De la page à l’écran : Fantastique Maître Renard !

L’automne c’est la saison de la rousseur, rousseur des arbres, des sols jonchés de feuilles mortes et aussi rousseur des renards qui se nichent dans nos forêts. Et parmi les renards (auxquels nous avons consacré un article l’année dernière), un de nos préférés c’est celui de Roald Dahl : le bien nommé Fantastique Maître Renard !
Colette et Lucie vous livrent leur discussion sur le livre du célèbre auteur anglais et son adaptation par Wes Anderson.

Fantastique Maître Renard, Roald Dahl, Gallimard, 2018 pour la présente édition.

Colette. – Du livre ou du film, lequel as-tu découvert en premier ? Te souviens-tu de ce qui t’avait donné envie de le lire ou de le voir ?

Lucie. – C’est drôle que tu poses la question parce que la réponse n’est pas si évidente. En voyant le film – parce que je suis fan de l’univers de Wes Anderson -, l’histoire me disait fortement quelque chose, j’avais des flashs de la suite de l’intrigue. Je me suis aperçue après coup que j’avais la version audio (lue par Daniel Prévost, extraordinaire !) du roman de Roald Dahl quand j’étais enfant. Le passage des années et le changement de langue (nous regardons les films en VO) m’avaient empêchée de faire le lien. Finalement, ça a été version audio, puis film, puis version papier.
Et toi, quelle version as-tu découverte en premier ?

Colette. – Et bien il y a plusieurs années, dans le cadre de « collège au cinéma », le film de Wes Anderson a été proposé pour les niveaux 6e-5e. J’avais adoré cet univers à la fois décalé, cynique et merveilleux. J’ai revu le film plusieurs fois avec mes enfants notamment et cet été, au hasard d’une promenade dans une jolie librairie de Bayonne, mon Nathanaël m’a demandé de lui offrir Fantastique Maître Renard de Roald Dahl. C’est au fil de la lecture à haute voix que nous en avons faite que je me suis dit « mais je connais cette histoire, elle me rappelle quelque chose ! » et au bout de quelques pages, j’ai fait le lien entre le livre et le film. Finalement pour toi comme pour moi, le texte a fait résonner quelque chose dans notre mémoire !
Mais même si les deux versions résonnent, le Maître Renard d’Anderson et celui de Roald Dahl m’ont semblé très très différents. Qu’en dis-tu ?

Lucie. – Oui, tout à fait, Wes Anderson a ajouté l’intrigue parallèle du neveu un peu étrange, en pleine tourmente familiale. Cela correspond aux types de personnages qu’il affectionne, décalés, à la marge. Il est très proche de ceux de La Famille Tenenbaum par exemple. Maître Renard et sa famille sont bien trop « normaux » pour lui !
Il me semble que c’est vraiment la différence principale entre le livre et le film, mais as-tu remarqué d’autres éléments notables dont tu souhaites discuter ?

Colette. – Pour moi la principale différence est le genre dans lequel a choisi de s’inscrire Wes Anderson. Dans le livre de Roald Dahl, on est vraiment dans le conte merveilleux, court, rythmé par la comptine qui revient régulièrement dans le texte et des personnages construits autour de quelques traits de caractère presque caricaturaux. Le personnage de Renard par exemple est surtout caractérisé par sa ruse, caractéristique traditionnelle de l’animal dans l’histoire littéraire. Wes Anderson, quant à lui, en fait un personnage très ambivalent, dès le début. C’est cette ambivalence qui le caractérise tout au long du film, et qu’on ne retrouve pas du tout me semble-t-il sous la plume de Roald Dahl. De même pour le personnage de la Renarde, beaucoup plus présente dans le film que dans le livre, ainsi que les renardeaux dont il ne reste plus qu’un représentant dans le film. D’ailleurs, il me semble que le film raconte plus l’histoire de Kristofferson et Ash que de Mr Fox. C’est une oeuvre beaucoup plus foisonnante du côté des personnages que construit Wes Anderson.
Que dirais-tu des personnages d’ailleurs ? Je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages du livre mais ceux du film m’ont paru bien familiers.

Lucie. – Et bien oui, étonnamment les personnages sont plus complexes dans le film que dans le livre. Tu as raison, c’est suffisamment rare pour le souligner ! La famille Renard est somme toute assez « banale », avec une mère de famille qui tient à la sécurité des siens pendant que le père est prêt à prendre des risques pour réaliser ses rêves de grandeur (la crise de la quarantaine ?). Ils m’ont semblé plus « humains » que dans le livre, qui est effectivement plus proche du conte : un peu caricatural pour faire rire.
Mais peut-être songeais tu à autre chose avec cette question ?

Colette. – Non je pensais exactement à ça et justement je trouve que le film de Wes Anderson est beaucoup plus riche que le conte de Roald Dahl et c’est assez rare comme tu le soulignes ! Par conséquent, il me semble que les deux oeuvres ne s’adressent pas tout à fait au même public. Qu’en penses-tu ? T’es-tu posée la question de la réception des oeuvres ?

Lucie. – Oui, il me semble que le roman de Roald Dahl est accessible bien avant le film, en effet. Du fait de sa complexité (relative : si les parents saisissent les clins d’œil, ils ne gênent pas nécessairement la compréhension des enfants) mais surtout en raison des choix esthétiques du film. Les personnages sont presque inquiétants, je trouve. Le côté vieillot, très stylisé, peut rebuter les enfants. De fait, j’ai été confrontée à la différence de réception avec Théo, qui a adoré le livre mais n’a pas terminé le film.
Il y a aussi un aspect très travaillé, symétrique, chez Wes Anderson, auquel les enfants ne sont peut être pas habitués. Nous avons eu la chance de voir les maquettes et les figurines des personnages du film en vrai, les marottes du réalisateur se retrouvent partout ! D’ailleurs les maquettes étaient de la même taille que celles du Budapest Hotel, qui est un film en prises de vues réelles. Étonnant !
Est-ce que ce ne serait pas l’adaptation parfaite : celle qui s’inspire mais réinvente ? Ou au contraire la pire trahison ? Qu’en penses-tu ?

Colette. – Spontanément, je dirai que c’est l’adaptation parfaite ! Quand on parle adaptation souvent c’est pour constater « l’infériorité » du cinéma sur le littéraire. Ici, il me semble que ce n’est pas le cas. Mais ce n’est pas pour autant que Wes Anderson écrase le texte de Roald Dahl, au contraire, c’est comme s’il le prolongeait, qu’il lui donnait une autre dimension pour un autre public, pas un public en concurrence avec celui du livre, un autre, peut-être plus âgé comme tu l’as souligné.
Et toi quel est ton avis ?

Lucie. – Je suis d’accord avec toi. L’adaptation parfaite c’est celle qui garde l’esprit de l’œuvre tout en apportant la patte du réalisateur. Cela donne une dimension différente au texte original, sans pour autant le trahir.

Colette. – Tu as remarqué à quel point Roald Dahl a été adapté au cinéma ?

Lucie. – Oui, je pense à Matilda, James et la pêche géante, Le Bon Gros Géant

Colette. – Charlie et la chocolaterie, Un conte peut en cacher un autre

Lucie. – Ce sera l’occasion d’autres articles alors ! Même si la meilleure adaptation est très clairement Fantastic Mr Fox selon moi !

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Et vous, avez-vous aimé Fantastique Maître Renard ? Quelle est votre adaptation de Roald Dahl préférée ?