lejonc et des mots de Meunier.

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« Qu’en comprendront les enfants, qui trouveront-ils ?

Et bien il faudra leur poser la question ! »

Retrouvez vendredi 16 juin sur le blog, l’avis de, jeunes, très jeunes enfants, d’ados, de jeunes adultes … à qui nous avons proposé de nous faire part de leur ressenti.

A vendredi !

Lecture commune : Lettres d’un mauvais élève

Voici un nouveau roman de la collection Petite poche chez Thierry Magnier, écrit par Gaia Guasti, qui nous a fortement interpellées au point de vouloir échanger à plusieurs sur ce qu’il a bousculé en nous.

Deux enseignantes en collège, une bibliothécaire jeunesse, toutes mamans…et toutes bouleversées. A lire et faire lire !

Gaia Guasti - Lettres d'un mauvais élève.

Pépita : Lettres d’un mauvais élève : un titre assez explicite. Pouvez- vous présenter rapidement ces lettres pour entrer ensuite plus dans le vif du sujet ?

Solectrice : En quelques mots : ce sont 7 lettres, où s’exprime d’abord un grand désarroi, puis une colère sourde, où s’amorce aussi une réflexion sur les raisons de l’échec scolaire, où se dessine enfin une issue.

Colette : 7 lettres à 7 personnes qui comptent dans le parcours d’un collégien, des lettres à ceux qui sont des obstacles, des lettres à ceux qui sont des passerelles, 7 lettres pour dire l’importance de ce lieu si controversé et pourtant si essentiel qu’est l’école.

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Pépita : Moi c’est en tant que parent que j’ai posé mon regard sur ces lettres. Mal à l’aise au début avec ce fiel déversé sur tous les rouages symboliques de l’école : le prof, le directeur, le ministre, la déléguée,…je me suis dit : et oh ! tu te remets en cause toi aussi ???? oui, il se remet en cause, habilement, très. Et ça fait drôlement réfléchir. J’imagine qu’en tant qu’enseignantes, cela a dû pas mal vous remuer !

Une phrase page 20 m’a particulièrement interpellée :  » Moi, si je pouvais démissionner d’élève, je le ferai direct. » Comment l’avez-vous ressentie cette phrase ?

Colette : C’est une phrase qui résonne très sincèrement en moi car je l’entends presque tous les jours… pas exactement avec ces mots là mais combien d’élèves ne se sentent pas à leur place à l’école -en tous cas telle qu’elle existe aujourd’hui- parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’on attend d’eux (euh… et nous aussi en tant qu’enseignant parfois on ne sait pas ce qu’on attend d’eux… si je ne pouvais me fier qu’à « ma morale éducative », je sais bien ce que je voudrais apprendre avec mes élèves mais si je me fie à l’institution… et bien là je suis tout aussi perdue qu’eux et c’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié la lettre à la ministre de l’éducation – même si je ne pense pas qu’un élève de collège puisse se sentir aussi concerné et engagé politiquement (mais je pense que nous reviendrons sur la crédibilité des lettres de notre « mauvais élève »). Quand je fais ma séquence de 3e autour de la question « à quoi sert l’école ? » à partir de L’école est finie d’Yves Grevet je peux vous assurer qu’ils sont très peu à être intimement convaincus qu’elle leur apporte épanouissement et lumières…

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Solectrice : C’est aussi une phrase qui m’a marquée. L’élève aimerait démissionner alors qu’il est déjà décrocheur, qu’il ne remplit plus le « contrat » et qu’il se sent rejeté de tous. Elle sonne comme un appel au secours. Elle m’évoque aussi tous ces élèves qui s’ennuient en cours, et qui cherchent à bousculer le cadre scolaire (trop facilement assimilé au monde professionnel) parce qu’ils ne parviennent pas à y trouver leur place.

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Pépita : Cette phrase, je l’ai trouvée vraiment forte dans la tête d’un élève décrocheur. Elle en dit long sur son désarroi. On a le sentiment que personne ne peut plus l’aider. Car oui, comme tu le soulignes Solectrice, ce sont des lettres intérieures. Qui contiennent une certaine violence non ? Comment avez- vous perçu le ton au départ ?

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Solectrice : L’agressivité de l’adolescent m’a décontenancée. Le fait qu’il reproche leur « nullité » à ses parents m’a fait craindre un élève borné, incapable de se remettre en cause : comme si cela suffisait à légitimer ses échecs, son rejet pour l’école. J’ai été particulièrement mal à l’aise en lisant la lettre malsaine adressée à la déléguée de sa classe, justifiant son acte de dégradation, se plaçant comme un résistant face au système (!), s’indignant d’être incompris. Je comprends la colère qui l’anime mais je m’étonne qu’il échafaude une telle justification.

