Quand j’ai lu, une fois, deux fois, plus encore La Fille Verte de Vincent Cuvellier, j’ai été très surprise, je me suis dit aussi, c’est exactement le genre d’album autour duquel je voudrais discuter avec mes complices d’A l’Ombre du Grand Arbre. 4 blogueuses m’ont suivie sur cette lecture commune : Kik, Bouma, Pépita, Sophie.
La fille verte de Vincent Cuvellier, illustré par Camilla Engman, album Gallimard Jeunesse publié en septembre2012
Drawoua : Première question pour commencer, quel a été votre sentiment en refermant le livre ? Vous avez aimé, pas aimé ? Quelles émotions avez-vous ressenti durant la lecture ?
Kik : Ma première impression a été d’avoir rêvé. Je me suis demandée jusqu’au bout ce qu’il allait advenir de cette fille verte. Un songe dans un jardin. Une après-midi passée au milieu des hautes herbes. J’ai vécu cette lecture comme une pause, un moment pendant lequel le temps a été ralenti.
Bouma : Ma première impression a été de me dire « Heuuuu ? ». Qu’est-ce que je viens de lire ? Je suis restée perplexe autant sur la forme que sur le fond de cet album qui pour moi n’en ai pas tout à fait un, où en tout cas un album qui sort des normes.
Pépita : J’ai d’abord été accrochée par la couverture très mystérieuse. Et j’ai commencé à lire… d’une traite. J’ai été envoûtée par cet album-roman (il se situe entre les deux pour moi), j’ai presque « vécu » la métamorphose comme la jeune fille, j’étais avec elle dans son jardin secret, j’entendais le froissement des herbes, les voix au loin, je sentais les odeurs, je fourmillais de partout. Etrange et délicieux à la fois. Et quand j’ai refermé le livre, c’était comme si je me réveillais d’un beau rêve. Un peu étourdie. Et je l’ai ouvert à nouveau pour m’attarder cette fois sur les illustrations que je n’avais pas vraiment eu le temps d’apprécier (elles sont superbes !) tellement j’étais happée par les mots.
Sophie : J’ai aussi été perplexe en refermant le livre la première fois. Du coup, je l’ai feuilleté à nouveau et j’ai mieux compris ce qu’il s’était passé. Finalement, j’ai aimé, c’est le genre de livre qui pose des questions et j’aime ça.
Drawoua : Si je vous ai posé la question de votre ressenti en premier, c’est vraiment parce que de mon côté, j’ai été happée par la lecture. Je suis passée par de multiples sentiments. Des sensations aussi. Quand j’ai refermé le livre, je me suis dit : « mais de quoi ça parle ? ». C’est ma deuxième question !
Kik : il est question d’évasion, d’envie d’ailleurs, d’absence, de solitude, d’oubli… Je ne sais pas vraiment. C’est étrange.
Sophie : Si on s’en tient au texte, il s’agit d’une petite fille qui apprécie de passer du temps dans un coin de son jardin au point qu’elle finit par s’enraciner et se transformer en arbre. Évidemment, c’est un peu plus compliqué et abstrait que ça. À la fin de l’histoire, on comprend que tout ça n’était en fait un rêve.
Bouma : Il s’agit d’une petite fille rêveuse qui porte un regard assez distant sur sa personne et sur le monde qui l’entoure. C’est aussi un récit sur la nature, qui reprend ses droits…
Drawoua : Quand on reprend la présentation de l’éditeur, le livre est défini comme « Une fable poétique qui parle de la métamorphose de l’enfance et de l’adolescence« . Qu’en dites -vous ?
Sophie : Fable poétique, je suis totalement d’accord. Par contre, la métamorphose de l’enfance à l’adolescence, je ne l’ai pas spécialement vue. Même si on voit bien que cette expérience a fait grandir cette jeune fille.
