Un genre pas comme les autres : place au théâtre !

Colette. – Hé, les copinautes, ça vous dirait une sélection thématique dédiée au théâtre ?

Frédé. – Ah ! Oui ! Très bonne idée

Isabelle. – Ouh la la, les filles, je vais avoir du mal à vous suivre car J’ADORE aller au théâtre mais je ne lis jamais de pièce de théâtre.

Blandine. – Idem, autant j’aime beaucoup aller au théâtre mais je ne suis pas du tout sensible à sa forme livresque.

Héloïse. – Idem, je n’en lis jamais.

Lucie. – J’ai vu des adaptations d’albums ou de romans au théâtre mais je ne crois pas avoir lu du théâtre en littérature jeunesse, je suis curieuse de découvrir vos suggestions !

Linda. – Ca tombe bien ! J’ai quelques propositions à vous faire en effet !

Au cœur du forum, un brouhaha se fait entendre, entrecoupé de silences gênés. Les arbronautes continuent de discuter et se mettent finalement d’accord pour vous proposer une ST.

Les trois coups retentissent.

Rideaux !

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Pour Colette, il est une maison d’édition incontournable en ce qui concerne le théâtre jeunesse : ce sont les fabuleuses éditions théâtrales jeunesse (mais nous aurons sans doute l’occasion de vous en reparler !) Et au cœur de leur incroyable catalogue, deux pièces reviennent chaque année ponctuer les lectures des élèves de sixième de la collectionneuse de papillons et d’histoires, deux pièces de Suzanne Lebeau : L’Ogrelet et Gretel et Hansel. A chaque fois, il s’agit pour la dramaturge de revisiter des figures archétypales issues des contes traditionnels et à chaque fois il s’agit pour elle de redonner le pouvoir aux enfants à travers une langue poétique, délicate, savoureuse qui nous amène à explorer, au delà du merveilleux, les liens qui se tissent au sein des familles : dans L’Ogrelet, il s’agira de triturer ce qui se joue entre une mère et son fils, dans Gretel et Hansel, c’est la fratrie qui est mise à mal. Mais à chaque fois, de leur quête initiatique, les personnages de Suzanne Lebeau ressortent grandis, magnifiés, puissante et puissant. Tout ce que l’on souhaite aux jeunes lectrices et aux jeunes lecteurs qui se plongeront dans leur histoire.

L’Ogrelet, Suzanne Lebeau, éditions théâtrales jeunesse, 2003.
Gretel et Hansel, Suzanne Lebeau, éditions théâtrales jeunesse, 2014.

Pour une lecture commune de L’Ogrelet, c’est par là.

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Pour Linda, la collection Théâtre des éditions L’école des loisirs est un autre incontournable en théâtre jeunesse dont le catalogue offre une grande diversité de beaux textes à lire à voix haute et à plusieurs et, pourquoi pas, mettre en scène. Parmi leur abondante collection, deux titres ont su toucher Linda et ses demoiselles, notamment grâce à leur mise en scène par des compagnies professionnels : Le pays de rien et La jeune fille, le diable et le moulin. A chaque fois, les auteurs empruntent aux codes du conte pour écrire un récit plus personnel qui amènent des questionnements sur la prise de pouvoir décisionnaire de l’enfant dans son émancipation.
Ainsi dans Le pays de rien, Nathalie Papin écrit une pièce philosophique qui interroge la question du pouvoir et de son endoctrinement. De part une écriture précise et concise, elle parle d’émancipation et de la quête de liberté chez une enfant prisonnière de son héritage.
Alors que de son côté, Olivier Py construit son intrigue à partir de personnages et symboles stéréotypés des contes traditionnels, ici La jeune fille sans main des frères Grimm, tout en parvenant à créer une œuvre à part entière, écrite d’une plume imagée et poétique. Il conserve ainsi le merveilleux et la lutte entre le bien et le mal pour interroger la cupidité dans la prise de décision d’un père prêt à tous les sacrifices.
Récits initiatiques, il est question, dans les deux pièces, d’une rencontre déterminante dans le cheminement d’une jeune fille qui puise force et courage d’affronter l’autorité paternelle pour conquérir sa liberté.

Le pays de rien de Nathalie Papin, l’école des loisirs, 2002.
La Jeune Fille, le Diable et le moulin d’Olivier Py, l’école des loisirs, 1995.

Pour un retour sur la pièce Le pays de rien par la compagnie La petite fabrique, c’est ICI.

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Pour Liraloin, le théâtre est une belle histoire. Durant ses jeunes années la pratique de cet art fut un réel plaisir et maintenant en lire est devenu une évidence. Les Editions espaces 34 – collection Théâtre jeunesse offrent une multitude de textes avec des thématiques actuelles. Voici quelques pièces inspirantes !

Ma langue dans ta poche de Fabien Arca, 2020

Loubia est un vrai moulin à paroles, elle est tout le contraire de Louis. Après tout, il a peut-être raison Louis de ne pas s’exprimer ? Loubia ça la rassure ce silence en compagnie de Louis, elle pense ou réfléchit à des situations qui l’aide à mieux comprendre le monde : «Ton silence il me rassure. Dans ton silence, je peux m’entendre. ». Louis lui permet d’exister car entre une mère dépressive qui répète sans cesse d’être « gentille » et un frère trop intrusif, Loubia tente de se « défendre » de cette vie trop morose comme elle peut. Dans cette pièce Loubia nous livre des pensées et nous parle de situations pas toujours faciles à vivre au quotidien. Forte tête et bavarde, Loubia respire au même rythme que Louis dès leur première rencontre. Ralentir pour observer et mieux comprendre le monde des adultes. Ce quasi monologue ponctué de poèmes nous révèle une écriture d’une belle fraicheur.