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Colette : Je me rends compte – avec effroi- que cette violence dont tu parles ne m’a pas marquée…Je me suis peut-être habituée à ce que ce ton agressif vis à vis de l’école se généralise et se banalise !!! En fait en tant qu’enseignant, tu es sans cesse confrontée au discours négatif sur l’école de la part des adolescents en premier, mais aussi de leurs parents, de tes collègues et de l’institution elle même…Et c’est sans parler du discours véhiculé par les médias ou le politique… Nous sommes bien loin des hussards noirs de la république vantés au début du XXe siècle ! Et l’élève décrocheur de toute façon passe souvent par une forme de violence, que celle-ci se retourne contre lui même, contre les adultes ou contre ses pairs mais j’ai rarement vu des élèves décrocheurs qui pouvaient rester impassibles et tranquilles jusqu’au bout de leur scolarité.

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Pépita : Tout comme Solectrice, j’ai été assez déstabilisée face au ton employé …en fait, je me suis tout de suite rangée du côté de ceux qui étaient si malmenés. C’est toi Colette qui a changé mon regard par ton enthousiasme face à cette lecture. Et en même temps, je suis soulagée de constater que je ne suis pas la seule à avoir eu ce ressenti ! Parce que quand même, il y va fort ! C’est assez injuste j’ai trouvé que de déverser son fiel par écrit, comme ça , en partant de la déléguée jusqu’au ministre sans droit de réponse. En plus Lettres d’un mauvais élève laisse sous-entendre qu’il pourrait y en avoir d’autres de mauvais élèves….une accusation à charges donc. On y ressent une rancœur et une amertume mais aussi un sentiment d’exclusion d’une personne qui s’exclut aussi elle-même. Et peu à peu, le ton change….
Du coup, quelle est la lettre qui vous a le plus touchée ?

Colette : Sans hésiter j’ai pleuré à chaudes larmes en lisant la dernière… Quel hommage ! Quel retournement de situation ! Quelle simplicité ! Pour moi c’est cette dernière lettre la plus authentique et celle qui donne tout son sens à ce livre…

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Solectrice : Sans hésiter, la dernière aussi ! Confiante, touchante, une lettre bouleversante qui donne envie de continuer à enseigner, qui donne une raison d’exister à notre métier. Un petit bonheur, à ranger dans les beaux souvenirs d’échange avec les élèves (même si celui-ci n’est que de papier ;-). On a tant de plaisir à lire que la colère laisse la place aux mots doux.

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Pépita : pour ma part, c’est plutôt celle adressée à sa sœur …pour lui donner des conseils, la prémunir contre ses propres erreurs. J’ai trouve cela particulièrement touchant.
Est-ce que la pirouette de fin vous a surprise ou pas ?

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Solectrice : Oui, mais c’est vraiment délicat de l’aborder sans « spoiler » ce petit récit. Ce qui est vraiment bien imaginé c’est de rendre ce dernier courrier authentique par la syntaxe et les erreurs que cet élève pourrait faire, en contraste avec les autres lettres que je trouvais presque trop bien construites et formulées.
Quant à la lettre adressée à la sœur, je la trouve décalée car il ne se sent justement pas légitime de lui adresser ces conseils alors que lui-même ne parvient pas à les mettre en pratique.

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Colette : Oui la chute de ce petit livre m’a complètement surprise au sens positif du terme. Mais je suis d’accord avec Solectrice il ne faudrait pas trop en dire aux futurs lecteurs.

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Pépita : Oui elle m’a surprise cette fin, je l’ai trouvée si émouvante et éclairant tellement les autres !
Vous êtes toutes les deux enseignantes : avez-vous déjà reçu des lettres d’élèves se confiant à vous ?

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Colette : Lorsque j’ai enseigné au lycée, oui, j’ai reçu des lettres, de vraies belles lettres de remerciement pour les projets menés cheveux au vent tous ensemble, mes élèves m’avaient même offert un carnet dans lequel chacun avait écrit un message sur l’année écoulée si riche que nous avions partagée ensemble. Depuis que j’enseigne au collège, c’est beaucoup plus rare, les élèves me font des dessins, des cartes de vœux mais ils n’écrivent rien de personnel, ce n’est pas dans leur culture d’écrire ce qui ne va pas…Ce n’est pas dans leur culture d’écrire, tout simplement. Par contre ils parlent beaucoup et n’hésitent pas à venir me voir dans la salle où j’enseigne à la récréation pour discuter de choses et d’autres et parfois de choses graves pour lesquelles je ne sais pas toujours quoi faire… Ils demandent par contre très rarement de l’aide comme le fait le narrateur de Lettres d’un mauvais élève.

