Nos classiques préféré.e.s : les facéties de Tomi Ungerer

« Si j’ai conçu des livres d’enfants, c’était d’une part pour amuser l’enfant que je suis, et d’autres part pour choquer, pour faire sauter à la dynamique (sic) les tabous, mettre les normes à l’envers : brigands et ogres convertis, animaux de réputation contestable réhabilités… ce sont des livres subversifs, néanmoins positifs » (extrait du livret publié par l’école des loisirs – Tout sur votre auteur préféré).

Pas étonnant qu’un musée ait ouvert ses portes à Strasbourg il y a quelques années, lui qui a légué une multitudes de dessins à sa ville natale. Très prolifique, Tomi Ungerer a publié soixante-dix ouvrages, dont il a pour moitié écrit les textes également.

Nous n’avions que l’embarras du choix pour vous présenter les dix raisons qui nous poussent à préférer tel ou tel album.

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Pour cet album paru aux éditions l’école des loisirs pour la première fois en 1968, Liraloin a eu un très grand coup de cœur, il s’agit du titre Les trois brigands. Voici les dix raisons de lire et relire ce livre :

1– Pour cette première de couverture qui fait blêmir de peur plus d’un enfant et cela depuis des générations : focus sur les yeux menaçants et cette immense hache rouge.
2 – Pour le choix des couleurs primaires et surtout ce bleu qui domine faisant ressortir l’aspect lugubre de l’histoire. La seule pointe de lumière émane de la présence de Tiffany, petite fille blonde aussi précieuse que la lune et l’or…
3 – De mémoire de médiathécaire, les illustrations pleine page d’une telle noirceur n’était pas chose commune à l’époque.
4 – Pour ces attaques orchestrées, organisées et d’une rare violence. La double page montrant un des brigand casser la roue d’une carrosse est très angoissante !
5 – Pour ce trésor amassé depuis des années et des années, mais au juste à quoi sert-il exactement?
6 – Pour ce texte, ce conte qui se prête tellement à la lecture à voix haute, un régal !
7 – Pour cet étrange revirement de situation … les trois brigands auraient-ils un cœur finalement?
8 – Pour l’adaptation cinématographique qui reste, entre autre, fidèle aux jeux d’ombres de l’album.
9 – Pour son adaptation théâtrale vu un jour sur scène, d’une grande finesse dans la recherche des détails.
10 – Pour qu’à jamais cette histoire soit transmise aux générations futures de lectrices et lecteurs.

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Otto, autobiographie d’un ours en peluche est peut-être le premier album qui a permis à Lucie de réaliser que l’on pouvait aborder des sujets extrêmement graves en littérature jeunesse : rien de moins que la Shoah, à hauteur d’enfant.

1– Car Tomi Ungerer détourne volontairement la figure de l’ours en peluche, symbole de la douceur de l’enfance pour la confronter aux horreurs dont sont capables les êtres humains.
2 – Pour cette phrase d’ouverture qui incarne immédiatement Otto dans ce qu’il a de commun avec les Hommes (ne pas se voir vieillir) mais aussi ce qui l’en éloigne (il peut être vendu) : « J’ai compris que j’étais vieux le jour où je me suis retrouvé dans la vitrine d’un antiquaire ».
3 – Parce que donner le rôle du narrateur à un ours en peluche offre un regard naïf et précieux sur l’enfance…
4 – … Mais fait aussi de lui une victime passive, tributaire des adultes comme le sont les enfants.
5 – Pour la période heureuse qui précède le drame, les jeux entre David et Oskar, les souvenirs, les aventures, l’encrier reçu sur la tête, le tatouant d’une tâche violette pour le restant de ses jours.
6 – Pour la beauté du geste de David qui confie Otto à son ami Oskar alors qu’il s’apprête à être déporté.
7 – Et pour le périple qui s’en suit, des Etats-Unis à une poubelle, et enfin l’espoir qu’il faut malgré tout conserver jusqu’au bout.
8 – Parce qu’Otto est, à sa manière, un héros de guerre lui aussi.
9 – Pour les indices délicatement distillés que perçoivent les grands enfants et les adultes et permettent un double niveau de lecture.
10 – Parce qu’Otto existe vraiment et que l’on peut le retrouver au musée Tomi Ungerer.