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Melody et le Capitaine de Gilles Granouillet , 2022

Le Covid est passé par là, Mélody est forcée de passer ses vacances avec un papy qu’elle ne connait pas. La joie n’est pas au rendez-vous surtout que pour rejoindre la maison de son grand-père il faut effectuer une traversée en rafiot, qui n’a pas l’air de toute première jeunesse. Incompréhension et rébellion règnent sur le bateau mais bientôt d’autres perturbations sont attendues. Vivant et joyeux ce texte nous réserve bien des surprises dont les événements vont crescendo pour notre plus grand plaisir.

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L’arbre boit de Christophe Tostain, 2015

Après l’hiver, Jeune Branche profite du printemps pour pousser, se faire belle et accueillir de nouveau son amie hirondelle, celle qui revient de voyage, celle qui fait rêver Jeune Branche d’un ailleurs si exaltant… rien à voir avec la vie menée et rythmée par les bons vouloirs de Vieille Racine qui décide de la distribution d’eau. La soif tiraille non seulement Jeune Branche mais aussi Grand Tronc et la Colonie des Feuilles… Au cœur de cette pièce pour le très jeune public il est question non seulement du vivre ensemble mais aussi de la soif de liberté et le prix à payer pour l’atteindre peut être parfois très fort…

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Et Isabelle, donc, ne lisait pas de pièces de théâtre, préférant aller voir jouer les pièces – en tout cas jusqu’à la cogitation sur cette sélection qui la fera sans aucun doute changer d’avis. Quel plaisir, pourtant, de compléter cette sélection avec un titre consacré à LA star de la littérature anglaise : Sir William Shakespeare himself ! Avec lui, c’est l’histoire du théâtre qui se dévoile, au fil des pages du fabuleux documentaire édité par les éditions Little Urban. À Londres, à l’époque, 1/5 de la population assistaient quotidiennement à un spectacle. Ce n’était pas de la tarte entre les risques d’épidémie (le premier théâtre londonien se situait hors des murs de la ville, plus prudent), une bonne dose d’impro vu le nombre de pièces que les comédiens devaient s’approprier en peu de temps, le taux de mortalité parmi les personnages et le sang qui giclait par le truchement de poches de sang d’animaux… Les anecdotes sont réjouissantes, mises en valeur par ces pages joyeusement colorées. Au fil des pages, on ne peut qu’être sidéré.e par la richesse de l’œuvre shakespearienne qui couvre tous les genres, de la tragédie à la comédie et aux pièces historiques, en passant par la romance et la poésie. Maintenant « to read or not to read, that is the question ! »

Le Monde Extraordinaire de William Shakespeare, d’Emma Roberts, Little Urban, 2022.

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Lisez-vous du théâtre ? Avez-vous quelques textes à nous partager?

Lecture commune : A quoi rêvent les étoiles

Après la lecture commune sur l’album Nuit étoilée, voici un roman A quoi rêvent les étoiles de Manon Fargetton publié par Gallimard jeunesse, qui nous permet d’étoffer notre périple étoilé.

Sélectionné dans le Prix UNICEF 2021 de littérature jeunesse, catégorie 13-15 ans, notre rencontre avec ce roman s’est faite par ce biais.

Ce roman choral a illuminé notre début d’année et donc une lecture commune s’imposait, que voici !

⭐⭐⭐⭐⭐

Colette : A quoi rêvent les étoiles ? Quelle belle question ! Que s’est-il passé dans votre tête en découvrant ce titre ?

Liraloin : je n’ai pensé à rien en découvrant le titre, l’étoile représente tellement la rêverie chez moi que je me suis dit : « voici une lecture qui devrait me plaire ». Cette proposition de lecture m’a tout de suite bottée car je n’ai rien lu de Manon Fargetton.

Pépita : Justement, il n’y a pas de point d’interrogation dans ce titre ! C’est ce qui en fait tout le mystère je trouve. ça part du principe qu’il n’ y a pas de réponse à donner mais je l’ai pris comme une invitation à mener ses rêves jusqu’au firmament. Et ces étoiles, qui sont-elles ? Un petit tour de ciel ?


Liraloin : Elles sont multiples, différentes et puis elles peuvent s’assembler pour dessiner une voie lactée.


Colette : Ces étoiles ce sont Alix, comédienne en herbe qui rêve de fouler les planches après ses études, Titouan, jeune lycéen en rupture avec les autres, avec le monde extérieur (mon chouchou ;), Luce, une femme au destin incroyable qui vit très douloureusement son récent veuvage. Et puis il y a Armand, le père d’Alix, un père incroyable d’amour, de dévouement, et son amie Gabrielle, professeure de théâtre passionnée. Et rien qu’en faisant cette liste, je sens que je suis prête à dévoiler ce qui les unit, car les liens qui se tissent entre tous ces personnages sont multiples, divers, parfois tendus, parfois rompus, sans cesse renouvelés. Et c’est de ça dont il s’agit dans ce livre : des constellations invisibles qui relient les humain.e.s les un.e.s aux autres. C’est tellement beau comme projet d’écriture ! Et surtout c’est réussi !.


Pépita : Et justement, elle rêvent à quoi ces étoiles ? Leur projet, leur angoisse, leur révolte, ….qu’est-ce qui les motivent ….ou pas du tout ?


