Concours : remportez les livres du prix ALODGA !


Cette année encore, À l’ombre du grand arbre célèbre les pépites de la littérature jeunesse avec son prix ! Avez-vous découvert les merveilleux livres en lice dans les catégories album, romans, BD et documentaires ? C’est à vous de les départager pour désigner les lauréats du prix !

Pour fêter ça, nous nous associons aux éditeurs pour vous proposer de remporter un des livres de la sélection parmi ceux qui sont présentés ci-dessous


Pour participer, c’est très simple :
* Partagez cet article sur vos réseaux sociaux, le bouche à oreille fonctionne aussi très bien.
* Indiquez en commentaire de cet article quel(s) titres vous désirez remporter (vous pouvez en mettre plusieurs, ou même tous !)
* Courrez voter pour votre favori sur le site dans les catégories

Nous tirerons quinze noms au sort, un pour chaque livre en jeu. Vous pouvez multiplier vos chances en participant également sur Twitter et Facebook.

Concours ouvert du 1er au 10 décembre minuit, pour la France métropolitaine. Les gagnant.e.s seront annoncé.e.s par ici et contacté.e.s par MP si vous avez joué via un réseau social ou via l’adresse mail que vous aurez laissée sur le blog.

On compte sur vous !

L’art dans tous ses états : les fictions !

Après vous avoir proposé une sélection pour faire découvrir et partager les délices de l’art à travers des livres documentaires, cette semaine place aux fictions !

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Léon et son crayon, Barney Saltzberg, Seuil Jeunesse, 2013.

Léon est passionné dessin. Et c’est cette fabuleuse passion, fabuleuse au sens étymologique du terme, au sens d’inventer des histoires, que nous donne à voir cet album avec beaucoup d’ingéniosité.

L’avis de Colette ICI.

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Scribble et Ink, Ethan Long, Hélium, 2012.

Scribble et Ink ne sont jamais d’accord, ils n’ont pas la même vision de l’art. L’un peint, l’autre dessine et ils ont des styles très différents. Jusqu’au jour où leur vient une idée géniale comme seul.e.s les artistes peuvent en avoir !

L’avis de Colette ICI.

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Max et son art, de David Wiesner, Circonflexe, 2011.

Arthur, peintre accompli, espérait bien mettre à profit sa journée pour créer un chef d’œuvre, mais c’était compter sans l’envahissant Max qui insiste pour peindre. La séance prend vite un tour surprenant, mais jouissif : on en aurait presque envie d’en mettre partout à notre tour ! Le comique de situation est servi par de splendides illustrations truffées de détails hilarants. La morale de l’histoire, s’il y en a une, est décomplexante : folie, maladresse et imagination débridée peuvent parfois nourrir les créations les plus inattendues !

L’avis d’Isabelle ICI.

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Un bleu si bleu de Jean-François Dumont, Flammarion Jeunesse Père Castor, 2006.

Comme l’indique son titre, Un bleu si bleu est la quête d’un petit garçon à la recherche du bleu profond et lumineux dont il a rêvé. Cet enfant passionné de dessin et de peinture va quitter sa ville grise et partir pour un long voyage dont certaines étapes font directement référence à des tableaux.
Un album très touchant.

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Le secret de Zara, de Fred Bernard et Benjamin Flao (Delcourt, 2018)

Pas évident pour les parents de Zara de canaliser la fougue créative de leur artiste en herbe. Sous le trait de Benjamin Flao, elle prend vie et nous entraîne dans un tourbillon créatif aussi réjouissant que débordant ! Les personnages sont profondément humains, drôles et attendrissants. Les illustrations sont de toute beauté et font la part belle à l’imagination débridée de Zara. Elles regorgent de détails et de références. On referme ce livre avec l’envie de vivre nos rêves… et de créer.

L’avis d’Isabelle ICI

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Vladimir et Clémence, Cécile Henneroles, Sandrine Bonini, Grasset Jeunesse, 2015.

Vladimir et Clémence est un joli roman illustré qui nous invite à suivre les méandres du cœur d’un photographe débutant, Vladimir, amoureux d’une chimère que seul son art pourra faire exister. Délicat et poétique à souhait !

L’avis de Colette ICI.

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Les tableaux de l’ombre de Jean Dytar, Delcourt-Louvre éditions, 2019.

Les éditions Delcourt et Louvre éditions s’associent ponctuellement pour publier des bandes dessinées inspirées d’œuvres exposées au musée du Louvre. C’est le cas notamment pour Les tableaux de l’ombre qui avait fait l’objet d’une lecture commune. Jean Dytar donne vie aux cinq personnages de l’Allégorie des cinq sens, mais aussi à des tableaux beaucoup plus célèbres. C’est justement l’un des sujets de cette bande dessinée : le besoin de ces œuvres d’être vues.

Les avis de Colette et de Lucie.

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L’ange disparu, de Max Ducos (Sarbacane, 2008)

Tout est génial dans ces pages : le suspense insufflé à une visite de musée qui s’annonçait pourtant barbante, le plaisir de mener l’enquête dans les galeries, les détails dont on ne se lasse pas avec moult clins d’œil à des toiles bien connues – il fallait tout le talent de Max Ducos pour atteindre un tel art du détournement. Quelle perspective étourdissante sur ces œuvres ! Elle ne manque pas de sel, surtout, vous l’imaginez, quand on glisse vers l’art abstrait… C’est captivant, poétique et très ludique. On rêverait de déambuler dans ce musée et de trouver LA toile où sauter à pieds joints. L’album le montre avec force, nul besoin d’être le premier de la classe pour savourer l’art, il peut suffire de lâcher la bride de son imagination !