Pépita : Il est question dans ce livre d’une presque jeune fille qui vient de déménager, qui découvre un nouvel endroit, qui essaie de se l’approprier… Elle partage sa chambre avec son petit frère, cette proximité ne l’enchante guère. Elle a besoin de se ressourcer, de se retrouver et se réfugie donc dans ce jardin secret au sens propre, au fond du terrain de son immeuble. Au sens figuré, ce livre est une belle métaphore du passage de l’enfance à l’adolescence : ce jardin, dans sa vie et ses transformations au fil des saisons, l’accompagne dans sa croissance à elle et lui permet d’écouter ce qui se passe dans son propre corps. Ce ressourcement intérieur grâce à la nature lui permet de grandir et de l’accepter. C’est une magnifique fable poétique en effet.
Bouma : Et bien, c’est justement la quatrième de couverture qui m’a appris ce dont le livre parle. J’ai trouvé le texte beau, l’écriture simple et imagée… peut-être un peu trop car je n’en ai pas compris vraiment le sens.
Kik : Elle grandit, c’est vrai. Mais comment savoir si c’est un passage de l’enfance à l’adolescence? Ce changement se fait toujours au cours de l’hiver?! Je n’ai pas lu le quatrième de couverture (je ne les aime pas!), sans son évocation ici, j’aurai plutôt dit qu’il s’agit d’un nouveau départ dans une nouvelle maison, malgré des points de contrariété et une envie d’isolement.
Drawoua : Nous nous sommes approprié le texte d’une manière différente et ne nous accordons pas non plus tout à fait sur le sens (ou en tout cas pas vraiment avec la présentation de l’éditeur). On peut avoir de multiples entrées de lecture de ce texte. Qu’en pensez-vous. ? Est-ce un atout ? Est-ce que cela vous a déstabilisé ? Emporté ? Dérangé ?
Pépita : C’est une fable poétique et le propre de la poésie, ce sont les multiples entrées… Pour ma part, j’ai trouvé ce texte magnifique, les illustrations sont superbes aussi. Je n’ai pas été déstabilisée mais emportée par ce voyage au fond du jardin, j’étais cette jeune fille. Ce texte a trouvé résonance en moi : adolescente, je m’étais choisie un arbre confident qui me ressourçait quand j’en ressentais le besoin. Il m’a accompagnée longtemps. Il était mon jardin secret. En fermant les yeux, je le vois et je le sens encore … Mais je comprends tout à fait qu’on puisse être quelque peu surpris à la lecture de ce livre et qu’on ne voit pas très bien où il mène.
Sophie : Après une première lecture un peu perturbée, j’ai finalement apprécié ce texte. Il m’a fallu un peu de réflexion et une seconde lecture mais j’ai réussi à y trouver un sens.
Bouma : Je ne pense pas que cela soit un atout mais ce n’est pas un frein non plus. Cela donne au contraire l’impression que le livre s’adapte au lecteur. En fonction de sa sensibilité, chacun y comprendra une symbolique différente. Après en ce qui me concerne personnellement, toute cette symbolique m’a déstabilisé. Je ne m’attendais pas à un tel texte dans un livre de ce format. Et il m’a fallu une deuxième lecture (comme Sophie) pour apprécier la beauté du texte et la rythmique des mots. J’ai seulement peur qu’un tel livre mérite une grande médiation pour satisfaire son lectorat jeune…
Kik : Chacun perçoit un livre de manière différente. Il est vrai que ce livre en particulier qui explore une métamorphose (vraie ou pas, symbole de quelque chose ou pas) invite à une appréciation très personnelle. Pour ma part, je trouve que cette qualité est un atout, et que cela témoigne d’une richesse de l’écriture et des illustrations.
Drawoua : Je relève ce que tu poses comme éventuelle difficulté Bouma concernant le travail de médiation qui pourrait être à faire par l’adulte mais aussi ce que tu soulignes Kik sur le fait que l’on perçoive le livre de manière différente. Cela laisse, selon moi, laisse toute la place au jeune lecteur d’entrer dans l’univers que peint Cuvellier. Entre ces deux positions, n’y aurait-il pas un pont, une autre entrée dans le texte que sont les illustrations ?