Colette : Je dirai qu’Alix rêve d’endosser de multiples rôles, de relever des défis, et surtout d’être indépendante. Elle rêve aussi de sa mère retrouvée et d’amour avec un grand A. Titouan rêve de quelque chose de très simple et de très doux : il rêve d’être accepté comme il est. Il rêve d’amitié sincère. Luce rêve de mourir. Non, en fait Luce rêve de retrouver l’homme qu’elle aime. C’est aussi un rêve très simple. Mais inaccessible pour les êtres incarnés. Armand rêve de rendre heureuse sa fille. Et Gabrielle… Gabrielle, je ne sais pas trop. Elle est tellement sur la défensive. Je pense qu’elle rêve d’amour aussi mais…


Liraloin : Ces étoiles, elles sont différentes chez les adultes et les ados. Tandis que les adultes veulent simplement être heureux. Les ados, eux, veulent accomplir quelque chose. Ils sont le reflet de notre société : le rêve où tout est possible sans limite et puis la voie sur laquelle on s’engage peu importe du moment que l’on est heureux.


Pépita : Je dirais juste qu’ils veulent simplement être heureux, être en accord avec leurs envies même si elles sont encore floues. Pour Alix et Titouan, c’est plus clair. Pour Armand aussi , même s’il se cache. Pour Luce, j’ai trouvé ça terrible. Gabrielle, elle, elle est écartelée mais elle le veut bien. Dans ce roman pour ados, ce sont les adultes les plus perdus ! Alors que les ados, eux, savent ce qu’ils veulent, en toute intransigeance. J’ai trouvé cet aspect du roman drôlement bien. Ce qui prouve que la vie est une quête permanente.
Sans trop en dévoiler, par quel heureux hasard vont-ils se rencontrer ? Car ça aussi, c’est fort !


Colette : C’est le hasard justement qui les réunit, un hasard permis par les nouvelles technologies, par les réseaux de communication si envahissants du XXIe siècle. Un hasard qui m’a amené à les voir autrement ces réseaux d’ailleurs. A les voir comme une chance.


Liraloin : Finalement ils vont se connecter grâce aux « nouvelles technologies » (comme ça nous restons dans le flou). C’est le démarrage de beaucoup de rencontres qu’elles soient « provoquées « ou non après tout !


Pépita : Cet heureux hasard va donc faire en sorte qu’il s’entraident mais avant d’en arriver là, l’autrice prend vraiment le temps de revenir à plusieurs reprises sur chacun pour faire avancer leur propre trajectoire. Avec aussi des temps de recul. Du coup, le lecteur les voit évoluer, s’empêtrer, se figer, avancer à nouveau. Cette construction vous a-t-elle séduite ? Qu’est-ce qu’elle révèle de chacun d’eux ?


Colette : J’ai trouvé ce rythme très juste, il nous permet d’aller de surprise en surprise, c’est une petite machinerie narrative très ingénieuse. Titouan, par exemple, mon chouchou, on le découvre complètement addict aux jeux vidéos au départ, et puis au fur et à mesure on comprend ce qui se joue pour lui dans ses longues parties avec Lix, on comprend que quelque chose cloche, mais sans vraiment savoir pourquoi, on a l’impression que c’est une passade, et puis la crise qu’il va vivre quand son père l’oblige à aller au lycée est vraiment effroyable, on comprend alors qu’il vaut mieux prendre au sérieux l’angoisse qu’il ressent et qui le maintient dans sa chambre. Et puis il va y avoir ce message un soir sur son téléphone. Et sa réaction est tellement belle, d’autant plus belle quand on mesure à quel point les autres le font souffrir. La narration de ce roman prend toujours des portes dérobées, des chemins de traverse et c’est très agréables de se laisser guider.


Pépita : Oui c’est exactement cela Colette, des chapitres qui alternent sur chaque personnage mais en même temps des liens invisibles se tissent entre eux et c’est fort beau. Le lecteur s’en émerveille et il se demande bien comment cela va s’épanouir mais sans inquiétude car il a confiance en eux.
A propos des personnages-Colette nous l’a déjà avoué !-quel est le personnage qui vous a le plus touché et pourquoi ?


Liraloin : Le personnage qui me touche le plus c’est Gabrielle, cet enfermement assez cynique. Elle fait en sorte que rien ne la touche et c’est assez paradoxal avec son métier : professeure de théâtre. Au théâtre il faut montrer ses sentiments mais on y joue aussi. Je la trouve dure parfois mais tellement encourageante avec Alix.


Colette : Bon, j’avoue que j’ai un faible pour les laissés pour compte, les mal dans leurs peaux, ceux qui doutent et qui questionnent – déformation professionnelle sans doute – alors j’ai vraiment adoré suivre Titouan. Et puis au début je ne comprenais vraiment pas ce qui le retenait dans sa chambre et en fait … il n’y a rien d’autre à comprendre que son désir de ne plus sortir. Peut-être que cela a fait écho en moi à la période de confinement que nous venions de vivre parce que vraiment j’avais envie de le sortir de là. Et puis après la tentative de ses parents, j’ai compris que non, seul un miracle pouvait changer la donne. Et le miracle a lieu. Et nous assistons à la résurrection de Titouan. Et c’est tellement émouvant !


Pépita : je te rejoins pour Titouan ! Tous ces personnages sont touchants mais j’ai eu un faible pour Luce (plus proche de mon âge !) : son désarroi, son manque, sa solitude immense, sa vie d’avant, …. Au début aussi, je me suis dit : mais elle n’a plus les pieds sur terre ! Je ne connaissais pas encore sa passion. Peu à peu, elle change, elle renaît à la vie, à une sorte de vie puisque…Alix, Titouan et Luce ont ceci en commun que ce sont des êtres entiers. Et cela me touche car j’aime ces êtres-là. On les considère souvent comme intransigeants. C’est juste qu’ils sont incompris dans leur élan de vie et que souvent, on leur coupe les ailes. Leur étoile brille fort et ils veulent l’atteindre à tout prix. C’est ce que ces trois personnages nous disent. Luce le dit un peu différemment. Elle n’a pas la même expérience de vie. Elle a déjà fait du chemin. J’ai eu plusieurs fois eu envie de la prendre dans mes bras.