L’avis d’Isabelle ICI

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Frida de Sébastien PEREZ, texte & Benjamin LACOMBE, illustrations, Albin Michel, 2016

Liraloin a décidé de vous parler de cet album après la lecture du roman de Claire Berest Rien n’est noir paru chez Stock en 2019. Frida est envahie par le noir, la morbidité et le sang bien malgré elle. Au fond de son âme, Frida est colorée, aimée, amoureuse. D’ailleurs les couleurs de Benjamin Lacombe traduisent bien les tableaux et les tenues mexicaines flamboyantes de Kahlo. La tristesse se fait sentir à travers le texte poétique de Sébastien Perez , une poésie résonnant de gravité.

« Je ne connais pas de maison plus triste que la mienne ». Cette maison dont parle Frida Kahlo, c’est son corps, ses vertèbres brisées, cet abdomen transpercé. Toute sa vie, la douleur accompagnera Frida, elle peindra ses blessures, la perte de l’amour mais surtout un manque : celui ne ne pas pouvoir enfanter. « L’écorce se fend et la sève ruisselle jusqu’à la Terre. La vie n’est qu’un recommencement. »

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L’homme qui marche de Géraldine Elschner et Antoine Guilloppé, L’élan vert pont des arts, 2018.

La collection Pont des Arts se propose d’aborder l’art par la fiction.
Dans cet album, Géraldine Elschner et Antoine Guilloppé ont choisi de conter l’histoire de deux sculptures de Giacometti : L’homme qui marche et Le chien en les liant au sort des migrants. Sombre et fort.

L’avis de Lucie, et pour découvrir la collection Pont des Arts, c’est ICI.

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Azul, d’Antonio da Silva (Le Rouergue, 2021)

Le nouveau roman d’Antonio da Silva nous entraîne dans des tableaux, grâce au pouvoir très spécial de Miguel. Un pouvoir exaltant : imaginez un peu entrer dans une toile de van Gogh pour mieux goûter la voute étoilée, ou contempler les Nymphéas de Monet sans filtre ! Mais le petit jeu pourrait avoir des conséquences redoutables vu la manie irrépressible qu’a le jeune homme d’apporter de légères « retouches » au passage… Un roman qui se démarque en mêlant fantastique, art et suspense.

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Troll de Troy tome 23, « Art Brut » de Christophe Arleston et Jean-Louis Mourier, Soleil, 2018.

La bande dessinée se prête extrêmement bien à l’exploration d’œuvres. Même Arleston et Mourier se sont amusés à détourner des chefs d’œuvres dans le 23ème tome de leur série Trolls de Troy intitulée Art Brut. Si l’histoire n’est pas exempte de clichés et d’humour gras, les « perspectives picturales » en fin de volume sont très réussies.

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Et vous ? Avez-vous croisé l’art au fil de vos lectures ? Ou y-a-t-il des lectures qui ont déclenché un goût de l’art chez vous ou vos enfants ?

Lecture commune : Migrants.

Toucan, lion, rhinocéros, cochon, éléphant… Ils marchent, tête baissée, une valise à la main, un baluchon sur l’épaule. Ils migrent. Et nous avons voulu suivre cette étrange migration. Dans l’obscurité la plus totale, nous leur avons emboîté le pas.

Migrants, Issa Watanabe, La Joie de lire, 2020.

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Quelle belle couverture ! A la fois sombre et lumineuse ! Qu’a-t-elle suscité en vous quand vous l’avez découverte ?

Frédérique. – D’abord, je n’ai pas pu m’empêcher de l’ouvrir entièrement pour y voir tout un portrait d’attroupement de personnes en file indienne, formidable couverture en format paysage. Le gris tout d’abord du rhinocéros et les couleurs très lumineuses qui contrastent tellement avec ce noir. Il n’y a aucune chaleur à part dans certains vêtements colorés mais plutôt de l’inquiétude très palpable dans la nuit.

Isabelle. J’ai d’abord été happée par la beauté de ces illustrations, la lumière qui entoure ces migrants aux vêtements bariolés. Puis j’ai pris conscience de l’obscurité inquiétante dont Frédérique vient de parler. Et des images dramatiques de « migrants » sont venues se superposer dans mon esprit à cette couverture. J’ai immédiatement eu envie d’ouvrir cet album tout en me demandant si je confronterais mes enfants à la noirceur de ce que ces pages avaient probablement à évoquer…

Linda.Ce n’est pas tant les couleurs que les personnages qui m’ont interrogée. Tous différents mais avec ce même regard triste tourné dans la même direction. Je trouve que cela en dit déjà beaucoup sur le poids des valises qu’ils transportent tant au sens propre qu’au sens propre. Cela nous confronte directement à nos émotions et ne laisse aucun doute sur celles qui vont nous submerger au fil des pages.

Vous avez raison de souligner les expressions tristes des visages des animaux car c’est assez rare de représenter les animaux de cette manière dans l’album jeunesse. C’est ce qui m’a interpellée dans cette couverture. En plus du titre qui l’accompagnait. Avant de nous pencher plus avant dans l’analyse de ce livre, pourriez-vous nous dire comment les enfants avec qui vous l’avez « lu » l’ont-ils perçu, compris, appréhendé ?

Frédérique.Je l’ai lu avec mon fiston de bientôt treize ans, il a remarqué tout de suite le personnage à la tête de mort, en marge du groupe et la mine fermée des autres.

Linda.Je ne l’ai lu qu’avec Gabrielle qui, du haut de ses presque douze ans, a de suite fait le parallèle avec les migrants de la « jungle de Calais » dont elle entend parler. La traversée de la mer est un exemple vraiment concret pour elle, encore plus depuis qu’elle a vu les images terribles des migrants parvenus à entrer dans l’enclave espagnole de Ceuta. Le premier personnage qu’elle a identifié est la mort qui suit le groupe d’animaux d’un bout à l’autre de leur voyage mettant l’accent sur les dangers, les risques qu’ils vont rencontrer. J’ai trouvé qu’elle gérait mieux ses émotions que moi. Le ton est lourd, l’absence de texte nous laisse vraiment le temps de vivre l’histoire, de la ressentir, et pourtant de son côté la « lecture » n’a pas été si désagréable même si elle a été touchée.