Kik : Effectivement, les illustrations correspondent bien à l’univers décrit par Vincent Cuvellier. J’y ai trouvé la part de nature, de douceur et de questionnement que m’a inspiré le texte. La composition des images peut parfois paraître particulière (avec un focus sur un détail par exemple), je la trouve surtout poétique.
Pépita : Les illustrations sont en effet superbes. La couverture est très attirante aussi. Elle m’a donné envie d’ouvrir ce livre de suite. L’alternance des pleines pages et les détails insérés dans le texte (le texte s’adapte même aux petites illustrations) rendent cette fable poétique plus forte encore. Elles participent pleinement de l’histoire (pp.26-27 : cette double page est magnifique !). Elles sont douces, le papier est agréable au toucher et dans son grain, le format idéal. C’est aussi un voyage au pays des sens. C’est un beau travail réalisé entre l’auteur et l’illustrateur je trouve.
Sophie : Les illustrations sont mon coup de cœur pour ce livre et ce qui m’a donné envie de l’ouvrir. J’ai adoré ces tons pales et ces couleurs très naturelles. J’ai trouvé que les dessins en pleine page correspondaient vraiment à l’histoire et enrichissaient le texte. Les autres sont pour moi plus des éléments de décor qui permettent de plonger le lecteur dans l’ambiance générale du livre.
Drawoua : une couverture verte, une illustration pleine page verte, une fille verte. La couverture vous a t-elle incitée à la lecture ? A quoi vous attendiez-vous en entrant dans cet univers ? Qu’est-ce que vous retiendrez de cette lecture ?
Bouma : La couverture donne vraiment envie de lire ce livre. Avec le titre, je m’attendais effectivement à une histoire sur la nature, mais j’imaginais quelque chose de moins réel (genre une fille porteuse de la voix de la nature). Ce récit m’a complètement prise au dépourvu. Ce que je retiendrais de cette lecture est le questionnement qu’elle a soulevé en moi. J’ai eu du mal à entrer dans la fable de l’auteur, à en comprendre la signification et c’est assez rare en littérature de jeunesse pour que ça me marque (surtout pour un album).
Sophie : Je ne peux pas dire que je m’attendais à grand chose. Non, je n’avais aucun a priori sur cette lecture, peut-être l’idée qu’on me parlerait de nature mais pas plus. En revanche oui la couverture a totalement motivé ma lecture. Je l’ai trouvé (et la trouve encore) sublime et c’est en général suffisant pour me convaincre d’ouvrir un livre sans même savoir de quoi il parle.
Pépita : La couverture m’a littéralement séduite. Elle donne vraiment envie d’ouvrir ce livre pour savoir ce qu’il nous réserve. De plus, le contenu correspond parfaitement bien ainsi que le titre. Cette lecture m’a transportée dans un univers que j’ai eu le sentiment à un moment de ma vie de fréquenter. Le temps n’avait plus prise et c’est délicieux. Je ne m’attendais à rien de particulier. J’ai pris les mots, les illustrations et je me suis sentie comme la fille verte. C’était étrange. Je n’ai pas ressenti le besoin de le relire. Tout est dit. Tout est reçu. Cette lecture restera longtemps présente. J’ai souhaité aussi donner à lire ce livre à ma fille qui va avoir 13 ans et elle a beaucoup aimé ce voyage intérieur et sensoriel.
Drawoua : Pour orienter vos dernières réponses sur l’album, j’aimerai vous convier, si ce n’est déjà fait, à lire l’article de Vincent Cuvellier concernant la genèse de La Fille Verte. UN texte qu’il a publié sur son blog : http://vincentcuvellier.canalblog.com. Il indique notamment que bien que le texte tourne autour d’une jeune fille de 13 ans, il s’agit du texte le plus autobiographique qu’il ait publié. Il insiste aussi sur la difficulté de trouver un illustrateur Il s’est tourné vers Camilla Engman, illustratrice suédoise qui travaille particulièrement les matières organiques. En vous remerciant de m’avoir suivie dans cette lecture, je vous laisse réagir et conclure chacune votre tour.