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Pour Colette qui aime à faire découvrir à ses plus jeunes élèves les figures d’Ogres, d’Ogresses ou d’Ogrelets, il est un album incontournable d’Ungerer : Le Géant de Zéralada. Et voilà pourquoi !

Le Géant de Zeralda, Tomi Ungerer, L’école des loisirs, 1971.
  1. Pour cette première de couverture particulièrement ambigüe : quel duo étrange que cette petite fille blonde aux joues roses et cet homme à la barbe grisonnante aux sourcils sévères et aux dents acérés. Elle ne semble pas en danger et pourtant que dire de ce couteau à la lame tranchante qui occupe le premier plan ?…
  2. Parce que cette histoire possède tous les atours du conte traditionnel, de la calligraphie gothique du titre au célèbre « il était une fois » qui introduit le texte, en passant par les personnages traditionnels de l’ogre et de la fillette aimable à souhait !
  3. Parce que très vite, on comprend que l’auteur va jouer avec ces codes du conte traditionnel de manière subtile et originale ! Ici point de réécriture à la sauce contemporaine, mais plutôt un bel esprit de subversion : Zeralda aime faire la cuisine, oui, oui, et c’est là tout son pouvoir ! Et c’est grâce à ses talents de cheffe qu’elle va mettre KO notre géant car grâce à elle il va découvrir qu’il y a d’autres goûts dans la nature que celui de la chair fraîche !
  4. Parce que j’ai toujours adoré les listes, leur poésie si particulière, et dans cet album là, l’amatrice de listes est servie sur un plateau d’argent :  » Un potage de cresson à la crème, Des truites fumées aux câpres, Des escargots au beurre et à l’ail, Des poulets rôtis, Un cochon de lait »
  5. Des listes gourmandes vous l’aurez compris ! Car cet album est une véritable ode à la gourmandise, à la profusion, aux banquets, à la générosité ! Aussi bien au niveau du texte qu’au niveau des images, notamment avec cette double page au cœur de l’album qui présente le menu du « souper tout à fait moyen » préparé par Zeralda une fois rentrée au service du géant.

6. Parce que la véritable héroïne du conte, ce n’est pas le géant dont l’horrible figure trône sur la couverture mais cette petite fille de six ans, ingénieuse, créative et courageuse.
7. Parce que vraiment « Zeralda » c’est un joli prénom ! Et qui commence par un « Z » en plus !
8. Parce qu’on pressent que derrière cette histoire, il y a du lourd du côté de la psychanalyse, parce que, bon, quand même, Zeralda, 6 ans, va rester au service du géant rencontré par hasard un jour de marché et qu’elle va finir par l’épouser des années plus tard. Certes, elle est devenue adulte mais tout de même, Ungerer ici encore va bien au delà des codes établis. Sa princesse et son prince charmant sont d’un tout autre acabit que celles et ceux qu’on rencontre habituellement dans les histoires pour enfant.
9. Et puis parce qu’ici l’enfant guérit l’adulte et délivre d’une manière bien surprenante toute la ville de la menace que ce géant représentait tant qu’il se livrait à sa passion de la chair d’enfant.
10. Enfin parlons des couleurs et du trait de l’artiste : c’est un voyage dans le temps à chaque page ! Un temps où la littérature jeunesse osait la parabole, l’allégorie, le second degré, tout en gardant une apparence de naïveté.

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Le maître des brumes fait partie des albums culte des moussaillons de L’île aux trésors qui en connaissent chaque détail. Un livre qui se relit avec un plaisir intact, pour au moins dix raisons !

Maître des Brumes, de Tomi Ungerer. L’école des loisirs, 2013.