Colette.C’est très intéressant ce témoignage qui montre qu’il faut avoir une certaine connaissance de ce qu’est une migration pour comprendre la portée de l’album. En effet avec mon Nathanaël de sept ans, nous n’avons pas du tout vécu la même lecture. Je l’avais malencontreusement averti que ce livre était triste, ce qui lui a mis la puce à l’oreille. Mais en finissant le livre, il m’a dit « pourquoi tu as dit que c’était triste ? ». Il n’a jamais vu de reportages ou de documentaires sur les migrants et n’a donc pas du tout identifié le sujet de l’album. On a donc discuté à la fin de ce que moi, adulte, j’avais projeté dans cet album. J’ai du expliquer ce qui pouvait pousser quelqu’un à quitter un endroit pour un autre endroit. Et cela nous a obligés à reprendre l’album en détail pour identifier les épreuves rencontrées pendant le voyage de nos animaux migrants. C’est pour moi un album qui nécessite donc un accompagnement, d’autant plus que c’est un album sans texte.

D’ailleurs comment l’avez-vous lu ? Avez-vous eu besoin de mettre des mots pour accompagner les illustrations ou l’avez-vous lu en silence ?

Isabelle.C’est drôle que tu poses cette question parce que d’habitude, les albums sans texte, c’est compliqué chez nous. Les enfants me regardent et attendent que je dise quand même quelque chose. Or, nous avons parcouru cet album dans un silence assourdissant. Juste une question inquiète de mon fils de dix ans tout au début, qui m’a serré le cœur: « Où sont les parents de l’éléphanteau ? » Et un peu plus loin, son grand frère : « Cela me fait penser aux migrants qui essaient de traverser la Méditerranée. » Silence grave donc, et pour rebondir sur ce que tu disais, Colette, ils ont manifestement fait le lien avec la réalité, parce qu’ils sont déjà grands et peut-être parce qu’en Allemagne, où nous vivons, c’est un sujet plus visible auquel ils ont été personnellement confrontés.

Frédérique.Oui, j’ai eu besoin d’expliquer car mon fils, après la lecture, m’a dit « maman je crois que je n’ai pas tout compris », nous avons repris la lecture et au fur et à mesure de l’histoire, il a exprimé ce qu’il pensait de telle ou telle scène. De manière générale, la lecture se fait toujours une première fois, c’est ensuite que l’explication intervient, si besoin est. Pour moi, l’enfant prend ce qu’il a à prendre.

Linda. Pour nous ce fut une vraie lecture silencieuse; qui a alourdi un peu plus l’atmosphère qui m’était déjà pesante. La discussion est venue après. Les albums sans textes ne font pas l’unanimité à la maison, les filles aiment quand je raconte l’histoire mais avec cet album ce n’est pas possible, les illustrations parlent d’elles-même.

Justement que disent les illustrations ?

Isabelle. – Ce n’est pas une question facile car il y a ce que les illustrations montrent de façon concrète et ce qu’elles représentent. Si je m’en tiens à ce qu’on voit : un groupe de marcheurs silencieux, des animaux de tous horizons, de toutes espèces et de tous gabarits, vêtus de couleurs vives qui détonnent sur le noir du décor. S’ils semblent dépareillés (ce n’est pas tous les jours qu’on croise un flamand-rose côte-à-côte avec un lion et un coq), ils sont aussi unis par la direction de leur voyage et par l’accablement qui se lit sur leur visage. On voit aussi une curieuse créature décharnée qui semble suivre le groupe, enveloppée dans un drap fleuri. Puis, au fil des pages, les étapes de ce qui se révèle un vrai périple, ponctué par des pauses, des moments de repos et de doute. Après, il y a ce que représentent ces images et c’est là que les lectures peuvent sans doute être différentes.

Linda.Pour moi ces images montrent un groupe d’individus différents mais semblables dans l’expression de leurs visages, la tristesse dans leur regard. Ils vont dans la même direction et partagent une histoire similaire qui les pousse à fuir. La mort qui les suit nous fait ressentir les difficultés, les dangers de ce voyage. Leur regard porte aussi l’espérance dans un avenir meilleur.

Frédérique. – Pour moi elles sont terribles, quel contraste entre les attitudes fatiguées et préoccupées des animaux et leurs vêtements colorés (comme un message d’espoir). Il n’y a que le rhinocéros qui est gris comme si c’était son énième et dernier voyage : dernière tentative de trouver un monde meilleur. Les bosquets sont aussi remarquables (scène de la rencontre entre la mort et l’ours blanc). Pour moi, les fleurs rouges représentent l’espoir, le passage vers un ailleurs où tout est possible. Ces mêmes fleurs rouges que le lecteur peut voir sur la scène finale. Cette petite souris qui tend les bras et regardent vers ces fleurs de l’espoir.

Isabelle.Ces bosquets m’ont intriguée aussi. La petite figure qui représente la mort offre une branche grise à l’un des marcheurs, à un moment donné, qui semble tenté. La forme des plantes est la même, il y a seulement un contraste dans les couleurs puisque les plantes vivantes, comme tu le dis Frédérique, ont de belles couleurs éclatantes. Je suis arrivée à peu près aux mêmes conclusions : cette page symbolise un moment de doute dans lequel l’ours migrant est tenté d’abandonner.

Avant de revenir à la dimension symbolique de certaines images de l’album que vous avez déjà soulignée, je souhaiterais vous inviter à parler de la structure de ce livre hors du commun. Cet album, même sans texte, obéit à un rythme silencieux, celui d’un mouvement. Comment décririez-vous ce mouvement ? Quelles en sont les étapes ? Lesquelles vous ont le plus touchées ?