Bouma : J’ai effectivement lu cet article de Cuvellier lorsque j’ai fait des recherches pour cette lecture. Cela m’a permis (après-coup) de mieux comprendre le récit de l’auteur, son travail également et combien ce texte lui tenait à cœur. Je crois que ma sensibilité n’a pas réussi à s’accorder à la sienne sur cet album, et c’est bien dommage car cela reste un objet de grande qualité.
Pépita : Comme Bouma, j’ai lu aussi cette genèse de l’album expliquée par Vincent Cuvellier lorsque j’ai préparé ma chronique pour mon blog. Je n’ai pas été surprise. Cela a totalement conforté ma lecture de ce roman-album qui restera pour moi une très belle rencontre. Je pense que je le relirai régulièrement. Je l’ai reçu comme un vrai et rare cadeau.
Kik : J’ai aimé savoir que cet album a été pensé, malaxé, recréé, réfléchi, oublié, repris… Il a vécu avant de voir vraiment le jour. Comme la transformation qui s’opère au fil des pages, l’auteur a réellement créé peu à peu son ouvrage. Rien n’a été fait au hasard. J’aime ces albums qui respirent une bonne odeur de création, de vécu … et de tripes ! (C’est bizarre à dire, mais c’est ça, en fait ! exactement ça !)
Sophie : C’est intéressant de savoir comment est né ce livre. Si comme Bouma, je suis un peu passée à côté, je reconnais la qualité de cet album tant sur le texte que les illustrations.
En bonus :
Camilla Engman, l’illustratrice suédoise qui s’est si bien accordée au texte de Vincent Cuvellier, nous parle de cet album :
« J’ai tout de suite aimé le texte de Vincent. Etant enfant, je passais beaucoup de temps en pleine nature et c’est encore le cas maintenant. La nature est très importante pour moi. Voilà pourquoi le texte me parle particulièrement. J’étais totalement libre de fournir mon interprétation du texte. Je pense qu’ils me l’auraient dit si j’avais été à côté de la plaque. Je dessine et travaille avec Photoshop. Les couleurs s’imposent d’elles-mêmes. Je travaille avec mon cœur et mon instinct et j’essaie, autant que possible, de ne pas trop impliquer mon cerveau dans le processus. Je m’appuie sur mon expérience et mon savoir-faire de ce genre d’exercice » *.
Son site : http://www.camillaengman.com
Son blog : http://camillaengman.blogspot.fr
*Merci à Pec pour la traduction
Retrouvez nos chroniques sur nos blogs :
Pour Pépita Méli-Mélo de livres : http://melimelodelivres.blogspot.fr/ : c’est ici : http://melimelodelivres.blogspot.fr/2012/11/la-fille-verte.html
Pour Bouma du blog Un Petit Bout de bib c’est ici : http://boumabib.fr/2012/11/14/la-fille- … cuvellier/
Pour Sophie du blog La littérature jeunesse de Judith et Sophie, c’est ici : http://litterature-jeunesse.over-blog.f … 19396.html
Pour Kik des Lectures de Kik, c’est ici : http://leslecturesdekik.blogspot.fr/2012/12/la-fille-verte-vincent-cuvellier.html
Pour Drawoua de Maman Baobab, c’est ici : http://maman-baobab.blogspot.fr/2012/11/la-fille-verte.html
Partez à la rencontre de l’auteur Vincent Cuvellier via son blog : http://vincentcuvellier.canalblog.com
Les illustrations de cet article sont réalisées par Camilla Engman et sont publiées sur A l’Ombre du Grand Arbre avec son aimable autorisation.