Colette : On pourrait évoquer la construction du livre en actes : 5 actes, c’est la division classique de la tragédie : est-ce que vous avez trouvé cette structure pertinente ? Qu’est-ce que cela apporte au récit ? Peut-on comparer, selon vous, ce roman à une tragédie ?


Liraloin : Je n’ai pas vu cette construction comme toi Colette, je n’y ai vu que l’entrée, le lever de rideau et puis j’ai laissé évoluer les personnages devant moi tout simplement.


Pépita : J’y ai plus vu une allusion au théâtre que pratiquent deux des personnages. Et je l’avais oubliée ! Une tragédie, non, je ne pense pas, je ne l’ai pas perçu comme ça. Plutôt comme un découpage qui accompagne l’évolution des personnages.


Colette : J’aurais bien aimé parlé des relations familiales qui sont au cœur des différentes trajectoires, quel que soit l’âge des enfants – adolescent.e.s ou adultes. Je trouve que ce roman nous offre une sacrée vision de la parentalité entre la mère absente, qui abandonne et revient sans crier gare, le père omniprésent, les parents qui s’éloignent, les parents qui comprennent… Pour vous, sont-ce seulement des personnages secondaires ou ont-ils des rôles plus importants ?


Liraloin : Ils sont très important ces personnages. J’ai été bouleversée par la scène du papa et de Titouan au collège (je n’en dis pas trop). Il y a aussi la fille qui s’éloigne aussi, enfin les filles. Celle qui l’a fait depuis des années Gabrielle et celle qui veut voler de ses propres ailes : Alix. Oui les parents sont présents à leur façon et apportent à nos personnages principaux une belle force pour continuer.


Pépita : Tu as raison de le souligner perspicace Colette comme toujours ! Pour reprendre la métaphore des étoiles du titre, on est dans une constellation d’humains qui gravitent les uns autour des autres et entre lesquelles des liens invisibles se sont tissés. Ils le savent sans le savoir qu’ils ont réellement besoin des uns et des autres, même si le besoin de s’affranchir de ces liens est vital pour certains. Savez-vous que nous avons tous autour de notre corps une sorte de petite bulle invisible qui nous protège et dont nous avons besoin de frotter aux autres de temps en temps ou au contraire de préserver en s’éloignant ? Ce roman le montre très bien. Du coup, tous les personnages sont importants dans cette histoire, il n’y en a pas de secondaires pour moi.
Si vous en êtes d’accord, j’aimerais qu’on arrête là sur l’intrigue au risque de trop en dévoiler et ce serait dommage pour des personnes qui n’ont pas encore lu ce magnifique roman. Cependant, quel effet a-t-il produit sur vous ? Je pense qu’il dépasse largement le public adolescents. Qu’en pensez-vous ?


Colette : Comme souvent en littérature dite jeunesse, A quoi rêvent les étoiles peut toucher n’importe quel public, ado ou adulte. L’éventail des personnages d’âges très divers permet d’aborder chaque âge de la vie (sauf l’enfance peut-être qui n’y est pas explicitement présente) à travers des questionnements qui sont autant d’étapes dans la construction de soi : quel avenir me construire ? Quels liens avec ma famille ? Avec les autres ? Avec la société dans son ensemble ? Comment être encore moi-même quand les êtres que j’aime ont disparu ?


Liraloin : Tout d’abord, j’ai été très heureuse de cette lecture commune car j’avais envie de lire, depuis un grand moment, Manon Fargetton. Pour l’avoir vu et lu des interviews essentiellement les thématiques abordées dans ses livres me correspondent (dystopie – aventure – roman social…). Il dépasse complètement le public ado car le sentiment d’attachement entre les personnages est intergénérationnel !


Pépita : Personnellement, ce roman a illuminé ma fin d’année dernière ! Si vous deviez le définir en un mot, quel serait-il ?


Colette : Solidarité ! Ce que j’ai trouvé beau ce sont ces liens qui se tissent là où on ne les attendait pas.


Pépita : Mon mot serait lumière !


Liraloin : Pour moi ça serait l’amour car ce mot englobe cette relation si spéciale qui se tisse entre les personnages.


Le mot de la fin pour Colette : C’est un roman foisonnant et très organisé à la fois qui laisse comme une empreinte lumineuse en plein cœur même plusieurs mois après sa lecture ! J’espère que c’est ce que nous transmettrons à travers notre lecture commune !

⭐⭐⭐⭐⭐

Nos chroniques du roman :

MéLi-MéLo de livres

-Liraloin

Lecture commune théâtre avec L’ogrelet…en duo

Il est un genre littéraire dont on ne parle pas souvent  A l’ombre du grand arbre et qui pourtant renferme une infinité de possibles : c’est le théâtre. Le théâtre jeunesse foisonne de pièces bouleversantes, d’une précieuse poésie. C’est le cas de L’ogrelet de Suzanne Lebeau, pièce adorée, que je partage dès que je le peux avec mes élèves. Et que j’ai partagée récemment avec Pépita en glissant le subtil opuscule vert entre les papiers de soie de son swap anniversaire.

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Colette : « L’ogrelet « : déroutant comme titre de pièce de théâtre, non ? On n’est loin de la référence mythologique du théâtre classique, on n’est pas dans un titre de la modernité, on pense au conte bien sûr mais tout de même ce néologisme est étrange : à quoi as- tu pensé toi ?