Frédérique. Le rythme est lent malgré le fait que la lecture puisse être rapide c’est souvent le cas lorsqu’il n’y a pas de texte. Et pourtant c’est paradoxal, le lecteur s’arrête car ce noir est enlisant, lourd. Le mouvement est presque figé pour moi comme si le lecteur contemplait un tableau, une nature morte mais avec des êtres vivants. D’ailleurs, les visages sont graves, fermés. Là où tout s’accélère c’est lorsque les personnages montent sur le bateau, l’eau apporte un autre mouvement. L’étape qui me touche le plus c’est celle, où encore une fois, il faut rassembler ses dernières forces et regarder cette mer, ce sable qui a sûrement pris un des nôtres. Une scène puissante pour moi, le sable gris apporte une tristesse poignante.

Isabelle. – Frédérique résume bien les choses, je trouve. Les premières pages montrent une marche lente, laborieuse, fatiguée. Le moment de pause, qui permet aux marcheurs d’assouvir leurs besoins essentiels, de manger un morceau, se laver tant bien que mal ou simplement s’asseoir, enveloppé dans une mince couverture, est un soulagement que l’on ressent avec eux en tournant ces pages. L’accélération du rythme au moment de se précipiter sur le bateau n’en est que plus angoissante : comment trouvent-ils la force ? Puis, après avoir dépensé ses dernières énergies pour survivre, il faut reprendre la marche, toujours dans la même direction.

Revenons aux symboles qui peuplent ce bel ouvrage :
– que représentent pour vous le squelette qui ouvre l’album et son immense oiseau bleu au bec rouge ?
– Et cette minuscule valise vers laquelle ils se dirigent à peine le livre ouvert ? On dirait que cette valise contient quelque chose que le groupe d’animaux a oublié car le petit squelette semble presser de la ramener au groupe.
– Et surtout pourquoi son bel habit aux motifs floraux si élégant change-t-il à plusieurs endroits de l’histoire ?

Frédérique. Il symbolise la mort, celle qui décide. L’oiseau, lui, symbolise le renouveau, un espoir de recommencement. Pour moi la valise est le moyen de rejoindre le groupe. Et si elle appartenait au grand lièvre en fin de cortège? Il ne porte rien, donne la main à des enfants. Et nous verrons plus tard son funeste destin.
Enfin, je dirais que l’habit de ce personnage squelette est changeant selon le message apporté et la situation. La robe change lorsqu’il offre la fleur au passeur (l’ours) et dessus, une cape or comme pour symboliser l’argent donné. Cette robe fleurie réapparaît lorsqu’il vole au-dessus de l’embarcation, il y a espoir mais hélas… la robe redevient terne à nouveau.

Isabelle. Comme Frédérique, j’ai vu dans cette figure squelettique le symbole de la mort et j’ai fait le parallèle entre son drap imprimé et ceux qu’on voit lors de la fête de la mort au Mexique – et aussi entre cet oiseau et l’ibis qui symbolisait Thot, dieu la mort en Egypte ancienne. Cette figure ne lâche pas les marcheurs mais elle n’est pas toujours menaçante, elle peut représenter une délivrance – on le voit bien quand l’ours polaire est tenté de lui manger dans la main, ou quand elle enveloppe doucement la victime du naufrage. J’ai l’impression comme Frédérique que les motifs de la cape sont un reflet – tantôt fleuri, tantôt doré, tantôt gris – de ces manières de voir la mort, mais je n’ai pas complètement compris cette symbolique – ni d’ailleurs ce que représente exactement la petite valise. Avais-tu une idée là-dessus, Colette ?

Colette. – Je me suis dit que si cette étrange créature squelettique tendait une valise, c’est qu’elle symbolisait ce qui les pousse à partir, à quitter leur foyer, à la fois menace et espoir.

Un mot de conclusion ? Votre illustration préférée ?

Frédérique. Mon illustration préférée se déroule sur deux pages. C’est celle de la fuite vers l’embarcation, on y voit une partie du groupe sur la page de gauche qui va sans doute dévaler la pente qui s’offre à lui sur la page de droite et lorsque le lecteur tourne la page, l’urgence se fait ressentir. Cette urgence de vite monter dans l’embarcation. Pour la première fois dans l’histoire, le lecteur voit de l’émotion sur les visages : celle de la peur.

Isabelle. – Peut-être celle de la couverture, qui place en pleine lumière celles et ceux dont le sort insoutenable reste malheureusement largement invisible.

Une recommandation pour les futur.e.s lecteurs et lectrices de l’album ?

Isabelle.– Déjà, de ne pas hésiter à le découvrir : c’est un album hors du commun qui témoigne du talent des auteur.e.s jeunesse pour parvenir à parler, à hauteur d’enfant, de tous les sujets.

Frédérique.Cette lecture m’a énormément touchée et les échanges m’ont permis de mieux analyser ô combien cet album doit être lu. Il donne matière à discussion avec les grands et les petits. Je recommande donc vivement cet album difficile, mais essentiel, et qui sera malheureusement toujours d’actualité.

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Pour en découvrir un peu plus, rendez-vous sur le site de l’éditeur.

ALODGA s’engage- pour une pratique émancipatrice du net !

Après la lecture commune du roman Les Enfants sont rois de Delphine de Vigan, et parce que c’est un sujet qui nous intéresse depuis plusieurs mois, nous avons décidé de vous proposer aujourd’hui une sélection de titres qui mettent l’accent sur notre utilisation des réseaux sociaux, leurs dangers mais aussi leurs bénéfices. Parce que nous avons profité de l’espace virtuel que nous propose cette vaste toile pour faire pousser notre grand arbre, nous souhaitons nous engager pour une utilisation émancipatrice du net, une utilisation discutée, débattue, démocratique qui respecte l’intégrité de chacun.e. A notre manière à nous. Avec des livres !

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Pour aborder le sujet avec des (tout-)petits

Regarde papa ! d’Eva Montanari publié chez Thierry Magnier raconte – presque sans texte – comment un papa ours les yeux rivés à l’écran de son ordinateur puis de son téléphone loupe les aventures extraordinaires de son petit ourson embarqué par la magie d’un cirque. Il manque même de perdre son petit emporté par une énorme bulle de savon. C’est un petit album poétique qui a quelque chose d’intemporel dans le trait pour aborder cependant une réalité très moderne.