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Solectrice : Des lettres de confidence, rarement. Plutôt des petits mots sympathiques en fin d’année, des cartes de remerciements. La situation du roman est donc réaliste mais rare et précieuse.
En début de carrière, je demandais régulièrement à mes élèves de me rendre un bilan écrit de leur année et j’y découvrais, à travers les notions acquises, les titres de livres appréciés ou moins, ou les activités préférées, ce que j’avais pu leur apporter. Un jour, une élève m’a aussi donné une bande dessinée autobiographique où j’occupais une place importante. Mais la plupart du temps, je me réjouis des progrès d’un élève en difficulté, d’un commentaire enthousiaste glissé sur un livre partagé, d’une remarque positive à l’issue d’un cours ou de l’excitation manifestée dans la réalisation d’un projet.

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Pépita : Dernière question : si un mot symbolisait cette lecture, quel serait-il pour vous ?
Colette : Courage –Solectrice : Détresse- Pépita : Volonté

Ce récit est né du constat fait par Gaia Guasti, alors maman d’élève impliquée dans les conseils de classe, de voir autant de détresse chez certains élèves mais aussi professeurs bien démunis mais aussi de courage et de volonté pour les aider à s’orienter et à ne pas baisser les bras…

 

Nos chroniques respectives :

Colette-Le blog de la collectionneuse de papillons

Pépita-Mélimélodelivres

Lecture commune : Dans les branches

Quoi de mieux À l’ombre du grand arbre que de se plonger dans un roman dont le titre est « Dans les branches » ? C’est ce que j’ai fait, accompagnée de Alice et Bouma et voilà tout ce que nous avions à vous dire sur ce roman de Emmanuelle Maisonneuve qui nous a beaucoup plu.

Emmanuelle Maisonneuve - Dans les branches.

 

Ce roman est écrit par Emmanuelle Maisonneuve et publié chez Graine 2. Est-ce que vous les connaissiez et est-ce que ça vous a donné envie d’ouvrir ce livre ?

Alice : Graine2 ? Je connais les guides de voyage pour enfants qui ont souvent accompagné nos escapades. Très ludiques, ils permettent aux petits baroudeurs de tenir une sorte de carnet de bord et de rendre les visites plus supportables !
Que cet éditeur se tourne vers des fictions ? C’était une découverte pour moi.
Mais j’avoue, ce qui m’a attiré dans ce livre c’est sa couverture : MAGNIFIQUE ! Vous ne trouvez pas ?
Et puis de nombreuses critiques lues par-ci par-là m’ont interpellée, suis-je passée à côté d’un texte qui en vaut le détour ?

SophieLJ : Comme toi, je connaissais Graine2 pour ses guides et pas du tout Emmanuelle Maisonneuve. En fait, je pense que je Emmanuelle Maisonneuve - Tom Patate Livre 1 : La société secrète des Granmanitous.n’aurais jamais ouvert ce livre s’il n’avait pas été dans la sélection du Prix Ados d’Ille et Vilaine et quelle erreur j’aurais fait !

Bouma : Moi je connaissais Emmanuelle Maisonneuve de nom pour sa série Tom Patate aussi publiée chez Graine2 et qui m’a été recommandée de nombreuses fois par de jeunes lecteurs.
Si j’ai ouvert ce roman, au delà de la superbe couverture en effet, c’est parce qu’il est également sélectionné dans le Prix des Incorruptibles dans la catégorie 5e/4e cette année.

Une petite maison d’édition qu’on ne connait pas pour ses romans, et pourtant que de sélections pour des prix littéraires avec ce roman ! Alors il raconte quoi au fait ?

Alice : Morgan est un jeune ado, geek, solitaire, renfermé, esseulé qui va faire une étrange découverte dans la forêt. À l’occasion d’une course d’orientation il est persuadé avoir croisé une étrange créature qui pourrait sortir tout droit de ses jeux vidéos. Convaincu de l’existence de ce « sauvage », il décide alors de partir à sa recherche pour comprendre qui il est et ce qu’il fait là. Une quête qui va complètement transformer notre ado pas très bien dans sa peau en un véritable aventurier amoureux de la nature.

Quand on commence le roman, en tout cas en ce qui me concerne, on est a peu près sûr de rentrer dans une histoire fantastique. Est-ce que vous avez-été surprise du retournement de situation ?

Alice : Ma lecture est lointaine mais si je me souviens bien, seul le premier chapitre m’a donné cette impression. Rapidement on bascule dans « la réalité ». Et c’est temps mieux ! Je ne suis pas fan de littérature fantastique et je pense que j’aurais pu abandonner la lecture. Dans tous les cas, je n’ai pas pris ce livre en espérant lire du fantastique donc je n’ai pas été étonnée du retournement de situation comme tu dis. Cela a été le cas pour toi ?