Pépita : J’ai pensé à un petit mot doux, d’une maman à son enfant, de ces petits mots affectueux, un petit enfant aimant dévorer ses petits plats préparés avec amour. Et en même temps, vu que tu as parlé de cette pièce lors de la lecture commune sur D’entre les ogres, je savais qu’il y avait autre chose. Mais tout de même à cette lecture, cette première image m’est restée et la façon dont la maman s’adresse à son enfant va aussi dans ce sens mais pour une autre raison.
Et toi qui connait si bien cette pièce, te souviens-tu de ta première impression à ce titre ?

C : Au début ce mot évoquait pour moi quelque chose proche du sucre d’orge et du grelot, j’ai tout de suite aimé les sonorités de ce petit nom… je ne me souviens absolument pas comment j’ai découvert cette pièce, gros trou de mémoire ! Peut-être était-ce ma tutrice de collège, passionnée de littérature jeunesse, qui me l’a prêté. Bien sûr depuis le temps que je fais lire cette pièce à mes sixièmes, l’ogrelet s’est incarné dans tous les sens du terme et à chaque lecture il prend un peu plus d’épaisseur.
Car finalement qu’as-tu trouvé sous ce joli sobriquet ?

P : Un enfant d’abord, plein de curiosité sur le monde, impatient d’aller à l’école, déjà affublé du sobriquet d’ogrelet, mais comme un petit mot doux d’une maman à son petit. Et puis peu à peu un ogrelet est apparu dans ma rétine de lectrice, encore humain tout de même, mais ayant changé de façon imperceptible d’abord puis plus nette et très volontaire dans son envie de prendre son destin entre ses mains et de le renverser. L’auteure joue en permanence sur cette ambivalence, ça se sent dans la manière qu’il s’adresse à sa mère, le mot maman disparaît, il lui échappe. J’avoue que j’ai eu peur pour lui. Est-ce que tu l’as ressenti pareil ou différemment ?

C : Comme pour toi, au début l’ogrelet c’est un petit bonhomme qui se prépare pour aller à l’école pour la première fois, un petit bonhomme curieux de tout, avide de connaissances, mais surtout avide des autres. Et puis dès le premier jour c’est sur lui qu’il va apprendre des choses. En apprenant son vrai prénom. Dès la scène 3, on comprend que tout ne va être qu’une question d’identité et même si c’est une pièce qui se joue du merveilleux, on entre de plein pied dans des questionnnements drôlement proches de nous ! Qu’as-tu pensé de cette scène où l’ogrelet apprend son vrai prénom ? J’adore quand il demande à sa mère si sur son cahier il doit écrire  » Logrelet, Togrelet, Nogrelet » !

P : Tu as totalement raison de mettre en avant ce passage car il est fondateur : à la fois de cette recherche d’identité mais aussi de l’apprentissage à l’école, nouvel univers pour lui. Etre nommé de son vrai prénom est une étape indispensable. Que la maman y soit associée est très fort. On dirait un jeu mais en fait c’est plus que ça. D’ailleurs, les lettres échangées entre la maman et l’institutrice sont très touchantes. Toi qui es enseignante, tu as du l’être aussi non ?

C : Tu ne peux pas imaginer à quel point la figure de la maîtresse m’influence encore aujourd’hui ! Jeudi dernier, j’ai d’ailleurs écrit un mot dans le carnet de liaison d’un élève en commençant par « Madame, je m’inquiète pour B… » comme la maîtresse de l’ogrelet le fait pour son étrange élève. En effet j’ai été particulièrement touchée par le soucis de cette enseignante de comprendre son élève et de s’adresser à sa mère à travers une véritable correspondance, « véritable » dans le sens de « sincère », bien loin des mots notés rapidement, un peu aveuglément dans les carnets qui « lient » soit disant au quotidien les familles et l’école… La maîtresse est une figure féminine éminemment bienveillante, rayonnante, elle joue un rôle essentiel dans le cheminement de l’ogrelet car elle lui prouve avant même qu’il ne sache qui il est vraiment, qu’il peut être accepté comme il est, quelle que que soit sa véritable nature.

P : Oui ce dialogue entre ces deux femmes au sujet de cet enfant différent est si juste, sans jugement mais s’attache à l’accompagner au mieux, à le faire grandir. Avec beaucoup de respect entre elles. J’ai vraiment beaucoup aimé ces passages.
Et justement, cet ogrelet, du moment où il apprend sa véritable nature, entre dans un parcours initiatique, avec un virage assez radical non ?

C : Oh que j’aime la scène 6, la scène de révélation, la scène du grand tournant radical, la scène de rupture, l’acmé, le nœud de l’histoire de notre ogrelet (du pain béni pour faire comprendre à mes élèves ce qu’est le nœud au théâtre 😉 ) Cette scène, qui en passant se nourrit des contes anciens, est d’une intensité incroyable, l’ogrelet y apprend tout de son père, de ses origines et de… ses sœurs. Que de découvertes ! Non seulement ce que nous pressentions se confirme mais la vérité est encore plus sombre qu’on ne l’imaginait. Et en même temps c’est aussi le début d’une nouvelle vie…

P : Je te rejoins totalement ! Oui nouvelle vie mais pas sans étapes. Je l’ai trouvé drôlement volontaire dans son choix. Respect ! Mais là aussi l’auteure joue sur deux registres : vérité ou arrangement avec la vérité. Sur la place du père aussi subsiste un doute…le lecteur est en permanence dans l’interrogation. Déstabilisant non ?