Regarde, papa d’Eva Montanari, Editions Thierry Magnier, 2020.

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C’est un livre ! de Lane Smith met en scène une discussion improbable entre un petit âne et son ami gorille. Face à face, chacun dans leur fauteuil, l’un accroc à son ordinateur, l’autre plongé dans son livre, ils se confrontent. Le petit âne ne comprend pas ce que fait son ami, il le harcèle de questions, toutes passées au filtre du seul mode de connexion au savoir et au monde qu’il connaisse : le numérique. Il lui demande par exemple : « On peut s’en servir pour chatter ? » , « On peut faire des combats entre les personnages ?  » ou encore « Ça envoie des textos ? ». Et son ami lui répond inlassablement : « Non, c’est un livre ! ». Jusqu’à ce que l’âne tente l’expérience et se plonge dans cette autre réalité virtuelle qu’il ne connaît pas. Et qu’il va savourer. Un régal d’humour et de subtilité pour discuter des supers pouvoirs de la lecture !

C’est un livre, Lane Smith, Gallimard Jeunesse, 2011.

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Par un jour où tout l’ennui du monde s’est donné rendez-vous, un petit garçon panse son vague à l’âme en jouant à la console. Lorsque le jeu se retrouve malencontreusement au fond de la mare, c’est un monde insoupçonné qui se révèle dans toute son intensité glaçante, troublante, fascinante, éblouissante. Le décor que l’enfant croyait connaître par cœur apparaît soudain sous un jour nouveau qui recèle mille et une expériences… qu’il devient urgent de partager avec un être aimé. Les fabuleuses illustrations de Béatrice Alemagna nous font ressentir le désarroi de ce petit chaperon orange fluo, puis la manière dont il s’affirme au contact de la nature. De quoi nous donner envie de lever les yeux de nos écrans et de prendre un grand bol d’air. D’empoigner de la terre humide à pleines mains. D’explorer les environs, au gré des rencontres et de son imagination, à la recherche de petits trésors. Un album aussi beau que profond !

Un grand jour de rien, de Béatrice Alemagna, Albin Michel Jeunesse, 2016.

L’avis complet d’Isabelle

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Pour aborder le sujet avec des plus grand.e.s

Documentaire sur le numérique accessible aux enfants dès 8 ans, Mission déconnection est arrivé à point nommé après la période d’école à la maison ! On y trouve un petit historique de la création d’Internet, des informations sur le coût énergétique de nos écrans, sur les données personnelles, sur les fake news et sur les effets des écrans sur notre santé. Il y a aussi quelques pages ludiques avec une BD, des tests et un jeu invitant les enfants à trouver des astuces pour se passer des écrans pour des tâches quotidiennes. Plus pratique, des règles de base sont suggérées pour permettre d’établir un contrat de confiance numérique en famille.

Mission déconnexion, Laurence Bril et Léo Louis-Honoré, Rue de l’échiquier Jeunesse, 2020.

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Pour aborder le sujet avec des adolescent.e.s

Comme des images commence comme un roman ado classique : « Il était une fois des enfants sages comme des images, dans un prestigieux lycée. » Sauf que suite à une rupture amoureuse, Tim envoie des images de Léopoldine à leurs camarades de classe pour se venger, et la machine s’emballe.
Un roman montrant la violence du harcèlement sur les réseaux sociaux, et ses conséquences.

Comme des images, Clémentine Beauvais, Sarbacane, 2014.

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Sous haute dépendance est un best-seller primé dans l’espace germanophone (un million d’exemplaires vendus). On comprend pourquoi, à la lecture de ces pages intensément addictives ! On entre avec Nick dans un jeu vidéo fantastique. Disponible seulement sur invitation, il se joue dans le plus grand secret et en respectant à la lettre les instructions du Messager dont il s’agit de relever les quêtes pour progresser rapidement. De quoi devenir complètement accro et s’agacer, avec Nick, des interruptions liées aux contraintes du quotidien et aux intrusions parentales ! Mais le jour où le Messager s’adresse directement à Nick, et non à son avatar, pour lui confier une mission dans le monde réel en échange duquel il a la surprise de recevoir le T-shirt de son groupe préféré, il devient clair qu’Erebos n’est pas seulement un jeu particulièrement réussi. Comment peut-il le connaître aussi bien ? Jusqu’où mènera-t-il ses joueurs ? Qui tire les ficelles du jeu ? Le roman se dévore et donne à réfléchir aux mécanismes qui créent l’addition, aux conséquences pour l’équilibre psychologique et à l’intrusion effrayante dans la sphère privée que permettent les usages inconsidérés des jeux vidéo et des réseaux.

Sous haute dépendance, d’Ursula Poznanski, Bayard Jeunesse, 2013.

L’avis complet d’Isabelle

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Pour les parents (et les professionnels de l’enfance)

Psychiatre, chercheur en psychologie et co-rédacteur du rapport de l’Académie des sciences intitulé L’enfant et les écrans, Serge Tisseron propose avec ce petit livre des repères simples pour initier les plus jeunes aux écrans. Pas question de culpabiliser les usagers, il s’agit plutôt de réfléchir à nos modes de vie et aux maux qui conduisent à laisser trop souvent les enfants seul devant la TV ou la tablette. Et d’encourager les pratiques créatrices et socialisantes mobilisant les technologies numériques ! Sur la base d’un état des savoirs relatifs aux conséquences des écrans sur les enfants à différents âges, ce petit livre dresse une feuille de route simple et lisible, permettant d’éduquer les plus jeunes à l’auto-régulation et à la distance critique.

3-6-9-12. Apprivoiser les écrans et grandir, de Serge Tisseron. Éditions Érès, 2013 (réédité en 2017)

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Bonus !