SophieLJ : J’ai cette habitude de commencer une lecture sans en lire le résumé et en évitant (ou oubliant bien vite) les avis que j’ai pu entendre avant. Là je n’avais comme première approche du roman qu’un extrait cité par une de mes collègues et cet extrait était justement le passage avec le « troll ». Du coup j’étais plutôt dans l’optique de lire un roman qui partait vers du fantastique. Mon étonnement du revirement de situation n’a pas duré très longtemps puisque j’ai été finalement très agréablement surprise par la direction que prenait l’histoire.

Bouma : Effectivement, je ne m’attendais pas à une histoire aussi ancrée dans le réel. Mais je trouve qu’elle a quand même un côté fantastique dans sa conception autour d’une situation complètement inédite, presque invraisemblable, qui si on nous la racontait mettrait en doute la crédibilité du narrateur.

Morgan va établir une relation bien particulière avec cette « créature des bois ». Qu’est-ce que vous en avez pensé et est-ce que son évolution était celle que vous attendiez ?

Bouma : Pour le coup, je n’attendais rien en particulier. Je me suis complètement laissée embarquer par les émotions de cet ado face à la découverte de l’inconnu. Il tâtonne, essaye de faire du mieux qu’il peut pour établir un contact durable et j’ai franchement admiré sa persévérance et son courage.

Morgan évolue beaucoup durant le récit. On passe d’un ado un peu solitaire et geek à un jeune passionné par la nature et bien plus mature. Qu’avez-vous pensez de cette évolution ?

Alice : Et bien, elle fait du bien ! Moi, j’ai envie d’y croire ! De croire en cette jeunesse qui n’est pas amorphe et que l’on peut par un simple coup de pouce, par une rencontre fortuite, par une aide providentielle… amener sur un autre chemin. Trop souvent laissés sans guide, abandonnés, certaines ados ont le droit d’ouvrir leur regard, leur esprit et en sont tout à fait capables !!!
Et puis l’un n’empêche pas l’autre, on peut être amateur de jeux vidéos et aimer respirer le grand air, le tout est un savant dosage et une question d’éducation.

Bouma : Comme Alice, j’ai trouvé cette évolution très crédible. L’adolescence est un moment de construction de soi où l’on essaye bien des chemins, alors pourquoi pas ceux-ci et pourquoi pas les expérimenter seul ET accompagné. C’est un beau message sur ce que l’humain peut toujours faire, à savoir : changer !

Sans trop en dire, qu’avez-vous pensé du dénouement et de la finalité de la relation entre Morgan et « cette créature » ?

Alice : Sûrement qu’il y a un effet miroir entre les deux ados. Cette solitude personnelle, comme un espace subit mais nécessaire, qui finalement conditionne aussi leur complicité et leur irrémédiable attachement. Ces deux là, ils seront inséparables… Dans la tête, dans leur cœur, raisonnera toujours le bout de chemin qu’ils ont fait ensemble et qui conditionnera le reste de leur vie.

Bouma : Là encore, j’ai trouvé que l’exploit de Maisonneuve était de rendre crédible l’incroyable. Il y a à la fois quelque chose de très rocambolesque, très aventurier dans la fin de leur aventure commune qui cohabite avec un enracinement concret dans le réel. J’ai aimé qu’elle joue sur ces deux tableaux. J’ai aimé avoir peur puis retrouvé espoir.

La fin est presque ouverte sur une suite. Avez-vous envie d’en avoir encore plus ?

Alice : Je ne sais pas si j’ai envie d’en savoir plus. Je ne crois pas. En tout cas je n’arrive pas à imaginer la suite comme un récit aussi fascinant. J’aurais trop peur que cela tombe dans de la facilité alors que jusqu’alors, l’auteur maîtrise complètement l’effet de surprise et d’étonnement. Alors, j’en resterai là, sur une porte ouverte vers un avenir singulier.

Bouma : Non pas du tout. Je veux rester sur la puissance de ce texte, de cette rencontre, et dans le rêve formulé par les dernières pages.

Alice : Si j’avais à rajouter quelque chose, ce serait cette rencontre avec une main tendue, celle de cet adulte qui sait à la fois écouter, rester à sa place, valoriser, transmettre… Il est pour moi un appui incontestable qui sans un bruit permet de redémarrer une vie, de guider juste par des gestes ou une présence : un soutien sans faille et sans jugement . Quelle belle personne !
Il ne vous a pas séduite vous aussi ?

Bouma : J’avoue ne pas trop avoir gardé en tête ce personnage…

SophieLJ : Oui j’ai beaucoup aimé ce personnage. Il est parfois important d’avoir un adulte hors du cadre familial pour grandir, cet homme solitaire remplit ce rôle à merveilles.

Retrouvez les avis de Sophie, Bouma, Alice et Pépita.

Le site de Emmanuelle Maisonneuve
Le site des éditions Graine2