C : Oui complètement déstabilisant : on se sait jamais vraiment la vérité dans cette pièce, on ne sait rien au final sur les origines de l’ogrelet, sur son père -est-il oui ou non un criminel ?-, sur l’ogrelet lui même – réussit-il vraiment les 3 épreuves qui lui permettent de vaincre son ogreté ?- et les jeunes lecteurs sont très sensibles à cette « ambigüité » qui persiste jusqu’aux derniers mots du texte (je souligne le mot « ambigüité » car c’est un mot sur lequel nous débattons beaucoup avec mes élèves en ce moment !). D’ailleurs ils demandent souvent s’il y a une suite à L’Ogrelet car ils voudraient être fixés sur la véritable nature du père et surtout surtout sur celle de Simon. Mais au fond, ogre ou humain, est-ce que cela a vraiment de l’importance ?

P : Très bonne remarque ! Ogre ou humain….c’est ça justement le fond de cette pièce : celui de pousser la normalité ou l’anormalité jusqu’à son point ultime et d’en affranchir la frontière. J’ai beaucoup aimé aussi la réflexion sur le regard de l’autre mais dans les deux sens. L’auteure interroge ces points là avec le point de vue de l’enfance qui est toujours très instructif et révélateur.

C : L’Ogrelet est en effet avant tout une pièce sur ce moment de l’enfance où le basculement s’opère, où le petit apprend à devenir grand, à devenir soi. C’est une pièce que l’on dévore avec gourmandise comme l’ogre se repaît de l’odeur de la chair fraîche !  Une pièce qui donne à aimer, à penser, à jouer.

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Bonus : sur le site des excellentes éditions théâtrales jeunesse vous trouverez un extrait de la pièce et le carnet artistique et pédagogique : c’est par .

Nos chroniques :

-Celle de Pépita

-Dans le top 5 de Colette

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Et si nous allions au théâtre ?

Deux romans sur la même thématique parus à la même période (août 2013) :

3000 façons de dire je t’aime de Marie-Aude Murail- Ecole des loisirs

Double jeu de Jean-Philippe Blondel-Actes sud junior

On est trois à les avoir lus…

La révélation de jeunes gens par le théâtre, mais pas que…

Lectures croisées…

3000 façons de dire je t'aime

Double jeu

Les trois coups ont frappé…

Vous avez entendu ?

RIDEAU !

Pépita : « 3000 façons de dire Je t’aime » et « Double jeu » : deux romans parus à la même période…Pourtant, rien n’indique dans ces titres le thème principal qu’ils abordent tous les deux : le théâtre. Est-ce seulement cette thématique qui vous a attiré ou y a-t-il eu autre chose pour vous ?

Nathan : Le beau titre de l’un et son auteur culte pour le  Murail, la couverture superbe de l’autre et ses bonnes chroniques …
Mais oui sinon c’est le théâtre qui m’a attiré. Le théâtre qui depuis deux ans rythme ma vie de lycéen et me passionne énormément. Comme Quentin j’ai été en 1èreL spécialité théâtre … et comme ces trois jeunes dans le roman de Murail, le théâtre porte mon épanouissement.

Bouma : Comment dire… (je ne voudrais pas blesser Nathan) mais ce n’est pas du tout le théâtre qui m’a attiré dans la lecture de ces deux romans. Je dirais même que je les ai lus MALGRÉ le fait qu’ils abordent ce sujet. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été écrit par deux auteurs que j’affectionne pour leur plume et leur talent : je ne rate pas un Blondel et j’essaie de lire un maximum de Murail.

Pépita : Non pas que je cherche à faire le compromis, mais pour ma part, c’est à la fois le théâtre et les deux auteurs qui m’ont attirée dans ces deux romans et je ne suis pas du tout déçue !

Rentrons dans le vif du sujet : Deux très beaux titres de romans : pouvez-vous, à partir de ces deux titres, donner un aperçu de chacun ?

Nathan : On a deux cas très différents dans ces romans …
D’une part, trois adolescents qui entrent dans les études supérieures et aimeraient bien renouer avec leur amour du théâtre, et celui-ci pourrait bien leur fournir … 3000 façons de dire je t’aime.
D’autre part, un jeune adolescent qui entre en Terminale mais dans un nouveau lycée, où à cause de sa turbulence, il doit repartir de zéro, va découvrir le théâtre et va découvrir qu’il n’y a pas qu’au théâtre qu’on peut être acteur; aussi le lecteur suit-il ce personnage et son … double jeu.

Et puis moi j’aimerais ajouter les mots de Marie-Aude Murail sur la très jolie dédicace qui était déjà sur le livre quand je l’ai reçu …

Bouma : Très belle description Nathan.
Pour Double jeu de Blondel, je suis plutôt partie sur un jeu de mots entre le « Jeu » scénique propre au théâtre (que va découvrir Quentin, le héros) et le double « Je » qu’il va éprouver, partagé entre ses origines modestes et le milieu huppé dans lequel il évolue désormais.
Pour 3000 façons de dire je t’aime, j’avoue ne pas avoir très bien compris la symbolique au premier coup d’œil. Le titre m’a paru très mystérieux car un peu trop girly pour le style de Murail. Et puis au fil de ma lecture, j’ai compris qu’elle souhaitait montrer qu’il n’y avait pas une seule façon d’aimer (une personne ou une passion) tout comme il n’y en a pas une seule pour le déclarer.
Et toi Pépita, comment tu les as vus ?