A mettre dans vos oreilles !

Sur France Inter, si le sujet de l’influence du numérique sur la jeune génération vous intéresse, n’hésitez pas à aller faire un tour du côté du Podcast Le Code a changé de Xavier de La Porte. Une des émissions au titre provocateur – Sommes-nous vraiment en train de fabriquer des crétins digitaux ? – offre des pistes de réflexion intéressantes en nous faisant découvrir le travail d’Anne Cordier. C’est par !

Grandir connectés, les adolescents et la recherche d’informations, Anne Cordier,C&FEds, 2015.

On vous conseille également le podcast Arte Radio Vivons heureux avant la fin du monde de Delphine Satel notamment l’épisode intitulé GAFA tes gosses.

Illustration : Mathilde Rives.

Lecture commune : Les enfants sont rois.

Je préfère vous prévenir : cette lecture commune sera un peu particulière.

Pour deux raisons.

Tout d’abord parce que c’est une lecture commune d’un livre qui n’est pas explicitement destiné à la jeunesse mais publié en littérature générale. Mais ce roman a été un tel coup de cœur, que deux d’entre nous ont voulu échanger à son sujet et quoi de mieux que s’asseoir à l’ombre de notre grand arbre pour en discuter.

Et puis c’est surtout une lecture commune particulière parce que c’est la dernière que Pépita aura faite pour Le Grand Arbre. En effet en mai dernier, elle a décidé de quitter l’aventure collective après neuf ans de débats, de sélections thématiques, d’entretiens, de lectures communes, de swaps, de bookcamps… Au fil de ses milliers de messages sur le forum, Pépita a nourri nos échanges de sa vision généreuse de la littérature jeunesse, faisant découvrir à toute une génération de blogueuses les trésors de l’édition jeune public.

Pépita, si tu passes par là, pour ta présence lumineuse qui a irradié des racines au faîte de notre grand arbre, nous te remercions.

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Colette. – Quand tu as découvert ce titre Les enfants sont rois, qu’est-ce que ces mots ont convoqué en toi ? Personnellement j’ai directement pensé à cette critique qu’on a souvent faite à la pédo-psychiatre Françoise Dolto qui mettait l’enfant à l’honneur dans sa pratique, transformant selon ses détracteurs, les enfants en tyrans de leurs propres parents.

Pépita.- En fait, je me jette toujours sur les romans de Delphine de Vigan sans trop regarder de quoi ça parle ! Je l’ai pris comme un respect à avoir envers eux. Et en lisant, je te rejoins. Malheureusement, j’ai un peu deviné assez rapidement ce que cela voulait dire au fur et à mesure de cette histoire. Mais ce fut très intéressant de voir comment l’autrice en a entremêlé les fils.

Colette. – Justement avant de revenir à cette intrigue où « les enfants sont rois », est-ce que tu pourrais expliquer pourquoi tu te jettes sur les livres de Delphine de Vigan ? Je suis comme toi et je ne réfléchis pas trop avant d’acheter un roman de cette auteure. Cette fois d’ailleurs, je ne savais absolument rien du livre avant de l’acheter, une amie en a parlé en coup de vent dans un échange de SMS et hop le lendemain je l’avais sur ma table de chevet !

Pépita.- Difficile de répondre ! Je la lis depuis longtemps et je n’ai jamais été déçue. Elle a une façon d’aborder ses sujets que je trouve profonde sans juger, et surtout ses personnages sont remarquables d’exactitude, elle parle des femmes, et si bien ! Une écriture à la fois précise et simple et une construction toujours efficace. Ses romans sont sujets à discussion, au sens où ils éveillent en nous des questionnements. Elle a l’art de mettre le doigt là où ça nous titille sans vraiment se l’avouer ou se le formuler clairement

Colette. – Je savais que c’était une question difficile car moi même je ne saurais quoi répondre tellement c’est un tout, une œuvre de Delphine de Vigan. Comme tu l’as dit, c’est à la fois une structure narrative ingénieuse, des personnages féminins intenses, et des tabous, ses propres tabous, à faire exploser tout en subtilité. Bon en fait, j’avoue j’ai vécu de vraies expériences psychologiques intenses avec des livres de cette femme que ce soit avec Rien ne s’oppose à la nuit ou encore Les Loyautés. Ces livres-là ont laissé de satanées traces en moi… Du coup, sans doute que je cours après la promesse de nouvelles expériences marquantes en me plongeant dans ses livres dès qu’ils sortent. C’est un peu comme si elle m’était familière. Pas une amie. Pas une sœur. Une présence à qui j’aime croire que je ressemble. Revenons à Les enfants sont rois. A quels enfants ce titre réfère-t-il ?

Pépita.- Ce titre réfère d’abord aux deux enfants de l’histoire mais il s’adresse aussi et surtout à TOUS les enfants dont les adultes manipulent le droit à l’image.

Colette. – Peux-tu nous en dire un peu plus sur Sammy et Kimmy, les enfants de l’histoire ? Sont-ils vraiment les héros de cette histoire ?

Pépita.- Sammy et Kimmy, un garçon et une fille qui depuis leur plus jeune âge sont sur les réseaux sociaux : chaque moment de leur vie est filmé, partagé. Leur mère en a fait son business. Elle-même a participé à un épisode de télé-réalité, oh ! si peu : une recherche de reconnaissance énorme pour elle puisque ce fut un fiasco, qu’elle a transposé de façon obsessionnelle dans sa vie adulte. Sa famille – son mari la suit aussi – ne vit que pour cette chaîne, en concurrence avec d’autres. Voilà pour le cadre ! Ta question Colette laisse sous-entendre que tu penses que les deux enfants ne sont pas les héros de l’histoire. Moi je pense que oui. Est-ce la mère ? Sans doute aussi. Mais je préfère me mettre du côté de la souffrance de ces enfants. On pourrait penser aussi que les gagnants – et non les héros – de cette histoire sont les réseaux sociaux. De ce point de vue là, oui, ils le sont. Une autre héroïne, et pas des moindres, c’est la policière chargée de l’enquête. Elle, c’est une héroïne invisible du quotidien.