1 – Pour l’Irlande un peu magique qui lui offre son décor de falaises et de prairies, de pubs et de marées.
2 – Pour les animaux qui peuplent ces pages : chien, chat, oies, cochons, moutons, mais peut-être aussi des bestioles plus inattendues ?
3 – Pour la jolie complicité frère-sœur qui traverse ces pages.
4 – Parce que s’imaginer pouvoir explorer les côtes irlandaises dans son propre curragh, what else ?
5 – Pour l’attrait magnétique et inquiétant exercé par l’île aux Brumes qui émerge des flots à l’horizon, « comme une vieille dent de sorcière ».
6 – Parce que les illustrations de Tomi Ungerer font VRAIMENT frissonner : cette brume dans laquelle la barque des enfants dérivent et dans laquelle on ne distingue plus rien, ces rochers qui semblent nous observer gravement, ces plantes grimpantes qui ressemblent à des griffes…


7 – Pour l’idée géniale et vertigineuse imaginée par l’auteur pour expliquer l’origine des brouillards, entre magie et rouages steampunk.
8 – Pour les doutes délicieux qui subsistent : tout cela s’est-il vraiment passé ?
9 – Parce que cette histoire, c’est finalement un peu l’anti-chèvre de M. Seguin. Explorer le monde, c’est certes dangereux, mais aussi captivant…
10 – Pour le bonheur immense de retrouver Papa et Maman après une aventure pareille.

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Le choix de Blandine s’est porté sans hésitation sur Le Nuage Bleu.

Le Nuage Bleu. TomI UNGERER. Ecole des Loisirs, 2000
  1. Pour cette couverture, faussement candide, un brin facétieuse, et surtout libre
  2. Pour l’indépendance et l’optimisme de ce petit nuage qui va son chemin
  3. Parce qu’il ne se laisse pas influencer, quitte à être seul
  4. Pour la poésie utopiste qui s’en dégage
  5. Pour ses couleurs éloquentes
  6. Pour les nombreuses références, historiques, populaires, culturelles, littéraires
  7. Pour son message universel de paix, de tolérance et d’ouverture à l’Autre
  8. Pour le petit détail qui dit tout
  9. Pour la Différence nécessaire
  10. Un album pour donner envie de découvrir les autres de l’auteur

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Et vous ? Avez-vous lu Tomi Ungerer et quel titre auriez-vous choisi ?

Tomi Ungerer s’en est allé….

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Beaucoup d’émotions, hier 9 février 2019, à l’annonce du décès de ce grand auteur et illustrateur de littérature jeunesse : Tomi Ungerer, 87 ans, s’en est allé…

La presse nationale et internationale, les réseaux sociaux ont unanimement reconnu l’oeuvre féconde de ce grand homme qui ne se prenait pas au sérieux mais prenait les enfants au sérieux.

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Il laisse pas moins de 140 livres et 40000 dessins dont les plus connus : Les trois brigands, Le géant de Zéralda et Jean de la Lune. Et bien d’autres encore.

Mais il faut surtout saluer la personnalité de l’homme : grand esprit de liberté, grande humilité et humour décoiffant, qui va tant manquer.

Comme je suis un éternel enfant, si je sors un livre jeunesse, c’est pour l’enfant en moi, je ne pense pas aux autres enfants. Mais si ça amène de la joie aux enfants, si ça peut les aider dans le démarrage de leur vie, c’est une belle consolation.

(Extrait de la revue Grand, Ecole des loisirs, janvier 2019)

Un bien grand monsieur !

Son portrait ICI.

 

Sur nos blogs :

-Les trois brigands chez L’Atelier de cœurs, La littérature de jeunesse de Judith et Sophie et Un petit bout de bib(bliothèque)

Crictor et Flix chez La littérature de jeunesse de Judith et Sophie

Jean de la lune chez Méli-Mélo de livres

L’image contient peut-être : table et intérieur

Jeu « Les trois brigands » Ecole des loisirs