Pépita : Pour 3000 façons de dire je t’aime, je l’ai vu comme plusieurs entrées pour un comédien : lorsqu’il endosse un personnage, il va le faire avec son vécu, sa personnalité et ce qu’il projette comme émotions sur ce personnage. D’où pour un personnage donné, 3000 façons, voire plus, de lui donner corps. On le voit très bien dans ce roman : les trois adolescents n’en sont pas du tout au même stade : il y a Bastien, très dilettante, Chloé très scolaire et Neville, très idéaliste. Ce qui est intéressant, c’est de voir leur évolution et qu’ils finissent tous les trois par converger vers un amour du théâtre dans sa globalité. Finalement, une conception assez éloignée de ce qu’ils pensaient être le théâtre à leurs débuts. Et en cela, je rejoins la belle citation qu’évoque Nathan !
Pour Double jeu, l’approche est différente : Quentin n’a pas choisi de monter sur les planches. C’est l’énergie de sa professeure qui va le pousser à y aller. Il découvre le jeu sur scène, apprend qu’il peut devenir un autre « je » et cela l’aide finalement à surmonter cette année de transition, où, déraciné de son milieu social, il devient par la force des choses quelqu’un d’autre. Le théâtre l’aide alors à l’accepter. Certes, dans une certaine souffrance mais aussi une soupape. D’où ce double jeu. Je rejoins en cela ton analyse Bouma.

Continuons : Dans ces deux romans, il y a à chaque fois un adulte « guide » : M. Jeanson pour le Murail et Mme Fernandez pour le Blondel. De mon point de vue, ils partagent une énergie incroyable tous les deux et un amour inconditionnel du théâtre. Mais qu’avez-vous pensé de leur investissement à chacun auprès de ces jeunes ?

Nathan : Il faut bien se lancer à un moment ou un autre, la question est pointue ! Mais très intéressante … parce que je n’avais pas fait le rapprochement. Et il se révèle troublant.
C’est vrai que les deux ont une énergie débordante, une certaine distance et sévérité qui imposent l’ordre, l’admiration mais aussi la qualité de l’enseignement.
Pourtant, ils investissent différemment cette énergie.
Il m’a semblé que Mr. Jeanson avait un côté un peu plus paternel. Il s’attache à ces trois adolescents comme à ses propres enfants et voit en eux le potentiel (ou pas …) et est prêt à tout, même enfreindre les règles, pour les emmener vers le succès … et se lier d’amitié avec eux.
Alors que Mme Fernandez, elle, ne franchit pas les frontières des règles et essaye de garder un côté plus strict, et professoral.
Mais finalement, les deux s’investissent corps et âme pour ces adolescents … et tous deux posent là le point final d’une étape de leur vie avant de tourner une page. Mais chut, je n’en dis pas plus !

Bouma : Ces deux professeurs m’ont simplement rappelé que lorsqu’on est passionné par un domaine (quel qu’il soit), on a aussi envie de le partager, d’en discuter… Comme nous le faisons, nous, à l’ombre du grand arbre.

Pépita : Au risque de jeter un pavé dans la mare, je suis très critique vis-à-vis de M. Jeanson : pas son côté paternaliste, non, mais j’ai trouvé qu’il « utilise » en quelque sorte deux des jeunes pour porter sur la scène son « préféré » (ou du moins celui dans lequel il voit le meilleur potentiel) et se sachant malade, arriver enfin à son but : faire entrer un de ses protégés au Conservatoire. Ça m’a un peu gênée cet aspect-là… Quant à l’autre professeure, c’est tout le contraire : elle laisse une liberté à Quentin qui lui permet de trouver par lui-même son propre chemin. Il peut exercer son libre-arbitre alors que les trois autres sont davantage dans une rivalité, même si je suis parfaitement consciente que dans un groupe, elle existe forcément et peut être motrice (ou le contraire…).

Qu’auriez-vous à dire de la construction des deux romans : celui de Murail me semble plus conventionnel alors que celui de Blondel est beaucoup plus élaboré. Est-aussi votre ressenti ?

Bouma : Effectivement, la construction du livre de Blondel est plus subtile. Les sentiments de Quentin se lisent entre les lignes, tout comme les choix qui s’offrent à lui. Le fait d’avoir construit le livre en actes et en scènes montre clairement que Blondel a cherché à exploiter les codes du théâtre dans le genre plus linéaire qu’est le roman. Son texte est court, comme d’habitude, et met en scène, c’est le cas de le dire, des moments cruciaux dans la vie de son héros. Je pense d’ailleurs que ce roman pourrait être adapté au théâtre sans trop de difficulté.
Pour Murail, on est dans quelque chose de plus conventionnel. Les chapitres ont des citations théâtrales pour en-têtes, on suit chacun des personnages dans son intimité et dans sa vie sociale. Le véritable intérêt vient dans la confrontation des univers de chacun. Son style est fluide, compréhensible et peut-être plus facilement accessible pour un lectorat plus jeune.
On voit bien avec ces deux auteurs qu’avec une thématique commune le résultat est très différent.

Pépita : J’ajouterais que dans le roman de Blondel, le fait que Quentin écrive un journal de cette année scolaire charnière, qu’il a laissé tombé puis repris, donne une autre profondeur au roman. Comme si lui-même jouait son propre rôle et se mettait en scène intimement. Face à face avec lui-même.

Nathan : Et je pense aussi que cela place le roman de Murail du côté d’un public plus jeune alors que Double jeu, plus intense, plus ancré dans la réalité, vise un public vraiment adolescent.
Et je suis totalement d’accord avec Pépita … alors que 3000 façons de dire je t’aime, écrit à la troisième personne du singulier … comme du pluriel, correspond plutôt à la personnalité d’écrivain de Chloé et aux trois voix de ces adolescents, aux voix de trois acteurs.

Pépita : Justement, parlons de l’écriture, transition parfaite : Murail cite plein de références théâtrales alors que Blondel ne part que d’un texte. Vous qui êtes des lecteurs actifs, vous les avez lus ces textes ou est-ce que ce roman vous a donné envie de vous y plonger ? Ce qui me pousse à poser une autre question : est-ce que vous pensez que la thématique du théâtre pourrait être transposable à d’autres passions artistiques ?