Colette. – Et c’est mon personnage préféré, Clara. Parce qu’elle est toute petite, peut-être. Kimmy dira d’elle, devenue adulte : « Elle s’est souvent demandé pourquoi elle se souvenait de cette femme, alors que sa mémoire a effacé les autres visages […] En la découvrant ce matin, si petite et en même temps si magnétique, elle a songé que c’était peut-être parce qu’elle avait la taille d’un enfant. » – tu comprendras sans doute pourquoi ça me parle.
Si je t’ai posé la question du statut des personnages et plus particulièrement du statut des héros romanesques, c’est parce que pendant toute la première partie du roman, finalement Kimmy et Sammy, les enfants qui donnent pourtant le titre du roman, sont complètement objectivés. On ne connaît ni leurs pensées ni leurs sentiments. Ils sont sans cesse sous l’œil de la caméra de leur mère et de milliers de spectateurs et de spectatrices mais que sait-on d’eux vraiment ? Ils sont parfois décrits physiquement mais c’est tout. Il faudra attendre qu’un certain nombre d’années soient passées pour qu’enfin la romancière fasse entendre leur voix. Et je trouve ce choix narratif tellement riche de sens. Sans jamais donner de leçon moralisatrice sur ce que Mélanie a fait subir à ses enfants, Delphine de Vigan nous fait vivre à travers ses choix d’écriture la dépossession, l’asservissement, la perte d’identité de ses personnages. Et si la véritable héroïne de cette histoire, c’était Elise Favart, celle grâce à qui la voix des enfants va paradoxalement pouvoir se faire entendre ? Celle grâce à qui on va pouvoir basculer du présent vers l’avenir ?

Pépita.- C’est curieux parce que tu vois, je les voyais ces enfants, je les ressentais, surtout dans la première partie, je les ai imaginés. Beaucoup moins dans la deuxième partie dans laquelle je les ai trouvés moins vivants en quelque sorte, comme éteints. C’est certain qu’Elise a joué un rôle primordial mais elle n’est pas si valorisée que cela dans le roman. Je la vois plus comme un déclic. Elle fait le passage entre les deux parties

Colette. – En lisant ta réponse, je me disais justement que l’autrice ne semble pas valoriser un personnage plus que l’autre si ? Quel a été ton préféré, si tu en as eu un ? Et pourquoi celui-là ?

Pépita.– Tu as raison de le souligner : l’autrice a vraiment adopté un ton neutre, presque « froid »: tout est dit sur un ton égal, comme pour atteindre une certaine normalité alors qu’en fait, toute cette histoire est tout sauf normal. J’ai un petit faible pour la policière, c’est certain. Tout est droit chez elle, une abnégation sans failles. La mère m’a à la fois agacée au plus haut point mais en même temps je ne pouvais m’empêcher d’avoir une forme de compassion pour elle. Comment ne pas se rendre compte qu’on rend ses enfants malheureux ? Comment ne pas se rendre compte de cette spirale infernale ? ça frise le voyeurisme non ? Tu l’as ressenti comment toi cet aspect du roman ? Toutes ces mises en scène factices jusqu’à l’écœurement….

Colette. – En fait, ce que j’ai trouvé très fort c’est d’avoir introduit le récit à l’époque où la téléréalité a commencé en France, comme pour « justifier » ce que vont être les choix de vie de Mélanie. Ce moment là, je m’en rappelle comme si c’était hier. J’étais une jeune adulte et avec ma sœur, encore adolescente, on regardait régulièrement Loft story. Et je me souviens très bien de ce sentiment totalement paradoxal qui m’envahissait alors : le sentiment de faire quelque chose de mal – comme un.e enfant qui fait une bêtise – et en même temps l’envie irrépressible de voir jusqu’où ça pouvait aller, ces relations forcées. Il y avait quelque chose de fascinant, qui tenait sûrement de l’aspect expérimental du projet : des humains dans une sorte de laboratoire, à la vue de toutes et de tous. Mais le XXIe siècle est allé encore plus loin que ces émissions de télé-réalité, le XXIe siècle a réussi à produire des personnages capables de vouloir mettre en scène eux-mêmes leur propre vie, avec leurs propres moyens, grâce à un média bien plus invasif que la télévision : j’ai nommé le dieu de notre époque, Internet. Il n’y a qu’à nous écouter. Tu cherches comment aller d’un point A à un point B ? Demande à Internet ! Tu veux savoir quoi faire pour le dîner ? Demande à Internet ! Un petit résumé du roman à lire en cours de Français ? Demande à Internet ! Tu veux prendre RDV pour te faire vacciner contre le coronavirus ? Demande à Internet ! Aujourd’hui, la Pythie des temps modernes, c’est Internet. D’ailleurs souvent mes élèves me parlent d’Internet comme si c’était quelqu’un, quelqu’un d’omniscient et d’omnipotent. Quelqu’un à qui elles et ils délèguent leur savoir, soit dit en passant. Tout ça pour dire que l’autrice a tellement bien introduit l’histoire de Mélanie que finalement, je n’ai pas été écœurée, ni choquée, ni étonnée. Et c’est peut-être ça le pire avec cette histoire : je ne connaissais pas du tout les chaînes Youtube au cœur de la narration, et bien ça ne m’a pas étonné. Que des gens choisissent d’utiliser leurs enfants comme outil de publicité permanente et bien, oui, c’est vraiment désolant, mais ça ne m’a pas étonné. Par contre comme toi, en tant que parent, je me suis demandée comment on pouvait se détacher à ce point de ses enfants. Au point de ne plus savoir s’ils vont bien. Au point de ne plus même y penser. Mais ce qu’interroge Delphine de Vigan, c’est comment, nous, en tant que société, on peut laisser faire ça au vu et au su de tout le monde. Est-ce que comme moi, tu t’es sentie interrogée, notamment dans ta propre utilisation des réseaux sociaux ?

Pépita. – Je ne me suis pas du tout sentie interrogée dans mon utilisation des RS ! Je n’y mets jamais ma photo ni celle de ma famille par exemple. Mais plutôt comment la société pourrait prendre du recul par rapport à cette utilisation. Quels garde-fous ? Quelles limites ? Quels avertissements ? Quelle formation citoyenne ? C’est surtout ça qu’interroge ce roman.

Colette. – Je me suis sentie interrogée non en tant que productrice de contenus mais comme utilisatrice. Si les gens se sont mis à exposer leur vie, c’est que d’autres gens les regardent faire. Je t’avoue que sur Instagram c’est ce qui me dérange toujours : montrer ce qu’on mange, montrer où on part en vacances, montrer où on vit. Ce n’est pas juste une question de montrer les visages de sa famille, il me semble que ça va plus loin. Pourquoi on fait ça ? Comme Mélanie, je crois qu’on court après les likes.
Mais tu as complètement raison, la question la plus intéressante, c’est celle des garde-fous. Tu sais combien cette question m’intéresse depuis que j’ai décidé de quitter les réseaux sociaux suite à la mort de Samuel Paty et aux horreurs que mes élèves me racontaient. Le garde-fou le plus évident pour moi, c’est la morale. Mais visiblement la morale n’est pas la même pour tous. Alors il y a la loi. Mais encore faut-il qu’elle soit appliquée… Concernant la structure du roman en deux parties. J’ai trouvé ce choix très surprenant par rapport aux autres romans de Delphine de Vigan. Qu’en as-tu pensé ?

Pépita. – Oui c’est vrai que ses romans sont bien plus linéaires d’habitude. Comme je le disais plus haut, cette césure en deux parties, c’est comme si il y avait deux côtés d’une réalité. La première une réalité virtuelle et la seconde la réalité réelle. La première enjolivée et la deuxième réaliste. C’est l’arrestation de la kidnappeuse qui fait la césure. Ce n’est pas ça qui l’intéresse l’autrice : c’est montrer ce décalage entre ces deux réalités très différentes. Et cela a pour effet d’amplifier davantage les dégâts causés.

Colette. – Et le fait que la deuxième partie nous propulse en 2031, dans le futur, est-ce que cela ne donnerait pas un petit côté science-fiction à ce roman ? Est-ce que tu y as vu un sens particulier au choix de cette date ?

Pépita.- Elle veut simplement montrer ce que sont devenus ses personnages. Je n’y ai pas vu de la science fiction, mais juste la continuité de la vie.

Colette. – Oui, tu as sans doute raison, peut-être que 2031 est une date choisie simplement pour que toute l’histoire « colle » avec la seule date réelle du roman qui est la première de Loft Story en 2001. J’y ai vu aussi une manière de nous interroger sur ce que nous allons faire des 10 années qui nous séparent de cette échéance pour mieux protéger nos jeunes, notamment, sur les réseaux sociaux. Au fait, est-ce que tu es allée voir des vidéos sur Youtube d’enfants influenceurs ? Et si oui, qu’as-tu éprouvée ?

Pépita. – Non je ne suis pas allée voir des vidéos d’enfants influenceurs car déjà les vidéos de youtubeurs, j’ai beaucoup de mal. Il y a un truc dont j’aurais souhaité qu’il soit approfondi : c’est la loi ! J’ai trouvé ça incroyable qu’elle soit autant balayée ou contournée plutôt. S’agissant d’enfants, tout de même ! Faut que je prenne le temps de creuser. Tu as été interpellée aussi j’imagine ?

Colette. – J’ai surtout été dégoûtée d’apprendre que cette loi existe et que simplement – comme tant d’autres censées nous protéger – elle n’est pas appliquée, il n’y a pas assez de professionnels employés pour vérifier qu’elle est respectée. C’est comme pour les contenus irrespectueux sur internet, sur les réseaux notamment, la loi existe mais encore faut-il qu’elle soit faite respecter par des forces de l’ordre dédiées à cette tâche (et je ne sais pas si ça existe).

Colette. – Des deux citations mises en exergue de chaque partie du livre, laquelle préfères-tu ?
« Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le télé-achat. » Stephen King.

ou
 » On pressentait que dans le temps d’une vie surgiraient des choses inimaginables auxquelles les gens s’habitueraient comme ils l’avaient fait en si peu de temps pour le portable, l’ordinateur, l’iPod ou le GPS » Annie Ernaux.

Pépita. – Je préfère celle d’Annie Ernaux car elle englobe le sujet plus largement je trouve. Ce roman, ce n’est pas que sur le télé-achat mais sur les RS et ce que nous en faisons.

Colette. – Pour conclure, à qui conseillerais-tu ce roman ? Avec des amies enseignantes, on en a un peu discuté : certaines, très emballées, le proposeraient à des élèves de 3e, d’autres non. L’une d’elles hésitait à le proposer à ses parents qui ne sont pas du tout connectés.

Pépita. – Je le conseillerais à des adultes mais aussi et surtout à des ados ! Je rejoins tes collègues ! Pour ceux qui ne sont pas connectés, ils risquent d’halluciner et de prendre les connectés pour des zombis ! Mais c’est peut-être pour ça qu’ils ne le sont pas justement. Ce roman est d’utilité publique !

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Et pour continuer de nourrir vos réflexions sur l’utilisation d’internet notamment par nos jeunes, la semaine prochaine, nous vous proposons une sélection thématique sur une pratique émancipatrice du net !

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Et n’oubliez pas que vous pouvez toujours lire Pépita sur son blog MéLi-MéLo de LIVRES et sur les réseaux sociaux associés pour profiter autrement de son regard amoureux de la littérature jeunesse et continuer de suivre avec elle le précieux précepte de Julien Green :

« Un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade. »