Nathan: Oui, mais je ne me suis pour autant pas plus plongé sur la question … d’autant plus que j’ai lu 3000 façons de dire je t’aime l’été dernier et qu’entre temps j’ai approfondi ma formation d’acteur-lycéen et étudié Lorenzaccio … peut-être relirai-je le roman, pour avoir un œil neuf dessus ?

Bouma : Je ne suis pas une grande amatrice de théâtre (comme je le soulignais plus haut). Je n’ai donc pas lu ou vu la plupart des pièces évoquées dans ces romans. Je les connaissais de nom, toutefois, suffisamment pour que les références me parlent. Je serais donc tentée d’aller en voir quelques unes mais de là à les lire… Faut pas pousser mémé dans les orties !

Concernant ton autre question, je pense bien évidemment que la thématique peut être transposée à d’autres passions. Et l’on trouve déjà beaucoup de romans qui en parlent. La danse est abordée dans Les Ailes de la Sylphide de Pascale Maret et la musique dans Jolene de Shaïne Cassim par exemple. Deux romans dont nous avons fait des lectures communes A l’Ombre du Grand Arbre parce qu’elles touchaient là aussi à la passion humaine pour la création sous toutes ses formes.

Pépita : Pour le Murail, sans hésitation, je dirais que ces trois jeunes pourraient être aussi bien férus de peinture, de musique ou autre passion artistique et on les verrait évoluer selon la même trajectoire ou presque. Pour le Blondel, c’est différent : l’identification au personnage de la pièce choisie est trop forte pour Quentin. Ce personnage le révèle à lui-même. La professeure lui sert ce personnage sur un plateau. A lui de saisir ou pas. C’est la grande force du théâtre je trouve que de permettre cela, cette incarnation totale et absolue. Je n’ai jamais lu cette pièce (La ménagerie de verre de Tennessee Williams), et cela m’a donné envie de la découvrir. Dans mes lectures de cet été. Les pièces citées dans le Murail, j’en connais pas mal. De culture littéraire, certaines me laissent plus ou moins de bons souvenirs (ah ! la prescription scolaire !).

Nathan : Je suis d’accord avec toi Pépita, le parcours de Quentin est tout à fait particulier. Mais pour moi c’est pareil dans 3000 façons de dire je t’aime. J’ai perçu l’épanouissement qui éclaire les personnages dans le théâtre et c’est ce que j’ai vécu ces trois années de lycée. La musique, la peinture, chaque art est différent, chaque aventure est différente, leur parcours aurait été différent, bien qu’épanouissant aussi ! Seulement le théâtre est une aventure collective, une fusion des êtres dans un même texte et les pousse derrière un personnage à s’exposer aux yeux du monde. Selon moi, rien n’aurait été pareil avec un autre art.

Pépita : Justement, et ce sera ma dernière question, avant que vous ne donniez votre dernière impression sur ces deux romans, parlons de l’identification au personnage : y en a-t-il un qui vous a particulièrement touché, parlé, ému ? Et pourquoi ? Comme au théâtre finalement …

Nathan : C’est Quentin qui m’a le plus ému. Il est en première littéraire théâtre comme je l’ai été, il se cherche, il veut trouver qui il est et l’affirmer et par-dessus il s’épanouit dans le théâtre alors qu’il a tendance à tâtonner dans la vie. C’est magnifique et parfois il était un peu comme moi.

Bouma : Difficile pour moi de m’identifier à un personnage en particulier. En tout cas si j’avais du choisir une vision de l’adolescence parmi ces quatre personnages j’aurai choisi celle de Bastien dans le Murail, pour l’énergie, l’écoute et l’humour dont il fait preuve à chaque nouveau pas.

Pépita : Ces personnages m’ont tous émue, à leur façon. Dans le Murail, j’ai cependant trouvé qu’ils manquaient peu à peu de consistance. Le roman perd de son énergie, un peu à l’image de leur découragement, inévitable par moments. Puis, il rebondit vers la fin avec le sacre de l’un d’entre eux. Comme toi Bouma, Bastien, je l’ai trouvé juste tout du long. Et comme toi, Nathan, j’ai été emportée par Quentin, dans ce bouillonnement intérieur qui le caractérise, par son énergie, sa lucidité et son choix.

Un mot de la fin de chacun(e), sur ces deux lectures ?

Bouma : Le thème du théâtre n’était pas porteur pour moi au départ. Cependant, le talent de ces deux auteurs m’a permis de prendre plaisir à redécouvrir cet art. Deux belles lectures qui trouveront échos chez les adolescents et leurs parents.

Nathan : Comme on a (j’ai ?) parlé théâtre toute la discussion je finirai juste sur ces quelques mots : quel qu’il soit, l’art est un épanouissement et une ouverture au monde. C’est lui qui nous fait voir les choses différemment. Il est la liberté, il est salvateur … et il est notre passion : la littérature avant tout.

Pépita : Mes quatre enfants montant sur les planches depuis quelques années, je dirais que le théâtre, c’est l’école de la vie ! Ce que démontre finalement fort bien ces deux magnifiques romans.

Alors ? Prêt(e)s à aller au théâtre ?

Pour vous en convaincre, nos liens sur ces lectures :

BoumaUn petit bout de bib(liothèque) : 3000 façons de dire je t’aimeDouble jeuUne interview de J.P Blondel

-Nathan-Le cahier de lecture de Nathan : 3000 façons de dire je t’aime-Double jeu et son blog sur le théâtre

-Pépita-Méli-Mélo de livres : 3000 façons de dire je t’aimeDouble jeu